OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le bourreau de mes thunes (4) http://owni.fr/2010/09/09/le-bouffon-de-mes-thunes-4/ http://owni.fr/2010/09/09/le-bouffon-de-mes-thunes-4/#comments Thu, 09 Sep 2010 16:54:18 +0000 Olivier Bordaçarre http://owni.fr/?p=27603

Image tOad pour OWNI /-)

- Asseyez-vous, ze vous en prie, Zinette. Bien, nous entrons en campagne, comme vous le savez, avec tout ce que cela comporte en terme de soins et de relations, commença le stratège. Et quand ze parle de soins, vous me comprenez, vous qui êtes de la partie ! rigola-t-il sans que l’infirmière ne moufte. Donc, nous avons tout d’abord, et pour bien commencer ce petit marathon, deux remerciements à effectuer : l’un au ministre des Finances pour les raisons que vous connaissez, l’autre au secrétaire zénéral du ZéPM puisque, ma foi, il faut bien imprimer des affiches… entre autres… Et puis samedi prochain, on fera une petite avance au président, ça lui fera plaisir. Ça lui donnera du cœur à l’ouvraze, bien que sa réélection ne fasse aucun doute. Conclusion : en premier lieu, Bercy, casier habituel, vous connaissez le chemin. Petit deux, Au Tord-Boyaux, le patron s’appelle Bruno, même topo. Tenez.

Du Boufabouf déposa devant Ginette deux enveloppes vides aux noms des intéressés. Comme elle l’avait fait des centaines de fois, l’infirmière irait ouvrir le coffre, remplirait les dites enveloppes et les livrerait aux adresses ci-indiquées. Simple, efficace, la routine. Du Bouftoidlakeujmimeth avait une totale confiance en Ginette Caoutchou. Tu parles, depuis l’temps, elle avait fait ses preuves.

- Non, fit simplement l’employée modèle.

- Comment ça, non ? interrogea du Bouftefeux, incrédule.

- Non. C’est fini du Bouffin, asséna-t-elle, les bras croisés dans le fauteuil du défunt mari.

- Ma petite Zinette, si c’est une plaisanterie, elle n’est pas très drôle, tenta du Bouffillon.

- Je n’ai absolument pas l’intention d’être drôle. Une enveloppe est déjà prête et en lieu sûr.

- Une env’… hein ?… Deux enveloppes, ze vous dis ! Enfin, Zinette, cessez, cette scène est ridicule, protesta du Boufner en contenant difficilement sa colère de petit roquet mal dégrossi.

Ginette, se sentant soudain plus forte et peut-être même plus désirable (car le charme, n’est-ce pas, c’est une question de détente), quitta le fauteuil, s’avança vers le bureau que du Boufkhan s’était approprié d’autorité, appuya ses deux mains sur le chêne verni et, bras écartés, fusilla du regard l’as de la gouachette.

- Écoutez-moi bien, du Bouffin. Il n’y a plus qu’une enveloppe. Le lieu sûr, c’est un coffre. Il se trouve à deux pas du bureau d’un journaliste tout ce qu’il y a de pointilleux si vous voyez ce que je veux dire. Il attend mon signal. S’il ouvre, je vous dis pas le merdier.

- Quoi, quel merdier ? demanda l’autre, les yeux écarquillés.

- Dans l’enveloppe, il y a tout ce qu’il faut pour faire sauter la machine. D’abord, les photocopies des derniers chèques que Madame vous a signés. Vous vous souvenez des montants ? Je me demande ce que vous pourriez bien faire de tout ce pognon, vous qui avez déjà tout ! Puis également la copie du dernier versement effectué sur le compte personnel du président de la République.

- Mais enfin, bafouilla le barbouilleur.

- Ensuite, une série d’enregistrements audio de toutes les réunions auxquelles vous avez participé en tant que pseudo conseiller financier de Pharmarros. On vous y entend, bien sûr, mais accompagné de vos acolytes, le ministre des Finances, le patron de la banque centrale, le ministre de l’Industrie et celui de l’Information, quelques artistes aussi, des collectionneurs de tableaux, et le président en personne. Des heures et des heures de discutailleries autour d’une idée de base assez simple : on a les couilles en or, comment les garder au chaud ? Et tout ça, ça intéresse vraiment beaucoup le journaliste dont je parlais à l’instant. Croyez-moi, les preuves sont accablantes. Alors voilà ce que vous allez faire…

- Mais t’es la pire des salopes ! lâcha du Boufozy en levant son popotin.

