OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “Si on décide de ne pas bouger, là on est mort” http://owni.fr/2012/11/20/si-on-decide-de-ne-pas-bouger-la-on-est-mort-francaix-interview/ http://owni.fr/2012/11/20/si-on-decide-de-ne-pas-bouger-la-on-est-mort-francaix-interview/#comments Tue, 20 Nov 2012 14:10:47 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=126165

Michel Françaix en 2009 par Richard Ying (ccbyncsa) édité par Owni

Un mois après la publication par Owni du rapport de Michel Françaix, sur les aides à la presse pour la Commission des affaires culturelles et le projet de loi de finances 2013, le rapporteur a accepté de répondre à quelques questions. Sur le rapport mais aussi sur le point de vue qu’il a de l’état de la presse en France. Entretien sur fond d’assertion : si la presse n’évolue pas, elle meurt.

Ce rapport-là, le 3ème, est le plus médiatisé. En quoi est-il différent des autres et quel est votre constat ?
Michel Françaix

Celui qui se décrit comme fils de saltimbanque et neveu de saltimbanque a fait grincer des dents à plus d’un patron de presse. Brièvement, il est revenu pour Owni sur pourquoi il est à l’origine d’un tel rapport : son intérêt pour l’écrit remonte à ”toujours” et c’est aux côtés de François Mitterrand en 1981 qu’il devient chargé de mission sur l’écrit, les radios et la presse locale.

Depuis cette période, il reste sur ce sujet de prédilection. ”Quand vous êtes dans l’opposition, vous vous y intéressez pour faire des envolées lyriques à deux heures du matin mais vous savez que ça ne sert à rien. Et là dans la mesure où nous sommes dans la majorité et qu’il y a peu de parlementaires qui s’intéressent à l’écrit en général — ils sont plus télévision/audiovisuel — je n’ai pas eu à batailler pour récupérer ce rapport, qui est déjà le troisième.”

[Twitter]

Il est différent des autres parce que c’est la première fois depuis 1981 qu’un ministre de la Culture me parle pendant 20 minutes de l’écrit avant de parler ensuite de l’audiovisuel. Avant celui-là, on se rendait compte à deux minutes de la fin des auditions qu’il fallait dire un mot sur RFI et sur l’écrit. Peut-être que cette année, la Ministre a été provoquée par ce qu’il se passait avec Presstalis.

Maintenant à mon âge je sais comment les choses se passent : le soufflé peut totalement retomber. Mon objectif c’est de dire début février, “chère Aurélie, est-ce que tu penses que tu as fait le tour du dossier ou est-ce qu’il faut faire évoluer ou faire de profondes modifications ?”. Si on ne peut pas faire tout ce que j’ai écrit, ce que j’entends très bien, est-on prêts à avancer ? Ou avec un tour de passe-passe, quinze jours avant dire qu’on va tout ré-équilibrer ? Si on a la détermination pour avancer, je veux bien réfléchir avec d’autres pour faire évoluer. Mais je veux pas m’enquiquiner à faire le budget pour que finalement rien n’avance. On est pas au bout de nos peines et nos difficultés. Avec notamment la prise en compte de la presse en ligne et le fait qu’elle doit avoir plus d’importance.

La presse écrite, de toute façon, ne pourra plus vivre sur le même tirage dans les années à venir, mais elle peut être l’élément moteur permettant aussi le développement de la presse en ligne. Il faut donc réfléchir : on ne pourra pas donner des millions à Presstalis, donner un taux de TVA à la presse en ligne à 2,10%, donner à tous ceux qui le demandent des aides au portage qu’ils n’ont pas encore, le tout sans faire de coupes sombres quelque part. Ou alors on fait semblant de donner un tout petit peu à tout le monde donc à personne. Je suis plutôt sur l’idée de fixer des priorités.

Donc vous n’êtes pas juste l’auteur du rapport poil-à-gratter et pensez permettre de faire bouger les lignes ?

En ce moment la presse y croit encore et elle a peur qu’il puisse se passer quelque chose : je vais prendre 30 kg ! Je suis invité à déjeuner par tous les syndicats pour expliquer que leur cas est un cas génial… donc oui, le rapport fait un peu peur. La ministre elle-même et le budget ne sont pas totalement insensibles parce qu’il faut dépenser de l’argent mais à coût constant. Objectivement ce rapport au niveau du gouvernement a été plutôt bien pris.

Il faudrait que les choses puissent changer rapidement ? Sinon la presse pourrait “mourir” ?

J’espère qu’on ne refera pas le prochain budget des aides à la presse en septembre de la même façon. Ma position est de dire que rien n’a bougé avec les États généraux de la presse. Maintenant si on doit faire trois ans en disant “on a tout fait”, je serai obligé de constater qu’on reproduit les mêmes politiques depuis 15 ans et qu’on va droit dans le mur. On va essayer de faire en sorte de ne pas être obligés d’en arriver là. Ça dépendra d’un certain nombre de choses, des priorités, de la crise mais mon rôle va être de ne pas faire redescendre le soufflé. Et puis à travers ce rapport, je ne veux pas être la mouche du coche qui ne sert à rien !

Si on décide de ne pas bouger, là, on est mort. L’immobilisme en période de crise et de mutation c’est dire “on ne voit rien des mutations à faire” y compris pour la presse en ligne. Sauf qu’on n’aura pas toujours la prouesse de trouver l’argent. Est-ce que la presse va mourir ? Je ne crois pas, mais elle est condamnée à évoluer sinon sans ça vous pourriez avoir raison : elle va mourir. Mais la grande force, c’est qu’il n’y a pas un seul gouvernement qui accepterait de pouvoir dire qu’il a contribué à tuer toute forme de presse. Sauf si la presse sur papier n’intéresse plus personne dans 20 ans. Et qu’on considère que Facebook et Twitter sont suffisants pour avoir de l’information…

Nous sommes devant des choses évolutives et au dernier moment “On” attend que l’État intervienne. Et il finit par dépenser des sommes folles qu’il n’aurait pas dépensées s’il y avait eu une anticipation.

De mettre sur la table la mutation numérique, c’est anticiper ce qu’il va se passer ?

Oui et même plus loin, ce n’est plus anticiper après-demain c’est anticiper demain ! Ce n’est d’ailleurs pas une très grande anticipation, nous allons avoir le nez dans le guidon très rapidement. En fait, nous ne pourrons pas passer notre vie à faire des rafistolages plus ou moins intelligents. Je crois savoir que j’ai une bonne collègue qui devant la crise de Sud Ouest va sûrement poser une question à la ministre comme “qu’est ce que vous faites pour Sud Ouest ?” Qu’est ce que vous voulez qu’elle réponde ? Ma première réaction c’est de penser tout de suite : c’est l’État qui fait un chèque ? Et où passe la liberté de la presse ? Il y a forcément des députés qui se font engueuler par des journalistes de Sud Ouest. Vous avez affaire à un parlementaire comme il défendrait sa sidérurgie à tel endroit.

Mais de quel droit on donnerait de l’argent à Sud Ouest et pas au groupe Hersant ? Sur quels critères ? Le seul critère qui puisse exister, c’est de faire une aide à la réorganisation des entreprises et recourir à des formes de concentration à condition qu’en contrepartie on conserve le pluralisme. La pire des choses, c’est d’aider Sud Ouest à ne pas mourir et que finalement, il soit un journal qui n’apporte rien comme espace de liberté. Ce n’est pas le cas mais il faut se fixer des objectifs.

Mais la publicité, ce n’est pas se priver d’un espace de liberté ? Pourquoi opposer toujours la presse papier avec support en ligne et les pure players ?

La réalité de la publicité, c’est qu’ils prennent ça dans la figure en même temps que le reste : la presse perd 5 ou 6% de lectorat tous les ans et perd en ce moment 12 à 13 % de recettes publicitaires en même temps. C’est aussi une difficulté qui prouve que le modèle de la presse en ligne n’est pas le bon puisqu’on ne récupère pas ces recettes sur ce type de presse. Les pure players sont dans un autre état d’esprit, plus avant-gardiste. Ils sont plus modernes et plus dynamiques, plus innovants.

Ce n’est pas une question de génération, mais on voit bien quand même que la presse papier qui s’intéresse à la presse en ligne, c’est parce que c’est l’idée : “on ne peut pas faire autrement et il faut qu’on s’y intéresse”. Quand ceux qui abandonnent le papier en disant “voilà un nouveau projet”, c’est leur bébé. Pour le papier c’est un bébé de récupération qui dirait “il faut trouver un moyen”. On voit bien qu’ils préfèrent leur presse papier.

Il y a des réussites sur le numérique : Libération, Le Figaro ont quasiment plus de gens qui regardent le numérique. Ils se sont fait une place, leur marque existe sauf qu’ils n’arrivent pas à ce qu’elle soit payée.

Et la PQR ?

Je pense qu’on terminera avec 5 ou 6 journaux, 7 ou 8, de presse régionale. Nous ne pouvons plus empêcher les concentrations de presse – même si on peut les regretter. Ces concentrations de presse ne peuvent intéresser les pouvoirs publics que pour différentes raisons : un journal ce sont des journalistes, une charte de déontologie. S’il ne reste qu’une demi-page de création, ce n’est plus du domaine des pouvoirs publics. Il faut aussi conserver les espaces de liberté. J’accepte la concentration si elle n’entre pas en contradiction avec le pluralisme.

Si la paie se fait à un seul endroit des 15 journaux accrochés, je peux l’entendre. Mais si on me dit que l’éditorial sera le même dans Sud Ouest que dans La Charente libre et qu’à Pau, il n’y aura plus de spécificités régionales. Est-ce au contribuable de payer ces évolutions-là ?

Contrairement à d’autres amis de ma sensibilité, je crois que c’est de l’arrière-garde de dire qu’il n’y aura pas de concentration et qu’il faut les refuser. Parce qu’à chaque refus, le journal finit par mourir. Simplement, il faut des contreparties garantissant le pluralisme. Aujourd’hui c’est le cas dans l’est autour du Crédit mutuel et dans le groupe Hersant tel qu’il est en train de se reconstituer en Normandie. Il faut juste donner de l’argent au bon endroit. La presse quotidienne nationale a reçu beaucoup pour le portage et nous ne savons pas à quoi ils l’ont utilisé ! J’ai quelques idées dans le domaine : on ne peut plus continuer à faire de l’enrichissement sans cause sur du portage qui n’est pas suivi des faits.

Le constat est assez pessimiste. D’où viennent les principaux problèmes ?
La presse prend cher

La presse prend cher

Quelques jours avant le site de l'Assemblée, nous publions le rapport parlementaire sur l'économie de la presse, préparé ...

