OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La brigade financière dément BNP Paribas http://owni.fr/2011/12/05/la-brigade-financiere-dement-bnp-paribas/ http://owni.fr/2011/12/05/la-brigade-financiere-dement-bnp-paribas/#comments Mon, 05 Dec 2011 17:38:12 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=89180

Selon des documents obtenus par OWNI, BNP Paribas a monté à la va-vite un dossier pénal pour écarter le directeur général de sa filiale “titres”. Licencié début 2010 dans le cadre d’une affaire de financement d’une mine en Afrique, Jacques-Philippe Marson a, le mois dernier, relancé cette affaire en décrivant ses mésaventures sur son blog. L’ancien patron de BNP Paribas Securities Services (BP2S) dénonce un “licenciement abusif” et pointe quelques bizarreries de la part du groupe BNP Paribas.

Or, une enquête de la Brigade financière (dont nous publions une copie au bas de cet article) lui donne raison sur plusieurs points et le disculpe des charges pénales, deux ans après cette éjection expresse. Laissant supposer que la banque a fabriqué un dossier pénal pour se débarrasser d’un cadre supérieur devenu encombrant.

Tout commence le 30 septembre 2009. BNP Paribas reçoit une lettre de l’avocate d’un homme d’affaire malien, Allou Diallo, mettant en cause Jacques-Philippe Marson, directeur général de BP2S. Il est accusé d’avoir fait preuve d’un “comportement blâmable, notamment d’un point de vue éthique et déontologique” dans le cadre d’une recherche d’investisseur pour un fonds canadien. Le véhicule financier, le Mansa Moussa Gold Fund (MMGF), était destinée à financer une mine au Mali exploitée par la société Wassoul’or, les deux structures étant présidées par l’accusateur, Allou Diallo.

200 millions de dollars

L’investisseur amené par Marson, François de Séroux, était censé apporter 200 millions de dollars américains via sa société Ventra Consulting. Laquelle fera finalement défaut. L’avocate du fonds lésé invite la banque à trouver une solution à l’amiable, parmi laquelle une possibilité d’intéressement au financement du projet, “compte-tenu du fait que le marché de l’or est actuellement porteur”.

Octobre 2009 : la BNP ordonne une inspection générale (IG) spéciale, procédure interne de contrôle.

Novembre 2009 : mise à pied de Jacques-Philippe Marson. Il lui est reproché de ne pas avoir respecté les principes et les procédures déontologiques et de prévention du blanchiment en vigueur à la BNP dans cette affaire, mais également deux autres.


Extrait des conclusions de BP2S aux prud’hommes

Janvier 2010 : Jacques-Philippe Marson est licencié pour faute grave. À la suite des plaintes croisées entre le fonds canadien, le groupe BNP Paribas et Jacques-Philippe Marson, une enquête préliminaire est ouverte par la Brigade financière, pour le compte du parquet de Paris.

Les plaintes seront classées sans suite. L’enquête révèle que la majorité des faits reprochés à l’ancien DG pour justifier son licenciement ne sont pas avérés :

Il ne pouvait donc être établi de manière certaine qu’il avait été prévu un intéressement financier personnel au profit de M. Marson. [...]
S’agissant d’un éventuel conflit d’intérêts invoqué par la banque à l’encontre de M. Marson, il n’était apporté ou recueilli aucun élément l’établissant de manière certaine. M. Marson apparaissait au contraire avoir agi dans un souci permanent de protection de la banque et de son client, la société Ventra Consulting.

Concernant le compte ouvert chez BP2S au nom Ventra Consulting, la BF infirme les conclusions de l’IG :

Il apparaissait que toutes les procédures préconisées par la banque concernant la prudence et la lutte contre le blanchiment avaient été suivies et respectées sans que M. Marson n’y fût intervenu de manière particulière.

L’ex DG n’est pas non plus intervenu en particulier dans le dossier. Sur le mélange des casquettes privées et professionnelles, là encore la BF met les choses au clair :

Contrairement à ce que prétendait le MMGF dans sa plainte, il n’était pas apporté la preuve que M. Marson eût “usé et abusé” de sa qualité de directeur général de BP2S dans le cadre de cette opération. Au contraire, les pièces produites et les déclarations recueillies mettaient en évidence le caractère personnel de son intervention.

De même, les autres projets pointés du doigt par BNP Paribas ne mettent pas en cause la déontologie de Jacques-Philippe Marson. Dernier point déminé, des opérations touchant des diamants, en lien avec le non respect de la politique des cadeaux du groupe ou la rémunération de variable de Jacques-Philippe Marson :

Elles n’apparaissaient pas susceptibles de constituer des infractions pénales et, eu égard au résultat des investigations menées concernant la relation Ventra Consulting et MMGF, et en accord avec le Parquet de Paris, il n’était pas procédé à plus d’investigations à leur sujet.

Restent principalement deux griefs, selon la BF. Contrairement à ce que Jacques-Philippe Marson soutenait, il avait bien été mandaté par le MMGF pour rechercher un investisseur et son mandat avait été renouvelé “à plusieurs reprises et à sa demande, jusqu’en février 2009, date à laquelle ils annonçaient aux représentants du MMGF la défaillance de l’investisseur potentiel.”

L’ex DG est aussi mis en cause pour avoir masqué le nom de l’investisseur, François de Séroux-Fouquet, sur des documents, “ôtant toute possibilité au MMGF d’exercer un recours aux fins d’obtenir l’exécution de ses engagements par l’investisseur défaillant.”

Interrogée par la BF sur les conclusions de l’IG affirmant que les agissements de Jacques-Philippe Marson ont “clairement enfreint les règles et normes en vigueur au sein du groupe”, Hortense Boizard, responsable risque, conformité et contrôle permanent de la filiale BP2S, avait répondu :

Je pense qu’elle n’est pas très factuelle. J’aurais souhaité que l’inspection générale indique clairement la liste des règles et normes en vigueur qui ont été enfreintes.