- LA FERME ! Abruti ! hurla la grande Ginette. Assis ! Je n’ai qu’un geste à faire, un seul. Et tu te retrouves en taule jusqu’à l’âge de César Franck qu’avait l’âge de ses artères.

- Keskèdi ? fit du Boufesson complètement liquéfié, statufié, anéanti, en plein cauchemar.

- Comme le dit le philosophe Axel Honneth : « Ce qui doit former le cœur même de la normalité d’une société, ce sont les conditions qui garantissent aux membres de cette société une forme inaltérée de réalisation de soi. » Or, toi, tes alliés, tes clients, tes souteneurs, tes relations et tous ceux qui gravitent autour de cette sphère nauséabonde du pouvoir industrialo-étatique, vous formez le cœur même d’un régime anormal d’une société pressurisée et vous êtes, vous-mêmes, les conditions qui garantissent aux membres de ce régime une forme inaltérée d’enrichissement de soi. Alors, moi, si tu permets, je me fais un petit plaisir et puis je disparais. J’ai besoin d’eau claire. Voilà ta mission. Petit un : tu te démerdes pour récupérer le fric versé récemment sur le compte du Grand Chef de la France. C’est assez simple, vous vous connaissez bien, il te rembourse et c’est dans la poche. Il devra quand même me signer ce petit reçu, pour preuve de sa bonne volonté. Dis-lui bien que lui aussi a les deux pieds dans le caca. Petit deux : tu ajoutes à cette somme les deux cents millions que tu as piqué à Madame le mois dernier. Petit trois : tu procèdes au versement de ce pactole sur le compte suivant. En contrepartie, je mets le feu à l’enveloppe.

Ginette, frétillante d’une joie qu’elle peinait à contenir, déposa sous le nez de du Boufgarde un morceau de papier sur lequel étaient inscrits un numéro de compte ainsi que les coordonnées de son détenteur. Le chanteur lut.

- 243 815 GDV 2010, Association Nationale des Gens du Voyage ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?

- Fais pas ta mauvaise tête, allez, on leur doit bien ça.

- Et comment vous voulez que z’aille reprendre de l’arzent dézà dépensé ? C’est impossible ! Et puis z’aurais l’air de quoi à demander ça au président ?

- Et tu auras l’air de quoi quand l’affaire fera la une de tous les canards ? « Du Bouffin, le bouffeur de fortune », « Du Bouffin fait exploser le gouvernement », « La République tremble à cause de du Bouffin »…etc.

- Mais vous êtes totalement zivrée, Zinette ! Ze vous en prie, revenez à la raison ! Ze peux vous aidez, ze peux…

- Tss tss, pas de ça entre nous, Jean-Édouard. Tu as quarante-huit heures chrono. Ensuite, c’est le merdier.

Du Bouffeurth regarda Ginette Caoutchou s’éloigner. À l’intérieur de l’homme meurtri, menacé d’humiliation, de ruine, d’excommunication, d’exil, se mélangeaient de multiples sentiments. Honte, rage, perdition, peur, incrédulité, instinct de survie.

- Et qu’est-ce que z’en ai à foutre moi de ces putains de manouches et de leurs caravanes de MERDE !! paniqua-t-il.

Mais Ginette était déjà loin. Quarante-huit heures chrono.

Du Bouflapoussière rentra chez lui, épuisé, tremblant, tel un loup blessé par le destin, poils au chien. Il s’affala sur son Chesterfield outremer et s’endormit dans les bras de Morflé.

- Monsieur le Président veuillez m’excuser de vous déranzer pendant la sieste mais vous savez les cent cinquante mille euros de Madame de Châlong c’est-à-dire est-ce que vous pourriez parce qu’il y a eu une erreur c’est bête et donc si vous voulez bien à charze de revanche bien sûr parce que sinon c’est le merdier.

- Qu’est-ce tu viens m’faire chier avec tes réclamations casse-toi pauv’ con tu vois pas que j’suis en campagne ?

- Si tout à fait Monsieur le Président mais c’est zuste une formalité ze vous rembourse dès demain promis.

