OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’Hadopi s’introduit dans les lieux publics d’accès à Internet http://owni.fr/2011/06/15/l%e2%80%99hadopi-sintroduit-dans-les-lieux-publics-d%e2%80%99acces-a-internet/ http://owni.fr/2011/06/15/l%e2%80%99hadopi-sintroduit-dans-les-lieux-publics-d%e2%80%99acces-a-internet/#comments Wed, 15 Jun 2011 06:30:06 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=67895 Cela fait un moment maintenant que j’essaie d’alerter sur les risques qu’Hadopi fait courir pour l’accès public à Internet, dans les bibliothèques, mais aussi dans les universités, les espaces publics numériques, les hôpitaux, les parcs, les aéroports, les administrations, les associations, et toutes les personnes morales en général.

Or le lancement aujourd’hui de la campagne de communication de l’Hadopi autour de son Label PUR [sic] me donne le sentiment que les craintes que je nourrissais à ce sujet sont avérées.

On peut lire en effet sur le blog de l’Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF) que l’Hadopi entend s’appuyer sur les collectivités locales pour relayer sa campagne, et notamment sur les espaces publics numériques (EPN), ainsi que les écoles :

Pour relayer ses messages, l’Hadopi souhaite mobiliser les collectivités territoriales qui via les espaces publics numériques et les écoles peuvent contribuer à influer sur les comportements des internautes. L’autorité met donc à disposition des supports d’information (dépliants, plaquettes) et des modules pédagogiques pour expliquer de manière pédagogique et ludique, l’importance du respect du droit d’auteur.

L’Hadopi a déjà montré de quoi elle était capable en matière de « pédagogie » du droit d’auteur. On se souvient encore du film d’animation Super Crapule Vs Super Hadopi, diffusé sur France 5, qui entendait initier d’une manière risible et caricaturale nos chères têtes blondes à la question du respect de la propriété intellectuelle sur Internet.

Il y a tout lieu de penser que les supports et modules pédagogiques fournis par l’Hadopi aux collectivités locales seront de cet acabit. Or ces supports visent ni plus ni moins à instrumentaliser des lieux publics d’apprentissage du rapport à l’internet pour diffuser une propagande, marquée par une vision complètement déséquilibrée de la propriété intellectuelle.

Quelle pédagogie sur le droit d’auteur ?

La propriété intellectuelle est en effet avant tout un système d’équilibre, même si on a hélas tendance à perdre de vue cet aspect en France. Il y a certes d’un côté les droits moraux et patrimoniaux dont bénéficient les auteurs et leurs ayants droit, mais il existe aussi des mécanismes qui viennent contrebalancer, au nom de l’intérêt général et de certaines libertés fondamentales, le monopole exclusif des titulaires de droits : les exceptions et limitations au droit d’auteur, des licences légales ou encore le domaine public.

Si l’on doit conduire une politique de pédagogie sur le droit d’auteur dans les lieux publics, peut-on concevoir que l’on enseigne uniquement « le respect du droit d’auteur« , et que l’on laisse dans l’ombre les mécanismes d’équilibre qui jouent un rôle si important pour la respiration du système ? Peut-on concevoir également que l’on enseigne pas l’existence des licences libres, alors qu’elles apportent une contribution essentielle à la régulation pacifique des usages en ligne ? Que l’on passe sous silence la question des biens communs ? Est-ce cela l’information literacy que nous voulons donner à nos usagers ?

Voilà pourquoi je pense qu’il faut exiger de l’Hadopi la transmission du contenu de ces supports avant diffusion, vérifier leur teneur et exiger le cas échéant que l’on informe sur la propriété intellectuelle de manière équilibrée, en présentant à la même hauteur que le droit d’auteur les droits et libertés fondamentales qui le contrebalancent, exactement comme l’a fait le Conseil Constitutionnel dans sa décision consacrant l’accès à Internet comme une liberté publique.

Cette volonté de s’appuyer sur le système éducatif et les espaces publics pour diffuser une vision déformée du droit d’auteur rappelle de funestes précédents.  En 2006 au Canada, une vaste campagne de (dés)information avait été organisée autour du personnage risible de Captain Copyright, soulevant de vives réactions de protestation. Face à la mobilisation de la société civile (enseignants, bibliothécaires), ce projet a cependant fini par être abandonné, preuve qu’on peut faire reculer ce genre d’initiatives.

Il faut également se souvenir que le projet d’accord ACTA a comporté un moment des obligations de ce genre à la charge des États signataires, en matière d’organisation de campagnes publiques de sensibilisation au droit d’auteur. Or aux Etats-Unis, cet aspect du traité a déclenché l’opposition des associations de bibliothécaires, et notamment celle de la Library Copyright Alliance (LCA) :

Le projet d’accord comporte les premiers éléments de nouvelles exigences en matière de sensibilisation et de coordination entre les autorités chargées de l’application des règles de la propriété intellectuelle, ainsi que de nouvelles exigences qui vont créer tant au niveau central que des collectivités locales de nouvelles responsabilités en matière d’application des lois dans les Etats qui auront accepté l’accord. Celles-ci comportent la mise en place de campagnes publiques de sensibilisation. Dans sa déclaration commune, la LCA aborde la question de la sensibilisation des consommateurs en recommandant la mise en place de campagnes éducatives sur la propriété intellectuelle qui présente une vision juste et équilibrée à la fois tant des droits exclusifs que des limitations et exceptions (…)

Les bibliothèques, prochaine cible de l’Hadopi ?

L’Hadopi semble pour l’instant vouloir s’appuyer au niveau des collectivités locales sur les espaces publics numériques (EPN) et sur les écoles. Mais le risque est grand qu’elle ne s’arrête pas en si bon chemin et tente d’associer les bibliothèques publiques,  lieux importants pour l’accès à internet, à sa campagne de communication. D’ailleurs, il existe des EPN en France qui sont localisés dans des bibliothèques ou qui travaillent en collaboration avec celles-ci.

Il me semble qu’il est du devoir des professionnels de l’information que sont les bibliothécaires et les animateurs d’EPN de rester extrêmement vigilants face à ce qui se prépare, pour éviter d’être embrigadés au service d’une cause qui nierait certains aspects essentiels de leurs missions. J’espère aussi que les enseignants en milieu scolaires sauront se mobiliser contre cette dérive. De l’enseignement des aspects positifs de la colonisation à la défense de l’internet « civilisé », il y a à mon sens un lien évident !

Mais il y a beaucoup plus grave dans cette manœuvre de l’Hadopi  – et sans doute dangereux à moyen terme – pour la liberté d’accès public à Internet.

J’avais écrit au mois de Janvier un billet (Hadopi = Big Browser en Bibliothèque !) avertissant sur la manière dont le mécanisme de riposte graduée peut impacter directement les personnes morales.

Dans le dernier numéro du BBF (Bulletin des Bibliothèques de France), nous avons eu confirmation de la part de deux représentants de la CNIL que les bibliothèques  (et tous les espaces publics d’accès à Internet) peuvent bien voir leur responsabilité engagée du fait des agissements de leurs usagers.

La loi Hadopi I engage également la responsabilité des titulaires des abonnements internet – en l’occurrence les bibliothèques – en cas de téléchargement illicite d’œuvres protégées à partir du réseau mis à la disposition du public, uniquement si cet accès n’a pas été sécurisé.

Certes, comme le rappelle Julien L.  dans ce billet sur Numerama, le risque principal pour les espaces publics n’est pas à proprement parler la coupure d’accès à Internet, car le juge dispose d’une marge de manœuvre pour tenir compte du cas particulier des collectivités.

La sécurité labellisée Hadopi

Mais il y a un risque, beaucoup plus insidieux, du côté des mesures de sécurisation que l’Hadopi va finir par proposer aux collectivités pour sécuriser leurs connexions Internet. Pour échapper au délit de « négligence caractérisée » - pivot juridique de la riposte graduée – il faut être en mesure de prouver que l’on a bien mis en œuvre des moyens suffisants pour prévenir les infractions. Or l’Hadopi s’apprête à labelliser à cette fin des logiciels de sécurisation, qui auront pour effet de restreindre l’accès à Internet à partir de système de listes noires et de listes blanches, aboutissant dans les faits à une forme de filtrage , et obligeant les fournisseurs de connexions publiques à se transformer en « grands frères » de leurs usagers.

Certes, nul n’est obligé par la loi de recourir à ces moyens de sécurisation, mais la pression sera forte, notamment auprès des élus, pour faire en sorte d’éviter de voir la responsabilité de leur collectivité engagée à cause des connexions publiques mises à disposition des usagers.

Et c’est là que la campagne de communication de la Hadopi peut faire beaucoup de mal : en préparant le terrain, avec un discours déséquilibré et caricatural en direction des élus locaux, pour favoriser l’adoption de ces logiciels bridant l’internet public et portant atteinte de manière détournée à la liberté d’accès à l’information.

A vos plumes, à vos claviers, à vos téléphones !

Les élus seront sensibles aux protestations qui leur seront adressées et il n’est pas trop tard pour arrêter cette menace !

PS : Numerama vient de mettre la main sur les spots télévisés de l’Hadopi pour la promotion du label PUR. Le niveau est affligeant et cela renforce mes craintes concernant les supports à destination des EPN… Voyez plutôt :

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Initialement publié sur le blog ::S.I.Lex:: sous le titre, L’Hadopi met un pied dans les lieux publics d’accès à Internet !

Illustrations et photos :

Hadopi ; Super Crapule vs Super Hadopi, capture d’écran ; Captain Copyright. Source : Wikimédia Commons

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Quels enjeux pour les bibliothèques et l’open data? http://owni.fr/2011/06/10/quels-enjeux-pour-les-bibliotheques-et-lopen-data/ http://owni.fr/2011/06/10/quels-enjeux-pour-les-bibliotheques-et-lopen-data/#comments Fri, 10 Jun 2011 11:04:59 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=67300

En plus des traditionnels open source et open access, les bibliothèques vont être de plus en plus confrontées à l’avenir à un troisième Open, l’Open data. Il faut bien entendu commencer par des fondamentaux. Rassurez-vous je ne vous propose pas de longs discours, mais une seule présentation, à consulter avant d’aller plus loin. Elle vient de très bons spécialistes de la question : Libertic qui animent un blog de veille de très grande qualité sur le sujet.

L’Open Data c’est quoi ?

En complément, voici la définition proposée dans cet excellent Guide pratique de l’ouverture des données publiques territoriales proposé par Amandine Brugière et Charles Népote dans le cadre de la FING et accessible ici si vous voulez y contribuer.

Comme toute organisation aujourd’hui, un acteur public utilise l’informatique pour préparer toutes ses décisions, produire tous ses services, évaluer toutes ses actions. Et l’informatique traite des données : par exemple, des fonds de cartes et des informations attachées aux cartes, des statistiques, des descriptions de services et de lieux publics, des mesures, des études et rapports, des barèmes, des textes réglementaires, des informations temps réel, et de bien d’autres choses. Ces informations sont la matière première de l’action publique. Mais elles pourraient aussi bénéficier à d’autres acteurs publics, ainsi qu’à des entreprises innovantes, des associations, des chercheurs, des citoyens. C’est l’idée qui sous-tend la directive européenne sur la “réutilisation des données publiques” (2003), transcrite en droit français en 2005 sous la forme d’une révision de la loi du 17 juillet 1978 sur l’” amélioration des relations entre l’administration et le public” : les ”données publiques”, financées par l’impôt, doivent pouvoir être réutilisées par d’autres acteurs, au service de la qualité des services sur le territoire, de la croissance économique, de la connaissance et du débat démocratique.

Vous aurez compris qu’il s’agit de favoriser l’innovation par la mise à disposition de données réutilisables, selon une définition assez maximaliste de la notion de données ouvertes. Pour qu’une donnée soit ouverte au sens du groupe de travail “Open Governement Data” en 2007, elle doit être :

  • complète
  • primaire
  • opportune
  • accessible
  • exploitable
  • non discriminatoire
  • non propriétaire
  • libre de droit

Pourquoi s’y intéresser ?

L’ouverture des données publiques n’est pas une option pour les acteurs publics : elle est rendue obligatoire par des directives européennes et une législation française qui en a fait un droit opposable. Citoyens, associations, entreprises, sont en droit d’exiger que les “données publiques” leur soient délivrées pour qu’ils en fassent leur propre usage, y compris commercial.

Mais cette ouverture constitue également une chance. En s’y engageant, les acteurs publics ont l’occasion de gagner en efficacité, en mutualisant leurs propres bases de données : combien de départements d’une même administration, combien d’administrations d’un même territoire, dupliquent-ils les mêmes bases de données, les mêmes cartes, les mêmes statistiques, évidemment pas tout à fait cohérentes entre elles ?

L’ouverture des données publiques peut également contribuer au développement économique et à l’amélioration de nombreux services aux habitants comme aux entreprises : en permettant à des acteurs de proximité de mieux répondre aux besoins particuliers de tel quartier, de telle catégorie de population, de tel bassin d’emploi, on crée de l’activité tout en améliorant la qualité de vie.

Bon mettre à disposition des fichiers, ça ne fait pas hurler les foules, il faut bien entendu rendre tout ça concret en laissant percevoir quels services à valeur ajoutée il est possible de créer à partir de données ouvertes. Dans la présentation ci-dessus, une des premières illustrations concrète de l’Open Data est un service lié aux… bibliothèques ! Il s’appelle Bookzee, c’est un service américain (New-york) de géolocalisation de livres à partir des données des bibliothèques. Voilà qui montre clairement l’intérêt d’accéder aux données d’un catalogue de bibliothèques. En réalité ce mouvement de l’open data est à connecter avec un enjeu que nous connaissons bien : l’échange de données et l’accès à des catalogues de données.

Damiano Albani, jeune informaticien indépendant et non-bibliothécaire avait il y a deux ans conçu un service à partir des données bibliographiques des bibliothèques françaises. Il s’agissait d’un script greasemonkey, qui, ajouté à Firefox permettait d’afficher en temps réel la disponibilité en bibliothèque d’un titre affiché sur Amazon ou Alapage ou d’autre libraires. Le site n’existe plus aujourd’hui. Concrètement ça donnait ça :

Que manquait-il à Damiano pour proposer un service fiable et efficace, et éventuellement créer une entreprise sur un service innovant ? Il ne lui manquait pas des données mais un accès à des données structurées. Dans cette présentation proposée lors du Bookcamp1 il avait exprimé les difficultés rencontrées. Le besoin d’il y a deux ans est toujours le même et il tient en un mot : Interopérabilité c’est-à dire selon les propres recommandations de Damiano : respect des normes ISO 2146:2009 (modèle) et ISO 8459:2009 (vocabulaire) ISO 20775:2009 (schéma XML), compatible avec SRU/SRW, norme Utilisée par WorldCat pour leur API.

Autant dire que le besoin n’est pas nouveau. Ce qui change en revanche c’est à la fois la sensibilité politique sur ces questions ainsi que les moyens techniques d’échanges de données qui s’améliorent à grande échelle.

