OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 De la presse politique à la presse d’information (et retour ?) http://owni.fr/2010/11/09/de-la-presse-politique-a-la-presse-d%e2%80%99information-et-retour/ http://owni.fr/2010/11/09/de-la-presse-politique-a-la-presse-d%e2%80%99information-et-retour/#comments Tue, 09 Nov 2010 07:30:01 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=34836 Ce troisième volet de la série s’intéresse à l’évolution de la presse politique et de la presse d’information en prenant en exemple deux quotidiens helvétiques, la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève. Dans un ouvrage parut récemment, l’historien Alain Clavien se fait l’observateur de la disparition progressive d’une presse politique au détriment de la presse d’information.  Mais de nos jours c’est cette dernière qui connaît une remise en cause importante. Son cadre éthique, élaboré autour de notions telles que la neutralité et l’objectivité, semble dépassé. Et si la presse d’opinion faisait son grand retour  ?

L’étude des médias en Suisse romande passe plutôt par l’analyse des discours. Les recherches effectuées depuis la linguistique et la sociologie posent régulièrement un regard critique sur le discours médiatique et s’efforcent d’en décrire les mécanismes. Mais force est de constater qu’il existe peu de travaux fouillés, à caractère monographique, s’intéressant aux institutions de la presse romande depuis les sciences humaines et sociales. La prise de conscience de cet état de fait est en train de déboucher sur la création de deux chantiers différents. Du côté de l’Université de Lausanne, on s’intéresse de près à l’histoire de la Radio suisse romande (RSR), développant du même coup  une réflexion épistémologique fort intéressante concernant le statut et l’usage des archives sonores. A Fribourg, Alain Clavien, historien, vient de faire paraître une importante recherche concernant deux quotidiens romands aujourd’hui disparus : La Gazette de Lausanne et le Journal de Genève.

Sa recherche, érudite et complète, quoique principalement axée sur les deux titres, permet de saisir un large pan du panorama historique de la presse en Suisse romande. Alain Clavien s’efforce en effet de décrire les champs culturel, politique, économique dans lesquels évoluent la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève. En déroulant le fil de ces deux publications, le chercheur parvient à éclairer quelques moments cruciaux de la fabrique de l’information en terre romande, comme il l’explique dans la partie introductive et méthodologique de sa recherche :

Saisir les fils de ces trois niveaux, idéologique, économique, et sociologique, les tresser dans le contexte plus général de l’évolution du champ médiatique suisse: c’est à partir de cet écheveau que ce livre propose une histoire de la presse politique de ses débuts triomphants à sa marginalisation relative dans un monde médiatique qui fait de l’information sa religion et où la télévision est devenue l’instrument privilégié des politiciens.

Grandeurs et misères de la presse politique , p. 14

Presse d’opinion et journaux politiques

Ces deux journaux apparaissent au début du 19e siècle. Tous deux sont d’obédience libérale-conservatrice. Ils vont cependant réussir à coexister plus d’un siècle en se faisant souvent concurrence, avant de fusionner. Rétrospectivement, on se demande comment des journaux véhiculant les mêmes idées ont pu coexister si longtemps sur un marché assez limité. Alain Clavien explique leur longévité par le fait qu’ils ont opté assez rapidement pour des stratégies  différentes. Si la Gazette est un journal d’abord vaudois qui tend à déborder un peu du Canton, Le Journal de Genève porte un accent plus international, particulièrement après l’installation de la Société des Nations au bout du Lac.
Au fil des années cependant, les deux journaux ne manquent pas de se copier, et de débaucher les employés de leur concurrent, mais également de se démarquer par des approches de l’actualité et par la recherche de tons différenciés. D’abord profondément liés aux partis libéraux vaudois et genevois, les deux titres vont progressivement marquer leur autonomie par rapport aux organisations politiques tout en restant profondément ancrés dans le terreau idéologique de la droite libérale. De fait les principaux rédacteurs ne sont pas forcément des journalistes au sens moderne où nous l’entendons, mais des hommes politiques qui portent la plume. La plupart exercent même des charges législatives ou exécutives à différents niveaux. Les deux journaux vont connaître leurs heures de gloire à travers un rayonnement qui dépasse les frontières de la Suisse, notamment lors des guerres mondiales où la presse de la Suisse neutre est particulièrement prisée de l’autre côté de la frontière.