- Donner c’est donner tête de nœud. Sbires, emparez-vous de ce chien galeux et pendez-le à un croc de boucher !

- Oh non Monsieur le Président ze vous en supplie, lâchez-moi, lâchez-moi ! Au secours AAAAAAAHH !

Du Bouftèmor se réveilla en sursaut, trempé. Deux cents cinquante pulsations minute, déshydratation avancée, hallucinations dignes d’un shoot au magic mushroom, tremblements, angoisses, paniques, l’auteur de Ma Vie, Mode de Finance, de l’écume aux commissures, était dans de sales draps, il avait la tronche du triquard moyen, sans horizon, sans issue, grillé, cuit, roussi, une vrai merguez.

Telle une bête traquée, dans un gémissement sourd, il tenta de se redresser, dégobilla une bouchée de turbot sauce aigrette sur son Chesterfield à cent mille balles et se rétama comme une bouse sur son tapis Stepevi à motifs japonais. Il parvint à se positionner à quatre pattes puis, centimètre par centimètre, se dirigea vers la salle de bain où, sans en avoir vraiment conscience, sans avoir peser le pour et le contre, sans avoir posé les choses bien à plat, il trouverait bien le moyen de se soustraire à la persécution des hommes. Et des femmes.

Il atteignit le carrelage frais, s’agrippa au lavabo, tira sur le tiroir de la console, farfouilla à l’aveuglette et s’empara d’une boîte de Pentothal, le célèbre et puissant anesthésique. Il ouvrit la boîte avec les dents. AArgh ! Elle était vide ! Ses muscles se raidirent, il hurla. La folie était là, envahissante, dense, sans limite. Son mode de locomotion animal lui permit néanmoins d’atteindre la cuisine. Et là, sans réfléchir une seule seconde, comme téléguidé par une force étrangère, il se saisit, en jetant sa main sur la table, d’une baguette de pain rassis Tradition, s’adossa à la cuisinière Falcon Classic Deluxe et, lentement, par à-coups, méthodiquement, il s’enfonça la baguette dans la gorge, un quart, la demie, les trois quarts, jusqu’à ce que mort s’ensuive, espérait-il. Les hommes du SAMU trouvèrent le milliardaire enfariné et inconscient, le croûton au bord des lèvres.
Le lendemain, le journaliste facétieux d’un journal humoristique osa le titre suivant :

« À défaut de Pentothal, Jean-Édouard du Bouffin tente de se suicider au pain complet »

Et alors là, ce fut un merdier, mais alors un merdier ! Rarement merdier avait été aussi merdique. Il y eut du sang, de la chique et du mollard.

Quant à Ginette Caoutchou, elle posa ses valises dans un petit mas cévenols, au bord du Galeizon, rivière limpide où, enfin, elle s’alla baigner toute nue.

Fin de la saison 1, la prochaine à venir…

Épisode 1, épisode 2 et épisode 3

Olivier Bordaçarre est publié aux éditions Fayard

Le blog de tOad

]]>
http://owni.fr/2010/09/09/le-bouffon-de-mes-thunes-4/feed/ 6
Le bourreau de mes thunes (3) http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-3/ http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-3/#comments Mon, 06 Sep 2010 19:42:44 +0000 Olivier Bordaçarre http://owni.fr/?p=27523

Image t0ad pour OWNI /-)

Pauvre Ginette Caoutchou, célibataire et sans un marmot à se caler au creux du bras, sans un amour, sans un amant. Vingt ans de bons et loyaux services chez des nobles du XXe siècle. Vingt longues années à trimer à l’ombre des tentures de l’hôtel particulier des de Châlong ! Masser Madame et laver Monsieur, et les anxiolytiques de Madame et le Martini blanc de Monsieur et le chéquier de Madame, l’agenda de Monsieur, le sac Hermès de Madame, la Rolex de Monsieur, la constipation de Madame, les humeurs de Monsieur, le clébard de Madame, le thé du soir de Monsieur, les amies de Madame, les assistants de Monsieur, l’amant de Madame, les mains de Monsieur. Et les centaines de soirées débiles à attendre que les délicats convives puant le Dior à plein nez aient terminé de siroter leur cognac Martel en égrenant leurs imbécillités. Des milliers de réunions dans le grand salon des partages, comme l’avait baptisé Madame, où les familles se succédaient pour toucher leur part de gâteau. Familles d’artistes, familles de politiques, familles d’industrielles, grandes mafias du luxe.