Interrogée par mail, la BNP n’a pas répondu à nos questions. Les demandes de transaction n’ont jamais eu de suite. “Ils ont coupé les ponts, ils ont fait le black out, nous a expliqué Julia Boutonner, l’avocate de M. Diallo. Ils ne voulaient négocier avec personne.” Et de souffler “M. Marson aurait eu d’autres cadavres dans les placards”. D’après la Brigade financière, les cadavres ressemblent surtout à des baudruches dégonflées.

Appel de la décision

Selon elle, l’affaire s’est arrêtée là car “ce n’était l’intérêt de personne que cette affaire soit poursuivie.” Pourtant, Jacques-Philippe Marson souhaite aller au civil et a fait appel de la décision des prud’hommes. Il affirme être prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour quelles raison la BNP a-t-elle agi ainsi ? Un salarié qui a souhaité garder l’anonymat nous a suggéré de revenir sur un scandale remontant à l’été précédent les faits. La BNP est alors sous le feu des médiaspointée du doigt pour avoir provisionné un milliard d’euros de plus qu’en 2008 à destination de ses traders, après avoir reçu 5,1 milliards d’euros d’aides de l’État. Voyant venir un potentiel second scandale, la BNP aurait donc viré fissa le DG de sa filiale. Quelques articles paraîtront alors aux titres fleurant bon le scandale à la sauce Françafrique.

Maladroitement, la défense désigne Diallo comme un “Madoff malien”, propos repris par Le Point. En plus de valoir à l’hebdomadaire un droit de réponse et un procès en diffamation, cet argumentaire est à double tranchant : l’idée que le DG de BP2S ait pu se faire avoir ainsi n’est pas de nature à rassurer ses partenaires en affaire. Or la confiance est l’actif le plus précieux d’une banque, celui qui attire les clients. BNP-Paribas s’empressera bien de préciser qu’il n’y a eu aucune conséquence financière sur la banque et ses clients.


Photos via Flickr par Big Pilou [cc-by] ; Joanet [cc-by] ; Chris Jeriko [cc-byncsa]

Image de Une Marion Boucharlat pour OWNI

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Un ex-directeur de BNP balance http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/ http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/#comments Fri, 25 Nov 2011 08:23:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=87979

Lundi 14 novembre au matin, les employés de BNP Paribas Securities Services (BP2S), l’activité de titres de BNP Paribas, ont reçu un étonnant mail de leur ancien directeur, Jacques-Philippe Marson :

Chères amies, Cher amis, Dear Friends,

Le 9 novembre dernier marquait l’anniversaire de deux années passées après le premier jour d’une inspection générale “spéciale” qui a conduit scandaleusement à mon licenciement.  J’ai décidé de rompre le silence que je m’étais imposé et de m’exprimer publiquement par le biais d’un blog.
Je publierai au fil des jours et semaines qui viennent les événements tels que je les ai vécus.  Je vous livrerai analyse et reflexion à ce dossier qui s’avèrera accablant pour ceux qui l’ont intitié et pour ceux qui l’ont soutenu.

Intitulé “Histoire d’un licenciement abusif”, son site sur Tumblr (une plate-forme de microblogging) met sur la place publique les affaires internes qui ont abouti à sa mise à pied fin 2009, suivi de son licenciement pour faute grave. L’affaire avait été médiatisée à l’époque, dans une séquence peu glorieuse pour la finance, entre le krach de 2008 et les affaires Kerviel et Madoff.

En première lecture, l’affaire à l’origine de son éviction apparaît tortueuse. L’ex-dirigeant a été accusé d’avoir profité de sa position pour obtenir des commissions occultes de la part d’un homme d’affaire malien, Aliou Boubacar Diallo dans le cadre d’un projet minier au Mali. Trois plaintes croisées ont été déposées, la BNP contre Jacques-Philippe Marson, Aliou Boubacar Diallo contre Jacques-Philippe Marson et Jacques-Philippe Marson contre Alliou Diallo.

Suite à ces plaintes, le parquet de Paris a décidé de l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée aux experts de la Brigade financière, en janvier 2010. Lesquels, depuis, n’ont rien trouvé. Jacques-Philippe Marson justifie de sortir seulement maintenant du silence :

J’ai attendu que les plaintes soient traitées ou classées pour agir. Toutes les plaintes ont été classées. Je consacrerai un chapitre détaillé sur les trois plaintes.

Violence des échanges en milieu tempéré

Les quelques billets qu’il a déjà mis en ligne annonce la couleur, plutôt rouge colère que vert BNP. Promettant d’”appuy[er] par des preuves écrites et par des témoignages” ses accusations, il tape dur, d’emblée :

À ce jour le groupe n’apporte aucune preuve. Il se base uniquement sur le rapport “à charge” de l’inspection générale dont les conclusions sont absolument fausses et totalement mensongères. Une analyse détaillée en sera faite dans les chapitres à venir.

Selon lui, il y a à l’origine de la procédure, “une lettre de dénonciation”, le 30 septembre que “B. Prot, Directeur Général du Groupe BNP Paribas reçoit en mains propres de son frère”, Guillaume Prot alors directeur général du groupe Moniteur. L’avocate de l’homme d’affaire malien, Julia Boutonnet, décrit quant à elle Jacques-Philippe Marson comme un affabulateur. Quant au classement des plaintes, il est logique pour elle :

Le cas de M. Marson relevait plus du civil que du pénal, ce qu’on reprochait à mon client ne tenait pas la route et la BNP ne voulait pas faire de publicité.

Pour le manque de publicité, c’est loupé. L’état-major est aussi passé au couteau :

A ce jour, aucun membre de la direction générale du groupe, aucun membre des cadres dirigeants du groupe, aucun des cadres de mon équipe dirigeante n’ont jugé utile de m’accorder une seconde d’écoute.  Aucune des ces éminentes personnes n’a jugé utile de me soutenir dans cette double et terrible épreuve : professionnelle et personnelle.

