OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pékin en guerre contre ses hacktivistes http://owni.fr/2012/05/14/pekin-en-guerre-contre-ses-hacktivistes/ http://owni.fr/2012/05/14/pekin-en-guerre-contre-ses-hacktivistes/#comments Mon, 14 May 2012 15:40:39 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=109721

L'Art de la guerre de Sun Tzu vu par La Demeure du Chaos (CC-by) Abode of Chaos

L’Empire du milieu, qui n’est pas le dernier dans le palmarès des records en tout genre, peut se targuer d’avoir bâtit par le biais du Great Fire Wall (pare feu par lequel transitent toutes les recherches des internautes chinois), un instrument de censure du web qui malgré ses failles, fait des prisonniers politiques, et des morts…Ces derniers mois, les mesures du parti à l’encontre du web se sont multipliées témoignant d’une propension incontestable du régime à juguler les dissidences, surtout celles qui s’organisent.

Massives

Hackers décapités

Hackers décapités

Le FBI a procédé à une vague d'arrestations de hackers proches des Anonymous. Des arrestations rendues possibles grâce au ...

En Chine, aucun mouvement de hackers organisé n’avait jusqu’à présent répondu à cette censure étatique par des actions visibles et massives. Dans un contexte politique mouvementé depuis la chute du cadre Bo Xilai et la forte médiatisation de l’affaire Chen Guancheng, les autorités chinoises se seraient bien passé d’un énième aveu de faiblesse à dompter les dissidences sur internet.

La première action du tout nouveau groupe Anonymous China remonte à début mars, après l’arrestation de membres présumés du collectif de hackers connus sous le noms de Lulzsec (avec lequel des Anonymous chinois collaboraient). Mais c’est véritablement le 5 avril, un mois après après cette riposte qu’Anonymous China a fait parler de lui. Il a piraté plus de 300 sites liés au gouvernement ainsi que de nombreux sites commerciaux et d’affaire.

Dans leur message adressé au peuple chinois sur ces pages, les hackers l’encourage à se soulever pour faire tomber le régime et à utiliser des VPN (réseaux privés virtuels) pour contourner la censure opérée en amont par le Great Fire Wall. Au lendemain de l’attaque, la plupart des sites avaient retrouvé un fonctionnement normal et la vidéo ci dessous, en Français, était postée sur la plateforme « Rézocitoyen ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans un communiqué envoyé à l’Agence france presse le jour d’après, des membres se réclamant d’Anonymous China, avaient promis de continuer les actions et de les intensifier. Depuis cette attaque de masse, diverses opérations isolées et peu médiatisées ont ainsi eu lieu. Le 27 Avril Anonymous analytics publiait ainsi un rapport de 44 pages impliquant l’entreprise multinationale productrice de tabac “Huabao” pour des activités de dumping et de détournement d’argent ayant participé à faire de son fondateur Chu Lam Yiu, un milliardaire.

Plus récemment, le 8 Mai, c’est le site de l’université de Hangzhou qui était visée et les comptes utilisateurs des administrateurs révélés. D’après une annonce de l’agence Reuters, la plupart des membres opérant dans le collectif Anonymous China ne vivent pas sur le territoire. Si l’on peut exprimer des doute quant à cette annonce, les gérants du compte twitter, eux, sont probablement à l’étranger.

La page d’accueil que l'on retrouvait sur tous les sites piratés, en anglais ou en chinois

Par ailleurs, le congrès du parti communiste Chinois qui a lieu tous les cinq ans et qui renouvelle ses membres en octobre. Le pouvoir central et les hauts cadres du parti sont donc particulièrement enclins à tout faire pour qu’aucun trouble pouvant remettre en cause leur gestion du pays ne survienne.
Depuis le dernier plénum du parti qui s’est tenu fin 2011, le renforcement des mesures de lutte contre la dissidence sur le web n’a ainsi cessé de s’accroitre au moindre prétexte. La dernière opération de répression en date, appelée « bise de printemps » témoigne d’ailleurs de la prise de conscience du pouvoir central quant au rôle clé des réseaux sociaux dans l’organisation du mécontentement. Le gouvernement n’a semble t-il aucunement envie d’être une victime collatérale des révolutions arabes.

