OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Icônes de l’Histoire transfigurées http://owni.fr/2010/11/21/icones-de-lhistoire-transfigurees/ http://owni.fr/2010/11/21/icones-de-lhistoire-transfigurees/#comments Sun, 21 Nov 2010 09:08:52 +0000 Yoann Moreau http://owni.fr/?p=36226 Réponse à “Il y avait aussi la petite fille brûlée par le napalm au Vietnam. L’Afghane aux yeux magnifiques.”

À chaque catastrophe est associée une image qui lui servira d’étendard, de représentant sur la scène médiatique. Si cela fait défaut, la catastrophe n’a pas lieu, l’aide internationale ne se mobilise pas, les médias ne trouvent pas de prises graphiques pour faire récit et répercuter le choc, celui des photos

Ces images, choisies dans le feu de l’action, dans l’urgence du scoop autant que des besoins humanitaires, quittent progressivement la scène médiatique et intègrent parfois l’Histoire. Elles figurent alors la tragédie, l’indiquent et la résument, en un cliché. À ce processus de figuration succèdent des transfigurations. Je propose ici d’en étudier quelques cas – de figure – justement.

Omaira Sanchez : l’ascension spirituelle

La transfiguration s’illustre, dans le cas d’Omaira Sanchez par une ascension spirituelle. Cette figure du drame colombien, est en effet en passe d’accéder au statut de martyre. Étonnante trajectoire symbolique de cette petite fille, qui fait aujourd’hui l’objet d’un culte et d’un pèlerinage. Sanctifiée, sa mémoire rassemble, une semaine durant, des foules dans la ville d’Armero, théâtre de la tragédie colombienne.

La sanctification n’est cependant qu’une manière, parmi d’autres, de transfigurer. À l’ascension spirituelle peut ainsi être  substituée une ascension sociale, la commémoration rituelle peut laisser place à un oubli tout autant chargé (en puissance) de signifiant. J’illustrerai ces modalités à partir de deux cas proposés par un lecteur de Culture Visuelle.

Kim Phuc : les félicitations

La petite fille hurlant de douleur s’appelait Phan Thị Kim Phúc, elle fut sauvée par celui qui prenait la photo – Nick Ut – qui l’emmena ensuite à l’hôpital. Grâce à cette image, Kim Phúc, considérée comme un témoignage vivant des horreurs de la guerre, a été nommée Ambassadrice de Bonne Volonté  de l’UNESCO (novembre 1997). Nick Ut, quant à lui, reçu le prix Pulitzer et une notoriété internationale. Ses photographies de famille, sa tante et sa grand-mère portant des enfants brûlés, sont troublantes, je me demande ainsi – étrangement – si elles sont sur la cheminée (ou tout autre forme d’autel familial).

Sharbat Gula : défiguration

La jeune fille afghane, symbole de la détresse d’un peuple, fera quant à elle, suite à sa popularité, l’objet d’une enquête à gros budget racontée dans un docu du National Geographic. Son titre “A life revealed” (Une vie révélée). La retrouver aura détruit le mythe (et surtout le fantasme). Le National Geographic fera, au mois d’avril 2002, une nouvelle première page et c’est un flop commercial. La vieillesse aurait fait son œuvre, la beauté et le regard paraissent plutôt défigurés. Si l’on regarde la vidéo (à la 8ème minute de la partie 2), on voit cette femme, Sharbat Gula, en mouvement. Son port est beau et, à mon sens, son visage même n’a pas la laideur que lui montrent les photos d’elles qui ont été choisies. Sans retouches (thème cher à Culture Visuelle), bien au contraire, on accentue son grain de peau, et son nez. Le regard est là simplement pour faire référence, et contraste. Il s’agit, puisque la magie s’est enfuie, de la transfigurer en la défigurant. Le regard nous observe depuis un visage dévisagé (dans tous les sens du termes).

Aisha : mutilation

Cette année, le Time fait le remake : il s’appuie sur le célèbre cliché, en reprend ostensiblement les caractéristiques (pose et posture, habit et lumière). Il produit alors, par un raccourci brutal, un effet de réel massif.

La nouvelle jeune fille afghane, est dévisagée – mais sans artifices cette fois.  Il ne s’agit plus d’une simple dégradation, mais d’une mutilation. Ce que 17 ans avaient réussi à entamer, un obus l’arrache en un instant.

Les yeux ne sont plus verts, mais noirs. Les fantasmes sont loin. Place à la (dure) réalité pour mettre y fin. Et qu’est-ce qui nous préserve du réel ? La légende, du Time nous donne la réponse.

Sans noms : disparitions

Dans le Libération d’aujourd’hui, un article (en accès restreint) montre des photos prises juste avant la guerre d’Indochine. Raoul Coutard est derrière l’appareil et nous montre avant le massacre (“Un million de types vont bientôt défourailler dans cette région et faire pas mal de dégâts” dit crûment Coutard), des photos de jeunes filles vietnamiennes se baignant dans une rivière.