La presse fançaise est plus aidée que la plupart des presses étrangères et avec un milliard d’euros on arrive à des résultats catastrophiques. On peut se dire que notre ciblage doit pouvoir être amélioré. Puisque c’est sur le milliard d’euros, la presse récréative et des tas de forme de presse en bénéficient pour les deux tiers. Est-ce normal que la presse des programmes télévisés touche autant ? Mon idée, c’est aider bien davantage la presse dite citoyenne à condition de cibler et voir ce qu’ils en font. En retirer aux uns pour donner à d’autres dans des contrats très clairs. En gros, se demander s’il est judicieux de conserver une imprimerie intégrée qui coûte X millions et de ne plus croire ceux qui nous disent que l’argent pour tel ou tel portage a permis d’augmenter le portage de 10% alors qu’il n’a même pas augmenté d’1%.

À partir du moment où on ne vérifie pas, chacun essaye de profiter des effets d’aubaine. Et puis on ne peut pas aider à la fois le portage et la poste pour un même titre ! Par contre peut-être que la presse médicale, c’est à eux qu’il faut donner beaucoup pour la Poste mais aussi leur dire “vos 5% de portage allez voir chez les Grecs !”. Puisque, quand on aide — mal — le kiosquier, le portage et la Poste, on aide trois méthodes qui se concurrencent. Une solution : que chacun vienne nous préciser ce qui l’intéresse pour qu’on puisse l’aider sur un domaine en cessant de verser les aides sur les autres. Parce qu’aujourd’hui, il faut savoir qu’on continue, y compris sur ceux dont l’objectif est le portage, d’aider à la Poste pour 10 ou 20%.

Des “pour” ? Des “contre” ?

De toute façon, il y a beaucoup de gens qui sont pour cet immobilisme : l’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera ! C’est la formule typique de ceux qui ont intérêt à ce qu’il ne se passe rien en se disant que les pouvoirs publics auront la trouille et finiront toujours par donner des sous à un moment donné. Et pendant ce temps-là, on n’aura rien fait pour réfléchir et se moderniser.

Mais j’espère être capable de mettre de mon côté un certain nombre de personnes. Et comme je suis un pessimiste positif je veux positiver et dire que je n’en aurai pas besoin. C’est vrai aussi que si je fais une conférence de presse en disant que, comme rien ne bouge, je ne fais pas le prochain rapport, je peux avoir quelques appuis.

Presstalis a l’air d’être le déclencheur ou en tout cas la catalyseur d’une forme de problème au sein de la presse française. Quelle solution pourrait être apportée ?

Une seule coopérative, c’est suffisant. Les MLP se battent beaucoup sur le sujet, donc la première année il n’y aura pas fusion. Il faut voir si les rapprochements sont assez intelligents pour faire des économies. Mais l’idée que les MLP seraient en très bonne santé alors que Presstalis ne l’est pas est fausse : c’est bien plus compliqué que ça. Et puis ils ont pris ce qui était à peu près rentable en laissant aux autres ce qu’il ne l’était pas… Maintenant je suis prêt à reconnaitre que comme les PME il y a plus de souplesse et de choses intelligentes et qu’ils n’ont pas les problèmes historiques de 30 ans qu’ont les autres. Je ne remets pas en cause cette forme de gestion.

En fait certains éditeurs ayant menacé de passer chez MLP, Presstalis a baissé de 10% ses tarifs et on est en train de revenir — éventuellement — au prix de ce qui était avant, dans une période où il n’y aurait pas eu de concurrence. Deux coopératives en concurrence c’est aberrant. Sinon c’est un système d’entreprises. La fusion des deux, je la pense et la présente comme ça pour affoler tout le monde, mais il faut s’approcher vers ça, avec quand même quelques problèmes notamment au niveau des salaires : les salariés de MLP ne gagnent pas la même chose que ceux de Presstalis. Ils gagnent beaucoup moins et n’ont aucun avantage social. Si on fusionne ou on rapproche, on peut comprendre que les MLP soient affolées de se dire qu’il faudra s’aligner pour les salariés sur le prix le plus haut plus que le plus bas.

Et l’écrémage possible en cas de fusion ?

Si on décide que ce sont deux métiers différents, l’un pour la presse quotidienne et l’autre pour les autres formes de presse, à ce moment-là comme c’est la presse quotidienne qui coûte le plus, on aide les uns et pas les autres. Ou alors on fusionne, on réorganise et à terme il faudra peut-être supprimer 30% de l’addition des deux… Il y a plusieurs pistes. La plus mauvaise c’est de ne rien faire et de dire que ça peut continuer comme ça.

Dans l’ensemble, quelles sont vos priorités ?

Je reste persuadé qu’on ne peut pas laisser mourir la presse papier et que les aides doivent obligatoirement aller vers la presse que j’appelle citoyenne, c’est-à-dire pas forcément celle de l’IPG, mais une partie de la presse quotidienne, la presse hebdomadaire et 2 ou 3 mensuels qui peuvent jouer un rôle dans la réflexion et dans la pensée. Je dis tout le temps — et ça fait hurler — mais pour Gala et Voici par exemple et toute une forme de presse récréative — au demeurant fort intéressante — je comprends moins que le contribuable soit obligé de payer. Ma revue de tennis, les yachts, c’est génial si ce sont vos centres d’intérêts. Je reste persuadé qu’on pourra sauver la presse, aider au portage, au kiosquier, aux marchands de journaux, si les sommes qu’on a là, on les donne un peu moins à d’autres.

Ce qui ennuie mes détracteurs, c’est qu’ils savent que ce sont des dossiers qui m’intéressent depuis longtemps et qu’on ne peut pas me faire avaler n’importe quoi. Une des grandes théories de ces gens-là, c’est de dire que de toute façon on ne pourra pas différencier les formes de presse. Pourtant en 1982 il y avait un taux à 2,10% et un autre à 4. Deux taux différents au sein même de la presse. Ce qui a pu être fait à un moment donné pourra l’être aussi même si c’est plus compliqué. Si Elle vient me voir aujourd’hui en me disant “je considère qu’on a des pages citoyennes” c’est plus difficile de dire non qu’à une période où les choses étaient plus classées. Il n’empêche que pour la presse spécialisée, la presse télévisuelle, cette presse récréative ce sera très simple. Parfois, il faudra qu’il y ait une commission pour trancher.

Ce taux de 2,1% pour l’appliquer à la presse en ligne c’est aussi possible et ce n’est pas une perte de substances pour l’État puisqu’aujourd’hui ça ne représente presque rien. Si ça peut même permettre au développement de la presse en ligne sachant qu’elle coûtera toujours moins chère que la presse papier, alors…

L’objectif, c’est pas de faire la révolution mais une évolution révolutionnaire. Le rôle de l’État c’est d’aider au passage d’une forme de presse à une autre forme de presse sans faire de césure trop importante. On l’a bien compris, il faudra aider encore une presse qui ne correspond plus tout à fait à la réalité mais si on continue à n’aider que les corporatismes pour que rien ne bouge ça ne me paraît pas la bonne solution.


Portrait de Michel Françaix en 2009 par Richard Ying (ccbyncsa) et édité par Owni.

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Sculpteo, impression de révolution industrielle http://owni.fr/2012/11/19/sculpteo-impression-de-revolution-industrielle/ http://owni.fr/2012/11/19/sculpteo-impression-de-revolution-industrielle/#comments Mon, 19 Nov 2012 12:58:59 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=125970

Œuvre d'art imprimée en 3D par Sculpteo, conçue par l'artiste Joshua Harker, photo (CC by nc) Venturebeat

Fondés en septembre 2009 par Eric Carreel et Clément Moreau, Sculpteo propose des services d’impression 3D. La petite entreprise a reçu cette semaine un Best of Innovation Awards 2013, catégorie Software & Mobile app mobile au prestigieux Consumer Electronic Show, raout annuel de l’électronique grand public qui aura lieu dans deux mois à Las Vegas. Il récompense leur 3DPcase, une application qui permet de concevoir des coques d’iPhone personnalisées. Un pied de nez à l’inquiétude sur “le désert français de l’électronique grand public” déplorée dans Le Monde au même moment, relevait Henri Verdier. Toutefois, si story il y a, pour le success complet il faudra attendre 2014 : la société espère être rentable à cette échéance. Et la France n’a pas encore mis le paquet sur cette technique en pleine croissance, contrairement aux Etats-Unis, où Barack Obama a inauguré cet été l’Institut national de l’innovation pour la fabrication additive, National Additive Manufacturing Innovation Institute (NAMII), 70 millions d’investissements dont 30 de l’État.

Retour sur la petite histoire de cette PME avec Clément Moreau, un ingénieur passé par les télécoms, où il développait les logiciels qui font tourner les box Internet ou des téléphones.

L’impression 3D est maintenant un secteur reconnu comme porteur, ce n’était pas aussi évident quand vous vous êtes lancés. Qu’est-ce qui vous a incité à créer Sculpteo  ?

En vérité ? Le fun ! En rencontrant cette technologie dans mon ancienne vie, je me suis dit que c’était tellement fun qu’il fallait vraiment la partager avec plus de gens. Il fallait faire sortir cette petite merveille des labos des grosses sociétés, pour que plus de gens en profitent ! Pas très sage tout ça …

Quelles ont été les principales étapes de votre développement ?

Chiffres-clés

Nombre de salariés : une vingtaine

Rentabilité : prévue pour 2014

Investissement R & D : 1 million d’euros par an.

Nous avons commencé par monter rapidement un site internet très simple, qui permettait juste à l’internaute d’envoyer son fichier 3D, de le visualiser et d’en commander la réalisation. C’est encore un des modes d’utilisation du site sculpteo.com.

Ce site a fonctionné, mais à notre goût il ne remplissait pas complètement la mission que nous nous étions donnée : que la technologie d’impression 3D profite à plus de gens. Pour le grand public, créer son fichier 3D restait trop long et compliqué.

Nous avons alors noué des partenariats avec des fournisseurs de solutions de création simples (Dassault, Autodesk, Tinkercad… ), et nous avons aussi réfléchi au rôle que devaient avoir les designers professionnels.

Pour les autres acteurs de l’impression 3D, la tentation est grande de les faire disparaître au profit d’une communauté d’amateurs, plus ou moins doués et exigeants. Nous pensons au contraire qu’ils ont un rôle fondamental à jouer, et nous avons voulu leur créer des outils pour qu’ils puissent utiliser toute la puissance de l’impression 3D, en proposant par exemple à leurs clients des designs modifiables (des “meta-designs”, pour Jean-Louis Fréchin, fondateur de l’agence NoDesign).

C’est comme ça que nous sommes arrivés aussi dans le développement d’applications mobiles, qui sont des moyens extrêmement simples et efficaces d’interagir avec le design personnalisable.

Parallèlement, nous avons amélioré nos matériaux : plastiques, plâtre coloré, plastiques teintés ou métallisés, résines haute définition (maintenant aussi en finition peinte), plastiques polis, et même des céramiques !

Quelles sont vos perspectives de développement ?

Les matériaux s’améliorent encore, deviennent de plus en plus nobles. Mais ce qui nous passionne le plus actuellement, c’est de voir que de plus en plus d’acteurs veulent utiliser nos outils et notre technologie pour les intégrer dans leurs business (existant ou naissants), et se mettre à commercialiser rapidement des lignes de produits en impression 3D, ou contenant de l’impression 3D, comme des opérateurs téléphoniques, des spécialistes d’objets de décoration ou de l’ameublement, etc. C’est ça la troisième révolution industrielle !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pensez-vous qu’il y ait une bulle autour de l’impression 3D ?