Verrouillage

Officiellement consacré aux réformes culturelles, le plénum de la fin 2011 a été un moyen pour le pouvoir central, conscient du nombre croissant d’internautes contournant la censure, d’envisager une série de mesures contre les “rumeurs nuisibles à l’ordre social” dixit les autorités sur le web. On comprend mieux dès lors, l’organisation début novembre, d’une rencontre entre le gouvernement et une quarantaine de sociétés constituant le cœur du réseau internet Chinois. Cette réunion a très logiquement abouti à un engagement de ces entreprises qui gèrent le réseau à appliquer toutes les directives gouvernementales en matière de lutte contre les “rumeurs et les fausses informations”.

Par l’utilisation de ces termes et la collaboration active des fournisseurs d’accès, moteurs de recherche et plateformes de micro blogs (équivalents de twitter), le gouvernement cherche à augmenter ses chances de taire toute information liée à des émeutes, manifestations, troubles politiques ou diplomatiques tout en traquant les lanceurs d’alertes. Le ministère des technologies a acté cette collaboration fin février en annonçant l’obligation pour les créateurs de sites webs de révéler obligatoirement leur identité aux autorités et aux représentants de fournisseurs d’accès. Depuis, la mesure s’est étendu aux micro bloggueurs même si elle est moins contraignante. Il faut dire que les manifestations rassemblant des milliers de personnes sont monnaie courante en Chine mais sont aussitôt tuées dans l’œuf médiatiquement par la police du web.

L'art de la guerre de Sun Tzu vu par la Demeure du Chaos (CC-bysa) Abode of Chaos

L'Art de la guerre de Sun Tzu vu par La Demeure du Chaos (CC-by) Abode of Chaos

C’est aux alentours de la mi-mars, deux semaines avant l’attaque massive du groupe Anonymous China, que les prises de décisions et les incarcérations ont commencé à s’accélérer. Suite au limogeage de Bo Xilai, un des plus hauts cadre du parti, des centaines de milliers de messages se sont répandus sur les plateformes de blog. Une partie d’entre eux prédisaient un coup d’Etat à Pékin. Le pouvoir central a aussitôt procédé à des arrestations et à une censure qui a aboutit entre le 29 Mars et le 2 Avril à une interdiction des commentaires sur les deux principales plateformes de blog que sont Tencent et Sina. L’ arrestation des présumés dissidents a été facilitée par une des lois les plus régressive en matière de droits humains qu’ai entériné la Chine ces dernières années: le 16 mars, l’assemblée nationale populaire votait une nouvelle législation sur la détention.

Petit manuel du parfait cyberdissident chinois

Petit manuel du parfait cyberdissident chinois

Face au Great Firewall qui filtre le web chinois, les cyberdissidents se saisissent des outils à disposition : VPN, proxy et ...

Cette dernière, autorise le parlement à emprisonner au secret, sans chef d’accusation et pour une période maximale de 6 mois, toute personne suspectée de crimes “mettant en danger la sécurité nationale”, internautes compris…

Entre mi février et mi avril, 1000 personnes ont été arrêtées, une cinquantaine de sites internet ont été fermés, 3000 ont été rappelés à l’ordre et 210 000 messages de micro blogs ont été effacé par la cyberpolice de l’empire du milieu.