La mise en regard de ces images heureuses et du drame historique qui suivit, nous amène à former le récit d’une tragédie. “On était en train de profiler le bébé aux Américains” dit, en ce sens, Coutard. En effet, ces jeunes filles tout aux plaisirs d’une joie simple de baignade, et cette  vision édénique d’un plan d’eau claire dans une forêt tropicale, comment auraient-elles pu survivre à l’enfer du Vietnam ? En fait, s’appuyant sur notre mythologie vietnamienne, ces images sont transfigurées, chargées de toute la nostalgie d’un paradis nécessairement perdu, elles  donnent à voir, par leur mise en regard historique, non pas leur bonheur mais sa disparition

Billet initialement publié sur Catastrophes, un blog de Culture visuelle, sous le titre “Transfigurées”

Les images de ce post, à l’exception de celle de la homepage (CC Flickr exquisitur), ne sont pas sous la licence CC d’OWNI.

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War Game: Catastrophes et jeux vidéos http://owni.fr/2010/04/08/war-game-catastrophes-et-jeux-videos/ http://owni.fr/2010/04/08/war-game-catastrophes-et-jeux-videos/#comments Thu, 08 Apr 2010 18:20:28 +0000 Yoann Moreau http://owni.fr/?p=11892 Yoann Moreau revient sur la vidéo de la “bavure” de l’armée américaine en Irak et questionne le lien profond entre catastrophes et jeux vidéos.

La vidéo de guerre qui gêne l’armée américaine

capture-de28099ecran-2010-04-07-a-185257-300x238

“La guerre, c’est parfois facile comme un jeu vidéo. (…) Comme dans un mauvais remake d’« Apocalypse Now », les occupants de l’hélico de type Apache lancent des « yeah » de joie quand leurs cibles sont touchées, et n’hésitent pas à ouvrir le feu sur des hommes visiblement désarmés qui viennent s’occuper des victimes du premier engagement” (1).

En dehors de l’aspect “bavure” et du comportement “enjoué” des militaires américains (qui, pour ma part, ne me surprennent pas plus que ça), ce qui fait sérieusement question est le lien profond entre catastrophes et jeux vidéos.

S.T.A.L.K.E.R., Shadow of Chernobyl

La première fois que je relevais ce rapport fut quand je travaillais sur le traitement visuel de Tchernobyl. De nombreuses photos du web renvoyaient en effet à des captures d’écran du jeu vidéo S.T.A.L.K.E.R. au principe (très) simple : il s’agit de dégommer le maximum de personnes génétiquement mutées (2). Je surfais alors sur les extraits vidéos, très nombreux sur la toile, et découvrait avec stupeur que c’est certainement l’un des meilleurs moyens de visiter le site de la central désaffectée et de sa ville fantôme mitoyenne Pripyat. Même les personnages principaux sont  directement créés à partir de photos d’archives (celles des “liquidateurs”). Ce jeu aurait-il valeur de document ? “Atmosphere, Authenticity & Detailing” sont d’ailleurs des arguments de vente de cette vidéo promotionnelle qui ne cesse de mettre en regard des photos du site (et des personnes) et leur numérisation fidèle dans le cadre du jeu :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

“Devenez vous-même”

La campagne de l’armée de terre française et son fameux slogan “Devenez vous-même” jouait elle aussi, de toute évidence, avec les références (graphiques, rythmiques, musicales et narratives) des vidéogames (et du cinéma). De ce point de vue, un de leur clip à ma “préférence” :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’ONU met en place un jeu vidéo pour éduquer aux catastrophes

catastrophe-onu-300x216Très récemment, l’ONU et l’ISDR (International Strategy for Disaster Reduction) mettait en place en ligne un “jeu de simulation d’aléas naturels“. Très largement inspiré de SimCity, il s’agit d’aménager des territoires en vue de catastrophes (tsunamis, feux de forêts, tremblements de terre, cyclones) à partir d’un budget limité. La question centrale serait : en quoi une simulation de ce type peut aider à la prévention ? Il s’avère en fait, puisque j’ai (laborieusement) testé l’option tsunami de ce jeu, qu’il s’agit plutôt d’un formatage que d’une formation. En effet, une personne un minimum respectueuse des modes de vie locaux,  tenterait tout d’abord d’aménager le site à partir des ressources locales – baraques en bois et dunes en bords de mer. Mais, dans ce jeu, cette démarche s’avère désastreuse. Il s’agit de se mettre au goût du jour, et de produire quelque chose de plus “censé” : des maisons en bétons et des tétraèdres sur le rivage par exemple. C’est nettement mieux ! Finalement il s’avère que la solution la plus efficace et de loin la moins couteuse est de bétonner le rivage avec des baraques en béton, cela joue à la fois le rôle d’habitation et de protection.

Rush vidéo d’un épisode de la guerre en Iraq

La réalité du terrain militaire semble, vue d’avion ou d’hélicoptère, très proche du jeu vidéo et l’on ne saurait alors s’étonner que l’illusion fonctionne et que les commentaires soient similaires à ceux de potes jouant derrière leurs écrans. Les sous-titres correspondent aux commentaires vocaux des militaires.

Voir le diaporama Flickr réalisé par Yoann Moreau

1. extrait d’un article paru sur Rue89, voir également Keep shoot’n, Keep shoot’n!, de Jean-No : “Les images (…) montrent bien à quel point une vision lointaine — on voit les corps et les mouvements mais on ne distingue pas les visages ni même la nature des objets de manière précise — rend possible les actions les plus inhumaines.”.

2. Serait-ce un moyen  de se débarrasser de ces monstres qui hantent nos imaginaires irradiés ?


> Article initialement publié sur le blog “Catastrophes” de Culture Visuelle

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