Peut-être, mais rien de comparable avec les dotcoms des années 1999-2000. Par ailleurs, le business d’impression 3D est un business d’objets physiques : des objets imprimés, des imprimantes … tout cela a les pieds bien sur terre, peu enclin aux grosses envolées possibles quand des startups se revendaient les unes aux autres des “visiteurs uniques” !

Que pensez-vous de la politique de la France en matière de soutien aux entreprises innovantes du secteur numérique et en particulier celles qui sont censées porter la troisième révolution industrielle ? Quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre ?

Les gouvernements successifs nous aident déjà bien à travers les statuts de Jeune Entreprise Innovante et le Crédit Impôt Recherche, qui sont deux dispositifs extraordinairement sains : si vous faites de la recherche, l’État en prend un pourcentage à sa charge. Pourcentage suffisamment élevé pour que ça change vraiment la donne, et suffisamment faible pour éviter les labos dont le seul objectif est de ramasser de la subvention, comme cela peut exister avec d’autres dispositifs.

L’accès aux fonds propres des startups doit être par ailleurs facilité et encouragé. C’est vraiment le nerf de la guerre, et l’une des plus grosses différences avec nos amis américains.


Le crâne en illustration est une œuvre d’art imprimée en 3D, conçue par l’artiste Joshua Harker, réalisée avec Sculpteo, photographiée par Venturebeat [CC by nc]modifiée par O. Noor pour Owni

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L’opengov, nouvelle frontière de la Palestine http://owni.fr/2012/11/05/lopengov-nouvelle-frontiere-de-la-palestine/ http://owni.fr/2012/11/05/lopengov-nouvelle-frontiere-de-la-palestine/#comments Mon, 05 Nov 2012 12:54:35 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=125025 Owni s'est entretenu avec Dr Safa Nasser Eldin, la ministre des Télécoms, qui intègre progressivement Open Data et services publics décentralisés aux pratiques du gouvernement de Gaza et de Cisjordanie. Malgré un réseau marqué par le conflit avec Israël.]]>

Depuis 2005, l’Autorité palestinienne travaille à la numérisation de son administration. Aidé par les organisations internationales et certains gouvernements, le ministère des Télécommunications chapeaute un des dispositifs de gouvernement numérique (e-gov) et d’Open Data les plus ambitieux du monde arabe. Aussi bien dans ses objectifs que dans les freins qui s’opposent à sa réalisation.

Invitée pour la réunion de la commission Moyen-Orient—Afrique du Nord de l’OCDE, la ministre des Télécommunications, Dr Safa Nasser Eldin, a accordé une interview à Owni pour détailler la genèse et les développements d’un projet qui, dans les coursives techniques de Ramallah, a survécu aux secousses politiques et guerrières de Gaza et de la Cisjordanie. Ancienne conseillère en charge des services infrastructure, interopératibilité, sécurité et législation des services de e-government de l’autorité, elle travaille désormais à rendre accessible à tous les citoyens palestiniens les services et données publics, via une architecture ouverte et décentralisée.

Comment a débuté l’initiative d’Open Government de l’Autorité palestinienne ?

Au départ, notre projet portait seulement sur du e-government. Nous souhaitions mettre en place du partage de données. Avec l’aide de l’OCDE, nous avons pu prendre contact avec d’autres partenaires pour affiner notre projet : en 2011, douze représentants de l’Autorité palestinienne se sont rendus en Italie pour mieux comprendre le principe de l’opengov et le travail à réaliser pour le mettre en place.

L’autorité palestinienne a également travaillé avec l’Estonie, dont l’opengov est particulièrement développé. En quoi a consisté votre partenariat ?

Nous avons travaillé avec le e-government estonien sur l’architecture de notre système. E-Estonia dispose d’une colonne vertébrale (backbone) décentralisée nommée x-Road autour de laquelle sont articulés tous les dispositifs de gouvernance numérique : partage de données, e-administration, sécurité informatique… Nous avons élaboré avec eux le Palestinian x-Road sur lequel repose notre propre système. Il s’agissait de la première phase de notre projet. Nous avons depuis commencé a travaillé sur la sécurité informatique, en envoyant certains membres de notre équipe se former là-bas. Et, aujourd’hui, nous passons à l’intégration des services en ligne.

Comment avez-vous amené votre administration à jouer le jeu de l’e-government et de l’Open Data ?

L’e-government ne se décrète pas, c’est un processus lent. Nous avons commencé par former des gens dans chaque administration et inviter chaque ministre à disposer de son propre site et de partager autant de données que possible. Il y a eu une vraie réticence sur les données. Pour les sites, le ministère des Télécommunications se charge de l’hébergement, de l’acquisition des noms de domaine et du développement… Au départ, nous avons fait une étude pour chaque administration, que nous leur avons soumise avec des suggestions. Par la suite, une fois mise en place la structure, chacun gère la création des e-mails et la mise en ligne des données ainsi que des formulaires administratifs.

Quelles ont été les conséquences de ce processus pour les citoyens palestiniens ?

Nous avons pu alléger de nombreuses démarches administratives. Le principal problème en Palestine, c’est la circulation. Avant l’e-gov, obtenir un permis de conduire nécessitait de se présenter chez le médecin, au ministère de l’Intérieur, à celui du Transport… ce simple papier pouvait prendre des mois à faire ! Avec l’e-gov, nous avons réussi à centraliser tout sur le site du ministère des Transports, qui est lui-même en contact avec le ministère de l’Intérieur. Résultat, la demande et la délivrance du permis peuvent être faits en une seule journée. Idem pour les passeports. Même si c’est moins populaire, nous avons également pu réaliser un système de paiement des amendes par Internet, là encore en connectant les différents ministères concernés. Au ministère des Télécommunications, nous assurons également un suivi téléphonique des plaintes : si vous déposez une réclamation à propos d’un opérateur téléphonique, vous pouvez vous connecter sur notre site et récupérer un numéro de téléphone où vous serez informé de l’état d’avancement de la requête.

Comment les fonctionnaires bénéficient-ils de la mise en place de e-Palestine ?

Nous étudions actuellement les modalités par lesquels nous pouvons aider les membres du gouvernement à communiquer ensemble, en se basant sur l’esprit des réseaux sociaux. Pour inciter les fonctionnaires à partager, il faut d’abord qu’ils partagent entre eux. Nous cherchons donc des moyens pour faciliter la prise de contact entre les fonctionnaires avec des formulaires de contact et des liens pour qu’ils puissent se joindre directement par chat, mail ou Skype. À l’extérieur, nous avons obtenu de la plupart des ministres aient des pages Facebook. Certains ministères disposent même de deux pages : l’une à destination du public et l’autre à destination des fonctionnaires.

Comptez-vous intégrer les citoyens dans la réflexion sur les politiques publiques ?

Nous travaillons sur un dispositif de concertation publique. Pour certains projets, nous envisageons de mettre le dossier législatif à disposition sur notre site Internet et d’appeler par mail des groupes d’intérêts ou des individus à se prononcer, avec l’idée de publier les contributions sur le site et de les transformer en amendements une fois validés.

En quoi le conflit avec Israël impacte-t-il cette initiative ?

L’une de nos principales difficultés, c’est le secteur des télécommunications lui-même. Nous ne pouvons pas investir dans davantage d’infrastructures et l’équipement que nous souhaitons importer pour améliorer notre réseau est bloqué par Israël. Sur le plan des fréquences, nous sommes également bloqués : nous ne disposons que d’une fraction de bande passante en 2G et pas du tout de 3G. Tout cela complique terriblement nos tentatives de communications par Internet.

Comment couvrez-vous les frais occasionnés par l’e-gov ?

La plupart des ministères couvrent leurs propres frais, ainsi que certaines villes, mais certains ont des accords. Nous avons obtenu quelques financements de l’US Aid, tandis que l’Intérieur a noué des accords avec une ONG allemande. Pour la coopération avec l’Estonie, les Estoniens eux-même ont financé une partie du projet.

Quels sont les développements à venir pour votre initiative ?

Notre principale préoccupation désormais, c’est d’utiliser l’e-gov pour les services publics. Avec la plupart des administrations centralisées à Ramallah, nous souhaitons mettre en place un système de one-stop-shop en nous appuyant sur le réseau des bureaux de poste à travers la Cisjordanie et Gaza. L’idée serait de permettre aux citoyens palestiniens de pouvoir mener leurs démarches depuis un point de contact unique. Nous préparons une “e transaction law” afin de créer un cadre juridique à l’action de l’e-government. Enfin, nous continuons de travailler avec l’Estonie sur les questions de cybersécurité, avec pour objectif la mise en place d’une Computer Respond Team, qui puisse prendre en charge la lutte contre les cyberattaques dont nous sommes l’objet. Pour garantir la bonne marche de l’e-government, c’est devenu une priorité.


Illustration par Cédric Audinot pour Owni /-)

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“Google est un contre-pouvoir politique” http://owni.fr/2012/11/01/google-est-un-contre-pouvoir-politique-huygue/ http://owni.fr/2012/11/01/google-est-un-contre-pouvoir-politique-huygue/#comments Thu, 01 Nov 2012 09:00:26 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=124628

Le géant de l’Internet, Google, est partout. Des révoltes arabes aux négociations avec la Chine, et plus récemment dans le bras de fer qui s’engage avec le gouvernement français soutenu par certains éditeurs de presse. Google parle-t-il d’égal à égal avec les États ? Non, répond en substance Bernard-François Huyghe, chercheur en sciences politiques et responsable de l’Observatoire Géostratégique de l’Information à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Pour le chercheur, “le pouvoir de Google s’exerce par son influence sur les États, son volume financier et l’idéologie portée par son algorithme.”

Ouverture d’un centre culturel à Paris, réception d’Eric Schmidt à l’Elysée : Google donne l’impression de se comporter comme un acteur politique sur la scène internationale.
Lex Google : état des lieux

Lex Google : état des lieux

Oh, les jolis sourires crispés ! Ce lundi 29 octobre, François Hollande, accompagné des ministres Aurélie Filippetti ...

Absolument, Google est un acteur politique et ce n’est pas entièrement nouveau. Google a d’abord le pouvoir d’attirer l’attention. Lorsqu’Eric Schmidt rencontre François Hollande, ce sont des milliards de clics qui font face à des millions d’électeurs. Google est aussi structuré par son idéologie, le “don’t be evil”, soit le gain financier en respectant des normes morales. L’entreprise dispose d’un think tank, Google Ideas, qui lutte contre l’extrémisme et la violence et milite pour l’avènement de la démocratie libérale.

Google entretient aussi des relations proches avec le pouvoir américain, avec la Maison-Blanche. Pendant les révoltes arabes, Wael Ghonim a été l’une des figures en Égypte. En Chine, Google a négocié la censure de son moteur de recherche. Des négociations politiques ! Il a ensuite menacé de se retirer, ce qui a provoqué l’enthousiasme d’Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine.

