OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 100 millions de mineurs http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/ http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/#comments Fri, 03 Jun 2011 08:28:10 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=65260 Les membres du collectif Argos seront présents vendredi 3 juin au festival les nuits photographiques, en accès libre au parc des buttes Chaumont pour une projection en plein air de leur webdocumentaire Cuatro Horas, sur une mine coopérative au Chili. Owni est partenaire des nuits photographiques et vous fera découvrir tout au long du mois de juin, une des oeuvres projetées.

Quelle est l’origine de vos reportages sur les mines ? L’avez-vous conçu comme le projet sur les réfugiés climatiques ?

Guillaume Collanges : Je travaillais sur l’industrie et j’avais fait un reportage sur la fermeture des usines de charbon en 2003. Je viens moi-même du Nord, une région minière. La découverte en 2003 a été un choc. La mine est un univers compliqué : d’un côté, elles ont une très mauvaise image, ont la réputation de détruire l’environnement et les hommes ; d’un autre côté, les mineurs sont extrêmement fiers et regrettaient tous que la mine ferme, malgré la dégradation de leur état de santé. C’est l’amour-haine cet environnement ! En bas, il y a une solidarité qui transgresse les questions sociales, le racisme. Les chantiers sont énormes ! L’économie de la France s’est basée sur le charbon. Les mineurs ont connu une heure de gloire passée à laquelle ils se réfèrent encore. Ils étaient souvent immigrés et très pauvres, mais la mine a servi d’ascenseur social. Leur métier était très difficile mais ils avaient un logement, les salaires ont augmenté, ils ont pu payer des études à leurs enfants. Ces grosses industries ont mauvaise image mais elles ont fait vivre des milliers de personnes.

Sébastien Daycard-Heid : En 2007, Guillaume et moi avons fait un reportage sur la piraterie minière. Ce sujet en Afrique du Sud a été difficile à faire et assez marquant. Il s’agissait de mineurs illégaux qui travaillaient clandestinement dans les mines, y restant parfois plusieurs mois. Ils étaient en compétition avec les entreprises qui se partageaient la même mine, non sans heurts. Deux mondes coexistent : les entreprises minières qui sont là depuis plus de cinquante ans mais dont les retombées économiques sont trop faibles pour la population locale, et la piraterie minière qui se développe et entre en compétition frontale voire armée contre les entreprises et l’État. Au début, les illégaux étaient des Sud-Africains, puis ils ont prospéré et ont commencé à faire venir des clandestins étrangers. On s’est rendu compte qu’il y avait énormément d’illégaux dans les mines à travers le monde et qu’il y avait matière à faire une série transversale.

100 millions de personnes travaillent dans des mines !

Quels seront les prochains sujets ? Comment allez-vous les traiter sur la forme ?

Cédric Faimali : Notre approche de la question est transversale. Nous traitons plusieurs cas différents dans plusieurs pays, avec plusieurs médias : photo et texte, mais aussi vidéo et son de façon systématique. Le but est de constituer une matière première exploitable sous de multiples formes qui permet d’avoir une diffusion multi-support, une vitrine et des revenus pendant le projet. En Colombie, nous avons auto-financé notre reportage parce qu’il lançait la série et était surtout destiné à la presse. L’Afrique du Sud a été produit par GEO et Scientifilms en télé pour ARTE REPORTAGES. Le reportage au Pérou a été vendu à la presse et en webdoc. Le produit fini sera un livre et une exposition. Peut-être un webdoc en suivant un fil conducteur transversal.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Cédric Faimali

Guillaume Collanges : Pour la Lorraine, nous avions fait un webdoc avant l’heure en 2004, un diaporama sonore. Notre premier reportage en Afrique du Sud raconte l’histoire du pays et son fonctionnement actuel : les mineurs sont un peu mieux payés mais les accidents sont très courant : les migrants sont en tête de taille, le poste le plus dangereux.

Sébastien Daycard-Heid : Les prochains reportages seront sur les communautés de mineurs en Ukraine et aux États-Unis. Aux États-Unis les mineurs américains reprennent la tradition de recherche de l’or. Nous partirons sur les traces d’une longue littérature de reportage écrite par Jack London, Blaise Cendrars ou Cizia Zykë dans un autre genre. Côté photo, la référence est bien sûr Sebastiao Salgado qui a travaillé sur la Serra Pelada dans les années 1980. Ce qui nous intéresse, c’est de revisiter cette thématique 30 ans ou plus après, avec les changements liés à la mondialisation.

La filière minière raconte donc une histoire de la mondialisation ?

Sébastien Daycard-Heid : Les mines ont engendré des villes, du commerce et San Francisco illustre bien que du développement peut naitre de cela. Aujourd’hui, la plupart des villes minières sont des villes fantômes en puissance. Les mines sont des trappes à pauvreté. Ce ne sont plus des paysans comme à la Serra Pelada, mais parfois des médecins, des fonctionnaires, ceux qui ne trouvent pas leur place dans les villes. L’intérêt de l’approche transversale, contrairement à une approche plus classique qui consiste à suivre une filière de l’extraction à la consommation, est de montrer une condition humaine partagée et un problème lié au développement minier en général. Il ne concerne pas que quelques mineurs isolés mais des millions de personnes.

En creux apparaissent les politiques de développement des États et le rôle du consommateur.

L’exemple du panneau solaire est assez significatif : c’est un produit lié au développement durable, mais sa production nécessite du lithium dont l’origine est parfois très incertaine.

Sébastien Daycard-Heid : Le problème n’est pas le métal en lui-même mais les modes de productions et la logique de marché. On n’est pas sorti de la logique uniquement mercantile des conquistadors : captation de la ressource, concentration et vente. À aucun moment, on ne s’interroge sur l’origine du métal. Les métaux sont au cœur du fonctionnement de la bourse qui s’est bâtie dessus et donc par ricochet du système économique mondial. En revanche, les logiques de marché peuvent changer pour obliger les compagnies minières à reverser des revenus aux populations locales par exemple. Les progrès techniques permettent aussi d’améliorer la problématique environnementale. Après le mercure et le cyanure, la technique traditionnelle de la gravitation revient en utilisant des machines, donc en restant dans un processus traditionnel.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Guillaume Collanges

Quels sont les modèles de production alternatifs pour les mines ?

Cédric Faimali : Le sujet des mines n’est absolument pas manichéen, il faut absolument se débarrasser de ce préjugé pour le comprendre. D’où l’intérêt de travailler en série pour souligner les nuances. A Cuatro Horas, les mineurs illégaux ont développé le travail en coopérative et se sont battus pour racheter leur mine. Mais l’individualisme est en train de reprendre le dessus avec le plafonnement économique de la mine, aucune filière de marché intègre cet or.

Sébastien Daycard-Heid : Le label or équitable certifié Max Havelaar existe en Grande-Bretagne depuis le 14 février. On est au début de la reconnaissance de ce label. Pour l’or, il faut assurer la traçabilité des métaux et l’existence d’une filière séparée. De plus en plus de joailliers entrent en contact avec des affineurs qui cherchent eux-mêmes des filières de production équitables. Max Havelaar a justement cette fonction d’expertise de certification. En France, la situation est très différente : le marché n’est pas composé d’artisans mais d’industriels du luxe. Même si la filière est embryonnaire, l’idée de traçabilité rentre dans les habitudes y compris pour l’or.

Une filière équitable pour l’or pourrait émerger ?

Guillaume Collanges : Pour la filière équitable, le prix très élevé de l’or est un avantage. De petites productions ou coopératives peuvent devenir des projets pilotes. A contrario, si une filière équitable de l’or apparaît, les interrogations sur les filières non-équitables vont se multiplier : est-ce de l’or sale ? Pas forcément, bien sûr, mais la question sera posée.

Cédric Faimali : Le commerce équitable enclenche une dynamique vertueuse même sans représenter 70 ou 80 % du marché. De toute façon, il suppose un lien direct entre producteur et consommateur ce qui paraît difficile à réaliser pour le cuivre.

Quelles sont les conditions de travail des mineurs illégaux ?

