OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La terreur dans le miroir http://owni.fr/2012/10/05/la-terreur-dans-le-miroir-antiterrorisme-manuel-valls/ http://owni.fr/2012/10/05/la-terreur-dans-le-miroir-antiterrorisme-manuel-valls/#comments Fri, 05 Oct 2012 12:53:36 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=121593

En France, l’agenda de plusieurs années d’antiterrorisme triomphant devrait suffire à convaincre les responsables politiques de sa perversion, pour peu qu’il soit feuilleté.

Mais ce devoir d’inventaire-là n’est pas convoqué. La force des habitudes sûrement. Et donc depuis mercredi Paris annonce plein de confiance un renforcement de son “dispositif antiterroriste” – déjà le plus draconien d’Europe – par l’entremise du projet de loi proposé par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

Depuis les lois de 1986 qui ont institué une justice d’exception pour sanctionner les crimes terroristes, jusqu’aux cinq dernières années au cours desquelles l’État a encouragé le développement d’une police secrète – la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – dotée de prérogatives et de moyens comme la France n’en avait pas accordé depuis 1945 à un service de sécurité intérieure, avec une belle régularité, le droit commun et des principes républicains ont été sommés de se tordre pour rendre l’antiterrorisme plus efficace.

Corses

Les rapports de la DCRI sur Anonymous

Les rapports de la DCRI sur Anonymous

Depuis un an, la DCRI enquête sur un collectif d'Anonymous dans le cadre d'une procédure ouverte au Tribunal de grande ...

Avec quels résultats. L’honnête citoyen a pu s’alarmer de cette calamiteuse procédure contre les militants d’extrême-gauche de Tarnac, un peu vandales – à la manière de ces syndicalistes abimant des voies ferrées pour marquer leur mécontentement – mais placés sous le coup des lois antiterroristes. Mêmes sentiments avec les procédures, plus récentes, contre des Anonymous. Sentiment qu’une justice d’exception dévisse.

Le même citoyen s’est montré incrédule, à raison, en découvrant ces missions hautement stratégiques menées par la DCRI consistant à identifier les sources des journalistes du Monde ou du Canard Enchaîné qui travaillaient sur des sujets agaçants aux yeux de l’Élysée.

Ou encore ces investigations financières révélant l’implication personnelle de Bernard Squarcini, patron de la DCRI, dans le fonctionnement du Wagram, un cercle de jeu parisien contrôlé par des criminels corses et connu pour sa capacité à dégager d’épaisses enveloppes de cash.

Quant au scandale Merah, il montre, au fil des semaines, l’ampleur des duplicités que s’autorise une telle police secrète qui sans craindre la confusion recrute ça et là, manipule tantôt autant qu’elle surveille parfois des personnalités susceptibles de verser dans la criminalité terroriste. Et avec une inquiétante régularité.

En décembre 2008 déjà, l’affaire Kamel Bouchentouf avait montré comment les agents de ce service secret incitaient des jeunes arabisants des cités à fréquenter des jihadistes, avant de les lâcher pour mieux ficeler par la suite des dossiers judiciaires les incriminant.

Cosmétique

Ce sombre tableau se voit parfois opposer un discours sur la notion de pertes et profits. Oublieux de la sentence de Benjamin Franklin – “Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre” – il tente de nous convaincre que l’efficacité de notre machinerie sécuritaire contre les “vrais” terroristes (supposant qu’il en existe des “faux”) compense les graves dérives des dernières années.

Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Mais même là, il est permis de douter. Le procès le 5 mai dernier du physicien Adlène Hicheur, présenté comme un gros poisson par les cadors de la DCRI, a pointé de nombreux dysfonctionnements et une instruction judiciaire très orientée.

Avec un bilan aussi dramatique, une réflexion distancée sur l’ensemble du dispositif antiterroriste paraissait s’imposer après l’alternance de la présidentielle. En lieu et place, nous devrons donc nous satisfaire d’un nouveau texte supposé permettre d’interpeller de dangereux ressortissants français qui s’illustreraient à l’étranger mais pas encore sur le sol national.

Cette loi permettra d’incriminer un garçon – comme Mohamed Merah – parti s’entraîner dans un camp en Afghanistan ou au Mali. Opération de cosmétique bon marché pour rassurer l’opinion. Puisque plusieurs procédures pénales ouvertes en France ont déjà permis de mettre en examen des individus au motif qu’ils avaient séjourné en Irak, près de la frontière syrienne ou en Afghanistan en compagnie de jihadistes notoires, grâce aux multiples possibilités offertes par notre justice d’exception. Ils s’appellent Rany Arnaud ou Peter Cherif.

Rany Arnaud a été mis en examen et incarcéré en France le 20 décembre 2008 sur la base de ses drôles de périples en Syrie et de ses messages favorables à la guerre sainte postés depuis l’étranger sur un site dit islamiste dont les serveurs sont également situés à l’étranger. Même Moez Garsallaoui, régulièrement présenté comme un responsable d’Al Qaïda évoluant entre le Pakistan et l’Afghanistan, pourrait être appréhendé sur la base des condamnations prises par des tribunaux en Belgique et en Suisse.

Le sociologue Dominique Linhardt, auteur de plusieurs travaux sur la violence politique et sur les épreuves qui marquent la vie des États, appartient à cette génération de chercheurs en sciences sociales qui se sont penchés sérieusement sur l’antiterrorisme, en tant qu’objet social.

Économie

Avec d’autres, depuis plus de dix ans, il étudie l’économie du soupçon, propre à la lutte antiterroriste. Par essence, dans un champ juridique qui accepte la justice d’exception, celle-ci suppose de sans cesse installer dans l’espace social des capteurs permettant de discriminer les honnêtes gens des terroristes, ceux-ci ayant pour caractéristique principale de se dissimuler au milieu des paisibles citoyens et d’évoluer parmi eux.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Description en une infographie interactive de la mécanique antiterroriste française, mise en place en 1986 au lendemain ...

D’où la propension d’une telle démarche à multiplier les dispositifs de surveillance destinés à mettre au jour des menaces, coûte que coûte, puisque l’absence de menace identifiée, signifie que les terroristes sont partout.

Les dernières recherches de Linhardt portent notamment sur la manière dont les structures de l’État allemand ont réagi aux crimes de terrorisme perpétrés entre 1964 et 1982 (voir ici le pdf du compte-rendu de ses travaux). Le recul conféré par le temps et l’accès à des archives facilité par la fin de ces affaires permettent aujourd’hui, à travers le cas allemand, d’approfondir les réflexions sur ces enjeux. C’est-à-dire de réfléchir au-delà de l’émotion que suscite le terrorisme, telle que la provoquent, sciemment, les organisations criminelles ayant recours à ces tactiques terroristes.

Selon Linhardt, de manière évidente, la menace qu’exerce le terrorisme contre l’État “réside moins dans l’horizon d’une possible destruction [de l'État] que dans celui du sapement de sa légitimité”.

Le terrorisme ne devient une arme de guerre que si l’État et ses dirigeants le placent devant un miroir déformant, jusqu’à en transformer leur propre perception du réel, jusqu’à laisser se développer un sentiment de menace constant de nature à justifier autre chose qu’une société démocratique surveillée a minima. Le courage, c’est avancer quand on a peur.


Photo de Manuel Valls via la galerie flickr de fondapol [CC-BY-SA] remixée par Ophelia Noor pour Owni.

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Hicheur : “j’étais le pigeon providentiel” http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/ http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/#comments Mon, 02 Jul 2012 04:30:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=114597 Owni, Hicheur dénonce, non sans arguments, la construction d'un dossier à charge. "De l'inquisitoire, pas du judiciaire" explique-t-il. ]]>

Adlène Hicheur est sorti de prison. Le 15 mai au matin, le conseiller d’insertion et de probation suggère que sa détention pourrait prendre fin “très prochainement”. Le soir même, il est dehors. Il aura passé plus de deux ans et demi à la maison d’arrêt de Fresnes, maintenu en détention provisoire toute la durée de l’instruction.

Physicien au Centre européen de recherche en nucléaire (Cern), ce physicien de haut niveau a été arrêté le 8 octobre 2009 au domicile de ses parents, à Vienne dans l’Isère. Les mots-clés fusent alors dans la presse : physicien, nucléaire, Al Qaida. Terrorisme. À l’issue de sa garde à vue, Adlène Hicheur est mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ses activités sur Internet sont dans la ligne de mire des enquêteurs. Lui dénonce depuis le début un dossier vide, instrumentalisé à des fins politiques.

Le parfait terroriste physicien

Le parfait terroriste physicien

Il y a deux ans, un physicien du Cern d'origine algérienne, devenait le client idéal de l'antiterrorisme à la française ...

Il a accepté de répondre à Owni, d’évoquer sa détention, sa relation avec les enquêteurs puis les magistrats, mais aussi les curiosités de cette affaire, notamment l’identité de son mystérieux correspondant, un certain Phoenix Shadow. Les services antiterroristes en sont persuadés : derrière se cacherait un cadre d’Al Qaida au Maghreb (Aqmi), Moustapha Debchi, mais la preuve de cette équation n’a jamais été apportée.

Condamné le 5 mai à cinq ans de prison, dont un an avec sursis, il est sorti à la faveur de remise de peine. Sans attendre, il a repris contact avec ses anciens collègues, pour éviter “de sombrer dans la dépression”. Ultime bataille, il tente de faire rectifier sa page Wikipedia : “Une vie ne peut pas se résumer à un fait divers”.

Quelle a été votre réaction à l’annonce du jugement ?

Aucune surprise. J’avais vu le déroulement de l’instruction, j’avais vu qu’on avait fait de moi une victime expiatoire d’une certaine politique. C’est le paradigme du bouc-émissaire : on prend une personne qu’on charge du point de vue symbolique et on l’immole rituellement devant la société. Je ne me faisais aucune illusion, je voulais seulement être jugé rapidement pour que la détention provisoire cesse, pour ma famille, pour moi.

Le système a tenu à aller jusqu’au bout parce qu’il fallait envoyer des messages forts à la société. Ce mode de gouvernance est très dangereux. J’appelle ça de l’aliénation sécuritaire. Ça tue le génie créatif, l’épanouissement intellectuel. Mieux vaut agiter des chimères que faire face à ses propres carences. Dans leur tribune les gens de Tarnac l’ont très bien dit : la peur est le sentiment le plus facile à instrumentaliser.

La peur, l’inconnu, l’ignorance : les trois se tiennent. Les apprentis sorciers sont incapables de résoudre des problèmes sur des sujets sérieux comme le chômage, mais ils sont les premiers à agiter la matraque. Mon cas met à nu leur prétention de respecter les gens qui travaillent. Je suis l’exemple typique de taulier au travail, de personne qui se lève tôt. Ma vie est brisée pour des éléments qui n’auraient jamais conduit à une incarcération dans un autre pays. Ça devrait mettre la puce à l’oreille à tout le monde, même des gens qui n’ont pas la même culture politique que moi. On commence par les uns et on va ensuite vers les autres. C’est exactement la logique d’un système totalitaire.

Le tribunal a aussi prononcé la confiscation des saisies d’argent liquide, environ 15.000 euros, et du matériel informatique.

La saisie de l’argent liquide c’est du vol institutionnalisé, la saisie de mon matériel informatique un assassinat intellectuel. J’avais des centaines d’heures de travail dessus ! Des idées, des articles, des cours, des données scientifiques…

Vous étiez poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, pour financement du terroriste et pour avoir diffusé de la propagande, ce que le procureur désignait sous l’expression “jihad médiatique”.

