OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le Soudan censure sa révolte http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/ http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/#comments Mon, 23 Jul 2012 15:27:31 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=116238

Manifestation détudiants à l'université des sciences et technologies (Soudan), via Iamsudanes (youtube)

Alors que la journaliste égyptienne Shaimaa Adel, emprisonnée depuis trois semaines pour avoir couvert les révoltes soudanaises vient d’être libérée, le mouvement de contestation engagé à Khartoum continue. Dans un contexte d’arrestations massives, les émeutes sont quotidiennes et l’accès au web tend à devenir un enjeu primordial pour l’avenir du mouvement.

Le 16 Juin dernier, des étudiantes de l’université de la capitale ont commencé à protester contre l’annonce de mesures d’austérité entraînant une énième élévation du prix de la nourriture et du transport. Immédiatement réprimées, les manifestations se sont répandues comme une trainée de poudre dans d’autres universités du pays avant de rallier différentes strates de la population.

Si les protestations étaient initialement motivées par l’annonce d’un plan d’austérité, elles ont rapidement mué en un mouvement de revendication démocratique et populaire exigeant la fin du régime du président Omar el Béchir.

Depuis le début des révoltes, la maîtrise de l’information joue un rôle clé pour le pouvoir. Avec la multiplication des zones de contestation, ce dernier met tout en œuvre pour couper la communication entre les émeutiers et garder le contrôle des médias. Arrestations de journalistes et de blogueurs, censure de la presse papier avant publication et restriction du web sont autant de moyens utilisés par les autorités pour briser l’élan des manifestants.

Le web, matrice des révoltes

Malgré l’absence d’infrastructures Internet massives au Soudan (seule 10% de la population y aurait accès et 50%  posséderait un téléphone portable) le web joue un rôle crucial pour contourner la censure et organiser les manifestations.

D’abord, grâce à quelques sites d’activistes comme Girifna ou Sudanchangenow qui diffusent régulièrement des informations sur les émeutes et rassemblements quotidiens.  Sudanchangenow a même mis en place une carte interactive permettant de voir au jour le jour les foyers de révoltes, les arrestations, les violences ou encore la couverture médiatique des différents soulèvements. Si le nombre de rapports diffusés ces derniers jours connait un net ralentissement, il est compliqué de savoir s’il s’agit d’un problème de sécurité des sources ou une simple baisse des témoignages recueillis.

Plusieurs blogs, dont Sudanrevolts tentent également de lutter contre la désinformation gouvernementale en utilisant le crowdsourcing pour rassembler, entre autre, les témoignages des personnes arrêtées. Comme l’expliquent ses administrateurs :

Sudanrevolts traite du combat de la population pour le changement au Soudan. Nous essayons pour ce faire d’agir comme une plaque tournante pour diffuser l’information et les histoires de notre révolution [...] c’est un site pour la population fait par la population, merci de nous envoyer vos liens, idées, photos et témoignages- tout ce qui selon vous peut-être pertinent et mérite d’être partagé.

Ce sont aussi les réseaux sociaux qui se font l’agora majeure du mouvement. La plupart des informations, photos et vidéos transitent par le hashtag  #Sudanrevolts sur Twitter et Facebook qui rend compte des arrestations mais agrège également des messages de soutien provenant d’un peu partout dans le monde.

D’après le site uncut, l’accès à l’information est particulièrement compliqué pour les activistes qui n’utilisent pas ces médias car le bureau national des télécommunications bloque de nombreux sites anti-gouvernementaux et de presse en ligne.  C’est le cas des sites  Hurriyat et Al-Rakoba qui se révèlent inaccessibles depuis le Soudan, exceptés en utilisant des proxys.

Un ralentissement global du débit de connexion à Internet complique également les campagnes de communication et les appels à manifester. Par ailleurs, les forces du National Security Service (la police soudanaise) confisquent presque toujours le matériel pouvant servir à communiquer lors des arrestations (téléphones portables, ordinateurs, appareils photo ou caméras) dans le but de juguler la diffusion des preuves de la répression.

A cette censure directe s’ajoute la présence des autorités soudanaises sur le web, dont l’usage exige de plus en plus de précautions. C’est ce qu’expliquait le journaliste Alan Boswell, spécialiste du Soudan peu après une série d’émeutes en janvier 2011:

Au lieu de se contenter de couper l’accès à Internet ou d’empêcher les communications par sms comme le font les autres régimes, les services de sécurité soudanais s’emparent de ces outils. Ils ont même engagé une sorte de “cyber-jihad” contre les activistes anti-régime. Les agents du gouvernement ont infiltré les sites qui lui sont hostiles, s’adonnant à la désinformation et essayant de recouper les sources pour identifier les leaders. Ils postaient également des liens pornographiques sur Facebook et dénonçaient ensuite les sites d’activistes auprès de la direction de Facebook pour violation des règles d’utilisation.

Joint il y a peu par le Centre européen du journalisme, l’activiste Rawa Sadiq (le nom a été modifié) affirmait que les forces de police soudanaises avaient montré leurs tweets à de nombreuses personnes arrêtées, preuve que les autorités surveillent Twitter. Des membres du groupe Girifna ont également été la cible d’arrestations à leur domicile tout comme le journaliste citoyen Usamah Mohamad (@simsimt) ou la blogueuse et militante des droits de l’homme Mimz, (@MimzicalMim), relâchée depuis.

L’Hacktivisme contre la censure

L’un des enjeux de la riposte réside dans le contournement technique de la censure.  Et à ce niveau, les pratiques semblent évoluer rapidement grâce à la mobilisation de certains blogueurs et de collectifs de hackers.

Un observateur américain expliquait il y a peu au réseau liberationtech que le nombre d’utilisateurs du logiciel de proxy controversé ultrasurf qui est censé permettre de contourner la censure et de s’anonymiser a explosé en l’espace de quelques jours dans le pays. Reste à savoir si la version du logiciel est saine, contrairement à celle largement diffusée en Syrie.

Bon nombre de blogueurs tentent par ailleurs de faire connaître les moyens de se protéger sur le web et les précautions à prendre sur les réseaux sociaux. C’est le cas de Yousif Al-Mahdi, dans un billet de blog relatif à la protection des données publié le 4 juillet.

D’après un article du site d’activistes Girifna, un groupe se réclamant des Anonymous s’est attaqué à des sites du gouvernement soudanais en réponse à la propagande du régime. La vidéo ci-dessous était postée quelques jours après le début des émeutes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Enfin, c’est dans le but d’offrir aux activistes les moyens techniques de contourner la censure et le traçage que le réseau de hackers Telecomix a diffusé une note expliquant comment se connecter au web malgré les coupures et la censure.

Comme nous l’a expliqué, Cantor, le web semble accessible mais beaucoup de témoignages signalent que les connexions fonctionnent au ralenti, un peu comme si les fournisseurs d’accès (FAI) soudanais étranglaient Internet. D’après lui, les précautions à prendre sont multiples :

On a dans un premier temps fait parvenir des numéros de modems à appeler pour que les gens aient accès à une connexion. Et pour ce qui est de l’anonymat, on a recommandé d’utiliser Tor à travers des proxys. Ça assure un bon encryptage, un surf anonyme et pour l’instant, ça a l’air de bien fonctionner. On recommande également de ne pas utiliser de téléphone portable ou satellitaire car la police soudanaise intercepte les communications en utilisant des outils modernes d’interception légale par les FAI.


Pour plus d’informations, visitez le site globalvoices qui publie régulièrement des billets sur l’évolution des révoltes.

Capture d’écran, manifestation d’étudiants soudanais à l’université des sciences et technologie via Iamsudanes

]]>
http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/feed/ 2
Cette crise ne passera pas l’Ibère http://owni.fr/2012/07/04/cette-crise-ne-passera-pas-libere/ http://owni.fr/2012/07/04/cette-crise-ne-passera-pas-libere/#comments Wed, 04 Jul 2012 16:06:15 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=114728

Acampada Barcelona, 27/05/2011. Après l'attaque de la police - (cc-byncnd) Julien Lagarde

L’ouvrage collectif Aftermath “les cultures de la crise économique” [pdf] qui vient de paraître en Angleterre aux éditions Oxford University Press constitue le fruit de la réflexion et de l’enquête de Manuel Castells sur les réseaux de solidarité économiques nés de la conjoncture actuelle. Nous avons rencontré l’auteur à Paris lors d’une conférence intitulé “Une autre économie est possible” organisée par la fondation maison des sciences de l’homme. Accompagné d’Alain Touraine et Michel Wieviorka, le sociologue, titulaire de la Chaire “La société en réseaux” du Collège d’études mondiales a présenté une synthèse de différents travaux effectués ces dernières années.