Sébastien Daycard-Heid : La clandestinité entraîne les plus mauvaises pratiques, même pour les mineurs qui arrivent avec les meilleures intentions. Ils peuvent mourir d’un incendie au fond de la mine, d’une rixe parce qu’ils ont trop picolé. Quand les mineurs remontent après quelques semaines ou même une nuit, ils dépensent une grande partie de leur salaire en alcool ou autre. En Afrique du Sud, tous les illégaux étaient jeunes. Les chefs avaient 30-35 ans parce qu’ils ont besoin d’avoir une excellente condition physique. Pendant une semaine au fond, ils ne mangent que des barres énergisantes.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Cédric Faimali

Des ONG font-elles de la prévention ?

Sébastien Daycard-Heid : Les ONG sont très peu présentes dans les régions minières. Elles pourraient pourtant aider réformer les modes de production en faisant de la prévention sur les risques sanitaires et environnementaux. Le sous-sol appartient aux Etats, contrairement aux terres agricoles qui appartiennent aux cultivateurs. Les activités des ONG, surtout internationales, sont trop perçues comme des ingérences alors qu’il y a urgence. Les ONG locales ont peu de moyens. La réglementation internationale en est à ses balbutiements après le scandale des diamants du sang. En juillet dernier, la loi Dodd-Frank sur la finance votée aux États-Unis ont contraint les entreprises américaines côtées en bourse à certifier la provenance des métaux qu’elles utilisent. L’objectif est de mettre fin à la guerre au Congo qui se nourrit des ressources minières.

Cédric Faimali : L’or sert aussi à blanchir l’argent de la drogue. En Colombie notamment, certains investisseurs achètent des mines au-dessus de leur valeur. En plus, l’or est déjà une monnaie : échangeable et substituable. On peut facilement payer des armes, financer des milices, corrompre des fonctionnaires. C’est une économie grise, informelle. Idem avec le coltan par exemple. Améliorer la traçabilité permet de sortir de ces logiques.


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Photographies du Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Guillaume Collanges et Cédric Faimali

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Chili: les 33 mineurs oubliés de l’Atacama http://owni.fr/2011/05/20/chili-les-33-mineurs-oublies-de-latacama/ http://owni.fr/2011/05/20/chili-les-33-mineurs-oublies-de-latacama/#comments Fri, 20 May 2011 06:31:41 +0000 Anaëlle Verzaux http://owni.fr/?p=62868 L’hiver arrive au Chili. Mais au nord, le soleil ne plie pas.

Nous survolons le désert d’Atacama, grand comme un tiers de la France, dans le nord du Chili.

Les montagnes cuivrées sont, sur certains sommets, tachées de poudre blanche. De loin, elles font penser à de la neige. Ce sont en fait les traces du nitrate et du salpêtre jadis extraits de cette riche étendue, vaste réserve d’or et de cuivre. Les tapis de fleurs roses et charnues d’octobre ont disparu. L’Atacama est un des déserts les plus arides au monde, cette floraison, exceptionnelle, n’a lieu qu’une fois tous les dix ans.

En plein coeur du désert, on s’arrête à Copiapo. Une ville de 130 000 habitants, discrète et sans grand intérêt touristique, une fois qu’on a fait le tour de la Plaza Prat. La place centrale est bordée de bancs, jardins et cafés, où s’échangent des rumeurs les plus folles.

C’est dans cette ville minière qu’habitent la plupart des trente-trois mineurs qui, le 5 août 2010, avaient été pris au piège à 700 mètres au fond d’une mine d’or et de cuivre, à cinquante kilomètres de Copiapo. L’histoire des « 33 » de la mine San José, qui ont réussi à survivre dix semaines dans cette prison souterraine, avait pris des allures de télé réalité.

Depuis longtemps le Chili n’avait suscité un tel intérêt.

La libération, sous l’oeil d’un milliard de téléspectateurs

Le monde redécouvrait ce pays tout en longueur, le plus grand producteur de cuivre au monde (près de 70 millions de dollars de cuivre exportés chaque jour), dont on ne parlait guère depuis l’arrestation, à Londres, du général-dictateur Augusto Pinochet, en 1998.

Le président de centre-droit Sebastian Pinera, une sorte de Berlusconi sud-américain en moins exalté, s’était emparé du drame. Une occasion formidable, alors que sa cote de popularité baissait, de se construire une nouvelle image. Celle du bon samaritain proche du peuple.

Au mois d’octobre 2010, les hôtels de Copiapo étaient pleins à craquer. Plus de deux mille journalistes avaient été accrédités. Des dizaines de milliers d’articles, d’autres milliers de journaux télévisés réalisés dans le monde entier. Comme le relève le journaliste Jonathan Franklin :

Deux mois après l’éboulement catastrophique, le nombre de visites sur Google pour « Chiliens » et « mineurs » atteint les 21 millions.

Les abords de la mine s’étaient transformés en gigantesque salle de presse à ciel ouvert.

Le camp bariolé à la surface de la mine, où patientaient familles et journalistes, avait été rebaptisé le « camp de l’Espoir ». Drapeaux, ballons, guirlandes, ex-voto, caméras, tentes, enfants, mineurs, cheval, gardes civiles, camions, antennes, clowns, soleil, poussière, et en-dessous, les 33 mineurs dans la nuit de la terre. L’oeil du monde scrutait chaque nouvelle venue des profondeurs.

Le 12 octobre, enfin, sous les yeux de plus d’un milliard de téléspectateurs, les mineurs étaient extraits de l’enfer, un à un, à bord d’une étroite capsule, baptisée « Phénix ». Puis ce fut la gloire, les feux des projecteurs, les interviews rémunérées, les voyages organisés. Six mois ont passé, la vague médiatique est retombée. Mais que sont devenus les 33 mineurs chiliens? Et les 300 autres mineurs de San José?

La tournée mondiale d’Edison, fan d’Elvis

Lorsque nous arrivons à Copiapo, mi-avril 2011, le barnum est parti. Plus un journaliste à l’horizon. Seul un confrère chilien continue de suivre les pérégrinations des 33.

Dix heures du matin, le soleil déjà, envahit le bitume. Nous marchons vers le centre-ville. Mais sur la route, une inscription taguée sur le mur d’une maison bleue azure nous arrête.

Fuerza Edison, tu familia de espera, arriba los mineros

(« Courage Edison, ta famille t’attend, vive les mineurs »)

C’est la maison d’Edison Pena ! Edison est une des figures des 33 : fan d’Elvis Presley, il avait aussi parcouru le marathon de New-York, quelques semaines après sa sortie de terre.

La maison d'Edison Pena, le mineur marathonien

En short et baskets, les cheveux taillés en hérisson, Edison ouvre la porte. « Entrez, c’est par là ! » Il semble surexcité. Il a toujours été un peu fou. On entre dans une cour à peine aménagée. Une table, des chaises, et un banc dans un coin. « Asseyez-vous là ! Vous voulez boire quelque chose ? Une bière ? » Edison s’en va, et réapparaît quelques secondes plus tard, une Corona à la main. Les mains et les jambes tremblantes, raconte une « histoire de dingue » : son dernier voyage, au Japon. « C’était drôle, personne ne parlait espagnol, il n’y avait pas d’interprète ! Je ne comprenais rien ! ». Ses genoux s’entrechoquent sans arrêt. Edison se lève subitement, et se lance dans un exercice de mime, en riant.

La première fois que je suis allé aux toilettes, j’ai cherché le papier pendant des heures ! Vous vous rendez compte, ils n’ont pas de papier ! Il y avait des tas de boutons partout… j’ai appuyé sur tous les boutons en même temps, et je me suis pris plein de jets d’eau sur les fesses !

A nouveau, Edison s’en va. Il réapparaît cette fois avec une paire de chaussons en tissu bleu. Il rit encore. « Ils portent ça les Japonais ! » Et il enfile ses drôles de chaussures neuves. « Allez, on y va ! » Edison veut aller en banlieue de Copiapo, dans une cabane en bois où des amis à lui jouent aux cartes et boient des bières. Il veut qu’on le filme là-bas, en train de raconter ses deux mois d’enfermement dans la mine San José. « Avec ce film, je serais riche ! »

A ce moment là, Angelica, sa femme, arrive. La jolie brune de quarante printemps, nous salue, souriante, mais aussi inquiète. « Il est hors de question que tu ailles là-bas sans moi! ». Le couple se chamaille quelques minutes, puis Angelica soupire, se sert un coca-cola, et raconte l’horreur que furent les voyages organisés. Le Japon, l’Angleterre, Israël, les Etats-unis.