Quelles bases sont disponibles ?

Intéressons-nous d’abord à ce qui existe. En France, très peu de collectivités ont entrepris une démarche “open data”. À Rennes (ville pionnière) où vous pouvez voir concrètement à quoi ressemble une telle démarche. Sur ce répertoire de données, on ne trouve aucune donnée concernant les bibliothèques. :-( Nuls doute que la situation est transitoire…

Le répertoire des données de la Ville de Paris propose l’intégralité des statistiques de prêt, régulièrement mise à jour. Voilà qui peut intéresser des gens souhaitant faire une étude sur les bibliothèques… Sur opendata.paris.fr on trouve la Liste des ouvrages (notice bibliographique et localisation) dans les bibliothèques parisiennes au 02/01/2009. Notons que ces données sont proposées sous la forme : Fichier au format texte délimité contenant 3 617 596 entrées. Au début, je me suis demandé ce qu’on peut faire d’un tel fichier, sachant que les données des bibliothèques sont constamment mises à jour par des achats et des retraits du catalogue, tout au plus cela peut-il servir à évaluer un fonds ? Mais pour qui ? En réalité, la démarche d’ouverture des données suppose que nous autres fonctionnaires arrêtions pour une fois de penser services, pour penser données et laisser d’autres penser aux services à partir de ces données. Voilà qui ne manque pas de me laisser perplexe. Pour autant, quand je vois les innombrables difficultés à innover pour le secteur public, je me dis que la souplesse des PME peut être une vraie solution, à certaines conditions, bien entendu. Voilà pour les deux villes qui sont les plus avancées dans ce type de démarche. Vous trouverez ici une carte collaborative vous permettant de signaler un projet de ce type le cas échéant.

Mais une question se pose : une démarche d’open data doit-elle seulement se manifester par un dépôt de fichier dans un répertoire ou plutôt porter sur l’interopérabilité des systèmes d’information des services publics ? Le cas des web services est effectivement pris en compte dans un projet de place de marché des données publiques comme Data Publica qui annonce un catalogue de web services :

Découvrez ici très prochainement une sélection de web services permettant d’accéder aux données d’éditeurs partenaires de Data Publica. Ces services, exposés avec leur API, sont “prêts à intégrer” dans vos nouveaux développements d’applications.

C’est là qu’on se prend à imaginer que le mouvement de l’Open data force que les bibliothèques à ouvrir leurs données et que puisse se construire un catalogue commun de grande qualité, un catalogue géant des bibliothèques publiques agrégeant des données enrichies de plusieurs sources accessibles sur n’importe quel plateforme, dont les données seraient largement disséminées…

Et les contreparties ?

En réalité, cela fait déjà des années que les bibliothèques, pratiquent l’ouverture des données comme M. Jourdain, en considérant par exemple les données bibliographiques et les données d’autorité de la Bnf comme un bien commun. Les conditions d’utilisation des notices de la Bnf ne sont certes pas celles d’une licence adaptée… justement parce qu’il s’agissait d’une démarche entamée avant que le champ de l’Open Data se structure autour de “bonnes pratiques”. La démarche mérite bien sûr d’être amplifiée et l’on peut rêver de voir appliquer une licence plus élaborées pour les données bibliographiques…

Cela est pourtant loin d’être suffisant en matière d’Open data pour les bibliothèques. D’abord parce qu’il faut relativiser l’importance des données bibliographiques aujourd’hui alors même que l’enjeu stratégique (et donc la valeur économique) s’est déplacé vers des données enrichies voire des données collaboratives. Pour les commentaires de lecteurs et/ou de bibliothécaires, nous avions souligné les dangers d’une appropriation par le privé de données proposées et financées par le public. Ouvrir oui, mais si on ouvre pour alimenter en données publiques des prestataires qui vont ensuite revendre des produits et services à ces mêmes acteurs publics, n’y a-t-il pas là un problème ? Voilà qui pose la question des contreparties.

Nombreux sont les archivistes qui s’interrogent sur le problème politique d’une mise à disposition sans conditions des données publiques pour construire des monopoles privés. Pour comprendre ces enjeux, je vous renvoie à cet excellent article de La Gazette des communes. Il ne faudrait pas qu’à travers la mise à disposition de données publiques se joue ce qui n’est rien de moins qu’une privatisation sur le mode de ce qui s’est passé autour des réseaux autoroutiers : au public l’investissement et au privé l’exploitation commerciale et la rentabilité sans contreparties. La question est bien sûr plus complexe sous couvert d’ouverture et de collaboratif à la mode c’est bien l’éternel question de l’équilibre entre privé et public qui se redessine. A cet égard la position de Bruno Ory-Lavollée, conseiller maître à la Cour des comptes, auteur du rapport « Partageons notre patrimoine » me semble à nuancer :

Dans l’économie publique, l’investissement est récupéré sous forme d’externalités. Pour reprendre l’exemple de la route rénovée : chaque fois qu’un automobiliste l’emprunte, il gagne en qualité de communication, en vitesse et en sécurité, le département a donc créé une valeur. Si le conseil général fait bien son travail, avant les travaux il a évalué ces gains pour voir si son investissement est socialement rentable.

Cette position est défendable, dans certain cas (concernant notamment la gratuité d’accès aux bibliothèques ou aux transports publics) mais elle cesse de l’être si les externalités deviennent l’occasion de construire des rentes privées (songez aux péages autoroutiers pour reprendre l’exemple ci-dessus). Autre exemple : les documentalistes juridiques ont bien raison de s’inquiéter quand on constate les dérives monopolistiques de la constitution de bases de données complémentaires à Légifrance (Dalloz, Jurisclasseur etc.), service public d’accès au droit financé par l’impôt. Des acteurs privés enrichissent très largement ces données publiques auxquelles ils accèdent gratuitement (ou presque) pour les revendre ensuite aux bibliothèques publiques, elles-mêmes financées par l’impôt qui sont forcées à faire des acrobaties budgétaires pour fournir des services… dans les bibliothèques, jusqu’à ce que l’état lui-même envisage à grande échelle des Licences Nationales pour rendre la situation viable !

Qu’on ne s’y trompe pas, pour une large part, le relais politique de l’Open Data est le fruit d’une coalition public/privé qui se résume à elle seule dans le slogan de l’APIE : Les richesses de l’immatériel sont les clés de la croissance future. Au final que se passe-t-il ? Les externalités positives produites par un investissement public sont re-facturées au secteur public avec un différentiel que est loin d’être aussi positif que les externalités l’étaient au départ… Le gagnant est le secteur privé sans aucune garantie d’usages collectifs qui constituent le service public d’accès à l’information. Car un phénomène de concentration bien connu pose toujours, sans régulation, de nombreux problèmes et force par exemple les bibliothèques à s’organiser en consortium…

Question de fond, question politique : au nom de la croissance, est-ce défendable de parier systématiquement sur une efficacité plus grande du secteur privé qui a pour conséquence un sous-investissement chronique dans le secteur public ? Quels impacts cette extension du domaine du privé a-t-il sur les biens communs propres à une société et sur la définition même du service public ?

Attention, il ne s’agit pas d’être pour ou contre et je suis le premier à penser que l’ouverture est utile dans certaines conditions. Je dis simplement qu’il faut être prudent et que l’ouverture des données peut-être une occasion de poser le problème de la régulation. L’IABD a toujours traité ces questions dans un esprit d’équilibre et de contreparties. D’où l’importance cruciale des licences accompagnant ces données, avec des dérives qui ne viennent pas toujours du privé, mais également du secteur public. Nous avions été les premiers avec Lionel Maurel à pointer les dérives des organismes publics ajoutant des droits d’auteurs à des ouvrages numérisés pourtant tombés dans le domaine public… Lionel Maurel explique bien mieux que je peux le faire le droit de la réutilisation des données publiques.

Pour résumer, on pourrait dire que deux philosophies s’opposent en matière de licences de mise à disposition : d’un côté la licence IP qui permet toute réutilisation à des fins commerciales par défaut et sans contrepartie, et de l’autre la licence ODbL (Open Database Licence) proposée par la Ville de Paris qui me semble une solution bien plus prudente et adaptée parce qu’elle impose ce qui est au coeur de la démarche qui a fait le succès des logiciels libres : le partage à l’identique, c’est-à-dire le fait d’ouvrir à nouveau ce qui a été produit avec une la valeur ajoutée. Sans être une solution idéale (encore faut-il qu’un marché soit concurrentiel et régulé même à partir de données ouvertes) il me semble, du point de vue du secteur public, plus efficace de jouer sur des contreparties consubstantielles à une licence que de vouloir contrôler en amont la réutilisation des données en imposant des barrières financières d’accès aux données. De ce point de vue, je partage l’approche de B. Orry Lavollée lorsqu’il plaide pour une mise à disposition quasi gratuite. A cela s’ajoutent les enjeux propres à l’exception “données culturelles” pour lesquelles la loi de 1978 ménage une exception qui est complètement obsolète aujourd’hui comme le démontre brillamment Lionel Maurel.

Des services publics facilitateurs d’innovation

Dans cette démarche, je trouve très intéressant de considérer que des données ouvertes sont également un premier pas vers une médiation des contenus sur un mode collaboratif. J’aime bien la métaphore proposée dans ce billet :

Si vous achetez de beaux divans et fauteuils neufs et changez la décoration de votre salon, cela ne signifie pas nécessairement que les gens afflueront chez vous. Vous devrez les convier dans votre nouvel espace. Et une fois assis sur votre mobilier, vous devrez leur parler: vous les engagerez dans une conversation. Si vous ne parlez que de vous, et ne vous intéressez pas à vos interlocuteurs, les gens se fatigueront. Si vous souhaitez en plus que vos invités repeignent les murs de votre salle à manger ― si vous souhaitez qu’ils collaborent à vos projets ― vous devrez faire preuve de reconnaissance et les traiter avec respect. Peut-être même que vous songerez à leur payer une pizza ou à leur offrir des petits fours en gratitude.

Un des intérêts pour les acteurs publics est ainsi de se positionner comme des facilitateurs d’innovation. Il est en effet nécessaire et même indispensable d’accompagner l’ouverture des données, c’est par exemple ce que fait Rennes en organisant un concours doté de prix. Il s’agit là me semble-t-il d’un élément assez nouveau qui peut permettre au secteur public de renouer avec des dynamiques d’innovation et développement économique pour un tissu de PME au delà d’une stricte logique de subventionnement.

Étendre ces principes aux opérateur privés !

Cet article récemment publié sur Owni.fr et d’abord sur Framablog m’a brusquement fait comprendre le déséquilibre fondamental qu’il y a dans cette histoire. Quand on parle d’Open data, on focalise toujours sur les données publiques et les contreparties de leurs usages, avec bien souvent une position de surplomb des opérateurs privés, voire des associations citoyennes critiquant la lenteur et de la frilosité des administrations (ah ces fonctionnaires!). Comment, vous traînez à fournir des données payées par l’impôt alors même qu’il s’agit d’un sacro-saint “levier de croissance” et d’un “enjeux citoyen” ! Oui, bien sûr, il faut encourager ces démarches ! Met-on autant d’énergie à imposer aux opérateur privés qui collectent infiniment plus de données personnelles un principe simple qui pourrait-être :

Si une entreprise commerciale collecte électroniquement les données des utilisateurs, elle devrait leur fournir une version de ces informations facile à télécharger et à exporter vers un autre site Web. On peut résumer cette démarche ainsi : vous prêtez vos données à une entreprise, et vous en voudriez une copie pour votre usage personnel.

Bien sûr la loi française garantie déjà une forme de protection via la CNIL, mais elle porte sur le traitement des données et non pas sur la propriété et la mise à disposition des données pour l’utilisateur…

Au -delà de la stricte question de l’open data, la régulation mondiale du web dans les nuages est un enjeu essentiel, bien mal engagé quand on constate la présence exclusive des multinationales à l’Eg8 ! Bertrand de La Chapelle, diplomate, directeur des programmes de l’Académie diplomatique internationale, membre du board des directeurs de l’ICANN explique dans le dernier Place de la toile consacré à la diplomatie de l’Internet que le véritable enjeu de cette réunion a été une gouvernance de l’Internet pensée comme une lutte industrielle entre l’Europe et les USA. Il s’agit de rééquilibrer la situation causée par l’absence de champions européens face à des Facebook et des Google… J’aurai souhaité avec d’autres qu’une telle réunion de chefs d’états s’inscrive dans une démarche de régulation mondiale d’Internet pensée comme un bien commun et régulé à parité avec les acteurs de la société civile. Là encore l’enjeu est de taille : trouver des modes de gouvernance qui ne soient ni des traités, ni des lois nationales par nature inadaptés à un univers déterritorialisé aux évolutions très rapides…

En somme, si la loi impose de libérer des données publiques, pourquoi n’impose-t-elle pas aussi aux entreprises de libérer les données privées alors même que l’informatique dans les nuages est sur le point de prendre une ampleur jamais vue ? Signe des temps, cette redéfinition des rapports publics-privés en matière de données ne s’accompagne pas suffisamment d’une politique de régulation et de gouvernance partagée, enjeu majeur du siècle qui s’ouvre.

Article publié initialement sur Bibliosession sous le titre Bibliothèques publiques et Open Data : quels enjeux ?

Illustrations Flick PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales C.O.D. Library et PaternitéPartage selon les Conditions Initiales jwyg

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http://owni.fr/2011/06/10/quels-enjeux-pour-les-bibliotheques-et-lopen-data/feed/ 4
Le dur parcours de l’assassin de créateurs http://owni.fr/2011/05/04/assassin-de-createurs/ http://owni.fr/2011/05/04/assassin-de-createurs/#comments Wed, 04 May 2011 12:00:02 +0000 Philippe Aigrain http://owni.fr/?p=60946

Lors d’un récent débat sur Public Sénat (à partir de 15′), où Félix Tréguer de La Quadrature du Net tentait de finir une phrase pour défendre le partage des œuvres culturelles numériques, Thierry Solère, chargé des questions Internet à l’UMP l’interrompit avec cette phrase :

Prendre une œuvre créée par quelqu’un qui vit de sa création, gratuitement alors qu’elle est payante, c’est tuer le créateur.

Tout énoncé qui vise à clore un débat par l’affirmation d’une évidence supposée mérite au contraire qu’on s’y arrête. Il va falloir ici considérer presque chaque mot.

« Prendre » d’abord : l’étymologie du mot renvoie à prehendere (faire préhension, chasser). Voilà l’internaute prédateur qui s’empare des œuvres, et dépouille le créateur. Félix Tréguer parlait de partage, ce qui signale que si quelqu’un est en mesure d’accéder gratuitement à une œuvre dans le partage, c’est que quelqu’un d’autre lui a donné ou l’a mise à sa disposition. C’est cet acte bien précis que des mots comme prendre ou téléchargement visent à cacher.

