OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Collégien suréquipé édition limitée http://owni.fr/2012/10/10/collegien-surequipe-edition-limitee-ordival/ http://owni.fr/2012/10/10/collegien-surequipe-edition-limitee-ordival/#comments Wed, 10 Oct 2012 06:30:30 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=121932

Le Conseil général du Val-de-Marne a chouchouté ses élèves de sixième cette année en leur offrant à leur entrée au collège un ordinateur portable. Un netbook d’un peu plus d’un kilo pour les accompagner tout au long de leur scolarité de collégien. Et peu importe qu’ils en possèdent déjà un. Dans le texte, l’intention est au premier abord plutôt sensée :

Une action destinée à favoriser le développement des usages des Technologies de l’information, de la communication et de l’éducation. En quatre ans, les 50 000 collégiens du Val-de-Marne seront ainsi tous équipés !

Liberté, égalité, tous connectés : louable certes.

Avec l’intention de “favoriser l’autonomie, l’émancipation et la liberté d’information des élèves”, ce partenariat avec l’Éducation nationale pèse avant tout la bagatelle de 25 millions d’euros sur quatre ans de dispositif. En plus des 13 millions d’euros déjà budgétés dans le cadre de l’équipement informatique des collèges. L’objet (1,3 kilo) possède une session élève et une session parent, une clef USB et un système antivol qui rend l’ordinateur inutilisable dès qu’il est déclaré volé. Pour accompagner les parents, une hotline au “prix d’un appel local”. Le véritable kit pour pousser les parents à mettre le nez dans l’Internet et les nouvelles technologies. Quant aux enseignants, équipés eux aussi, ils pourront – en théorie – recevoir une formation dispensée par l’Education nationale.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La vidéo de présentation d’Ordival – le petit nom du programme d’offre de ces ordinateurs – à destination des enfants le dit clairement : 205 tableaux numériques installés dans les collèges du département, toutes les classes de tous les collèges reliés à Internet d’ici fin 2013, 40 logiciels installés sur chaque ordinateur, un contrôle parental et une protection antivol sur toutes les “machines”. Et à destination des parents et de la presse, le discours est le même, petit moment M6 Boutique en bonus en début de vidéo. Sur les 13 300, Patrick Hervy, l’un des responsables du programme au Conseil général précise que “6 à 7 000 ordinateurs ont été pour le moment distribués. D’une valeur de 340 euros pour les collégiens et 540 pour les enseignants.”

Mais en ont-ils vraiment TOUS besoin ?

Pour Patrick Hervy, l’équipement de tous les collégiens, indépendamment de leurs conditions sociales était indispensable :

Nous souhaitons niveler du bas vers le haut. Les mêmes équipements pour tout le monde. Si l’on prend l’exemple de Saint-Maur [commune aisée du département, ndlr], les familles sont peut-être déjà équipées mais l’ordinateur n’est pas nécessairement destiné à être un outil de travail. Ils contiennent en outre une médiathèque qui n’est pas installable sur un ordinateur lambda. C’est un principe d’égalité d’école républicaine qui prévaut.

Peu importe que l’enfant en possède déjà un et que la famille soit assez aisée. L’essentiel étant qu’il puisse l’emmener au collège si et quand le prof le demande. “Aucun établissement n’a décidé de faire en sorte qu’il y ait 30 gamins devant leur ordi 8 heures par jour !” explique Patrick Hervy.

M. François, adjoint du principal du collège de Valenton est enthousiaste :

La distribution a eu lieu ce samedi et la réception a été plutôt bonne. Les professeurs vont travailler avec les élèves sur ordinateur et ça va améliorer la pédagogie. On leur a dit qu’ils avaient de la chance d’en avoir un chacun.

Le collège – classé en ZEP – étant expérimental possède déjà des tableaux numériques interactifs dans chaque salle de classe.

Moins d’enthousiasme dans un autre collège du département. Une principale, qui a préféré rester anonyme explique que l’initiative du Conseil général est très bonne mais qu’elle implique beaucoup de choses. “C’est un gros budget, mais la technologie pourra être très vite dépassée. En cas de pépin, perte ou vol c’est le collège qui va gérer.”, explique-t-elle.

La question de la distribution à tous se pose aussi pour la principale :

Est-ce que ça se justifie ?

Questions techniques et questions de pratiques

Côté technique, l’Ordival est sous Windows 7 avec la possibilité d’acheter les licences des logiciels propriétaires. Mais sont installés des logiciels libres pour les outils de base. À la question de l’autonomie, Patrick Hervy répond que “les ordinateurs ne sont pas fait pour rester allumés pendant 8 heures de cours et que la batterie [neuve] a une autonomie de 7 heures”. Visiblement, nul besoin d’équiper les classes en multiprises. La première année en tout cas.

À un parent qui a posé la question lors d’une distribution dans un collège, l’un des techniciens présent a répondu que “s’il était chargé tout le temps sur secteur, il ne tiendra[it] pas un an”. Difficile de mesurer de quelle façon les collégiens s’en serviront, d’autant que “l’astuce technique” n’est précisée nulle part. À nouveau matériel, nouvel usage technique à acquérir.

La principale d’un collège d’une commune aisée précise :

Les enseignants sont plus ou moins réticent déjà. Ensuite, nous n’avons pas de prises dans les salles, [pas assez pour brancher plus de deux ordinateurs, ndlr], comment faire quand certains auront oublié de charger leur ordinateur la veille ? Même question s’ils oublient leur ordinateur tout court ?

Pour cette principale, la réussite de l’opération va aussi passer par “la motivation des enseignants”. Que répondre à un professeur qui lui explique “qu’il préfère sa plume et son papier, même si on est pas au XIXème siècle” ?

Et ailleurs ?

L’initiative n’est pas nouvelle mais elle est la plus coûteuse – pour des raisons de déploiement et de proportion notamment. En septembre 2010, le Conseil général des Hauts de Seine avait pourvu chacun de ses collèges de deux iPad. Montant de l’opération : 133 collèges avec 2 iPad = 185 000 euros pour l’un des départements les plus riches de France.

Dans les colonnes de Libération à l’époque, Antoine Tresgots, délégué national du syndicat des enseignants de l’Unsa déclarait :

Quand la collectivité décide de balancer du matériel sans aucun lien avec les demandes des enseignants, ça n’a aucun sens. C’est une magnifique opération de communication.

Même type d’opération mais de plus grande envergure cette fois – de l’ordre de celle du Val-de-Marne, collectivité territoriale différente -, la distribution d’ordinateurs portables par la région Languedoc-Roussillon à ses 32 000 élèves de seconde à la rentrée 2011. Budget alloué : 15 millions d’euros sur trois ans. Le programme LoRdi a récemment été au centre d’une polémique au sein de la région puisque 12 ordinateurs avaient été retrouvés en vente sur “Le Bon Coin” et autres sites de vente d’occasion en ligne.

Motifs invoqués par les lycéens vendeurs ? Besoin d’argent et inutilité de l’objet. Un adolescent interrogé par le Midi Libre explique surtout que :

On ne peut quasiment pas s’en servir au lycée et il y a même certains profs qui y sont allergiques. Enfin, la plupart d’entre nous en avaient déjà un avant, bien meilleur.