J’ai accompagné Edison quasiment partout, on m’a complètement méprisée. Ce que j’ai vécu, l’enfer d’attendre dans l’incertitude si mon mari était vivant, puis les deux mois d’angoisse passés sur le « camp de l’Espoir » avec les autres familles… tout ça, à l’étranger, les journalistes s’en fichaient ! La seule chose qui les intéressait, c’était de décrocher des interviews des 33.

Courage Edison, ta famille t

Mais ces voyages n’ont-ils pas été une parenthèse de rêve, avec rémunération à la clef ? Mario Gomez, le plus âgé des 33, fait le même constat qu’Angelica:

J’ai très peu voyagé : pendant plusieurs mois, mon passeport n’était pas à jour ! Cela dit, dès que j’ai pu, je suis parti. Mais ces voyages orchestrés par le gouvernement ne nous ont pas rapporté un kopeck. Les quatre mineurs partis en Chine, en novembre, ont bien été payés : 20 000 dollars par personne. Mais c’était l’argent des entreprises minières chinoises, dont ils venaient faire la promotion ! Notre dernière virée, aux Etats-unis, était humiliante. Nous n’avions pas d’argent, mais des bons quotidiens équivalent à 20 dollars par jour. On nous servait des sandwichs qu’on mangeait recroquevillés sur des tables basses. Nous n’étions plus les héros de San José, mais des ouvriers en vacances organisées chez les yankees.

Le regard subitement vide, Mario répètera trois fois : « C’était une humiliation ».

« Il va très mal, il se drogue »

Retour chez Edison. On entend des enfants jouer dans la maison. Une petite fille s’avance doucement. Najita a quatre ans, elle s’agrippe à la robe de sa mère. Angelica lui caresse le visage, puis annonce, le regard perdu : « C’est Dieu qui a voulu qu’ils continuent à vivre ». Et Edison s’en va.

Subitement, Angelica se redresse sur son siège. « Il va très mal. Je vis un enfer depuis qu’il est sorti de la mine. Il passe son temps à boire avec copains. Le pire, c’est quand il part à Santiago, il paie des tournées générales. Regardez-moi ces factures ! » Elle déroule une série de tickets. 200 000 pesos, 400 000, encore 200 000…

Et il se drogue. Déjà en soi c’est très mauvais, mais en plus, il est sous médicaments, à cause de ses troubles psychologiques.

D’après plusieurs mineurs, Edison se droguait déjà avant l’accident.

Le pire, c’est qu’il est imprévisible. Parfois, Edison part sans me prévenir. Il peut se passer plusieurs jours sans que je sache où il est.

Le lendemain, on devait se revoir pour le tournage. Mais Edison est furieux. Il vient de se disputer avec Angelica. « Elle est insupportable, elle ne me fait aucune confiance ! Et en plus elle boit ! Il y a du rhum dans ses verres de Coca-cola ». Le film-fortune, ce sera pour une autre fois.

La plupart des 33 ont les mêmes troubles qu’Edison. Déprime, besoin de solitude, alcool, difficulté à trouver le sommeil.

Victor Zamora, 35 ans, le poète du groupe, a mis longtemps avant d’accepter les baisers de ses enfants et les caresses de sa femme. « J’avais un besoin énorme de solitude, je ne supportais plus qu’on me touche ». Il a du mal à occuper son temps libre : « Je m’ennuie… heureusement, il y a ma fille qui me distrait ! Elle est enceinte ».

Samedi soir, José Ojeda, 46 ans, un gaillard de petite taille, d’une gentillesse singulière, est resté chez lui avec sa nièce. Comme la moitié des 33, il est toujours sous ordonnance médicale. José regarde la télévision en buvant des bières.

Ma femme n’est pas là, elle s’est réfugiée chez ses parents pour quelque temps. Ce n’est pas facile pour elle, ça fait six mois que je dors dans le salon, sur le carrelage. Le lit, je ne peux plus ! Je ne dors que trois-quatre heures par nuit. Pour me calmer, je bouffe des tablettes entières de comprimés tous les jours, et je bois des bières. Parfois, je ne mange pas pendant trois jours.

José se met à pleurer. « Ca fait six mois, mais je n’arrive pas à m’en sortir. Pourtant, je vois un psychologue trois fois par semaine ».

Il se reprend rapidement. « Pardonnez-moi ! Un mineur, ça ne pleure pas ! ».

Photo Anaëlle Verzaux et CC Secretaria de Communicaciones.

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« Les 33 », rentrés dans la légende (urbaine) http://owni.fr/2011/05/20/%c2%ab%c2%a0les-33-%c2%bb-rentres-dans-la-legende-urbaine/ http://owni.fr/2011/05/20/%c2%ab%c2%a0les-33-%c2%bb-rentres-dans-la-legende-urbaine/#comments Fri, 20 May 2011 06:13:12 +0000 Anaëlle Verzaux http://owni.fr/?p=63550 En septembre et octobre 2010, l’histoire des 33 mineurs chiliens enfermés (mais vivants !) dans une mine, à 700 mètres sous terre, occupait presque toutes les Unes de la presse internationale. Après leur sortie de ce sous-sol infernal, le 12 octobre 2010, « les 33 » ont voyagé, et gagné un peu d’argent.

Mais six mois après, le barnum est parti. Et avec les journalistes, les rêves se sont enfuis. Certains mineurs décrivent leur vie comme un calvaire. Maladies, antidépresseurs, ennui, pauvreté, sentiment d’avoir été manipulé par le président de la République, pour enrichir sa com’.

Leitmotiv ? “J’ai couché avec un des 33″

Florencio Avalos (le premier des 33 à être sorti de la mine), Luis Urzua (le chef des 33) et Daniel Herrera discutent devant l’Intendencia, un institut gouvernemental, situé au coeur de la Plaza Prat, à Copiapo. Ils viennent de s’assurer qu’ils sont bien inscrits pour le prochain voyage, à Los Angeles. Encore une virée qui ne leur rapportera pas un sous. Devant l’Intendencia, des personnes font des allers et venues, sans se retourner.

Daniel Herrera, 29 ans, un grand un peu poupin, au visage d’ange, est surnommé « el negro » à cause de sa couleur de peau. Il sourit :

Notre histoire a suscité des jalousies, ici les gens pensent qu’on est riche, et qu’on a toutes les femmes à nos pieds !

En novembre, Daniel s’était affiché aux côtés d’une charmante journaliste italienne. La photo avait fait le tour de Facebook. Mais il précise :

Les femmes qui s’intéressent vraiment à moi sont généralement des blondes d’un soir, qui pourront dire fièrement à leurs copines : j’ai couché avec un des 33′.

Luis Urzua, la cinquantaine passée, le dos voûté, a l’air beaucoup plus sévère : « Les rumeurs sont monnaie courante depuis qu’on est sorti de la mine. Dieu peut en témoigner ».

Petit match entre amis au stade de football de Copiapo

Au bal des rumeurs : baiser, se droguer, être riche…

Des rumeurs, il y en a quantité autour de leur histoire. Certaines sont apparues pendant le drame, d’autres après leur sortie de terre :

  • Les 33 sont sortis les poches remplies d’or
  • les 33 ont fait l’amour entre eux
  • les 33 ont eu des poupées gonflables pour se soulager
  • les 33 faisaient tourner de la drogue
  • les 33 cumulent des dizaines de maîtresses
  • les 33 ont pensé au cannibalisme
  • les 33 sont riches
  • les 33 ont la belle vie…

Poubelle la vie.

Les poches remplies d’or ? Mario Sepulveda, le plus populaire des mineurs, désormais peu estimé de ses anciens amis « parce qu’il ne respecte pas le pacte : il ne partage pas l’argent qu’il gagne grâce à ses interviews », est sorti de la mine avec des pierres qu’il a offertes au Président chilien Sebastian Pinera. Mais personne ne s’est rempli les poches.