Considérons des situations analogues. Je viens d’échanger quelques livres avec l’une de mes filles. Chacun de nous deux vient de les « prendre » gratuitement. Nul doute n’est possible : c’était assez agréable de tuer ces créateurs que nous apprécions. Ah, bien sûr nous exagérons avec ce parallèle : d’abord nous ne « prenons » qu’à petite échelle, et en plus, celui qui donne se prive de ce qu’il donne. Ce dernier point est mineur, d’ailleurs la privation est très relative car nous ne partageons les livres qu’après les avoir lus, et il est bien rare que nous souffrions de ne pouvoir les relire à nouveau. Passons sur ces réminiscences sacrificielles et considérons le point plus important de l’échelle.

Les bibliothèques : du crime en bande organisée

Dans les pratiques récentes des cercles familiaux et amicaux, chaque exemplaire d’un livre a plusieurs lecteurs, et plus le livre est apprécié, plus ce nombre augmente. Heureusement, le livre électronique promet de nous rendre ces partages bien plus difficiles. Il va bientôt falloir se bouger un peu pour tuer les auteurs en lisant leurs livres gratuitement. On ne pourra cependant s’arrêter là : les bibliothèques, le book crossing ou le Circul’livres organisent le partage à une échelle supérieure. Voilà de la bande organisée en vue de tuer les créateurs.

Heureusement que diverses réformes ont aggravé sévèrement les peines et diminué les exigences de preuve pour la répression de tels méfaits. La fait de faire partie (comprendre : se promener au mauvais endroit) d’une bande organisée constituée en vue de commettre un crime dont l’un des membres possède une arme a été soumis à des peines de prison très accrues. Il va donc être possible d’envoyer pour longtemps en prison tout bibliothécaire, toute personne qui fréquente un possesseur d’ordinateur ou de chariot susceptible de recevoir des livres et quelques adjoints au maire chargés de la culture. Mais admettons tout de même que l’échelle et la vitesse de circulation des œuvres dans le partage sur Internet reste bien supérieure à celle observée dans ces exemples, et il faudra donc employer des moyens d’une toute autre ampleur pour empêcher ces assassinats. Robert Darnton, pourtant avocat du partage des connaissances, n’avait pas craint il y a peu d’envisager en conclusion d’un entretien dans Le Monde 2, la création de livres auto-destructifs qui se détruisent eux-mêmes dès qu’une personne les aura lus. Quand tout cela sera en place, l’assassinat de créateurs sera un vrai sport de compétition.

Tuer, oui, mais à bon escient

Passons à « une œuvre créée par quelqu’un qui vit de sa création ». L’assassin de créateurs, pour être sûr de ne pas perdre son temps, devra d’abord vérifier qu’il ne partage pas une œuvre qui aurait été créée par un créateur décédé ou par un créateur qui ne vit de sa création que secondairement ou marginalement. Il ne devra pas gaspiller de temps avec les œuvres de domaine public (s’il en reste) ou les œuvres collectives créées par des masses de créateurs, qui le plus souvent ont déjà été tués par les éditeurs, ou pire encore celles dont les créateurs souhaitent qu’elles soient partagées autant que se peut, et on ne va tout de même pas leur faire plaisir à ces masos en les tuant.

À vrai dire, là, M. Solère est très en dessous de ce que son parti est en droit d’attendre de lui. Car tout temps consacré à une œuvre qui n’émane pas d’un créateur qui vit de sa création tue les membres de cette congrégation tout aussi efficacement, voire plus que si on partageait leurs propres œuvres. La seule solution serait pour M. Solère de reconnaître que pour lui le mot créateur s’étend aux acceptions suivantes : héritiers, producteurs, éditeurs et distributeurs, ainsi que bibliothèques, musées et archives transformés en marchands publics de biens privés, et les investisseurs dans toutes ces activités. Ne resteraient exclus que les auteurs partageurs volontaires (ceux à qui ça fait trop plaisir qu’on les tue). Voilà qui constituerait une simplification juridique considérable : nous pourrions être sûrs que chaque acte de partage tue bien un créateur au moins, sauf dans le cas où il en tirerait du plaisir.

Considérons enfin « gratuitement alors qu’elle est payante ». C’est la que toute la philosophie du fondamentalisme marchand s’exprime. Celle-là même qui domine dans le débat parlementaire sur le projet de loi sur le prix unique du livre numérique, dans lequel l’éventualité du partage hors-marché volontaire des œuvres numériques et la possibilité que celui-ci pourrait être combiné avec leur vente n’a pas effleuré l’esprit des parlementaires. La précision de M. Solère est toute louable. Il va falloir créer deux catégories d’œuvres : les gratuites (cf. créateurs masochistes) et les payantes. Ainsi on sera sûr de n’assassiner les créateurs qu’à bon escient.

Billet initialement publié sur Communs / Commons ; photo Flickr CC AttributionNoncommercial Paul J. S.

Chapô, intertitres et photo ont été choisis par OWNI

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Les technomades vivent et lisent léger http://owni.fr/2011/04/02/les-technomades-vivent-et-lisent-leger/ http://owni.fr/2011/04/02/les-technomades-vivent-et-lisent-leger/#comments Sat, 02 Apr 2011 11:46:00 +0000 Marie D. Martel http://owni.fr/?p=54759 Nous dirigeons-nous vers une technoculture du prêt, du partage, du streaming ?

Trop d’objets autour de nous, trop de bruit dans notre champ visuel, dans nos agrégateurs, dans nos résultats de recherche, trop de super-butinage (power-browsing), trop consommer, accumuler, remplir, excéder, évaluer, élaguer, se débarrasser, recycler-réduire-réutiliser, ouvrir la fenêtre, pas quinze fenêtres, respirer, relaxer, se vider l’esprit. C’est le printemps et une saison nouvelle qui s’annonce aux teintes discrètes (chromophobes ?) du néominimalisme.

After the bacchanal of post-modernism, the time has again come for neo-minimalism, neo-ascetism, neo-denial and sublime poverty.  (Juhani Pallasmaa, cité dans Wikipedia)

ou encore :

By definition, « neo-minimalists » don’t have an overabundance of things in their lives. But one thing they tend to have more and more of these days is visibility. Recently, The New York Times talked to some people participating in the 100 Thing Challenge about how it has affected their lives; The BBC looked into the « Cult of Less; » and here on Boing Boing, Mark has beengetting down to the nitty-gritty of what the « lifestyle hack » involves. The common thread here is a growing number of people are realizing that our mountains of physical stuff are actually cluttering up more than just our houses. »

Cet extrait provient d’un article publié sur Boing Boing (traduit dans Le Courrier International), dans lequel Sean Bonner explore la dématérialisation ou la décroissance matérielle comme une possibilité issue des technologies actuelles et qui nous permet de reconsidérer nos interactions avec le monde et les autres en favorisant l’expérience plutôt que la consommation. À Toronto, le même auteur a aussi animé une présentation [en] sur le courant des technomades.

L’usage de circonstance par le prêt, le partage, le streaming

D’autres journalistes, comme Ramon Munez d’El Païs ont, dans la même perspective, élaboré l’idée que la propriété est un fardeau et que l’avenir de la consommation de la culture n’est plus lié à la propriété mais à l’usage de circonstance par le prêt, le partage, le streaming :

Après avoir été pendant trois siècles la valeur suprême de la civilisation occidentale, la propriété cesse d’être à la mode. Ne vous y trompez pas : il ne s’agit pas d’un retour du communisme ou d’une vague de ferveur qui nous ramènerait au détachement matériel des premières communautés chrétiennes. Ce sont le capitalisme lui-même, son incitation permanente à consommer et les technologies liées à Internet qui viennent bousculer des habitudes que l’on croyait bien enracinées. À quoi bon posséder des biens, les stocker, les entretenir, les protéger des voleurs, lorsqu’on dispose d’une offre illimitée de produits et de services accessibles en quelques clics ou moyennant la signature d’un contrat de location ?

Si cette tendance ne se limite pas au numérique, c’est sur Internet que la révolution est le plus avancée. Le téléchargement de contenus cède du terrain au streaming [diffusion en continu], c’est-à-dire à la reproduction instantanée de musique et de vidéos sans qu’il soit besoin de les conserver sur le disque dur de l’ordinateur. Des milliers de sites, légaux et illégaux, proposent un catalogue illimité de logiciels, films, morceaux de musique et jeux vidéo. Le succès du site de musique suédois Spotify ou du portail espagnol de séries télévisées Seriesyonkis vient bousculer les habitudes des consommateurs.

YouTube, le célèbre portail de vidéos en ligne de Google, est le symbole de la révolution en marche. Ses chiffres laissent pantois. Sur toutes les vidéos regardées chaque mois aux États-Unis, 43% (14,63 milliards) sont diffusées par YouTube, selon la société d’études de marché comScore. YouTube est suivi de près par Hulu, un site de streaming qui propose gratuitement des films et des séries télévisées. Avec 1,2 milliard de vidéos regardées, Hulu dépasse non seulement des monstres d’Internet comme Yahoo! ou Microsoft, mais aussi les portails de chaînes et de studios comme Viacom, CBS ou Fox.

D’après une étude sur le paysage audiovisuel espagnol réalisée en 2010 pour le compte de l’opérateur Telefónica et de la chaîne de télévision privée Antena, 3, 30% des internautes espagnols déclarent télécharger moins de fichiers, tandis que la moitié d’entre eux assurent que le streaming est leur manière habituelle de consommer des contenus audiovisuels sur Internet. “On constate un essor du streaming depuis au moins le printemps 2009”, assure Felipe Romero, l’un des auteurs de l’étude. “À court terme, les deux méthodes – téléchargement et streaming – vont coexister, mais il est clair que la seconde va prendre de plus en plus d’ampleur.”

Sur le blog Agnostic, May Be, on mentionne également cet article qui témoigne de l’émergence de la culture du partage dans le Time [en] :

[T]he ownership society was rotting from the inside out. Its demise began with Napster. The digitalization of music and the ability to share it made owning CDs superfluous. Then Napsterization spread to nearly all other media, and by 2008 the financial architecture that had been built to support all that ownership — the subprime mortgages and the credit-default swaps — had collapsed on top of us. Ownership hadn’t made the U.S. vital; it had just about ruined the country.

L’étape suivante franchie par le blogueur Andy Woodworth [en] (incidemment élu dans le palmarès 2010 des Shakers and Movers [en])  m’intéresse tout particulièrement. Il fait l’hypothèse qu’en ce moment l’attrait pour les bibliothèques reposerait peut-être moins sur la récession économique que sur l’accroissement du nombre de gens qui préfèrent emprunter plutôt que posséder.

L’émergence de cette culture suggère des possibilités et des tendances sur lesquelles les bibliothèques pourraient largement capitaliser, dit-il. Comment ? Pas seulement en incarnant elles-mêmes les instances équipées pour prêter des documents à partir de leurs collections mais peut-être surtout en se positionnant  comme des facilitateurs, ou des médiateurs, capables de négocier et de supporter les citoyens en vue d’accéder aux ressources disponibles dans la déferlante du web.

Mais la question la plus évidente est la suivante : est-ce que les bibliothèques seront en mesure de profiter de l’apparition de cette société du prêt et du partage ? Elles apparaissent elles-mêmes souvent éreintées par les résistances, trop déboussolées pour servir de guide à qui ce soit, sans vision, sans plan pour penser la culture numérique au-delà de cet effort qui les amène à prononcer et à servir à toutes les sauces, le mot magique de la « bibliothèque numérique ».

Billet initialement publié sur Bibliomancienne

Image Flickr AttributionNoncommercialShare Alike Gubatron et AttributionNoncommercialShare Alike Michael D. Dunn

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Le streaming pour moderniser les bibliothèques ? http://owni.fr/2011/03/17/le-streaming-pour-moderniser-les-bibliotheques/ http://owni.fr/2011/03/17/le-streaming-pour-moderniser-les-bibliotheques/#comments Thu, 17 Mar 2011 16:21:51 +0000 Silvae http://owni.fr/?p=31181 [Ce billet fait partie d'une série sur le livre numérique et les bibliothèques, retrouvez les épisodes précédents dans l'ordre sur le blog Bibliobsession sous le tag : Livre numérique et bibliothèques]. Il a été repéré par OWNI.fr.

J’avais émis il y a quelques jours le constat suivant : Les bibliothèques ne seront perçues comme des intermédiaires utiles que si elles combinent une valeur ajoutée en terme de médiation, de services, voire de contenus exclusifs par rapport à une offre commerciale grand public. Comment cela peut-il se traduire dans un modèle d’affaire ?

C’est le pari tenté par les médiathèques Alsaciennes. Voici la présentation du projet qui a bénéficié du soutien du Ministère de la Culture dans le cadre de son appel à projet culturel numérique innovant.

La dématérialisation progressive de la musique amène les bibliothèques de lecture publique à revoir leur manière d’assurer leur rôle de diffusion et de pédagogie autour de la musique. Plutôt que le téléchargement qui impose de nombreuses contraintes à l’usager, les bibliothèques alsaciennes souhaitent mettre en œuvre une offre légale d’écoute en ligne (streaming) afin d’offrir un accès facile et rapide à une offre musicale dématérialisée via un simple navigateur. Ainsi les adhérents des bibliothèques alsaciennes participant à UMMA bénéficient d’un accès privilégié à une version dédiée de musicMe dont les pages et les services sont entièrement réservés à UMMA.

Cette version spécifique de musicMe donne accès à l’écoute en streaming d’un catalogue de 6 millions de titres (4 majors et 780 labels), des discographies complètes, des photos et vidéos d’artistes ainsi que des radios thématiques et des radios intelligentes (musicMix).

Une plateforme de découverte musicale entièrement gérée par les bibliothécaires musicaux. Par ailleurs, les fonctionnalités de radios permettent aux bibliothèques de construire des parcours de découvertes musicales en lien avec leurs missions pédagogiques. Courant juin 2010, les bibliothécaires musicaux pourront en outre modifier toute la partie éditoriale du site : gestion des albums en page d’accueil, gestion des rubriques « nouveaux talents » et « albums à découvrir », programmation de vos canaux radios, intervention dans les rubriques de recommandations d’artistes similaires, dans la gestion des genres musicaux et modification dans les biographies d’artistes. Une API permet aussi de proposer, quand c’est possible, l’écoute d’un extrait lors de la visualisation d”une notice sur le catalogue en ligne de la bibliothèque.

Quels résultats pour cette expérimentation ? Selon Xavier Galaup, son initiateur :

“Avec presque 300 inscrits sur les deux sites, 36 radios créées et 1500 Euros de coût lié à la consommation, je peux déjà dire que l’expérience est réussie au-delà des objectifs fixés au départ à savoir réussir à attirer un public significatif, maîtriser les budgets et s’approprier la plate-forme pour la médiation numérique. La collaboration avec musicMe est très bonne même si en utilisateur exigeant nous aurions aimés quelques évolutions plus rapidement. D’un autre coté, musicMe a développé la possibilité de personnaliser les albums à la Une et dans tous les genres musicaux ainsi que de modifier le contenu de certaines parties du site. Ce qui n’était pas prévu dans le cahier des charges initial… Rappelons que nous avons à faire à une petite entreprise d’une douzaine de personnes gérant plusieurs marchés en même temps…

J’attends maintenant avec impatience l’ouverture des deux autres sites pour voir l’écho auprès du public et les réflexions apportées par d’autres expérimentateurs. Fort de ces premiers mois, musicMe prépare et ajuste pour 2011 son offre aux bibliothèques. Nous vous tiendrons au courant.”