Tandis qu’une autre lycéenne (vendeuse) précise que l’ordinateur leur a été distribué “sans [leur] demander [leur] avis, sans explication, comme on [leur] sert des frites à la cantine :

À aucun moment un prof nous a demandé de l’utiliser. Je ne vois pas pourquoi je ne le vendrais pas. Il m’encombre.


Photo par Kalexanderson [CC-by-nc-sa] remix O.Noor pour Owni

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Interro surprise sur vos portables http://owni.fr/2012/02/14/education-interro-surprise-sur-vos-portables/ http://owni.fr/2012/02/14/education-interro-surprise-sur-vos-portables/#comments Tue, 14 Feb 2012 17:44:41 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=97830

L’école se “technologise”. Les TIC (technologies de l’Information et de la Communication) sont partout, leurs avancées abondamment relayées dans les médias –et abondamment commentées par les internautes.
Or les commentaires, souvent négatifs, des lecteurs (et parfois même des éducateurs) dénotent une vaste incompréhension des enjeux éducatifs des nouvelles technologies.

Le problème réside sans doute et avant tout dans le terme “TIC”, un collectif  proche de l’Inventaire à la Prévert :

Ordinateur  ou Tableau Blanc Interactif (TBI) ? TBI ou tablette numérique ? Ordinateur ou téléphone portable ?

Ainsi énoncés pêle-mêle, la spécificité pédagogique de chacun de ces outils technologiques est occultée. C’est pourtant là que se joue leur pertinence éducative.
Si, comme l’a dit Marshall Mcluhan, “le médium est le message“, quels messages pédagogiques véhicule le choix d’un médium plutôt que d’un autre ?

Individuel ou centralisé ?

Ce qui sépare le tableau blanc interactif des autres outils (ordinateur, tablette ou téléphone), c’est l’individualisation.

Une pédagogie qui s’appuie sur le Tableau Blanc Interactif tend à être centrée sur la tâche : cela convient à la résolution (plus ou moins standard) d’exercices, à l’enseignement frontal (l’enseignant expose une connaissance, un concept, face à la classe). La pédagogie mise en œuvre via le TBI reste une pédagogie “classique”.  Le médium change, le message reste le même.
Par contraste, les autres technologies, de par leur caractère individuel, mettent l’accent sur une pédagogie centrée sur l’élève : il ou elle crée, recherche, et au besoin synthétise ; expose ; diffuse ; partage.

Sédentaire ou nomade ?

A l’opposé de la technologie sédentaire du type TBI ou ordinateur fixe (et à plus forte raison “la salle d’ordinateurs”), les appareils nomades tels les tablettes numériques, MP3, appareils photo digitaux et autres, permettent d’expérimenter dans le monde extérieur et d’ancrer les apprentissages scolaires dans d’autres lieux que celui de la classe. Un exemple pris parmi d’autres : dans le projet Les arbres de mon parc, les élèves se sont servis de GPS et d’appareils numériques synchronisés entre eux pour créer et annoter une carte Google de leur parc ; ils y décrivent la flore de façon détaillée.

Cet exercice était à l’origine un travail de français ; ainsi traité avec les outils numériques, il devient un projet qui induit la maîtrise de plusieurs technologies mobiles et applications. La littératie médiatique s’incarne.

Matériel scolaire ou  appareils numériques personnels ?

C’est une des tendances majeures qui se dessinent  pour 2012 : BYOD (Bring Your Own Devices), ou AVAN (Apportez Vos Appareils Numériques,  traduction opportune et positive de Jean-Marie Gilliot ) tire parti de tous les appareils numériques des élèves en mettant à profit leur apport éducatif dans la classe. Les avantages sont divers, depuis le coût zéro pour l’école jusqu’à la familiarité de l’apprenant/e avec cette technologie ; la prise en main de l’appareil est instantanée : pas besoin d’apprendre à utiliser son MP3, son téléphone portable, sa tablette numérique… Par contre, l’utiliser dans le cadre de la classe permettra à l’apprenant(e) de découvrir de nouvelles façons d’acquérir des connaissances via des appareils numériques déjà en sa possession.

Les enseignants qui franchissent le pas et vont de l’AVAN(t) contribuent à recadrer le débat des appareils personnels à l’école : plutôt que de les combattre parce qu’ils (perturbent le cours / pourraient être la source d’intimidation entre élèves / permettent de filmer le prof à son insu / etc.), ils font confiance  à l’élève et valorisent un outil que celui-ci aime – dans un contexte éducatif.

Certes les différences de moyens entre élèves se feront sentir, mais plutôt que de tirer un trait sur cette immense ressource par souci égalitaire, soucions-nous d’équité et voyons comment aider les plus démunis à s’équiper –comme cela se fait pour les livres et fournitures scolaires.

Au delà du hardware : le software

Tout comme le choix d’une technologie, celui d’une application vient avec sa dimension idéologique. Quel type d’apprentissage l’enseignant souhaite-il mettre en œuvre dans sa classe ?

Il existe de plus en plus de matériel didactique fait sur-mesure pour les écoles. Cours en ligne , tutoriels, jeux sérieux, ces applications répondent à des contenus scolaires précis.

Il existe également  de nombreux logiciels, applications, ou sites non spécifiques à l’éducation, mais qui peuvent être mis à profit par l’école. Par exemple, le très populaire jeu Minecraft (sorte de Légos virtuels) est à présent exploité en milieu scolaire, au point que deux enseignants en ont créé une version (“mod”) éducative. En mode créatif, ce monde virtuel est également exploité comme laboratoire d’expérimentation de physique ou électriques (réalisation de circuits avec le “red stone”). Le jeu Sims ou le monde virtuel Second Life sont aussi activement exploités par certains éducateurs.

Là encore, l’énorme avantage pour l’école est, comme pour la posture AVAN, que le coût financier de l’exploitation de ces environnements est quasi nul ; et que les jeunes connaissent vraisemblablement ces jeux, ce qui facilitera et accélèrera leur prise en main dans un contexte éducatif. Il est à noter que certains jeux sérieux exploitent intelligemment cela en répliquant les environnements de jeux connus pour habiller du contenu scolaire ; témoin ce Baroque Baroque Revolution qui vous fait découvrir la musique baroque selon le modèle de Guitar Hero, et vous la fait même  danser à la manière de Dance Dance Revolution.

Quid des médias sociaux ?

En plus des jeux, l’enseignant dispose  de l’immense panoplie des médias sociaux et plateformes 2.0 telles Twitter, Facebook, Google Docs et Maps, Diigo, Pearltree, …-pour peu que les se(r)vices techniques de son école lui en permettent l’accès.

Car scolairement comme médiatiquement parlant, nous sommes là en terrain miné : le fait d’utiliser les médias sociaux en classe est immanquablement sujet à controverse ; pensée indigente pour les 140 caractères de Twitter, démagogie pour Facebook, et bien sûr risque immanent de contenus et comportements inappropriés en ligne -les poncifs ne manquent pas. Pourtant chaque média social mériterait qu’on s’y arrête -et c’est ce que font les enseignants innovants :  ils/elles considèrent les spécificités de l’environnement qu’il met à la disposition des apprenant(e)s, et sélectionne celui (ou ceux) qui leur permet de servir au mieux les concepts à transmettre.