Combien de valises, combien d’enveloppes, combien de milliards ? Ginette ne savait pas, n’avait jamais su. Débordée, la Ginette, dès le départ. Submergée. Et maintenant que l’odeur de la cinquantaine lui frôlait les narines, c’était le temps des points, des bilans, des retours sur un passé sans passion, le temps de l’ennui qui, comme la partie immergée de l’iceberg, se révélait si lourd sur les fonds arides d’un océan asséché. Dans une vie, quand t’en arrives à l’heure des comptes, c’est que t’en es à l’extrême onction, y a comme dans l’air des relents d’huile d’olive. Tandis qu’la vie, ça n’a pas d’but, à part çui d’vivre.

Elle en avait vu de toutes les couleurs, la petite infirmière de Choisy-le-Roi. Et elle avait choisi la Reine. Et l’avait aimée, même, cette cruche ! On avait acheté son silence, sa confiance, sa complicité. Et sa servilité, combien leur avait-elle coûtée ? C’est sûr, Ginette en avait mis à gauche, un bon paquet, de quoi se tirer en retraite anticipée, loin de toute cette dégénérescence, cette hypocrisie, cette aliénation. Mais aujourd’hui, un sentiment de honte lui sauta au visage à l’instant même où du Bouffin-le-bouffi pénétrait dans la salle à manger. Pourquoi avait-elle tout accepté ? Peut-être qu’il faudrait aller chercher du côté de Voltaire pour répondre à la question.

Madame de Châlong était amoureuse. Ne pas inquiéter Madame, ne pas contrarier Madame, servir Madame, l’accompagner jusqu’au coffre, l’aider à composer le code, sortir des liasses de cinq cents, les compter, les glisser dans des enveloppes, respecter la liste des noms qu’avait communiquée du Bouffin-le-biffeton, livrer ces enveloppes aux adresses indiquées, une chez l’avocat, une chez le député, une chez le ministre et, même, une chez le président. Faut pas être rapiat dans les investissements. Car chez ces gens-là, on n’a pas de scrupules, Monsieur, non, on n’a pas de scrupules. Mais des stratégies. On a des masques, des sociétés écrans, des exonérations, des boucliers fiscaux. On a des amis dans le milieu artistique (ça fait gonfler la nouille de fréquenter l’gratin), on apprécie la grande peinture (car qu’invente-t-on soi-même à part des plans sociaux quand on est de la haute ?), on hérite, on place, on investit, on a des Van Gogh derrière dix centimètres d’acier. C’est sûr qu’on n’est pas du genre à se couper une oreille. On a des maîtresses, on a des amants, et puis des chirurgiens et des homéopathes, des psychanalystes de renom (on est tellement bien dans son Œdipe, vautré dans son hypnose, dans le vide sidéral de ses pensées nulles qu’avec un divan sous le cul, on a l’air moins con). Ils ne crachent pas sur les enveloppes, les psy de la rue du Lichtenstein. La parole s’achète autant que le silence. On graisse les pattes des bons juges, on finance les bons partis, on soutient les bons dictateurs d’Afrique et on organise des soirées de charité. On se tirlipote la bonne conscience devant les caméras de l’info-porno. On vit quoi. Ça fait un bien fou de sentir l’argent liquide couler dans ses veines. On fait fonctionner la machine. On donne envie aux pauvres. Le fric, c’est un instant de paresse. Tout le monde peut pas se l’offrir.

Pauvre Ginette Caoutchou, les deux pieds dans cette merde ! Elle en avait jusque là.

- Bonzour mon vieux, avait fait Jean-Édouard du Bouffin à l’attention du majordome en pénétrant dans le grand hall marbré. La vieille a fini son potaze ? avait-il ajouté de son habituel dédain.

- Madame est au salon avec son infirmière, Monsieur, avait répondu l’impassible domestique.

- Très bien. Dites, mon vieux, soyez zentil de me préparer donc un petit en-cas rapide. Avec le décalaze horaire, z’ai les boyaux qui font des nœuds, avait ordonné la bête.