L’exemple illustre que la médiation numérique peut en soi-même constituer une valeur ajoutée monétisable auprès d’un fournisseur de contenus. Plutôt que de vendre des contenus à l’acte, on propose aux usagers un accès illimité et on vend aux bibliothèques des services leur permettant de mettre en œuvre une médiation numérique efficace.

Même si ici le modèle est hybride puisque le fournisseur tarifie l’accès aux contenus et la consommation à l’acte en amont de l’écoute par l’utilisateur, on peut tout à fait imaginer creuser ce modèle vers la fourniture de services permettant une médiation efficace, de nature à conserver l’attractivité du modèle et la soutenabilité de l’offre pour les budgets des bibliothèques. Le modèle montre en outre qu’il est tout à fait possible de quantifier et de tarifer chaque écoute ou chaque accès en streaming depuis une plateforme en maintenant une illusion d’illimité pour l’usager sur le modèle du “buffet à volonté” où les usagers s’auto-régulent.

Ajouter du service autour de contenus libres

Autre exemple, celui de Revues.org très bien expliqué par Pierre Mounier :

nous avons élaboré un modèle économique et une proposition commerciale permettant de soutenir la diffusion en libre accès sur le web des résultats de la recherche en sciences humaines et sociales. Ce modèle, baptisée OpenEdition Freemium, déconnecte l’accès à l’information, qui reste libre, de la fourniture, payante cette fois,  de services supplémentaires. Conséquence  : les contenus (livres, revues, carnets, programmes scientifiques) restent diffusés en libre accès pour tous dans le format le plus universel et le plus accessible : celui du web. Mais nous vendons des services supplémentaires qui permettent par exemple de télécharger des fichiers pdf ou epub à partir de ces contenus (pour les lire plus confortablement ou les enregistrer plus facilement), d’accéder à des statistiques de consultation, de bénéficier d’alertes personnalisées sur ces contenus, ou encore d’ajouter facilement les titres au catalogue.

Qui sont les destinataires de ces services payants ? Les bibliothèques bien sûr, en priorité, qui retrouvent par ce moyen la possibilité d’acquérir (des services) pour des contenus en libre accès et peuvent donc réintégrer le circuit documentaire. Qui sont les bénéficiaires des revenus ainsi obtenus ? Les producteurs de contenus en libre accès, les revues et leur éditeur particulièrement, qui trouvent ainsi un soutien dont ils ont très souvent besoin pour pérenniser et développer leur activité.
Qu’essayons-nous de faire ? Nous tentons de reconstruire une alliance stratégique entre éditeurs et bibliothèques pour soutenir la publication en libre accès au coeur même du Web. Nous ne pensons pas du tout que ces acteurs historiques de la communication scientifique et de la diffusion des savoirs doivent être balayés par Google ou bien restés cantonnés derrière les murailles stérilisantes des plateformes à accès restreint. Nous voulons leur permettre au contraire d’être bien présents et d’apporter toute leur compétence accumulée au coeur du nouvel environnement qui se développe à grande vitesse.

On le voit le modèle mise sur l’idée que notre valeur ajoutée soit la diffusion et pas l’exclusivité des contenus, mais celle des services. Voilà une piste intéressante non ?

Article publié initialement sur Bibliobsession

Photo FlickR CC by-nd the pale side of insomnia

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Hadopi = Big Browser en bibliothèque ! http://owni.fr/2011/01/04/hadopi-big-browser-en-bibliotheque/ http://owni.fr/2011/01/04/hadopi-big-browser-en-bibliotheque/#comments Tue, 04 Jan 2011 08:30:26 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=41032 En septembre 2009, j’avais écrit un billet pour évaluer les risques que la loi Hadopi ne s’applique aux bibliothèques, avec de graves conséquences sur leur capacité à offrir un accès internet à leurs usagers. Une semaine après la parution du décret relatif à la labellisation des moyens de sécurisation, il est certain à présent que le mécanisme de riposte graduée va avoir des répercussions sur les bibliothèques, et plus largement sur tous les lieux d’accès publics à Internet.

Pire que la coupure d’accès…

Jusqu’à présent, ce qui était certain, c’est que les personnes morales (entreprises, associations, administrations, etc) entraient bien dans le champ d’application de la loi Hadopi. Des amendements avaient été proposés au Sénat pour exclure ces dernières de la riposte graduée, mais ils avaient été repoussés à l’initiative du gouvernement. Telle qu’elle a été votée, la loi Hadopi s’applique à tous les titulaires d’une adresse IP, qu’il s’agisse de particuliers ou d’organisations (elle vise exactement les « personnes titulaires de l’accès à des services de communication en ligne au public « , sans autre précision).

Plusieurs analyses ont été produites cette année pour tenter d’évaluer comment la riposte pourrait s’appliquer dans le cadre des entreprises, au cas où des salariés utiliseraient les accès internet pour télécharger illégalement. Peu nombreux en revanche ont été ceux qui se sont penchés sur les conséquences possibles de la loi Hadopi sur les espaces qui fournissent un accès public à Internet, par le biais de postes Internet ou de connexions Wifi (comme les cybercafés, hôtels, hôpitaux, aéroports, EPN, parcs, universités, bibliothèques, etc).

Il peut paraître assez improbable à première vue que ces entités subissent une coupure d’accès à internet, suite à des téléchargements opérés par des usagers. La loi Hadopi 2 indique ceci :

Pour prononcer la peine de suspension [...] et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique.

Si rien n’empêche en théorie le juge de couper l’accès à une personne morale, on peut penser que cette rédaction de la loi lui permettra de moduler sa décision de façon à éviter les conséquences catastrophiques, liées à la coupure d’une entreprise ou d’une administration.

Mais la coupure d’accès n’est pas le seul risque que fait courir la loi Hadopi aux personnes morales et à mon sens, ce n’est pas le péril principal. La pression exercée pour recourir à des moyens de sécurisation labellisés risque en effet d’avoir des conséquences bien plus graves sur l’accès public à Internet. C’est la conséquence du fait que la riposte graduée s’articule non directement autour du délit de contrefaçon, mais autour de la notion de négligence caractérisée dans la sécurisation de son accès à Internet.

Négligence caractérisée + moyens de sécurisation = surveillance volontaire

Un autre décret, paru en juin dernier, a défini ce que l’on doit entendre par ce terme :

Constitue une négligence caractérisée [...], le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne, lorsque se trouvent réunies les conditions prévues au II :

1° Soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ;

2° Soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen.

Dans le dispositif de la riposte graduée, l’Hadopi repère les téléchargements illégaux commis depuis certaines adresses IP, à partir des relevés que lui transmet l’entreprise privée TMG, agissant pour le compte des ayants droit. L’Hadopi envoie un mail d’avertissement aux titulaires de l’adresse IP, qui vise précisément à vérifier s’ils ont bien pris la précaution de sécuriser leur connexion Internet et pour leur enjoindre de le faire si ce n’est pas le cas.

Pour ce faire, les titulaires doivent apporter la preuve qu’ils ont installé un moyen de sécurisation, sous la forme d’un logiciel bloquant l’accès aux sites permettant le téléchargement illégal. Ces logiciels de sécurisation peuvent ou non avoir été homologués par l’Hadopi, par rapport à une liste de spécifications fonctionnelles. Si c’est un logiciel homologué qui a été choisi par le titulaire, le cas de l’internaute « sera examiné avec une attention bienveillante « , selon les mots de la présidente de l’Hadopi.

C’est l’objet du décret paru la semaine dernière de préciser la procédure par laquelle ces moyens de sécurisation seront labellisés. Un document préparatoire au développement des spécifications fonctionnelles donne par ailleurs des indications sur la forme que ces moyens de sécurisation pourront prendre et c’est là que l’on se rend compte comment ils pourront affecter les lieux d’accès public à Internet.

Ce document indique ceci (p.9) :

Les cibles d’utilisateurs des dispositifs de sécurité peuvent être classées en 2 grandes classes : les entreprises, institutions, associations, d’une part et les particuliers, le grand public, d’autre part.

Pour les organisations, il y a encore deux sous-catégories : les organisations qui ont du personnel permanent, identifié et les organisations comme les hôtels, les cybercafés, les sites Wi-Fi ouverts (aéroports, etc.)  où  les  utilisateurs  sont  de passage.

Les bibliothèques ne sont pas directement citées, mais il est évident que nous rentrons dans les deux sous-catégories, à la fois pour le personnel permanent et pour les utilisateurs de passage. Pour se mettre en conformité avec les attentes de l’Hadopi, il faudra donc installer ces moyens de sécurisation sur tous les postes munis d’une connexion  internet, qu’ils soient mis à disposition du personnel ou des usagers, ainsi que des accès wifi.

Toujours d’après ce document, ces logiciels analysent la navigation à partir d’un système de listes noires, grises et blanches (p. 21) :

Le module de traitement utilise plusieurs sortes de triplets de listes :

  • Les listes noires : entités interdites (par exemple, la liste des sites web interdits par décision de justice) ;
  • Les listes grises : entités qui peuvent présenter des risques en matière de contrefaçon et qui nécessiteront une action de l’utilisateur pour outrepasser la notification du risque ; par exemple la liste grise des applications suspectes, la liste grise  de plages de ports ou d’adresses qui rentrent en jeu dans certains protocoles ou certaines applications ;
  • Les listes blanches : entités autorisées, par exemple la liste blanche de l’offre légale.

Par ailleurs, le logiciel garde en mémoire toutes les opérations effectuées à partir d’un poste, ce que le document désigne par le terme de « journalisation », analysée ci-après par Marc Rees de PC-Inpact:

[...] cette journalisation est propre au moyen de sécurisation labellisé. Elle trace l’historique complet de tous les événements significatifs de l’ordinateur (ex : éléments de la vie interne du moyen de sécurisation : démarrage, arrêt, activation, désactivation, modification des profils de sécurité, etc.).

Dans le document préparatoire précité, on parle de « journaux sécurisés [qui] doivent être archivés et conservés par le titulaire de l’abonnement pendant la période d’une année, période où le titulaire pourrait demander à une tierce partie de confiance, un déchiffrement des journaux correspondant à des dates fixées et une copie certifiée conforme du déchiffrement de ces journaux ». Comme indiqué, plus l’abonné aura le sentiment d’être sécurisé face au risque Hadopi, plus il sera surveillé, traqué, examiné, observé.

Bienvenue dans l’Hadopithèque…

Vous vous demandez peut-être comment tout ceci peut se traduire dans une bibliothèque ? Essayons de combiner tous ces éléments et de voir ce qui risque de se passer dans les nouvelles “Hadopithèques”.

Chers bibliothécaires, sachez que vous êtes responsables, de plein fouet, pour tout ce que vos usagers (mais aussi vos collègues…) peuvent commettre à partir des connexions internet que vous mettez à leur disposition. Pour ne pas être accusés par l’Hadopi de négligence caractérisée, vous allez devoir installer des logiciels de sécurisation, et tant qu’à faire des systèmes labellisés, lorsqu’ils auront été homologués. Ces systèmes vont restreindre l’accès à Internet à partir de listes pré-établies. Ils vont en outre enregistrer tout ce que vos usagers feront à partir des postes. Si l’Hadopi vient à flasher une de vos adresses IP et à vous adresser un courrier d’avertissement, vous devrez lui apporter la preuve que vous aurez sécurisé vos accès et lui fournir les enregistrements opérés par le logiciel.

N’est-ce pas déjà une charmante façon de concevoir le métier de bibliothécaire ? Mais ce n’est pas tout. Imaginons que vous décidiez de modifier les paramètres du logiciel pour ouvrir l’accès à certains sites. Ce sera enregistré par le système de journalisation et retenu contre vous par l’Hadopi. Attention donc à ne pas être trop libéral. Mieux vaut peut-être même bloquer davantage de sites que ce que le logiciel propose par défaut…

Et si par malheur une faille quelconque se produit et qu’un de vos usagers arrive à commettre un acte illicite ? Ne vous en faites pas, vous êtes toujours responsable, comme l’explique Maître Eolas :

On constate que votre abonnement a servi à télécharger illégalement, et que s’il a pu servir à cela, c’est qu’il n’était pas assez sécurisé. Si vous apportez la preuve de sa sécurisation absolue ou presque, vous apportez la preuve que c’est vous qui avez téléchargé. Dans les deux cas, vous pouvez être sanctionné. Pervers, n’est-ce pas ?

The Librarian is watching you !

Nous étions déjà hélas habitués en bibliothèque à subir les désagréments des Proxinators, mis en place par des DSI souvent portées à faire du zèle en matière de sécurité informatique, bien au-delà des exigences posées par la loi. Nous savons bien combien il peut être difficile d’exercer le métier de bibliothécaire, et surtout le travail de médiation numérique, dans un environnement cadenassé. Voilà que la loi Hadopi vient à présent donner des arguments massues pour verrouiller et sur-verrouiller les accès à Internet dans nos établissements. Bien plus que la coupure d’accès, somme toute assez hypothétique, c’est d’emblée la « négligence caractérisée » qui risque de faire peur à nos tutelles et les pousser à mettre en place de manière préventive les moyens de sécurisation.

En 2009 lors du débat sur la loi Hadopi, le gouvernement avait déjà avancé l’idée de mettre en place un système de « portail blanc » pour les accès publics à Internet, limité à un « internet citoyen » correspondant à une liste finie de sites considérés comme sans danger. Ce projet avait suscité une vive réaction de la part de l’IABD (Interassociation Archives, Bibliothèques, Documentation), au nom de la défense du droit d’accès à l’information, et il avait été finalement abandonné. Mais la réapparition de « listes blanches » dans les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation me fait craindre qu’on ne s’achemine tout droit vers un retour à cette réduction de l’internet public à la portion congrue.

Si mes craintes se confirment, on assisterait à un durcissement radical des conditions d’accès à internet en bibliothèque. L’IABD, dans une mise au point de cet été, avait tenu à rappeler que rien dans le cadre légal actuel ne nous oblige à filtrer a priori l’accès à internet, ni à identifier nos usagers. La CNIL, dans une fiche pratique sur son site, confirme cette analyse.

Tout cet équilibre pourrait être mis à bas par la loi Hadopi et modifier les relations entre les bibliothèques et les usagers en les plaçant sous le signe de la surveillance et de la suspicion. Marc Rees de PC-Inpact arrive à cette conclusion en ce qui concerne les foyers privés :

[...]l’abonné est responsable des mauvais usages qui seraient commis par des tiers (membre de sa famille, voisins, étrangers). Qu’il se reproche quelque chose ou non n’a pas d’emprise. Au contraire, le texte injecte un climat de suspicion et de défiance dans l’entourage proche.