Dans un rapport d’information à l’Assemblée, des députés notaient l’année dernière que “Google n’est en aucun cas un vecteur d’influence.”

C’est un diagnostic erroné. L’algorithme lui-même est un vecteur d’influence ! Il permet de faire remonter ou non des informations. Google représente parfaitement une forme d’influence douce, de softpower.

À quel autre acteur de cette importance pourrait-on le rapprocher dans le secteur d’Internet ? On entend parfois l’expression Maga : pour Microsoft, Apple, Google et Amazon.

Google est un cas un peu différent des autres entreprises. Apple, Microsoft et Amazon vendent des produits. Google donne principalement accès à l’information, il hiérarchise l’information disponible, même s’il vend aussi des tablettes etc.

Des utopies, ou au contraire des dystopies, ont été écrites sur l’avènement des géants du web comme Apple ou Google au niveau des États. Le pouvoir d’influence de Google est-il une prémisse de ce changement radical ?
Blackout sur l’Internet américain

Blackout sur l’Internet américain

Pour protester contre une loi anti piratage, des sites américains, dont Wikipédia, sont aujourd'hui inaccessibles. Un ...

Les entreprises produisent des normes techniques qui influent sur le pouvoir politique. Ce n’est pas une coïncidence si la Chine essaie de reproduire un Google chinois. Le défi est de conserver la souveraineté et le contrôle. Les géants d’Internet ne produisent pas des lois au sens classique, mais ils ont une capacité d’influence grandissante en s’opposant aux gouvernements.

Sur la propriété intellectuelle, de grandes entreprises se sont mobilisées pour bloquer les projets de lois SOPA, PIPA… Google et les autres sont des contre-pouvoirs politiques et non des pouvoirs politiques. Ils ne remettent pas en cause la souveraineté étatique à ce jour.

Ce rapport au politique change-t-il le sens de la souveraineté ? Google ne dispose pas d’un territoire sur laquelle exercer sa souveraineté.

Internet dans son ensemble pose la question de la souveraineté, de l’autorité suprême sur un territoire. Les États ont des difficultés à contrôler les flux : les flux d’informations comme l’a montré la tentative récente d’adapter Twitter au droit français, et les flux financiers. Le bénéfice de Google en France, environ 1,4 milliard, se joue des frontières.

Les outils de souveraineté classique ne sont pas très efficaces. Le pouvoir de Google s’exerce par son influence sur les États, son volume financier et l’idéologie portée par son algorithme.


Photo par Spanaut [CC-byncsa]

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Big brother le Lab http://owni.fr/2012/10/27/laboratoire-big-brother/ http://owni.fr/2012/10/27/laboratoire-big-brother/#comments Sat, 27 Oct 2012 07:54:29 +0000 Julien Goetz http://owni.fr/?p=124276 "Sous Contrôle" : comment un art comme le théâtre s'empare d'un sujet comme la surveillance ? Comment s'hybrident, sur une scène, un imaginaire et la réalité d'une déviance de nos sociétés ? Quid des humains dans une société sous contrôle - et de quel(s) contrôle(s) parle-t-on ? Entretien avec Frédéric Sonntag, auteur et metteur en scène de la pièce.]]>

La (vidéo)surveillance, on l’aime bien. C’est un peu comme un animal de compagnie avec qui l’on se promène pendant d’interminables semaines. On finit par ne plus bien savoir qui est au bout de la laisse de l’autre et on ne le voit pas changer. Heureusement, ici chez Owni, notre Manhack national ou la fureteuse Sabine, entre autres, gardent l’œil ouvert – et le bon – toujours prêts à pointer, comptabiliser, dénoncer les installations massives et autres comportements sécuritaires absurdes.

Alors, lorsque l’on découvre une pièce de théâtre intitulée Sous Contrôle, qui veut dresser le portait “d’un univers de surveillance généralisée et de ses conséquences sur la population : paranoïa permanente, trouble identitaire, confusion entre réalité et fiction”, forcément, ça nous interpelle.

Rencontre avec Frédéric Sonntag, auteur et metteur en scène du projet.

Sur le plateau, un décor : 9 caméras (de surveillance, traditionnelles, mobiles) presque toutes invisibles, 4 écrans “traditionnels” (écran de surveillance, télévision) et deux éléments de décors servant aussi de support de projection (murs et rideaux). De quoi mettre en scène un réel surveillé, un coin de futur qui déraille dans un glissement progressif.

Frédéric Sonntag :

J’avais particulièrement envie de travailler sur le genre de l’anticipation notamment en prenant comme sujet la société de surveillance. J’ai donc choisi d’aborder la question du contrôle et peut-être plus généralement la question du regard dans cette société de surveillance. Qui regarde qui ? Qui est regardé par qui ? Cette question du regard est forcément politique.

Quelles seraient les conséquences sur le comportement, sur les identités, sur les personnes, d’une tendance à un regard absolu, à une visibilité absolue, à une transparence absolue ?

Avec l’anticipation, je ne prétends pas décrire le monde dans lequel on vit, je crée une fable où je décris un monde et cela me permet d’autant plus de faire des liens. À chacun de se positionner ensuite en se disant “on est encore très loin de ça” ou au contraire “on est déjà au-delà de ça”. Cela permet à chacun de se positionner dans son regard de spectateur. L’anticipation permet de trouver la bonne distance.

Frédéric Sonntag

Pour raconter cette histoire, le format est fragmenté, filmique, jusque dans l’écriture. Il est annoncé : “22 séquences pour une vingtaine de personnages”. Un choix qui n’est pas une posture esthétique mais une volonté de récit.

Très vite est venue l’idée d’une dramaturgie éclatée qui me permettrait de promener les spectateurs à l’intérieur d’un monde, d’un univers que l’on découvrirait à partir de ces séquences là. On est amené, par ces différents symptômes (les séquences) à se demander : comment fonctionne le reste de cette société si nous n’en voyons que ces éléments parcellaires ?

La dramaturgie elle-même fonctionne comme si on était derrière un écran de contrôle et que l’on passait d’une fenêtre à l’autre, d’un fragment à l’autre. La construction même de la pièce est celle d’un panoptique. L’intérêt du fragment est que forcément l’on s’interroge sur la totalité, sur le reste que l’on ne voit pas.

Vers où donc mène ce jeu ? L’hypothèse, comme un “et si…” enfantin, est posée : les comportements humains font le reste. L’écriture de Frédéric Sonntag et l’équipe d’AsaNIsiMAsa donnent la dynamique et l’on voit, sur le plateau, s’opérer croisements, dérives et collisions.

Vers où glissent les personnages dans cette fable d’une société de surveillance ?

Dans les comportements humains, cela crée quelque chose qui est de l’ordre d’une angoisse permanente, d’une tension qui est : comment la peur est présente ? Comment cette question du regard produit de la peur ? Alors que le regard est censé rassurer. C’est tout ce paradoxe du regard d’ailleurs qui est ce par quoi on existe – on a besoin du regard de l’autre pour exister – et en même temps qui est quelque chose qui nous angoisse absolument.

C’est pour cela que l’on a des rapports ambigus face au regard. Comme ce personnage qui dit qu’elle a besoin d’avoir quelqu’un qui la regarde. Finalement, peut-être que ce qui est encore plus angoissant qu’un regard absolu, ce serait l’absence totale de regard ?

On discerne vite, entre les lignes du récit, que les dispositifs de contrôles sont multiples, les caméras de surveillance n’en sont que l’excroissance la plus visible. La surveillance s’étend d’une manière bien plus insidieuse et commune. Les caméras, les écrans, les technologies ne sont pas le sujet même du récit, ils sont des éléments de l’action, des parts agissantes du décor.

L’enjeu de la surveillance est ailleurs et bien plus proche de nous.

On participe toujours d’une façon plus ou moins consciente à ces dispositifs. Le personnage qui s’auto-contrôle nous raconte son histoire en nous disant : “je ne voulais pas vraiment mais je n’avais pas trop le choix, il y avait d’abord une question d’argent derrière, il fallait que je m’en sorte…” On sent que la question est beaucoup plus complexe que de participer ou pas à la chose à laquelle il ne voulait pas participer. Au final comment s’est-il retrouvé embarqué dans tout un système dont il n’arrive même plus à se sortir ?

La colère de ce personnage est dirigée contre le dispositif qui avait été très bien pensé et contre lui-même qui s’est laissé avoir par ce dispositif et en se disant “je ne pouvais pas vraiment faire autrement que de participer à ce dispositif là”.

Il n’y a pas une entité, une personne ou même un pouvoir, qui serait le grand manipulateur de tout cela. On a l’impression qu’un ensemble de personnes produisent ces dispositifs dont eux-mêmes vont être les victimes. Personne n’est à l’abri d’une forme de paranoïa ou de peur qui génère des comportements particuliers, sécuritaires.

Et partant de là, émerge avec un naturel effrayant, la question de l’auto-contrôle.

Comment ces dispositifs arrivent à générer un mode où, soi-même, on rentre dans un dispositif où il faut faire attention, se surveiller et devenir son propre flic ?

Par la responsabilisation, par la culpabilité sans doute. Insidieusement on en arrive soi-même à contrôler ses propres comportements, ses propres actions, ses propres habitudes.

Au fil des séquences, “Sous Contrôle” nous emmène donc explorer les symptômes de cette société de surveillance, aussi absurde que tragique. Des situations qui n’ont pas été créés ex-nihilo. Le jeu ici consiste à pousser le curseur un peu plus loin ou à le décaler légèrement mais la réalité, celle hors-plateau, infuse dans l’histoire.

La torture par le son par exemple, la prise de contrôle des émotions par le son, ça provient de cas concrets. J’ai appris qu’à Guantanamo, on avait imposé à des prisonniers, 24h/24 le même tube ou la même chanson, comme une torture sonore. Il y avait Metallica, Britney Spears, Nine inch nails. J’avais en tête aussi la faction “armée rouge” qui avait subie une torture par l’absence de son. Il y avait des cellules complètement capitonnées où tu n’entends plus aucun son, juste celui de ton propre coeur et cela rend fou au bout d’un certain temps.

Il y a aussi le monologue d’ouverture qui est relié au syndrome “Truman” apparu aux États-Unis, en rapport avec le film “The Truman Show”. Ce sont des personnes atteintes d’une forme de paranoïa avancée puisqu’ils sont persuadés qu’ils sont les personnages d’une série télé ou d’une télé-réalité et qu’ils ont le réflexe d’aller voir des chaines de télévision ou de se rendre dans des commissariats pour dire “faut arrêter de me filmer, faut arrêter les caméras”.

Dans cet univers, où Orwell, K. Dick et Kafka s’entremêlent, l’horizon n’est pourtant pas sombre, ni clos. Les personnages, certains en tout cas, tentent des sursauts pour enrayer l’engrenage, détourner le signal. Parfois en vain, l’écriture s’enroulant alors sur cette thématique paranoïaque où s’enchaînent les évidences logiques…

…et à d’autres moments, ces tentatives ouvrent des possibles et étrangement le salut, l’ailleurs, est au cœur de chaque personnage, dans l’un des derniers territoires où la prise de contrôle se joue : leur cerveau.