De part son titre, la conférence  revient un peu à la racine du parcours politique de celui qui, dans sa jeunesse, était un anarchiste engagé dans l’anti-franquisme en Catalogne. Comme il le concède lui même, il poursuit en quelque sorte ce travail en analysant la transformation des rapports de pouvoir (cf. vidéo ci-dessous) dans l’ensemble de nos sociétés et dans le monde. Le tout, à travers la transformation organisationnelle technologique et culturelle de la communication.

Selon sa pensée, le modèle de croissance “efficace, global et informationnel” dans lequel le monde se complaisait avant la crise a été bâti grâce à Internet et plus largement, grâce aux réseaux de communication et aux nouvelles technologies. Le “vide social” laissé par la crise économique serait ainsi à l’origine de la naissance de nouveaux réseaux de solidarité économiques alternatifs un peu partout dans le monde. Sorte d’émanations concrètes et subversives d’un mouvement social continu.

Aux racines de la crise

Internet. Si ce réseau est né avec la culture libertaire issue des mouvements sociaux des années 1970, il a également été accaparé par l’économie et la finance. Comme le précise le sociologue :

Ça a été à la base de la Silicon Valley mais également de toute la redéfinition du jeu économico-financier dans le monde. D’un coup, l’idée a été d’utiliser des systèmes mathématiques, des innovations, au service d’une capacité institutionnelle accrue dans la dérégulation et la libéralisation de toute l’activité économique. Le but ? Échapper au contrôle institutionnel et social pour construire un système économique à partir de produits financiers essentiellement immatériels créant leur propre valeur.

Ce nouveau  mécanisme financier basé sur du capital “synthétique” aurait  progressivement fait perdre au travail et au capital tout lien avec leur dimension sociale. Dès lors, il s’agissait d’inclure ce qui avait de la valeur et d’exclure ce qui n’en n’avait pas. On a basculé progressivement, de façon métaphorique, d’un monde découpé en points cardinaux à un monde en “In” et “Out” comme dans le monde des réseaux.

Espagne Labs: inventer la démocratie du futur

Espagne Labs: inventer la démocratie du futur

Des assemblées numériques reliées entre elles, un réseau social alternatif, des outils open source et des licences libres ...

Mais ce nouveau modèle qui s’est établi entre les années 1980 et 1990 s’est effondré à cause de deux présupposés qui se sont révélés être faux : premièrement, le système reposait sur l’idée qu’en se servant de l’immobilier comme garantie pour les prêts, le profit des banques progresseraient toujours. Deuxièmement, la capacité d’endettement était infinie puisque fondée sur le marché inépuisable de l’immobilier. C’est ce qui a permis d’établir une économie financière pyramidale :“on prête, les gens s’endettent, on vend la dette à d’autres gens qui les vendent à d’autres, ce qui semblait ne pas avoir de fin”.

Ce sont globalement deux types de conséquences politiques qui ont surgi. D’une part, le développement de mouvements ultranationalistes et racistes devenant le fond de commerce d’un personnel politique opportuniste. De l’autre, la naissance de mouvements de révolte sociale dans toutes les parties du monde.

Dont ce que l’on peut appeler les “mouvements sociaux continus”. C’est le cas des “indignados” espagnols qui, la plupart du temps, discutent, débattent, s’organisent et ne se manifestent en public que ponctuellement. On a donc actuellement une redéfinition des règles du jeu sociétal, économique et culturel“aussi importante qu’à Bretton Woods.

La genèse d’un mouvement social continu

Les propositions de ¡Democracia Real Ya!

Les propositions de ¡Democracia Real Ya!

Le mouvement ¡Democracia Real Ya! a annoncé lundi dernier en conférence de presse la préparation d'une manifestation ...

Des dizaines de milliers de gens ont ainsi décidé un peu partout dans le monde de changer leur vie. Pas en sortant ou en s’excluant de la société  mais en organisant leurs pratiques économiques, le commerce, les services qu’ils utilisent en s’appuyant sur d’autres réseaux de solidarité, des réseaux de sens, des réseaux d’autoproduction au sein même de la cité.

En Catalogne, ils sont très nombreux et, selon l’analyse de Castells, ils tissent un nouveau tissu social, culturel et économique remplissant le vide social laissé par la crise. Le point commun de ces réseaux est qu’ils rejettent  le système dans lequel nous vivons. Loin d’être des néo-hippies,  la plupart des personnes qui y sont impliquées pourraient trouver un emploi relativement convenable mais semblent préférer changer leur vie en reprenant possession du temps :

Le temps, seule richesse que nous possédons tous.

L’un des choix opéré par les membres de ces réseaux dont la moyenne d’âge est de 35 ans, est donc de s’investir dans des activités et structures solidaires en se contentant d’un petit salaire pour avoir davantage de temps disponible. Bon nombre de vidéos, qui rendent compte de ces pratiques, ont d’ailleurs été tournées dans le cadre du projet Aftermath, réalisé au même moment que l’ouvrage collectif mentionné plus haut. La suivante retrace la vie de quelques-uns de ces projets :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les types et la nature des réseaux sont variés : autoproduction agricole, de biens, de services, idée d’une monnaie sociale avec principe de banques de temps (“je vous offre deux heures de service voilà ce que je sais faire”, et on obtient de la monnaie sociale), coopératives de production, coopératives de logements, radios pirates, réseaux de production agricole dans la ville, réseaux de production agro-écologiques (“très présents dans le midi et le sud de la France”), réseaux de hackers, cuisines coopérative, etc.

C’est un ensemble de pratiques qui existe partout du monde. À New York, par exemple, le sociologue avance que cela rassemble 55 000 personnes. Dans le cas de Barcelone, cela représenterait environ 40 000 personnes, soit 1% de l’aire métropolitaine. Cependant, certaines pratiques alternatives rassemblent de plus en plus. C’est le cas de la banque éthique, qui travaille sans profit, prête selon des critères sociaux et compte environ 300 000 clients dans l’aire de Barcelone.

Beaucoup de ces nouveaux activistes étaient déjà impliqués dans des mouvements alternatifs, mais viennent aux “mouvements sociaux continus” pour échapper à des carcans idéologiques. Leur problème central n’est pas la survie économique : ils pourraient avoir un boulot moyennement payé mais préfèrent avoir un boulot peu payé et avoir beaucoup de temps. Ils savent qu’ils ne veulent pas vivre comme aujourd’hui, ils refusent de s’intégrer, mais également de se marginaliser.

Madrid: fonctionnement d’une assemblée de quartier

Madrid: fonctionnement d’une assemblée de quartier

OWNI vous propose de plonger au cœur d'une assemblée de quartier et de comprendre son organisation et, au-delà, le ...

Ils construisent donc des réseaux très vastes pour recréer une vie sociale, une vie dans les coopératives, dans les quartiers… il y a beaucoup de maisons occupées qui sont transformées en centres sociaux, de réparations de vélos, etc. La notion d’être ensemble y est essentielle. L’amitié, la coopération, la sociabilité contre l’individualisme et la compétitivité de la société.

L’expérimentation est le principe qui guide l’organisation de ces réseaux. Quelque part, la manière dont ils font les choses compte plus que le contenu de leurs pratiques car l’essentiel est de réapprendre à vivre et de repenser une société à partir de ces expériences. Ils refusent tout modèle abstrait, toute idéologie, tout parti politique. Le principe : ils veulent reconstruire la société à partir de la réussite de leur organisation quotidienne.

Des pratiques répandues au sein de la population

L’un des enjeux de tout ce travail de Manuel Castells en Catalogne est de comprendre la sociologie des citoyens impliqués dans ces réseaux de façon directe ou indirecte. Il s’agit également de percevoir le degré d’usage de ces pratiques par l’ensemble de la population.

Pour ce faire, le sociologue a organisé des débats entre ces militants et des gens “normaux” dont un certain nombre disait avoir “peur de ce genre de vie”. La réponse offerte par ceux qui désirent aujourd’hui changer la société :

Vous savez, quand vous serez arrivé à l’âge de la retraite, vos pensions ne seront plus là. Car les pensions dépendent de systèmes financiers qui risquent de s’effondrer définitivement, contrairement à nos réseaux de solidarité.

La conclusion intéressante de cette enquête réside également dans l’implication du plus grand nombre à ces pratiques “alternatives”. Les gens impliqués ont des statuts économiques et un capital culturel très variés, qu’il s’agisse de personnes utilisant ces réseaux pour leur survie ou ceux qui s’y investissent simplement par idéologie. Par ailleurs, l’étude de Castells a révélé que les personnes les plus impliquées étaient très éduquées mais précaires économiquement. Le point commun étant que les individus se constituent en “sujet social pour changer leur vie et changer ainsi la société”.

D’après Castells, comme ce militantisme refuse toute institutionnalisation, on pourrait dire que ce sont des pratiques utopiques.