Tous les médias sociaux ont un point commun, qui est également  leur immense avantage par rapport à des contenus spécifiquement scolaires : ils permettent à l’apprenant de construire son réseau personnel d’apprentissage -et, ce faisant, sa présence en ligne- le tout dans un environnement qui dépasse les limites de la classe ou de l’école.

Il faut du temps pour bâtir un réseau. Il faut du temps pour accumuler du capital social -monnaie d’échange du réseau- et maîtriser les interactions qui génèrent ce capital : elles sont fondées sur le don (d’informations, de liens, d’idées, …) et la réciprocité. Gagner des “followers” sur Twitter, des amis sur Facebook, des lecteurs sur son blog, des contributeurs sur son Wiki préféré, est un processus qui nécessite à la fois du temps et des compétences sociales.

Pourquoi bâtir ce réseau  ?

Parce que c’est sur cette voie que s’engagent de plus en plus de professionnels. Mais aussi parce que le capital social permet aux élèves issus des milieux socioéconomiques défavorisés de surmonter les difficultés inhérentes à leur origine [PDF]. Une école qui permet à des jeunes de tous horizons de développer leur capital social est une école de la mobilité sociale.

Sous couvercle lisse d’un acronyme commun, les TIC représentent des réalités pédagogiques bien différentes. Choisir quel outil correspond le mieux, à la fois au contenu qu’on veut transmettre, et à sa philosophie éducative personnelle, est le principal défi pour l’enseignant/e, un défi parfois écrasant. Ceci est sans doute une des causes de la crise actuelle du métier d’enseignant.  C’est également ce qui en fait un métier passionnant car en pleine réinvention : tirer profit de la diversité des outils technologiques pour questionner et guider ses pratiques pédagogiques est  la meilleure façon de faire naître l’école de demain.


Photos tirées de l’album Schools de Ubiquity_zh (CC-by-nc) via Flickr

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L’éducation, clef de la désintox aux nouvelles technos? http://owni.fr/2011/06/14/leducation-clef-de-la-desintox-aux-nouvelles-technos/ http://owni.fr/2011/06/14/leducation-clef-de-la-desintox-aux-nouvelles-technos/#comments Tue, 14 Jun 2011 12:26:20 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=67384 Depuis quelques années, on voit apparaître des expériences de “sevrage numérique temporaire“. Très récemment, plusieurs initiatives sont allées dans ce sens dans le monde scolaire et ont fait débat. En parallèle et au même moment sont publiés des avis qui invitent le monde scolaire à faire encore plus pour les technologies. Ainsi l’initiative de l’association Pasc@line ou encore celle de l’UNESCO s’inscrivent-elles dans ce projet, comme bien d’autres précédentes.

L’impression première qui se dégage de la simultanéité de ces actions est qu’un front semble se créer entre deux conceptions, l’une allant vers la rupture avec les technologies, l’autre allant dans le sens inverse. Mais si l’on regarde sur le fond, les deux initiatives vont bien dans le même sens : d’une part elles promeuvent les technologies numériques, d’autre part elles insistent sur l’éducation des jeunes et la formation des adultes.

Sur un plan philosophique on observe cependant l’émergence d’un paradoxe nouveau, bien que pas aussi récent qu’il n’y paraît : les inventions humaines sont devenues tellement complexes qu’elles génèrent des effets multiples sur la société et que seule une organisation sociale de l’éducation et de la formation peut permettre à l’humain ordinaire de s’en saisir. Autrement dit l’acte d’éduquer n’est plus maîtrisé par l’humain, il ne peut plus se faire que par un complément externe, apporté par la société.

Se déconnecter des écrans ?

L’exemple des expériences de “sevrage numérique temporaire” illustre bien cela. Dans une société qui promeut les écrans dans toutes les composantes de l’activité humaine, on observe l’émergence d’individus de plus en plus nombreux qui voient leur vie “transformée”, réorganisée par les écrans de toutes tailles. L’observation des comportements d’usage des téléphones portables, smartphones et autres écrans personnels met bien en évidence ces comportements.

La promotion récente d’actions d’une semaine ou plus de “vie sans ces machines” jusque dans les écoles confirme bien la prise de conscience d’une certaine incapacité humaine à tenir à distance des pratiques et leurs outils connexes. Comme si l’organisation sociale actuelle tentait d’imposer à chacun l’omniprésence des écrans, aussi bien par la publicité et la mode que, plus subtilement, par l’organisation du travail et de la vie sociale. En d’autres termes, au delà de la séduction, c’est l’organisation de la vie quotidienne qui se transforme par l’intégration de ces outils dans les activités.

Les expériences de sevrage numérique sont d’abord des opérations de communication et séduction. Utilisant les mêmes procédés médiatiques elles agitent volontairement l’idée de mise à distance pour faire prendre conscience de la présence. En soi cela peut sembler une bonne chose. Mais la difficulté est de passer de la séduction de l’idée à l’appropriation de l’idée. Les expériences de ce type s’emparent surtout des réactions à chaud des participants mais ne proposent que rarement voire jamais une analyse en profondeur.

Les initiatives de formation des adultes et des jeunes tentent d’aller dans un autre sens et d’intégrer cette mise à distance au sein même des pratiques de ces outils. Le B2i en a été, dès 2000 la meilleure illustration. D’une part la volonté affirmée d’enseigner et d’éduquer venue des autorités. Mais d’autre part la résistance à cette approche par des adultes en charge d’enseigner.

C’est de ce type d’échec que naissent les initiatives de “sevrage numérique”. Aucune des deux solutions proposées ne parvient à ses fins. Certes la deuxième solution bénéficie, pour l’instant, de la force des pouvoirs publics, mais la lenteur de sa mise en oeuvre laisse sceptique et range certaines de ces initiatives dans la même catégorie que les autres : opération de communication et de séduction comme on le voit avec les conférences scolaires sur les dangers d’Internet qui ravissent les adultes, mais n’apportent que peu d’évolution dans les comportements, et surtout pas ceux des adultes eux-mêmes.

Un monde adulte perturbé face aux technologies

Beaucoup diront, ce n’est pas moi, c’est l’autre. Réaction habituelle dans ce cas, chacun se voulant reconnu comme résistant à la séduction des technologies. C’est un peu comme ces pratiques personnelles cachées de la télévision ou d’Internet dont on ne parle jamais et qui permettent d’avoir une apparence distancée quand on en parle en public. On rencontre ces attitudes aussi dans le monde enseignant.

Ce sont pourtant les jeunes adolescents qui nous rappellent souvent à l’ordre. La régulation de consommation d’écran qui apparaît entre 13 et 20 ans montre qu’ils savent eux-mêmes réguler les choses, si tant est que le contexte le leur autorise. Ce sont d’abord eux qui nous ont appris que l’on pouvait choisir ses activités et ne pas subir les effets de l’environnement. Pourquoi ? Parce que la force de l’adolescence est de chercher à donner sens au monde indépendamment de celui prescrit par les adultes. Du coup les comportements extrêmes et les comportements moyens doivent être entendus comme autant de signes de ce sens en train de se construire. Michel Serres a bien saisi cela dans son récent discours à l’Institut. Car les adultes passent souvent à coté…

Les opérations de “sevrage numérique” sont le signe de la désorientation du monde adulte. Elles ne sont pas inutiles, mais elles sont limitées. Les opérations de formation et d’éducation sont les inscriptions instituées de cette désorientation en essayant de mettre du cadre. Mais ce dont on manque de manière fondamentale, c’est ce que les jeunes nous enseignent : la nécessité constante, permanente, tout au long de la vie de construire le sens du monde qui nous entoure.