Cette défiance sera nécessairement encore plus forte dans les lieux d’accès public à Internet. Bien sûr – et c’est là le plus pervers – rien n’empêche le bibliothécaire de ne pas mettre en place le dispositif de sécurisation, jugeant que sa mission implique avant tout de donner accès à l’information de manière neutre et de respecter la privacy de ses usagers (comme disent nos confrères américains). Mais combien voudront – pourront – faire ce choix qui les expose de plein fouet à la mise en cause de leur responsabilité ? Comment défendre cette option devant sa tutelle en ayant seulement une chance de se faire entendre ?

Alors que plus de 30% des foyers français n’ont pas de connexions à internet à domicile, on s’achemine vers un accès public verrouillé, cadenassé, surveillé et appauvri. L’accès à Internet devient une composante fondamentale des services offerts en bibliothèque (voyez ici à la BU d’Angers, où elle tend même à s’imposer comme le service essentiel en fonction duquel l’espace est reconfiguré). Qu’en sera-t-il une fois que la loi Hadopi aura produit tous ses effets ?

Mais il y a pire à mes yeux. Le dispositif de la négligence caractérisée a cette perversité qu’il fera du bibliothécaire un des maillons actifs du dispositif de surveillance, poussé par la force des choses à installer des mouchards dans son parc informatique, sans que le texte de la loi ne le lui impose formellement. Il fera de nous des complices, tout simplement.

Bibliothécaires, avez-vous vraiment envie de devenir les « Grands Frères » de vos usagers ? Il n’est peut-être pas encore trop tard pour dire NON à ce qui se prépare.

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Article initialement publié sur le blog :: S.I. Lex ::

>> Photos flickr CC Mosman Library ; Thomas Hawk (bis)

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Accès Internet en bibliothèque : ce qu’exige vraiment la loi http://owni.fr/2010/03/26/acces-internet-en-bibliotheque-ce-qu%e2%80%99exige-vraiment-la-loi/ http://owni.fr/2010/03/26/acces-internet-en-bibliotheque-ce-qu%e2%80%99exige-vraiment-la-loi/#comments Fri, 26 Mar 2010 08:41:09 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=10918 Photo CC Flickr mag3737

Photo CC Flickr mag3737

Si donner accès à Internet est une des missions importantes des services d’archives, de bibliothèques et de documentation, elle peut aussi engager leur responsabilité, en cas d’agissement délictueux des usagers. Quel équilibre trouver pour préserver la liberté de ces derniers en respectant la législation ?

L’IABD (Interassociation Archives Bibliothèques Documentation) publie aujourd’hui une mise au point, concernant la teneur et l’étendue des obligations légales qui pèsent sur les services d’archives, de bibliothèques et de documentation lorsqu’ils offrent sur place des accès Internet à leurs usagers. L’information a été relayée sur Bibliobsession et Paralipomènes.

Le sujet est complexe et sensible, car il confronte les professionnels de l’information à un choix difficile. Donner accès à Internet constitue aujourd’hui pour les services d’archives, de bibliothèques et de documentation un aspect essentiel de leurs missions ; mais leur responsabilité est susceptible, à divers degrés, d’être engagée du fait d’agissements délictueux qui seraient commis à partir de ces connexions par leurs usagers.

Entre la liberté de l’usager et la responsabilité de l’établissement, il faut trouver un équilibre, qui est d’autant plus difficile à déterminer que les textes applicables sont nombreux (Code des Postes et Communications Électroniques, Loi LCEN de 2004, loi anti-terroriste de 2006, loi Hadopi de 2009, etc) et leurs dispositions délicates à interpréter. Demander aux utilisateurs de s’identifier lorsqu’ils se connectent à Internet ; mettre en place des filtres pour bloquer l’accès à certains sites ; neutraliser certaines fonctionnalités comme le téléchargement ou l’usage des clés USB : autant de pratiques qui ont cours dans nos établissements, sans que l’on sache si elles sont réellement exigées par les textes de loi.

La question est d’autant plus importante que depuis l’été 2009, l’accès à Internet n’est pas seulement un service rendu à l’usager, mais l’exercice d’une liberté fondamentale, explicitement consacrée par le Conseil Constitutionnel à l’occasion de sa censure de la première loi Hadopi :

« [...] aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi  » ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services. »

Fragile, si fragile… la liberté d’accès à Internet. (En defensa de internet. Par tonymadrid photography. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr)

Il peut être tentant pour les bibliothèques, archives et centres de documentation de mettre en place des mécanismes de contrôle qui leur permettront de limiter les risques de voir leur responsabilité engagée. Mais il faut bien avoir conscience que si ces dispositifs vont au-delà de ce que la loi exige, ils auront pour effet de restreindre volontairement l’exercice d’une liberté fondamentale des citoyens, constitutionnellement consacrée.

La mise au point de l’IABD passe en revue les textes pour délimiter avec précision le champ de ces obligations légales. Il ressort de l’analyse que si les bibliothèques, archives et centres de documentation sont bien obligés de conserver pendant un an les données de connexion (loi anti-terroriste de 2006), il n’est nullement exigé, ni de recueillir l’identité des personnes qui accèdent à Internet, ni de mettre en place des moyens de sécurisation des connexions tels que des systèmes de filtrage.

Les textes préservent donc le droit des usagers à utiliser Internet librement, sans avoir à donner leur identité et à conserver leur anonymat lors de leur usage des connexions.

L’accès public à Internet est une liberté consacrée, mais hélas menacée. Lors du débat de la loi Hadopi, il avait été un temps proposé par le ministère de la Culture de mettre en place un « portail blanc » pour brider les accès publics wifi et les restreindre à une liste prédéterminée de sites « propres ». Un tel système aurait pu être appliqué dans les parcs ou les mairies, mais aussi dans les bibliothèques et autres services similaires offrant des accès wifi à leurs usagers. Face à cette menace d’atteinte à la liberté d’accès à l’information, l’IABD avait déjà réagi par le biais d’une déclaration. Le projet de portail blanc a finalement été abandonné lors de l’examen au Parlement de la loi, mais j’ai eu l’occasion d’essayer de montrer dans un billet précédent comment la loi Hadopi était susceptible d’aggraver la responsabilité pesant sur les bibliothèques du fait de l’usage des connexions Internet qu’elles offrent à leurs usagers.

Lors du dernier congrès de l’ABF, un atelier avait été organisée sur le thème « L’autonomie de l’usager versus la responsabilité du bibliothécaire » auquel j’avais participé. Il en était ressorti que plus qu’une question légale, les modalités de l’accès à Internet relèvent d’un choix professionnel qui revêt une forte dimension éthique. Pour que la liberté de l’usager puisse exister, le bibliothécaire doit nécessairement accepter d’assumer une part incompressible de responsabilité.

Aux États-Unis, les bibliothécaires ont subi (et subissent encore) les conséquences du Patriot Act, qui les obligent à communiquer aux autorités des données personnelles sensibles de leurs usagers.

Il n’y a pas (encore) de Patriot Act en France, mais bien souvent, il reste plus facile de se connecter à Internet depuis un Mac Do qu’à partir de la bibliothèque de son quartier.

Si les services de bibliothèques, d’archives et de documentation veulent pleinement jouer un rôle d’espace public dans la cité, ils doivent aborder de front ces questions.

Ci-dessous le texte complet de la mise au point de l’IABD.

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Offrir un accès à l’internet dans une bibliothèque, un service d’archives ou d’information : Les conditions juridiques

Entre les missions des bibliothèques, des services d’archives et d’information, et les obligations légales, quelle est la frontière entre un service ouvert à tous et le respect de la loi ? Comment interpréter les mesures préconisées ou imposées par le législateur, et les concilier avec la tradition d’un accès le plus large possible à l’information et à la connaissance ? Y a-t-il un espace d’interprétation propice à la sauvegarde des libertés ? Partageons-nous une posture professionnelle respectueuse du droit mais aussi des intérêts des usagers ?

Quelles obligations légales ?

· Conserver les logs de connexion ?

Internet peut être libre et gratuit pour le public ; les établissements ne sont pas tenus de recueillir l’identité des personnes à qui ils proposent un accès à l’internet ; l’usager peut même utiliser un pseudo pour se connecter et avoir accès à ses espaces personnels. En revanche, on doit pouvoir identifier l’ordinateur à l’origine de l’usage illicite par une adresse IP fixe.

La seule obligation qui s’impose aux bibliothèques, aux services d’archives et d’information (ou aux organismes dont ils relèvent) est de remettre, lors d’une réquisition judiciaire ou administrative, selon les cas, les logs de connexion (note 1) et toutes les informations qu’ils détiennent (note 2). Ces informations seront recoupées par les services chargés de l’enquête pour retrouver la personne à l’origine de l’infraction. L’antériorité exigible pour les données est d’un an.

· Sécuriser les postes ?

La loi n’impose pas que l’on filtre les accès à l’internet des ordinateurs mis à la disposition du public (note 3). Installer des filtres pour bloquer certains sites susceptibles d’être pénalement répréhensibles ne permettrait que de limiter sa responsabilité en cas de réquisition judiciaire, c’est-à-dire seulement après avoir reçu une lettre recommandée enjoignant l’abonné de sécuriser son poste.

En revanche, le fait de munir de filtres les ordinateurs proposés au public limite de manière arbitraire l’accès à l’internet, alors que cet accès constitue une liberté publique consacrée par le Conseil constitutionnel [5].

· Remettre des informations nominatives ?

C’est une obligation qui ne s’impose, au titre de la loi Hadopi, qu’aux organisations qui opèrent en tant que FAI (les services informatiques des universités, par exemple). Il incombe, en effet, aux FAI de fournir aux personnes chargées de l’enquête les informations détaillées dans le décret du 5 mars 2010, dont certaines sont nominatives (note 4).

Le poids de chartes et des règlements

Chartes et règlements intérieurs permettent d’informer le public des bibliothèques sur les usages interdits, sur la surveillance dont ils peuvent faire l’objet et sur l’existence éventuelle de filtres.

D’autres documents destinés aux bibliothécaires leur rappellent le contrôle qu’il convient d’exercer et leur obligation de mettre fin à tout usage de l’internet qui serait manifestement illicite (contrefaçon, cyberpédopornographie, activités terroristes, etc.). L’enquête permettra d’évaluer, en fonction d’un contexte, la diligence du personnel.

Nulle obligation d’identifier les personnes ni même de filtrer les accès à l’internet

En cas de réquisition, les bibliothèques, les services d’archives et d’information abonnés à des FAI doivent remettre aux enquêteurs les logs de connexion et toute autre information habituellement recueillie. Il leur est recommandé de remettre aussi les chartes communiquées aux usagers et les informations destinées aux personnels.

Que disent les textes ?

La loi anti-terroriste

L’obligation de conserver pendant un an les données de connexion, imposée aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) par la loi anti-terroriste du 23 janvier 2006 [1], est étendue à tous ceux qui offrent un accès à l’internet à leur public.

Comme l’indique le Forum des droits sur l’internet [7], la conservation des logs peut se faire de trois manières différentes :

- en utilisant localement des unités de stockage dédiées associées à un routeur mis en place pour assurer la répartition du trafic interne entre les différents postes ;

- en confiant cette obligation au FAI auprès duquel on a acheté des abonnements à plusieurs adresses IP publiques correspondant au nombre de postes ;

- en confiant l’enregistrement à un tiers prestataire de services.

La loi Hadopi

La loi dite Hadopi [3] dissocie les obligations des FAI de celles des titulaires d’un abonnement à l’internet. La responsabilité d’une bibliothèque, d’un service d’archives ou d’information titulaire de plusieurs abonnements auprès d’un FAI n’est engagée pour les usages illicites réalisés à partir des ordinateurs connectés au réseau mis à la disposition du public que si les postes n’ont pas été sécurisés, après en avoir reçu l’injonction écrite de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits d’auteur sur Internet (Hadopi).

Qu’en conclure ?

Ni la loi anti-terroriste, ni la loi Hadopi n’obligent ces établissements à identifier les utilisateurs des ordinateurs mis à leur disposition, ni à conserver des informations nominatives pour les remettre lors d’une enquête diligentée par un juge au titre de la loi Hadopi, ou d’une personnalité qualifiée placée auprès du ministre de l’Intérieur au titre de la loi anti-terroriste, ni même à filtrer à titre préventif les accès à l’internet.

Le respect des usages traditionnellement admis dans les bibliothèques, services d’archives et d’information reste compatible avec les obligations juridiques qui leur sont imposées, dès lors que les professionnels appliquent la loi, toute la loi, rien que la loi.

Textes

1. Loi n°2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. Sur le site Légifrance.

2. Décret 2006-358 du 24 mars 2006 relatif à la conservation des données des communications électroniques. Sur le site Légifrance.

3. Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. Sur le site Légifrance.

4. Décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l’article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet ». Sur le site Légifrance.

5. Décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009. Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. Sur le site du Conseil constitutionnel.

Recommandations – Déclarations

6. Offrir un accès public à l’internet : Des responsabilités aux multiples implications. Déclaration de l’IABD, 10 mars 2009. Sur le site de l’IABD.

7. Les lieux d’accès public à l’internet. Recommandation du Forum des droits sur l’internet, 28 décembre 2007. Sur le site du Forum des droits sur l’internet.

8. Non au portail blanc. Déclaration de l’IABD du 6 mars 2009. Sur le site de l’IABD.

Notes

(1) Logs de connexion

Les données relatives au trafic s’entendent des informations rendues disponibles par les procédés de communication électronique, susceptibles d’être enregistrées par l’opérateur à l’occasion des communications électroniques dont il assure la transmission et qui sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par la loi.

Cette obligation s’impose à toutes « les personnes qui, au titre d’une activité professionnelle principale ou accessoire, offrent au public une connexion permettant une communication en ligne par l’intermédiaire d’un accès au réseau, y compris à titre gratuit », une définition qui concerne les cybercafés mais également les bibliothèques. Il incombe aux opérateurs de communications électroniques de conserver pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales : a) Les informations permettant d’identifier l’utilisateur ; [c’est-à-dire celles qui sont enregistrées par lors des communications] b) Les données relatives aux équipements terminaux de communication utilisés ;

c) Les caractéristiques techniques ainsi que la date, l’horaire et la durée de chaque communication ; d) Les données relatives aux services complémentaires demandés ou utilisés et leurs fournisseurs ; e) Les données permettant d’identifier le ou les destinataires de la communication.

(2) Les données nominatives seront remises uniquement si celles-ci sont déjà recueillies habituellement.

(3) Selon l’article 25 de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi), le titulaire d’un accès à des services en ligne de communication au public en ligne doit veiller à ce que cet accès ne soit pas utilisé à des fins de contrefaçon, en mettant en œuvre les moyens de sécurisation qui lui sont proposés par le fournisseur de cet accès en application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. N’étant pas assortie de sanction, cette disposition ne peut pas être mise en œuvre.