- Bien Monsieur. Il nous reste quelques bouchées de turbot sauce aigrette de la réception d’hier soir, cela conviendra-t-il à Monsieur ?

- Parfait, mon vieux, parfait. Avec un p’tit ballon de sauternes ? Ce serait le nec ! avait sugzéré le nabot en guise de conclusion tout en dessinant un rond de son pouce et de son index boudinés.

Du Bouffin-the-requin jeta son baise-en-ville sur le Louis XV, ralentit le rythme de ses gestes sous le regard énamouré de Madame de Châlong (elle en aurait pété une durite) au bout du nez de laquelle perlait une goutte de morve translucide (un léger rhume, c’est rien, le naturopathe ne devrait plus tarder avec sa valoche de granules sucrés), tira la chaise voisine, s’assit à la gauche de sa muse décatie, lui prit la main, inspira profondément, soupira, ferma doucement les yeux et les rouvrit, et dit :

- Viviane, cette semaine, vous m’avez tant manquée.

C’est à cet instant précis, en spectatrice silencieuse de l’abjecte hypocrisie, que Ginette Caoutchou prit la décision de mettre son plan à exécution. Sans plus rien attendre. Ce fut la mort des illusions, des espérances, des compromis.

Du Boufourbe était un homme pressé. Et pragmatique. Les campagnes électorales l’avaient toujours profondément excité. Quelle jouissance d’observer tous ces candidats au fauteuil de la gloire s’agiter, frénétiques, autour des puissants comme des mouches en nœuds pap autour d’une bouse étincelante. Ah les ronds de jambes, les courbettes, les révérences, les cérémonies ! La demeure seigneuriale des financeurs du GPM (la Grand Parti de la Majorité) allait incessamment se transformer en moulin. En théâtre du joli ballet des enveloppes.

Quelques ombres pourtant au tableau : l’arrière-petit-fils de Monsieur Antoine de Châlong, un ingrat, menaçait de déposer plainte contre l’amant du Bouftrou pour abus de confiance, recel, délit d’initié, blanchiment, fraudes diverses et financement occulte. C’était dégueulasse de faire ça. Mais on allait s’occuper de lui. Un gros chèque viendrait à bout de ses velléités de justicier. S’ajoutait à cela le problème d’une petite sauterie élyséenne de fin d’année lors de laquelle le ministre des Finances avait l’intention de décorer de la médaille de l’Ordre national du Mérite le comptable de la société Proxipez qui gérait la fortune de Châlong (comptable et, par hasard, beau-frère du dit ministre… quand on bosse en famille, ça va plus vite). Sauf que des journaleux parmi les plus fouilles-merde étaient à deux doigts de pondre leur papier. Du Boufdurhône était donc très pressé. C’est lui-même qui avait informé le président des risques d’une telle collusion et, sans remettre en cause la sauterie décorative, avait suggéré l’organisation d’une adéquate diversion du type émeute de banlieue insécurisée réprimée de manière exemplaire par les Compagnies de Robocops Sécuritaires. Ça marche bien ce genre de trucs.

- On peut se voir cinq minutes, Zinette ? fit du Boufdégoût en se dirigeant vers le bureau.

Ginette savoura son immanquable victoire en suivant l’artiste d’un pas légèrement nonchalant. Du Boufancudepoule était peintre, poète, écrivain, comédien, il lui manquait une corde à son arc. Ginette Caoutchou allait le faire chanter. Tsoin tsoin !

À suivre…

Épisode 1, épisode 2 et épisode 4

Olivier Bordaçarre est publié aux éditions Fayard

Le blog de tOad

]]>
http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-3/feed/ 6
Le bourreau de mes thunes (2) http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-2/ http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-2/#comments Mon, 06 Sep 2010 17:13:04 +0000 Olivier Bordaçarre http://owni.fr/?p=27079

Image tOad pour OWNI /-)

Petite nouvelle de politique friction où toute ressemblance avec des personnes ou des faits existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Jean-Édouard du Bouffin était un pragmatique.

En trente années d’une carrière artistique si conventionnelle qu’elle en était devenue, par la grâce de Dieu et d’innombrables glissements sémantiques, aux yeux du vulgum pecus, une vie hors du commun, Jean-Édouard du Bouffin avait su s’attirer les largesses d’un milieu où l’on ne compte pas car chez ces gens-là, effectivement, on compte pas, Monsieur, on compte pas. On flambe.