Si la première partie du 20e siècle donne l’impression d’une grande continuité, des premiers éléments de rupture commencent à se faire sentir dès la fin des années 1950. De nouveaux journaux sont apparus qui s’adressent à des segments particuliers de la population. On assiste à l’essor de la presse féminine et sportive, par exemple. Mais c’est également à ce moment que la presse d’information, plus “neutre”, commence à prendre le pas sur la presse politique. Différents phénomènes permettent d’éclairer ce déclin. Alain Clavien mentionne notamment la modification des pratiques publicitaires qui ne profitent ni à la Gazette de Lausanne, ni au Journal de Genève. Plus encore, une série de mutations opérées dans le champ médiatique marginalise fortement ce type de presse :

Les habitudes de lecture sont en train de changer, notamment à cause de la radio et de la télévision qui accordent de plus en plus d’importance à l’information. La presse écrite n’est plus la seule source d’information, elle est en train de perdre son statut de vecteur privilégié du discours politique et de forum indispensable à la vie civique. (…). D’abord réticents, les hommes politiques découvrent rapidement l’intérêt et la puissance des médias audiovisuels. Les Journalistes font de même.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 259-260

newspaper reader

Les éléments de rupture

Encore jusqu’aux années 1960, rappelle Alain Clavien, il est tout à fait normal qu’un journaliste assume une opinion. La presse de qualité s’adressant à l’élite économique et intellectuelle est une presse d’opinion politique, “seule manière d’avoir une ouverture sur le monde”, note encore l’historien. Les journaux d’information sont considérés comme “populaires” et peu sérieux. Toutefois, dès la fin de cette décennie, la tendance s’inverse. La presse régionale, plus versée dans l’information, prend le pas sur les deux mastodontes romands. On trouve la rupture qui s’opère au niveau du traitement de l’information dans le nom de certains de ces titres. Le Nouvelliste et plus encore l’Impartial marquent la différence en affichant leur volonté de présenter une information plus neutre à travers un nom qui reflète leur marque de fabrique.

Un dernier mouvement de bascule important repéré par l’historien est marqué la parution d’un ouvrage de Jean Dumur, Salut Journaliste! :

Pour ce journaliste alors très connu (…), l’information libre, complète et indépendante est le devoir et l’honneur de la presse. La circulation de l’information est la seule façon de contrôler la démocratie. (…). Dumur, qui connaît bien les Etats-Unis, donne évidemment comme exemple l’enquête obstinée de deux journalistes du Washington Post qui conduisent au Watergate et à la chute de Nixon (…). Aux yeux de Dumur, l’idéal est clair: la presse doit être le quatrième pouvoir, contre-pouvoir qui cherche à “faire reculer les zones d’ombre que tend à projeter, pour se dérober à l’examen critique, toute activité humaine”.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 267

Dans cette perspective, le journaliste n’est plus un acteur politique au sens plein mais sa position d’observateur critique lui confère le rôle de garant du système démocratique. Un retournement complet par rapport à la pratique du journalisme telle quelle se concevait encore 70 ans plus tôt, note Alain Clavien :

En trois quart de siècle, le point de vue dominant interne à la profession s’est complètement retourné. Alors que vers 1900, le journal politique, relais des partis et partenaire actif du jeu politique démocratique concentrait sur lui la légitimité et dénigrait sans ménagement son concurrent “neutre”, les années 1960 et suivantes voient le triomphe de l’idéal d’une presse d’information “indépendante”, tandis que la presse d’opinion est marginalisée.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 268

Déclin et chute

Face à ces changements, les deux titres finissent immanquablement pas fusionner. Dans les faits, on constate surtout que c’est le Journal de Genève qui prend le contrôle de la Gazette de Lausanne. Le logo et le titre de la publication qui les réunit le confirment :

Journal de Genève du 10 avril 1997. La mention "Gazette de Lausanne" apparaît en-dessous dans un lettrage plus discret et léger.