Je mets souvent en scène des personnages qui, dans un univers de catastrophe, tentent des espaces de résistance. Entre participer à ce monde hostile et être contre, souvent les personnages créent une troisième solution qui est de créer leur propre espace. Ils se rendent compte qu’en étant contre le système, ils participent au système. Plus ils sont “contre”, plus le système les récupère, ils sont toujours à l’intérieur de ce même système. Ils ne peuvent pas y échapper car, même en étant contre lui, ils sont à l’intérieur.

Le système ne demanderait qu’une seule chose, c’est justement que l’on rentre en rébellion contre lui, donc à partir de là, il faut trouver une espèce de brèche pour se construire son propre espace, sa propre utopie et trouver le moyen d’échapper à ce regard là.

Donc mes personnages essaient de trouver des “ailleurs”, ils essaient de fabriquer des petites utopies personnelles, individuelles ou collectives. Des zones à l’intérieur du monde. C’est une façon de trouver un exil mais à l’intérieur du monde. Il y a quelque chose de l’ordre d’un territoire que ces personnages essaient de fabriquer. C’est une façon de reconstruire un réel qui leur appartient.

Ici, un des espaces possibles, au milieu d’une fictionnalisation générale, de la spectacularisation générale, plutôt que de revendiquer un retour au réel, leur moyen d’y échapper est de générer ses propres fictions. Il y a des fictions qui peuvent être génératrices de possibles.

Étrangement, une fois une certaine frontière passée, plus on avance dans la pièce plus on semble quitter l’anticipation et se rapprocher de notre présent. Comme si l’écriture manipulait le temps et après nous avoir éloigné, nous ramenait au bercail. Comme cette avant-dernière séquence jubilatoire où une banale déclaration de perte de carte d’identité bascule vers une perte totale d’identité face à une administration ivre de son propre pouvoir de contrôle.

Au plus près de nous, la surveillance redevient alors cet animal de compagnie qui nous suit. Ou nous guette.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photo et couverture par Bertrand Faure ; Capture et vidéo par la compagnie AsaNIsiMAsa.

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CETA : “il n’est pas encore temps de dire si je voterai pour ou contre” http://owni.fr/2012/10/16/ceta-pas-encore-temps-de-dire-si-je-voterai-contre-marietje-schaake-interview/ http://owni.fr/2012/10/16/ceta-pas-encore-temps-de-dire-si-je-voterai-contre-marietje-schaake-interview/#comments Tue, 16 Oct 2012 14:38:03 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=122768

ACTA est mort, vive CETA. Ou pas. Accusé de servir de backdoor au traité anti-contrefaçon rejeté cet été par le Parlement européen, le projet d’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne est dans le viseur des militants des libertés numériques et des opposants au libéralisme effréné. Le treizième round de négociations s’est ouvert ce lundi et le calendrier sera court, avec un vote du Parlement européen attendu “entre trois et six mois”, selon le porte-parole de La Quadrature du Net Jérémie Zimmermann, un des fers de lance de la lutte.

L’eurodéputé hollandaise Marietje Schaake (Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe) était de ces élus qui s’étaient élevés avec vigueur contre ACTA.  Pour le moment, sa position est réservée.

Vous étiez assez prudente cet été quand  Michael Geist a expliqué que CETA servait de cheval de Troie d’ACTA. Depuis, le texte a évolué, mais certains, comme La Quadrature du Net, continuent de mettre en garde contre le projet. Votre point de vue a-t-il changé et rejetterez-vous l’accord ?
CETA craindre

CETA craindre

Accusé d'être un cheval de Troie du défunt traité anti-contrefaçon ACTA, l'accord commercial CETA (entre Canada et UE) ...

Il est important de comprendre ce qu’est CETA, un accord de libre-échange complet entre le Canada et l’Union européenne. Cela signifie qu’un certain nombre de sujets sont en train d’être discutés des deux côtés, des sables bitumineux au réglement de conflits entre états et investisseurs, en passant par les visas de libre circulation pour les Européens de l’Est, etc., et il n’est pas encore temps de dire si je voterai pour ou contre.

Nous en sommes actuellement en train de faire passer le maximum de points de ce traité que nous estimons importants pour les citoyens européens, les consommateurs et les entreprises.

Cela inclut mon attention particulière sur la façon dont le droit de la propriété intellectuelle est reflété dans l’accord proposé. Je pourrai dire seulement à la fin de la procédure si je pense que cela nuira aux Européens ou leur sera bénéfique.

Allez-vous demander que le texte soit rendu public ?

Jusqu’à présent, seuls des brouillons ont été fuités, ce qui n’est pas une situation idéale. Certaines personnes se réfèrent à des versions dépassées et suscitent ainsi de la confusion.

Je suis une grande partisane de la transparence mais je pense qu’il est important de comprendre qu’il peut exister des raisons légitimes de négocier sans révéler les textes en amont. Cela peut saper la négociation et dans le cadre d’un accord commercial, il est largement accepté que les enjeux économiques peuvent être si élevés qu’il est important de ne pas affecter les bourses, par exemple. Ceci dit, je pense qu’il est néfaste d’abuser de la confidentialité dans les négociations des accords de commerce. Dans le cas de l’ACTA, j’ai toujours défendu le fait que cétait une loi imposée de force et non un traité.

Quelle est la position actuel des autres eurodéputés ? Se sont-ils emparés du sujet ?

Mes collègues, comme moi, sommes concentrés sur de nombreux aspects de CETA, nous sommes au milieu du gué et chacun est attelé à résoudre les points problématiques. C’est une façon normale de travailler. J’ai demandé des garanties à la Commission européenne pour que des mesures similaires à ACTA ne soit pas introduites. Elle m’a assuré que ce ne serait pas le cas. Je leur laisse le bénéfice du doute.

Que pensez-vous de la position de la Commission européenne, qui d’abord refusé de commenter la fuite, puis a communiqué tout en refusant de montrer le brouillon ?
Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Un traité commercial, Acta, propose d'entériner la vision du droit d'auteur des industries culturelles à l'échelle ...

Je sens que, parmi de nombreuses personnes à Bruxelles, la campagne anti-ACTA a soulevé de nouvelles inquiétudes. Je crois qu’il est important de travailler ensemble, société civile, monde des affaires, Parlement européen, pour élaborer des législations constructives, par exemple réformer l’application des droits sur la propriété intellectuelle en Europe. En revanche, contester ce qui est déjà sur la table n’est pas la seule solution.  Il ne serait souhaitable pour personne que la peur d’une réaction des pouvoirs publics engendre des retards dans les propositions de politique publiques bénéfiques pour les citoyens européens.


Portrait de Marietje Schaake CC Flickr ALDEADLE by nc sa

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L’Uruguay tente l’Open Data à la demande http://owni.fr/2012/10/12/uruguay-tente-open-data-a-la-demande-quesabes/ http://owni.fr/2012/10/12/uruguay-tente-open-data-a-la-demande-quesabes/#comments Fri, 12 Oct 2012 07:00:26 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=122312 à la demande des citoyens. Lancé par une ONG militant pour l'accès démocratique aux données, QueSabes.org expérimente le concept en Uruguay. Interview d'un des initiateurs du projet, qui espère responsabiliser les politiques à coups de données ouvertes.]]> Lock in Hand - Photo CC by-nd Matt Dringenberg

Lock in Hand - Photo CC by-nd Matt Dringenberg

Quand nous sommes tombés sur QueSabes.org, nous avons cru quelques jours que l’Uruguay se positionnait en pointe du mouvement Open Data en Amérique du Sud. Ce n’est qu’après avoir discuté avec l’un des fondateurs de cette plate-forme que nous avons compris qu’il s’agissait là d’une initiative citoyenne  : demander aux Uruguayens les données qu’ils souhaitaient voir publier pour relayer ces doléances aux pouvoirs publics. Avocat de formation, enseignant-chercheur à la London School of Economics, le natif de Montevideo Fabrizzio Scrollini nous a exposé le projet qui l’anime depuis qu’il a découvert l’Open Data à l’anglaise.

Owni : comment est née l’idée du projet”Que Sabes.org” ?

Fabrizzio Scrollini : En m’installant à Londres, j’ai découvert les projets d’Open Data comme My Society et la Open Knowledge Foundation, qui impliquaient les citoyens dans le mouvement Open Data. De retour en Uruguay, j’ai réalisé qu’il y avait un terreau favorable pour ce type d’initiative : des programmeurs de la communauté du logiciel libre, des avocats et des chercheurs en sciences humaines s’intéressaient à l’impact de l’Open Data et voulaient en faire profiter le pays. Nous avons ainsi lancé DATA, une sorte d’ONG sous forme associative, composée de 35 bénévoles, une moitié de développeurs et une autre de scientifiques et de juristes. Le plus vieux à 35 ans ! Certains sont restés au pays, d’autres travaillent en Europe ou aux Etats-Unis : tout s’est monté par Skype et Google Chat ! Que Sabes.org est notre premier gros projet.

Tout s’est monté par Skype et Google Chat !

Pourquoi avoir choisi l’Uruguay pour lancer cette première initiative ?

Pour commencer, une partie des membres fondateurs de DATA sont originaires de ce pays (même s’il y a aussi des Anglais et des Américains, notamment). Ensuite, le pays a des caractéristiques intéressantes pour un tel projet : l’accès au web est supérieur à la moyenne (56%), il y existe une tradition forte de défense des droits de l’homme et elle constitue un bon terrain d’expérimentation à petite échelle avant de s’attaquer à de plus grandes zones géographiques.

Comment fonctionne Que Sabes ?

Le portail propose à chacun de déposer des demandes de données et de consulter celles qui ont déjà été déposées et transmises aux autorités. Le fait de pouvoir consulter les demandes déjà déposées est en soi une révolution car, du côté des pouvoirs publics, il n’y a aucun moyen de connaître le nombre de demandes et leur nature. Nous ne censurons rien mais nous excluons de la recherche les messages insultants pour l’Etat, ce n’est pas notre propos. En une semaine, nous avons reçu une centaine de demandes mais, au vu des statistiques, nous pensons que la cadence doublera assez vite. Une vingtaine portait sur la criminalité, beaucoup également sur la santé et le logement. D’autres sont plus “piquantes”, comme les questions portant sur le salaire des fonctionnaires. Mais nous ne jugeons pas les demandes, nous les prenons telles quelles.

Nous ne jugeons pas les demandes, nous les prenons telles quelles.

Quelle lien entretenez-vous avec les autorités ?