Par ailleurs, et à titre d’exemple, les cyberdissidents Chen Xi (陈西) et Chen Wei (陈卫) ont été condamnés respectivement, les 26 et 23 décembre derniers, à onze et neuf ans de prison pour “subversion”comme le révèle Reporters sans frontières

Comme le souligne cependant Séverine Arsène, spécialiste des médias et de l’internet en Chine et auteure de “Internet et politique en Chine : Les contours normatifs de la contestation“:

Le durcissement de la répression et la volonté de faire taire les dissidences sont bel et bien réels et sont en partie liés au contexte du congrès du parti en octobre et à des tensions politiques dont témoignent les arrestations qui viennent d’avoir lieu à Chongqing. Cependant on voit que cela devient de plus en plus problématique pour les autorités d’emprisonner ou de réprimer avec impunité, en dehors du droit et en dehors d’une apparence légale pour la population et pour l’étranger. Certaine des mesures prises dernièrement étaient en fait déjà appliquées auparavant mais le gouvernement légifère car c’est un moyen de légitimer la répression. Cela témoigne en quelque sorte d’un certain respect pour le “formalisme de droit” face à une dissidence sur le web que le gouvernement ne parvient plus à endiguer.

Outre une utilisation purement répressive du web, le régime use de plus en plus de la technologie internet comme d’un outil stratégique dans tous les domaines de sa politique aussi bien pour comprendre et cibler les risques de dissidences en amont que pour gérer des intérêts économiques, diplomatiques ou encore militaires. Cette pensée politique visant à s’appuyer sur les nouvelles technologies pour gouverner est en réalité issue d’une pensée bien plus ancienne et profondément ancrée dans la conception chinoise du pouvoir . Au VIe siècle avant notre ère, le stratège et néanmoins auteur Sun Zi écrivait ainsi dans son”Art de la guerre”:

Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu’elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent.


Illustrations et photos par (CC-by) Abode of chaos

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L’exemple syrien désenchante Facebook http://owni.fr/2011/05/26/lexemple-syrien-desenchante-facebook/ http://owni.fr/2011/05/26/lexemple-syrien-desenchante-facebook/#comments Thu, 26 May 2011 08:31:36 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=64418 Interrogé le 11 février sur CNN à propos de la suite des événements dans le monde arabe, Wael Ghoneim répondit, à moitié sur le mode de la plaisanterie :

Ask Facebook!

Des propos, qui avec d’autres du même type (“I always said, if you want to liberate a society, just give them the internet”, font écho à toutes sortes de commentaires euphoriques à propos des vertus libératrices des réseaux sociaux et du Web2.0. Mais après bientôt trois mois de manifestations, la situation en Syrie montre, s’il en était besoin, que les choses ne sont pas aussi simples.

A priori, le paysage numérique syrien ressemble pourtant, dans ses grands traits, à ce que l’on trouve ailleurs dans le monde arabe : 30 000 internautes en 2000 (quand Bachar el-Assad était encore le président de la Syrian Computer Society et pas encore celui du pays), 3,5 millions aujourd’hui, soit désormais un taux de pénétration d’internet de près de 16,5 % (un peu plus que celui de l’Égypte). Des organisations internationales dénoncent régulièrement le contrôle extrêmement sévère que les autorités imposent sur le Net, à l’encontre de sites de presse (plusieurs centaines de titres indisponibles, dont Al-Quds al-’arabi ou bien Elaph,) ou encore de blogueurs (condamnation de la jeune Tell Mallouhi à deux ans de prison en novembre 2010). Mais dans le même temps, on constate qu’il existe une blogosphère sans doute moins riche que celle d’Égypte mais tout de même très active, ainsi qu’une presse en ligne plutôt dynamique (voir ce billet d’un chercheur italien sur les carnets de l’Ifpo).

Ceux qui les fréquentent savent que la surveillance des cafés internet n’est pas extrêmement pointilleuse, tandis que les outils de contournement de la censure sont quasiment en vente libre sur les trottoirs des quartiers fréquentés par les geeks locaux. Indisponible depuis novembre 2007 (au prétexte qu’il pouvait être utilisé par des agents israéliens), Facebook, ainsi que d’autres médias sociaux tels que  YouTube, est redevenu accessible au début du mois de février dernier, assez singulièrement juste après les premiers appels à manifester. Dans le contexte actuel, on comprend facilement que tous les sites ne soient pas aujourd’hui très aisés à ouvrir mais, globalement, ceux qui le souhaitent vraiment peuvent surfer à peu près à leur guise.