Mais la réunion des deux titres ne va lui offrir qu’un bref répit puisque le Journal de Genève se retrouve en concurrence avec un nouvel élément perturbateur: le Nouveau Quotidien. Les deux journaux pourtant très différents se battent pour capter la même part du marché. Si le Journal de Genève a derrière lui une longue histoire et une réputation de média effectuant un travail sérieux et ordonné organisé dans des pages volontairement austères, Le Nouveau Quotidien se considère comme un journal apolitique, neutre, jeune culturel et impertinent, en phase avec son temps. Au final, personne ne va remporter la lutte. Les deux titres fusionneront également pour former le quotidien suisse Le Temps, (celui-là même qui s’est autoproclamé “média suisse de référence”). Si le Journal de Genève semble un peu déconsidéré par la nouvelle rédaction qui se met en place, il ne va pas tarder à être réutilisé dans la construction de la mythologie du Temps. Lorsqu’on n’a pas de passé, “le plus simple n’est-il pas de s’en approprier un autre ?”, s’interroge Alain Clavien en guise de conclusion.

Le retour de la presse d’opinion ?

Non content d’offrir une assise historique à un journal qui ne remonte pas de l’époque héroïque, il me semble que le fait de rattacher le Journal de Genève au Temps pourrait permettre à ce dernier de s’émanciper progressivement de sont statut de journal d’information neutre et objectif, et de renouer avec une autre pratique journalistique  relevant plus de la presse d’opinion. Difficile de dire si on va vraiment dans ce sens. Certains observateurs voient dans le retour d’une presse d’opinion une planche de salut pour des médias en voie de disparition. Ainsi le sociologue Ueli Windisch se désespère du manque de presse politique affirmant des positions tranchées, seule manière selon lui de réinstaurer le débat au coeur de de notre société démocratique. Le développement de titres de presse ancrés de manière assumée à gauche ou à droite permettrait de passer par dessus la tentation de l’objectivation des faits de ne pas se prendre le chou sur l’impossibilité de l’existence d’une presse totalement neutre. Soit.
Le problème ne réside pas là à mon sens. La presse d’opinion existe toujours,mais elle se situe dans les marges. Plus active à gauche qu’à droite, elle réunit de nombreux titres en Suisse romande comme Gauchehebdo, Domaine Public, Le Courrier ou la Nation (Je vous laisse deviner lequel n’est pas à gauche…). Ces publications bénéficient d’un lectorat certes faible mais stable. Certains ont même décidé de se passer du papier, à l’instar de Domaine Public. Est-ce vraiment dans ce type de publications qu’il faut voir émerger le renouveau du journalisme ? Pas si sûr. Ce type de média s’adresse à la troupe des convaincus. Peu de personnes lisent la Nation sans pour autant adhérer aux idées de la Ligue vaudoise. De même, les conservateurs ne consultent pas régulièrement GaucheHebdo pour se convaincre du bien fondé d’un service public fort. A part quelques animaux politiques étudiant de près les arguments de la partie adverse, ces publications prêchent des convaincus. Elles ne contribuent pas directement à alimenter le débat sur la place publique mais servent de lucarnes et de références à leurs adhérents. Ce n’est pas un retour aux temps héroïques qui nous sortira de la panade.

A lire : Alain Clavien, Grandeurs et misères de la presse politique, Lausanne : Antipodes, 2010, 321 p.

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Article initialement publié sur Chacaille

>>premier volet de la série “Les nouveaux nouveaux chiens de garde”

>>deuxième volet : Honnêtement l’objectivité n’existe pas, que faire ?

A suivre…

Crédits photo Flickr the Commons : Nationaal Archief, George Eastman House

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Honnêtement, l’objectivité n’existe pas. (Que faire ?) http://owni.fr/2010/10/02/honnetement-l%e2%80%99objectivite-n%e2%80%99existe-pas-que-faire/ http://owni.fr/2010/10/02/honnetement-l%e2%80%99objectivite-n%e2%80%99existe-pas-que-faire/#comments Sat, 02 Oct 2010 12:25:11 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=30041

Poursuivons la réflexion suscitée par la lecture de la recherche publiée par Mark Lee Hunter et Luk van Hassenhove (elle est directement disponible ici). Ces derniers s’intéressent à de nouveaux médias capables de financer de longues enquêtes journalistiques, remplaçant ainsi une industrie de la presse déclinante et déficitaire. Toutefois l’organisation, le fonctionnement, et les buts que poursuivent les médias stakeholders ne sont pas sans conséquences sur le statut des reportages et des articles qu’ils publient. Les deux chercheurs s’efforcent donc de penser une nouvelle éthique du journalisme qui puisse correspondre à ce nouveau modèle économique.