C’est vraiment de la surenchère. Je n’ai pas de site, pas de blog. Je n’ai intégré aucun projet médiatique contrairement à ce qui a été dit. J’ai interagi en tant que user (utilisateur) sur des forums, échangeant des opinions. C’est vraiment de la mauvaise foi de l’accusation ! Qu’est-ce qu’ils appellent jihad médiatique ? C’est un peu vague… Ce qui peut leur poser problème, c’est que des groupes, disons politico-militaires pour rester technique, fassent des reportages sur leurs activités et les publient. L’expression fourre-tout, d’après ce que j’ai compris, permet de toucher toute personne qui aurait accès à un moment ou à un autre à des publications de ces organes médiatiques.

Est-ce que traduire ce genre de publications en citant la source constitue du jihad médiatique ? C’est très vicieux de rechercher des actes positifs qui constituent des incriminations, surtout au vue des conséquences terribles ! N’importe quel journaliste peut être amené à faire ce genre de travail sans pour autant faire partie de l’organe médiatique ou approuver ce qu’il traduit. Pour en arriver là, il faut vraiment qu’il n’y ait rien dans le dossier. C’est grotesque et ridicule. Ils ont essayé de m’avoir a minima.

Vos défenseurs avaient dénoncé une instruction à charge, mais à la veille du procès, Me Baudouin, votre avocat, s’en remettait à l’indépendance de la Cour et au regard nouveau qu’elle poserait sur votre dossier.

La 14e chambre correctionnelle du TGI de Paris ne juge pas, elle condamne.

Hicheur bon terroriste confirmé

Hicheur bon terroriste confirmé

Le physicien du Cern accusé d'activités terroristes, Adlène Hicheur, a comparu jeudi et vendredi devant le tribunal ...

Il avait également pointé la façon dont la président, Mme Rebeyrotte, menait la séance.

Il n’y a pas eu de questions sur des points précis, pas de débat contradictoire. Ce n’était pas un procès mais un rouleau compresseur visant à asphyxier la défense. Plusieurs griefs étaient lus pendant 20 ou 30 minutes et je n’avais pas le temps de répondre. Pour moi, la condamnation n’a pas été prononcée par la justice mais par la police. La police me voulait, me voulait condamné.

Dans les institutions d’un État qui se respecte, il existe des contre-pouvoirs qui peuvent arrêter ce genre de bêtises. Le grand public retient des mots-clés : “musulman”, “physicien”, “Al Qaida”. Ça relève de la psychologie de masse.

Quelles relations aviez-vous avec le juge d’instruction, Christophe Teissier ? Dans un entretien accordé à Mediapart, vous évoquiez une audition “stérile et sans intérêt”.

Les mêmes éléments revenaient sans arrêt. Au début, j’étais naïf. Je pensais qu’au moins un ou deux magistrats constateraient le vide du dossier et décideraient d’arrêter. Petit à petit j’ai découvert la justice française, la chape de plomb qui vous tombe dessus. La mauvaise volonté se mêle à la mauvaise foi. Et là on comprend qu’on est entre de très mauvaises mains.

J’avais en tête que le magistrat n’était pas un flic, même si la réputation du pôle antiterroriste n’est plus à faire… J’avais espoir qu’on revienne à un peu de sagesse ou à défaut d’équité : quand il n’y a rien, il n’y a rien. Il a joué le rôle d’un flic main dans la main avec le procureur.

“Et ils s’acharnent, ils s’acharnent”

Comment se sont passés les interrogatoires pendant votre garde à vue ?

Mal. Le rapport voyous-braves gens était inversé : les voyous c’était eux ! Parfois, les insultes fusaient. Les policiers utilisaient mon frère, la santé de ma mère pour faire pression sur moi pendant ma garde à vue. Ils ressemblent à des psychopathes hystériques tout excités. Peut-être parce qu’ils sont toute l’année dans un bureau à se croiser les doigts… Dès qu’ils peuvent avoir un os à ronger, toutes les frustrations de leur quotidien – pas terrible d’ailleurs – se déchargent sur vous.

Les gens de Tarnac l’ont bien compris. Ils sont passés par la machine. Ils ont souffert de la même chose que moi : l’acharnement policier. Il en faut peu. Deux ou trois officiers se montent la tête, au bout d’un moment c’est comme si vous leur apparteniez, et ils s’acharnent, ils s’acharnent. Et puis, des carrières sont en jeu… Dans mon affaire, il y a eu au moins une promotion avérée : les grades changent entre les PV de début et de fin. Utiliser les moyens de l’État pour faire du mal à quelqu’un est d’une lâcheté sans nom.

Sous quelle forme avez-vous ressenti ce “déchargement” ?

Le ton, l’excitation. En garde à vue, on m’a dit : “vous allez perdre votre boulot, vous ne serez plus physicien, vous ne serez plus au Cern”. C’est d’un cynisme total ! Les gars sont assurés de leurs pleins pouvoirs. Il y avait un plaisir à me faire perdre un certain statut social, l’un des chenapans l’a exprimé ouvertement. Ça tranche avec le comportement des deux enquêteurs suisses qui sont venus m’interroger en septembre 2010. C’était des gens très posés, très carrés. Ils ont fait leur boulot sans tout ce cinéma.

Des détails très ténus sont montés en épingle : le plus choquant est sans doute les questions sur la pratique religieuse. Pourquoi on me demande si je prie ou si je jeûne dans le cadre d’une enquête judiciaire ? On évoque la vie et la culture familiales. Je réponds que nous sommes proches de la religion musulmane tout en étant ouverts. Ensuite les questions dévient sur des situations politiques, en Irak en Afghanistan. Jamais j’aurais pensé à ce moment-là que mes réponses seraient utilisées dans le réquisitoire. C’est de l’inquisitoire, pas du judiciaire.

Lorsque le procureur vous avait demandé si vous étiez salafiste, lors du procès, vous lui avez répondu qu’il faudrait une thèse de doctorat pour en parler.

Je trouve étonnant qu’un tribunal chargé de caractériser une infraction pénale parle de salafisme. On balance les slogans, des chimères, des sorcières. Je peux parler en détails des tendances et mouvances dans le monde musulman. J’ai beaucoup lu et c’est frustrant d’avoir affaire à des gens qui ne sont pas très au fait mais utilisent ça comme outil de guerre psychologique. C’est chasser toute rationalité à l’affaire pour garder l’irrationnel qui excite les cordes de l’opinion publique.

Il y a des raccourcis un peu simplistes du genre “salafisme = activité armée”. Les Frères musulmans ne sont pas salafistes mais ont des branches armées dans différents pays. Les Taliban n’ont rien à voir avec les salafistes. C’est beaucoup plus compliqué que le simplisme présenté au public.

Vous étiez interrogé par des agents de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ?

Par deux binômes d’agents de la DCRI. Un de jour, un de nuit. J’avais l’impression qu’ils avaient découvert un filon : le filon Internet. Avec Internet, il n’y a pas de filature, de planques avec le thermos… Sur Internet, les ingénieurs se bloquent sur l’IP et interceptent le flux. En parallèle, les policiers peuvent même jouer aux jeux vidéo dans un bureau à côté à Levallois.

Ivan Colonna dans la cellule à côté

Comment s’est passée votre détention à Fresnes ?

L’administration est stricte, zélée même. Les cours de promenade sont minuscules, 40m2. Personne ne peut s’imaginer les affres de la détention : ce sont des familles brisées, des couples désunis, des épouses qui pleurent dans les parloirs, des mamans qui ne mangent plus. C’est contre-productif comme disait Me Baudouin. Plus une politique sécuritaire est coercitive, plus elle crée de la violence et de l’instabilité.

Dans quel quartier étiez-vous à Fresnes ?

Au début, j’étais à l’hôpital pénitentiaire en raison de mon état de santé. J’y suis resté quatre mois. Puis j’ai été transféré en 3e division du quartier principal.

Vos codétenus étaient des mis en examen ou des condamnés dans des affaires similaires ?

Après l’hôpital pénitentiaire, j’étais dans la 3e division Sud, au rez-de-chaussée avec tous les malades : 90% sont des cas psychiatriques, dont certains très graves. J’y suis resté presque un an. Je n’ai jamais vu autant de misère humaine de ma vie. J’avais le rôle de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucous.
Ensuite j’ai été transféré au Nord, toujours au rez-de-chaussée. J’ai croisé différents types de profils, essentiellement du banditisme et un seul cas politique, c’était Ivan Colonna. Il était dans la cellule à côté.

Pas d’autres personnes impliquées dans des affaires terroristes ?

Dans les autres activités, comme le terrain de sport, j’ai croisé des Basques et d’autres Corses.

Quel genre de relations aviez-vous avec eux ?

Un esprit de camaraderie de prison. J’ai aussi ressenti beaucoup de compassion. Personne n’est dupe en prison, tout le monde connaît bien le système, ils savent décoder l’actualité. J’ai senti de la révolte aussi, des droits communs notamment. Le discours : “si vous aviez fait des études, vous ne seriez pas là” était faux. Eux se retrouvaient avec plus de droits que moi, qui ai pourtant fait beaucoup d’études !

Avez-vous fait appel à une solidarité confessionnelle pour “cantiner” ou autre ?

J’interagis avec les gens selon un seul critère : qu’ils soient réglos. J’ai partagé de bons moments avec des gens très différents de moi tant qu’ils sont agréables et pas nuisibles. On est tous dans le pétrin ! Quand quelqu’un manque d’un produit, on lui donne et vice versa. C’est quasiment automatique.

Tous les détenus n’ont pas de doctorat en physique des particules. Comment s’est passé votre détention de ce point de vue ?

J’ai lu quelques bouquins, dont La force de l’ordre de Didier Fassin sur la police anti-criminalité et Les veines ouvertes de l’Amérique latine qui m’a marqué. Des ouvrages scientifiques aussi pour m’entretenir. J’ai réussi à tenir les 20 premiers mois, à travailler, à être efficace. Ensuite, je fatiguais.

J’ai eu du mal à m’ajuster à la mentalité de la prison. L’administration pénitentiaire avait elle du mal à voir sous quel registre me gérer. L’aspect sécuritaire et disciplinaire des peines fait que les détenus particulièrement surveillés (DPS) et de la catégorie “mouvance” ont des fouilles régulières des cellules et une fouille à corps intégrale, ce qui est particulièrement humiliant et parfaitement illégal. Il y a une volonté politique de rendre la détention préventive la plus pénible possible pour user la personne. C’est ainsi à Fresnes en tout cas.

La notion du châtiment douloureux est très forte en France. Certains personnels de l’administration pénitentiaire font sentir qu’ils sont là pour être odieux. Les surveillants sont très jeunes, et tout dépend de leur caractère et de leur humeur. C’est un jeu : celui qui s’énerve perd la partie.

Pigeon providentiel

Dès les premiers jours de votre arrestation, des articles utilisaient les mots clés “terroriste”, “physicien”, “nucléaire” dans leur titre. Quand avez-vous appris cette médiatisation, très forte dès le début ?

Je suis passé en comparution médiatique immédiate. Le circuit passe par la police, le ministère de l’intérieur et la Présidence, puis redescend dans les médias qu’ils connaissent et choisissent. Mes parents sont venus à mon premier parloir, ils m’ont raconté verbalement. J’étais coupé du monde jusque-là.

Quand j’ai réalisé, j’étais dépressif. J’ai compris que s’ils avaient fait ce bruit-là, rien ne les arrêterait. J’ai réalisé l’ampleur de l’entourloupe : j’étais le pigeon providentiel.

La médiatisation d’une personne privée qui ne l’a pas choisie est d’une grande violence psychologique. L’instrumentalisation des médias est très puissante, même un “ange qui marche sur terre” se ferait détruire. Je suis frappé du sceau des parias, pour que je ne puisse pas me refaire, pour que je sois précaire le restant de mes jours. On verra, je ne suis pas prêt à baisser les bras, je veux me refaire, tant bien que mal.

Vous avez été présenté comme la figure du loup solitaire par certains responsables de la lutte antiterroriste.