Il n’y avait tout simplement pas d’or dans cette partie de la mine de San José. A cause de l’étroitesse de la capsule par laquelle ils ont été extirpés (70 cm de diamètre), les mineurs ont surtout dû abandonner leurs menus effets personnels dans leur tombeau provisoire.

Et l’homosexualité alors ? Un des 33 mineurs témoigne :

En sortant, on a fait croire à des journalistes de la chaîne de télévision CNN, qu’on avait eu des rapports homosexuels ! Mais c’était faux. On s’était mis d’accord pour dire ça, c’était une stratégie pour faire mousser notre histoire. On a vite compris comment fonctionnent les médias !

Pas de rapports homosexuels donc, mais pas plus de démenti pour les millions de spectateurs du network américain. Une boulette médiatique de plus. Pas plus de poupées gonflables, comme le répètent pourtant les piplettes des terrasses de Copiapo.

A l’étage d’un café musical de la Plaza Prat, Daniel Herrera avale un mojito, jette un oeil sur l’écran géant sur lequel est projeté un clip de Vanessa Paradis, et confie :

La vie sexuelle au fonds de San José était pauvre, presque inexistante. D’abord, au début, on n’avait pas de force, et on ne pensait qu’à sortir de là. Au bout d’un moment, vers la fin, les secouristes ont fini par nous envoyer des revues porno et des posters de pin-ups… Ce n’était vraiment pas le paradis !

On raconte que, de façon générale, partout dans le monde, à cause de l’éloignement des femmes, les mineurs ont développé des formes de relations homosexuelles brèves et sans lendemain. Daniel éclate de rire : « Noooon ! »

Quant aux maîtresses, il y a bien Yonni Barrios et ses deux amours. Un autre mineur avait confié à un psychologue qu’il appréhendait sa sortie, parce que ses sept amantes l’attendaient. Mais globalement, les 33 n’ont pas plus d’amours que le commun des hommes.

Jimmy Sanchez a-t-il failli se faire manger ?

C’est d’ailleurs à la surface de la mine qu’il y eut les plus grandes amours. Ah l’attente, l’angoisse, l’ennui, et les rencontres… entre familles, journalistes, mineurs-sauveteurs, et policiers ! Au total, plus de 2000 préservatifs auraient été retrouvés sur le « camp de l’Espoir » qui rassemblait tout ce petit monde !

La drogue ? Les 33 se partageaient un petit pétard de temps en temps, mais les drogues dures ne passaient pas. Même s’ils étaient peu respectés, parce qu’ils censuraient beaucoup de messages envoyés de la surface au fond de la mine, les psychologues veillaient à ce que les produits illicites ne circulent pas. Alors, pour compenser le manque, Edison Pena a fait du sport, dès qu’il a pu. Mineurs-sauveteurs et familles faisaient par contre descendre des médicaments et… des bouteilles de Pisco (un alcool fort de raisin chilien).

Le cannibalisme ? D’après un mineur de l’équipe de secours, « Jimmy Sanchez, qui n’avait que 18 ans au moment de l’accident », aurait « failli se faire tuer ».

Cinq jours après l’accident, alors qu’il allait au coin toilettes – le seul endroit où les 33 étaient seuls – un groupe de quatre ou cinq mineurs s’est jeté sur lui. Ils l’ont frappé, très fort. Ils voulaient le tuer pour le manger ! Heureusement, d’autres mineurs, qui faisaient partie de son clan, sont arrivés à temps.

Le jeune Jimmy Sanchez au stade de foot

Un matin d’avril, nous retrouvons Jimmy Sanchez au stade de football de Copiapo. A quoi ressemble la proie présumée des apprentis cannibales ? Un jeune homme de 19 ans, un mètre soixante-quinze à vue d’oeil, mince. C’est un beau chilien !

Le soleil tape, un vent fort balaie le sol terreux. Des hommes jouent avec la rapidité des professionnels. Femmes et enfants regroupés par grappes sur le bas côté, les regardent.

La voiture des amis de Jimmy diffuse du reggaeton, les portes et le coffre ouverts. Malgré ses lunettes noires et la proximité de ses potes branchés, Jimmy semble plus timide que les autres mineurs. Il mange un sandwich italien, du pain brioché bourré de guacamole et de tomates. « Je ne peux pas encore jouer, je suis physiquement trop faible ».

Sur cette histoire de cannibalisme, la version de Jimmy Sanchez est modérée :

Dans les moments les plus durs, j’ai eu très peur, j’ai pensé que si on devait en venir à tuer quelqu’un, c’est par moi qu’ils commenceraient. J’étais le plus jeune.

Il n’en dit pas plus, et préfère passer à un autre sujet : la femme qu’il a rencontré la veille, et dont il est tombé amoureux.

Lors du dîner chez lui, Mario Gomez avait confié : « Le cannibalisme ? On y a seulement pensé. On voulait rester unis jusqu’au bout ».

Un film bientôt produit par Hollywood ?

La « vérité » sur l’ensemble de ces histoires secrètes devrait sortir bientôt, dans un « livre officiel » sur les 33 mineurs chiliens. Pendant sept mois, les négociations avec les éditeurs successifs ont tourné court. Mais cette semaine, enfin, les mineurs ont trouvé l’éclaireur verni qui écrira leur histoire authentique, le journaliste nord-américain Hector Tobar, lauréat du prix Pulitzer en 1992.

Un film produit par Brad Pitt compte, lui aussi, raconter l’histoire complète du drame, avec quelques détails croustillants. Les 33 mineurs n’ont pas oublié que le film pourrait leur rapporter plusieurs millions de dollars. Un bel espoir, qui réaliserait au passage le voeux du milliardaire Farkas.

Mais un autre film espagnol, « The 33 of San Jose », réalisé par l’Argentin Antonio Recio, l’a devancé. Le film, que Luis Urzua qualifie de « mauvais », a déjà été diffusé sur la chaîne de télévision chilienne 13 TV network. Sa date de sortie au cinéma n’est pas encore connue, mais des extraits sont visibles sur internet. Las, la boîte de production n’a pas rémunéré les 33 mineurs chiliens. Alors tant que l’argent de Brad Pitt n’est pas versé, Daniel Herrera préfère rester prudent :

C’est Dieu qui nous a sorti de la mine, Dieu seul sait si le film sortira un jour.

Comme d’autres histoires incroyables, celle des 33 mineurs chiliens, gigantesque vague médiatique en plein désert, a vite été balayée. Après tout, les mineurs chiliens sont des gens pauvres, lointains et sans intérêt particulier, auxquels les journalistes n’ont pas de raisons de s’intéresser ! (Pas plus qu’ils n’ont de raisons de s’intéresser aux chauffeurs de taxi, aux éboueurs, aux caissières de supermarché, aux enseignants, aux petits cadres, aux commerçants, ou aux femmes de ménage).

Mais au moins, l’histoire des 33 mineurs chiliens aura-t-elle permis au monde de découvrir sur le fil ce monde étranger, masculin, douloureux, passionné, dangereux, où la course à la rentabilité fait tomber des vies.

Grâce à ses ressources minières, le Chili est l’un des pays d’Amérique Latine les plus économiquement puissants, et dont le système économique néo-libéral est le plus abouti. La plupart des mines (environ 70 %) appartiennent à des multinationales, les services publics sont négligés.

De son côté, le Président de la République chilienne, Sebastian Pinera, n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites aux mineurs de San José. Mais lui se porte bien, merci ! Propriétaire du célèbre club de football Colo-Colo, de la chaîne de télévision Chilevision, et de plusieurs mines de cuivres au Chili, il figure parmi les 500 premières fortunes du monde. « La revue américaine Forbes le considère comme le 51e homme le plus puissant de la planète ». Et en un an, son compte en banque « s’est étoffé de quelque 200 millions de dollars, pour atteindre 2,4 milliards ».

On est décidément loin des 500 euros par mois de Daniel Herrera.