C’est trop souvent parce que nous faisons l’économie de ce “travail sur soi” que nous ne parvenons pas, autrement que par des dispositifs externes, à situer les objets à leur juste place dans notre organisation sociale. Au nom de logiques de techniques et de progrès jamais interrogées sur le sens, nous nous retrouvons presque dans l’obligation de mettre en place des dispositifs de remédiation. Le risque que ces béquilles ne deviennent des prothèses est réel. Plutôt que de réfléchir au sens, on préfère renvoyer à des dispositifs externes, formation, séance de sevrage, conférences etc…

L’urgence éducative, dans notre monde actuel, est de travailler non pas à la seule recherche du sens, mais surtout à sa permanente construction par les sujets. Autrement dit, éduquer dans notre société ne peut se suffire d’institutions (remplaçantes modernes de la morale religieuse ou laïque d’antan) qui disent le sens. Si cette modalité de vie en société a pu être portée dans les siècles antérieurs, guidés que nous étions par des croyances de toutes sortes, l’exigence de notre société contemporaine est de développer les compétences personnelles à construire du sens.

Quand on dit dans certains textes, donner sens aux apprentissages, on parle souvent de chercher le sens de ce que l’on fait, mais ce que l’on fait est déjà là. Dans cette nouvelle perspective qui émerge, il me semble qu’il faut permettre à chacun de construire le sens, pas seulement à l’adolescence, mais tout au long la vie. Ne jamais oublier qu’on a un jour fait partie des jeunes qui construisent le monde de demain, et que chacun, quelque soit son âge continue à construire. Certains adultes ont renoncé pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. C’est un signe d’affaiblissement personnel. Les TIC sont une formidable occasion d’interroger à nouveau tous ceux qui ont l’ambition d’éduquer et éventuellement d’enseigner…


Article initialement publié sur “Veille analyse TICE” sous le titre “« Sevrage numérique » et/ou éducation ?

Photos Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commerciale par neyssensas PaternitéPas d'utilisation commerciale par MikeNeilson et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Mark Brannan.

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Fiche pratique: utiliser un réseau social en classe http://owni.fr/2011/05/08/fiche-pratique-utiliser-un-reseau-social-en-classe/ http://owni.fr/2011/05/08/fiche-pratique-utiliser-un-reseau-social-en-classe/#comments Sun, 08 May 2011 08:34:51 +0000 Laurence Juin http://owni.fr/?p=61238

Vous voulez introduire les réseaux sociaux du Net dans votre pédagogie ? Voici quelques conseils et pistes de réflexion avant de se lancer : conseils que je donne de par mes deux ans d’expérience et de recul avec l’usage de Twitter en classe. Je prends donc en exemple dans cette fiche pratique le réseau social Twitter mais c’est adaptable à d’autres comme Facebook. Conseils qui n’impliquent que moi !
Avant de commencer, je recommande de l’utiliser personnellement pour bien le maîtriser. Comprendre la « philosophie » du réseau choisi, les codes de communication, les règles induites permet un meilleur usage en classe.

Tweeter en classe mais pour quoi faire?

On n’entre pas avec sa classe dans un réseau social comme on entrerait n’importe où. Comme on ne donne pas un livre à lire à ses élèves sans l’avoir lu avant, sans y avoir vu un intérêt pédagogique, sans en avoir défini à l’avance ce qu’il apportera à son enseignement. L’outil devient pédagogique si on lui en donne la fonction. L’utiliser en classe sans cette réflexion peut amener au risque « technologique » et à l’improductivité pédagogique.
Les nombreux témoignages que l’on peut lire sur l’usage de Twitter en classe (répertoriés par Bertrand Formet) nous montrent que les usages peuvent en être très variés : courtes productions écrites en classe, live-tweet de sorties/voyages scolaires, moyen de communication, soutien, interactivité sur le temps personnel de l’élève, ouverture de la classe à un plus large réseau, etc. Ce n’est pas la pédagogie qui s’adapte à Twitter mais bien Twitter qu’on adapte et devient outil pédagogique.

Quand l’utiliser ?

L’usage peut se restreindre uniquement sur le temps de classe proprement dit. Mais il est évident que l’utilisation du web 2.0 décloisonne la classe : l’enseignant entre facilement en communication et en interaction avec ses élèves en dehors des cours. Le réseau social peut alors s’étendre sur le temps personnel de l’enseignant et de l’élève. Il peut aussi permettre des échanges sur le temps de formation de l’élève en entreprise.

Cette extension sur le temps péri-scolaire est à contrôler. L’enseignant n’est pas à disposition communicante de l’élève et réciproquement. Attention à la chronophagie !

Les échanges sur Twitter sont souvent a-synchrones. Le message est posé; le destinataire, du fait de son adhésion au réseau de l’expéditeur, s’engage à lire et à y répondre si besoin. Si l’un de mes élèves me pose une question en plein milieu du week-end, j’y répondrai quand je serai disponible. L’utilisation de clients Twitter comme TweetDeck ou Hootsuite et des balises (# hashtag) permettent la bonne gestion de ces échanges a-synchrones.

Tweeter avec un compte classe ou des comptes élèves ?

Avec la définition des usages pédagogiques souhaités, vient la création du/des comptes Twitter de la classe. Un compte classe ? Un compte par élève ? Un compte élève à n’utiliser qu’en classe ? Un compte élève personnel ? Là encore les « twittclasses » nous montrent des usages variés. Il s’agit d’ organiser les comptes selon les usages qu’on veut en faire et surtout du public élève.

Un compte classe est souvent le plus adapté avec les classes de primaire et de collège. C’est l’enseignant qui gère, qui détient le mot de passe, qui organise la production de tweets. L’élève peut y écrire mais sous l’autorité et les conseils de l’enseignant. Non pour « contrôler ou restreindre l’élève » mais bien pour l’accompagner dans une éducation au web 2.0 cohérente. Faire créer un compte à l’élève c’est lui donner un outil en main qui doit être maîtrisé par l’enseignant.
Au lycée (ou en fin de collège s’il a reçu une vraie éducation numérique) l’élève acquiert un début de maturité, entre autres, numérique, qui lui permet de mieux appréhender les enjeux liés à de telles pratiques.

L’enseignant, pour les collégiens, peut aussi faire créer un compte à chaque élève tout en détenant le mot de passe associé au compte. L’élève est ainsi responsabilisé dans la gestion d’un compte-élève mais l’enseignant pose un cadre préventif.

Un compte Twitter peut aussi être créé par la classe pour un évènement ponctuel : un projet de classe (@haikufille = pour tweeter des haïkus); une sortie, un voyage comme l’ont fait @AmandineTer avec son compte classe @crotenaycycle3 avec ses CM ou @alozach et son compte classe @lespoutniks avec ses collégiens.

La dissociation stricte des comptes personnels de l’enseignant et des élèves des comptes «classe » est nécessaire. L’élève n’a pas à avoir accès aux données, opinions, prises de position privées de l’enseignant. Et réciproquement. Le réseau social tendrait à atténuer ces barrières strictes que la fonction d’enseignant impose. C’est un risque à ne pas prendre. L’enseignant reste enseignant qu’il s’adresse à l’élève en classe ou via un ordinateur:

Ne tweetez pas ce que vous ne diriez pas dans une salle de classe.