Dans le passé, ils avaient au minimum des bandes de copains à qui on pouvait reprocher, ou pas – je ne sais pas – une certaine forme de prosélytisme. Il y avait des points d’ancrage pour donner l’illusion. Pas dans mon cas. Il y a un gars qui a étudié toute sa jeunesse, qui travaille, qui vit dans un environnement rural. Jamais j’aurais pensé qu’on arriverait à de tels extrêmes à partir de rien. C’est une dérive dans la dérive.

Ils ont été obligés de créer un profil artificiel pour justifier toute la mascarade. Il n’appartient pas à un groupe ? Il vit tout seul ? Ce sera le loup solitaire par exemple. La rhétorique ancienne ne pouvait pas fonctionner.

En s’appuyant sur votre utilisation d’Internet ?

Oui, mais le plus grave c’est l’idée qui se dégage de l’expression loup solitaire. On imagine quelqu’un qui vit reclus. C’est faux. Je travaillais dans le cadre de collaboration internationale, j’avais affaire à des centaines de personnes quasi-quotidiennement au Cern. Plusieurs milliers de physiciens de nationalités différentes travaillent ensemble. Aucun outil de sociabilité n’est aussi fort ! Il faut s’adapter à toutes les cultures, à tous les tempéraments, à toutes les personnalités.

Cette partie a été zappée dans les médias. La personne réelle disparaît au profil d’un clone, d’un hologramme, habillé de toutes les caractéristiques pour vendre la justice à l’opinion publique. Il y avait une feuille blanche, immaculée, avec un bon cursus scolaire et universitaire. C’était un défi de construire une intrigue à partir de mon vécu ! Personne dans mon entourage familial, professionnel, de mon voisinage ne voulait me “salir”. Alors ils sont allés chercher des internautes avec qui j’avais interagi il y a x années.

Pourquoi acceptez-vous de parler aujourd’hui ?

Je ne parle pas à tout le monde. Je considère que ça peut être productif ou positif, mais à dose homéopathique. S’il fallait tout dire, on pourrait noircir des pages.

Désintégration morale

Comment voyez-vous votre avenir maintenant ?

Difficile. Par nature, j’ai tendance à être prudent. Dans un premier temps, je n’accepte pas qu’on me démissionne de ma passion et de mon gagne-pain par “la force des mitraillettes” comme dirait Louis de Funès. Si je devais quitter le milieu scientifique ou la physique des particules, ce serait de mon propre chef. Utiliser le sécuritaire pour me faire basculer dans la précarité dépasse une procédure de sanction pénale – déjà injuste – pour me faire entrer dans un processus de désintégration morale. Je n’accepte pas que la force publique me coupe de ma passion pour laquelle j’ai sacrifié ma jeunesse. Il faut être réaliste et voir comment rebondir. Je prospecte, rien n’est défini. J’ignore si la campagne a influencé les employeurs, je veux d’abord briser cet embargo.

Vous avez été soutenu par votre milieu professionnel.

Oui, la solidarité est venue des scientifiques, mais il reste le milieu administratif. Je n’ai pas de visibilité dessus.

Et l’Algérie, dont vous avez également la nationalité ?

C’est un grand point d’interrogation. Il est trop tôt pour le dire.

C’est en Algérie que vivrait Phoenix Shadow, la personne avec qui vous correspondiez. Lors du procès, vous avez dit qu’on vous présentait un pseudo et un nom, comme une équation à deux inconnues, et qu’on vous demandait d’affirmer que l’un correspond à l’autre.

Dès le début de l’instruction, les avocats n’ont eu de cesse de demander d’où venait ce nom, Moustapha Debchi. A aucun moment, l’explication n’a été fournie. Pour mon cas, l’adresse IP renvoie à une connexion Internet etc. En face, un nom est balancé sans justification, sans preuve.

A aucun moment vous ne connaissiez l’identité de la personne derrière le pseudo Phoenix Shadow ?
Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Phoenix Shadow restait Phoenix Shadow, point à la ligne. Il n’y a pas eu de connaissance, de volonté de connaissance. C’était une interaction contingente à un moment donné utilisée des mois plus tard. Je pense qu’au début on voulait me coller à l’affaire des filières belgo-afghanes. Je l’ai senti pendant la garde à vue. Trop peu d’éléments existaient alors que le scénario aurait été terrible : un scientifique dans l’affaire des filières !

Puis, les questions ont évolué au fil de la garde à vue, en fonction de l’exploitation de mon disque dur. Les questions se sont réorientées vers Aqmi. Il n’y a vraiment que dans l’antiterrorisme que ça se passe ainsi. Normalement, quand une personne est placée en garde à vue, il faut lui signifier le chef de mise en garde à vue et remplir le cas d’espèce, ce qui lui est reproché. Moi, il n’y avait rien ! Le chef de mise en garde à vue était “présomption grave d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, mais la suite était vide, blanche.

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L’attentat oublié du Caire http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/ http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/#comments Tue, 12 Jun 2012 20:09:03 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=113137

L’enquête est en panne. Plus de trois ans après l’attentat du Caire du 22 février 2009, rien n’indique que les investigations aient mené à des résultats concrets. À 18h50 ce jour-là, une bombe artisanale explose dans le souk Khan el-Khalili, sur le parvis de la mosquée Hussein. Un groupe de jeunes français est touché. Ils viennent de Levallois, à l’Ouest de Paris. Cécile Vannier, 17 ans, meurt quelques heures plus tard. 24 personnes sont blessés, dont 17 Français. Le nombre précis de victimes n’a pu être déterminé précisément. Des jeunes affirment avoir vu le corps d’au moins un enfant égyptien, “le ventre ouvert, ses entrailles s’en échappa[nt]“.

Officiellement, la justice française ne retient qu’une victime décédée, Cécile Vannier. Compétente quand un ressortissant français est pris pour cible à l’étranger, la section antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris a ouvert une information judiciare, désespérément vide plus de trois ans après les faits. Elle a été confiée au président de la galerie Saint-Eloi, le juge Yves Jannier, récemment nommé procureur de la République à Pontoise.

Gaza

Aujourd’hui, les parties civiles dénoncent l’absence de résultats. Une seule personne est mise en examen en France. Dude Hoxha, dont le prénom a parfois été orthographié Dodi dans la presse. Il lui est reproché d’avoir participé à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et d’avoir participé au financement d’un groupe terroriste. La justice vise ses relations avec Khaled Moustafa, un Égyptien suspecté d’être l’un des principaux membres du groupe Jaish al Islam, l’armée de l’Islam, lié à Al Qaida et implanté dans la bande de Gaza.

Dude Hoxha est française. Yeux bleus et peau claire, couverte d’un voile noir et d’un autre blanc, elle a répondu aux questions d’Owni dans un café parisien. Passée par Londres, où elle était en lien avec les figures radicales du Londonistan, notamment Omar el Bakri, elle s’est installée en Égypte en août 2005 avec son fils en bas âge. Elle affirme avoir des dissensions et divergences de points de vue avec certaines figures très connues du milieu jihadiste en Europe. Le 23 mai 2009, trois mois après l’attentat, la Sécurité d’État égyptienne l’arrête en même temps que six autres personnes et la place en détention avec son fils de sept ans, raconte-elle aujourd’hui. Elle est enfermée et torturée :

Ils ont menacé de torturer mon fils de sept ans, mais ne l’ont jamais fait parce qu’il a la nationalité française je pense.

Les questions des services de sécurité égyptiens portent sur Khaled Moustafa, l’un des responsables du groupe dans la bande de Gaza. Dude Hoxha affirme avoir appris que son arrestation était en lien avec l’attentat du 22 février que plusieurs semaines plus tard, à la faveur de la première visite consulaire. Sa détention se prolonge jusqu’au 8 mars 2010, elle est alors libérée et expulsée dans les jours suivants vers la France.

À son retour, les services antiterroristes français la surveillent. Elle est placée sous écoute, puis décision est prise de l’interpeller. Le 15 novembre 2010, elle est arrêtée à son domicile dans le Val de Marne, placée en garde à vue pendant 96 heures et mise en examen. Les enquêteurs s’interrogent sur ses liens avec Khaled Moustafa. A Owni, elle explique avoir correspondu avec lui sur MSN et par mail avant son arrivée au Caire puis lors de son séjour.

Dude Hoxha dit aussi l’avoir rencontré deux fois, mais avoir rompu le contact entre 2007 et la fin de l’année 2008, jusqu’à la guerre à Gaza pendant laquelle elle prend de ses nouvelles. Les enquêteurs s’intéressent aussi à une somme d’environ 10 000 dollars qui aurait transité par Dude Hoxha à destination de Khaled Moustafa. Elle se montre peu loquace arguant qu’il s’agirait d’une collecte de fonds pour les enfants de Gaza à remettre à la femme de Khaled Moustafa.

Alibi judiciaire

Les autorités égyptiennes se félicitent de les avoir arrêtés, lui et Ahmed Sediq, également présenté par les autorités égyptiennes comme l’un des chefs de la cellule terroriste responsable de l’attentat du 22 février. Principaux suspects pour les autorités égyptiennes qui avaient évoqué de nombreuses pistes avant, ils ont été relâchés après une courte période en détention. C’est l’avocat de Dude Hoxha, Pascal Garbarini, qui a apporté des éléments, parus dans la presse égyptienne, concernant la libération de Moustafa et Sediq.

En charge du dossier depuis juillet 2011, il plaidait en appel une demande de placement sous contrôle judiciaire de sa cliente, devant la chambre de l’instruction. Yves Jannier, magistrat instructeur, a confirmé les informations apportées par l’avocat : les deux suspects ont bien été relâchés par les autorités égyptiennes. La chambre de l’instruction a accordé la remise en liberté de Dude Hoxha le 8 novembre 2011.

Me Garbarini, plus familier des affaires corses que des dossiers jihadistes, ne mâche pas ses mots à l’égard de la tenue de l’enquête :

Les éléments ne justifiaient pas de mise en examen ni la détention provisoire. Il s’agit de donner le change aux victimes, qui ont bien entendu le droit de savoir. Mme Hoxha sert de justificatif face à une enquête carencée. Elle sert d’alibi judiciaire.

Les parties civiles sont elles aussi loin de se satisfaire de ces trois ans d’enquête, qui n’ont pour l’heure permis la mise en examen que d’une seule personne, malgré les promesses de Nicolas Sarkozy au lendemain de l’attentat. Malgré les pressions sur certains témoins entendus aussi. Lors d’un interrogatoire par la DCRI, les enquêteurs ont dit à l’un d’eux, qui tient à rester anonyme :

Ce dossier tient à cœur au maire de Levallois.

Mystérieuse note de la DGSE

Sous-entendu, Patrick Balkany, proche de l’ancien Président français. Les parents de Cécile – Catherine et Jean-Luc Vannier – et trois autres mères de victimes, Chantal Anglade, Sophie Darses et Joëlle Cocher, ont interpellé les responsables politiques à plusieurs reprises. Elles cherchent à obtenir la déclassification d’une note des services de renseignement extérieur français, la DGSE. Trois jours après l’attentat, Le Canard Enchainé se faisait l’écho d’une “analyse effectuée par plusieurs membres de la DGSE” :

A l’origine de la version DGSE de l’attentat : l’enquête réalisée sur place par les correspondants du service de renseignement, et une information selon laquelle les jeunes touristes français auraient été pistés pendant plusieurs jours par un groupe terroriste. Ces poseurs de bombes auraient ainsi voulu faire “payer” à la France la participation de la frégate “Germinal” au blocus des côtes de Gaza en compagnie de navires israéliens. Cette participation de Paris à la surveillance du territoire palestinien, sous prétexte de possibles trafics d’armes, a été récemment dénoncée par plusieurs sites islamistes égyptiens.