Réunion, communication, diffusion

Dans les cas tunisien et plus encore égyptien, on a souvent souligné par rapport à la marche des événements comment Facebook avait permis aux manifestants de l’emporter sur les forces de sécurité, notamment en les prenant de vitesse par rapport aux lieux de rassemblement. Rien de tel en Syrie à ce jour, après plus de deux mois de manifestations régulières. Mais on a surtout commenté l’importance des réseaux sociaux pour la communication des informations, à la fois au sein des populations concernées et entre ces populations et le monde extérieur, notamment au sein des diasporas émigrées à l’étranger. Des dizaines et des dizaines de sites ont été ouverts en Syrie où, comme dans les autres pays touchés par les manifestations du « printemps arabe », ils servent de relais pour la diffusion de témoignages, souvent sous forme vidéo. Dans la mesure où les autorités ont fait le choix de fermer les frontières aux représentants de la presse internationale, ce sont ces images que diffusent, plus encore que dans les autres cas, les télévisions, à commencer par Al-Jazeera, objet de sévères critiques, et pas seulement des autorités syriennes.

Pour autant, et quoi qu’en pensent ceux qui estiment que la seule existence de canaux de communication suffit à renverser le cours des choses, il semble bien que la bataille de l’opinion soit toujours indécise, au moins à l’intérieur du pays. Deux mois après le début d’événements commentés par tous les médias du monde, force est de reconnaître que ceux qui contestent le régime, ou qui se contentent d’exiger une accélération des réformes, proposent une narration des faits qui n’emporte pas du moins pour l’heure, l’adhésion de toute la population. Une grande partie de celle-ci, qu’on le veuille ou non, se reconnaît dans la version que donnent les autorités, à savoir celle de manifestations, fondamentalement légitimes mais détournées de leurs véritables objectifs par des agents provocateurs manipulés de l’étranger, eux-mêmes à l’origine de la plupart des nombreuses victimes…

Cette hésitation entre deux lectures des événements, on peut l’expliquer de toutes sortes de manières, en mettant en avant des éléments propres à la situation interne du pays (à commencer par sa composition confessionnelle qui suscite chez bien des personnes la peur d’une fracture interne), ou bien en soulignant la dimension internationale de la crise (avec, comme élément déterminant, les positions de la Syrie vis-à-vis de la politique américaine, lesquelles méritent d’être défendues, quoi qu’il en coûte parfois…). Mais quelle que soit leur pertinence, ces analyses n’apportent pas vraiment de réponse à ceux qui s’étonnent de ne pas constater, dans le cas syrien, le pouvoir intrinsèquement « libérateur » des réseaux sociaux en général et de Facebook en particulier. Même si elles sont loin d’être abouties, les remarques qui suivent se proposent d’apporter des éléments de réflexion.

Dans le contexte propre à la Syrie, avec en particulier le strict contrôle de l’information décidé par un régime qui ne fait pas confiance aux médias internationaux, il apparaît que les réseaux sociaux de type Facebook ne suffisent pas à eux seuls à donner « plus de poids » à un récit plus qu’à un autre. Depuis leurs premières apparitions dans la rue, les manifestants arrivent bien à produire des images, et même à les faire circuler via les médias sociaux de type Facebook ou YouTube, y compris à grande échelle dès lors qu’elles sont reprises par les chaînes télévisées (lesquelles, en Syrie comme ailleurs, demeurent la source d’information de la grande masse du public). Néanmoins, le message véhiculé est loin d’emporter la conviction de tous ceux qui les regardent. Une des explications possibles est que, dans une telle situation de crise, les voix qui s’expriment en dehors de la narration officielle sont celles de militants, et non pas de « journalistes citoyens » comme il y a pu en avoir au Caire par exemple durant toutes les années qui ont préparé la chute du régime.