Écrivain mondain et poète maudit, peintre des belles formes et sculpteur de muses, comédien au théâtre des clichés, il s’était introduit dans l’existence de Viviane de Châlong, avait pénétré sa vie, son âme, et le reste.

Jeune et fringant éphèbe des années soixante-dix (un mètre soixante neuf les bras levés), fils de haute famille, il s’était rapidement fait un nom en publiant ses mémoires à trente et un ans, ouvrage qui fustigeait sans sommation la révolution de mai, les indépendantistes algériens, le cinéma de Godard, l’expressionnisme abstrait, le retour de Miles Davis et l’avènement du mitterrandisme, ce qui lui valut d’être traité d’anarchiste de droite sans que personne ne sache vraiment ce qu’on voulait signifier par cette antinomie. Puis il avait peint les stars du septième art avec les pieds, avait sculpté les bustes des présidents dans des blocs de saindoux, avait éructé ses poèmes dans les cocktails chébrans de la capitale, avait écrit des romans dont il justifiait la platitude syntaxique par cet original objectif littéraire qui consistait à fuir le style (plus c’est gros, mieux ça passe) et, surtout, surtout, secrètement, s’était fait l’amant de Madame Viviane de Châlong.

Déjà plein aux as au sortir d’une adolescence à la petite vérole, armé de canines à rayer les parquets, légèrement complexé par un zézaiement prononcé auquel s’ajoutait une calvitie précoce ainsi qu’une collection de furoncles sur le derrière qui l’empêchait d’exprimer librement ses penchants homosexuels, Jean-Édouard du Bouffin, fort de cette liaison plus financière que sexuelle étant donnée la taille du porte-monnaie de la victime, devint, grâce à sa pugnacité, à son sourire de requin-marteau et à sa gentillesse de poulpe, l’écrivain milliardaire que les éditeurs du monde entier cherchaient à toucher à n’importe quel prix. Il se faisait prendre (juste en photo) aux côtés des nouveaux philosophes de Saint-Germain des Prés (ceux qui confondent la pub et les idées), était invité sur les yachts des marchands de pétrole et, avec des membres éminents du gouvernement, il jouait au golf (un jeu qui consiste à pousser une baballe dans un troutrou avec une cacanne, et y en a qui trouvent ça intelligent).

En échange de son attention ostensiblement désintéressée, de sa courtoisie de gigolo insouciant, de son petit grain de folie qui générait les gloussements des bourgeoises à double menton dans les coulisses des opéras, contre sa présence inestimable à la table des de Châlong, et contre son petit coup de zob mensuel, Viviane de Châlong offrit sa richesse à son amant.

Résidences secondaires, tertiaires, quaternaires, châteaux en Espagne et villas luxembourgeoises, émeraudes, rubis, diamants, spacieux appartements dans des paradis fiscaux, comptes en banque incommensurables, chèques faramineux et valises blindées de biffetons, toiles de maîtres, actions par milliers chez Pharmarros, contrats juteux, emplois fictifs… le peintre Jean-Édouard du Bouffin, surnommé par ses détracteurs « le Titien à sa mémère », fasciné par l’argent facile, la rutilance et les honneurs, la célébrité et les regards avides des envieux, en était devenu complètement taré. Il mâchait de la gloire et des bijoux au quotidien.

Aujourd’hui, la soixantaine carrément dégarnie, le zézaiement plus prononcé encore à cause des fausses ratiches, il ne savait plus où donner du larfeuille. Il continuait à ponctionner la femme la plus riche d’Europe, la menaçait de la quitter si elle rechignait, enchaînait les insultes à la mémoire de feu-Antoine de Châlong, se révélait ignoble, gluant et fourbe.

Après avoir obtenu d’elle l’or et les bijoux (ça lui avait coûté trois petits orgasmes comparables à des pets de nonnes), il obtiendrait, grâce à elle et à sa considérable fortune, la soumission des grands chefs, entrepreneurs et dirigeants du pays (quand t’as l’un, t’as l’autre vu qu’ça bosse main dans la main). Il ajouterait du pouvoir au pouvoir, il les aurait à ses pieds, les ministres intègres et conseillers vertueux. Il serait leur maître à tous ! Taïaut !