La version qui prévalait jusque là était celle de la frappe aveugle. Les informations de l’hebdomadaire satirique laissent penser que l’attentat intervient au contraire en représailles à un discret soutien français à Israël pendant le conflit. Depuis, les familles de victimes demandent le déclassement de la fameuse note. Ce qui leur a été accordé par la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), selon l’avis paru au Journal officiel le 23 septembre 2011. La commission cite “la note n°30455 de la direction générale de la sécurité extérieure en date du 23 février 2009″. La-dite note, versée au dossier, ne correspond pas aux attentes des parties civiles. Dans un courrier adressé au nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, elles écrivent :

La note déclassifiée versée au dossier ne correspond pas à celle citée par Le Canard Enchaîné, ni ne porte le numéro 30455 indiqué par le JO (…), et enfin ne fait référence ni à la frégate Germinal, ni au fait que le groupe d’adolescents aurait été suivi et visé. En d’autres termes, la note versée n’est pas la note déclassifiée et c’est une autre note que celle dont nous avons demandé et redemandons la déclassification. En conséquence, nous exigeons la déclassification de la note citée par Le Canard Enchaîné.

De fait, la note déclassifiée, qu’Owni a consultée, présente de possibles auteurs de l’attentat et leurs différents motifs. Les auteurs penchent pour une action d’Al-Qaida, rappelant le “parcours personnel” du numéro deux du groupe terroriste, Ayman al-Zawahiri, lui-même égyptien. A aucun moment n’apparaît l’opération Plomb Durci ou la frégate Germinal. Reçus à leur demande le 10 avril par Jean-Pierre Picca, le conseiller justice de l’ancien Président de la République, les parents de Cécile Vannier ont eu la surprise d’apprendre qu’il s’agit d’un “malentendu”, que le juge Jannier n’avait sans doute pas compris à quelle note précise ils faisaient référence.

Poussière

Un juge qui concentre les critiques, tant des mis en examen que des parties civiles. Lors de l’interpellation en France de Dude Hohxa, Yves Jannier aurait averti les parties civiles que de “la poussière recouvrirait le dossier” si elle venait à s’ébruiter, racontent les familles, choquées par une telle réplique. Elles rappellent que les deux commissions rogatoires n’ont donné aucun résultat. Yves Jannier s’est rendu à deux reprises en Égypte, la première fois en décembre 2009, la seconde fin 2011. Selon plusieurs sources, aucune pièce issue de ces séjours n’est venue enrichir le dossier. Dude Hoxha affirme ne pas avoir été interrogée en sa présence alors qu’elle était détenue en Égypte en décembre 2009. Une personne familière du dossier met en cause la nature des informations récoltées, des renseignements fournis par la DCRI difficiles à faire entrer dans une procédure judiciaire.

Me Garbarini avance une autre piste. La lenteur de l’enquête pourrait provenir du changement de régime en Égypte et donc du renouvellement des interlocuteurs pour les services français. En 2009, un attaché de sécurité intérieur était présent à l’ambassade de France, Olivier Odas. Joint par Owni, il refuse de commenter cette affaire insistant sur son rôle d’abord “la coopération ouverte et non des missions de renseignement” du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP) auquel il était rattaché. Il avait été entendu le 24 février, deux jours après l’attentat, par la commission des affaires étrangères du Sénat, dans le cadre de la rédaction d’un rapport sur “Le Moyen-Orient à l’heure nucléaire”. Une partie était consacrée à la menace d’Al Qaida au Proche-Orient, notamment en Égypte.

Rédigé par deux sénateurs, Jean François-Poncet et Monique Cerisier ben Guiga, le rapport rejette l’hypothèse d’un attentat aveugle et reprend prudemment la thèse des représailles :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a précisé que, d’après les informations fournies sur place, l’attentat du 22 février dernier au Caire a probablement été le fait d’un petit groupe de terroristes improvisés. La bombe était artisanale, d’une puissance explosive faible. L’attentat n’a pas été revendiqué. (…) Les Français étaient-ils visés ? Il paraît probable que la France ait été ciblée, compte tenu de l’amitié proclamée entre le Président Moubarak et le Président Sarkozy et de l’envoi de la frégate Germinal au large de Gaza pour mettre fin à la contrebande par voie de mer. Mais cela ne peut être prouvé, du moins pour l’instant.

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Le lonely planet des jihadistes http://owni.fr/2012/05/15/le-guide-du-routard-des-jihadistes/ http://owni.fr/2012/05/15/le-guide-du-routard-des-jihadistes/#comments Tue, 15 May 2012 18:20:54 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=110306

“Prenez soin de vos pieds et lavez-les correctement.” Dans son testament, Samir Khan, l’un des leaders d’Al Qaida pour la Péninsule arabique (AQPA), livre conseils et recommandations pour mener un jihad convenable. Un retour sur expérience en anglais, découpé en douze courts textes, avec un graphisme soigné, illustré de photographies couleurs. Le petit précis à l’attention de ceux (en Occident) qui veulent mener le jihad (au Yémen, dans les zones tribales et ailleurs) est écrit par Samir Khan, un américain d’origine pakistanaise, tué en septembre dernier dans une frappe de drones de la CIA. La même frappe dans laquelle le chef de la branche, Anwar Al-Awlaki, avait péri.

Presque huit mois plus tard, le 14 mai, les organes de communication d’AQPA se sont fait l’écho du testament de Samir Khan, ciblant explicitement un public occidental. Comme la revue Inspire dont Samir Khan était l’un des principaux artisans, Expectations Full est écrit en anglais. Comme Inspire, sa présentation se veut soignée. D’après ses propriétés, le document au format pdf a été confectionné sur Adobe InDesign CS5, dernière version du logiciel de la prestigieuse série de graphisme du fabriquant Adobe.

“A must read”

Dès l’introduction, rédigée par l’équipe médiatique d’AQPA, les auteurs précisent, en forme d’avertissement, l’origine de celui qui écrit, un musulman occidental :

Certaines choses n’auraient pas été écrites de cette façon si l’auteur ne venait pas lui-même d’Occident.

Samir Khan lui emboite le pas et prévient dans les premières lignes qu’il s’adresse en priorité aux “musulmans qui viennent d’Occident” pour qui ce document “est à lire absolument”. De fait, Samir Khan les cible directement, les avertit, et les dorlote. Avec force de détails et d’attention, il raconte comment se préparer au jihad en passant en revue douze thématiques intitulées : “la propreté”, “d’une base à l’autre”, “vivre à l’extérieur”, “c’est un secret”, “Pourquoi pas l’Occident ?”, “bombardement aérien”, “s’occuper des blessures”, “khidmah (service”), “camp d’entrainement”, “venir avec sa famille”, “politique intérieure”, “l’importance d’Adhkar (les invocations)”.

La revanche des drones

La revanche des drones

La semaine dernière, le chef du mouvement des Taliban au Pakistan aurait été tué par un drone américain qui survolait le ...

Samir Khan recommande aux candidats au jihad de s’habituer à la vie collective dans des espaces confinés. L’apprenti jihadiste devra passer une semaine ou plus “chez [lui], chez un ami, dans un hôtel ou motel, dans les montagnes ou dans une masjid [mosquée en arabe, NDLR]“. Interdiction d’utiliser son téléphone portable – sauf urgence – ou tout appareil électronique – sauf urgence aussi. En revanche, l’étude de “manuels militaires” imprimés au préalable et “les exercices de combats” sont fortement encouragés, de même que diverses tâches ménagères, comme “la cuisine et le nettoyage de vêtements”.

Sans chaussures ni duvet

Mener le jihad au Yémen ou en Afghanistan n’est pas une mince affaire, insiste Samir Khan. C’est dur, physiquement. “Dormir sur le sable, les cailloux ou l’herbe”, parfois “sans couvertures ou sacs de couchage”. “Parcourir nu-pieds dans les montagnes, en marchant sur des branches, des épines, dans la boue ou sur des cailloux pointus”. Le salut n’est donc pas dans la précipitation, mais dans la patience, valeur cardinale du bon jihadiste. Emphatique, Samir Khan écrit :

En résumé, prépare toi au pire et espère le meilleur.

Le pire : les bombardements aériens, “une expérience décisive dans une vie”, qu’ils soient le fait “d’avions de chasse, d’hélicoptères, d’avions furtifs [allusion aux drones, NDLR], de bateaux ou d’autres machins”. Il raconte l’une de ces attaques, utilisant des bombes assourdissantes. Le “moudjahid” (le combattant) se doit aussi de servir sa communauté de combattants comme elle le sert. Une partie est consacrée à ce point, avec une photographie d’un plateau de thé en fond. “Ne pense pas un seul instant que, parce que tu es étranger ou invité des moudjahidin, tu ne dois pas aider les frères” prévient Samir Khan. Il faut se proposer pour la cuisine et quelques autres activités du groupe, comme “creuser, nettoyer ou réparer”.

Il convient aussi de se prémunir contre “les mauvais djinns” qui travaillent avec des individus liés au “gouvernement apostat d’Arabie Saoudite”. De même que le gouvernement – lui aussi “apostat” – du Yémen, qui utilise le “sihr (la magie)” pour combattre les moudjahidin. “Néanmoins, par la grâce d’Allah, il y a beaucoup de bons djinns qui [nous] protègent et nous défendent” conclut Samir Khan, invitant les apprentis à ne pas négliger les invocations (“Adhkar”) avant la tombée de la nuit.

AOC Al Qaida

Son testament a reçu la validation de l’organe médiatique d’AQPA. Le document est estampillé Al-Malahem Media, sorte de label qui officialise la provenance de la propagande diffusée. En décembre dernier, Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, précisait le rôle de ces certificats :

À partir de 2004-2005 apparaissent les grands labels de communication : Al Andalous pour Al-Qaida au Maghreb islamique, Al malahem pour AQPA, Al Furqan pour l’Etat islamique irakien. Tous ces labels ont été utilisés pour diffuser les messages vidéos, sonores et la production écrite.

Des certificats AOC en somme, déclinés pour chaque branche régionale d’Al Qaida. Publicité est faite pour le pdf testamentaire, intitulé Expectations Full, sur des forums proches des milieux jihadistes. Le fichier en haute et basse définition est hébergé sur de nombreux sites de partage, comme souvent pour ces documents de propagande. Les miroirs permettent d’augmenter sa durée de vie en ligne, alors que les hébergeurs font la chasse à ces contenus radicaux.

Le jihad selon Twitter

Le jihad selon Twitter

Après les sites d'information et les forums spécialisés, les jihadistes investissent les réseaux sociaux, Twitter ...

Le jihadiste occidental en devenir doit enfin s’informer sur la situation politique intérieure du pays qu’il choisira. Avant de partir, il se renseignera sur les forces en présence au Yémen ou dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Sur place, il ne dira rien de ses origines, ne posera pas trop de questions à ses camarades. Ces questions pourraient le rendre suspects auprès de ses co-combattants. Samir Khan, cyberjihadiste aux Etats-Unis avant de gagner les camps d’entraînement au Yémen en 2009, raconte en creux ce que d’autres ont dit en des mots plus crus devant la justice : les relations tendues entre les combattants venus d’Occident et les moudjahidin locaux.

Jihad local contre jihad occidental

Dans une affaire d’acheminement de combattants en Afghanistan et au Pakistan, jugée en France en février 2011, l’un des condamnés, Walid Othmani, était parti sur zone après avoir assidûment fréquenté des forums. Les conditions décrites dans le jugement entrent en résonance avec les avertissements du testament de Samir Khan. Walid Othmani était “cantonné à des tâches non-combattants comme la cuisine et en avait conçu du dépit” notent les magistrats dans leur jugement. Si bien que le cyberjihadiste sorti de son écran en était arrivé à se “demand[er] ce qu’il faisait là”.