Toutes les grandes idéologies et mouvements de l’Histoire seraient ainsi parties de l’utopie : le libéralisme, le communisme, le socialisme sont des utopies. Les pratiques matérielles s’organisent toujours autour de systèmes de références et apparaissent comme irréalisables pour un certain nombre d’acteurs de la société. La réponse des acteurs de ces utopies (dans le cas de ces réseaux de solidarité), c’est que c’est le système actuel qui ne peut pas fonctionner et ne fonctionne plus, un système politique qui n’est pas légitime et contesté par l’ensemble des gens et rejeté par des secteurs de plus en plus large de la société.

Ces réseaux veulent changer la vie au jour le jour, montrer que c’est possible pour “changer la société de l’intérieur”. Ainsi, c’est dans ce mode de vie visant à construire un autre quotidien que l’on trouve peut-être les prémices de la nouvelle société. Société naissant au cœur d’une crise aiguë : celle d’un système global fondé sur la finance, qui s’est, depuis bien longtemps, désolidarisé du social.


Photo par Julien Lagarde [CC-byncnd] via sa galerie Flickr

]]>
http://owni.fr/2012/07/04/cette-crise-ne-passera-pas-libere/feed/ 7
L’Ecoterrorisme débarque en Europe http://owni.fr/2012/06/26/lecoterrorisme-debarque-en-europe/ http://owni.fr/2012/06/26/lecoterrorisme-debarque-en-europe/#comments Tue, 26 Jun 2012 12:25:31 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=113975

Aujourd’hui, aux États-Unis, le simple fait de filmer, de photographier ou de faire un enregistrement dans une ferme ou une entreprise animale pour une utilisation politique peut constituer un délit relevant de l’écoterrorisme.

En 2001, Jeff Luers est condamné à 22 ans de prison  pour avoir brûlé  trois voitures de sport chez un concessionnaire automobile dans le but d’attirer l’attention sur la consommation excessive de pétrole. Il sera relâché au bout de 10 ans.

Mai 2008, Eric McDavid est condamné à 20 ans de prison pour complot visant à saboter les installations fédérales (antennes relais téléphoniques et autres) au nom de l’environnement.

Aucun mort dans ces actions. Les condamnations de ce type se comptent par dizaines. Michael Hough, directeur de la section justice criminelle et sécurité intérieure au FBI estime que les actions d’écoterrorisme ont entraîné plus de 200 millions de dollars de dégâts entre 2003 et 2008. Apparue au Royaume-Uni dans les années 70, la notion d’écoterrorisme est arrivée aux États-Unis dans les années 80. Elle est devenue, en l’espace de deux décennies, une expression utilitaire bâtarde, emblématique de l’Amérique sécuritaire post-11 septembre.

L’expression écoterrorisme était initialement utilisée pour désigner une minorité d’activistes environnementaux et de défense des animaux. Malgré leur caractère non violent revendiqué, ces derniers utilisaient des techniques de protestations potentiellement dangereuses pour la vie humaine: techniques de “tree spiking” pour empêcher les exploitants  de couper les arbres, incendies, bombes artisanales, etc.

Les États-Unis s’attaquent déjà aux activistes des droits des animaux en 1992 par le biais d’un Acte de protection des sociétés animales condamnant les militants à de lourdes amendes. Puis, c’est dans le contexte d’une Amérique meurtrie par les événements des tours jumelles et avec le vote du Patriot act, que l’expression écoterroriste va progressivement se généraliser jusqu’à concerner n’importe quel activiste environnemental causant des dégâts matériels.

En 2002, le FBI envoie un rapport au congrès américain intitulé “La menace de l’écoterrorisme” (The threat of ecoterrorism), stipulant qu’il s’agit de la plus grande menace terroriste aux États-Unis. Il définit l’écoterrorisme comme:

L’utilisation ou la menace d’utilisation de la violence de nature criminelle contre des personnes ou des biens par un groupe environnemental, infra-national pour des raisons politico-environnementales, ou destiné à un public au-delà de la cible visée, souvent de nature symbolique

Le glissement sémantique et symbolique élevant l’attaque contre des biens au rang du terrorisme est définitivement franchi en 2006, lorsque le Congrès américain vote sa première loi sur l’écoterrorisme. Il classifie dès lors certains actes de résistance passive tels que le blocus, la violation de frontières, l’atteinte à la propriété privée ou la libération d’animaux comme des actes “terroristes”, les mettant sur le même plan d’égalité que des attentats à la bombe, des agressions racistes ou encore des tueries à l’arme à feu.

Le Canada à la chasse aux écolos

Le Canada à la chasse aux écolos

Dans sa dernière loi d'orientation budgétaire, le gouvernement fédéral canadien de Stephen Harper modifie sensiblement la ...

La loi annonce également que plus les dégâts matériels sont élevés, plus la peine de prison sera lourde. Jusqu’à 5 ans pour moins de 10 000 dollars, jusqu’à 20 ans si les pertes dépassent un million de dollars. Loin de rester lettre morte, les condamnations pour écoterrorisme vont alors tomber en cascade.

Will Potter, journaliste américain indépendant auteur d’un ouvrage consacré à la question, Green is the new red (“Les verts sont les nouveaux rouges”, allusion à l’ex-menace communiste) montre qu’il y a depuis une trentaine d’années un retour progressif de la rhétorique et des enquêtes relatives au terrorisme. C’est ce qu’on appelle désormais communément la “peur verte“.

Si ce type de langage était initialement réservé à des crimes contre des biens ou du harcèlement essentiellement effectués par le Front de libération des animaux et le Front de libération de la planète, cette législation a étendu sa classification du terrorisme.

Loin de n’être qu’une lubie sécuritaire américaine, l’écoterrorisme est devenu un appareil législatif hautement répressif qui semble avoir été repris pour la première fois dans des textes européens en 2003. C’est cependant depuis 2008 qu’Europol, le bureau de police criminelle intergouvernemental consacre une place à l’activisme environnemental dans son rapport sur le terrorisme.

Le terrorisme sauce Europol

Le rapport souligne qu’aucune attaque terroriste ou arrestation liée aux droits des animaux n’a été rapportée par les États membres en 2011 mais qu’un grand nombre d’incidents ont été signalés par la France, l’Italie, les Pays Bas, le Royaume-Uni et l’Irlande.

Les poissons mutants de Sanofi

Les poissons mutants de Sanofi

Une étude scientifique révèle la pollution des rivières par l'industrie pharmaceutique. Démonstration dans le ...

Par ailleurs, une analyse des informations publiques mises à disposition par les États montre qu’un grand nombre d’incidents ne sont jamais signalés à l’Union Européenne.

L’office précise que les activités menées par les extrémistes des droits des animaux et de l’environnement utilisant la violence regroupent aussi bien “des actes de vandalisme de faible niveau (tags, détérioration de serrures, etc.) que des actes de destruction avec usage de matériel incendiaire et dispositifs explosifs improvisés”.

Si l’on en croit le rapport, l’industrie pharmaceutique a rapporté 262 incidents dans le monde en 2011. La majorité des attaques  visaient des laboratoires, des écoles et cliniques procédant à des tests sur les animaux pour des produits alimentaires, cosmétiques ou médicinaux.

Viennent ensuite des sociétés variées liées à ces enjeux : des institutions bancaires qui financent ces recherches, des sociétés qui développent des nanotechnologies, une compagnie aérienne ayant organisé des transports d’animaux entre différents labos, ou encore des fast foods…

En France, le rapport pointe du doigt des protestations contre la construction de deux aéroports qui ont tourné à une escalade de violences causant 8 blessés du côté des forces de l’ordre. Il relate également des protestations contre la construction de la ligne de train à grande vitesse Lyon_Turin. Les analystes avancent par ailleurs que l’utilisation de l’énergie nucléaire reste une question centrale pour les groupes écologistes extrémistes qui continuent les actions traditionnelles contre le transport des déchets radioactifs entre États membres.

Tarnac Production

Tarnac Production

Tarnac dossier judiciaire scandaleux, dérive éloquente de l'antiterrorisme à la française. Certes. Mais aussi et surtout ...

Malgré le faible nombre d’incidents majeurs dont le rapport rend compte, c’est bien l’argument économique qui est souligné pour justifier la lutte contre ces groupes ainsi que leur potentiel rapprochement avec des groupes d’extrême gauche. On peut en effet lire que ces incidents causent des millions d’euros de dommage aux compagnies et institutions impliquées dans ces activités. Le rapport précisant que “des individus liés à ces entreprises, ou parfois même des personnes aléatoires sont ciblées comme victimes”

D’après Europol et malgré l’absence  de prototype de groupes ou d’acteurs extrémistes liés à une cause politique environnementale, certaines caractéristiques générales permettent de dégager un “portrait” de l’écoterroriste européen:

La majorité sont relativement jeunes et peuvent être trouvés dans des groupes idéalistes, souvent relativement défavorisés, des jeunes qui ne sont pas d’accord avec certaines tendances à l’oeuvre dans la société et qui, par <conséquent cherchent à atteindre leurs objectifs grâce à l’action violente. Ces groupes tendent à avoir des similarités avec des groupes d’extrême gauche, c’est peut-être une explication de leur coopération grandissante. Ils continueront à attirer des individus radicaux qui sont prêts à utiliser des tactiques violentes. Le professionnalisme et les compétences élevées des membres de ces groupes, tout comme l’usage d’Internet pour le recrutement et la propagande augmente la menace qu’ils constituent

Libérer des visons est un acte terroriste

Le 22 juin 2011, la police espagnole arrêtait 12 activistes membres des organisations Igualdad animal, Animalequality et Equanimal dans une série de raids simultanément organisés dans différentes régions du pays. Le coup de filet avait été commandité par le juge du tribunal de première instance de Santiago de Compostela, suite à la libération de 20 000 visons d’une ferme d’élevage pour fournir le marché de la fourrure.