Photo FlickR CC Secretaria de communicaciones / Anaëlle Veraux

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Les promesses oubliées du président Piñera aux gens des mines http://owni.fr/2011/05/19/chili-les-promesses-oubliees-du-president-pinera/ http://owni.fr/2011/05/19/chili-les-promesses-oubliees-du-president-pinera/#comments Thu, 19 May 2011 13:00:07 +0000 Anaëlle Verzaux http://owni.fr/?p=63030 Direction l’extrême nord du Chili. La « Mina Iris », une mine de lithium, est située à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Iquique, sur les anciennes terres péruviennes, annexées par le Chili lors de la guerre du Pacifique .

C’est là que travaille désormais l’un des anciens 300 mineurs de San José, Jorge Olivares, un mécanicien d’une trentaine d’années. Jorge est un petit svelte hyper-actif, un piercing au sourcil gauche, qui a le sourire attaché aux lèvres. C’est le gars qui détend l’atmosphère avec une bonne blague.


Agrandir le plan

Imaginez la Côte d’Azur, mais naturelle, sans immeubles ni touristes. Vous avez la route qui mène à Iquique, une cité portuaire de 221 000 habitants. L’entrée de la ville est annoncée par une statue de la taille d’un homme : un mineur et son pic. Iquique, tout un symbole ! En 1907, au moins cent vingt-six mineurs rassemblés à l’école Santa Maria d’Iquique pour protester contre leurs mauvaises conditions de travail se faisaient tuer, sur ordre du gouvernement.

Seul, il a gagné son procès contre la mine: 10 000€

Ce soir d’avril à Iquique, Jorge est fou. Il vient de gagner son procès contre San Esteban !

J’ai gagné ! Je vais toucher mes indemnités, j’ai gagné ! Ah ah, dix mille euros ! Je vais me payer un voyage au Brésil !

Jorge Olivares est le seul des 300 qui a intenté un procès à l’entreprise San Esteban Primero S.A., propriétaire de la mine San José. À la terrasse d’un café, au bord de l’océan, on trinque à sa santé.

Quand les 33 ont été libérés, San Esteban nous proposait de régler une première partie des « finiquitos » (Ndlr, les indemnités de licenciement) immédiatement, la deuxième trois mois plus tard (mais dans ce cas, le total aurait été inférieur au montant dû) ou étalé sur l’année, en douze fois. Pour toucher l’intégrale, il fallait attendre un an. Moi, je voulais avoir tout, tout de suite, ce qui me semblait normal.

Jorge Olivares, mécanicien, à la mine Iris de Lithium

Mais il a fallu se battre. Et d’abord, trouver un avocat. « Rien n’a été plus facile ! Quand mon ami Daniel Herrera, un des 33, a été transféré à l’hôpital de Copiapo, je suis allé lui rendre visite. Il y avait Sebastián Piñera et l’entourage présidentiel. Pendant que Daniel parlait avec Piñera, je discutais du problème des indemnités avec les proches du président. Ils m’encourageaient à porter plainte contre San Esteban. Il y en a même un qui m’a donné la carte de visite de son avocat. Je l’ai prise. Quelques jours plus tard, j’obtenais un rendez-vous. »

Sept mois après l’accident, le gouvernement délaisse les 300 mineurs, oubliant au passage les promesses qu’il avait faites, que ce soit sur l’amélioration des conditions de travail, ou l’aide au règlement des indemnités de licenciement.

Dix heures par jour pour 1600€ par mois

Le soleil se lève sur l’Atacama, balayant les montagnes de lumières orangées. Jorge Olivares et son chef, Eduardo Millacura, sont déjà à l’entrée de la mine. En contrebas, un énorme panneau :

Mina Iris : 85 jours sans accident

Surprenant ! « C’est une garantie que l’entreprise respecte les conditions de travail de ses ouvriers », lance fièrement Jorge. Sans le contredire, le chef reprend : « Mais malgré nos efforts et le fait que la mine soit à ciel ouvert, ce qui réduit les risques, on n’échappe pas aux accidents. L’année dernière, quatre mineurs chargeaient un camion d’explosifs de nitrate d’ammonium. Le camion a explosé, ils sont tous morts sur le coup. »
Depuis l’accident de San José, Eduardo a redoublé de précautions. Tous les matins, il réunit son équipe pour parler sécurité, puis les ouvriers doivent signer une fiche d’évaluation des risques.
Explications de Jorge :

Grâce à cette fiche, tu connais les risques que tu prends ce jour là. Tu peux toujours refuser le travail proposé. Mais un mineur ne refuse jamais. Ce n’est pas dans sa nature.

C’est aussi une astuce de l’entreprise pour se couvrir d’éventuelles poursuites judiciaires, en cas de pépin.

Eduardo Millacura, le chef de la mine Iris (près d’Iquique)

Jorge Olivares semble ravi. « D’abord, je suis aussi bien payé qu’à San José », environ 1600 euros par mois. « Ensuite, je travaille en plein air, alors qu’à San José, les souterrains étaient bouillants (entre 35 et 40 degrés, 95 % d’humidité). Il nous arrivait même de travailler en caleçon, avec de l’eau jusqu’aux cuisses ! ». Et s’il travaille dix heures par jour, les temps de repos sont fréquents, ce qui lui permet de rentrer à Copiapo cinq jours toutes les deux semaines.

Il faut compter quatorze heures de bus, mais j’y pense pas, je dors presque tout le temps du voyage.

Les employés des sous-traitants n’ont rien touché

Les autres mineurs ont eu moins de chance, question argent. Ceux qui n’étaient pas employés par San Esteban mais par une entreprise sous-traitante, n’ont rien touché. Les autres, la majorité des 300, ont d’abord perçu la moitié de leurs indemnités de licenciement (en moyenne 300 000 pesos chiliens, soit un peu moins de 500 euros), en décembre. Mais de la deuxième partie, ils n’ont eu, en moyenne, que 4000 pesos, l’équivalent de… deux cafés crème !
Les rares syndicalistes de San Esteban continuent de suivre le dossier, mais désespèrent de voir un jour tomber le reste des indemnités. « Il paraît que c’est pour octobre », soupire Horacio Vicencio, un mineur d’une cinquantaine d’années, numéro 2 du syndicat des travailleurs, le premier syndicat de San Esteban.
Les 300 ruminent. Certains manifestent de temps en temps à Copiapo, dans l’indifférence quasi générale. Le 18 octobre 2010 déjà, une centaine de mineurs, avec femmes et enfants, s’étaient rassemblés sur le « camp de l’Espoir ». Sur certaines banderoles, on pouvait lire :

San Esteban, nous ne sommes pas 33, nous sommes 300.

Marcelo Kemeny et Alejandro Bohn, les patrons de l’entreprise San Esteban, font, quant à eux, valoir un argument choc : nous n’avons pas l’argent pour payer.
Malgré sa production exceptionnelle : près de 3 tonnes de cuivre par jour, et ses réserves d’or proches du milliard de dollars, l’entreprise était manifestement en difficulté. Avant l’accident, Kemeny et Bohn devaient déjà plus de 2 millions de dollars au gouvernement chilien. Mais qui doit indemniser les mineurs ? Qui est responsable de l’accident ?
Pablo Ramirez, ancien chef d’équipe à San José :

Les responsables, c’est avant tout Bohn et compagnie. On le savait depuis longtemps, que la mine était dangereuse. Il n’y avait même pas d’échelles de secours, pourtant obligatoires dans toutes les mines au Chili. Normalement, des filets de sécurité doivent couvrir la voûte, pour maintenir les pierres branlantes. Là, toutes les pierres étaient branlantes, mais il n’y avait de filets de sécurité que sur une infime partie de la mine, 20 % tout au plus.

Selon une enquête du Congrès chilien déclenchée fin août 2010, à San José, le taux d’accidents était supérieur de 307 % à la moyenne nationale.