Avec quels moyens ?

  • En classe :
    Comme tout usage du numérique en classe, la question fondamentale est celle du matériel disponible dans la salle de classe ! Selon l’usage qu’on en fait, il est nécessaire que ça soit en corrélation avec le matériel. Impossible d’imaginer faire tweeter 30 élèves sur leurs 30 comptes avec 10 postes sur une heure de cours ! Les élèves ont-ils besoin de tous tweeter ? Tous au même moment ? Tous sur leur compte-élève ? Difficile d’avoir 30 postes à disposition dans une salle… et puis difficile de gérer, de lire et d’interagir avec la production de 30 tweeteurs sur une heure de cours ! Le matériel est donc à gérer avec les usages souhaités.

    Des postes en nombre (un pour 2 ou 3 élèves) à disposition régulière dans une salle permet de développer un usage régulier et souple de l’usage d’un réseau social en classe. L’idéal est un équipement mobile et personnalisable par et pour l’élève: tablette, netbook, smartphone. L’élève devient alors mobile physiquement pour tweeter : dans toutes les salles de classe, au CDI, en sortie, en voyage… etc. Un poste enseignant relié à un vidéoprojecteur pour montrer le mur de tweets est un équipement qui est un levier certain à l’usage.

  • Hors temps de classe :
    L’équipement personnel de l’élève est obligatoirement à prendre en compte pour adapter les usages hors temps de classe. Impossible d’exiger des élèves des interactions sur le réseau hors temps de classe si certains n’ont pas un accès personnel à Internet. Les équipements peuvent être très variés : équipements inexistants, familial partagé ou au contraire suréquipement avec un ordinateur personnel et/ou un smartphone. À prendre aussi en compte les élèves internes.

    Ce point est une contrainte réelle qui peut restreindre les pratiques envisagées hors classe. Doter chaque élève de netbook, de tablette ou de smartphone avec connexion Internet permettrait de réduire cette e-exclusion. Mais pour tout ce qui concerne le travail et l’implication hors temps de classe, l’enseignant n’a pas réellement de prise sur le degré d’implication de l’élève. Les élèves ont tous à disposition des manuels scolaires chez eux financés/subventionnés par les collectivités : les ouvrent-ils tous le soir comme l’enseignant leur a demandé de le faire ?

Quelles règles officielles ?

Présenter et soumettre le projet d’usage de réseaux sociaux en classe à ses directions/référents et autorités pédagogiques est nécessaire, utile voire obligatoire quand l’élève est mineur. Ces pratiques sont encore rares et l’association “réseau social-Facebook-dérives-danger” est très courante. À juste titre : les chefs d’établissement ont très souvent à gérer des problèmes liés à Facebook. En présentant un projet pédagogique cohérent, l’adhésion n’en sera que plus facilitée.
Au même titre : présenter le projet aux parents d’élèves est nécessaire.

Comprendre l’outil, démontrer l’intérêt pédagogique permet de faciliter la collaboration et l’adhésion au projet.
Plus qu’un assentiment pédagogique, c’est surtout un garde-fou institutionnel et légal qui est obligatoire : les textes officiels en rapport avec ces nouveaux usages n’existent pas encore. À chaque enseignant de se prémunir au maximum par un usage cohérent et très réglementé :
- établir avec le groupe-classe une charte d’usages du réseau social (adaptée au projet). C’est l’âge où ils découvrent le web 2.0 avec l’usage des réseaux sociaux, des blogs ou des tchats. Utiliser les réseaux sociaux en classe doit être dissocié de leurs pratiques et usages personnels. Exemple ici.
- demander les autorisations de diffusion des prénoms et noms des élèves
- demander une autorisation de diffusion de photos de l’élève (avatar pour le compte, photos lors de sorties…)

Quelle entrée en réseau social pour l’élève?

Avant de lancer le projet pédagogique associé au réseau social, et tout au long de ce même projet, il est nécessaire de mener une vraie éducation au web 2.0 auprès des élèves concernés. Ce n’est pas parce qu’ils utilisent beaucoup les réseaux sociaux (Facebook en tête) qu’ils maîtrisent tous les paramètres liés à ces usages.
Comme l’usage est ici strictement pédagogique, l’usage doit intégrer des apprentissages. Pour les enseignants d’éducation civique, utiliser cet outil c’est l’occasion de mettre en pratique leur enseignement ! Droits et devoirs du citoyen, textes de loi, respect de l’individu etc. Occasion aussi de proposer à l’élève la création d’une identité numérique positive : quel pseudo, quel avatar, quelle biographie ? Quelles informations l’élève veut-il/doit-il diffuser ? etc.
En conclusion, utiliser les réseaux sociaux du Net dans sa pédagogie permet beaucoup de possibilités, les usages sont variés et variables selon les besoins, adaptables à la classe, aux conditions de travail, aux programmes, aux équipes pédagogiques… . Une grande liberté qui ne doit pas faire oublier que ces usages doivent être très réglementés pour une vraie éducation.

Fiche non exhaustive… à compléter…

Billet initialement publié sur Ma onzième année

Image Flickr CC Attribution Photography by Dallas Hanger

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http://owni.fr/2011/05/08/fiche-pratique-utiliser-un-reseau-social-en-classe/feed/ 13
Education au numérique: quand une société privée fait la leçon http://owni.fr/2011/03/28/education-numerique-menage-des-salles-meme-combat-prive/ http://owni.fr/2011/03/28/education-numerique-menage-des-salles-meme-combat-prive/#comments Mon, 28 Mar 2011 15:00:41 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=50652

Toute cette conférence n’amorce aucune réflexion, ne construit aucune démarche pédagogique et s’enfonce elle-même dans ses propres contradictions à force d’avoir recours à la rhétorique du fait-divers. On a le sentiment d’un grand gâchis.

C’est par ce jugement sans appel qu’un expert académique du numérique concluait son compte-rendu d’une intervention sur les « dangers de l’Internet »  effectuée par la  société Calysto en 2009 dans un collège. Il n’est pas le seul à remettre en cause le travail de Calysto : LeMonde.fr en 2005 et plus récemment Framasoft l’avait aussi critiqué.

Pourtant, Calysto a signé depuis 2004 une convention de coopération avec le ministère de l’Éducation nationale, soit un an après sa création, ce qui en fait un partenaire privilégié pour intervenir sur ce sujet dans les établissements scolaires. La société s’est positionnée sur ce créneau en 2004, comme nous l’explique au cours d’un premier entretien Thomas Rohmer, co-fondateur de Calysto :

Nous organisions des cycles de conférence sur la fracture numérique, plutôt pour des adultes, entre autres avec des associations de parents d’élèves. Elles nous ont suggéré de faire la même chose mais pour les jeunes. Nous sommes alors allé voir le ministère de l’Education nationale.

Une simple circulaire créé un marché

En 2004, Xavier Darcos, alors à la tête de ce ministère, a en effet fait passer une circulaire stipulant :

Le développement de l’usage de l’internet est une priorité nationale. Il doit s’accompagner des mesures de formation et de contrôle permettant d’assurer la sécurité des citoyens et notamment des mineurs.