Si les libérations massives de visons n’ont jamais fait partie des revendications des deux ONG, elles avaient publié peu de temps avant les arrestations des informations compromettantes sur les fermes d’élevage de visons. Les activistes suspectés ont été accusés d’atteinte à l’ordre public, de conspiration, d’association illicite  et de crime contre l’environnement.

Dans des déclarations faites à l’agence d’information Europa Press, le 23 Juin, le juge avançait que les actes des militants arrêtés relevaient de “l’écoterrorisme” et non de l’écologie. Il ajoutait qu’ils provoquaient la terreur et que certaines fermes avaient été contraintes de fermer à la suite de ces actions.

D’après les inculpés, la procédure a échappé à de nombreuses règles de droits fondamentaux notamment durant l’investigation. A titre d’exemple, le maintien en détention des militants (plus de 20 jours pour trois d’entre eux) après leur arrestation était anticonstitutionnel. Plus d’un an après les faits, les inculpés sont toujours dans l’attente d’un procès. (mis à jour le 28 Juin)

C’est un cas similaire encore plus grave qui s’est déroulé en Finlande en 2009. En décembre, de nombreux médias finlandais divulguaient des vidéos et des photos prises légalement pendant deux mois par Justice for Animals ,le principal groupe de défense des droits des animaux du pays, lors de visites dans 30 fermes d’élevage porcin.

Les vidéos (voir ci-dessous, attention la vidéo peut choquer) rendent compte de porcs malades, blessés et en piteux état.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si diverses autorités du pays liées à l’agriculture avaient promis d’enquêter sur ces révélations, l’affaire prit un tournant improbable deux ans plus tard. En octobre 2011, alors que les fermiers étaient mis hors de cause, deux activistes qui avaient pris part au tournage des vidéos étaient inculpés pour 10 cas d’entrave à la paix et 12 cas de diffamation aggravée.

Les accusations ne s’arrêtaient pas là puisque le bureau du procureur réclamait à l’époque une peine de détention ferme pour le premier militant et une condamnation avec sursis pour la deuxième. En outre, on exigeait des deux activistes ainsi que de deux membres d’une association de soutien à l’organisation Oikeutta eläimille, 180 000 euros de dommages et intérêts. Cette association avait eu le malheur de proposer sur son site le lien vers les vidéos filmées dans les fermes, comme la majorité des sites de médias finlandais à l’époque…

Après une forte mobilisation de soutien et une large couverture médiatique, les activistes ont finalement été acquittés.

Incarcérés pour activisme suspect

Enfin c’est sans doute l’Autriche qui a connu l’un des pires épisodes en matière de procès écoterroriste.

Malgré sa réputation de pays progressiste en matière de droits des animaux, (voir la loi de 2004 sur le sujet) le pays a connu de 2008 à 2011 une affaire judiciaire visant des activistes environnementaux accusés de “terrorisme”.

Une planète antiterroriste

Une planète antiterroriste

OWNI a développé avec RFI une application qui recense les législations antiterroristes dans le monde. Justice d'exception, ...

En 2007, suite à de nombreux rassemblements et actes de vandalisme sur des magasins de fourrure, deux responsables de la société concernée rencontrent des haut cadres de la police ainsi que le ministre de l’Intérieur. La réunion acte la création d’une unité spéciale d’investigation visant à infiltrer les organisations de défense des animaux pour mieux les connaître.

Durant l’année suivante, les membres de ces organisations sont ainsi espionnés : écoutes téléphoniques, interceptions d’e-mails, traceurs dans leurs voitures, leurs bureaux et jusque dans leur propre domicile. Des agents en civil infiltrent également les ONG pour observer leurs pratiques.

L’affaire prend corps le 21 Mai 2008, lors d’une opération de police organisée à l’échelle nationale. 23 locaux sont perquisitionnés et dix personnes liées à la protection animale (personnes travaillant dans des refuges, enseignants du bien-être animal et organisateurs de campagnes de sensibilisation publiques) sont arrêtées. Les forces de l’ordre défoncent les portes des appartements et locaux visés et rentrent armes au poing.

Les activistes, parmi lesquels figure Martin Balluch, ancien assistant de recherche à l’Université de Cambridge, sont mis en détention provisoire. Quatre d’entre eux y resteront trois mois sans parvenir à savoir précisément les chefs d’accusation pour lesquels ils sont détenus.

Les vilains terroristes se rebellent

Les vilains terroristes se rebellent

Les affaires de Tarnac et d'Adlène Hicheur, ce physicien du Cern accusé d'être un terroriste islamiste, ont un point ...

Il faudra trois ans et deux requêtes rejetées par la police avant que la juge en charge du dossier ne rende publique la non conformité des procédures policières et l’absence de preuves avérées quant à la construction ou le soutien à une organisation criminelle.

La raison pour laquelle les dix activistes ont été inculpés sans preuves réside dans un certain nombre de rapprochements établis entre eux et des coupables non identifiés, suspectés d’avoir commis des dommages matériels, des attaques au gaz et une menace à la bombe.

C’est sur cette base, et par un tour de force juridique, que les membres sont suspectés d’être liés à une organisation criminelle. C’est également par ce biais que des activités qui rentrent normalement dans le cadre d’actions d’ONG légales (filmer les conditions des animaux dans les fermes, organiser des manifestations, conférences et ateliers, stocker des tracts contre la chasse ou discuter des stratégies de campagne de communication) sont devenues des preuves, relevant du terrorisme.


Photo par JDHancok [CC-by]

]]>
http://owni.fr/2012/06/26/lecoterrorisme-debarque-en-europe/feed/ 0
Jour de classe dans un lycée autogéré http://owni.fr/2012/06/14/jour-de-classe-dans-un-lycee-autogere/ http://owni.fr/2012/06/14/jour-de-classe-dans-un-lycee-autogere/#comments Thu, 14 Jun 2012 09:54:33 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=112266

Visiter le lycée autogéré de Paris c’est un peu comme revenir  dans ses souvenirs de  lycéen, où on aurait aimé évoluer dans un lieu où les idées d’émancipation épousent les actes et les réalités du quotidien. Passé un portail de fer rouge, on se retrouve dans un jardin dans lequel les espaces, habilement façonnés par la taille des arbres invitent à se rassembler, à discuter, à s’exprimer.

Ouvert en septembre 1982, le Lycée autogéré de Paris est né grâce à  Jean Lévi. Ce dernier, inspiré par le Lycée expérimental d’Oslo et l’expérience de l’école de Summerhill de Neill, voulait créer un lycée sortant du système  scolaire traditionnel et en rupture avec le conservatisme qu’il reprochait à l’Éducation nationale. Un lycée pour les lycéens géré par les lycéens. Qui fête ses 30 ans cette année.

Diversité

Il ne faut pas croire qu’on a que des élèves ultra politisés, bien sûr il y en a qui le sont, et évidemment à l’extrême gauche, d’autres qui ne le sont pas du tout, certains même qui sont à droite ! Comme on accepte tous ceux qui veulent venir étudier chez nous dans la limite du nombre de places possibles et qui sont considérés comme des « cas sociaux » par les autres établissements, on a une grande mixité sociale et des élèves très différents

C’est d’abord cette richesse qui fait du LAP un lieu rare, qui semble échapper à la sélection et à la compétition inhérente aux structures scolaires traditionnelles. La diversité des élèves, de leurs origines, de leurs expériences, permet de penser l’autogestion concrète.

Escalade

Le lycée autogéré n’est pas un lieu de consommation de savoir procuré du prof à l’élève. Ici, les lycéens qui savent ce qu’ils veulent faire apprennent à formuler et à préciser leurs demandes et cela aboutit à des activités ou à des projets concrets. Ceux qui ne savent pas, nous tentons de les guider et de leur laisser le temps nécessaire à murir leurs envies. Nous ne voulons pas que l’élève soit dans un choix du bac par défaut

Conformément à ce projet, les enseignements liés à la découverte de soi sont variés. Ils passent notamment par la construction de projets. Aussi bien parcourir la route 66 en van pendant trois semaines pour découvrir les États-Unis que partir faire le tour de Corse en randonnée ou monter un club d’escalade.