Dans les zones tribales afghano-pakistanaises, avait-il expliqué aux enquêteurs, “les candidats qui venaient rejoindre les talibans afghans n’étaient pas les bienvenus auprès des Pachtounes, notamment pour des raisons culturelles de méfiance à l’égard des « arabes », a fortiori lorsqu’ils étaient, comme eux, occidentalisés”, rapporte le jugement. Plusieurs familiers de ces affaires confirment un climat de suspension et de tensions entre jihadistes occidentaux et jihadistes locaux. Samir Khan le suggère lui même, dans des termes choisis :

On vous demandera certainement pourquoi vous n’avez pas mené le jihad chez vous. Ils ne vous renverront pas dans votre pays, mais laisseront cette option ouverte au cas où vous changeriez d’avis et décidiez d’attaquer l’ennemi chez vous.

Dans la section dédiée, intitulée “Pourquoi pas l’Occident”, Samir Khan incite ses lecteurs à mener le jihad chez eux, c’est à dire en Europe et aux États-Unis. En fond visuel, une photographie du pont de Brooklyn à New-York et des conseils de l’auteur : “Je recommande fortement à tous les frères et soeurs venant d’Occident de penser à attaquer l’Amérique dans son arrière-cour. L’effet est bien plus grand”. En guise de conclusion, son testament se termine par cette phrase :

Aussi, maintenant que vous savez ce qui vous attend, vous pouvez faire la comparaison avec le jihad en Occident, peser le pour et le contre, prendre une décision.

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Adlène Hicheur terroriste idéal condamné avec ses pères http://owni.fr/2012/05/05/hicheur-terroriste-tribunal-jugement/ http://owni.fr/2012/05/05/hicheur-terroriste-tribunal-jugement/#comments Sat, 05 May 2012 15:33:57 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=109135

Cinq ans de prison, dont quatre fermes. Le verdict prononcé contre Adlène Hicheur n’a pas surpris, mais a choqué ses soutiens. Physicien de haut niveau au Cern, il est condamné pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En cause : des échanges de mails avec un correspondant identifié par les services antiterroristes comme étant Moustapha Debchi, présenté comme un cadre d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en Algérie, ce que la commission rogatoire en Algérie n’a pas permis de prouver.

La présidente de la 14e Chambre du tribunal de grande instance (TGI) a murmuré le verdict. Hors micro, à voix basse, Jacqueline Rebeyrotte l’a rapidement énoncé, avant de lever la séance (la copie de son jugement est publiée au bas de cet article).

Confiscation

À la prison ferme, le tribunal ajoute la confiscation des scellés, soit plus de 15 000 euros trouvés en cash lors des perquisitions et du matériel informatique. Sur les 15 000 euros, 13 000 étaient destinés à financer le début de travaux en Algérie, où Adlène Hicheur venait d’acquérir un terrain. Loin d’un détail, cette confiscation s’apparente à “une humiliation” dénonce Me Baudouin qui n’a pas mâché ses critiques à l’issue du verdict :

Le fruit de ses recherches, son travail intellectuel est confisqué. Il a beau être soutenu par plus de 400 physiciens du monde entier, dont un prix Nobel [Jack Steinberger, NDLR], il lui sera difficile de reprendre une vie professionnelle à sa sortie. On a la sensation que l’intention est de le briser, de l’humilier.

Hicheur bon terroriste confirmé

Hicheur bon terroriste confirmé

Le physicien du Cern accusé d'activités terroristes, Adlène Hicheur, a comparu jeudi et vendredi devant le tribunal ...

Avant l’audience, l’avocat se disait inquiet, bien qu’une “surprise soit toujours possible”. Ses critiques visaient en premier lieu la tenue du procès les 30 et 31 mars derniers, présidé par une magistrate du siège qui “n’assurait pas l’équilibre entre l’accusation et la défense”, mais semblait s’être rangée du côté du Parquet.

Halim Hicheur, le frère du physicien, aussi était inquiet, notamment en raison de la tenue du procès, “complètement à charge”. Un déroulement qui avait surpris Adlène Hicheur, surtout le premier jour : la Présidente procédait à de longues lectures et lui demandait ensuite de réagir, la plupart du temps sans poser de questions plus précises. La deuxième journée avait permis davantage d’échanges. Sans convaincre Me Baudouin d’un déroulement correct : “C’est un scandale judiciaire et l’aboutissement de la logique du rouleau compresseur” a-t-il dénoncé à l’issue du prononcé du verdict.

Au centre de ses critiques : un chef d’accusation (l’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste) qui n’a jamais reposé sur des faits, “le moindre commencement de cadre pré-opérationnel”. Une procédure abusive qui inaugure l’ère du “pré-terrorisme” et ne manquera pas d’alimenter la propagande d’esprits radicaux, a poursuivi l’avocat :

Ces injustices font le choux gras des terroristes. C’est très regrettable.

Dans des termes très durs, Me Baudouin a dénoncé les risques pour les libertés individuelles et la démocratie d’une justice qui ne reposerait que sur des propos tenus pour qualifier de terroristes des individus. Halim Hicheur a concentré ses critiques contre une “justice qui n’a plus rien d’indépendante”, désignant “une culpabilité déterminée dès le premier jour” :

Le scénario a été écrit dans les bureaux de la DCRI [Direction centrale du renseignement intérieur, le "FBI à la française" créé par Nicolas Sarkozy en 2008, NDLR]. Il a ensuite été entretenu par son directeur Bernard Squarcini et Frédéric Péchenard [le directeur central de la police judiciaire, NDLR] qui a évoqué dans les médias une bombe qu’Adlène aurait été prêt à poser. A aucun moment cette accusation n’est ressortie pendant le procès.

Story telling

Mathieu Burnel lui a emboité le pas, visant le “story telling” jamais contrarié de l’accusation. Mis en examen dans l’affaire Tarnac, il a apporté son soutien à Adlène Hicheur lors d’une conférence de presse mi-mars et a signé en début de semaine une tribune dans Le Monde avec Halim Hicheur, Jean-Pierre Lees, directeur de recherche au CNRS, et Rabah Bouguerrouma, porte-parole d’un collectif viennois créé pour l’occasion.

À la sortie de l’audience, devant les dizaines de caméras et de micros, Mathieu Burnel a vivement déploré la distorsion entre cette issue qui paraissait “aberrante à tout le monde, y compris les journalistes” et l’absence de remise en question du “story telling” par les médias alors que l’arrestation s’était déroulée presque un an jour pour jour après Tarnac :

Dans l’affaire Tarnac, les journalistes ont fait leur métier. Dans l’affaire Hicheur, ils sont là pour compter les années de prison.

Lors du procès, Adlène Hicheur avait contesté le chapeau qu’on essayait de lui faire porter, “plus une plate-forme qu’un sombrero”. Outre les 35 mails échangés, l’accusation s’appuyait sur les documents trouvés chez lui, dont les traductions étaient très approximatives avait-il dénoncé. Dans son jugement, le tribunal note que ces documents “démontrai[en]t l’intérêt, voire la fascination, d’Adlène Hicheur pour l’islamisme radical et le jihad guerrier” (voir p. 17 du jugement reproduit en intégralité au bas de l’article). Et réfute d’un point d’interrogation la défense du prévenu (page 14) :

Interrogé sur la teneur de ces documents, Adlène Hicheur a déclaré qu’ils étaient “relatifs à l’histoire de l’Islam” (?).

L’affaire est à la croisée du cyberjihad et de l’association de malfaiteurs. Le premier, la “fréquentation assidue [par Adlène Hicheur] de sites pro-djihadistes, ainsi que par son action pour l’animer et traduire, afin de les mettre en ligne, des documents émanant notamment d’AQMI” confirme son intérêt pour le jihad selon le tribunal.

Le second, l’association de malfaiteurs, était le plus contesté par sa défense qui soulignait des propos parfois inquiétants mais limités à l’échange d’opinions. Pour le tribunal, Adlène Hicheur a désigné “une cible potentielle à un individu appartenant à une organisation terroriste, en l’occurrence AQMi, sans savoir quelle suite serait donnée à sa suggestion”.

Il a ensuite détaillé les modalités dans un texte (page 40). Ce texte avait fait l’objet de vives protestations de la part de la défense d’Adlène Hicheur : il n’a jamais été envoyé et ne peut être qualifié de message. Le tribunal l’a considéré comme tel, s’appuyant sur sa forme : “Il s’agissait donc d’une missive complète et manifestement envoyée” (sic).

Le jugement se clôt donc sur une peine de cinq ans, dont quatre fermes, que les deux ans et demi de détention provisoire effectués par Adlène Hicheur couvriront en partie. La circonstance atténuante, un an avec sursis, est accordée au titre de son origine algérienne (page 45) :

Adlène Hicheur a employé plusieurs fois le terme “humiliation” et l’on sent, à travers les messages de cet homme intelligent et fier, la douleur d’appartenir à un peuple qui a effectivement été colonisé pendant deux siècles par des représentants de son pays d’accueil et d’adoption ainsi que la difficulté à surmonter cette antinomie. Le Tribunal ne peut de même ignorer qu’Adlène Hicheur est né à Sétif, ville de triste mémoire, ce qui n’a pu que renforcer son sentiment d’injustice, d’humiliation devant le sort réservé à ses pères (sic).

Jugement affaire Hicheur anonymisé


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Hicheur bon terroriste confirmé http://owni.fr/2012/03/31/adlene-hicheur-terroriste-confirme/ http://owni.fr/2012/03/31/adlene-hicheur-terroriste-confirme/#comments Sat, 31 Mar 2012 15:19:09 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=104297

Palais de justice de Paris © Laurent Vautrin/Le Carton/Picturetank

Vendredi soir, 22h45. Devant la salle d’audience de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, les avocats ont retiré leur robe. Une caméra éclaire un visage fatigué. Quelques micros enregistrent les dernières réactions. Le procès d’Adlène Hicheur vient de prendre fin après deux longues après-midis d’audience dans une petite salle, bondée, du palais de justice. Six ans ferme ont été requis.

Journalistes et soutiens étaient venus en nombre pour suivre le procès du physicien du Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern), arrêté le 8 octobre 2009 et suspecté d’avoir projeté des attentats sur le sol français en lien avec Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Tout au long de l’instruction, longue de deux ans pendant lesquels Adlène Hicheur a été maintenu en détention provisoire, ses défenseurs ont dénoncé une procédure à charge.

Le parfait terroriste physicien

Le parfait terroriste physicien

Il y a deux ans, un physicien du Cern d'origine algérienne, devenait le client idéal de l'antiterrorisme à la française ...

Le procès a confirmé leur crainte. Lors d’une conférence de presse mi-mars, l’avocat du physicien, Me Baudouin, s’en était remis à l’impartialité du tribunal, honorable porte de sortie pour un dossier qu’il a qualifié sans cesse de “noyé”, voire ficelé. Pendant les deux demi-journées d’audience, seule la Présidente, Jacqueline Rebeyrotte, a pris la parole parmi les trois magistrats. Parfois pour poser des questions précises, souvent pour demander “une réaction” au prévenu après avoir longuement lu des pièces du dossier.

Les défenseurs ont été très surpris par la nature de certaines de ces pièces lues, comme cette note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dont la Présidente n’a rappelé la nature qu’à la demande insistante des défenseurs. Ou encore un article paru dans un journal algérien dont “les liens entre certains journalistes et les services de renseignement sont connus” a fait remarquer Me Baudouin.

L’air grave

Jeudi 29 mars, à 13h45, la première audience s’ouvre. Adlène Hicheur arrive dans le box des accusés, appuyé sur une béquille, flottant un peu dans un costume beige, rasé de près, le visage aminci. L’air grave. Il encourt jusqu’à 10 ans de prison pour association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste. La Présidente commence une liste à la Prévert de ses diplômes en physique. Mention bien, mention très bien. Jusqu’à un doctorat obtenu en mai 2003.

A la barre, Adlène Hicheur reprend avec force de détails chaque point énoncé, avec la volonté de montrer les failles de l’accusation. Il le fera pendant toute la durée du procès. Il lui est principalement reproché d’avoir échangé des messages sur Internet avec Phoenix Shadow et soleilde36@yahoo.fr, que les services de renseignement français affirment avoir identifié en la personne de Moustapha Debchi, présenté comme un cadre d’AQMI alors dans le maquis en Algérie.