Dans un billet publié ce jeudi, Jacques-Philippe Marson accuse implicitement Jacques d’Estais, qui lui a succédé, de diffamation :

Le lendemain, 24 novembre, mon responsable hiérarchique a réuni 350 cadres de BP2S pour les informer de ce qui se passait. Vous trouverez ci-après la version intégrale des propos tenus par Jacques d’Estais. Je vous laisse juge du caractère diffamatoire ou non de son discours.

Choc des cultures

Au final, choc des cultures garanti entre le milieu feutré de la banque, adepte de la logique verticale (“top-down”) et la plate-forme Tumblr, la plus populaire, le seuil d’accès le plus bas au blogging, plus connu pour ses gifs animés que pour servir de porte-voix aux victimes d’injustice.

Jacques-Philippe Marson a bien contacté des journalistes pour tenter d’attirer leur attention sur son histoire mais las : selon ses dires, son histoire n’est pas assez sexy à leurs yeux. Crucifier un ponte de la banque, c’est intéressant (lorsque son affaire a éclaté), le blanchir, nettement moins, a fortiori s’il n’a pas de révélations fracassantes à faire sur la BNP :

BNP est une organisation qu’en tant qu’organisation je respecte, ce sont des personnes qui sont responsables de mon licenciement. Et je ne suis pas un mouchard.

Il n’a pas non plus confiance en la justice, qui l’a débouté aux prud’hommes en un quart d’heure, comme un vulgaire justiciable de base :

D’habitude, ces affaires ne se règlent pas aux prud’hommes.

Selon lui, son drame se heurte au corporatisme des salariés, qui auraient modestement relayé ses demandes. Jacques-Philippe Marson parle carrément d’omerta. L’un de ses anciens collègues a ainsi refusé de faire suivre le mail de JP Marson :

je n’ai pas trop envie d’aller à la pêche au mail dans ce cas précis. Ce qui se passe à Pantin reste à Pantin!

L’ex-dirigeant assure que son blog a fait son petit effet. Un salarié nous a raconté que la méthode avait surtout surpris :

Ça a fait parler en interne, enfin surtout vu la méthode utilisée (un mail envoyé sur les mails pro lundi pendant la nuit).

La BNP semble avoir opté pour une défense basique. La plate-forme avait été débloquée voilà quelques temps. Curieusement, peu de temps après l’envoi du mail, l’accès était de nouveau bloqué pour le personnel connecté en interne. Contacté, le service de presse a eu cette réaction :

Il a un blog ? Vous m’apprenez quelque chose. Je ne m’occupe pas de la partie BP2S. [je lui dicte le nom du Tumblr] Tumblr est bloqué chez nous. Bon, il n’est pas content, ça fait du bien de se déverser.

Dans cette ténébreuse affaire, les détails manquent sur les raisons pour lesquelles la BNP aurait décapité l’ancien directeur. Pour l’heure, l’ex-dirigeant n’a que des hypothèses, qu’il refuse que nous rendions publiques. La suite au prochain post. Dans le cadre de cet article, nous avons tenté de recueillir des commentaires de la part de la direction de BP2S. En vain.

Images CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Cade Buchanan et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification M Domondon

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http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/feed/ 33
Banques : des comptes courants qui polluent plus que les 4×4 http://owni.fr/2011/02/01/banques-des-comptes-courants-qui-polluent-plus-que-les-4x4/ http://owni.fr/2011/02/01/banques-des-comptes-courants-qui-polluent-plus-que-les-4x4/#comments Tue, 01 Feb 2011 07:30:44 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=44783 Dans le coffre numérique des banques de l’hexagone, votre argent fume. Plus que ça même : il pétarade, crachote et souffle dans l’atmosphère plus de CO² chaque année que ne pourraient le faire la voiture et l’essence que vous pourriez vous payer avec : à 900 kg rejetés par mille euros déposés, un compte courant à la Société générale réchauffe plus le climat qu’un 4×4. Qu’il soit entre les mains de la BNP, « la banque d’un monde qui change », ou du Crédit agricole, et sa « relation durable », le pognon tel qu’il est géré par le système bancaire français est un agent de pollution massive, comme le prouve une étude menée par le cabinet Utopies, dont Stanislas Dupré a tiré son livre Que font-ils de notre argent ?

« Allez poser la question à votre banquier, il sera aussi incapable que la plupart des Français d’y répondre », assure l’auteur. Malgré le récent buzz provoqué par la proposition d’Éric Cantona de retirer son argent des banques pour faire s’écrouler le système, la question de la transparence des placements financiers n’a guère été soulevée au niveau politique : la plupart des clients restent persuadés qu’un chèque déposé à la banque est thésaurisé dans un coffre à grosse porte circulaire en métal. Or, il y a derrière les murs des banques la même chose que derrière leurs arguments marketing pseudo écolo : rien !

L’opacité : enfin une règle respectée par les banques !

S’appuyant sur les rapports annuels de sa banque (la Société générale), Stanislas Dupré a ainsi détaillé le sort de ses 10.000€ de prime placés sur un compte courant fin 2007 :
1.700€ ont servi à financer l’économie locale (crédits à la consommation, projets de PME et de collectivités locales) ;
1.000€ ont alimenté des dépenses publiques (achat de dette des États) ;
1.300€ ont été prêtés à d’autres organismes financiers (banques ou assurances) qui les ont placés à leur guise ;
4.100€ ont été injectés dans des multinationales par divers biais (achat d’actions, prêts, etc.) ;
1.900€ ont rejoint le bal des produits dérivés et autres produits complexes.

60% de la prime a rejoint les sommets du CAC40 et les tréfonds des stratégies financières les plus tordues. L’opacité est, dans le cas des comptes-courants, devenu une règle tacite. Un régime auquel sont également tenus la plupart des produits d’épargne : en dehors de « l’épargne réglementée » (type livret A ou livret Développement durable, ex-Codevi), les placements ne répondent qu’à une logique de rentabilité indexée sur un indicateur de marché. Selon le placement, la banque promet de suivre les performances du CAC40, du DAX, du marché EuroNEXT… Mais ne détaille pas les moyens déployés pour arriver à ces fins. Et pas la peine de se tourner vers les placements « éthiques et solidaires », qui n’ont « d’éthique » que le nom.