Calysto a donc saisi la balle au bond. M. Rohmer précise que sa société n’est pas arrivée en terrain inconnu : « Nous avions déjà un bagage important avec les enfants : j’ai été animateur bénévole dans une radio associative pour intégrer les médias dans le processus éducatif. Et nous avons travaillé en amont avec des associations et des psychologues. »

Depuis 2005, elle mène donc, entre autres, l’opération le Tour de France des Établissements scolaires, qui vise à « sensibiliser les élèves (écoliers, collégiens, lycéens) et les membres de la communauté éducative (parents et enseignants) aux bons usages de l’Internet et du téléphone mobile ». En 2010, c’est ainsi environ 1.200 interventions qui ont été effectuées dans ce cadre, d’une demi-journée à plusieurs jours, en fonction de la demande des établissements. Pour une journée en collège, cela donne le programme suivant :

« La journée d’information et de sensibilisation que nous vous proposons vous apporte des réponses concrètes fondées sur notre expertise et l’expérience que nous avons acquise sur le terrain.

Objectifs des rencontres collégiens

  • Aiguiser leur sens critique vis-à-vis de ce média et de ses contenus,
  • Éveiller leur curiosité afin de diversifier leurs pratiques de l’Internet et des outils numériques,
  • Les sensibiliser aux risques encourus et les aider à développer une démarche « morale et citoyenne ».

Objectifs des rencontres parents/enseignants

  • Leur présenter les usages des collégiens,
  • Les accompagner, les rassurer et les informer sur les enjeux et les risques liés à l’utilisation de l’Internet et des outils numériques,
  • Leur présenter les usages des collégiens dans leur établissement mais aussi ceux pratiqués chez eux.

Ces journées d’information expliquent les règles de comportement relatives à l’utilisation de l’Internet et des outils numériques ainsi que les risques encourus par le non-respect de ces règles. »

Le web : anxiogène ou pas anxiogène ?

Assurées par des personnes au profil d’animateur socio-culturel formé en interne à la thématique, elles dérangent certains. Ces formations seraient d’une part trop anxiogènes, mettant l’accent sur les aspects négatifs : « Internet est un territoire fréquenté par des prédateurs pédophiles : “Ne laissez jamais vos coordonnées à un inconnu. Ne vous rendez jamais seul à un rendez-vous pris sur le réseau.” » donné en exemple par LeMonde.fr. « Tu ne téléchargeras pas ! (sinon, c’est la prison) [...] Tu ne regarderas pas les vidéos en ligne (sinon, tu meurs !) [...] N’ouvre pas tes emails [...] Débranche ta webcam [...] », déroulait le rapport cité plus haut.

Thomas Rohmer se défend, en indiquant à juste titre :

On responsabilise sans diaboliser. On se bat par exemple contre l’image de l’internaute-pédophile, on sait bien que les pédophiles sont surtout dans l’entourage. Si montrer des images de sites pro-ana, c’est être anxiogène, alors j’assume !

Quant au volet législatif, en particulier sur le chapitre délicat du téléchargement illégal, Thomas Rohmer justifie :

On leur explique les risques, ils font ce qu’ils veulent. Notre rôle, c’est d’évoquer le droit à l’image,  la diffamation, etc. On évoque aussi les alternatives légales. Hadopi est un sujet délicat, nous sommes pointilleux et neutre. Si je dis qu’il y a un débat sur Hadopi, je tronque le débat.

Il assure que la convention n’implique pas l’obligation tacite de se faire le messager du gouvernement. « Lors de la loi Dadvsi ((loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information)), nous avons été convoqués par le ministère de la Culture, pour nous demander de diffuser un guide prenant le parti des majors du disque, nous avons refusé. » En guise de pédagogie, Cyril de Palma,  co-fondateur de Calysto, expliquait :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Soit, pour reprendre le résumé de Touspourlamusique, cette curieuse pédagogie :

Cyril Di Palma, co-fondateur de l’agence Calysto résume six années de Tour de France des Collèges, réalisé en partenariat avec TPLM, ou comment expliquer aux élèves et aux enseignants les bons usages de l’Internet et notamment, le respect de la propriété intellectuelle.  Pas si facile… Finalement, le peur du virus et le risque de voir ses enfants confrontés à des images pornographiques sont des arguments plus convaincants que la défense d’une filière de la création musicale. Mais avec l’Hadopi et sa réponse graduée, ça peut changer…

Et tout en niant être anxiogène, la maigre revue de presse liste des articles qui semblent plutôt accréditer le contraire. Ainsi cet article de presse régionale qui se conclut ainsi : « D’autres encore ont décidé de supprimer  leur compte Facebook (ce qui n’est pas aisé).
Ils se sentent complètement concernés par ce thème, et seront sûrement plus méfiants sur la toile.
»

Et cet autre, titré « Sur internet, les collégiens sont des cibles » :

Hier, les élèves de 4e du collège Brizeux ont suivi une formation sur la pratique du web. Données privées détournées, intentions malveillantes… La génération numérique est vulnérable.

Linda est un joli brin de fille de 16 ans. Comme de nombreux ados, elle aime discuter en ligne, grâce à internet. Elle y rencontre des garçons de toute la France. Comme Denis, 14 ans, qui n’a pas hésité, il y a quelques mois à lui envoyer sa photo, son numéro de portable et son adresse mail, dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous.

Le problème, c’est que Linda s’appelle en fait Fabien Le Louédec. Ce dernier est un formateur de la société Calysto. Hier, il intervenait auprès des élèves de quatrième du collège Brizeux pour une session de sensibilisation à la pratique d’internet. « J’ai créé Linda pour vous montrer qu’il ne faut jamais se fier aveuglément à une personne rencontrée sur internet », explique le formateur, en affichant l’historique des conversations avec Denis.

Des informations erronées

Plus gênant encore, les informations données ne seraient pas toujours justes comme le notait Framasoft. Le dialogue suivant rapporte un échange entre un professeur (moi) et un formateur (lui) :

« Exemple 2 : L’HADOPI

Lui – L’Hadopi a faim, ils veulent rentrer dans leurs frais ça coûte cher, elle a condamné 75 000 internautes depuis le mois d’août.
Moi – Personne n’a été condamné, des mails d’avertissements ont été envoyés mais à ce jour aucun accès internet n’a été coupé !
Lui – Si il y a eu 75 000 condamnations et pas plus tard que …. il y a avait un jeune de 19 ans qui s’est fait couper son accès.
Moi – Il y a eu 75 000 mails envoyés je vous l’accorde mais aucune coupure.
Lui – Nous avons les chiffres, mon collègue de Calysto va à l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) tout le temps alors… »

Explication de Thomas Rohmer :

Je ne dis pas qu’on est tout beau, tout joli, on envoie des êtres humains dans les écoles, imparfaits par définition.

Certes, mais pour des professionnels payés pour ce travail, c’est gênant. Nous avons contacté le ministère de l’Éducation nationale pour savoir ce qu’il pensait de ces propos, nous attendons encore la réponse.

Une politique de partenariat avec le privé

Il est possible que les dirigeants de Calysto aient peu de sympathie pour Hadopi, comme Thomas Rohmer l’a laissé entendre dans la conversation que nous avons eu et qu’ils ne pensent pas vraiment que l’Internet soit un territoire miné. En réalité, cette société ne fait que surfer sur une double vague.