Statues dans le Palais de justice de Paris © Jerome E. Conquy Picturetank

“Pourquoi rechercher la clandestinité dans ces échanges ?” interroge la Présidente, se référant aux rapports des enquêteurs. “Utiliser un pseudonyme sur Internet n’a rien à voir avec la clandestinité” répond Adlène Hicheur. “Certes, mais pourquoi avoir recours à un logiciel de cryptage, en l’espèce Ansar El Mojahedeen ?” rétorque la magistrate. “Il était très utilisé sur Al-Falloujah [un forum présenté comme "diffuseur de la propagande d'Al-Qaida" par les enquêteurs, NDLR]. Il était utilisé pour les discussions politiques un peu tangentes à propos d’organisations politiques ou politico-militaires” se défend Adlène Hicheur.

Des discussions politiques “tangentes”. La Présidente s’émeut de l’expression lorsque Adlène Hicheur l’emploie à nouveau pour qualifier les échanges de messages avec soleilde36@yahoo.fr. Le 24 février, celui-ci lui écrit :

Je voudrais (en tant que pauvre esclave) exécuter des opérations en France et il nous manque les amoureux de HOUR prêts à ceci (…) La seule condition que les demandeurs du martyre soit des personnes sérieux.

Et Adlène Hicheur de répondre une semaine plus tard :

Mon frère, tu ne peux pas savoir combien m’a honoré et à quel point j’étais heureux de ta proposition, que Dieu te bénisse. Mais je vais répliquer par les deux points suivants.

S’en suit un développement d’Adlène Hicheur sur sa vision du jihad avant de conclure :

J’espère te faire comprendre que je ne suis lâche mais j’imagine un cadre général de l’affaire pour améliorer les compétences pour atteindre les objets.

En somme, résume la présidente, soleilde36 lui propose des attentats suicides et Adlène Hicheur ne cesse pas la discussion :

– Comment un homme de votre niveau peut-il continuer à discuter avec quelqu’un comme soleil36 après ses propositions ?
– J’ai reconnu une attitude tangente.
– Le mot est faible.
– Elle [mon attitude] m’a déjà coûté 30 mois de prison.

Interrogé par son avocat, il reconnait alors que “ces propos sont de nature à inquiéter”, comme il l’avait reconnu devant le magistrat instructeur dit-il. Me Baudouin rappelle l’opposition d’Adlène Hicheur aux attentats suicides, exprimée le 10 mai 2010 devant le juge d’instruction. La discussion s’est emballée, plaident la défense et son client, rappelant l’inactivité d’Adlène Hicheur à cette période en raison de problèmes de santé qui l’ont conduit à une hospitalisation.

“Totale duplicité”

Une position qui ne convainc guère le Procureur de la République, Guillaume Portenseigne, familier et fin connaisseur des affaires jihadistes selon plusieurs avocats. Dans son réquisitoire, il dénonce la “totale duplicité du prévenu” et lui reproche de n’avoir jamais répondu aux questions durant le procès. A plusieurs reprises, il lui demande de qualifier ses croyances :

– Êtes-vous un musulman salafiste jihadiste ?
– Je suis musulman, je n’ai pas de chapelle.
– Êtes-vous favorable au jihad armé ?
– Je comprends que des gens résistent à une occupation.

Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Tentatives d’esquiver des réponses claires selon le Procureur, refus des “istes” pour Adlène Hicheur qui ironise sur le risque de ressortir atteint d’une “istite aigüe”. Usant d’expressions qui le faisaient ressembler à l’avocat de lui-même, Adlène Hicheur a dénoncé successivement “les dégueulasseries de haut niveau” qui entachent l’enquête et la taille du chapeau qu’on essayait de faire porter “plus une plate-forme qu’un sombrero”.

De même pour dénoncer l’association faite entre le pseudo Pheonix Shadow ou l’adresse soleilde36@yahoo.fr et Moustapha Debchi : “On me présente une équation à deux inconnus a et x, et on me demande de dire que a = x.”

Pour la défense, aucun élément ne permet d’affirmer que Moustapha Debchi était bien Pheonix Shadow. Tout au long du procès, les avocats de la défense ont essayé de reprendre la Présidente lorsqu’elle utilisait le nom de Moustapha Debchi comme expéditeur des messages sans plus de précautions.

Le procès verbal de l’audition de Debchi en Algérie, au terme d’une commission rogatoire internationale, pose plus de questions qu’il n’offre de réponses selon Me Baudouin. Dans sa plaidoirie, il a rappelé sa connaissance du fonctionnement de la justice algérienne étant avocat dans l’affaire des moines de Tibhirine.

Je sais que l’Algérie n’est pas un État de droit. Il ne s’agit pas d’une coopération entre justice française et justice algérienne, mais entre services français et services algériens.

Jihad médiatique

Dans son réquisitoire, vendredi soir, le Procureur a réfuté les accusations d’une quelconque instrumentalisation politique du cas d’Adlène Hicheur. “Il n’est pas un martyr de la lutte antiterroriste” a-t-il affirmé. Avec, au passage, un coup de griffe contre “les commentaires médiatiques qui relaient la parole de la défense”. Et de tonner :

La défense n’a pas le monopole de la sincérité.

Pour balayer “ce climat de pression indirect qui parasite le dossier”, Guillaume Portenseigne a aussi invité à mettre de côté l’affaire Merah, dont “l’exploitation dans ce procès serait facile”. Préambule passé, le représentant du parquet s’est longuement attardé sur le rôle d’Adlène Hicheur dans le jihad médiatique qu’il s’est efforcé de définir, citant les propos de l’actuel chef d’Al Qaida, Ayman Al-Zawahiri. “Le jihad médiatique représente la moitié du jihad global” avait déclaré Al-Zawahiri en 2005 avant de le confirmer en 2007. Le Procureur a asséné :

Le jihad médiatique est une arme de recrutement massive. Adlène Hicheur a été l’un des principaux relais francophones de la propagande d’Al-Qaida. Il a fait preuve d’un engagement total pour le sites jihadistes.

A l’appui, le représentant du ministère public cite la participation d’Adlène Hicheur à plusieurs sites, des traces de navigation retrouvées sur son disque dur et un projet daté de plusieurs années. Selon deux personnes entendues dans le cadre d’une garde à vue, deux internautes avec qui Adlène Hicheur était en contact au début des années 2000, ils devaient ouvrir un site, “Thabaat” (raffermissement) en 2005. Aucun lien avec le jihad armé s’est défendu Adlène Hicheur, accusant les enquêteurs d’avoir fait pression sur les deux internautes pour obtenir des déclarations à charge.

Un argument que Me Baudouin a utilisé pour donner du sens aux déclarations faites par Adlène Hicheur lors de sa garde à vue.

Les interrogatoires n’ont cessé. Il a été arrêté le 8 octobre à 6h et interrogé de 17h45 à 17h55, de 18h à 18h45, de 19h à 19h30, et le 9 octobre de 1h15 à 3h05, de 4h à 4h45, de 10h à 10h45.

Et ainsi de suite pendant quatre jours, durée maximale de la garde à vue, en vertu de la justice d’exception pour les affaires terroristes. “Une justice dérogatoire du droit commun” a balayé le Procureur. “Toute justice qui déroge au droit commun est d’exception” a rétorqué Me Baudouin. Le verdict sera rendu le 4 mai.


Photographies du Palais de Justice de Paris via Picture Tank de © Laurent Vautrin/Le Carton et © Jérôme E. Conquy, tous droits réservés

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http://owni.fr/2012/03/31/adlene-hicheur-terroriste-confirme/feed/ 17
Le bug du cyberjihad http://owni.fr/2012/03/28/cyberjihad-un-peu-perdu/ http://owni.fr/2012/03/28/cyberjihad-un-peu-perdu/#comments Wed, 28 Mar 2012 10:30:43 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=103831 "jihad médiatique" à ce jour. Deux ans après, l'affaire piétine, comme le montrent les éléments inédits recueillis par OWNI.]]>

Réprimer la consultation “de manière habituelle des sites Internet qui font l’apologie du terrorisme, ou véhiculant des appels à la haine ou à la violence”. Depuis une semaine, le président-candidat Nicolas Sarkozy multiplie les interventions contre le rôle supposé des sites internet jihadistes. La première charge date du jeudi 22 mars. Mohamed Merah venait d’être tué par les forces du Raid.

Les sites Internet jihadistes ont déjà attiré l’attention des services antiterroristes français. Au printemps 2010, une vague d’arrestations ciblait les membres d’un forum, Ansar Al Haqq (les partisans de la vérité).

Deux ans plus tard, l’instruction est toujours en cours, faute d’éléments déterminants dans une affaire qui a “explosé en plein vol” selon des proches du dossier. Une affaire dans laquelle les protagonistes apparaissent dans d’autres procédures, mais la seule à reposer uniquement sur du virtuel, sur des activités en ligne, ajoutent ces mêmes sources.

Six suspects mis en examen

27 avril 2010. Cinq personnes sont arrêtées par la Sous-direction antiterroriste (SDAT) et placées en garde à vue en région parisienne, à Marseille et à Vannes. Un autre mis en cause, Marie est entendue trois jours plus tard. Quelques mois plus tôt, elle avait été interpellée et mise en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Le nom de Farouk Ben Abbes apparaît alors. De nationalité belge, il avait été interpellé en mai 2009 en Égypte, pour son implication supposée dans l’attentat du Caire qui avait tué une jeune française et blessé 24 personnes.

L’opération menée contre Ansar Al Haqq est le prolongement d’une affaire plus ancienne : l’acheminement de combattants en Afghanistan. Dite “des filières afghanes”, elle était instruite par le juge antiterroriste Marc Trévidic, familier des questions jihadistes. Pour Ansar Al Haqq, une disjonction est opérée : “le jihad médiatique” revient à Nathalie Poux, un autre juge de la Galerie Saint-Eloi, la section spécialisée dans les affaires terroristes du tribunal de grande instance de Paris.

Surveillé dès juin 2008

En avril 2010, une opération d’envergure est menée contre les modérateurs et administrateurs du forum Ansar Al Haqq. L’affaire débute deux ans plus tôt, en juin 2008. La SDAT surveille alors un salon de discussion sur la plateforme de messagerie instantanée Paltalk. Sur ce salon figure l’adresse d’un site décrit comme affichant “clairement son soutien aux moudjahidin appelant la communauté musulmane à soutenir le combat contre les mécréants” : Ansar Al Haqq.

Le site est accusé de propager l’idéologie jihadiste sur Internet, suivant la logique du jihad médiatique développée par Ayman Al Zawahiri, l’ancien numéro deux d’Al-Qaida devenu le chef après la mort d’Oussama Ben Laden. Les services notent que plusieurs utilisateurs du forum utilisent en signature une phrase qui résume selon eux cette théorie :

Le djihad médiatique, c’est la moitié du combat.

Parmi ces utilisateurs, Ali et Farouk Ben Abbes, l’un des premiers administrateurs du forum. Farouk Ben Abbes est considéré comme particulièrement actif sur le forum à partir de juin 2007, diffusant des communiqués revendiquant des attentats commis par des groupes et organisations proches d’Al-Qaida. Ali occupe lui aussi le rôle de modérateur puis d’administrateur du forum, mais ni l’un ni l’autre n’apparaît parmi les fondateurs.

Le forum Ansar Al Haqq est décrit comme le prolongement d’un blog, Al Firdaws, fondé par Nicolas et Marie, le premier alors âgé de 20 ans et la seconde de seulement 16 ans à en croire la SDAT. Fermé pour incitation à la haine raciale, Al Firdaws devient Ansar Al Haqq à partir de décembre 2006. Le forum est hébergé en Malaisie.