Si le but demeure la réalisation du projet, c’est dans la construction de ce dernier et dans les étapes pour parvenir à son accomplissement que résident les aspects les plus formateurs. Jérémie, élève en terminale S ayant participé en 2011 à ce projet de route 66 nous fait part de cette expérience:

C’est en construisant le projet que tu grandis. D’abord tu dois rassembler des gens qui sont motivés, tu dois en discuter pour qu’il convienne à tous, puis il y a toute la préparation et la recherche de fond. Lorsqu’on fait un projet au LAP, le lycée participe à hauteur d’un tiers, la famille à un tiers et c’est aux élèves de trouver le dernier tiers. Cela passe par l’organisation d’événements, de petits déjeuners, de soirées, de repas, etc. Finalement on a réussi, on est partis, et c’était le pied. Ce qui est formateur, c’est tout ce qu’on apprend en se confrontant aux problèmes d’organisation qui te barrent la route

Au LAP, un autre levier important de ce processus de connaissance et de découverte de soi passe par les OVNI (objets valorisants non identifiés). Chaque élève, s’il le désire, est invité à approfondir un sujet qui l’intéresse ou le passionne en faisant un dossier dont il doit rendre compte devant un jury de profs.

Les OVNI agissent comme un premier moyen pour les élèves de prendre conscience des sujets et activités qui les intéressent le plus  et de valoriser des connaissances qui ne sont pas directement liés aux enseignements qu’ils reçoivent.

Contraintes

Dans la cour du lycée, il suffit de s’attarder quelques instants pour rencontrer des élèves qui ne vont pas en cours mais passent le plus clair de leur temps dans l’enceinte de l’établissement.

La majorité d’entre eux est consciente de la réputation commune de l’absentéisme et de la flemmardise qu’on y associe souvent. Pourtant, ici, la flemmardise prend aussi tout son sens d’après Paul :

On sait que des gens peuvent dire qu’on ne fout rien et qu’on ne va que dans les cours qui nous intéresse. Mais tu vois, au moins on est là, ensemble, et ce lycée a du coup un statut particulier car c’est notre lieu. On n’a pas envie d’y foutre la merde. Il y a plein d’élèves ici qui ne vont pas en cours mais s’investissent énormément dans la vie du LAP parce qu’ils y trouvent leur compte. Ici, tu ne vas pas en cours juste parce que tu es obligé d’y aller au risque de te taper des heures de colle comme dans une structure traditionnelle. Quand tu vas dans un cours, c’est parce qu’il t’intéresse

Beaucoup soulignent aussi le fait que le lycée appartient réellement aux élèves qui le gèrent avec les enseignants. Il n’y a pas de femmes de ménage au LAP et si personne ne nettoie c’est sale. Si personne ne participe, ça ne fonctionne pas, etc. Dimitri élève en terminale S partage cette vision :

Moi je pense que ce lycée est un très bon moyen de faire une transition même si cela ne convient pas à tout le monde car il faut vraiment apprendre à gérer la liberté. Après, il y a pas mal d’élèves qui glandent un an ou deux parce qu’ils ont d’un coup beaucoup moins de pression, notamment des parents. C’est au contact des différents projets et de la vie collective que certains font le lien entre leurs centres d’intérêt et le monde réel.

Intelligence collective

En cours de maths, l’approche pédagogique est assez surprenante car l’enseignement s’apparente plus à une discussion permanente entre le prof et les différents élèves qu’à une transmission unilatérale du savoir. Au lieu de présenter une règle mathématique puis de la faire comprendre par le biais d’exercices, Pascal, le prof de math part de savoirs déjà acquis pour poser un nouveau problème.

Il questionne chaque élève sur la manière dont ils voudraient le résoudre pour éprouver les solutions de chacun. C’est en amenant les élèves à mettre leurs réflexions en commun et en prenant les meilleures idées que le problème est petit à petit résolu.

Dans la salle, le prof change  souvent de place en s’installant successivement à côté des différents élèves présents au profit  de la suppression du rapport de  hiérarchie, ne serait-ce que visuellement.

Ici, les élèves peuvent s’entraider lorsque l’un d’entre eux est au tableau et pas question d’empêcher les autres de souffler puisque c’est précisément la possibilité de se confronter à la diversité des raisonnements qui fait prendre conscience des failles du sien.

Cette stimulation de l’intelligence collective et de la logique propre à chacun rend le cours beaucoup moins ennuyeux et éprouvant qu’un cours « classique ». Plus besoin de jeu pour faire apprendre une logique puisque la logique elle-même devient ici un jeu. Comme l’explique un lycéen :

Moi j’adore cette pédagogie et c’est un peu con les programmes parce que c’est parfois un obstacle. Comme on est obligés d’aller vite, on peut pas tout le temps faire ce processus de découverte des choses par soi-même et c’est vrai que découvrir comme ça, ça prend du temps. L’autre élément intéressant, c’est qu’ici, en dehors de la terminale où on te prépare au bac, les notes sont l’exception et pas la règle. Bien sûr, n’importe qui peut demander à être noté mais globalement les profs essaient plutôt de donner des commentaires et de t’orienter de façon constructive. Après, tout n’est pas parfait et ça entraine parfois un peu de laxisme de la part de certains profs qui accordent tellement peu d’importance aux notes qu’ils mettent des mois à te rendre une copie !

Organisation

Les structures organisationnelles sont les garantes d’une autre vision de la démocratie. Plus complexe qu’une simple assemblée générale, l’organisation au Lycée autogéré de Paris s’échafaude ainsi autour de différentes instances ayant chacune leur propre rôle sans pour autant être hérmetiques entre elles, bien au contraire. Comme le commente Jérémie:

Tu sais, tout ça résulte de 30 ans d’expérience et ça se sent, c’est vachement construit. Ce que j’aime bien ici, c’est que contrairement à la société dans laquelle on vit, les règles sont évolutives. Au LAP, ce n’est pas parce qu’on a supprimé les relations de hiérarchies et d’autorité qu’on a pas de règles et ce n’est pas parce qu’on a des règles qu’on ne peut pas les remettre en cause, voir les supprimer. L’autre truc qui est marrant, c’est que malgré cette organisation très réfléchie tu te rends comptes qu’à force, la plupart des discussions et des problèmes tu les résous dans les couloirs, c’est ça, la plus grosse instance du lycée!

Outre le fait que le système de vote au LAP repose sur le principe de “une tête une voix” sans distinction de statut, c’est le mode de scrutin qui est intéressant. D’abord, parce que même si les décisions sont votées à la majorité absolue, une large place est accordée au consensus. Surtout si une décision recueille, à titre d’exemple, 51% des suffrages contre 49%. Dans ce cas, comme  l’explique un lycéen, les “lapiens” se posent des questions et essaient de reformuler la proposition au mieux, de manière à avoir une plus large majorité qui adhère.

Cliquez sur l'image pour voir l'infographie

Ensuite, parce que le LAP reconnait trois types de scrutin dans ses votes. D’abord le vote blanc quand aucune proposition ne correspond aux attentes de l’individu, l’abstention quand il n’a pas d’opinion sur le sujet, et le refus de vote quand la personne considère le vote comme illégitime. Comme l’explique une lycéenne:

Si il y a énormément de refus de vote, on se pose des questions, même si dans le principe on devrait se poser la question à partir d’un seul refus dans le sens où c’est un acte fort qui réfute la légitimité même de l’existence du scrutin. Mais bon, il y a toujours un débat sur le vote au préalable. On discute toujours pour savoir si les propositions à voter nous conviennent, ce qui fait que les refus de vote sont relativement peu nombreux. Par contre, ce qui arrive assez régulièrement, c’est qu’un groupe de base entier refuse de voter parce qu’il estime que les propositions ne sont pas assez claires dans leur formulation ce qui peut parfois s’avérer problématique

Enfin, c’est la possibilité pour chaque élève de participer aux différentes structures du lycée qui est intéressante. Si un élève trouve que son idée, son projet ne sont  pas bien représentés au sein de l’organisation du LAP il peut participer à la réunion générale de gestion  ou convoquer une assemblée générale si une discussion collective est  vraiment nécessaire.

Limites

L’autogestion en tant qu’idéal a ses limites. Souvent celles que chaque esprit s’impose. Cette considération vaut aussi pour certains élèves dont les conceptions de l’idéal autogestionnaire diffèrent. Une des critiques les plus courantes attribuées à ce lieu par les lycéens est la diversité des élèves. Non la diversité en tant que valeur qu’aucun lycéen rencontré ne remet en cause, mais plutôt la diversité de conceptions et l’inertie qu’elle impose à l’organisation. Comme le reproche Paul, lycéen de première:

Le problème ici c’est que tout le monde ne rentre pas pour s’investir dans la structure. Moi par exemple, je suis venu ici parce que je milite et que je voulais expérimenter l’autogestion. Mais c’est vraiment loin d’être le cas de tout le monde. Le point positif que j’ai pu observer c’est que certains ne connaissent même pas le concept d’autogestion en arrivant ici mais l’appliquent naturellement. Ils participent aux réunions, sont actifs dans les débats, s’impliquent dans les projets ou les tâches, etc.