Dans un café fleuri de Copiapo, Horacio Vicencio tourne machinalement sa petite cuillère dans sa tasse à café vide. Pour ce mineur et responsable syndical, la responsabilité est partagée entre l’entreprise et le gouvernement :

En 2008, alors que les mines San José et San Antonio étaient fermées depuis un an pour non respect des conditions de sécurité, le gouvernement chilien [Ndlr, à l'époque il s'agit du gouvernement de la Concertacion, une coalition de gauche] a autorisé la réouverture de San José. Depuis, chaque année, les autorisations d’exploitation de la mine ont été renouvelées, alors qu’aucun travaux significatif n’a été fait. Nous (les syndicalistes) avons depuis demandé que des enquêtes indépendantes soient menées, on ne nous a jamais répondu. Pire, le président de notre syndicat, Xavier Castillo, a été mis au placard. Il était salarié à San José, mais n’a jamais eu le droit d’y travailler. Les directeurs l’empêchaient d’être en contact avec les autres mineurs.

L’actionnaire principal de San Esteban, c’est l’Etat…

Parallèlement, le 30 septembre 2010, l’avocat de 27 des 33 rescapés de San José, Edgardo Reinoso, a porté plainte contre San Esteban, mais aussi contre le gouvernement, au nom des familles. Il réclame 27 millions de dollars de dommages et intérêts (soit un million de dollars par mineur), pour mise en danger de la vie d’autrui. Mais « le procès n’avance pas. La justice chilienne a souvent ses lenteurs… ».

A mesure qu’il parle, Vicencio est de plus en plus remonté. « Quand les 33 étaient prisonniers de la mine, Sebastián Piñera, qui s’inquiétait beaucoup de son image, a fait croire au monde entier que San José était entièrement privée ! En réalité, l’actionnaire principal de San Esteban, c’est Enami, une entreprise minière nationale. Qui plus est, à San José, Enami gérait tout ce qui relevait des services ; elle devait par exemple fournir le personnel médical… En décembre, c’est Enami qui a payé la moitié des indemnités des 300 mineurs. Mais elle a donné l’autre partie à San Esteban, qui ne l’a jamais redistribuée ! »
Sebastián Piñera avait, quant à lui, promis d’améliorer les conditions de travail des mineurs.
Deux jours après leur sauvetage, il avait ainsi déclaré aux 33 :

Nous pouvons garantir que plus jamais dans notre pays nous ne permettrons qu’on puisse travailler dans des conditions aussi peu sûres et inhumaines. Dans les prochains jours, nous annoncerons à la nation un nouvel accord avec les travailleurs.

Las, aucune loi sur le sujet n’a, depuis, été votée. Les conditions de travail dans les mines n’ont pas changé.
De leur côté, les responsables de San Esteban n’ont pas été inquiétés.
Mineurs et journalistes cherchent, en vain, à les contacter, mais les deux directeurs se font discrets. Seul un photographe-reporter a, un soir d’avril, croisé par hasard, Marcelo Kemeny au Casino de la ville.

C’était incroyable, ce mec soi-disant ruiné empochait des tas de billets ! Quel con, si j’avais eu mon appareil photo sur moi, je faisais un carton !


Photos Anaëlle Verzaux

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Des héros nationaux retournés à la misère http://owni.fr/2011/05/18/chili-largent-et-la-misere-des-33/ http://owni.fr/2011/05/18/chili-largent-et-la-misere-des-33/#comments Wed, 18 May 2011 06:30:16 +0000 Anaëlle Verzaux http://owni.fr/2011/05/16/chili-largent-et-la-misere-des-33/ Les 33 souffrent de troubles psychologiques. C’était écrit.

Mais, au moins le drame qu’ils ont vécu leur ferait gagner beaucoup d’argent, de quoi vivre paisiblement le restant de leurs jours, pensaient-ils. C’était la promesse. D’ailleurs, Sebastian Pinera et un autre milliardaire, Leonardo Farkas, ne leur avaient-ils pas fait de somptueuses déclarations ? Sept mois après leur sauvetage, le constat est rude. Les revenus des 33 mineurs ne dépassent pas 700 euros, et leurs maisons ne suintent pas le luxe.

Mario Gomez, le patriarche des 33

Visite surprise. Nous attendons plusieurs minutes devant une petite porte en bois vétuste avant que Mario nous ouvre. Mario Gomez, à 64 ans, est l’aîné des 33. Ancien marin, c’est un échalas au regard vif, d’une gentillesse rare. Et trois doigts en moins, perdus dans une explosion à San José, il y a quelques années. D’un geste, il nous invite à entrer dans sa maison en travaux. « Pardonnez le désordre ». Sa femme, à l’entrée, parfumée, bien vêtue, le bras gauche dans le plâtre, plie des vêtements sur un grand lit qui occupe toute la pièce. « Je n’ai pas eu de chance, la veille de notre mariage, je suis tombée, mon bras s’est cassé », soupire Lilianett.

Le salon s’ouvre sur le reste de la maison. Une cuisine, vide, d’un côté, un escalier qui grimpe aux chambres des enfants de l’autre, et une large ouverture sur le chantier. Il n’y a pas d’isolation. Copiapo, située au coeur du désert d’Atacama, est une petite ville au climat aride et chaud, mais la nuit, la température peut descendre en dessous de 0 degrés. Mario désigne la bâtisse.

J’ai commencé les travaux dès que je suis sorti de San José, on agrandit parce que l’hiver, avec mes petits enfants, on est onze à vivre ici. Mais ça traîne… nous n’avons plus d’argent pour payer les ouvriers.

Dans le salon, Mario nous offre une première cigarette, et raconte ses galères. Malgré son âge avancé et ses 46 ans de service en tant que chauffeur de camion à San José, il était payé 1600 euros brut par mois, l’un des plus bas salaires de la mine. Réputée dangereuse déjà avant l’accident du 5 août, les mineurs y étaient relativement bien payés, entre 800 et 3000 euros par mois en fonction du poste occupé.

Mes indemnités se sont vite évaporées, et je suis trop vieux pour retravailler à la mine. Il n’y avait qu’à San José qu’on acceptait de faire travailler des ancêtres comme moi !

Sa retraite ne dépassera pas 280 euros par mois: « Nos retraites sont minables. Comme notre système de santé. » Au Chili, les hôpitaux publics, réputés pour leur inefficacité, débordent. Trop de patients, pas assez de personnel, manque de budget.

C’est simple, si tu veux être bien soigné, tu dois aller dans les cliniques privées, mais il faut payer très cher. Si tu n’as pas d’argent, on te laisse crever.

Mario regarde longuement sa femme. Ils se sont résignés à faire plâtrer son bras dans le public. La plupart des 33 sont dans la même situation financière que Mario.

A cause de son ordonnance médicale, José Ojeda ne travaille pas. « Je gagne quand même une partie de mon ancien salaire, soit 600 dollars (422 euros) par mois ».

Le mineur Daniel Herrera, au musée des 33 à Copiapo.

Daniel Herrera, 29 ans, était employé par un des prestataires de service de la mine. Il touche en ce moment 500 euros par mois, alors que son salaire était de 800 euros. « Je suis plutôt chanceux, ceux qui n’ont pas d’ordonnance médicale n’ont rien du tout ! »

Or, si quelques-uns se sont lancés dans le commerce de quartier, aucun n’a repris le travail à la mine. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque !

Tandis que José Ojeda rêve d’une mine à ciel ouvert, Florencio Avalos, le premier des 33 à avoir été évacué de San José, a déjà déposé sa candidature dans une nouvelle mine, sur la « Terra Amarilla » (« la terre jaune »), à dix kilomètres de Copiapo. « Cette mine, grande, est réputée pour sa sécurité. Rien à voir avec San José ! », assure un ami mineur de Florencio, qui l’a aidé à chercher un nouveau poste.

L’histoire des messages censurés

Une jeune femme ravissante entre, un enfant dans les bras. La fille de Mario ressemble à Esmeralda avec ses longs cheveux noirs. Sa petite fille, Camila, est un grand bébé de trois ans.

Allez, à table ! Pour le dîner, on dépose sur la table du pain rond, des lamelles d’emmental, un morceau de beurre, et du thé. Installée sur les genoux de sa mère, Camila déguste une banane.

Mario chuchote à l’oreille de sa femme, puis annonce, à haute voix : « Je vais vous confier deux secrets ». Il saisit un livre sur une étagère. Une histoire des 33 parmi tant d’autres, et en couverture, l’image du premier message arrivé à la surface, sur lequel s’est appuyé le Président du Chili Sebastian Pinera, pour annoncer au monde que les 33 mineurs étaient vivants.