Dès lors qu’ont été constatées (et le cas s’est présenté plus d’une fois) des exagérations et même des manipulations, la foule des indécis qui peuvent faire basculer l’opinion d’un côté ou de l’autre s’est trouvée confortée dans ses hésitations, en considérant qu’il s’agissait dans un cas comme dans l’autre de discours de propagande. Mais surtout, le changement de support des documents, qui migrent des écrans des ordinateurs pour occuper ceux des téléviseurs, modifie profondément leur lecture : dès lors qu’ils sont intégrés à la rhétorique du discours journalistique, qui (sur)impose ses commentaires, sa mise en récit conforme aux standards du genre, on peut faire l’hypothèses que ces témoignages perdent, au moins pour une partie des spectateurs, de leur crédibilité ; ils sont à nouveau noyés dans une nappe de discours que le public a appris à interpréter et qui n’a plus grand chose à voir de toute manière avec la relation toute particulière de l’utilisateur des médias sociaux découvrant ce que lui propose son cercle de proches connaissances.

Récits contradictoires et partiels

Sur le strict plan de l’information, l’arrivée des médias sociaux sur la scène locale n’est donc guère déterminante, en tout cas pour l’étape actuelle. Indubitablement, ces nouveaux médias ont permis que des faits, qui ne l’auraient pas été autrement, soient connus du public syrien. Néanmoins, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, ces récits trop contradictoires, trop partiels, ne parviennent pas à donner une lecture des faits qui emporte l’adhésion de l’opinion. Au contraire, on peut même considérer que la  juxtaposition, au sein des réseaux sociaux, de points de vue totalement opposés et présentés sans la moindre hiérarchie ni autorité selon le principe des groupes de type Facebook ou autre, rend encore plus difficile pour les sujets  d’opter pour ce qu’on peut appeler, à la suite de Michel Foucault, un « régime de vérité », c’est-à-dire le choix d’un système de discours qui fait autorité. S’il est vrai que la constitution d’un réseautage naturel, de pair à pair, contribue en théorie à redonner de la lisibilité et de la crédibilité aux données mises en circulation, ne serait-ce que par l’importance numérique prise par tel ou tel groupe, c’est apparemment moins vrai dans le contexte syrien.

Alors qu’étaient lancés les premiers appels à manifester, on a pu constater que nombre de groupes Facebook, d’un côté comme de l’autre,  n’avaient pas une croissance parfaitement « naturelle », pour différentes raisons parmi lesquelles figure vraisemblablement, dans les deux camps, l’utilisation des techniques de l’infowar avec par exemple la manipulation des profils (enquête sur les méthodes de l’armée américaine dans The Gardian). Les réseaux sociaux, comme le rappelle cet article sur le site middle-east online, peuvent se révéler une arme à double tranchant, maniée aussi bien par les opposants que par les autorités en place. La Syrie n’y echappe pas, avec d’âpres batailles sur le net (et dans les commentaires des médias influents de la région) entre militants des deux camps (article en arabe dans Al-Akhbar).

Reste le dernier aspect du rôle libérateur que peuvent jouer les réseaux sociaux, à savoir la manière dont ils contribuent à la constitution d’une « sphère publique de substitution » au sein de laquelle se construit une société civile suffisamment forte pour modifier de manière déterminante les conditions d’exercice du jeu politique. Par rapport à cette manière d’aborder la question, une conception plus « environnementale » qu’« instrumentale » des nouvelles technologies de l’information et de la communication table sur des transformations plus lentes de la société au sein de laquelle se crée, à travers les réseaux sociaux, un tissu relationnel à partir duquel des changements politiques deviennent possibles.

La Syrie entre-t-elle dans ce type d’analyse ? La réponse viendra du dénouement qui sera donné à la crise que le pays traverse aujourd’hui avec, soit le maintien de la situation actuelle, soit l’accélération des réformes annoncées par le président Bachar El-Assad à son arrivée au pouvoir il y a une décennie, ou bien encore toute autre solution dont décidera l’Histoire.