Nous avons des contacts informels avec des agents qui sont plutôt favorables à l’Open Data. En revanche, quand nous faisons des demandes aux administrations, les attitudes sont très variables. La mairie de Montevideo est très réticente malgré sa politique d’Open Data : les avocats de la ville réclament que chaque demande passe par un formulaire à télécharger en PDF sur leur site à déposer aux heures d’ouvertures de leurs bureaux. Pour ceux qui habitent à plus de 200 kilomètres de la capitale, c’est un peu compliqué ! Le National Service Office qui est chargé de la rémunération des fonctionnaires est tout aussi procédurier. A l’inverse, la présidence de la République s’avère particulièrement coopérante. Nous devons donc jouer avec son champ de compétences pour trouver les données que nous cherchons : nous avons pu récupérer grâce à elle des données sur la sécurité routière, l’environnement ou la criminalité. Il faut se frayer un chemin dans les prérogatives de chaque administration et ça rend la recherche et l’obtention des données parfois délicate. Mais il est essentiel d’être en contact avec les autorités car ce sont elles qui fixent les standards techniques et les formats des données dont nous relayons les demandes.

Les avocats de la ville réclament que chaque demande passe par un formulaire à télécharger en PDF sur leur site à déposer aux heures d’ouvertures de leurs bureaux.

L’Uruguay dispose-t-il d’une législation pour favoriser l’Open Data ?

La loi 18-381 d’octobre 2008, ou ley de acceso a la informacion publica, garantit théoriquement l’accès libre des citoyens aux données publiques. Sauf qu’en pratique, la tournure juridique uruguayenne a tendance à dénigrer les citoyens et leurs exigences. L’agence de e-gouvernement qui est chargée de son application est favorable à notre initiative  : elle nous a même prêté ses locaux pour le lancement officiel ! Mais le reste de l’administration n’est pas forcément au même niveau.

Quelle relation avez-vous avec le tissu des ONG sud-américaines  ?

Il y a une rupture très nette entre organisations à l’ancienne et organisations nées de l’essor des communautés numériques. Nous espérions pouvoir combler l’écart car les dissonances que provoque cette rupture ne sont pas favorables à des projets à l’échelle du continent. L’ONG uruguayenne Centre d’archivage et d’accès à l’information public (ou CAinfo) nous soutient depuis le début et nous avons également reçu les encouragements de l’Unesco.

Il y a une rupture très nette entre organisations à l’ancienne et organisations nées de l’essor des communautés numériques.

Quelles sont vos sources de financement  ?

Nous sommes tous bénévoles et nous mettons de notre poche pour les frais que génère le projet. Notre seule dépense réelle pour le moment a consisté à faire venir à Montevideo des activistes du Brésil, du Chili et d’Espagne pour le lancement de QueSabes.org. Quant au logiciel, il s’agit de Alaveteli, un programme open source développé par Francis Irving en Angleterre et qui fait tourner d’autres plates-formes du même type, comme What do they know. Nous avons pour projet de nous constituer en coopérative afin de garantir notre indépendance financière, ce qui est crucial au regard de notre projet.

Quels développements prévoyez-vous pour QueSabes.org ?

Que Sabes vise un projet de sensibilisation civique. Nous voudrions pouvoir offrir des stages aux jeunes pour leur apprendre à demander et trouver les informations qu’ils cherchent, en s’appuyant sur le programme One laptop per child, qui leur offre l’outil de base de leur recherche : un accès à Internet. Si nous réussissons notre expérience en Uruguay, nous envisageons de le répliquer au Paraguay voire dans des états d’Argentine… Toujours dans une démarche ouverte et coopérative. Il y a énormément de place pour les projets collaboratifs en Amérique latine.


Lock in Hand – Photo CC [by-nd] Matt Dringenberg

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Monopole sur les idées http://owni.fr/2012/10/02/monopole-sur-les-idees-brevet-logiciel-interview-richard-stallman/ http://owni.fr/2012/10/02/monopole-sur-les-idees-brevet-logiciel-interview-richard-stallman/#comments Tue, 02 Oct 2012 10:57:40 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=121461

Richard Stallman dans la rédaction d'Owni.fr le 1er octobre 2012 - (cc) Ophelia Noor

Le brevet logiciel est un enjeu important pour les libertés numériques et l’économie mais malheureusement moins mobilisateur pour le grand public que la Hadopi ou Acta, en dépit du spectaculaire conflit qui oppose Apple et Samsung.

C’est dans une relative indifférence que le projet est de retour au niveau européen, via un texte sur le brevet unitaire visant à unifier le système des brevets dans l’UE. La commission des affaires juridiques (JURI) en discutera le 11 octobre puis négociera avec le conseil avant le vote final. Le monde du logiciel libre est sur le pied de guerre pour dénoncer une remise à plat du système actuel dans le mauvais sens, avec une campagne de lobbying menée par l’association April.

Richard Stallman, précieux radoteur

Richard Stallman, précieux radoteur

Le pape du logiciel libre a donné une conférence ce jeudi à Paris sur le thème ”Logiciels libres et droits de ...

Complexe, la question de la brevetabilité du logiciel divise encore. Ils sont interdits dans les pays signataires de la convention sur le brevet européen de 1973, dites convention de Munich, approuvé par tous les pays de l’UE. Avec plus ou moins de laxisme d’un pays à l’autre. Dans les faits, le contesté Office européen des brevets (OEB) en a déjà attribué. Et dans tous les cas, le code est soumis au droit d’auteur.

Pour sensibiliser sur ce sujet, le gourou du logiciel libre Richard Stallman donnera une conférence ce mercredi à à l’ESIEA à Paris à partir de 19 heures, vêtu de son costume de lobbyiste à sa sauce un peu nerd lunatique. Nous lui avons demandé d’éclaircir les enjeux. Et nous avons aussi un peu trollé, des deux côtés.

Le brevet logiciel, c’est une lutte des partisans du libre ? Ou dépasse-elle ce milieu ?

Chaque brevet est un monopole imposé sur l’utilisation d’une idée. Avec un brevet informatique, n’importe quel programme peut être interdit. Tout développeur est une victime potentielle des brevets informatiques. Ils servent aussi à interdire des objets physiques mais c’est autre chose. Car fabriquer un objet physique avec des circuits est beaucoup plus difficile, cela exige une entreprise plus grande, il y a donc moins de brevets applicables.

Les non-développeurs sont aussi restreints car sans savoir coder, on peut assembler des programmes, la combinaison peut être brevetée. Il y a des actions que presque tout le monde fait, comme écouter un fichier mp3, mais le mp3 est breveté et tout programme qui n’a pas l’autorisation d’utiliser des fichiers mp3 peut être sanctionné. Il y a le risque de ne pas trouver un programme à utiliser ou seulement de mauvaise qualité.

Et les entreprises qui ont fait le choix du logiciel propriétaire…

[Il nous coupe] Privateur.

… du logiciel privateur sont aussi concernées ?

Oui, elles sont aussi en danger. Les utilisateurs commerciaux peuvent aussi être pris dans un procès. N’importe quelle personne faisant de l’informatique est plus ou moins en danger. Le danger est surtout grave dans ce domaine car on agrège beaucoup d’idées dans un programme, un grand programme peut facilement implémenter des milliers d’idées. Si 10% des idées sont brevetées, cela signifie des centaines de procès potentiels contre le développeur, les distributeurs, les utilisateurs commerciaux.

Voilà huit ans, un avocat américain a étudié le noyau Linux utilisé dans le système d’exploitation GNU et Linux. Il a trouvé 283 brevets informatiques qui seraient violés par ce code. Une revue a publié dans le même temps que le noyau faisait environ 0,25 du système entier, soit 100 000 procès potentiels.

Pour vous, les brevets logiciels sont “le plus grand danger qui menacent le logiciel libre”. Que mettent-ils en danger précisément pour la communauté du libre ?

Le danger est qu’un programme libre ne soit plus disponible pour le public, chassé par des menaces de procès ou même qu’il ne sorte pas. S’il sort, il pourrait être attaqué après. Par exemple le premier programme libre capable de gérer les fichiers mp3, BladeEnc, a été éliminé par une menace de brevet. Aujourd’hui, nous avons des programmes libres qui sont distribués, mais pas partout, entre les distributions GNU et Linux. Beaucoup ne les offrent pas par peur des procès. Donc elles ne contiennent rien ou un programme privateur injuste.

Quelle est votre “plan de bataille” ? Êtes-vous optimiste ?

Il est difficile d’avoir un plan de bataille car l’ennemi est plus puissant, nous devons réagir aux attaques. Il repousse toujours les plans, cela nous laisse du délai, ce qui est bon. Mais c’est lui qui choisit le calendrier, pas nous. Mais je ne suis pas le général en chef, j’essaye d’aider ceux qui s’en occupent en Europe. J’apporte mon concours en faisant des conférences, des entretiens…

Avec qui ?

C’est une question absurde !

Vous pouvez vous entretenir avec des eurodéputés pour faire du lobbying…

Non, je ne les vois pas souvent, je le ferais s’ils voulaient. Je viens de donner des conférences à Bruxelles mais le Parlement n’était pas là.

Êtes-vous confiant ?

Je suis pessimiste par nature. Mais qu’importe mon point de vue, le résultat dépend de vous, de votre volonté de lutter. Cette tendance chez les journalistes à poser des questions sur le futur est une erreur. Il ne faut pas demander comment sera l’avenir mais comment pouvons-nous nous assurer un bon futur.

On publie des interviews pour exposer votre point de vue…

Oui, cela peut aider, mais comment sera le futur, bien sûr je ne sais pas. Mais maintenant, il est impossible de ne pas voir le danger avec tous ces grands procès sur de nombreux brevets entre les plus grands fabricants du monde. C’est la fin de la drôle de guerre, c’est la vraie guerre que nous avions prévue il y 20 ans.

De quelle législation l’UE devrait-elle s’inspirer ?

Je proposerai une loi pour que les programmes ne soient pas sujets aux brevets, quels que soient les brevets et que ce soit dans le développement, la distribution ou l’exécution. C’est la solution complète. L’Office européen des brevets a déjà octroyé beaucoup de brevets informatiques et estime qu’ils sont valables. Que faire ? Il y a deux options. On peut légiférer contre l’octroi de brevet et dans ce cas, il reste les brevets existants qui ont une durée de vie de 20 ans. Cette solution serait efficace mais il faudrait attendre longtemps.

Ma solution résoudrait immédiatement le problème. Les entreprises qui ont déjà déposé des brevets pourraient toujours faire des brevets sur les implémentations fixes sur des circuits de la même idée mais pas contre l’utilisation des ordinateurs généraux.

Il est difficile de comprendre ce sujet pour les non informaticiens. Ils supposent que les brevets fonctionnent comme le droit d’auteur mais en plus fort. C’est une conception nébuleuse et fausse. Ils s’imaginent cela à cause de l’expression idiote de “propriété intellectuelle” qui essaye de généraliser au droit d’auteur les brevets plus ou moins dits d’autre lois qui n’ont rien à voir dans la pratique. Ils pensent à tort que ces lois présentent un point commun important.