(4) Loi Hadopi. Décret du 5 mars 2010 Les données conservées par les agents assermentés travaillant pour les ayants droit : date et heure des faits ; adresse IP des abonnés concernés ; protocole pair à pair utilisé ; pseudonyme utilisé par l’abonné ; informations relatives aux œuvres ou objets protégés concernés par les faits ; le nom du fichier présent sur le poste de l’abonné (le cas échéant) ; le nom de son fournisseur d’accès à internet. Les données à fournir à la Hadopi par les FAI : noms et prénoms de l’abonné, son adresse postale et son adresse électronique ; ses coordonnées téléphoniques et son adresse d’installation téléphonique.

(5) La bibliothèque titulaire d’un abonnement encourt des sanctions pénales : une contravention de 5ème catégorie (amende de 1500€), une coupure de l’accès à Internet d’un mois et une obligation de mettre en œuvre un « moyen de sécurisation » labellisé par la Hadopi.

25 mars 2010

IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation) – http://www.iabd.fr

Secrétariat : ABF – 31, rue de Chabrol – 75010 Paris – 01 55 33 10 30 – abf@abf.asso.fr

Billet initialement publié sur :: S.I.Lex ::

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Bibliothécaires, archivistes, documentalistes contre ACTA ! http://owni.fr/2010/02/02/bibliothecaires-archivistes-documentalistes-contre-acta/ http://owni.fr/2010/02/02/bibliothecaires-archivistes-documentalistes-contre-acta/#comments Tue, 02 Feb 2010 16:52:06 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=7570 ACTA_attacks_Internet

Billet publié initialement sur Bibliobsession, le blog de Silvère Mercier, bibliothécaire

Il y a des moments où le système déséquilibré et uniquement répressif qu’on essaie de mettre en place au niveau international autour des droits d’auteurs devient vraiment insupportable !

Le dire dans son coin n’est pas suffisant, c’est pourquoi j’ai proposé le texte qui suit à l’Interassociation Archives, bibliothèque documentation (IABD). Ce texte reprend pour partie le billet de Calimaq sur le sujet.

Le texte ci-dessous vient d’être publié sur le site de l’IABD, qui regroupe 17 associations représentatives de la profession en France. Plus précisément, voici les associations signataires :


- AAF (Association des archivistes français)

- ABF (Associatiton des bibliothécaires de France)

- ACIM (Association de coopération des professionnels de l’information musicale)

- ADBDP (Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt)

- ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation)

- ADBU (Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation)

- ADDNB (Association pour le développement des documents numériques en bibliothèque)

- ADRA (Association de développement et de recherche sur les artothèques)

- AIBM-France (Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux. Groupe français)

- Interdoc (Association des documentalistes de collectivités territoriales)

Les bibliothécaires, archivistes, documentalistes contre l’ACTA !

ACTA c’est quoi ?

ACTA signifie Anti Counterfeiting Trade Agreement – Accord commercial de lutte contre la contrefaçon. Il s’agit d’un projet de traité international. Négocié dans le plus grand secret depuis le printemps 2008 par l’Union européenne, les Etats-Unis, le Japon, le Canada, la Corée du Sud, l’Australie et plusieurs autres pays, cet accord entendait à l’origine promouvoir de nouveaux moyens de lutte contre la contrefaçon, tant sous forme physique que numérique. Au fil des discussions, le chapitre d’ACTA consacré à Internet s’est étoffé d’une batterie de dispositions qui bouleverseraient en profondeur l’équilibre de la propriété intellectuelle dans le sens d’une aggravation du dispositif répressif destiné à protéger les droits d’auteur.

ACTA risque d’amplifier le déséquilibre entre les ayants droits et les usagers des oeuvres et de faire obstacle à la créativité, l’innovation, la recherche, l’éducation et la formation.

Quel est le problème ?

Pour lutter contre le téléchargement illégal, l’ACTA imposerait à tous les pays signataires d’engager la responsabilité des FAI (Fournisseurs d’accès à Internet), de mettre en place de manière systématique des mesures de filtrage du réseau et de blocage de l’accès aux sites et d’organiser un dispositif de riposte graduée sans passer par le recours au juge afin de couper l’accès à Internet des contrevenants.

L’ACTA consacre par ailleurs à nouveau la notion de DRM (Digital Rights Management – gestion des droits numériques) et renforce les moyens de lutte contre leur contournement. Cette menace n’a plus rien d’hypothétique à présent, puisque les parties ambitionnent de clore les négociations au cours de l’année 2010. En ce mois de janvier, les pays négociateurs se réunissent au Mexique, pour un septième round de discussions. Une huitième rencontre est prévue pour le mois d’avril, vraisemblablement en Nouvelle-Zélande.

Quelle est la position de l’IABD ?

L’IABD défend naturellement le droit d’auteur et de la création sur Internet et s’oppose à toute forme de contrefaçon. Pour autant, l’Interassociation ne considère pas que le droit d’auteur et les droits voisins doivent être dotés d’une portée si absolue que leur défense viendrait à remettre en cause les libertés fondamentales par un système déséquilibré et uniquement répressif.

Le respect du droit d’auteur, composante du droit de propriété, doit être concilié avec les autres libertés fondamentales reconnues par notre Constitution et par les grands textes internationaux que la France a signés.

En tant que lieux d’accès à l’information, à la culture et au savoir, en tant qu’espaces de citoyenneté, les bibliothèques, services d’archives et centres de documentation sont porteurs d’une idée d’un droit d’auteur équilibré totalement incompatible avec le projet ACTA tel qu’il s’annonce.

L’IABD s’oppose fermement à l’ACTA dans un contexte où l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) a décidé de lancer à l’été 2009 de nouvelles négociations en vue d’un traité sur les exceptions et limitations au droit d’auteur, afin de rééquilibrer le système qui a été mis en place depuis 1996 à partir des deux grands traités sur le droit d’auteur.

Cette réflexion porterait dans un premier temps sur les exceptions en faveur des personnes ayant des déficiences visuelles, mais elle pourrait être élargie à l’enseignement et aux bibliothèques, thèmes à propos desquelles l’OMPI a conduit d’importants travaux de recherche. Au niveau européen également, la Commission, à travers la démarche du Livre vert « Le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance », appelle à une refonte de la propriété intellectuelle au niveau européen qui accorderait une plus large place à la liberté d’accéder à l’information et de la faire circuler. Dans toutes ces communications, la Commission fait un lien entre cet objectif et le rôle central que pourraient jouer les bibliothèques, et cette position s’est encore affermie avec le grand débat sur la numérisation du patrimoine.

Ce sont ces potentialités et ces espoirs auxquels l’ACTA, dans la plus grande opacité et en dehors de toute transparence démocratique, pourrait porter un coup mortel en verrouillant le système au plus haut niveau. Il deviendra tout simplement inutile de demander au législateur français ou européen d’opérer des réformes en vue d’un meilleur équilibre si notre pays ou l’Union s’engagent à mettre en oeuvre cet accord.

L’IABD s’associe à la coalition mondiale d’organisations non-gouvernementales, d’associations de consommateurs et de fournisseurs de services en ligne qui publie une lettre ouverte adressée aux institutions européennes. Ces organisations appellent le Parlement européen et les négociateurs de l’Union européenne à établir la transparence du processus de négociation et à s’opposer à toute mesure qui, dans l’accord multilatéral, porterait atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens en Europe et à travers le monde.

Notez que la mobilisation ne cesse de s’élargir comme le précise Lionel Maurel :

Dans plusieurs pays anglo-saxons, les associations de bibliothécaires se sont joints aux actions de lutte contre l’ACTA (c’est le cas en Australie et au Canada – voir ici). Mais c’est surtout aux Etats-Unis que les bibliothécaires se sont engagés le plus fortement, au nom de la défense des libertés dans l’environnement numérique et en faisant un lien direct avec le but de leur missions.

Très récemment les québécois viennent de prendre position contre ACTA et l’IABD a été contactée par des bibliothécaires espagnols pour adapter et proposer ce texte aux bibliothécaires locaux, l’IFLA quant à elle devrait prendre position très bientôt.

Je pense qu’il est essentiel que les professionnels de l’information-documentation restent mobilisés et très vigilants sur ces questions. Il s’agit de s’inscrire dans un combat indispensable et très actuel à propos des libertés fondamentales sur le web et ailleurs, dans la grande tradition humaniste des bibliothécaires !

J’appelle ainsi tous les biblioblogueurs et les professionnels de l’info-doc qui se sentent concernés par ces questions à diffuser ce texte, et plus largement à prendre position contre ce projet liberticide !

Vous pouvez par exemple générer un bandeau à insérer dans votre site ou blog :

<script type="text/javascript" src="http://services.supportduweb.com/ribbons/ribbon.js?texte=Mobilis%E9%20contre%20ACTA%20%21&lien=http%3A//www.bibliobsession.net/2010/02/02/bibliothecaires-archivistes-documentalistes-tous-contre-acta/&color=FFFFFF&type=a&pos=d&size=20&font=arial&style=11"></script>

ou créez le votre ici !

Je vous invite également à insérer dans vos site, blog la bannière de la Quadrature du Net, l’association qui mène le combat en France. Je vous invite aussi à les soutenir financièrement, pour que ce combat puisse continuer à être efficace !

» Illustration de Une par no3rdw sur Flickr

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http://owni.fr/2010/02/02/bibliothecaires-archivistes-documentalistes-contre-acta/feed/ 3
Rapport Tessier : échanges de bons procédés ? http://owni.fr/2010/01/23/rapport-tessier-echanges-de-bons-procedes/ http://owni.fr/2010/01/23/rapport-tessier-echanges-de-bons-procedes/#comments Sat, 23 Jan 2010 10:35:57 +0000 Admin http://owni.fr/?p=7200 Paru le 12 janvier dernier, le rapport Tessier sur la “numérisation du patrimoine écrit” était attendu comme le loup blanc, suite aux polémiques déclenchées cet été par l’annonce de négociations entre Google et la Bibliothèque nationale de France

On notera immédiatement que le titre de ce rapport est surprenant. Frédéric Mitterrand avait en effet confié le 15 octobre 2009 à Marc Tessier le soin de coordonner une “commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques“, avec pour but essentiel de statuer sur l’opportunité d’un tel partenariat.

Le rapport a largement dépassé le champ des “fonds patrimoniaux”, ainsi que celui des seules bibliothèques, pour proposer une profonde modification du paysage de la numérisation en France, ainsi que des rapports entre initiative publique et privée en la matière. De ce point de vue, c’est plutôt une surprise et on a l’impression que la question de Google a servi de “cheval de Troie” pour s’introduire dans un autre débat. Cette extension de la portée des préconisations présente l’intérêt de traiter la question de manière globale ; elle peut aussi conduire à un certain mélange des genres…

(Curtain of books. Par timtom.ch. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Je ne vais pas me lancer dans une analyse complète des propositions de ce rapport (voyez les nombreux commentaires déjà parus et notamment celui d’Olivier Ertzscheid sur Affordance, avec qui je partage beaucoup de vues… mais pas toutes !).

Je voudrais me concentrer sur les deux propositions du rapport qui me paraissent les plus importantes, à savoir :

  • l’idée de conclure “un partenariat avec Google Livres par échange de fichiers numérisés sans exclusivité sur les fichiers échangés” selon un principe “Un livre pour un livre“, par le biais d’un accord qui viserait “non pas à faire prendre en charge l’effort de numérisation mais à le partager, en échangeant des fichiers de qualité équivalente et de formats compatibles” ;
  • la proposition d’investir la BnF d’une mission pour “faciliter la mise en oeuvre d’une chaîne de numérisation de masse, non seulement des oeuvres hors droits, mais aussi des oeuvres sous droits” en utilisant pour ce faire une partie des sommes allouées dans le cadre du grand emprunt. Cette réorientation interviendrait “dans un cadre contractuel avec les éditeurs et les représentants des ayants droits” et prendrait la forme d’une “numérisation de masse des ouvrages collectés au titre du dépôt légal” qui pourraient viser “les oeuvres épuisées” ou “des oeuvres orphelines“.

Ces préconisations ont trait à la forme que doivent prendre les partenariats public-privé en matière de numérisation. Elles se présentent toutes deux sous la forme d’un “échange de bons procédés” entre le secteur public et le secteur privé. C’est précisément l’équilibre de ces échanges que je voudrais questionner dans ce billet.

En effet, ces deux pistes me paraissent intéressantes sur le principe, car elles redonnent l’initiative au secteur public en matière de numérisation à un moment où l’on aurait pu craindre qu’un “décrochage” se produise, notamment vis-à-vis de Google. La manne du grand emprunt est pour beaucoup dans ce redéfinition des règles du jeu. Mais dans les deux cas, la manière dont le rapport envisage de concrétiser ces propositions me paraît porteuse de réels risques de déséquilibre.

En ce qui concerne l’échanges de fichiers avec Google, le déséquilibre pourra résulter de la persistance d’exclusivités de fait au profit de Google Book au terme de l’échange de fichiers, malgré l’absence d’exclusivité inscrite en droit. Dans le cas de la numérisation des ouvrages sous droits, c’est l’absence de contreparties envisagée en échange de l’investissement public consenti en faveur de la numérisation qui est préoccupante et qui risque de provoquer un déséquilibre en termes d’accès aux oeuvres.

I) L’échange de fichiers numérisés : une symétrie impossible ?

J’ai eu peu de mal à avaler cette proposition qui m’a paru assez absurde au premier abord et très dangereuse.

de son côté, Olivier Ertzschied sur Affordancey croit dur comme fer” :

Je reste cependant convaincu qu’atteindre une masse critique full-text francophone me semble une urgence et un préalable. Et que les modalités décrites de l’échange de fichiers me semblent être l’une des bonnes approches possibles.

Je dois dire que cet argument ne me paraît pas décisif, dans la mesure où le montant des sommes consacrées à la numérisation du patrimoine dans l’emprunt national va permettre de toute façon d’atteindre cette masse critique à brève échéance. C’est sur un autre plan que la stratégie d’échange des fichiers a fini par m’apparaître intéressante, car elle offre une réelle opportunité de lutter efficacement contre les exclusivités imposées par Google dans ses contrats.

… à condition de se montrer extrêmement prudent et de bien cerner en quoi consiste exactement ces restrictions d’usage…

En ce qui concerne les exclusivités, le rapport Tessier est catégorique et sans appel : il rejette les contreparties exigées par Google dans les contrats conclus par les bibliothèques partenaires au motif qu’elles seraient “incompatibles avec leurs missions essentielles“. Ce jugement concerne à la fois l’exclusivité commerciale, l’exclusivité d’indexation des contenus, ainsi que les restrictions d’usage des fichiers numériques diffusés par les bibliothèques. Le rapport insiste aussi à très juste titre sur les faiblesses de ces accords concernant les métadonnées ou la conservation des fichiers, ainsi que sur les risques en terme d’atteinte à la protection de la vie privée du fait de la collecte d’informations personnelles par Google.