Estamos bien en el refugio, los 33.

(« Nous allons bien, les 33 dans le refuge »)

Le vieux mineur pose le livre sur la table et nous demande de regarder attentivement la couverture :

Regarde bien le message. D’abord, contrairement à ce que Pinera a fait croire au monde entier, ce n’est pas le message dans sa version originale. Le papier sur lequel avait écrit José Ojeda, l’auteur du texte, n’était pas quadrillé comme on le voit sur la photo. Le Président a fait recopier le texte sur un papier officiel. C’est un premier mensonge de Pinera.

Ensuite, Pinera a dit que le message de José était le premier arrivé à la surface. C’est faux ! Nous avions envoyé plusieurs lettres en même temps. Seuls deux messages avaient été bien attachés et sont arrivés intacts à la surface. Celui de José Ojeda et le miens, qui s’adressait au pays tout entier, mais il y avait une mention spéciale pour ma femme. Mon message a été censuré ! Lilianett ne l’a jamais reçu.

On a envie de faire confiance à Mario.

Par la suite, beaucoup de messages ont été censurés par des psychologues – spécialement envoyés à San José pour gérer la santé psychique des 33 –, voire par les services du gouvernement.

Avant de quitter la famille Gomez, nous leur demandons de combien ils ont besoin pour achever de construire leur maison. 4000 dollars, soit 2800 euros par mois. « Pour nous, c’est beaucoup », assure Lilianett.

Yonni Barrios, l’ex mineur aux deux femmes

La boutique de Yonni Barrios et son amie Susana Valenzuela

Qui se souvient de Yonni Barrios ? Le mineur-docteur aux deux femmes ! Son épouse et sa maîtresse s’offraient des disputes publiques sur le camp de l’Espoir. C’était une de ces histoires alléchantes pour les 2000 journalistes passés par San José… Quand il est sorti de la capsule, Yonni s’est plongé dans les bras de sa maîtresse. Depuis, Yonni a un peu voyagé, et choppé la silicose, une maladie pulmonaire grave, que les mineurs finissent généralement par attraper. Comme avant l’accident, il habite le quartier le plus pauvre de Copiapo. Perchée en haut d’une route sinueuse flanquée de graviers, la maison est difficilement accessible. Même notre vieux 4×4 dérape.

Sur les bas côtés, quatre hommes boivent du rhum à la bouteille et regardent passer les femmes. C’est aussi le quartier des dealers de cannabis, marijuana et cocaïne.

Une femme ronde, les cheveux blonds, courts, est postée à l’entrée, derrière un comptoir. « On a eu notre troisième client tout à l’heure ! » Ici, on vend de tout. Fruits et légumes, boissons, chewing-gum, produits beauté. Yonni Barrios et Susana Valenzuela, son ancienne maîtresse, ont ouvert ce petit commerce la veille. Yonni, la cinquantaine passée, regarde une émission de variétés à la télé. « Je vous en prie, asseyez-vous, mais loin de moi, hein ! Tenez, vous serez très bien sur cette chaise près de ma femme ! » On se marre. Ah, les femmes et leurs crises de jalousie… Et sa vieille épouse qui habite à deux pâtés de maisons !

Les murs sont couverts de photos. Yonni à la sortie de la mine, Yonni et son éternelle amante, Yonni aux Etats-unis, en Angleterre, en Israël. Des fils électriques parcourent maladroitement les parois du petit salon. Une plaque de taule sert de plafond. Comme chez Mario, pas d’isolation.

Yonni sur la moto à 9000$ offerte par le milliardaire Farkas.

Mais au fond de la pièce, resplendit une grosse moto rouge vif, splendide, déposée là comme un trophée. Yonni jubile. « C’est le cadeau de Farkas ! » Farkas, un milliardaire chilien de Copiapo (il habite une villa posée sur une montagne de l’Atacama, à quelques kilomètres de la ville), est fameux dans le coin, et généreux. Il a offert la même moto à tous les 33, d’une valeur de 9000 dollars. Plus une maison à trois d’entre eux !

Pendant la longue opération de secourisme, en août et septembre dernier, le milliardaire s’est fait remarquer plusieurs fois sur le camp de l’Espoir, au volant de son Hummer jaune. Dans son livre, le journaliste Jonathan Franklin raconte :

Impossible de louper Leonardo Farkas avec son costume sur mesure d’Ermenegildo Zegna, ses boutons de manchettes et ses boucles de cheveux teints en blond qui se balancent sur ses épaules (…) Sortant d’un bond de son véhicule, boucles au vent et dents étincelantes, Farkas a l’air d’un chanteur de Las Vegas qui s’est trompé de désert. Il commence à distribuer des enveloppes blanches, une par famille. A l’intérieur, un chèque de 5 millions de pesos (environ 7500 euros).

Puis le milliardaire eût l’idée de rassembler suffisamment d’argent (un million de dollars par mineur) pour que les 33 aient de quoi vivre sans travailler pour le restant de leurs jours. Las, l’idée ne s’est pas encore concrétisée.

Restent les motos rouges. Certains l’ont échangée, d’autres revendue. Yonni Barrios ne peut pas encore l’utiliser à cause de sa jambe, qu’il a fêlée en retapant sa maison. Le mineur sourit.

Ce n’est pas grave, en attendant, elle décore la pièce !

L’accident de San José aura été une parenthèse, entre l’horreur et le rêve. Une parenthèse de scène comme un acteur sans talent particulier qui n’aurait joué, par hasard, que dans un seul film à succès.

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Photos FlickR CC Desierto Atacama / Anaëlle Verzaux.
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Chile is a story about journalism’s failure http://owni.fr/2010/10/17/chile-is-a-story-about-journalism%e2%80%99s-failure/ http://owni.fr/2010/10/17/chile-is-a-story-about-journalism%e2%80%99s-failure/#comments Sun, 17 Oct 2010 13:09:19 +0000 Jeremy Littau http://owni.fr/?p=31843

Jay Rosen, as usual, beat me to the punch with his thoughts this morning on the Chile mine story. This is why I tweet more than I blog; sometimes you just say it and fill in the gaps later. I did a bit of mini-ranting last night, at least. Anyhow, Rosen:

A big story and a great story, but does 1300 journalists covering the Chilean miners have anything to do with reality?

I’ve been mulling this post for a few days and have wrestled with the cadence. I don’t do the curmudgeon thing very well, but this story has me feeling really, really cranky.

The Chile miners story is a wonderful news story about perserverence, ingenuity, working together, and triumph. That is what most of the world is seeing, and I know a lot of us have been hoping for a safe rescue. But this story depresses me.

In an era of closed foreign bureaus

I see a story about journalism. To know that 1300 journalists have descended on this mining town to cover a worldwide story is a little disconcerting in an era of closed foreign bureaus and budget cutbacks. Many might question that thought given the intense interest in the story; my Twitter and Facebook feeds were lit up last night as the first miner descended ascended up the 2000-foot shaft. But the public doesn’t think in terms of resources when it consumes journalism; it only has what it has in front of it.

Thirteen-hundred journalists – imagine what we could do with that. Journalism organizations are pouring resources into this as if it is the Baby Jessica 1980s and ’90s, with fatter newsrooms and no Internet. Really, does every major TV news network in the U.S. need a camera crew and reporters out there? In an era of satellite feeds and citizens on the ground who can pipe in material, does the U.S. media have to parachute in on a story like this?

A human interest story with a small impact on a large population

Foreign stories are worth covering, but let’s be honest that this is more a human interest story with a small impact on a large population than something such as the earthquake that occurred in that same country of Chile just eight months ago. The proportion of response to story impact is perhaps the best illustration of the insanity we seen in media business choices today.

The choice to shuttle all these resources to Chile does have an impact on what we cover at home. My former Mizzou colleague Lene Johansen posted a heart-wrenching story earlier this week about poverty in Philadelphia in the wake of the Great Recession. Heart-wrenching because of the details, but more so because this kind of thing isn’t on our radar everyday. Poor people don’t buy newspapers. Significant resources go to cover whatever shiny object the American consumption class will chase these days. The Chile miners story, while interesting and heart-warming, is really just the flavor of the week, another form of reality TV in the eyes of the business executives making the call of what resources to spend where.