À la base de la création du lycée, il s’agissait notamment de préparer le bac autrement, en marge des processus de préparation classiques dispensés en lycée “conventionnel”. Si ce but demeure, une critique souvent adressée au LAP tient dans son faible taux de réussite au bac, qui plafonne à 25% (là où les moins bons lycées parisiens ne descendent guère en deçà des 80%).

Il s’explique par différentes raisons. Contrairement aux autre lycées, le LAP accepte l’inscription de tout individu souhaitant s’investir dans la structure, qu’il soit en échec scolaire, descolarisé depuis quelques années ou issu de filières techniques. Ensuite, parce que comme l’explique l’un des professeurs d’anglais du Lycée de manière volontairement caricaturale:

Sur les 80 terminales, 40 vont en cours et vont réussir, d’autres vont débarquer en terminale sans être passé chez nous pour la seconde et la première et vont souvent avoir quelques difficultés et les autres ne viennent pas. Si on ne prend en compte que ceux qui viennent en cours on a un taux de réussite honorable

Les défis du lycée autogéré de Paris sont multiples. Parvenir à donner la place à chacun de s’exprimer et y accorder de l’importance même s’il est minoritaire, provoquer la participation du plus grand nombre au fonctionnement de la structure sans pour autant avoir à l’imposer par l’autorité ou encore concilier les différentes visions de l’idéal autogestionnaire tout  en respectant ses objectifs pédagogiques.

Autant de problématiques auxquelles le LAP s’efforce de trouver des solutions depuis 30 ans. Avec ses défauts, ses tâtonnements et ses promesses le lycée autogéré a le mérite de s’assumer, d’exister et de demeurer un lieu de déconstruction et d’expérimentations  qui donne envie de croire à cette pensée de Victor Hugo issue des Misérables:

Et rien n’est tel que le rêve pour engendrer l’avenir. Utopie aujourd’hui, chair et os demain

Pour d’avantage d’informations sur le LAP:
Un livre retraçant ce combat de longue date paraitra fin Juin.
Par ailleurs, le lycée fête ses trente ans les vendredi 29, samedi 30 et dimanche 1er juillet 2012
Enfin, en partenariat avec la “Foire à l’autogestion” une soirée débat sur le thème de l’autogestion est organisée le vendredi 22 Juin au LAP

http://fr.wikipedia.org/wiki/Summerhill_School

Photos au mobile par Florian Cornu, édition et infographie par Ophelia Noor pour Owni

]]>
http://owni.fr/2012/06/14/jour-de-classe-dans-un-lycee-autogere/feed/ 19
Londres oublie ses données personnelles http://owni.fr/2012/06/01/londres-oublie-ses-donnees-personnelles/ http://owni.fr/2012/06/01/londres-oublie-ses-donnees-personnelles/#comments Fri, 01 Jun 2012 11:22:16 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=111698

Le 26 mai 2012, le gouvernement britannique devait mettre en application la transposition dans le droit anglais de la législation européenne sur la protection des données. Mais contre toute attente, le parlement a pourtant fait modifier le texte onze heures avant la date limite livrant une version qui devient beaucoup moins contraignante pour les éditeurs de sites web.

Alors que le texte précédent était basé sur de l’opt-in (le site devait obtenir le consentement préalable de l’internaute sur les cookies transitant par sa plateforme avant que les cookies ne puissent recueillir des informations) le texte remanié exige des sites qu’ils fassent des efforts en matière de clarté sur la nature des cookies transitant par leur plateforme. Il implique également que les internautes aient un “niveau de compréhension général” de ce qui est fait de leurs données personnelles lorsqu’ils arrivent sur une page.

Les systèmes existants auront donc simplement à “faire les changements qu’ils estiment être les plus pratiques” pour se mettre à niveau et être transparents sur leur politique en matière de confidentialité des données. Il pourra s’agir d’une icône sur laquelle cliquer, d’un e-mail envoyé, ou d’un service auquel l’internaute pourrait souscrire.

Dure loi des cookies

Dure loi des cookies

En Grande-Bretagne, les sites web affichant des bandeaux publicitaires encourent une amende de 500 000 livres. En France, ...

Le texte insiste par ailleurs sur l’importance de l’information procurée à l’utilisateur. Il indique que ce dernier doit être pleinement informé du fait qu’une simple lecture des informations sur la politique de gestion des cookies par le site peut valoir consentement.

En d’autres termes, un site peut au minimum afficher une note d’information renvoyant vers une explication précise des buts de chaque cookie en activité. Cette note d’information censée être visible agit comme un faire valoir et suppose que l’internaute anglais accepte les conditions du site en matière de vie privée même s’il ne l’a pas lue.

Dans le meilleur des cas, le site demandera explicitement à l’internaute s’il accepte ou refuse les cookies. La loi n’est cependant pas claire sur cet accord potentiel de l’utilisateur. On peine à savoir si le consentement concernera les cookies dans leur intégralité ou si l’utilisateur pourra ou non refuser des cookies selon leurs fonctions.

Si la loi, avant modification, donnait la responsabilité de la gestion des cookies aux sites, la nouvelle version transfère la responsabilité aux internautes à qui il appartiendra désormais de paramétrer leurs navigateurs ou d’utiliser les logiciels nécessaires pour gérer au mieux ces cookies. Problème, les moyens techniques permettant de gérer les cookies en opt-in sont encore peu nombreux et souvent d’une efficacité relative.

En outre, en remplaçant le terme de consentement préalable par le terme de consentement implicite il crée une large faille. L’internaute pourrait “accepter” (lire les informations sur les cookies opérant sur le site qu’il visite) la charte du site en matière de vie privée alors même que certains cookies pourraient déjà avoir été envoyés sur son ordinateur.

Comme le souligne le commissaire à l’information du gouvernement anglais sur le sujet, certains sites envoient des cookis dès que l’internaute accède à la page d’accueil. Dans ce cas, le texte encourage les sites à

prendre des mesures pour réduire au maximum le délai temporel avant lequel l’utilisateur est informé de la nature des cookies présents et de leurs buts.

Par ce revirement soudain, le gouvernement anglais pond un texte probablement plus pragmatique dans sa mise en application mais beaucoup moins performant en matière de protection des données. Non seulement la loi pose comme base le consentement implicite de l’internaute , mais le gouvernement se dédouane par la même occasion de toute responsabilité en matière de moyens techniques de gestion des cookies. À l’utilisateur et aux éditeurs de sites de trouver les moyens de protéger leur données.

Enfin, en raison de l’impossibilité de faire une chasse aux dizaine de milliers de sites de facto considérés comme illégaux, la loi demeure quasi inapplicable…


Cookies par Ssosay [CC-by] via Flickr

]]>
http://owni.fr/2012/06/01/londres-oublie-ses-donnees-personnelles/feed/ 0
Dure loi des cookies http://owni.fr/2012/05/25/aucun-site-ou-presque-ne-respecte-la-loi/ http://owni.fr/2012/05/25/aucun-site-ou-presque-ne-respecte-la-loi/#comments Fri, 25 May 2012 17:06:11 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=111269 cookies" dans leurs ordinateurs. Inapplicable, la loi n'est… pas appliquée. Mais fait trembler le marketing et la pub en ligne.]]> You Don't Wanna Steal Wookies Cookies CC by-nc-sa Pedro Vezini

You Don't Wanna Steal Wookies Cookies CC by-nc-sa Pedro Vezini

Ce 26 mai 2012, tous les sites web anglais ne respectant pas la nouvelle loi relative à la défense de la vie privée sur le web seront passibles de poursuites et d’amendes pouvant atteindre la modique somme de 500 000 livres. L’effet d’annonce est renversant, au moins autant que le constat : la loi est inapplicable.

Consentement

Cette nouvelle législation récemment rappelée par la Cnil, issue du Parlement européen, a pour but affiché une harmonisation des règles pour tous les pays de l’UE afin de garantir aux citoyens un meilleur niveau de protection de leurs données personnelles. Si la directive s’applique à tous les pays de l’UE, elle laisse toutefois une marge de manœuvre quant à sa transposition.

Facebook en redemande

Facebook en redemande

Le 21 décembre dernier en Irlande, l'autorité de régulation des télécoms rendait un audit très critique sur Facebook et ...