C’est un des grands mérites de la commission d’avoir mis en regard ces restrictions par rapport à l’intérêt public et on pourra relever que ces critiques reprennent très largement la position exprimée par l’IABD (Interassociation Archives Bibliothèques Documentation) dans sa déclaration du 7 septembre dernier consacrée au règlement Google. En ce sens, le rapport Tessier rejette les formes d’accords que Google a déjà conclu avec d’autres bibliothèques, y compris celui avec la ville de Lyon.

Parmi les réactions au rapport, j’ai trouvé particulièrement intéressante celle de la bibliothécaire américaine Karen Coyle sur son blog, qui relève que les bibliothèques n’ont jamais su metre en avant leurs vrais atouts face à Google :

Preservation, equality of access, privacy… Google’s program is lacking in all of these areas. The commercial goals of Google and the public goals of a national library are essentially at odds. To me, the main thrust of the report comes from this: “Les bibliothèques françaises – en particulier la BnF – disposent d’atouts importants, qu’il ne faut pas sous-estimer dans le cadre d’une négociation avec un partenaire privé. (p. 17)”. What this says is that libraries have a strong negotiating position with Google (that I think the authors of this report feel has not be fully exploited) because of the incredible value of their holdings. You could say that libraries have a monopoly of their own. Yet they seem to have traded their holdings for fairly meager returns in the contracts with Google.

L’un des atouts de la France par rapport à d’autres pays, c’est de disposer d’un acquis en matière de numérisation, par le biais des 150 000 ouvrages figurant dans la bibliothèque numérique Gallica. L’idée du rapport Tessier consiste à procéder à l’échange de ces fichiers contre d’autres ouvrages figurant déjà dans Google Book Search et issus dans fonds des bibliotèques américaines sur la base d’un principe “Un Livre pour un Livre”, sans aucune exclusivité :

Chaque partenaire resterait libre de disposer des fichiers obtenus par l’échange , dans des conditions transparentes et définies à l’avance.

J’aime assez le côté “prise de judo” de cette formule et la manière dont elle prend Google à son propre piège. Tant que Google prenait en charge les coûts de la numérisation, il pouvait se présenter comme “le good guy” oeuvrant pour l’accès à la connaissance, tout en imposant sans y toucher des restrictions sécurisant son modèle économique pour des décennies. Avec cet échange, c’est la devise “Don’t be evil” elle-même qui est mise à l’épreuve et l’on verra bien jusqu’à quel point le philantropisme de la firme est une légende urbaine ! Je vous recommande de lire à ce sujet l’analyse de Monique Dagnaud “Comment négocier avec Google” :

En offrant une conciliation au moment où les rapports de force et les images se modifient, Marc Tessier joue sans doute habilement. Mais le plus savoureux pourtant demeurent les termes de l’accord envisagé. Que propose-t-il en effet ? Un partage de fichiers sans clause d’exclusivité. Presque du peer-to-peer, la formule chérie de l’Internet, le joyau intellectuel de la culture numérique. « Un accord avec Google pourrait viser, non pas à faire prendre en charge l’effort de numérisation mais à le partager, en échangeant des fichiers de qualité équivalente et de formats compatibles ». Cet effort partagé devrait permettre de lever les restrictions d’utilisation aujourd’hui imposées par Google. Comment réagiront Sergey Brin and Larry Page à cette proposition subtilement ajustée idéologiquement, une offre qui sonne tellement « Google attitude » ?

Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de lutter contre les exclusivités en droit pour qu’elle ne persiste pas dans les faits. J’avais déjà eu l’occasion par exemple de montrer dans S.I.Lex que le contrat conclu entre Google et la Bibliothèque de Lyon ne comportait pas de clause imposant une exclusivité d’indexation des contenus, ce qui pouvait apparaître comme une grande avancée. Pour autant il existe un risque réel que cette exclusivité se mantienne dans les faits, dans la mesure où Google maîtrise la solution technique (hosted solution) qu’il installera pour permettre à la bibliothèque de Lyon de diffuser ses fichiers.

Et c’est bien ce qui pose problème avec la solution d’échange préconisée par le rapport Tessier… Séduisante sur le papier, elle paraît très difficile à mettre en place juridiquement et techniquement.

(Book Cell. Par Ferran Moreno Lanza. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr)

Lorsque l’on dit que l’échange de fichiers ne doit donner lieu à aucune exclusivité, de quoi parle-t-on au juste exactement ? J’y vois pour ma part trois sens possibles.

Cela signifie en premier lieu qu’aucune exclusivité (commerciale ou d’indexation) ne doit peser sur les fichiers remis par la BnF à Google et diffusés dans Google Book Search, ni aucune restriction à l’usage. Cela signifie ensuite que réciproquement, aucune exclusivité (commerciale ou d’indexation) ne doit peser sur les fichiers récupérés de Google Book Search et intégrés dans Gallica, ni aucune restriction à l’usage. Et enfin, cela signifie que la BnF doit rester libre de pouvoir donner ou échanger des fichiers avec d’autres acteurs (y compris ceux donnés par Google), tout comme Google pourra donner à des tiers les fichiers remis par la Bnf.

Est-on bien sûr que tout cela soit vraiment possible ?

Prenons le premier cas : Google devrait donc permettre aux moteurs de recherche concurrents d’indexer le contenu des ouvrages donnés par la BnF, à l’intérieur même de Google Book (alors que tout le reste est fermé). Comment cela serait-il possible techniquement ? Comment distinguer ce sous-ensemble de la masse de Google Book pour l’ouvrir aux robots des autres moteurs ? Pareillement, les fichiers remis par la BnF devraient pouvoir être récupérés pour un usage commercial à partir de Google Book, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle du reste de la base. Là encore, même pour un géant de l’information comme Google, cela constitue un sacré défi à relever en terme de gestion des droits !

Second cas : Les fichiers donnés par Google et intégrés dans Gallica devront pouvoir être indexés par les autres moteurs de recherche. Ce serait effectivement une bonne chose, nécessaire à la liberté d’accès à l’information, mais le rapport Tessier montre bien qu’à l’heure actuelle les contenus de Gallica souffrent d’un défaut de visibilité sur l’ensemble des moteurs de recherche en raison de difficultés à faire indexer ses contenus (p. 28) :

Si Gallica est facilement accessible depuis les moteurs de recherche à partir d’une requête avec le nom (le lien vers le site arrive alors en première réponse, quel que soit le moteur de recherche utilisé), ce n’est pas le cas lorsque l’on interroge le moteur à partir d’un titre ou d’un nom d’auteur. Ainsi, une recherche sur « le Rouge et le Noir », présent dans les collections numériques hors droits de Gallica, ne laisse apparaître aucun résultat en provenance de Gallica. La première occurrence de l’ouvrage numérisé vient de Google Livres, qui propose l’accès à l’exemplaire numérisé de la bibliothèque de l’université de Californie (édition de 1866).

Si on veut que l’exclusivité d’indexation ne persiste pas dans les faits à ce niveau, alors il faut trouver une solution à ce problème, sinon l’échange de fichiers de règlera rien à lui seul. Pareillement, il faudra accepter que les fichiers remis par Google puissent être réutilisés librement, y compris à des fins commerciales, à partir de Gallica, sinon cela revient à reconstituer une forme d’exclusivité commerciale.

Enfin, il faudra que chaque partenaire reste libre de pouvoir donner ou échanger des fichiers avec des tiers. Et pour que cette exclusivité ne persiste pas dans les faits, il faudra qu’il le fasse réellement. Du côté de Google, on sait que c’est déjà le cas : la firme remet a déjà remis à certains partenaires (Sony et Barnes & Noble) des masses considérables d’ouvrages du domaine public numérisés par ses soins afin d’étoffer leur catalogue (en se gardant bien de le faire pour Amazon…). Il faudra accepter que Google puisse ainsi disposer des fichiers issus de Gallica. Et du côté de la BnF, il faudra aussi réciproquement se lancer dans de tels échanges de fichiers sous peine de réinstaller dans les faits une forme d’exclusivité. On dira que l’établissement le fait déjà pour Europeana, mais ce n’est pas le cas, car les échanges dans ce cadre se limitent aux métadonnées et non aux documents eux-même. Par ailleurs, si la Bnf échange des fichiers, il faudra se tourner vers d’autres partenaires disposant d’ouvrages numérisés en français. Ceux-ci ne sont pas très nombreux, mais ils existent : il s’agit par exemple de Wikisource, d’Internet Archive ou du projet Gutenberg. Pour que l’absence d’exclusivité sur les fichiers soit vivante, il faudra donc mettre en oeuvre une stratégie globale de dissémination des fichiers.

Ce qui me préoccupe, c’est que le rapport envisage cette absence d’exclusivité de manière abstraite, sans entrer dans le détail pour examiner concrètement ses implications. Par ailleurs, on a pu lire des choses assez troublantes suite à la parution du rapport. Marc Tessier dans une interview donnée au Figaro déclarait :

Pourquoi ne pas échanger avec Google nos fichiers respectifs de livres numérisés dans des conditions économiques équilibrées, prévoyant, entre autres, le partage des recettes liées à la vente croisée de ces fichiers ?

Partage des recettes liées à la vente… Etrange formule… car Google ne fait pas d’exploitation économique directe des fichiers numérisés à partir des ouvrages du domaine public… il ne les vend pas et il les donne même à des partenaires animés d’intention commerciale comme Sony ou Barnes & Nobles. De quel partage des recettes parle-t-on ici alors ? Un pourcentage de la chimérique taxe Google sur la publicité ?

On le voit, si la formule prévue par le rapport Tessier est audacieuse, elle suppose de très fortes garanties pour atteindre son objectif, à savoir la lutte contre les exclusivités contraires à l’intérêt public. Sous peine de quoi, elle se limitera à un trompe-l’oeil qui pourrait s’avérer très dangereux… et aussi bien du point de vue technique que juridique, la symétrie recherchée pourrait bien s’avérer impossible à créer…

II) La numérisation d’oeuvres sous droits sur fonds publics : une insupportable asymétrie ?

Paradoxalement, ce n’est peut-être plus au niveau du partenariat avec Google que se situe l’enjeu essentiel du rapport Tessier. L’affectation de sommes considérables pour la numérisation dans le cadre du grand emprunt change complètement la donne et ôte à Google sa position d’opérateur incontournable. Nul besoin d’aller voir celui qui “rase gratis” – et vous tond au passage la laine sur le dos – quand on a les moyens de construire sa propre échoppe de barbier !

Et après tout, le véritable enjeu de l’affaire Google Book ne s’est jamais réellement situé au niveau de la numérisation des ouvrages patrimoniaux. Les oeuvres du domaine public ne forment qu’une part minime de Google Book Search (1,5 millions d’ouvrage sur plus de 10 millions d’après le rapport). La très grande majorité des titres sont des ouvrages protégés par des droits d’auteur, trouvés “au passage” dans les fonds des grandes bibliothèques américaines partenaires du projet.

Là aussi, le rapport Tessier a le grand mérite d’aborder de front cette question de la numérisation des oeuvres sous droits dans le contexte français. Croire qu’il suffirait de numériser des oeuvres patrimoniales pour construire une alternative à Google Book serait une cuisante erreur. On notera qu’ici aussi, le rapport Tessier converge avec la position de l’IABD (Interassociation Archives Bibliothèques Documentation) qui dans sa déclaration sur le Règlement Google appelait à la mise en place d’une alternative publique réelle portant à la fois sur des oeuvres du domaine public et des oeuvres sous droits. Et l’IABD proposait aussi de mobiliser les fonds de l’emprunt national pour numériser notamment des oeuvres orphelines et épuisées françaises.

D’aucuns avaient jugé cette position désolante, mais force est de constater que c’est bien cette voie que propose à présent d’emprunter le rapport Tessier.

Il est en effet préconisé que la BnF soit investie de la mission de numériser massivement les ouvrages sous droits entrés au titre du dépôt légal dans ses collections. Le rapport souligne que juridiquement, c’est déjà une chose possible en vertu d’une exception votée dans la loi DADVSI en 2006 qui permet aux organismes attributaires du dépôt légal de numériser et de diffuser sur place les oeuvres protégées ayant rejoint par ce biais leurs collections. De manière audacieuse, le rapport propose de s’appuyer sur ce premier jalon légal pour aller plus loin et poser un cadre contractuel en partenariat avec les éditeurs et les autres titulaires de droits pour organiser la diffusion en ligne de ces oeuvres numérisées grâce à l’emprunt. Le rapport ajoute aussi de manière très pertinente que ce partenariat public-privé pourrait porter en premier lieu sur des oeuvres épuisées (qui ne sont plus disponibles commercialement) ou des oeuvres orphelines (dont on ne peut identifier les titulaires de droits) :

L’ensemble ainsi créé constituerait une base numérisée significative et s’avérerait particulièrement intéressant à exploiter, notamment pour ce qui concerne les oeuvres épuisées. Les ouvrages que les éditeurs ne souhaiteraient pas nécessairement publier à nouveau sous format papier pourraient ainsi trouver une exploitation nouvelle, rémunérée et non exclusive, sous format numérique. Pour le public, la base consultable s’en trouverait considérablement élargie (p. 24).

Enfin, par son positionnement à la frontière du champ patrimonial et du secteur sous droits, Gallica serait naturellement appelée à jouer un rôle de plate-forme de diffusion et de valorisation des oeuvres orphelines, à partir du moment où le code de la propriété intellectuelle permettra les utilisations numériques de ces documents (p. 25).

Ici encore, je ne peux qu’applaudir à ces propositions, mais je me montre très inquiet sur la manière dont cette forme de concours des initiatives publique et privée est envisagée et sur l’insupportable asymétrie qui pourrait en résulter en terme d’accès à la culture.

(Book Sculpture. Par Gwen’s River City Images. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Car vous avez bien lu comme moi, ces oeuvres épuisées ou orphelines dont la numérisation serait entièrement prise en charge sur fonds publics auraient seulement vocation d’après le rapport à faire l’objet d’une exploitation commerciale et donc à être vendues. Voyez les deux citations ci-dessus : pour les épuisées, il est dit “exploitation nouvelle, rémunérée“  ; pour les orphelines “plateforme de diffusion et de valorisation“.

Nulle part dans le rapport Tessier, il n’est envisagée que des contreparties en terme d’accès public soient exigées en échange de cet effort considérable consenti par la puissance publique et financé à grand renfort de l’argent le plus public qui soit : celui du grand emprunt national. Cette asymétrie est d’autant plus surprenante qu’une semaine auparavant, le rapport Zelnik avait de son côté formulé des propositions plus équilibrées dont j’avais parlé dans S.I.Lex. Il était en effet suggéré qu’en contrepartie d’une augmentation des aides de l’Etat allouées aux éditeurs pour la numérisation de leurs fonds, des conditions préférentielles d’accès puissent être négociées :

En contrepartie de cet effort, l’État pourrait négocier avec les éditeurs pour que les oeuvres ainsi numérisées puissent être utilisées à des conditions préférentielles par l’Éducation nationale.