Richard Stallman dans la rédation d'Owni le 1er octobre 2012 -(cc) Ophelia Noor

Si vous écrivez un programme, le droit d’auteur vous appartient dessus, vous ne pouvez pas copier le code d’un autre programme privateur, et comment le copier sans le voir ? Donc vous ne courez pas le risque d’un procès pour violation du droit d’auteur. Mais les idées que vous avez implémentées dans votre code peuvent facilement être brevetées par d’autres. Or vous pouvez avoir la même idée indépendamment, ou en entendre parler, il y a beaucoup de manière d’implémenter une idée déjà brevetée par une autre personne. Le brevet met en danger celui qui écrit le code, contrairement au droit d’auteur.

J’utilise l’analogie entre les programmes et les symphonies. La symphonie est une œuvre assez grande qui contient beaucoup de notes et implémente beaucoup d’idées ensemble. Mais pour implémenter les idées musicales, il ne suffit pas de dresser une liste d’idées et de la présenter. Il faut écrire la partition, choisir beaucoup de notes, c’est l’étape difficile qui exige du talent.

Imaginons qu’au XVIIIe siècle des États européens aient voulu promouvoir le progrès de la musique symphonique en imposant un système de brevets musicaux : sur la forme d’un mouvement, un motif mélodique, rythmique, une série d’accords, l’utilisation de tels instruments ensemble. Vous êtes Beethoven et vous voulez composer une symphonie, il serait plus difficile de le faire de façon à éviter un procès que de produire une belle œuvre. Même un génie ne peut pas ne pas utiliser des idées déjà anciennes. C’est la même chose dans l’informatique.

Plus de 450 entreprises ont signé une lettre pour s’opposer au projet de brevet unitaire et au brevet logiciel. Parmi les acteurs concernés, qui est pour, qui est contre ?

Je ne sais pas, mais Twitter a fait quelque chose de très intéressant : le contrat des employés indique qu’ils doivent se limiter à des brevets défensifs, c’est une avancée, cela montre que n’importe quelle entreprise peut le faire. Voilà 20 ans que je propose cela. Beaucoup d’entreprises demandent à leurs employés de déposer des brevets. Mais comment savoir que dans 10 ans ce brevet n’appartiendra pas à un troll ou Apple et ne sera pas utilisé à des fins agressives ?

Avez-vous le sentiment que la politique menée par la nouvelle majorité de gauche en matière de libertés numériques et de partage de la culture est meilleure que celle de l’ancienne majorité ?

Il serait très difficile de faire pire ! J’ai entendu dire qu’ils pensent supprimer la Hadopi, ce serait très bien car la Hadopi est l’ennemi des droits de l’homme. Tant qu’elle existe, les citoyens français ont le devoir de maintenir des réseaux sans mots de passe (Richard Stallman déteste les mots de passe dans l’absolu, NDLR). C’est une forme de résistance contre l’enrôlement forcé comme soldat dans la guerre injuste contre le partage.

Lors de votre conférence à la Villette ce week-end, vous avez dit, entre autres, “Seuls des hommes sans principes sont prêts à sacrifier leur liberté pour un peu de commodité”. Pensez-vous que ce soit le bon argument pour convaincre ma mère de passer au logiciel libre ?

Oui ! D’abord, que fait votre mère, je ne la connais pas, est-elle informaticienne ?

Non, il n’y a pas beaucoup de mamans informaticiennes…

Oui, dans les années 60, il y en avait… Seuls les arguments éthiques peuvent avoir une influence sur ceux qui ne sont pas intéressés par la technique. Pas besoin d’être technicien pour comprendre le pouvoir injuste dans la vie. Dans le logiciel, il n’y a que deux possibilités pour les utilisateurs : soit ils ont le contrôle du programme, soit le programme les contrôle. Le premier cas s’appelle le logiciel libre, les utilisateurs disposent des quatre libertés essentielles (exécuter le programme, l’étudier et l’adapter à ses besoins, le redistribuer, l’améliorer et en faire bénéficier la communauté, NDLR) le second est le logiciel privateur.

Mais si j’explique ça à ma maman, elle va me dire “ok mais mon logiciel (privateur) marche, le reste m’importe peu”…

Mais sait-elle ce qu’il fait ? Le logiciel privateur vous espionne, vous restreint délibérément, contient des portes dérobées capables d’attaquer les utilisateurs. Et beaucoup sont capables de comprendre l’injustice de ce fonctionnement car ils peuvent regarder plus loin et plus profond que leur commodité à court terme. Mais d’autres n’en sont pas capables et ils sont perdus pour les droits de l’homme.

Il me semble que cette question cherche à démontrer qu’il est impossible de convaincre les gens de protéger n’importe quelle liberté. Ce sont des questions idiotes, pourquoi me poser des questions avec des préjugés. C’est supposé que les gens sont bêtes.

[On essaye de lui expliquer qu'on émet juste un bémol sur l'efficacité de son argumentation, que notre maman ne se préoccupe pas trop des backdoors et autre fonctionnalités malignes.]

Mais ça marche, vous supposez que votre mère est bête, je ne veux pas supposer cela.

Non, je vous dis juste quelle serait sa réaction, elle ferait la balance entre les avantages et les inconvénients… […]

Vous connaissez votre mère… Peut-être est-elle bête. Mais pas toutes les mères. Je rejette cette question qui a un préjugé faux.

Vous êtes optimiste…

Non. Beaucoup de non-informaticiens comprennent l’enjeu, ne me dites pas le contraire. S’ils ne sont pas habitués à penser en ces termes, ils peuvent apprendre en écoutant des discours qui prêtent de l’importance à l’éthique et aux droits de l’homme.

On va parler de l’open hardware, pour finir…

Je ne veux pas de question sur open n’importe quoi… [Avant d'interviewer Richard Stallman, il faut promettre de ne pas l'associer à l'open source, NDLR]. J’exige que l’article parle de hardware libre. Ce sont deux philosophies différentes.

MakerBot s’est fait critiqué avec sa Replicator 2 qui ne serait pas libre. Le parallèle avec ce qui s’est passé dans le monde du logiciel vient immédiatement à l’esprit, vous semble-t-il juste ?

C’est une confusion. MakerBot utilise des programmes privateurs dans l’imprimante, c’est la même question. Évidemment c’est mal, nous allons le critiquer bientôt. Et nous allons faire une annonce sur une imprimante qui n’utilise que du logiciel libre, un fabricant a demandé notre approbation.


Interview réalisée à la soucoupe Owni par Sabine Blanc et Ophelia Noor avec Richard Stallman speaking french oui oui. Photo Ophelia Noor.

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“Nettoyer” l’Internet européen du terrorisme http://owni.fr/2012/09/07/nettoyer-linternet-europeen-du-terrorisme/ http://owni.fr/2012/09/07/nettoyer-linternet-europeen-du-terrorisme/#comments Fri, 07 Sep 2012 15:40:37 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=119589

Bannir le terrorisme d’Internet en Europe en adoptant une kyrielle de bonnes pratiques. Une initiative récente, restée jusqu’ici assez discrète, a été lancée il y a plus d’un an. Le projet Clean IT se veut novateur sur un point : sa composition. Il fait la part belle à la société civile, tonne l’un des responsables du projet, But Klaasen, de la coordination de la lutte antiterroriste néerlandaise.

Dans l’interview qu’il a accordée à Owni, But Klaasen insiste sur le rôle joué par le secteur économique et les ONG au sein de Clean IT, financé à hauteur de 400 000 euros par la Commission européenne. Un projet structuré autour de quelques mots-clés : “bonnes pratiques”, “principes généraux”, “communauté de confiance”, “utilisation d’Internet par les terroristes” avec en ligne de mire le cyberjihad.

Quand le projet Clean IT a-t-il été lancé ?


En mai 2011, à Belgrade. Il a commencé pendant l’EuroDIG, un rassemblement sur la gouvernance d’Internet ouvert à tous, car c’était une belle opportunité. Aucune décision n’est prise lors de ces rencontres, c’est en quelque sorte le pendant européen du Forum sur la gouvernance d’Internet [qui dépend des Nations Unies, NDLR]. L’environnement était très propice, c’est pourquoi nous l’avons lancé à ce moment-là.

Brièvement, en quoi consiste le projet Clean IT ?

Nous essayons de définir les problèmes transversaux avec les États et les acteurs économiques. Nous avons une vision commune de ces problèmes et essayons de trouver des solutions dans un dialogue ouvert. Les acteurs économiques sont en première ligne. Nous avons créé une communauté de confiance entre eux, les États et les ONG avec une compréhension commune des problèmes. Le dialogue doit être aussi ouvert que possible, tout le monde peut exprimer son point de vue.

Neuf États

Cinq États européens participent à ce jour. Les autres ont-ils refusé ?

Ils n’ont pas refusé. En avril, tous les États européens ont été invités à participer. Nous avons commencé à cinq car il fallait bien commencer à un moment ! Les réponses de tous les États ne nous sont pas encore parvenues. Par exemple, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie et le Danemark viennent de rejoindre la coalition de Clean IT. Nous sommes maintenant neuf pays. Certains hésitent, comme le Portugal dont le ministère de la Justice, et non de l’intérieur, est compétent pour se prononcer.

La France n’est pas partenaire pour l’heure, mais s’y intéresse de près. Je sais qu’ils ont déjà des activités très proches de celles de Clean IT. Nous sommes en contact avec le ministère de l’Intérieur.

La société civile est également associée ?

Nous avons contacté nous-mêmes des ONG pour leur proposer de participer, toutes n’ont pas accepté. Nous faisons de notre mieux pour avoir un l’équilibre le plus juste possible entre ces trois acteurs.

Sur le site de Clean IT, il est fait mention d’entreprises liées à Internet. A qui faites-vous allusion : aux opérateurs, aux moteurs de recherche ?

Je crains de vous décevoir car nous avons convenu avec les participants de ne pas révéler leurs noms, sauf accord de leur part. En France, la Licra et l’Afa participent, de même que l’Internet Society en Belgique et l’International Network Against Cyberhate. Un membre du Parti Pirate suisse a participé à notre dernière rencontre. Les autres noms ne seront pas révélés à ce stade, mais à la fin lorsqu’ils annonceront officiellement leur soutien.

Parmi les acteurs économiques, aucun n’a accepté de divulguer son nom ?

Non, aucun, ils veulent attendre.

Pourquoi Clean IT n’est-il porté par les Parlementaires européens ?

Cleant IT est spécial car il s’agit d’une initiative public-privé. Nous voudrions suivre les standards européens qui permettraient d’inclure tous les pays et aboutiraient à des recommandations et une législation européenne. Ce serait une possibilité. Mais le secteur privé ne peut être impliqué, ce qui nous posait problème.

Il fallait trouver une nouvelle procédure qui serait aussi proche que possible des standards mais dont le secteur privé pourrait être à la tête. Une procédure similaire existe à Bruxelles au sein du groupe de travail sur le contre-terrorisme auquel participent tous les États membres. J’ai présenté le projet Clean IT à deux ou trois reprises à ce groupe et nous avons recueilli leurs commentaires, mais leur avis est consultatif et non décisionnel.

Vous évoquez un système de signalement des contenus : en quoi consiste-t-il ? Quel contenu est signalé ? Par qui ?
Dailymotion terre de Jihad a priori

Dailymotion terre de Jihad a priori

Un rapport récent d'un centre de recherche privé américain épingle Dailymotion, jugé trop laxiste envers les vidéos ...