À suivre…

Épisode 1 et épisode 3
Olivier Bordaçarre est publié aux éditions Fayard

Le blog de tOad

]]>
http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-2/feed/ 8
Le bourreau de mes thunes (1) http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-1/ http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-1/#comments Mon, 06 Sep 2010 15:53:28 +0000 Olivier Bordaçarre http://owni.fr/?p=27063

Image tOad pour OWNI /-)

Petite nouvelle de politique friction où toute ressemblance avec des personnes ou des faits existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Madame Viviane de Châlong, quatre-vingt-onze printemps (ou quatre-vingt-onze liftings, on ne sait plus trop), richissime au-delà de l’entendement, célèbre et unique héritière du gigantesque groupe pharmaceutique Pharmarros, n’en finissait pas de vibrer au-dessus de son potage aux morilles et vermicelles parfumés à la citronnelle que venait de lui servir Ginette Caoutchou, sa fidèle infirmière.

Face à l’impératrice du suppositoire glycériné, au bout de la table sans fin du salon écarlate, dans les lueurs ambrées du lustre cristallin, son époux, Antoine de Châlong, pratiquement décédé, tentait une énième fois de porter à sa bouche spumescente une cuillère à soupe du raffiné potage susmentionné. Les tentatives précédentes s’étaient soldées par l’inondation de son gilet de flanelle et de son pantalon de lin mais on ne se moque pas du troisième âge en liquéfaction, c’est immoral.

C’était novembre et la fin de l’automne dans ce quartier mort et cossu de la capitale. Hôtels, porches lustrés, réverbères fin XIXe, trottoirs nickels. Les radiateurs de fonte chauffaient à pleins tubes la vaste demeure de la rue du Liechtenstein. On en était moite, on tremblait pourtant, ça sentait le sapin.

Ginette Caoutchou soupira de tristesse en rejoignant le majordome dans la cuisine, à dix bonnes minutes à pieds.

- Il ne devrait plus tarder, regretta l’infirmière à plein temps en se laissant choir sur le premier tabouret Starck venu, aux côtés du majordome en costume qui chipait du bout des ongles des restes de truffes dans un ramequin à lisérés d’or.

- Avec de nouvelles envies, j’imagine, supputa l’homme à tout faire.

- Dieu sait ce qu’ils ont encore manigancé avec son ami le ministre à l’ombre des cocotiers de leur belle île privée… Faut trouver le moyen de s’en débarrasser au plus vite. Je n’en peux plus et Madame ne tiendra pas le coup longtemps.

- À ce rythme… acquiesça l’employé.

Il, lui, l’autre, « le monstre à neuf têtes » comme aimait à le chuchoter Ginette Caoutchou en roulant des yeux hallucinés, « le suceur de moelle », « le vampire de sa dame », « le bourreau de mes thunes », « le tripoteur de députés », « la créature du marais », « le petit blond avec deux chaussures beiges », ça faisait une paie qu’il était l’unique sujet de conversation des deux derniers domestiques de Viviane de Châlong. Ginette le haïssait. Elle lui aurait bien fait bouffer ses couilles mais c’était pas le genre de la maison. Faut maintenir son rang. Alors, contrainte, forcée, mais avec néanmoins quelques discrètes idées derrière le cabochon, Ginette Caoutchou s’était évertuée à gagner par tous les moyens la confiance de « la raie publique », ainsi nommé par référence aux sorties nocturnes du dit poisson sur les remparts des ministères, parmi les huiles et leurs scintillantes sardines.

Ginette regagna le grand salon en traînant de la savate. Sur le seuil, elle s’arrêta. Elle observa un instant sans bouger le spectacle affligeant, vraiment pénible, de deux multimilliardaires au bout du rouleau de leur inconscience, tentant, pour l’un vainement et pour l’autre en tremblotant, d’ingurgiter un potage royal en silence et, sauf le respect qu’elle devait à Madame, ça faisait un peu soupe aux cochons. Mais le bourgeois, n’est-ce pas, plus ça devient vieux, plus ça émet de grands slurps.