La première, c’est une tendance de fond de partenariats avec le privé, a fortiori dans un contexte de réduction budgétaire. Ainsi, une dizaine d’entreprises/associations figurent aux côtés de Calysto dans la rubrique « protection des mineurs » sur la page listant les conventions de coopération d’Educnet, le portail gouvernemental dédié aux Tice.

Interrogé sur le bien-fondé de ce choix, M. Rohmer refuse de prendre position :

Est-ce que l’école peut tout assurer alors qu’il y a des restrictions budgétaires ?

L’interrogation n’a rien de rhétorique.

Historiquement, il a été décide d’avoir recours au privé car les personnels éducatifs étaient désemparés face aux nouvelles technologies et à Internet en particulier, alors que l’Éducation nationale demandait à l’école de prendre en charge aussi cet aspect. « C’était un moyen de décharger les professeurs et les chefs d’établissements d’une tâche dont ils ne voyaient pas le bout, se souvient un ancien chargé de mission sur ces questions. La politique de l’époque, c’était le dialogue public/privé. Calysto a rendu et continue de rendre des services. L’Éducation nationale est un dinosaure qui met un temps fou à répandre les innovations. Il y a des résistances y compris du côté des professeurs. » Pour lui, il n’est pas choquant de faire appel au privé : « Qu’est-ce que cela a de gênant ? Le ménage est bien géré par des sociétés extérieures. » Ménage des salles et éducation numérique, même combat. Il reconnait « qu’il fallait faire un gros effort initial qui n’a pas été très bien répercuté en formation continue. »

Et c’est ainsi que les collectivités locales, en charge des établissements, ont été incitées à faire appel à Calysto. Si elles prennent bien en charge une partie des frais, 350 euros en moyenne la journée, c’est bien in fine le contribuable qui finance une société privée. Le ministère de l’Éducation nationale ne nous a pas non plus répondu sur la question des partenariats public/privé.

« Tout est bon pour vendre de la peur et du fantasme »

Pour Jean-François Clair, responsable des Tice (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education) au SNES, le syndicat majoritaire des enseignants du second degré.

Ce type de société profite de choix politiques et budgétaires. Les chefs d’établissements n’y connaissent pas grand chose en général, ils s’inquiètent, ils veulent protéger les élèves, et aucun espace n’est dédié à la réflexion au collège dans le cadre du B2i (brevet informatique et Internet). Alors quand ils se font démarcher, ils acceptent pour se faire bien voir des parents d’élèves, des élèves, du rectorat… Les enseignants et les documentalistes aussi ne sont pas toujours au courant. De même, les collectivités locales se donnent ainsi un vernis de respectabilité. Mais éduquer, ce n’est pas enseigner. Et le but d’une société privée, c’est de faire du business.

Il y a quelques années, la FCPE s’était opposée au tour de France des établissements, refusant cette concurrence non légitime.

Un expert du numérique à l’école anonyme parle de « lobbying actif auprès des écoles et des collèges, dans les collectivités territoriales (communes, collèges), auprès des fédérations de parents d’élèves… Tout est bon pour vendre de la peur et du fantasme. » Sollicitée une seconde fois à ce sujet, Calysto a refusé de répondre si nous ne leur faisions pas relire notre article avant. Nous n’avons pas accepté leur demande.

Le deuxième aspect, comme le souligne dans un article très pertinent Odile Chenevez, coordinatrice CLEMI dans l’académie d’Aix-Marseille, c’est la tendance à traiter l’Internet comme le sida. Il est en partie le corollaire de cette lacune en matière de formation continue :

Ce phénomène, qui consiste pour l’école à se décharger sur des intervenants associatifs de certaines questions vives de la société, touche également le problème des risques liés aux usages d’Internet. Certaines officines ont trouvé là une véritable mission alimentée par la pléthore de peurs qui entourent le sujet. L’association la plus en vue actuellement sur cette question se nomme Calysto et a entrepris un Tour de France des collèges et des écoles pour y délivrer une théorie de bons comportements sur Internet aux élèves comme à leurs enseignants et leurs parents. L’intention est louable et les retours des participants très positifs si l’on en croit les multiples témoignages de satisfaction de chefs d’établissement sur le site web de l’opération.

Un choix dont Odile Chenevez pose les limites : « Si donc une intervention du Tour de France peut être intégrée à cette approche, elle ne peut en aucun cas libérer l’école de son obligation d’un enseignement construit de ces questions, jour après jour au cœur des disciplines. [...] En une heure ou deux, avec des élèves qu’il ne reverra jamais, qu’est-ce que peut faire d’autre un intervenant que de prendre la posture du « sachant » face à des « non-sachants » qui recevront des réponses calibrées à des questions calibrées, au statut de vérité universelle, quelle que soit la qualité du contact qu’il établit avec les élèves ou l’originalité de sa prestation ? »

Et si on formait en interne en prenant son temps ?

Réduit à l’état de coquille vide, le B2i n’est pas en mesure d’assurer cette formation. Pour pallier cette situation, certains prennent les devants en interne, s’ils en ont les moyens. 

« Calysto joue un peu sur la peur et c’est payant, ça nous choque, la maitrise de l’Internet est inscrite dans le socle commun des compétences, explique Isabelle Martin, coordonnatrice académique du CLEMI dans l’académie de Bordeaux. Dans le cadre du plan de développement des usages du numérique à l’école qui sera mis en place à la rentrée prochaine, j’ai proposé au niveau académique un volet “éducation aux médias numériques” qui inclut la formation des enseignants et des élèves. Le groupe de pilotage académique l’a validé. L’objectif est de dépasser la simple intervention ponctuelle qui a peu d’effet à mon avis. Il est préférable d’aider les enseignants à intégrer ce travail dans leurs pratiques pédagogiques disciplinaires, en lien avec la validation des compétences du socle. » Des formateurs du CLEMI, du Catice (Centre académique aux TICE) et du CDDP (Centre de Documentation Pédagogique) pourront intervenir dans tous les départements.

« Sur notre zone, nous avons conçu un dispositif de formation qu’on propose systématiquement aux chefs d’établissement pour les accompagner, détaille Michel Guillou, adjoint au conseiller Tice, et coordinateur académique du Clemi, à l’académie de Versailles. Il s’appuie pour l’essentiel sur nos valeurs, qui sont celles de l’éducation, et les documents de ctoutnet.fr et notamment ce diaporama. Au contraire de bien d’autres, nous souhaitons valoriser au maximum les usages positifs de l’Internet, promouvoir la liberté des élèves à s’exprimer, s’attarder sur leur responsabilité et réfléchir avec eux aux dérives possibles sans pour cela diaboliser. »

Des initiatives locales trop ponctuelles pour mettre un coup de frein à ce marché lucratif. Lucratif, le doute nous saisit en entendant la réaction de M. Rohmer lorsqu’on aborde ce point : « On perd de l’argent en envoyant des animateurs », annonce-t-il. La petite entreprise serait-elle à deux doigts de mettre la clé sous la porte en dépit de toutes ces formations ? On s’enquiert alors de sa santé financière générale : « la société se porte bien mais nous n’avons pas vocation à être millionnaire, tempère-t-il alors, sinon on ferait autre chose. »

Crédits photos Flickr wandrerstefan, fireflythegreat

Retrouvez les autres articles de notre dossier :

Internet et sida, même prescription scolaire ?