Quand les journalistes parlent “éthique”, on est souvent loin des grands débats philosophiques. L’éthique journalistique ne s’élabore pas dans la sphère éthérée de concepts abscons, inabordables ou qu’on ne peut appréhender. Il s’agit d’une éthique appliquée, en ce sens qu’elle qu’elle s’adresse à des professionnels et à des usagers qui peuvent percevoir a priori, en usant du bon sens, les éléments de tensions qui sont constitutifs de l’écriture journalistique et du rôle que remplissent les médias. Parmi les points de discorde, ressort régulièrement la notion d’objectivité. La critique du discours médiatique en a fait son cheval de bataille préféré. ACRIMED, par exemple, répète inlassablement le même mantra : Pas d’objectivité dans les médias. Good point. Faut-il pour autant douter qu’ils sont tous à la botte du grand Kapital ou de l’État (varier le scénario selon le contexte…) ? N’y a-t-il pas moyen de gagner honnêtement sa vie comme journaliste ?

En fait, la presse française (et par extension, la presse francophone) a construit sa déontologie autour d’une éthique de l’objectivité. C’est au cours du dernier quart du XIXe siècle que les journaux s’emploient à différencier ce qui relève des faits et ce qui ressort du domaine de leur interprétation. À la presse d’idées vient s’ajouter la presse d’information. Cette dernière ne va pas remplacer la première mais ces deux tendances vont cohabiter non sans quelques frictions. Ainsi, Émile Zola critiquait déjà cette manière aseptisée de rendre  compte des faits. Il y voyait le “flot déchaîné de l’information à outrance”. Trop d’info tue l’info. Le malheureux doit être en train de se retourner dans sa tombe. Il n’empêche, dès la fin du XIXe siècle, de nouveaux outils ainsi que de nouvelles méthodes commencent à apparaître. Le reportage et l’interview viennent s’intercaler entre l’analyse, l’éditorial et la chronique. La presse d’opinion qui a toujours prévalu dans la métropole française s’est donc pourvue de nouveaux outils d’objectivation qui vont permettre de renforcer le sérieux de son entreprise.

Traditions française et anglo-saxonne

Si les journalistes anglo-saxons peuvent trouver du côté de la sociologie naissante (notamment du côté de l’école de Chicago) les éléments qui vont contribuer à l’élaboration d’une méthode de travail et d’un code déontologique, la presse francophone fixe ses canons dans un contexte différent. En cette fin de XIXe, le journalisme s’inspire de l’Histoire, comme discipline académique. siècle Cette dernière est en passe de gagner ses lettres de noblesse. Le discours historique devient la science empirique qui donne la priorité aux faits. Au cours de cette période marquée par le positivisme, chercheurs et savants pensent pouvoir trouver la vérité dans l’étude impartiale des faits. Mais il n’y a pas qu’au sein des universités qu’on est convaincu par cette perspective. La presse est également persuadée d’effectuer un travail neutre et objectif dans la mesure où elle respecte un certain nombre de codes. C’est encore, me semble-t-il, le message qu’elle renvoie à ses lecteurs : “faites-nous confiance, nos outils et le cadre éthique accompagnant  notre travail nous permet de rendre compte objectivement de la réalité.” Un discours dépassé ?

Points de vue (qui se croient) objectifs.