En voulant s’avancer vers sa maîtresse, Ginette Caoutchou se prit les pieds dans le chien Ferdinand, une espèce d’énorme serpillière épaisse et maronnasse qui se pissait dessus dix fois par jour. Ginette, après avoir pesté contre la bête immobile, alla s’asseoir à la droite de Madame de Châlong. L’ambiance était plus que feutrée ; lourde, sourde, chargée de ce que les deux vieux ne pouvaient plus dire pour la simple raison qu’ils ne pouvaient plus le penser. Le nez d’Antoine de Châlong surplombait sa soupe, à deux doigts d’y plonger sans qu’on eût pu imaginer que cette immersion nasale eût produit des bulles puisque Monsieur ne respirait plus.

Sous le regard respectueux, attendri, aimant même, de Ginette Caoutchou, Viviane de Châlong lorgnait le vide, le gouffre noir où l’avaient précipitée ses amours clandestines. Elle creusait lentement dans son potage. Des vermicelles blanchâtres lui collaient au menton comme autant de racines de chiendent extraites d’une terre sans goût dans laquelle elle s’enlisait inexorablement. Une méduse anachronique embagousée.

- Ginette ? balbutia la nonagénaire (comme quoi on peut faire du neuf avec du vieux, en onze lettres)

- Oui, Madame ?

- Vous… n’aidez pas… Monsieur… à manger son potage ?

- Madame, Monsieur nous a quitté. Vous le savez. Il y a bien longtemps déjà. Il n’y a plus que vous et moi dans ce salon, répondit l’infirmière en contenant une fois de plus ses larmes. Et, pensa-t-elle, mourir, ce n’est rien, mourir, la belle affaire, mais vieillir, ah, vieillir…

En effet et malgré les visions de Viviane de Châlong, la chaise de Monsieur, au bout de la table sans fin, dans ce salon qui n’avait plus d’écarlate que le nom, restait résolument vide. Cinq ans plus tôt, Antoine de Châlong, très atteint par une tumeur galopante au cervelet, s’était noyé dans son bouillon de poule au pot. Ça avait fait plouf, et puis plus rien. Depuis, Madame de Châlong l’appelait en silence, le voyait, lui parlait parfois du bon vieux temps. Alors Ginette, patiente comme une femme esseulée assise sur une bitte d’amarrage, rétablissait avec tact la cruelle vérité. Un repas de dimanche midi.

Bien que presque inaudible, mais l’habitude aidant, Ginette Caoutchou distingua au travers du triple vitrage, le bruit singulier des pneus de la lourde berline noire sur le gravier de l’allée de buis. Elle se redressa sans que Viviane ne réagisse le moins du monde à ce changement de posture.

Dans l’encadrement de la porte, le majordome se tenait droit, inquiet, appelant Ginette du regard. Sans toutefois perdre le sens des réalités car, ayant terminé les miettes de truffes, il s’était attaqué à un saladier de caviar qu’il s’était coincé dans le creux du bras et qu’il délestait de son contenu à coup précis de petite cuillère d’argent. Autant allier l’agréable aux obligations professionnelles.

Quand l’infirmière esquissa le mouvement de se lever, Madame de Châlong lâcha sa cuillère dans le potage. Elle venait de comprendre. Car malgré ses fréquentes crises de démences aiguës lors desquelles elle se prenait pour Margaret Thatcher et trépignait d’attendre un coup de fil du président de la République française en criant « my little dwarf ! my little pig ! », malgré ses pertes de mémoire qui lui faisaient lever des toasts au général de Gaulle, les trous sombres dans ce qui lui restait de lucidité, son incontinence chronique, ses coliques frénétiques, sa mélancolie suicidaire dont aucun antidépresseur ne venait à bout, ses visions et ses cauchemars, Viviane de Châlong savait prouver parfois qu’elle n’était pas totalement à côté de la plaque ni tombée trop profond dans le potage. L’amour l’appelait encore et, au bruit de la gomme sur les cailloux du chemin, elle crut sentir entre ses cuisses molles, sa vulve flétrie bâiller comme une carpe asthmatique sur les bords vaseux d’un étang sec. Il était là. « Le Dracula du Chéquier », « Le Coincé du Tiroir-caisse ».

À suivre…

Épisode 2, épisode 3 et épisode 4

Olivier Bordaçarre est publié aux éditions Fayard

Le blog de tOad

]]>
http://owni.fr/2010/09/06/le-bourreau-de-mes-thunes-1/feed/ 12