Autour des fondateurs est structurée une petite équipe dirigeante. Erwan et Julien jouent le rôle de modérateurs. Erwan n’est pas inconnu des services, son nom est apparu dans d’autres dossiers. En 2010, lors de son arrestation, il a 37 ans. Le second, Julien est plus jeune. Il a 24 ans mais son nom apparaît aussi dans des affaires antérieures, notamment en lien avec l’Irak.

Le dernier est Arnaud, 27 ans, lui aussi connu des services antiterroristes qui l’ont déjà interpellé. Sur Ansar Al Haqq, il est accusé de diffuser la propagande d’Al-Qaida et de veiller à ce que les contributions respectent les théories professées.

Seule affaire de “jihad médiatique”

L’affaire repose sur l’utilisation de sites Internet à des fins de diffusion de propagande. En décembre dernier, le chercheur à l’école des hautes études en sciences sociales, Dominique Thomas, nous décrivait un site s’adressant à un public francophone assez cultivé  :

Ansar Al Haqq veut faire connaître le message, diffuser les informations et créer une sphère de sympathisants. Des textes complexes, avec des références à l’islam médiéval, sont traduits par des utilisateurs.

La question du caractère opérationnel des échanges, sur lequel insiste la SDAT, n’a pas encore été appréciée par des juges, l’affaire étant toujours à l’instruction. L’un des mis en cause, Arnaud a bénéficié d’une procédure de nullité déposée devant la chambre de l’instruction. Le Parquet ne s’est pas pourvu en appel, il a été libéré fin 2010.

Ali n’a pas été placé en détention provisoire, mais sous contrôle judiciaire après sa mise en examen. Nicolas a lui aussi été libéré très rapidement, de même que Farouk Ben Abbes, pendant l’été 2011.

L’un des défenseurs dénonce l’utilisation du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste pour réprimer des opinions, ce qui relèverait du droit de la presse et des lois de 1881. En somme, une confusion entre la section A4 du tribunal de grande instance de Paris, chargée de la presse, et la section C1, dédiée aux affaires de terrorisme, ajoute l’un d’eux.

Avertissement

Sur le forum Ansar Al Haqq, un avertissement a été mis en ligne le 8 octobre 2010, quelques mois après les arrestations. Sous le titre évocateur “Préservez-vous mes frères et soeurs ! Préservez-vous !”, le message évoque l’affaire :

Vous avez surement du remarquer et lire dans les news que ces temps-ci il y a eu plusieurs arrestations de frères et soeurs. Une de ces arrestations concernait les modés et anciens modés ainsi que les admins du site Ansar al Haqq. Et oui plusieurs admins et modés ont été arrêté il y a de ça plusieurs mois pour être interrogé sur une enquête qui s’intitule: “Opération Ansar al Haqq.” Oui en effet un juge a été chargé d’enquêter sur notre site Ansar al Haqq pour ce qu’ils appellent “propagande jihadiste sur internet.”

Des recommandations sont ensuite prodigués aux lecteurs et intervenants du forum :

Cette enquête a commencé depuis plus de deux ans ! En d’autres termes cela veut dire que des agents de la DCRI [la Direction centrale du renseignement intérieur, NDLR] viennent régulièrement sur le forum pour nous surveiller et lire ce qu’on post depuis déjà plus de deux années !!

Faites attention à ce que vous écrivez et ne donnez pas une occasion aux agents de la DCRI de venir vous arrêter chez vous un beau matin.

Le 4 mars dernier, un utilisateur a ajouté des précisions, tirées du livre l’Espion du Président consacré à la DCRI, sur les méthodes de surveillance utilisées par le service de contre-espionnage français.


Illustration et couverture par Loguy pour Owni /-)

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http://owni.fr/2012/03/28/cyberjihad-un-peu-perdu/feed/ 3
Dix jours de profils terroristes http://owni.fr/2012/03/22/dix-jours-profils-terroristes-mohamed-merah/ http://owni.fr/2012/03/22/dix-jours-profils-terroristes-mohamed-merah/#comments Thu, 22 Mar 2012 11:02:45 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=102925

Un inconnu qui règle ses comptes, un déséquilibré, un néo-nazi viré de l’armée, un jihadiste. Depuis une semaine, les enquêteurs ont étudié des pistes multiples, et autant de profils, pour trouver le coupable des assassinats qui secouent la région de Toulouse.

Mercredi, à 16h30, le procureur de Paris, François Molins a brandi une réponse : l’auteur présumé, Mohamed Merah, présente un profil “d’autoradicalisation salafiste atypique”. La formule clôt une enquête de 12 jours, depuis l’assassinat d’Imad Ibn Ziaten, un sous-officier du 1er régiment du train parachutiste.

Tous les profils

La Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), saisie, étudie alors toutes les pistes, y compris des querelles personnelles. L’affaire prend une tournure plus sérieuse à partir du 15 mars, quand trois militaires du 17e régiment du génie parachutiste sont pris pour cibles ; deux sont tués d’une balle dans la tête, le troisième très grièvement blessé.

La DCPJ reçoit l’aide des services spécialisés dans les affaires terroristes, la sous-direction antiterroriste (SDAT) et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Mais le profil du tueur reste éthéré. Lundi, trois enfants et le père de deux d’entre eux sont assassinés dans une école juive, à Toulouse. Les enquêteurs semblent alors privilégier deux pistes : celles du néo-nazi et du jihadiste.

En 2008, la caserne de Montauban, le 17e RGP, avait été éclaboussée d’un scandale. Le Canard Enchaîné avait publié une photo montrant trois militaires du régiment devant un drapeau nazi, en train de faire le salut fasciste. Plusieurs voix dénonçaient alors un climat raciste au sein de la caserne.

Autre source d’intérêt pour les policiers, l’assassin semble aguerri au maniement des armes. Dans les témoignages recueillis et sur les images filmées dans l’école, ils notent son sang-froid, sa parfaite maîtrise et son calme.

Du néo-nazi au jihadiste

Mardi en fin d’après-midi, le procureur de Paris dément favoriser une hypothèse plutôt qu’une autre. Toutes les pistes restent ouvertes, martèle-t-il. Du néo-nazi au jihadiste, Mais dans la nuit, mercredi matin très tôt, assaut est donné contre le logement d’un habitant du quartier bourgeois de la Côte Pavée à Toulouse, au 17 rue du Sergent Vigné.

Enquête en bas débit

Enquête en bas débit

L'identification du terroriste au scooter a été très rapide, selon certains. La chronologie que nous avons reconstituée ...

Le profil de l’assassin présumé se dessine dans la journée, alors que s’égrainent les conférences de presse. Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, le décrit comme “celui qui a commis les assassinats successifs des 11, 15 et 19 mars”. Un jihadiste. Un jeune de la banlieue toulousaine. Il a grandi entre la cité du Mirail et les Izards, un quartier populaire. Le premier assaut des unités d’intervention spéciales du RAID, lancé à 3h10, a été accueilli par un rafale de tirs par l’occupant des lieux. Il blesse deux policiers, l’un au genou, l’autre légèrement. Un autre assaut à 5h donne un résultat similaire. Un nouveau blessé, à l’épaule, côté policier et l’homme reste toujours retranché à son domicile.

Zones tribales

Mais un canal de communication est établi. Un négociateur du RAID parvient à parler avec lui. Il est prolixe, dévoile son passé et revendique les sept assassinats de la semaine. L’homme a un nom et un âge, rendus public tôt le matin. Mohamed Merah, 24 ans, finalement ramené à 23 en fin de journée.  Il dit agir au nom d’Al-Qaida, vouloir punir la France pour son engagement en Afghanistan et tuer des enfants juifs pour venger la mort d’enfants palestiniens.

Selon le procureur du parquet antiterroriste, François Molins, Mohamed Merah a effectué deux séjours dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Il s’y serait rendu par ses propres moyens, “sans avoir recours aux filières connues”, et surveillées. Contrôlé par hasard par les autorités afghanes, il est remis à l’armée américaine, puis renvoyé en France lors de son premier séjour, dont le parquet n’a pas précisé la date.

Son second séjour aurait duré deux mois, entre “mi-août et mi-octobre 2011″, date à laquelle il rentre en France, atteint d’un hépatite A. Mineur, Mohamed Merah avait été condamné à de nombreuses reprises pour des délits de droits communs. Il avait été écopé d’un an de prison. Mohamed Merah a deux frères aînés, dont Abdelkader, 29 ans. Tout comme leur mère, Abdelkader a été interpellé un peu après 3h30 mercredi matin.

Pas très pratiquant

Dans la matinée de mercredi, alors que Mohamed Merah est retranché à son domicile, des jeunes du quartier, connaissances et anciens camarades d’école, viennent à la rencontre des journalistes rassemblés à une centaine de mètres du 17, rue du Sergent Vigné.

L’un d’eux, Samir, décrit Mohamed comme une personne calme et généreuse, un type “qui porte les courses des vieilles”. Il dit ne pas comprendre, n’être pas au courant de séjours en Afghanistan ou de sa radicalisation. “Un croyant, mais pas très pratiquant” selon lui.

Kamel affirme être sorti la semaine passée avec Mohamed Merah dans une “boîte orientale” de Toulouse, le Calypso, et n’avoir rien remarqué. Tous condamnent unanimement. “Et encore, condamner, le mot n’est pas assez fort” ajoute l’un d’eux. “C’est comme le 11 septembre” déplore Samir.

Mercredi après-midi, le procureur, Michel Salins décrivait un jeune homme ayant connu des troubles du comportement enfant, un passé compatible avec “le profil psychologique du suspect”. Une personne au profil solitaire, qui pourrait passer des heures à regarder des vidéos très violentes, “comme des scènes de décapitation”, un loup solitaire au profil “d’autoradicalisation salafiste atypique”.

Jeudi matin, vers 11h30, Mohamed Merah est tué lors d’un assaut mené par les policiers.


Illustration (cc) par Truthout.org

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http://owni.fr/2012/03/22/dix-jours-profils-terroristes-mohamed-merah/feed/ 6
Les vilains terroristes se rebellent http://owni.fr/2012/03/16/les-vilains-terroristes-se-rebellent/ http://owni.fr/2012/03/16/les-vilains-terroristes-se-rebellent/#comments Fri, 16 Mar 2012 13:40:47 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=102332

À priori, les deux affaires ne se ressemblent pas. D’un côté, deux mis en examen dans l’affaire de Tarnac. Militants de “l’ultra-gauche”, “anarcho-autonomes” selon les mots de Michèle Alliot-Marie alors ministre de l’Intérieur, ils sont arrêtés en novembre 2008, soupçonnés de sabotage de lignes TGV.

De l’autre, Adlène Hicheur, physicien au du Cern, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire. Accusé d’avoir projeté des attentats en France en lien avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), il est interpelé le 8 octobre 2009 et maintenu en détention provisoire depuis.

Tarnac Production

Tarnac Production

Tarnac dossier judiciaire scandaleux, dérive éloquente de l'antiterrorisme à la française. Certes. Mais aussi et surtout ...

Entre les deux affaires, un dénominateur commun : “la fabrication de parfaits terroristes, une dérive de l’antiterrorisme”, ont affirmé les intervenants de la conférence de presse qui s’est tenue jeudi matin à la Ligue des droits de l’homme. Elle réunissait avocats et groupes de soutiens des deux affaires.

Une différence de taille les sépare. Les inculpés de Tarnac bénéficient aujourd’hui d’un relatif capital de sympathie. Adlène Hicheur pâtit au contraire de la “circonstance aggravante de ne pas être blanc” selon l’un des mis en examen de Tarnac qui a contacté Halim Hicheur, le frère ainé d’Adlène, après la publication d’une tribune.

Intelligents

Pour l’un des avocats des mis en examen de Tarnac, Jérémie Assous, la personnalité de ses clients a contribué à faire changer le point de vue de l’opinion :

Il s’agit de jeunes gens intelligents, blancs, issus de la classe moyenne, certains ont fait des études brillantes. Ils maitrisent la prise de parole publique. Une identification est possible pour les journalistes et le public.