Certes, le problème  se pose en des termes moins consternants chez nos confrères anglo-saxons qui ont toujours apprécié la notion d’objectivité avec plus de circonspection, sans pour autant s’en débarrasser totalement. Signe des temps, la société des journalistes américains a décidé d’ ôter le mot “objectivité” de son code déontologique. Mais il ne faut pas se leurrer :  l’éthique de l’objectivité a la peau dure. La défense d’un pré carré objectif soutenu par les médias contre vents et marées s’explique  par le contexte socio-économique difficile que traverse l’ensemble de la presse. La crise que traverse la presse ( mutation technologique, effondrement des modèles économiques, etc.)  ressert la corporation autour de quelques acquis qu’il s’agit de défendre (grosso modo, on a besoin de nous pour trier et enquêter). En ce sens, l’objectivité est un drapeau que les journalistes agitent sous le nez des blogueurs, des experts et des citoyens qui s’impliquent dans la petite cuisine de l’information. Grossière erreur. Irruption d’une autre crise, éthique cette fois. Car, la perte de références objectives est avant tout perçue comme une forme de déficit éthique. Pour dire, même Michael Moore se désole du fait que l’on enseigne plus l’objectivité aux journalistes en formation : “Dans les écoles américaines de journalisme, on n’enseigne plus l’objectivité mais l’apparence d’objectivité.” Les plus subjectifs des reporters du sérail médiatique peinent eux aussi à se détacher du concept.

“L’honnêteté” et surtout “la transparence”

C’est pourtant ce que propose Mark Lee Hunter. Bazarder l’objectivité. Lui préférer  “l’honnêteté” et surtout « la transparence ». La transparence est  LA vertu cardinale du journaliste du XXIe siècle selon ce journaliste passé à la recherche. Transparence sur l’endroit depuis lequel on s’exprime. Transparence sur les techniques d’investigation que l’on utilise. Transparence sur le sujet que l’on traite et sur la manière dont il nous affecte. Cette perspective commence à faire un peu son chemin au sein des rédactions francophones.

Ce qui paraît intéressant c’est que les nouvelles technologies  permettent précisément (mais pas automatiquement) cette plus grande transparence autour des modes et des conditions de production de l’information. Le site Mediapart publie régulièrement avec ses articles importants une « boîte noire » permettant à l’auteur de contextualiser l’investigation qu’il a menée. Les articles sont également munis d’un onglet « Prolonger » qui renvoie à des documents et à d’autres articles permettant de compléter ou de pousser plus loin la curiosité du lecteur. Sur les sites et les blogs, les hyperliens ont un peu la même fonction même s’ils ont parfois tendance à nous éloigner du sujet.

Dans un autre registre, il me semble  que le retour un peu mieux assumé du récit à la première personne participe de ce mouvement. Assumer son point de vue ne signifie pas nécessairement étaler son ego atrophié dans les pages des quotidiens (il y a la littérature pour cela). La revue XXI l’a bien compris, qui publie de nombreux et longs reportages dans lesquels le narrateur est directement impliqué dans l’histoire qu’il nous conte. Ce type de récit journalistique n’a en fait rien de nouveau. Il renoue avec une tradition du reportage portée par des Kessel ou des Albert Londres. Il marque assez bien le retour à un point de vue, à une focale plus assumée sur les sujets traités.

Il ne faut toutefois pas croire que ce processus est le seul fait de quelques médias de niches. La presse quotidienne sait se montrer également innovante. Les lecteurs du Temps ont ainsi pu suivre l’immersion d’un journaliste de la rédaction au coeur d’un collège lors de la rentrée scolaire. Le rendu de ce reportage effectué au plus près des gens forme une série hébergé par le site du journal. Sur son blog, le journaliste confie avoir été enthousiasmé par ce projet qui a demandé “du doigté, de la transparence et du respect mutuel“. Il se demande aussi si ce n’est pas dans ce type de travail que se trouve le salut économique de la branche…

L’éthique de la transparence à la place de l’éthique de l’objectivité, donc. Ce nouveau modèle déontologique s’affranchit facilement des critiques adressées auparavant à l’objectivité. il n’est plus question de s’attaquer aux journalistes pour leur reprocher une prétention à vouloir englober une connaissance pleine et entière de la réalité. En quittant la prétention à l’objectivité, les journalistes redeviennent des êtres humains, dotés de convictions, qui appréhendent la réalité avec leur subjectivité. Reste encore à renouer la confiance avec les lecteurs. Établir un nouveau pacte. Quelque chose comme : “Faites-nous confiance, voici nos outils, voici le cadre éthique accompagnant  notre travail, nous allons essayer de vous rendre compte honnêtement de la réalité.”

Au travail !