Article initialement publié sur Culture et politique arabes sous le titre : “Les limites du miracle Facebook : l’exemple syrien”

Crédits photo FlickR by-nc-sa Delayed gratification / by-nc-sa fabuleuxfab / by-nc sharnik

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Petit manuel du parfait cyberdissident chinois http://owni.fr/2011/05/21/petit-manuel-du-parfait-cyberdissident-chinois-censure-vpn-firewall/ http://owni.fr/2011/05/21/petit-manuel-du-parfait-cyberdissident-chinois-censure-vpn-firewall/#comments Sat, 21 May 2011 13:14:04 +0000 Lucie Romano http://owni.fr/?p=63624 Tant qu’on n’a pas été dans un Etat ennemi d’Internet, on ne mesure pas ce que c’est. La censure exercée par le régime chinois sur la Toile est la plus intense qui soit au monde, et elle se vérifie très vite. Une fois en Chine, essayez donc de taper ‘Falun gong’ dans le moteur de recherche ‘Google’ par exemple. Vous arriverez sur une page blanche.

Sur les 477 millions de Chinois qui surfent sur Internet (soit plus d’un tiers de la population chinoise) selon les derniers chiffres communiqués par le ministère de l’Industrie et des technologies de l’information cité par l’agence Chine Nouvelle, combien contournent le ‘Great Firewall’, la Grande Muraille électronique mise en place par les autorités ? Impossible de le savoir. Ce qui est sûr c’est que les pourfendeurs de la censure n’ont d’autre choix que de mettre les mains dans le cambouis informatique.

Acte un du cyberdissident : 翻墙 (contourner le mur)

Et voilà comment ils procèdent. Mission numéro : trouver un proxy ou un VPN, deux technologies qui permettent d’utiliser anonymement Internet, en masquant l’adresse IP (le code barre) de son ordinateur. Cela empêche au fournisseur d’accès Internet de pouvoir l’identifier lorsqu’on se connecte sur la Toile. Depuis le 29 avril 2010, un amendement à la loi sur les secrets d’Etat impose aux entreprises du secteur d’internet et des télécommunications de collaborer avec les autorités et donc théoriquement de communiquer les fautifs. Certains n’ont pas attendu l’amendement. En 2005, Yahoo a été accusé d’avoir livré aux autorités chinoises des données qui ont permis d’identifier un dissident, Shi Tao. Il est aujourd’hui emprisonné pour 10 ans, condamné pour avoir publié des secrets d’État.

Tous les moteurs de recherche, pour pouvoir s’implanter en Chine ont accepté la censure imposée par le gouvernement chinois. Cas particulier, Google. Après l’attaque de comptes Gmail de militants par les autorités chinoises, a préféré se retirer du jeu en janvier de l’année dernière. Sans aller trop loin tout de même : il s’est établi à Hong Kong.

Proxy et VPN

Un serveur proxy, c’est un ordinateur qui joue le rôle d’intermédiaire entre l’utilisateur et Internet. Il est souvent basé à l’étranger et a un libre accès au net. Sa mission : récupérer le contenu demandé et le transmettre. Il contourne donc les pare-feu. Adieux le filtrage d’URL et les mots-clés tabous, le logiciel libre vous permet de protéger vos informations personnelles. Cela demande tout de même d’aller modifier les paramètres de son navigateur.

Plus simple : le système de contournement en ligne. Vous changez régulièrement et de manière automatique de proxy et donc d’adresse IP. Les limites : les proxies accessibles directement sur le web et souvent gratuits ne préservent pas l’anonymat, ils masquent seulement les informations. Les autorités les connaissent et parviennent à en compliquer l’accès.

Le deuxième moyen technologique très utile au cyberdissident, c’est le VPN, le ‘Virtual Private Network’. Une technologie qui utilise des moyens de chiffrement sophistiqués pour empêcher toute interception malveillante de la connexion internet. Hotpsot par exemple fait ça très bien.