À titre d’exemple, il cite la libération de Julien Coupat intervenue quelques jours après une longue interview parue dans Le Monde. Mathieu Burnel, arrêté en novembre 2008 dénonce la logique de l’antiterrorisme qui fonctionne comme une histoire, au lieu de reposer sur des éléments matériels. Dans cette mise en récit, “le pouvoir médiatique se fait l’adjoint des pouvoirs policier et politique” critique Benjamin Rosoux, l’autre inculpé de Tarnac présent à la conférence de presse de jeudi.

Me Assous explique cette partialité en partie par la disponibilité des sources au début d’une affaire :

Les médias n’ont d’abord des informations que du parquet ou de la police. Ensuite, ils ont souvent une méfiance vis-à-vis de la parole de la défense, que ce soit les avocats ou les proches des mis en examen.

Dans l’affaire Adlène Hicheur, ses soutiens dénoncent aujourd’hui une fine orchestration médiatique, qui commence dès la garde à vue. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur de l’époque, est en déplacement à Lyon alors qu’Adlène Hicheur y est interrogé après avoir été interpelé au domicile de ses parents à Vienne. Lors d’une conférence de presse improvisée, Brice Hortefeux affirme que “la France a peut-être évité le pire”.

“Éveiller les fantasmes”

Transparaît une allusion aux qualifications scientifiques d’Adlène Hicheur, physicien de très haut niveau en physique nucléaire. “Une façon d’éveiller les fantasmes qui n’a rien à voir avec la réalité” dénonce Patrick Baudouin, son avocat. Le dossier repose aujourd’hui sur 35 mails échangés avec un interlocuteur que la DCRI a identifié en la personne de Moustapha Debchi, décrit comme un cadre d’AQMI.

Le parfait terroriste physicien

Le parfait terroriste physicien

Il y a deux ans, un physicien du Cern d'origine algérienne, devenait le client idéal de l'antiterrorisme à la française ...

L’arrestation de ce dernier a été rapportée dans la presse algérienne en février 2011. En septembre, le procès-verbal de son interrogatoire par les services de sécurité algériens est versé au dossier d’Adlène Hicheur, à l’issue d’une commission rogatoire internationale. Patrick Baudouin, avocat d’Adlène Hicheur, a fait part jeudi de grandes difficultés pour obtenir des informations sur Moustapha Debchi et pour que ce PV soit ajouté à l’instruction. Un PV dont la forme avait soulevé l’étonnement de la défense, comme nous l’avions découvert.

Aucune pièce d’identité ne venait confirmer l’identité de Moustapha Debchi. Ses réponses “surabondaient dans le sens de l’accusation” selon Patrick Baudouin pour qui l’instruction a été menée uniquement à charge. Pour preuve, il cite le choix du juge d’instruction, Christophe Teissier (alors peu expérimenté en matière d’antiterrorisme), et non Marc Trévidic, reconnu pour son indépendance selon l’avocat. Voire des “manipulations” avec des traductions approximatives de l’arabe et des tentatives de “subordination de témoins”.

Dans un échange daté du 1er juin 2009, Moustapha Debchi demande : “Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot : est-ce que tu es disposé à travailler dans une unité activant en France ?”. La réponse d’Adlène Hicheur, telle qu’elle apparaît dans le dossier d’instruction est “Concernant ta proposition, la réponse est OUI bien sûr”. Son avocat conteste cette traduction de l’arabe, notamment l’utilisation des majuscules qui change selon lui le sens que l’on peut y donner.

Aucun des mails ne montre “le moindre début d’intention de mise en œuvre d’un projet précis d’acte terroriste” poursuit Patrick Baudouin. “Tout est virtuel. La question de la qualification est clairement posée”. Il conclut :

Dans cette affaire, une vérité est pré-établie et l’instruction veut la confirmer. C’est une présomption, une affirmation de culpabilité.

Les deux affaires mettent en lumière des dérives de l’antiterrorisme, fondé en France sur une justice d’exception. “Elle permet la violation des droits individuels de certains et attribue des droits surdimensionnés à d’autres” critique Jérémie Assous. D’un côté les mis en examen, de l’autre les services et les organes de justice. “Dans ce système, les acteurs s’auto-alimentent” poursuit-il.

En octobre 2010, après un renforcement du plan vigipirate, Brice Hortefeux citait le séparatisme basque, “l’ultragauche” et “l’islamisme radical” au titre des principales menaces. La conférence de presse jeudi matin réunissait “deux mamelles de l’antiterrorisme” relevait, grinçant, Benjamin Rosoux.

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La revanche des drones http://owni.fr/2012/01/19/revanche-drones-afghanistan-al-qaida/ http://owni.fr/2012/01/19/revanche-drones-afghanistan-al-qaida/#comments Thu, 19 Jan 2012 05:58:46 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=94305

Propulsion d'un drone RAVEN

Dans un avenir proche, les Etats-Unis continueront à adopter une approche active (…) en frappant directement les groupes et les individus les plus dangereux quand c’est nécessaire.

L’annonce ne laisse guère de place à l’interprétation. Elle est inscrite dans le marbre de la stratégie de défense américaine 2012 rendue publique le 5 janvier. “Frapper directement les groupes et les individus les plus dangereux”. Comme auraient pu le faire les militaires américains, jeudi dernier, en éliminant le chef des talibans en Afghanistan, selon plusieurs témoignages recueillis par Reuters.

L’énoncé officialise plus qu’il n’inaugure la “guerre contre la terreur” façon Obama : pratiquer les assassinats ciblés conduits par les forces spéciales et la CIA, depuis le territoire américain, en utilisant les drones. Le même document poursuit :

Alors que les forces américaines se retirent d’Afghanistan, notre effort mondial en matière de contre-terrorisme va être plus largement réparti et se caractérisera par la combinaison d’actions directes et le soutien des forces de sécurité. Faisant nôtres les leçons apprises la décennie précédente, nous continuerons à construire et soutenir des capacités sur mesure adaptées au contre-terrorisme et à la guerre irrégulière.

Exit les “opérations prolongées de stabilisation à grande échelle” des forces américaines. Place est faite au “sur mesure” et aux frappes ciblées. Selon The Bureau of Investigative Journalism qui suit de très près la guerre des drones, 128 frappes ont été conduites dans les zones tribales pakistanaises en 2010,  deux fois plus qu’en 2009. Contre cinq en 2007.

Entre civils et militaires

“L’utilisation des drones est multipliée à partir de 2004. Les Etats-Unis sont les premiers à avoir recours à ces avions sans pilote, suivis par les Israéliens” rappelle le général Michel Asencio, chercheur à la Fondation pour la recherche scientifique (FRS). Aujourd’hui l’armée américaine possède une flotte de quelques milliers de drones, majoritairement dédiés à l’observation. 775 sont dotés de capacités offensives, notamment les Predators et Reaper.

La CIA quant à elle ne possèderait qu’une trentaine de drones, principalement pour la surveillance comme le RQ 170 – dont un appareil a été détourné par les autorités iraniennes le 4 décembre.

Cette nouvelle guerre contre la terreur floute les lignes entre civils et militaires. En témoigne le chassé-croisé de juin dernier à la tête des principales institutions de sécurité et défense. Léon Panetta, directeur de la CIA jusqu’en juin 2011, a été nommé secrétaire à la Défense. “Une façon pour Obama de placer à la tête de l’armée une figure politique démocrate de confiance” interprète Nicole Vilboux, spécialiste de la doctrine militaire des Etats-Unis et chercheur associée à la FRS. “L’US Army est généralement méfiante envers les présidents démocrates, même si Obama bénéficie de plus de crédit que Bill Clinton.”

Lors de son départ de la CIA, Panetta a été remplacé par un militaire de haut-rang, le général Petraeus, ancien du commandement dédié au Moyen Orient, le CENTCOM, et de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) où il avait succédé à Stanley McChrystal. Un homme épinglé pour avoir critiqué trop vertement la stratégie américaine en Afghanistan et le président Obama.

Ces nominations illustrent la stratégie choisie par l’administration Obama, incarnée dans l’utilisation des drones dans les zones tribales pakistanaises, voire au Yémen et en Somalie. “Selon toute vraisemblance, les opérateurs des drones, les techniciens, sont des militaires” avance Nicole Vilboux. Le programme est tenu secret, peu d’informations filtrent sur les assassinats ciblés. Et pour cause : les opérations de la CIA sont couvertes du sceau de la clandestinité

CIA et JSOC

Officiellement, le programme n’existe pas. La Maison Blanche et la CIA refusent de l’évoquer ou de confirmer l’existence des frappes, rapporte le Washington Post qui précise l’implication combinée et alternative de l’agence de renseignement et des forces spéciales sous le commandement du Joint Special Operations Command (JSOC). Anwar Al-Awlaki, membre d’Al-Qaida pour la péninsule arabique (AQPA), a été tué le 30 septembre dernier au Yémen par une frappe de drones commandés par la CIA. Deux semaines plus tard, c’est une frappe conduite par le JSOC qui tua son fils de 16 ans toujours au Yémen.

Propulsion d'un drone RAVEN

“L’entourage de Barack Obama est très favorable à l’utilisation des drones, surtout son conseiller au contre-terrorisme, John Brennan et la secrétaire d’Etat Hillary Clinton” détaille Nicole Vilboux. S’agissant d’opérations clandestines de la CIA, il revient au président de donner le feu vert final, sans avoir à se justifier auprès de l’opinion publique. D’autant moins que cette nouvelle guerre contre le terrorisme vise à éviter les funestes décomptes de militaires américains tués. “L’utilisation des drones repose sur une nouvelle économie de la guerre, qui s’est développée après la guerre d’Algérie et du Vietnam. La mort de soldats devient insupportables aux sociétés occidentales. Le drone est l’outil idéal : ils sont téléguidés et n’exposent donc pas les soldats” rappelle Gérard Chaliand, spécialiste de l’Afghanistan.

Métro, drone, dodo

En 2025, un tiers de la flotte américaine devrait être composé de drones de combats, soit plus de 900 appareils. “Les pilotes sont remplacés par les machines jusqu’à un certain point, analyse Michel Asencio. Ils ne sont pas entièrement indépendants, un être humain intervient en le programmant avant le vol ou en le pilotant à distance.” De récentes études ont montré que les pilotes de drones souffraient des mêmes symptômes post-traumatiques que les pilotes de chasse :

Imaginez un agent des forces spéciales qui dépose ses enfants à l’école à 8h, va travailler, élimine des insurgés à plus de 8000 km et rentre chez lui le soir à 18h !

La guerre des drones fait école. En Libye, le convoi de Kadhafi prenant la fuite a été stoppé par un tir de drone. Les nouveaux Predators, baptisés Avenger, seront propulsés par des réacteurs leur permettant d’atteindre plus de 600 km/h contre 100 à 130 km/h pour les drones à hélices utilisés aujourd’hui. Peu de chances que Barack Obama abandonne sa “guerre contre la terreur”, censée rompre avec les dérives de son prédécesseur Georges W. Bush.

Les assassinats ciblés de membres d’Al-Qaïda, certains de nationalité américaine, sont illégaux au regard du droit international, rappelle Nicole Vilboux. “Washington prétend agir en situation en situation de légitime défense [au sens de l'article 51 de la Charte des Nations-Unis, NDLR].” Les intrusions sur le territoire pakistanais ont été dénoncées par les autorités d’Islamabad comme autant de violation de sa souveraineté territoriale. Au moins 53 victimes non-combattantes ont été recensées au Pakistan en 2011.


Infographie réalisée par Enora Denis à partir des données du Bureau of Investigative Journalism et parue dans le numéro quatre de la revue Le Jeu de l’Oie.

Photos par Isaf Media (CC-by) via Flickr

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