Généralement commercialisés sous la forme d’organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), les fonds « solidaires » répondent aux règles de l’Autorité des marchés financiers qui visent à la stabilité des produits. Or, l’une de ces règles édicte que les fonds communs de placement en entreprise ne peuvent investir plus de 10% dans des entreprises « solidaires »… Une part ironiquement nommée ratio poubelle. Autrement dit : même agréé par l’organisme Finansol (spécialiste de la labélisation de produit financiers « éthique »), aucun produit financier n’est investi à plus de 10% dans des sociétés non côtées aillant une politique sociale ou écologique spécifique. L’attribution du reste des sommes est « discrétionnaire et dépend des anticipations du gestionnaire », pour reprendre la notice d’un produit financier élégamment intitulée : « Ethique et solidarité – FCPE Solidaire ».

Les banques d’un monde qui refuse de changer

Contredisant tous les discours publics, les banques vont ainsi chercher la rentabilité dans les activités les plus polluantes et technologiquement rétrogrades de l’économie : sur les 10.000€ de Stanislas Dupré, quelques euros ont peut-être abondé les 860 millions de dollars de prêts octroyés par la Société générale pour la construction d’un pipeline visant à acheminer le pétrole des gisements de sables bitumineux d’Alberta. Principal émetteur de gaz à effets de serre, le secteur de l’énergie est également l’un des principaux émetteurs de bénéfices de l’économie occidentale. Leader du CAC40, le géant pétrolier Total affiche une capitalisation de 100 milliards d’euros et traîne à sa suite le fabricant de tubages pour l’exploitation pétrolière Vallourec, recordman de la performance boursière sur 10 ans avec 1453% de valorisation.

L’énergie seule représenterait ainsi 13% du porte-feuille type du gestionnaire de fonds français. Non content de monopoliser les investissements sur le marché d’action, les hydrocarbures sont également les stars des marchés des produits dérivés : « les volumes échangés sur les marchés financiers du pétrole sont trente-cinq fois supérieurs à ceux échangés sur les marchés physiques », un constat alarmant dressé par… Christine Lagarde !

Bien sûr, chacune de ces grandes entreprises disposent d’un département « responsabilité sociale et environnemental » et d’une fondation visant au mécénat de projets écologiquement responsables. Or, il s’agit généralement plus d’un hommage du vice à la vertu que de réelle velléités de changement : dans la notice d’impact de Total présentant les conditions dans lesquelles le géant pétrolier comptait évaluer le potentiel gazier des schistes du sous-sol lanquedocien, la fondation était mentionnée comme une sorte de « fonds de compensation » pour les dommages causés aux riverains. « La plupart des grands groupes ont une stratégie incrémentale vis-à-vis de l’écologie », explique Stanislas Dupré. Loin d’imaginer une révolution de leur secteur, elles adoptent « à la marge » des gadgets qui permettent de conserver les marges bénéficiaires tout en affichant une volonté de changement.

Et le consultant en sait quelque chose pour avoir travaillé avec Lafarge, producteur d’un des produits les plus polluants qui soit : le ciment qui, pour un kilogramme de matériau produit rejette 800 grammes de CO2 dans l’atmosphère. Invité à réfléchir à une stratégie de réduction de l’impact écologique du ciment, le consultant d’Utopies réunit autour de la table le PDG de la firme, des directeurs techniques et des chercheurs tentant de reproduire les mécanismes de production d’un ciment « naturel » à température du corps : la coquille d’oeuf ! Enthousiaste au sortir de cette rencontre, Dupré va boucler le dossier chez un des directeurs de la boîte. Quelques heures de discussion plus tard, son interlocuteur l’arrête dans ses espoirs : « la culture du groupe, c’est le ciment, sort-il. L’alternative au ciment verra peut-être le jour dans une start-up ou un laboratoire de recherche mais certainement pas chez un grand cimentier. » Dix ans après, Lafarge tousse toujours plus de CO2.

Les bénéfs jusqu’à la dernière goutte

Par un cercle vicieux les banques entretiennent donc un vieux système du fait de sa stabilité… Or, sans leurs milliards d’euros, ce système lui-même se serait déjà effondré. Localement, pourtant, des initiatives montrent la viabilité d’une économie plus responsable écologiquement : lancée comme une expérimentation dans le domaine de la recherche et développement en technologies vertes, Ecomagination, filiale du géant américain de l’électricité General Electrics, a renouvelé la stratégie du groupe et enrichi son catalogue avec des moteurs d’avion moins consommateurs, des moteurs hybrides pour locomotives, etc. Jusqu’à ce qu’il isole la comptabilité de sa « branche verte », GE n’avait aucune idée de son potentiel. Désormais, les investisseurs demandent à l’entreprise d’émettre des actions pour pouvoir miser sur cette réussite !

Las, la tendance naturelle des grands groupes dominants les marchés mondiaux reste à exploiter les filons jusqu’à la dernière goutte. Endetté, le groupe GDF-Suez a ainsi envisagé de faire coter en Bourse son activité exploration-production, très rentable et dont la croissance repose sur des plates-formes de forage off shore comme le champs de Gjoa en Norvège et l’exploitation des gaz de schiste. Même logique au groupe Carrefour qui espère tirer plus de bénéfice en faisant coter ses trois principales entités séparément pour lever plus d’argent sur les marchés.

Cependant, la tentative de Bank Run a créé un précédent sur le souci porté au circuit de l’argent. « La Fédération des banques françaises a réagi, c’est une véritable mue culturelle, insiste Stanislas Dupré. À un certain moment dans la prise de conscience environnementale, le contrôle de l’utilisation de l’argent par les banques est un débat d’une importance comparable à l’instauration du droit de vote. » Alors que la plupart des instituts financiers ont claqué le méprisant « c’est n’importe quoi » en réponse au bilan carbone des placements dressé par le cabinet Utopies, une filiale de la BNP, Cortal, a soutenu le projet et envisagé de mener des études sur l’évaluation de l’empreinte carbone. À terme, une vraie politique de transparence devrait pouvoir mener à la création de vrais produits financiers « écologiquement responsables ». Peut-être un peu moins rentables que les actuels OPCVM et autres FCPE proposés aux clients. Mais, à terme, eux aussi devront peut-être revoir leurs prétentions à la baisse pour espérer voir un jour leur argent arrêter de fumer.