Parmi les autres petites merveilles de technologie développées par des sociétés ou des activistes pour permettre la circulation d’informations libres, il y a aussi le projet Tor, un logiciel libre de routeurs qui rend anonymes les informations. Il a reçu le prix du projet d’intérêt social par la Free Software Foundation (FSF) pour ses coups de pouce aux net-citoyens arabes et à la révolution verte iranienne.

Autres serveurs proxies très appréciés en Chine : Freegate ou Ultrareach. Ils sont régulièrement attaqués par les autorités. A chaque fois que cela se produit, les développeurs mettent rapidement à disposition des internautes ne version actualisée du logiciel.

La censure est donc à nouveau contournée, avant que la cyberpolice chinoise ne trouve la parade.

Les coups de pouce pour devenir cyberdissident

Reporters sans frontières a publié en plusieurs langues un guide du cyberdissident, avec des explications très pratiques. Il est régulièrement mis à jour. (dernière MàJ en 2006).

Les internautes peuvent aussi compter sur des outils qui offrent un guidage en ligne, Sesawe.net notamment, là encore gratuit.

Importante source d’infos pour les Chinois : les blogs, les sites sur lesquels des cyberdissidents aguerris répandent la bonne parole et expliquent les manipulations à effectuer, comme vous pourrez en trouver ici et .

Passons à la pratique.

J’ai testé pour vous en Chine l’une de ces méthodes de contournement du Great FireWall vous allez sur le site internet Taobao.com, une caverne d’Ali Baba du Net. Là, vous achetez en ligne le logiciel Ssh. Ensuite, vous téléchargez Firefox et une application qui vous permet de vous connecter via un serveur proxy étranger, Autoproxy par exemple.

Après, il y a tout un tas de codes à rentrer. Dans mon cas c’était : ssh –D 7070 2y59112154@ssh2.xiaod.in puis qtwli. Vous pouvez être soulagé quand ‘Welcome’ apparaît dans une fenêtre violette. Cela veut dire que vous pouvez aller taper sur Firefox tout ce qui vous fait envie. Ne soyez pas trop gourmand quand même. Vous ne pourrez vous rendre que sur la liste des sites autorisés par Ssh, ça comprend par exemple Facebook, mais il n’est pas rare que ce site et d’autres soient inaccessibles.

Alors, compliqué de contourner le GFW en Chine ? Pas tant que ça, et d’ailleurs, ce système D est répandu, comme dans tous les pays où l’accès à l’information et au web est limité.

C’est bien beau de savoir techniquement contourner la censure mais il faut mesurer le danger.

Nombreux sont les Chinois qui ne contournent pas la Grande Muraille électronique. Beaucoup ignorent jusqu’à son existence. Il faut dire que le régime se donne du mal pour brider la Toile, et plus le temps passe, plus il parvient à faire en sorte que cela ne se voit pas directement.

Les cercles de surveillance de la Toile chinoise sont multiples. Entre 30 000 et 40 000 cyberpoliciers et modérateurs traquent et ‘harmonisent’ la Toile, c’est-à-dire qu’ils retirent les messages dérangeants. Les sites de micro-blogging ont aussi depuis août 2010 un ‘commissaire d’autodiscipline’ chargé de la censure. Les entreprises doivent s’autoréguler : entre collègues, il faut se surveiller et se dénoncer. A cela s’ajoute le parti des ‘fifty cents’, les personnes payées cinquante centimes dès qu’elles postent un commentaire valorisant le régime.

Les listes de lois restrictives ont fait florès en 2010, après l’attribution du Nobel à Liu Xiaobo. Puis les autorités ont encore serré la vis après les révoltes populaires à Tunis, au Caire et à Tripoli. Les mots-clés interdits ‘Egypte’, ‘démocratie’ ou encore ‘jasmin’ sont apparus. Les plateformes de microblogging ont été fermées un temps, puis surveillées de très près. Trois internautes ont été invités à “boire le thé”, c’est-à-dire qu’ils ont été convoqués au poste de police pour avoir relayé sur Internet des appels à la révolution. Avant d’être inculpés d’’incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat’. 80 netdissidents croupissent en ce moment derrière des barreaux en Chine (derniers chiffres Reporters Sans Frontières).