L’octroi d’aides à la numérisation des catalogues devrait avoir des contreparties pour les pouvoirs publics en termes d’usages non commerciaux, notamment dans le cadre de la politique de prêt des médiathèques, qui doit elle aussi relever le défi de la numérisation, mais aussi au sein du système éducatif, où les oeuvres numérisées avec l’aide du CNL pourraient être exploitées à des conditions préférentielles.

Or dans le rapport Tessier, on ne parle plus cette fois seulement d’aide à la numérisation mais d’une prise en charge totale du coût par la personne publique. Et celle-ci ne serait consentie en échange d’aucune contrepartie en terme d’accès public ? Voilà qui dénote une curieuse conception des partenariats public-privé ! Et la désagréable sensation que là encore, on risque de “raser gratis”…

Surtout qu’il est bien difficile de croire que toutes les oeuvres épuisées ou orphelines sont destinées à reprendre une carrière commerciale sous forme numérique. Prenons par exemple le corpus de la poésie du 20ème siècle. Se lancer dans un programme global de numérisation de ce corpus aurait un très grand intérêt culturel, mais cela signifie-t-il que chaque poème devrait être vendu à la pièce sous forme numérique ? Cela aurait-il même un sens d’un point de vue économique ? Il existe d’ores et déjà des formes de concours des initiatives publique et privée qui s’appuie sur d’autres modèles économique beaucoup plus équilibrés.

Voyez par exemple le portail Persée de numérisation des revues en sciences humaines et sociales mis en place par le Ministère de l’Enseignement supérieur. Des accords avec les éditeurs permettent la numérisation et la diffusion à titre gratuit de revues des origines aux années 2000 environ, dans la mesure où la personne publique en assume les coûts. Les éditeurs commercialisent de leur côté les numéros les plus récents sur d’autres plateformes et un système de barrière mobile assure le versement des archives en accès gratuit dans Persée.

Pourquoi un tel modèle équilibré ne pourrait-il pas voir le jour en matière de livres numériques, dans les domaines où la valeur commerciale du rétrospectif est moins forte ? Just think about it !

Sans aller jusque là, il reste difficilement concevable que la numérisation des oeuvres sous droits, épuisées ou orphelines, puissent s’effectuer sur financement public sans que des contreparties en terme d’usage ou d’accès soient exigées en retour.

Notons à ce sujet que l’IABD (Interassociation Archives Bibliothèques Documentation) est là aussi intervenue dans une récente déclaration sur les oeuvres orphelines qui insiste sur l’équilibre à atteindre entre le respect des droits et l’accès du public. Le rapport Tessier confirme qu’une loi sur les oeuvres orphelines est bien en préparation pour l’année 2010 et il faudra veiller de près à ce que le dispositif qui se mettra en place fasse toute sa place à cette idée d’équilibre.

Le rapport Tessier a été rendu, mais c’est maintenant que les chose sérieuse commencent. Il indique bien des directions qui peuvent s’avérer de bons procédés pour avancer sur la question de la numérisation et tirer partie de l’exceptionnelle opprotunité qui so’uvre grâce au grand emprunt. Mais avant que ces pistes ne deviennent réellement des “échanges de bons procédés”, il y a encore beaucoup à faire…

Et la vigilance reste plus que jamais de mise… car l’équilibre et la réciprocité des rapports entre le public et le privé ne sont jamais acquis…

Un billet publié à l’origine sur le blog S.I.Lex




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http://owni.fr/2010/01/23/rapport-tessier-echanges-de-bons-procedes/feed/ 2
BnF et Google : contribution au débat http://owni.fr/2010/01/12/bnf-et-google-contribution-au-debat/ http://owni.fr/2010/01/12/bnf-et-google-contribution-au-debat/#comments Tue, 12 Jan 2010 10:02:22 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=6924 Vendredi dernier, se tenait à la BnF une journée de débat autour du futur-très-probable accord entre Google et ladite BnF, débat intitulé “Numérisation du patrimoine et moteurs de recherche“,  débat réunissant notamment Patrick Bazin, Roger Chartier et Robert Darnton, soit quelques analystes et acteurs les plus passionnants sur le sujet. Le programme complet de cette journée était initialement disponible sur le site de la BnF (ici) mais, étrangement, il a été “soit déplacé soit supprimé”. :-(

En ligne, très peu de traces de cette journée : merci à l’ADBS et à Livres Hebdo d’avoir assuré de rapides compte-rendu (si vous en avez repéré d’autres, les commentaires sont ouverts). Très peu de traces … et pour cause : les personnes présentes sur place n’ont même pas pu twitter étant donné l’absence de connexion Wikfi ou 3G.

Plus globalement, et alors même que depuis les plus hautes sphères de l’État jusqu’à la presse grand public, chacun se passionne pour ce sujet (ce qui n’est pas toujours le cas lorsque l’on parle de l’avenir et du modèle des bibliothèques), plus globalement donc, le fait que les organisateurs de cette journée n’aient pas envisagé de la webcaster ou d’en diffuser des extraits est atterrant.

Et à peu près aussi improbable que TF1 décidant d’organiser la soirée de l’élection de Miss France à huis-clos. C’est vrai quoi, on a un sujet passionnant, les meilleurs spécialistes (pro ou anti) de la question sur le plateau, une demande très forte d’information de la part du public, et on la joue “black-out”, on l’organise sur le mode “et ben vous aviez qu’à être présents”.

Dommage. Dommage. Dommage (et après on s’étonnera et on n’en finira pas de gloser sur l’incapacité des bibliothèques françaises à communiquer … question de culture ?). Bon, on va espérer que dans un sursaut de lucidité la BnF ait finalement filmé l’intégralité de la journée et qu’elle se prépare à la mettre en ligne sur son site :-)

Vous avez été nommé voilà deux ans de cela à la tête de la Bibliothèque Nationale de France (BNF)”

De mon côté, vendredi dernier, j’étais en train de corriger un paquet de copies. Petite contribution au débat donc, mais, pour une fois sur ce blog, cette contribution ne sera pas la mienne :-) Plutôt celle de mes étudiant(e)s en deuxième année métiers du livre à l’IUT de La Roche sur Yon. Après une petite vingtaine d’heures de cours passées sur le sujet de la numérisation, ils et elles ont eu les vacances de Noël pour plancher sur le sujet suivant :

  • Vous avez été nommé voilà deux ans de cela à la tête de la Bibliothèque Nationale de France (BNF). Voilà un an que vous travaillez sur le dossier de la numérisation patrimoniale et sur la possibilité d’un accord avec Google. Le 7 Janvier 2010, vous prononcez un discours à l’assemblée nationale pour faire part de votre décision sur ce dossier.
    En vous inspirant de l’actualité sur le sujet et en vous appuyant sur les éléments vus en cours vous rédigerez un discours indiquant si oui ou non vous avez décidé de travailler avec Google en mentionnant – en cas de réponse négative – quels sont vos arguments, et – en cas de réponse positive – quelles sont vos conditions.
    Le devoir devra être impérativement manuscrit et ne devra pas faire moins qu’une copie double (4 feuillets).

Résultat des courses : sur 26 étudiant(e)s, 16 copies pour un accord avec Google, et 10 contre. Naturellement, l’honnêteté m’oblige à indiquer que si leur professeur avait été différent, la proportion de leurs réponses aurait sensiblement pu varier ;-)

Du côté des “contre”, les arguments les plus massivement retenus sont les suivants :

  1. problème de l’opacité de l’algorithmie de la recherche de livre (= pourquoi tel livre et non tel autre en première position ? en fonction de quel critère ? Tant que l’on se saura pas comment ça marche, on ne signera pas)
  2. problème de la représentativité (par rapport à la charte des bibliothèques, article 7)
  3. problème de l’exclusivité (sur un temps variable mais globalement assez long) et de la “stérilisation” de la copie numérique remise à la bibliothèque (pour le même temps assez long)
  4. problème de l’exclusivité d’indexation (métadonnées non-accessibles aux autres bib/moteurs)
  5. problème de la compétence (= la numérisation doit être, rester et re-devenir) une compétence-coeur du monde des bibliothèques. Accepter de déléguer, c’est prendre le risque de perdre cette compétence.
  6. problème du monopole : “risque que Google devienne LE catalogue de référence.”

Du côté des “pour”, voici les raisons et les exigences retenues comme “non-négociables” pour finaliser l’accord :

Les raisons tout d’abord :

  • L’urgence et l’argent : “Nous devons accepter de déléguer à Google l’équivalent de nos numérisations annuelles. Cela rendra nos dépenses quasi-nulles (…) ce qui nous permettra d’élaborer un projet d’envergure dans les décennies à venir. (…) afin de développer en parallèle des structures de numérisation d’envergure au niveau national et européen.” Cette importance de structures (d’infrastructures en réalité) de numérisation alternatives me semble être le coeur du sujet. Dans une autre copie, Gallica est citée comme pouvant servir (à condition d’être financée et développée en conséquence) d’infrastructure type.

Les exigences ensuite (venant de copies différentes, certaines des exigences listées ci-dessous sont contradictoires) :

  • Opt-in. Étrangement (il me semblait avoir montré la difficulté voire l’inanité de la chose …) les étudiant(e)s sont “dans la loi” tout autant que dans la crainte d’une entorse au droit d’auteur tel qu’il existe aujourd’hui en France. Presque tous ceux qui acceptent de signer avec Google réclament donc qu’il respecte, pour les oeuvres orphelines, une procédure d’Opt-In en lieu et place de l’Opt-Out actuellement en vigueur. “Nous imposons à Google de ne diffuser les ouvrages numérisés qu’après avoir obtenu l’autorisation des ayant-droit“. Il y a peu de chances que cela soit le cas, mais il est intéressant de noter que même après mon bourrage de crâne volontariste, cette “option” reste plébiscitée ;-)
  • Money. “La BnF a exigé et obtenu que 60% des bénéfices tirés de ces ventes (sur les ouvrages numérisés depuis la BnF) lui revienne“.
  • Métadonnées : “Il serait nécessaire que chaque bibliothèque partenaire, lorsqu’elle prête l’ouvrage en vue de sa numérisation, fournisse les méta-données. les exemplaires numérisés seraient alors indexés d emanière fiable.” Noble proposition (déjà en partie réalisée, Google allant s’abreuver en métadonnées dans différents catalogues “ouverts”) mais qui risquerait, in fine, de fournir à Google le beurre, l’argent du beurre et une ristourne sur l’addition comme le dit le proverbe.
  • No-logo. “Les caractéristiques des ouvrages numérisés doivent être les mêmes pour tous : pages en noir et blanc, couverture en couleur de 200 à 400 dpi, format jpg ou autre format courant, et aucune présence de marque ou de logo.
  • Pas d’exploitation commerciale des œuvres libres de droit : “Google s’engage à prendre garde qu’aucune copie d’ouvrage, que celle-ci soit disponible dans GoogleBooks ou sur le site de la BnF, ne soit utilisée à des fins commerciales sans l’autorisation de cette dernière.
  • Échange de bons procédés : “Afin de pallier aux (sic) contraintes restrictives imposées à Google, chaque ouvrage numérisé de la BnF possèdera un lien redirigeant vers GoogleBooks afin d’éventuellement acheter l’ouvrage correspondant.
  • Du contexte. “Chaque fichier devra faire l’objet d’une contextualisation, on pourra y lier un site internet où l’information aura au préalable été validée sur l’auteur, ou le courant artistique et littéraire, ou une analyse de l’oeuvre (…). Chaque fichier provenant des archives de la BnF devra être clairement identifiable par la mention BnF. Un lien hypertexte devra être mis en place qui redirigera l’internaute sur un site de “service public” qui donnera de plus amples informations et des recommandations de lecture.
  • Recréer du lien (et du service) à l’aide d’un service de type Ask a librarian tournant sur GoogleBooks et piloté par la BnF : “Nous demandons qu’il soit ajouté, sur les pages des documents numérisés issus de la BnF, une adresse mail à laquelle les internautes pourraient envoyer leurs questions et demander des renseignements plus précis à des personnes qualifiées. Pour cela la BnF a obtenu les financements nécessaires pour recruter deux employés à plein-temps sur ce poste.” Malin non ? :-) En même temps, imaginez un peu “questionpoint” tournant sur GoogleBooks et piloté en réseau par l’ensemble des bibliothèques contractantes … le renouveau ou la mort du petit cheval ??
  • Traçabilité : “Sur le service de Google recherche de livres, pour chaque fichier numérisé, une mention devra oblgatoirement figurer pour identifier la provenance du livre. Dans la rubrique “présentation générale” vous trouverez donc la mention “issu de la BnF”.” Important. Essentiel même.
  • Simultanéité de la mise à disposition : “La copie numérique remise à la BnF devra être disponible et utilisable à des fins non-commerciales, y compris par un large public, en même temps et non pas 20 ans après celle de Google.” Vital. Juste vital.
  • Transfert de compétences : “Nous observerons les outils et la manière d’opérer de Google pour être capable, dans le futur, d’assurer nous-mêmes la numérisation.” Après tout, pourquoi pas, on régule bien le prix du marché des avions de chasse en négociant des transferts de compétence plus ou moins larges ;-) Ceci étant, la chaîne de numérisation de Google étant un “secret industriel”, la requête a peu de chances d’aboutir.
  • Récupérer le grisbi : “Nous donnerons à Google une copie numérique des ouvrages que nous numériserons avec le budget obtenu par Mr Frédéric Mitterand, en échange de quoi Google nous donnera un exemplaire numérique de tous les ouvrages francophones déjà numérisés dans Google Books.” :-) Ah ben là j’avoue, c’est culotté. Mais les idées les plus simples – et les plus culottées – sont parfois les meilleures :-)

Et puis comme les étudiants ont de l’humour et du second degré, je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager 2 petites pépites :

  • Nous exigeons de pouvoir rencontrer les employés chargés du catalogage dans Google Books afin de pouvoir leur expliquer les notions du catalogage effectué dans les bibliothèques françaises.

Et le meilleur pour la fin :

  • Il est vrai qu’il est normal d’éprouver quelques craintes concernant la pérennité et l’exploitation des fichiers numérisés mais Google possède deux programmes qui permettent une certaine garantie. Adsense qui est un moyen pour les utilisateurs de dénoncer un abus sur les droits d’auteur et HathiTrust qui assure une protection et une sauvegarde des données et des documents diffusés.

Voilà. A mon avis il y a plein d’enseignements à tirer de l’analyse fournie par les étudiant(e)s. A la fois du côté des préconisations concrètes (certaines idées et exigences pourraient aisément être reprises dans un cahier des charges au simple effort d’une légère reformulation), et aussi du côté de la perception qu’ont aujourd’hui de ce débat ceux qui demain, seront aux avant-postes. En tout cas, cela fait longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à corriger des copies. Merci donc aux A2-ML de La Roche sur Yon et à demain en cours pour reparler de tout cela plus en détail ;-)

» Article initialement publié sur Affordance.info

» Illustration de Une par kimdokhac sur Flickr

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