Illustration Flickr CC @NOOPNNL et Laure73

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Braquage de crise : quand l’argent devient une arme anticapitaliste http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/ http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/#comments Thu, 02 Dec 2010 22:51:07 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37857

Billet publié initialement sur OWNIpolitics sous le titre : La révolution Cantona : une fausse solution à un vrai problème.

Techniquement impossible, le projet de fermeture massive de comptes proposé par Cantona resterait sans effet sur les banques et la désillusion des citoyens.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des files d’attente de centaines de personnes devant les agences, le site de consultation des comptes en ligne inaccessible suite aux connexions répétées… En septembre 2007, la banque anglaise Northern Rock fut assailli par ses épargnants qui, pris de panique face à son effondrement sous les coups de la crise des subprimes, ont couru retirer leurs économies, de peur que la crise ne les avale: premier « bank run » depuis la crise argentine de 2001, ce mouvement de panique a dépouillé les comptes de Northern Rock d’un milliard de livres sterling en deux jours. Une performance historique que l’ex-attaquant de Manchester Eric Cantona voudrait reproduire le 7 décembre pour punir les banques fauteuses de crise. Et qui, malgré un buzz conséquent, n’effleurera même pas la plaque du siège de la BNP.

Tout commence le 8 octobre 2010, dans un canapé anonyme où, affalé, Eric Cantona disserte face à la caméra de Presse Océan sur les mouvements de grève qui se succèdent dans le pays : selon le footballeur à la retraite, les millions de Français qui sortent dans la rue font fausse route, voire retournent l’idée contre eux-mêmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La révolution serait « très simple à faire » : le système tournant autour des banques, « il peut être détruit par les banques » et, pour ce faire, les manifestants n’auraient qu’à « retirer leur argent et les banques s’écroulent ». Un syllogisme assez séduisant pour convaincre 30 000 personnes de rejoindre le groupe Facebook proposant de retirer tout son encours et fermer ses comptes épargnes le 7 décembre :

  • les banques tirent leur pouvoir de l’argent ;
  • les clients détiennent l’argent ;
  • les clients détiennent le pouvoir sur les banques.

Un raisonnement presque aussi simple et limpide qu’il est faux.

Une (impossible) pichenette de moins de 0,3% dans l’édifice bancaire français

Pour commencer, personne ne pourra « clôturer » tous ses comptes le 7 décembre pour des raisons légales : la loi recommande pour commencer d’adresser une lettre en recommandé à la banque pour réaliser l’opération, dont la réception ouvre un délai de préavis de un à trois mois… Et ceci pour chaque compte. Quant aux limites de retraits, elles ne permettraient guère les fuites : pas évident de retirer des dizaines de milliers d’euros avec sa Mastercard à coup de 300€ par semaine. Même au guichet, la limite est fixée pour la BNP à 2 000€ (pouvant être levée à 3 000€). Au delà (et jusqu’à 8 000€), l’avis préalable du guichetier est indispensable.

Beaucoup d’agitation pour pratiquement rien: car, quand bien même les 30 000 personnes retiraient en un même mois tout leur encours (à moins de disposer de sommes considérables sur leurs comptes), les quelques dizaines ou centaines de millions n’affecteraient pas le moins du monde les banques visées, d’autant plus qu’elles s’étaleraient sur plusieurs établissements.

« Une telle initiative ne poserait problème que si les banques étaient limite en réserve, or c’est exactement l’inverse en ce moment, insiste Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et à l’ENSAM, animateur du blog Les Econoclastes. Le crédit est restreint et les banques sont noyées sous les liquidités apportées par les banques centrales. Les banques n’auraient qu’à se contenter de retirer sur leur compte à la banque centrale pour compenser la demande de billet. » On est donc bien loin de l’agonie financière de Northern Rock.

Dans l’hypothèse (absurde, donc) d’un retrait individuel de 30 000€ par « bank runner », les 900 millions soustraits aux caisses seraient vite remplacés et ne pèseraient qu’une goutte d’eau dans les 269 milliards d’encours total des comptes et produits d’épargne des ménages (source : banque de France, septembre 2010), qui ne sont eux-même qu’une partie de l’argent des banques.

La seule conséquence réelle de ce « bank run » serait de mettre en grande difficulté de paiement chacun des « révolutionnaires » ayant eu l’idée de suivre Cantona : selon la Fédération des banques françaises, les virements constituent en valeur 83,2% des transactions en valeur opérées en France. Sans compte en banque, plus moyen de percevoir son salaire, de faire son virement EDF, de recevoir les prestations sociales… Dans les faits, l’idée de Cantona mise en œuvre par une poignée de révoltés se retournera bel et bien « contre eux-mêmes ». Encore faudrait-il que les candidats au syphonage ne soient pas trop endettés : difficile de dire à son conseiller Société générale de fermer les yeux sur un emprunt immobilier ou auto pour aller courir après “King Eric”…

Illusion des effluves de « l’argent magique »

Malgré l’évidence de cet échec, la « révolution à la Cantona » agite les médias comme les politiques : Christine Lagarde elle-même s’est sentie de prendre la parole contre le footballeur, bien vite contrecarrée par Cécile Duflot… Même Baudoin Prot, pourtant assuré par les milliards des divers plans de relance de la BNP, s’est fendu d’une critique. Car, en miroir de cet espoir de changer les choses, cette poussée de fièvre révèle surtout l’incapacité d’agir sur le système.