Selon l’adaptation britannique de la loi, tous les sites web devraient à partir du 26 mai passer en “opt in”. Autrement dit, obtenir le consentement préalable de l’internaute sur les cookies transitant par leur plateforme avant que ces derniers ne puissent recueillir des informations. Le texte vise tous ceux qui servent d’une manière ou d’une autre, à recenser les données personnelles d’un internaute (exceptées les données de navigation).

Les cookies, ce sont ces petits fichiers textes qui aident à stocker et à organiser les informations des internautes. S’ils stockent des données en tous genres (mot de passe, langue choisie, etc.) censées faciliter la navigation, ils permettent également de constituer un profil de l’utilisateur en recensant les sites web qu’il visite, ses goûts, les publicités auxquelles il est le plus sensible, etc. C’est également ce qui permet à tout le secteur de la publicité comportementale en ligne de prospérer en proposant des annonces ciblées.

Le responsable légal du site sera donc obligé par n’importe quel moyen de demander à l’internaute qui arrive sur la page d’accueil s’il accepte ou non les cookies. Il devra également détailler leurs buts précis et la société qui en est à l’origine. Le gros problème, c’est qu’actuellement, aucun navigateur n’est techniquement en mesure de faire la distinction entre les différents types de cookies.

Autrement dit, il ne peut reconnaitre ceux qui servent à rassembler les données personnelles de l’utilisateur pour le compte d’une régie publicitaire de ceux qui servent à retenir vos mots de passe et la résolution de votre vidéo.

Date limite

Il serait bien sûr possible de mettre en place une banderole demandant l’autorisation à l’internaute pour chacun des cookies présent sur un site, mais l’opération risquerait de le perturber, de lui poser des questions qu’il ne comprend pas forcément, et d’aboutir finalement à un refus des cookies par l’utilisateur.

On comprend mieux dès lors, le peu d’engouement des éditeurs de sites à appliquer la loi.
En effet, en dehors de certains sites comme “youronlinechoices” ou de l’option “do not track” sur certains navigateurs qui limitent l’utilisation par un tiers de ses données personnelles, aucun outil technique ne semble actuellement au point pour respecter ces directives.

On ne peut pas reprocher au gouvernement anglais d’avoir précipité la mise en œuvre de la loi. Cette dernière, qui devait normalement s’appliquer en août 2011, avait été repoussée d’un an pour laisser le temps aux différents acteurs de se mettre en conformité.

Malgré ce délai, Christopher Graham, le patron de l’Information Commissioner Office (la Cnil Britannique) a annoncé il y a peu que la majorité des sites publics comme privés ne seront pas à même de respecter la date limite imposée.

Apparemment embarrassé, M. Graham a également précisé que son organisation ne s’engagerait pas dans une croisade contre les sites illégaux au matin du 27, mais prendrait des sanctions au cas par cas si aucun effort allant dans le sens de la loi n’avait été engagé par les responsables légaux. Une déclaration qui se veut rassurante. En même temps, la majorité des sites du gouvernement anglais eux-mêmes ne seront pas en règle à la date prévue…

En France, c’est dans l’ignorance la plus totale que la même loi (en fait deux directives et un règlement) dite “Paquet télécom” a été transposée et mise en application il y a presque un an.

Elle stipule (c’est la Cnil qui le précise) “qu’il faut, tout d’abord, informer la personne de la finalité du cookie (ex : publicité), puis lui demander si elle accepte qu’un cookie soit installé sur son ordinateur en lui précisant qu’elle pourra retirer à tout moment son consentement“. Comme l’explique Sophie Nerbonne, directrice adjointe des affaires juridiques à la Cnil :

La loi s’applique à tous les sites notamment aux réseaux sociaux et aux boutons like et tweet des sites partenaires de Twitter et Facebook (pour diffuser un article une vidéo, etc). Par contre, l’obligation de recueil de consentement ne s’applique pas aux cookies liés aux préférences linguistiques, à la mise en mémoire d’un mot de passe, à la résolution d’une vidéo visionnée online, à un cookie flash ou encore à la mémoire relative à un panier d’achat. En effet, ces informations sont directement liées à une demande de l’utilisateur et ont pour finalité exclusive de faciliter la communication.

L’immense majorité des sites web français sont donc également dans l’illégalité la plus totale et risquent des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 300 000 euros.

L’Europe délaisse la neutralité du Net

L’Europe délaisse la neutralité du Net

La commissaire européenne en charge des affaires numériques Neelie Kroes a livré ce matin sa vision d'un Internet ...

À la différence de la Grande-Bretagne, la transposition en droit français implique qu’au lieu d’avoir des cookies en “opt in”, les internautes doivent être informés par les éditeurs de sites “de manière claire et complète de la finalité de toute action tendant à accéder, par voie de transmission électronique, à des informations déjà stockées dans son équipement terminal de communications électroniques, ou à inscrire des informations dans cet équipement”.

Concrètement, les responsables de plateformes françaises ont l’obligation de placer une bannière sur leur page d’accueil renvoyant à une note qui explique en détail à quoi servent précisément les cookies, d’où ils proviennent et comment faire pour les refuser.

La Cnil, dont le rôle est de faire respecter la loi, doit donc chasser tous les sites qui dans un coin n’ont pas affiché un bordereau ou un moyen d’informer les internautes, ce qui est matériellement impossible. En témoigne Sophie Nerbonne :

Nous savons pertinemment que la majorité des sites sont dans l’illégalité et il faudra évidemment des mois pour trouver les solutions et pour les faire rentrer dans la conformité. C’est compliqué car certains d’entre eux ont aujourd’hui tellement de cookies qu’ils ne savent même plus à quoi ils servent. Sur le plan des moyens, la Cnil peut s’auto-saisir et nous avons déjà procédé à des contrôles et à des mises en demeure même si nous nous montrons compréhensifs. En réalité, nous comptons surtout sur la persuasion et la prise de conscience des internautes et des professionnels quant aux enjeux cruciaux du respect de la vie privée sur le web. Nous comptons également sur le développement prochain des moyens techniques permettant de mettre les sites en conformité

En dehors des plaintes de particuliers concernant certains sites, la Cnil est donc obligée de s’attaquer aux plus gros acteurs sans être aucunement en mesure de faire respecter la loi à court ni même à moyen terme pour les millions de site actuellement hors la loi.

Équilibre

Les enjeux économiques de l’application de la loi sont, eux aussi, motif de friction. Si les internautes décidaient massivement de refuser les cookies pour protéger leurs données personnelles, c’est l’ensemble des acteurs de la publicité comportementale et, par extension, les éditeurs de sites web, qui seraient privés d’une partie non négligeable de leurs revenus comme l’explique Fabienne Granowski du Syndicat national de la communication directe à Owni:

Nous voulons trouver l’équilibre entre l’aspect économique et la protection des données personnelles. Nous n’avons vraiment pas intérêt à brader la vie privée parce que nous serions perdants vis à vis de la confiance des internautes. Si l’“opt in” cookie passait en France il nous serait strictement impossible de travailler car nous n’aurions plus de données personnelles.

Dans un communiqué de Presse du 5 Mai 2012, le SNCD annonçait une perte potentielle de 60% des emplois du marketing direct et une augmentation de plus de 16% de demandeurs d’emplois en cas d’application de la loi . Ces chiffres, issus de leur propre étude, sont de nature à justifier les protestations du secteur. Mais Sophie Nerbonne relativise :

Nous comprenons les inquiétudes mais nous avons eu les mêmes protestations des sociétés liées à la communication directe en 2004 lors de la loi sur la confiance en l’économie numérique. A l’époque, les acteurs avaient peur d’un effondrement du système et de pertes d’argent colossales ce qui n’a pas eu lieu. Ethiquement, il n’est pas possible de continuer à faire prospérer un système économique sur de la récolte de données personnelles alors que l’internaute n’est pas au courant de ce que l’on en fait précisément. Il est nécessaire de développer des techniques efficaces permettant aux internautes d’être conscients de ce qu’on fait de ses informations sans que cela pèse pour autant sur l’économie de la publicité ciblée.

Par ailleurs, le développement de logiciels et d’interfaces permettant de gérer les cookies et de trouver des solutions peut représenter une manne financière non négligeable


Images : You Don’t Wanna Steal Wookies Cookies CC by-nc-sa Pedro Vezini, et you ate my heart CC by-nc-nd Adam Foster | Codefor

]]>
http://owni.fr/2012/05/25/aucun-site-ou-presque-ne-respecte-la-loi/feed/ 35
Pékin en guerre contre ses hacktivistes http://owni.fr/2012/05/14/pekin-en-guerre-contre-ses-hacktivistes/ http://owni.fr/2012/05/14/pekin-en-guerre-contre-ses-hacktivistes/#comments Mon, 14 May 2012 15:40:39 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=109721

L'Art de la guerre de Sun Tzu vu par La Demeure du Chaos (CC-by) Abode of Chaos

L’Empire du milieu, qui n’est pas le dernier dans le palmarès des records en tout genre, peut se targuer d’avoir bâtit par le biais du Great Fire Wall (pare feu par lequel transitent toutes les recherches des internautes chinois), un instrument de censure du web qui malgré ses failles, fait des prisonniers politiques, et des morts…Ces derniers mois, les mesures du parti à l’encontre du web se sont multipliées témoignant d’une propension incontestable du régime à juguler les dissidences, surtout celles qui s’organisent.