The actual story has zero effect on people in the U.S. with real problems; it’s a wonderful distraction, which would be fine if it was distracting us from coverage of bigger problems at home. But that’s not the reality of this reality TV news story.

Chilean journalists could have covered it

Cover it, but let’s keep some perspective here.

The biggest problem here is there is not really a need to devote so many resources to this because of the wonderful advances we have made in technology. I have barely tuned in to the coverage on my TV or online. I have my Twitter feed; I knew when the first miner emerged at roughly the same time everyone else did. We have Chilean journalists – both professional and citizen – who are already embedded in that community and region who can cover it well. It’s not our story. Perhaps the biggies like the NYT should be there, but is it necessary to send anyone else? Do the news networks – cable or otherwise – really need their own camera crew and on-the-ground reporters for this?

The public sees a great story, and that’s fine. It really is. But on the media side, I see an industry chasing hits and page views by wasting valuable economic and human capital. Let’s cheer for the miners, but let’s not forget that there is suffering here at home and it should get the same, if not more, resource allocation.

Will we band together and help out the poor and downtrodden here, or is this Chile story really just a welcome break from our routine of ignoring those suffering among us? Journalism has a part to play in how we answer this question.

Update at 4:05 EDT on 10/14: Apparently the criticism is more than theoretical. Check out this news story from the NYT about how the coverage will constrain budgets for coverage of other things at the BBC. Hope those one-day page views was worth it! Thanks to Carrie Brown-Smith for the tip.

Post initially published on Jeremy Littau’ blog, translated into french on OWNI

Image CC Flickr purpleslog

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Le sauvetage chilien, fiasco du journalisme http://owni.fr/2010/10/17/le-sauvetage-chilien-fiasco-du-journalisme/ http://owni.fr/2010/10/17/le-sauvetage-chilien-fiasco-du-journalisme/#comments Sun, 17 Oct 2010 12:39:09 +0000 Jeremy Littau http://owni.fr/?p=31641 Comme d’habitude, Jay Rosen m’a devancé pour exprimer ce qu’il pensait de l’histoire du sauvetage des mineurs chiliens. C’est sans doute pour ça que je tweete plus que je ne blogue ; parfois vous le dites et y revenez plus tard, ce que j’ai essayé de faire ici, d’une certaine manière. Peu importe, Rosen :

A big story and a great story, but does 1300 journalists covering the Chilean miners have anything to do with reality?

Je ruminais ce billet depuis quelques jours et je me suis battu avec mon emploi du temps. Je ne vais pas faire le grincheux, mais cette histoire m’a vraiment mis en pétard.

Ce sauvetage est une formidable histoire de persévérance, de débrouillardise, d’esprit d’équipe et finalement de succès. C’est comme cela que la plupart des gens le voit, et j’en connais un paquet qui ont espéré un pareil dénouement positif. Mais cette histoire me déprime.

À l’heure où les bureaux étrangers se ferment

J’y vois pour ma part une histoire à propos du journalisme. À l’heure où les bureaux étrangers se ferment les uns après les autres, que des réductions drastiques dans les budgets sont effectuées, je trouve assez déconcertant que 1.300 journalistes se soient déplacés dans ce désert pour couvrir cet événement mondial. Est-ce que l’énorme intérêt suscité par cette histoire ne valait-il pas toute cette attention ? Après tout, Twitter et Facebook se sont aussi emballés lorsque le premier mineur a pointé le bout de son nez. Mais le public ne réfléchit pas en terme de ressources lorsqu’il consomme du journalisme, il ne voit que ce qu’il a en face de lui.

Mille trois cents journalistes. Imaginez un peu tout ce que l’on pourrait faire avec ça. Les médias ont jeté dans cette affaire des ressources comme au temps de leurs plus belles années, dans les 80’s et les 90’s, celles où les rédactions étaient pleines, et couvraient le sauvetage du bébé Jessica, et où Internet n’existait pas. Sincèrement, est-ce que toutes les grandes chaînes de télé américaines avaient réellement besoin d’envoyer des journalistes et des équipes techniques là-bas ? Alors qu’il existe des satellites et que des individus sur place peuvent très bien y injecter eux-mêmes du contenu. Est-ce que les médias américains avaient besoin de se parachuter sur une histoire comme celle-là ?

Les sujets internationaux valent la peine d’être couverts, mais soyons honnête, c’est davantage une histoire intéressante sur le plan humain, avec peu d’impact sur une large population qu’un événement comme le tremblement de terre qui a eu lieu dans le même pays voilà juste huit mois. Le rapport entre l’impact de l’histoire et son traitement est peut-être la meilleure illustration de la folie que nous observons dans les choix économiques des médias aujourd’hui.

Des conséquences sur la couverture de nos problèmes

Le choix d’envoyer toutes ces ressources au Chili a des conséquences sur ce que nous couvrons dans notre pays. Mon ancienne collègue de Mizzou (l’université du Missouri, NdT) Lene Johansen a publié un article déchirant plus tôt dans la semaine sur la pauvreté à Philadelphie provoquée par la Grande Récession. Déchirant en raison des détails, mais encore plus parce que ce type de sujet n’est pas traité tous les jours. Les gens pauvres n’achètent pas de journaux. Des ressources importantes sont allouées à la couverture de n’importe quel objet brillant après lequel la classe américaine qui a du pouvoir d’achat va courir en ce moment. L’histoire des mineurs chiliens, même si elle est intéressante et réchauffe le cœur, n’est que l’attraction de la semaine, une autre forme de téléréalité aux yeux des chefs du business qui décident de l’emploi des ressources.

L’histoire en elle-même n’a pas le moindre effet sur les Américains qui ont de vrais problèmes ; c’est une merveilleuse distraction, ce qui serait très bien si cela nous empêchait de couvrir des problèmes plus importants chez nous. Mais ce n’est pas la réalité de cette information de téléréalité.

Couvrons-la, mais gardons les pieds sur terre.

Le problème principal, c’est qu’il n’y a pas vraiment besoin de consacrer tant de moyens à cet événement, grâce aux progrès de la technologie. J’ai à peine écouté ce qu’en disait la télévision ou Internet. J’ai mon compte Twitter ; j’ai su quand le premier mineur est sorti à peu près au même moment que n’importe qui. Nous avons des journalistes chiliens – des professionnels et des citoyens – qui connaissent déjà le terrain et la région et peuvent couvrir cette information très bien. Ce n’est pas notre histoire. Peut-être que les très gros comme le New York Times devraient être là, mais est-ce nécessaire d’en envoyer d’autres ? Est-ce que chaque groupe d’information – câble ou autre- a vraiment besoin de sa propre équipe de cameramen  et de ses reporters sur le terrain pour cela ?

Allons-nous nous réunir pour aider ceux qui souffrent ?

Le public voit une histoire fantastique, et c’est très bien. Et c’est vraiment le cas. Mais du côté des médias, je vois une industrie qui court après des hits et des pages vues en gaspillant du précieux capital économique et humain. Réjouissons-nous pour les mineurs, mais n’oublions pas qu’il y a de la souffrance dans notre pays et qu’elle devrait obtenir les mêmes, si ce n’est davantage, de ressources.

Allons-nous nous réunir et aider les pauvres et les déclassés de notre pays ou est-ce que cette histoire de mineurs chiliens n’est-elle qu’une pause bienvenue dans notre habitude d’ignorer ceux qui souffrent parmi nous ? Le journalisme a son mot à dire dans la façon de répondre à cette question.

Mise à jour à 16 h 05 le 14 octobre : apparemment la critique est plus que théorique. Jetez un œil à cette information du New York Times sur les restrictions budgétaires provoquées par la couverture du Chili sur d’autres sujets à la BBC. Espérons que ces pages vues d’un jour en valaient la peine ! Merci à Carrie Brown-Smith de me l’avoir signalé.

Billet initialement publié sur le blog de Jeremy Littau

Image CC Flickr hans.gerwitz

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