Prenez par exemple le système de signalement de YouTube. Les utilisateurs peuvent signaler un contenu qui sera ensuite vérifié par les managers. Ce système marche très bien et nous pensons qu’il pourrait être étendu à bien plus de sites qui proposent du contenu.

Ces dispositifs ne concernent que les médias et réseaux sociaux ?

Oui, uniquement pour les contenus générés par les utilisateurs (Users Generate Content). Ces dispositifs et bonnes pratiques existent déjà en partie mais ils sont souvent implantés dans un pays spécifique et nous pensons qu’ils devraient l’être au niveau européen au moins.

Les trois strates d’Internet

Les “contenus terroristes” sont ciblés par le système de signalement. Comment seront-t-ils définis ?

En préambule de notre document de travail, les Etats l’ont défini de façon précise car ils savent bien ce qu’est l’utilisation d’Internet par les terroristes. Il faut d’abord comprendre qu’il existe plusieurs strates sur Internet : la première des réseaux et médias sociaux, la seconde de sites plus idéologiques sur laquelle sont lancés les appels à la violence, et la troisième plus clandestine. Pour faire court, les terroristes utilisent Internet de deux façons.

D’abord à des fins de radicalisation qui commence sur la strate supérieur en lisant de la propagande pour le jihad. Ils sont alors dirigés vers la strate idéologique où ils trouvent les informations pour aller sur les chats, dans le web profond où se trouvent les informations pour planifier des attaques terroristes. Ensuite pour la propagande en suivant le schéma inverse : de la strate inférieure à la strate supérieure.

La question n’est pas simplement la légalité de certains contenus, mais les processus tout entier que je viens de décrire. C’est pourquoi il est si complexe de déterminer ce qui est illégal et ce qui ne l’est pas, surtout dans un monde comme Internet régi par des octets et des bits… C’est tout un processus qui se produit et à certains moments seulement le seuil de l’illégalité est franchi.

Certains responsables de la lutte antiterroriste ont émis des craintes quant à l’utilisation accrue du chiffrement, en cas de durcissement des législations. De nombreuses arrestations de terroristes sont possibles grâce à leurs activités sur Internet. Craignez-vous qu’ils recourent davantage à des moyens sécurisés comme le chiffrement  ?
Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet”

Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet”

Le cyberjihad a fait une entrée fracassante dans l'agenda politique au lendemain de l'affaire Merah. Une notion à ...

Ils peuvent utiliser le chiffrement ! Tout le monde peut le faire. Plus vous êtes intelligent, mieux vous l’utilisez. Les personnes les plus malignes sur Internet ne sont pour le moment pas les terroristes, mais les hackers. Si un jour ces deux groupes s’unissent, la situation deviendra vraiment dangereuse.

Quelqu’un me disait récemment que le web profond n’existe pas, il y a simplement certaines personnes plus intelligentes que d’autres sur Internet. Il faut plutôt le comprendre comme ça…

La cible principale qui apparaît dans les documents de Clean IT est le cyberjihad. Est-ce la seule?

D’un point de vue managérial, il n’est pas possible d’inclure tous les domaines comme la pédopornographie, le copyright ou autre. Ce serait un projet immense ! Il fallait commencer quelque part.

Qu’en est-il des autres formes de terrorisme comme les séparatistes ? Avez-vous évalué qu’ils utilisaient moins Internet que les jihadistes ?

Vous avez raison sur ce point. Mais pour l’instant, la menace la plus inquiétante sur Internet vient des jihadistes. Nous n’excluons pas les autres terrorismes, ça ne change pas grand chose. Nous conservons la définition européenne du terrorisme qui est notre ancrage légal.


Interview réalisée par téléphone le 31 août 2012.

Photo FlickR CC by-sa FHKE

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Hacker 007 http://owni.fr/2012/08/17/hacker-007/ http://owni.fr/2012/08/17/hacker-007/#comments Fri, 17 Aug 2012 13:44:43 +0000 Maxime Vatteble http://owni.fr/?p=118123 Watchdogs, un des jeux vidéo les plus attendus de 2013. Un costume difficile à porter selon Olivier Mauco, docteur en science politique spécialisé dans les cultures numériques, car il pourrait camoufler l'activité des véritables hackers.]]>

Capture d'écran officielle de Watchdogs, jeu vidéo d'Ubisoft

Devenir un héros. C’est le nouveau rôle donné aux hackers dans Watchdogs, jeu d’Ubisoft à venir qui avait fait sensation au dernier E3, le plus grand salon mondial du jeu vidéo organisé chaque année à Los Angeles. Les joueurs pourront se glisser dans la peau d’Aiden Pierce, technophile super débrouillard et fondu de hacking.

Capable de déchiffrer des codes d’accès, de brouiller des caméras de surveillance ou encore de modifier la signalisation des feux rouges avec son smartphone, il détourne incognito les technologies disséminées dans le paysage urbain. Une vision bien éloignée de la vrai nature du hacking puisqu’Aiden Pierce se contente a priori d’appuyer sur des boutons, comme on peut le voir dans la démo du jeu :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le pirate devient alors aussi efficace que James Bond. Même si la menace potentielle que représentent les blacks hats, c’est-à-dire les cybercriminels de tout poil, suscite encore la méfiance des administrations, des entreprises et des géants de l’industrie informatique, le talent des white hats, des bidouilleurs bienveillants, est recherché : pour le Sénat français, leurs compétences sont même considérées d’intérêt public.

Pour Olivier Mauco, auteur du blog Game in Society , docteur en science politique et membre de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH) c’est la perception du hacking dans les représentations populaires qui a évolué : le pirate informatique n’a plus cette image de parasite qui lui colle à la peau, il peut désormais être un acteur de la société civile et défendre des causes, à l’instar de certains Anonymous. Il a analysé pour Owni cette nouvelle incarnation de la figure du hacker.

Un hacker peut-il être aujourd’hui un héros de jeux vidéo populaire ?

Olivier Mauco : La figure du hacker fascine depuis un moment au sein de la communauté geek. Il avait déjà été mis en scène au cinéma, notamment dans le grand classique War Games où un adolescent qui pense jouer à un jeu vidéo est sur le point de déclencher la troisième guerre mondiale. Plus globalement, le pouvoir de la technologie est une composante classique des films de science fiction, l’intelligence artificielle Skynet dans Terminator en est l’exemple le plus frappant. La glorification de la figure du hacker est une tendance de fond et non une véritable nouveauté.

Les hackers ont enfin fait cracker le Sénat

Les hackers ont enfin fait cracker le Sénat

Enfin ! Le dernier rapport du Sénat sur la cyberdéfense montre un changement net de regard sur la communauté des hackers. ...

Toutefois, la culture du hacking s’est démocratisée grâce à la simplification des outils et à la nouvelle image véhiculée par les hackers après Wikileaks et le mouvement Anonymous. L’internaute lambda ne sait pas lire le code ou ne sait pas ce qu’est un langage informatique, il ne maîtrise pas la technique mais il aime l’interaction, le rapport direct avec les machines.

Dans Watchdogs, le héros va jusqu’au bout de cette interaction et prend le contrôle grâce à des outils technologiques. Ce hacker pirate est effectivement un héros de jeux vidéo en puissance mais il n’est qu’une représentation fantasmée du hacking. Ce qui est véritablement nouveau ici est l’aboutissement du processus d’identification à un héros qui est traditionnellement anonyme et généralement peu connu et surtout peu apprécié du grand public.

Watchdogs est un GTA-like, un genre souvent décrié pour sa violence. Les hackers risquent-ils d’être stigmatisés ?

Bien sûr, le hacker que l’on peut contrôler dans Watchdogs n’est pas un hacker ordinaire, il peut manier des armes et a des capacités physiques et intellectuelles dignes de faire de lui un héros. Les potentielles réactions négatives des parents des joueurs de Watchdogs ne constituent cependant pas le principal problème pour la communauté hacker. Là où elle peut être stigmatisée, c’est dans son rapport avec la société civile.

Alors que le hacker se place volontairement en dehors du système, il doit maintenant s’employer à le changer. Il devient ici un chien de garde au service des libertés et non d’un parti ou d’une institution. Il ne s’agit pas de remettre en cause le monde occidental mais de donner une nouvelle image du pirate, plus investi, plus en phase avec des réalités triviales. Il y a une nouvelle reconnaissance de l’action, et ainsi une nouvelle responsabilité.

Une responsabilité à vocation politique ?

C’est la notion de pouvoir qui est au centre de la question. Le hacking repose sur une question de plate-forme alors que le politique relocalise l’action. Dans le premier domaine, l’on cherche à diffuser une nouvelle information, à se réapproprier un message, à détourner des signaux. Dans le second, l’on cherche à représenter une population, à agir en son nom. Le hacking est une action politique, c’est-à-dire engagée, relevant d’une opinion ou d’une vision de la société mais n’est pas une action relevant de la vie politique traditionnelle, reposant sur un modèle vertical où le pouvoir est cloisonné et transférable.

L’institutionnalisation et l’organisation propre au système politique n’est pas adaptée à l’éthique du hacking car elle impose un cadre indépassable. Les hommes et femmes politiques actuelles ne semblent pas non plus prêts à apprivoiser totalement cette contre-culture comme on a pu le constater durant la dernière campagne présidentielle. L’UMP et le PS n’ont encore qu’une vague notion de ce qu’est et représente le numérique. Plus récemment, Fleur Pellerin a dit vouloir combattre la neutralité du net car l’Europe n’a pas appris à penser en termes de réseaux.

Le Parti Pirate pourrait-il en tirer bénéfice ?

La seule glorification de l’hacktivisme ne suffirait pas à donner un nouveau souffle politique à ce parti mais elle aurait le mérite de rendre visible son action et de redonner une signification plus concrète à ses attentes. Elle permettrait aussi de mettre au premier plan des débats essentiels à propos de la neutralité du net et des libertés numériques en général. Reste que cette structure n’est pas non plus pensée comme plate-forme mais comme une organisation.

De toute façon, il est réducteur d’associer tous les hackers sous la même bannière, qu’elle soit culturelle ou politique d’ailleurs. La politisation du hacker ne va pas de soi, ce qui lui importe c’est de pouvoir apporter sa voix au chapitre, de donner de nouvelles clefs de compréhension du monde numérique, culturel, politique.

Le hacker est-il alors condamné à être le seul maître d’un savoir faire ?

Tout le dilemme est là : il faudrait instituer la liberté individuelle et la masse au sein d’un même mouvement alors que le hacker n’est qu’une figure abstraite et non le représentant d’un groupe. Il n’est pas non plus voué à être érigé en modèle.

Encore une fois, c’est la notion de plate-forme qui importe ici : le hacker ne fait pas partie de l’organisation politique du pouvoir, il ne cherche pas la légitimité ou une position dominante puisqu’il s’intéresse à un partage horizontal de l’information et des savoirs.


Olivier Mauco analyse régulièrement la place des jeux vidéo dans la société sur son blog.

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