Massives

Hackers décapités

Hackers décapités

Le FBI a procédé à une vague d'arrestations de hackers proches des Anonymous. Des arrestations rendues possibles grâce au ...

En Chine, aucun mouvement de hackers organisé n’avait jusqu’à présent répondu à cette censure étatique par des actions visibles et massives. Dans un contexte politique mouvementé depuis la chute du cadre Bo Xilai et la forte médiatisation de l’affaire Chen Guancheng, les autorités chinoises se seraient bien passé d’un énième aveu de faiblesse à dompter les dissidences sur internet.

La première action du tout nouveau groupe Anonymous China remonte à début mars, après l’arrestation de membres présumés du collectif de hackers connus sous le noms de Lulzsec (avec lequel des Anonymous chinois collaboraient). Mais c’est véritablement le 5 avril, un mois après après cette riposte qu’Anonymous China a fait parler de lui. Il a piraté plus de 300 sites liés au gouvernement ainsi que de nombreux sites commerciaux et d’affaire.

Dans leur message adressé au peuple chinois sur ces pages, les hackers l’encourage à se soulever pour faire tomber le régime et à utiliser des VPN (réseaux privés virtuels) pour contourner la censure opérée en amont par le Great Fire Wall. Au lendemain de l’attaque, la plupart des sites avaient retrouvé un fonctionnement normal et la vidéo ci dessous, en Français, était postée sur la plateforme « Rézocitoyen ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans un communiqué envoyé à l’Agence france presse le jour d’après, des membres se réclamant d’Anonymous China, avaient promis de continuer les actions et de les intensifier. Depuis cette attaque de masse, diverses opérations isolées et peu médiatisées ont ainsi eu lieu. Le 27 Avril Anonymous analytics publiait ainsi un rapport de 44 pages impliquant l’entreprise multinationale productrice de tabac “Huabao” pour des activités de dumping et de détournement d’argent ayant participé à faire de son fondateur Chu Lam Yiu, un milliardaire.

Plus récemment, le 8 Mai, c’est le site de l’université de Hangzhou qui était visée et les comptes utilisateurs des administrateurs révélés. D’après une annonce de l’agence Reuters, la plupart des membres opérant dans le collectif Anonymous China ne vivent pas sur le territoire. Si l’on peut exprimer des doute quant à cette annonce, les gérants du compte twitter, eux, sont probablement à l’étranger.

La page d’accueil que l'on retrouvait sur tous les sites piratés, en anglais ou en chinois

Par ailleurs, le congrès du parti communiste Chinois qui a lieu tous les cinq ans et qui renouvelle ses membres en octobre. Le pouvoir central et les hauts cadres du parti sont donc particulièrement enclins à tout faire pour qu’aucun trouble pouvant remettre en cause leur gestion du pays ne survienne.
Depuis le dernier plénum du parti qui s’est tenu fin 2011, le renforcement des mesures de lutte contre la dissidence sur le web n’a ainsi cessé de s’accroitre au moindre prétexte. La dernière opération de répression en date, appelée « bise de printemps » témoigne d’ailleurs de la prise de conscience du pouvoir central quant au rôle clé des réseaux sociaux dans l’organisation du mécontentement. Le gouvernement n’a semble t-il aucunement envie d’être une victime collatérale des révolutions arabes.

Verrouillage

Officiellement consacré aux réformes culturelles, le plénum de la fin 2011 a été un moyen pour le pouvoir central, conscient du nombre croissant d’internautes contournant la censure, d’envisager une série de mesures contre les “rumeurs nuisibles à l’ordre social” dixit les autorités sur le web. On comprend mieux dès lors, l’organisation début novembre, d’une rencontre entre le gouvernement et une quarantaine de sociétés constituant le cœur du réseau internet Chinois. Cette réunion a très logiquement abouti à un engagement de ces entreprises qui gèrent le réseau à appliquer toutes les directives gouvernementales en matière de lutte contre les “rumeurs et les fausses informations”.

Par l’utilisation de ces termes et la collaboration active des fournisseurs d’accès, moteurs de recherche et plateformes de micro blogs (équivalents de twitter), le gouvernement cherche à augmenter ses chances de taire toute information liée à des émeutes, manifestations, troubles politiques ou diplomatiques tout en traquant les lanceurs d’alertes. Le ministère des technologies a acté cette collaboration fin février en annonçant l’obligation pour les créateurs de sites webs de révéler obligatoirement leur identité aux autorités et aux représentants de fournisseurs d’accès. Depuis, la mesure s’est étendu aux micro bloggueurs même si elle est moins contraignante. Il faut dire que les manifestations rassemblant des milliers de personnes sont monnaie courante en Chine mais sont aussitôt tuées dans l’œuf médiatiquement par la police du web.

L'art de la guerre de Sun Tzu vu par la Demeure du Chaos (CC-bysa) Abode of Chaos

L'Art de la guerre de Sun Tzu vu par La Demeure du Chaos (CC-by) Abode of Chaos

C’est aux alentours de la mi-mars, deux semaines avant l’attaque massive du groupe Anonymous China, que les prises de décisions et les incarcérations ont commencé à s’accélérer. Suite au limogeage de Bo Xilai, un des plus hauts cadre du parti, des centaines de milliers de messages se sont répandus sur les plateformes de blog. Une partie d’entre eux prédisaient un coup d’Etat à Pékin. Le pouvoir central a aussitôt procédé à des arrestations et à une censure qui a aboutit entre le 29 Mars et le 2 Avril à une interdiction des commentaires sur les deux principales plateformes de blog que sont Tencent et Sina. L’ arrestation des présumés dissidents a été facilitée par une des lois les plus régressive en matière de droits humains qu’ai entériné la Chine ces dernières années: le 16 mars, l’assemblée nationale populaire votait une nouvelle législation sur la détention.

Petit manuel du parfait cyberdissident chinois

Petit manuel du parfait cyberdissident chinois

Face au Great Firewall qui filtre le web chinois, les cyberdissidents se saisissent des outils à disposition : VPN, proxy et ...

Cette dernière, autorise le parlement à emprisonner au secret, sans chef d’accusation et pour une période maximale de 6 mois, toute personne suspectée de crimes “mettant en danger la sécurité nationale”, internautes compris…

Entre mi février et mi avril, 1000 personnes ont été arrêtées, une cinquantaine de sites internet ont été fermés, 3000 ont été rappelés à l’ordre et 210 000 messages de micro blogs ont été effacé par la cyberpolice de l’empire du milieu.

Par ailleurs, et à titre d’exemple, les cyberdissidents Chen Xi (陈西) et Chen Wei (陈卫) ont été condamnés respectivement, les 26 et 23 décembre derniers, à onze et neuf ans de prison pour “subversion”comme le révèle Reporters sans frontières

Comme le souligne cependant Séverine Arsène, spécialiste des médias et de l’internet en Chine et auteure de “Internet et politique en Chine : Les contours normatifs de la contestation“:

Le durcissement de la répression et la volonté de faire taire les dissidences sont bel et bien réels et sont en partie liés au contexte du congrès du parti en octobre et à des tensions politiques dont témoignent les arrestations qui viennent d’avoir lieu à Chongqing. Cependant on voit que cela devient de plus en plus problématique pour les autorités d’emprisonner ou de réprimer avec impunité, en dehors du droit et en dehors d’une apparence légale pour la population et pour l’étranger. Certaine des mesures prises dernièrement étaient en fait déjà appliquées auparavant mais le gouvernement légifère car c’est un moyen de légitimer la répression. Cela témoigne en quelque sorte d’un certain respect pour le “formalisme de droit” face à une dissidence sur le web que le gouvernement ne parvient plus à endiguer.

Outre une utilisation purement répressive du web, le régime use de plus en plus de la technologie internet comme d’un outil stratégique dans tous les domaines de sa politique aussi bien pour comprendre et cibler les risques de dissidences en amont que pour gérer des intérêts économiques, diplomatiques ou encore militaires. Cette pensée politique visant à s’appuyer sur les nouvelles technologies pour gouverner est en réalité issue d’une pensée bien plus ancienne et profondément ancrée dans la conception chinoise du pouvoir . Au VIe siècle avant notre ère, le stratège et néanmoins auteur Sun Zi écrivait ainsi dans son”Art de la guerre”:

Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu’elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent.


Illustrations et photos par (CC-by) Abode of chaos

]]>
http://owni.fr/2012/05/14/pekin-en-guerre-contre-ses-hacktivistes/feed/ 9