Billet initialement sur Chacaille ; premier volet de sa série “Les nouveaux nouveaux chiens de garde”

Images CC Flickr hynkle et workflo

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Les nouveaux nouveaux chiens de garde http://owni.fr/2010/09/24/les-nouveaux-nouveaux-chiens-de-garde/ http://owni.fr/2010/09/24/les-nouveaux-nouveaux-chiens-de-garde/#comments Fri, 24 Sep 2010 13:25:48 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=29368 Dans un papier commandé par l’INSEAD, Mark Lee Hunter et Luk Van Wassenhove développent l’émergence d’un nouveau modèle économique propre au journalisme. Le regard original des deux chercheurs  ouvre un chantier important  qui permet de donner à la pratique journalistique un nouveau cadre théorique mais pose cependant un grand nombre de questions. Quel est le nouveau socle éthique de cette forme de journalisme ? A qui s’adressent les médias stakeholders ? A quoi ressembleront les chiens de garde de demain ? Au service de qui travailleront-ils ?

« Disruptive News Technologies : Stakeholder Media and the Future of Watchdog Journalism Business Models ». Avec un titre pareil, on peut comprendre que l’étude n’ait pas trouvé beaucoup de relais en francophonie… L’intitulé est déjà tout un programme. L’étude formée d’une quarantaine de pages  a été écrite par un ancien journaliste d’investigation, Mark Lee Hunter, qui a déjà fait l’objet d’un billet sur Chacaille . Ce reporter américain basé à Paris a commencé à se faire remarquer au cours des années 1990. On lui doit notamment un ouvrage un peu pince sans rire sur Jack Lang ( le titre en anglais : The Ministry of fun), une  enquête sur l’affaire Canson et surtout une longue immersion auprès des militants du Front National (un Américain au Front, 1995). Son compère, Luk Van Wassenhove,  est un pur produit de l‘INSEAD dont il occupe la chaire Henry Ford.

L’objectif de cette recherche est de pointer l’apparition et le développement d’une nouvelle source de financement pour les enquêtes journalistiques au longs cours. Les auteurs partent du constat que les médias traditionnels sont de moins en moins enclins à produire de longues enquêtes : le modèle classique des industries des médias décline. A de rares exceptions près, comme le Canard enchaîné en France, ils ne sont pas rentables (p.3). Si les grands groupes de presse et les médias traditionnels restent un support pour la publication d’une certaine forme de watchdog journalism, ils n’en constituent pas l’apanage exclusif. L’hypothèse qu’ils formulent est que le journalisme d’enquête va se développer en dehors et parallèlement à cette industrie quitte à ce que cette dernière récupère dans un second temps le fruit de l’investigation. Ce sont des stakeholders medias qui seront les principaux commanditaires d’enquête au longs cours.

Mais qu’est ce qu’un stakeholder media, exactement ?

Le terme stakeholder provient du vocabulaire managérial et économique. La théorie de management que l’on appelle Stakeholder view consiste à considérer une corporation non pas à travers ses actionnaires (les shareholders) mais par le biais de celles et ceux qui en produisent la valeur, soit les acteurs qui  en sont les parties prenantes, les stakeholders. La notion a évolué pour désigner un organisme qui défend un intérêt pour une cause ou un projet. Les organisations non gouvernementales par exemple, portent assez bien l’étiquette stakeholder. Appliqué au monde des médias, le terme semble tout de suite désigner la presse d’opinion. Cette perspective est toutefois  réductrice et biaisée. Hunter et Wassenhove  désignent comme stakeholders des médias qui sont articulés autour d’une « communauté d’intérêt concernée par un sujet ou une cause » (p. 8).

La principale critique que les auteurs commencent par esquiver est celle de la crédibilité des informations portées par ce type de médias. On peut en effet se demander ce que valent les infos qui y sont déposées. Même au service d’une « bonne » cause, le travail journalistique serait invalidé par les présupposés et les intérêts du stakeholder qui y serait associé. Tel n’est pas le cas affirment les deux chercheurs. Ce type de médias n’est pas moins crédible que la presse d’opinion. Qui plus est, les médias stakeholders n’avancent pas masqués sous l’étiquette de l’objectivité – un point que je développerai dans le prochain billet- . Hunter et Wassenhove vont même plus loin. Ils constatent que même avant le début de la crise financière qui a touché les médias, ces derniers étaient en perte de crédibilité par rapport à leur public. Les chercheurs mentionnent notamment une intéressant sondage réalisé par la Sofres en janvier 2010. Ce dernier indique que 66% du public ne croit plus à l’indépendance des journalistes. ce pourcentage serait même en augmentation régulière. A partir de ce constat, on peut imaginer que le public ne fera pas moins confiance à un stakeholder qu’à un média traditionnel.