Les tours Société Générale à La Défense

« En dehors des critiques habituelles qui se sont amplifiées, une idée vient de plus en plus souvent à la bouche des clients quand ils sont en agence : que l’augmentation des tarifs en agence de détails servent à payer les bonus des traders, qu’on leur faire « payer », la crise »

Auteure d’une thèse sur la sociologie de la banque et de ses clients, Jeanne Lazarus (doctorante à l’EHESS) a observé l’évolution des rapports tendus dans les locaux même des banques et constate un changement dans la perception de l’économie : « les sociétés occidentales ont le sentiment d’avoir une connaissance de plus en plus aiguë des phénomènes économiques : à force d’entendre parler de la crise, tout le monde se prend pour le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, un peu comme chacun s’imagine sélectionneur de l’équipe de France pendant le Mondial, explique la sociologue. L’idée de Cantona est une présentation rapide et simpliste des processus économiques mais chacun à envie d’avoir un avis. »

Dans son association entre un geste simple (retirer son argent) et la résolution d’une injustice pénible (le syphonage de l’économie au profit de banques fautives), la « révolution Cantona » a tout le charme de la « pensée magique » : traversons le passage clouté à cloche-pied sans tomber et tout ira mieux.

Une fois de l’autre côté de la rue, rien n’a changé. Pire : nous y avons cru et devons retourner à notre triste impuissance.

Une solution enfantine à la désillusion des plans proposés par les États

D’autres initiatives se sont proposées de retourner contre le système sa propre force. Parmi elle, l’idée ingénieuse de l’ancien trader de Lehman Brothers Mike Krieger : pour abattre la très puissante banque d’affaires JP Morgan, il propose que chaque Américain (bien qu’une centaine de millions suffise) débourse 25 ou 50$ pour acheter une petite pièce d’argent. Pourquoi ? Afin de faire exploser le prix du métal précieux, sur lequel JP Morgan spécule à la baisse depuis des mois, au point d’attirer l’attention des régulateurs financiers : détenteurs de quantités monstrueuses (1/3 du marché selon certaines estimations), les financiers seraient obligés de « garantir » le prix de leur ressource à coup de milliards… Une manœuvre à même de couler la banque d’un seul mouvement ! Une solution ingénieuse mais bien plus complexe à expliquer au grand public que le simpliste « bank run » de Cantona.

Le succès de la proposition tombe en fait au meilleur moment pour parler à tout un chacun : frappés par la crise un premier coup, les Français et leurs voisins européens voient désormais arriver la rigueur comme une lame de fond, à laquelle s’ajoutent les torrents de dettes grecques et irlandaises… Dans un élan commun, des millions ont arpentés les rues, sacrifiant leur temps et leurs congés pour abattre la réforme des retraites. En vain.

Un peu à la manière des promesses vides concernant l’environnement, une « urgence » systématiquement remisée depuis plus de 10 ans, le besoin de communiquer sur la « résolution » de la crise à chaque nouveau sommet a fini par s’user : le G20 de Londres promettait de l’emploi, de la sécurité… Et voilà que l’augmentation du Smic sera limitée au minimum légal. Les seuls sauvés sont les établissements financiers.

Les clients répètent souvent ce genre d’accusation : « vous êtes dur avec moi mais vous prenez des risques inconsidérés sur les marchés » est une attaque courante des clients contre leur conseiller qui leur refuse un crédit, rapporte Jeanne Lazarus. En fait, la financiarisation de l’économie a eu des effets très importants sur la vie quotidienne des gens.

Désorientés, livrés seuls face à leur injustice, certains en viennent à écouter Éric Cantona pour savoir comment résoudre la crise par un moyen magique. Une solution qui, en plus d’être inefficace, délaisse le problème fondamental d’une dépendance aiguë au système financier qui tient à sa merci chaque épargnant de la naissance à la tombe, de son prêt étudiant à son emprunt immobilier.

Le lendemain de la sortie de la vidéo mourrait Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français : moins médiatisé que le footballeur, il avait eu le tort de critiquer un peu trop tôt les traders, les banques qui misaient avec de l’argent qui ne leur appartenait pas sur des marchés dont elles entretenaient l’instabilité. Republiée par Marianne, sa dernière analyse de l’effondrement du système bancaire clamait sans détour que crise et mondialisation étaient liées et soulignait que des « tabous indiscutés » depuis des années nous avaient tous menés dans ce même bateau avec les économies occidentales et les banques (même si ces dernières ont su en tirer de nouveaux bénéfices).

Avant que la prochaine crise ne nous prenne de cours, il est encore temps de délaisser les vidéos de Cantona pour lire les thèses bien vivantes de ceux qui se sont inquiétés avant lui et ont préconisés de vraies solutions.

Photo FlickR CC : William Grootonk ; Thinkpanama ; Alpha du Centaure.

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http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/feed/ 19
La révolution Cantona: une fausse solution pour un vrai problème http://owni.fr/2010/12/02/la-revolution-cantona-une-fausse-solution-pour-un-vrai-probleme/ http://owni.fr/2010/12/02/la-revolution-cantona-une-fausse-solution-pour-un-vrai-probleme/#comments Thu, 02 Dec 2010 17:10:16 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37307 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des files d’attente de centaines de personnes devant les agences, le site de consultation des comptes en ligne inaccessible suite aux connexions répétées… En septembre 2007, la banque anglaise Northern Rock fut assailli par ses épargnants qui, pris de panique face à son effondrement sous les coups de la crise des subprimes, ont couru retirer leurs économies, de peur que la crise ne les avale: premier « bank run » depuis la crise argentine de 2001, ce mouvement de panique a dépouillé les comptes de Northern Rock d’un milliard de livres sterling en deux jours. Une performance historique que l’ex-attaquant de Manchester Eric Cantona voudrait reproduire le 7 décembre pour punir les banques fauteuses de crise. Et qui, malgré un buzz conséquent, n’effleurera même pas la plaque du siège de la BNP.