Le plus étrange c’est que d’un côté, la répression est de plus en plus féroce, mais que d’un autre côté, de nombreux internautes ont une illusion de liberté. Car rusé, le régime laisse exister des plateformes du web participatif. Mais n’oublie pas de les surveiller de très près. Eric Sautedé, spécialiste du développement d’Internet en chine et professeur à l’université Saint-Joseph de Macau, confirme :

Le gouvernement chinois utilise aujourd’hui les ressources « consultatives » et « participatives » de ces technologies au profit d’un mode de gouvernance qui permet de faire l’impasse sur une réforme politique.((Voir son article ‘Internet, société civile et politique en Chine : Société Civile et Internet en Chine et Asie Orientale’, paru dans Hermès, 2009))

Pour jouer au chat et à la souris, rien ne vaut un bon jeu de mots

Pas forcément besoin de contourner le Great FireWall pour critiquer le régime. Certains blogueurs font preuve d’une imagination débridée, trouvent les ressources pour dire ce qu’ils ont à dire au sein même des espaces consentis par le gouvernement. Han Han par exemple n’hésite pas à envoyer des messages vides pour afficher son désaccord sur des sujets politiques.

La règle, c’est le détournement par l’humour. Le mandarin s’y prête, avec ses doubles sens qui échappent à la censure.

Ainsi un jeune créateur de vidéos d’animation a-t-il créé une satire grinçante. Pour célébrer le passage de l’année du Tigre à celle du Lapin, il a mis en scène les deux animaux, en rejouant à travers eux tous les scandales de l’année précédente : celui du lait frelaté, celui des expropriations forcées… A la fin, les lapins malmenés tiennent leur revanche : ” L’année du Lapin est arrivée. Même les lapins mordent quand on les pousse trop ! ” conclut le dessin animé.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La vidéo a été très vite interdite mais a malgré tout continué à circuler sur la Toile.

En février 2010, c’est la figure du lézard Yakexi qui a fait rire les internautes : la créature était née suite au show de la télévision centrale chinoise CCTV. Une performance de chanteurs Ouighours ventant les mérites de la politique du parti. Une partie des téléspectateurs n’y a pas cru une seule seconde. Et pour cause : de violentes émeutes avaient éclaté en juillet 2009 au Xinjiang, faisant près de 200 morts.

Les blagues sur le net pour montrer qu’on n’est pas dupes concernent de plus en plus le local. Les internautes dénoncent la corruption des officiels. L’affaire Li Gang en est un bon exemple. Le 16 octobre dernier, un jeune homme soûl conduit trop vite dans un campus, renverse et tue une jeune femme. Il ne s’arrête pas et lance “Essayez donc de me poursuivre si vous voulez, mon père c’est Li Gang”. Des utilisateurs de forums se passent le mot et finissent par retrouver qui est ce Li Gang. Il est le sous-chef de la police d’un district de la ville. L’affaire fait le tour de la blogosphère. La phrase ‘Mon père s’appelle Li Gang’ grimpe dans les moteurs de recherche et les weibo, les plateformes de microblogs.

Finalement, les autorités n’ont d’autre choix que d’arrêter le coupable et les médias officiels sont obligés d’évoquer l’affaire. Selon Lucie Morillon, de Reporters sans frontières:

L’impunité des notables locaux entraine de plus en plus de blogueurs à prendre le chemin de la dissidence, à se politiser.

Certains de ceux qui contournaient le GFW pour visionner des sketchs sur Youtube deviennent progressivement ceux qui prennent les armes du net pour clamer leur colère, et qui parviennent à faire trembler le pouvoir.

Photo FlickR CC Jason Pearce ; Joaquim Lopez Pereira ; Ninja M ; SnaPsi Сталкер.

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