Des enquêtes financées par un tiers intéressé par le sujet

Ce n’est donc pas le positionnement idéologique du média qui en fait un stakeholder, mais plutôt l’intérêt qu’il porte à un sujet. On peut ainsi considérer des sites comme celui d’Amnesty International ou celui de Human Rights Watch comme des stakeholders. Cette dernière association a d’ailleurs produit plusieurs rapports sur des problématiques inhérentes aux droits de l’homme avec le concours de journalistes. De plus, Human Rights Watch vient de décrocher la timbale. Le financier-philanthrope George Soros vient de lui adresser une obole de 100 millions de francs. Nul doute que cet argent pourrait servir à financer des investigations onéreuses. Mais des médias au format plus « classique »  peuvent très bien rentrer dans cette catégorie. La Revue Durable par exemple, que l’on trouve aussi en format magazine, cherche aussi à fonder une communauté d’intérêt autour d’un sujet. Même chose du côté de Océan 71, un site internet qui s’intéresse au grand large et qui vient de lancer une enquête sur la pêche au thon rouge.

Plus généralement,  Les médias stakeholders se déclinent à travers différentes formes, via divers supports. Cela va du site internet à la newsletter en passant par l’imprimé ou la radio. Quoi qu’il en soit, ces médias se sont principalement développés grâce à l’émergence du web. Il faut également différencier ce type de médias des réseaux sociaux : » Twitter, Facebook, LinkedIn, ne constituent pas des médias stakeholders pour l’instant. Ils sont par contre utilisés par les stakeholders pour organiser leurs contacts et diffuser les alertes ». (p. 8 ). Les stakeholders vont donc permettre à de nouveaux nouveaux chiens de garde d’effectuer leur travail de veille et d’enquête.

Dénoncer les dysfonctionnements

Il est intéressant de constater que les auteurs font la différence entre les watchdogs journalists et les investigators. Tous les chiens de garde ne sont pas forcément de bons enquêteurs. L’investigation requiert des compétences, un réseau, et une certaine maîtrise de l’interview que les watchdogs ne maîtrisent pas obligatoirement. Cependant un bon journaliste d’investigation remplit quasi automatiquement la fonction de watchdog, selon Hunter et Wassenhove. Il vaut la peine de s’arrêter également un instant sur ce terme de watchdog. L’expression Chien de garde, en français, est fortement connotée, notamment après la parution de l’ouvrage de Serge Halimi (S. Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Seuil, 1997). Dans cet ouvrage, les chiens de garde sont les journalistes et les représentants d’une sphère médiatique au service du pouvoir et des groupes économiques. En France, Le chien aboie pour les puissants. La sociologue des médias Géraldine Muhlmann s’est déjà étonnée de la connotation beaucoup plus positive que trouve le terme auprès des médias anglo-saxons et plus particulièrement américains. Il y désigne une pratique journalistique qui s’intéresse de près aux rouages du pouvoir et qui n’hésite pas à dénoncer les dysfonctionnements et les abus de ce dernier. Le watchdog journalism se développe au cours des décennies 1960 et 1970 et connait son heure de gloire avec le scandale du Watergate. De l’autre côté de l’Atlantique, le chien aboie pour les citoyens. Peut-être est-il temps de se de réapproprier le terme sur le vieux Continent et de le doter d’une connotation plus positive ?

Le financement d’enquêtes par ce type de médias suscite quelques ruptures par rapport à la pratique journalistique. Les chercheurs en dénombrent au moins trois qu’ils mentionnent dans leur recherche et que je développerai dans des billets à venir en prenant des exemples concrets  :

1. On assiste au au développement d’un nouveau cadre théorique de l’éthique journalistique.

2. Le contenu des investigations ne consiste plus en un « produit » mais en un « service ».

3. La réorientation du marché se concentre non plus sur le « public » mais s’adresse à une « communauté ».

A suivre…

Article initialement publié sur Chacaille

Illustrations CC FlickR : ~BostonBill~

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