Tout commence le 8 octobre 2010, dans un canapé anonyme où, affalé, Eric Cantona disserte face à la caméra de Presse Océan sur les mouvements de grève qui se succèdent dans le pays : selon le footballeur à la retraite, les millions de Français qui sortent dans la rue font fausse route, voire retournent l’idée contre eux-mêmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La révolution serait « très simple à faire » : le système tournant autour des banques, « il peut être détruit par les banques » et, pour ce faire, les manifestants n’auraient qu’à « retirer leur argent et les banques s’écroulent ». Un syllogisme assez séduisant pour convaincre 30 000 personnes de rejoindre le groupe Facebook proposant de retirer tout son encours et fermer ses comptes épargnes le 7 décembre :

  • les banques tirent leur pouvoir de l’argent ;
  • les clients détiennent l’argent ;
  • les clients détiennent le pouvoir sur les banques.

Un raisonnement presque aussi simple et limpide qu’il est faux.

Une (impossible) pichenette de moins de 0,3% dans l’édifice bancaire français

Pour commencer, personne ne pourra « clôturer » tous ses comptes le 7 décembre pour des raisons légales : la loi recommande pour commencer d’adresser une lettre en recommandé à la banque pour réaliser l’opération, dont la réception ouvre un délai de préavis de un à trois mois… Et ceci pour chaque compte. Quant aux limites de retraits, elles ne permettraient guère les fuites : pas évident de retirer des dizaines de milliers d’euros avec sa Mastercard à coup de 300€ par semaine. Même au guichet, la limite est fixée pour la BNP à 2 000€ (pouvant être levée à 3 000€). Au delà (et jusqu’à 8 000€), l’avis préalable du guichetier est indispensable.

Beaucoup d’agitation pour pratiquement rien: car, quand bien même les 30 000 personnes retiraient en un même mois tout leur encours (à moins de disposer de sommes considérables sur leurs comptes), les quelques dizaines ou centaines de millions n’affecteraient pas le moins du monde les banques visées, d’autant plus qu’elles s’étaleraient sur plusieurs établissements.

« Une telle initiative ne poserait problème que si les banques étaient limite en réserve, or c’est exactement l’inverse en ce moment, insiste Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et à l’ENSAM, animateur du blog Les Econoclastes. Le crédit est restreint et les banques sont noyées sous les liquidités apportées par les banques centrales. Les banques n’auraient qu’à se contenter de retirer sur leur compte à la banque centrale pour compenser la demande de billet. » On est donc bien loin de l’agonie financière de Northern Rock.

Dans l’hypothèse (absurde, donc) d’un retrait individuel de 30 000€ par « bank runner », les 900 millions soustraits aux caisses seraient vite remplacés et ne pèseraient qu’une goutte d’eau dans les 269 milliards d’encours total des comptes et produits d’épargne des ménages (source : banque de France, septembre 2010), qui ne sont eux-même qu’une partie de l’argent des banques.

La seule conséquence réelle de ce « bank run » serait de mettre en grande difficulté de paiement chacun des « révolutionnaires » ayant eu l’idée de suivre Cantona : selon la Fédération des banques françaises, les virements constituent en valeur 83,2% des transactions en valeur opérées en France. Sans compte en banque, plus moyen de percevoir son salaire, de faire son virement EDF, de recevoir les prestations sociales… Dans les faits, l’idée de Cantona mise en œuvre par une poignée de révoltés se retournera bel et bien « contre eux-mêmes ». Encore faudrait-il que les candidats au syphonage ne soient pas trop endettés : difficile de dire à son conseiller Société générale de fermer les yeux sur un emprunt immobilier ou auto pour aller courir après “King Eric”…

Illusion des effluves de « l’argent magique »

Malgré l’évidence de cet échec, la « révolution à la Cantona » agite les médias comme les politiques : Christine Lagarde elle-même s’est sentie de prendre la parole contre le footballeur, bien vite contrecarrée par Cécile Duflot… Même Baudoin Prot, pourtant assuré par les milliards des divers plans de relance de la BNP, s’est fendu d’une critique. Car, en miroir de cet espoir de changer les choses, cette poussée de fièvre révèle surtout l’incapacité d’agir sur le système.

Les tours Société Générale à La Défense

« En dehors des critiques habituelles qui se sont amplifiées, une idée vient de plus en plus souvent à la bouche des clients quand ils sont en agence : que l’augmentation des tarifs en agence de détails servent à payer les bonus des traders, qu’on leur faire « payer », la crise »

Auteure d’une thèse sur la sociologie de la banque et de ses clients, Jeanne Lazarus (doctorante à l’EHESS) a observé l’évolution des rapports tendus dans les locaux même des banques et constate un changement dans la perception de l’économie : « les sociétés occidentales ont le sentiment d’avoir une connaissance de plus en plus aiguë des phénomènes économiques : à force d’entendre parler de la crise, tout le monde se prend pour le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, un peu comme chacun s’imagine sélectionneur de l’équipe de France pendant le Mondial, explique la sociologue. L’idée de Cantona est une présentation rapide et simpliste des processus économiques mais chacun à envie d’avoir un avis. »

Dans son association entre un geste simple (retirer son argent) et la résolution d’une injustice pénible (le syphonage de l’économie au profit de banques fautives), la « révolution Cantona » a tout le charme de la « pensée magique » : traversons le passage clouté à cloche-pied sans tomber et tout ira mieux.

Une fois de l’autre côté de la rue, rien n’a changé. Pire : nous y avons cru et devons retourner à notre triste impuissance.

Une solution enfantine à la désillusion des plans proposés par les États

D’autres initiatives se sont proposées de retourner contre le système sa propre force. Parmi elle, l’idée ingénieuse de l’ancien trader de Lehman Brothers Mike Krieger : pour abattre la très puissante banque d’affaires JP Morgan, il propose que chaque Américain (bien qu’une centaine de millions suffise) débourse 25 ou 50$ pour acheter une petite pièce d’argent. Pourquoi ? Afin de faire exploser le prix du métal précieux, sur lequel JP Morgan spécule à la baisse depuis des mois, au point d’attirer l’attention des régulateurs financiers : détenteurs de quantités monstrueuses (1/3 du marché selon certaines estimations), les financiers seraient obligés de « garantir » le prix de leur ressource à coup de milliards… Une manœuvre à même de couler la banque d’un seul mouvement ! Une solution ingénieuse mais bien plus complexe à expliquer au grand public que le simpliste « bank run » de Cantona.

Le succès de la proposition tombe en fait au meilleur moment pour parler à tout un chacun : frappés par la crise un premier coup, les Français et leurs voisins européens voient désormais arriver la rigueur comme une lame de fond, à laquelle s’ajoutent les torrents de dettes grecques et irlandaises… Dans un élan commun, des millions ont arpentés les rues, sacrifiant leur temps et leurs congés pour abattre la réforme des retraites. En vain.

Un peu à la manière des promesses vides concernant l’environnement, une « urgence » systématiquement remisée depuis plus de 10 ans, le besoin de communiquer sur la « résolution » de la crise à chaque nouveau sommet a fini par s’user : le G20 de Londres promettait de l’emploi, de la sécurité… Et voilà que l’augmentation du Smic sera limitée au minimum légal. Les seuls sauvés sont les établissements financiers.

Les clients répètent souvent ce genre d’accusation : « vous êtes dur avec moi mais vous prenez des risques inconsidérés sur les marchés » est une attaque courante des clients contre leur conseiller qui leur refuse un crédit, rapporte Jeanne Lazarus. En fait, la financiarisation de l’économie a eu des effets très importants sur la vie quotidienne des gens.

Désorientés, livrés seuls face à leur injustice, certains en viennent à écouter Éric Cantona pour savoir comment résoudre la crise par un moyen magique. Une solution qui, en plus d’être inefficace, délaisse le problème fondamental d’une dépendance aiguë au système financier qui tient à sa merci chaque épargnant de la naissance à la tombe, de son prêt étudiant à son emprunt immobilier.

Le lendemain de la sortie de la vidéo mourrait Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français : moins médiatisé que le footballeur, il avait eu le tort de critiquer un peu trop tôt les traders, les banques qui misaient avec de l’argent qui ne leur appartenait pas sur des marchés dont elles entretenaient l’instabilité. Republiée par Marianne, sa dernière analyse de l’effondrement du système bancaire clamait sans détour que crise et mondialisation étaient liées et soulignait que des « tabous indiscutés » depuis des années nous avaient tous menés dans ce même bateau avec les économies occidentales et les banques (même si ces dernières ont su en tirer de nouveaux bénéfices).

Avant que la prochaine crise ne nous prenne de cours, il est encore temps de délaisser les vidéos de Cantona pour lire les thèses bien vivantes de ceux qui se sont inquiétés avant lui et ont préconisés de vraies solutions.

Photo FlickR CC : William Grootonk ; Thinkpanama ; Alpha du Centaure.

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Le portefeuille de BNP : un diamant plus gros que la France http://owni.fr/2010/11/17/le-portefeuille-de-bnp-un-diamant-plus-gros-que-la-france/ http://owni.fr/2010/11/17/le-portefeuille-de-bnp-un-diamant-plus-gros-que-la-france/#comments Wed, 17 Nov 2010 17:16:24 +0000 Napakatbra (Les mots ont un sens) http://owni.fr/?p=37201 Le décompte de Bloomberg a de quoi faire frémir. Les actifs de BNP Paribas ont augmenté de 34% sur les trois dernières années, pour atteindre 2 240 milliards d’euros… soit plus que les actifs de Bank of America (la plus grande banque américaine) et de Morgan Stanley réunis ! Et, surtout, plus que le produit intérieur brut (PIB) français ! Logiquement, une telle niouze aurait dû faire les choux gras de la presse nationale, toujours prompte à enfourcher le coq pour hisser haut notre magnifique drapeau tricolore. Sauf qu’il aurait été difficile d’évoquer cette étude sans… rapporter l’analyse qui va avec.

Car Bloomberg affirme aussi que l’exploit de BNP Paribas a été rendu possible par la nonchalance du législateur français, qui se moque totalement de la régulation bancaire, en flagrante opposition avec les envolées lyriques de Nicolas Sarkozy… devant les caméras tout du moins

Résultat : d’une part, BNP possède certainement l’un des ratios de capitalisation les plus faibles de la place européenne, et, d’autre part, la France (avec l’aide de l’Allemagne) s’emploie systématiquement à torpiller les propositions de régulation avancées dans le cadre des négociations internationales en cours (Bâle III). Au grand dam de la Suisse, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, qui ont déjà commencé à serrer la vis.

15% de son capital sur des dettes à risque

Nos banques ne parient pas sur des produits aussi moisis que les subprimes. Certes. Mais il ne faudrait pas oublier que BNP Paribas est exposée à hauteur de 15% de son capital sur la zone (à forte activité sismique) Portugal-Irlande-Grèce-Espagne. Et si l’on rajoute la Belgique et l’Italie, on atteint les 75%. Pas franchement rassurant, alors que les rumeurs d’aggravation de la crise économique se font de plus en plus précises.

Une réunion d’urgence des ministres européens est d’ailleurs planifiée, ce soir [mardi 16 novembre au soir, NdE], sur le sujet. Le risque systémique français grandit, tous les jours, au rythme de la goinfrerie bancaire de nos joyeux financiers. Et la France se retrouve dans la situation de l’Irlande, en début d’année dernière. Que BNP éternue et c’est la France qui s’enrhume.

« Les banques françaises ne seront sans doute pas soumises à des règlementations très strictes, à cause de leur importance économique » a déclaré Dirk Hoffmann-Becking, un analyste londonien de Sanford C. Bernstein. Introduire des règles plus rudes reviendrait à « réduire leur gagne-pain, et le gars qui va payer pour ça, c’est le consommateur français » conclut-il. Prions pour que les analystes ne se mettent pas à avoir raison…

(* : l’évaluation de Bloomberg est délicate car les normes comptables bancaires européennes et américaines sont différentes)

Billet publié initialement sur Les mots ont un sens sous le titre Les actifs de BNP Paribas dépassent le PIB de la France.

Photos FlickR CC Marc Vie ; Caroline et Louis Volant.

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