Prévention Internet au lycée : l’imposture

Téléchargez la une de Loguy /-)

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http://owni.fr/2011/03/28/education-numerique-menage-des-salles-meme-combat-prive/feed/ 0
Prévention Internet au lycée: l’imposture http://owni.fr/2011/03/04/prevention-internet-au-lycee-limposture/ http://owni.fr/2011/03/04/prevention-internet-au-lycee-limposture/#comments Fri, 04 Mar 2011 09:04:20 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=49620 Il est des billets que l’on n’aime pas avoir à publier. Celui-ci en fait clairement partie tant il m’irrite au plus haut point ! Il illustre malheureusement une nouvelle fois l’incapacité chronique de l’école à comprendre et former aux nouvelles technologies et aux enjeux de demain.

C’est donc l’histoire d’un lycée qui souhaite organiser une journée de sensibilisation sur le thème « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». Louable intention s’il en est. Et l’on imagine fort bien que derrière ce titre se cache l’ombre de Facebook, devenu effectivement omniprésent chez les ados avec toutes les questions et conséquences que cela implique.

Soit, les enseignants ne sont pas tous des spécialistes du numérique, mais il doit bien y avoir dans une équipe pédagogique quelques compétences en la matière. Donc logiquement cela devrait pouvoir se préparer en interne. Mais non, on fait appel à une société privée.

Calysto se définit comme « une agence qui concentre son activité dans la maîtrise des enjeux liés aux usages de l’internet et aux Technologies de l’Information et de la Communication ». Et, via son site TousConnectes.fr, elle propose aux établissements scolaires des journées d’information « dans le cadre de son partenariat avec le ministère de l’Education nationale ».

Voici la page de présentation de l’offre pour le lycée, sachant qu’il en coûtera à l’établissement (et donc au contribuable) 376 euros par jour. Elle commence ainsi : « Les lycéens se sont largement appropriés l’univers de l’internet et du téléphone mobile dont les usages sont en constante évolution. S’ils en sont très souvent les prescripteurs, certaines notions leur échappent et nécessitent d’être approfondies ». Calysto propose également des conférences pour les parents et se targue d’avoir déjà organisé plus de 230 conférences ayant touché plus de 22 000 adultes.

Sur le web, grand succès. Dans la réalité, moins

J’ai fait une rapide recherche web et il semblerait que beaucoup établissements scolaires aient déjà fait appel aux services de Calysto, qui, il y a à peine une semaine, a même eu l’honneur d’un article dans le journal Sud Ouest. Extrait : « De nombreux contenus multimédias sont soumis à des droits d’auteur, la récente loi Hadopi a été mise en place pour les protéger (…) On peut retrouver n’importe quel internaute par son adresse IP ». Cet extrait anxiogène n’est qu’un avant-goût de ce qui va suivre.

Calysto est passée tout dernièrement dans un lycée dont nous tairons le nom. C’est le témoignage édifiant d’un enseignant présent ce jour-là que nous vous proposons ci-dessous.

Parents vous pouvez dormir tranquille, la police de la pensée veille sur vos enfants ! Sauf que les enfants ne sont pas dupes, et leurs réactions radicales au sortir de la journée donnent paradoxalement espoir : « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ». Quant à nous (nous Framasoft, mais aussi April, Quadrature, Wikipédia, etc.), il faut absolument que l’on s’organise pour proposer des journées alternatives, bénévoles et gratuites, afin d’opposer à un tel discours notre propre approche et culture du Net.

Histoire édifiante : « La plus belle c’est Calysto ! »

Par un enseignant, quelque part en France

À l’initiative des documentalistes et des CPE dans mon lycée se sont tenus des débats-conférences autour des dangers de l’internet et des réseaux sociaux. Ils ont fait appel à la société privée Calysto qui propose des solutions « clé en main ».

J’y ai assisté avec mes élèves de seconde, et là je dois dire que j’ai été atterré. Le débat n’avait rien de participatif, l’intervenant faisait réagir les élèves avec des images chocs mais ne poussait pas la réflexion. Nous avons eu droit à une succession à un rythme effréné de faits divers et d’anecdotes. Le discours était très culpabilisant, ce qui est contre-productif avec les ados, « c’est interdit, c’est pas bien, vous n’avez pas lu les conditions d’utilisations, et oui, faut lire ».

Voici mon témoignage mais je dois préalablement dire que parmi mes collègues certains trouvaient d’une part que ça avait le mérite de lancer le débat et qu’il fallait donner une suite avec les profs, et d’autre part que tout le monde n’était pas spécialiste du sujet et qu’il fallait passer par des simplifications et des abus de langage. Et qu’un discours policé de spécialiste n’aurait pas eu d’effet sur le public ado.

Lors de la conférence il y a des oppositions franches sur des faits précis. L’intervenant soutenait certains propos que je lui disais être faux. Il a insisté et à aucun moment n’a montré le moindre doute du genre « je ne suis plus sûr du chiffre exact, il faudrait vérifier ». J’ai du prouver mon point de vue sourcé a posteriori à mes collègues pour démontrer qu’il s’était manifestement trompé et qu’il a soutenu le contraire, quitte à me faire passer pour un incompétent.

Exemple 1 : les conditions d’utilisation

Lui – Vous avez un compte Facebook par exemple ? Mains levées. Avez-vous lu les conditions d’utilisation ? Mains baissées. Eh oui faut lire !
Moi, me mettant dans la peau d’un élève – Mais encore ? Une fois qu’on l’a lu, on fait quoi s’il y a un truc qui nous gène ? On n’a pas le choix ?
Lui, véhément – Je ne peux vous laisser dire ça, on a toujours le choix, il faut lire les clauses c’est votre responsabilité, blabla…

C’était ma première intervention je ne pensais vraiment pas à mal, au contraire c’était pour lancer le débat.

Moi, dans mon idée faire émerger l’e-citoyen – Bien sûr mais ce que je veux dire c’est, s’il y a parfois des clauses abusives, on fait quoi ? Les CLUF sont rédigés par des armées d’avocats qui se sont blindés ! N’est-ce pas à la loi, à nos députés, aux associations de consommateurs de nous protéger ?

(Et je ne parle même pas de class-action qu’on n’a pas en France.)

Lui, impatient ne voulant pas aller dans cette direction et voulant reprendre le fil de son intervention formatée et bien rodée – Non, vous avez accepté c’est trop tard.

À partir de là il me suggère franchement de me taire, je lui réponds que j’ai été invité avec mes élèves et l’intitulé de l’invitation était Conférence, débat et échanges. Là-dessus, il me mouche en me disant « oui, mais avec les élèves ». Je suis passablement énervé. J’ironise en disant que j’avais bien lu les CLUF pourtant.

Exemple 2 : L’HADOPI

Lui – L’Hadopi a faim, ils veulent rentrer dans leurs frais ça coûte cher, elle a condamné 75 000 internautes depuis le mois d’août.
Moi – Personne n’a été condamné, des mails d’avertissements ont été envoyés mais à ce jour aucun accès internet n’a été coupé !
Lui – Si il y a eu 75 000 condamnations et pas plus tard que …. il y a avait un jeune de 19 ans qui s’est fait couper son accès.
Moi – Il y a eu 75 000 mails envoyés je vous l’accorde mais aucune coupure.
Lui – Nous avons les chiffres, mon collègue de Calysto va à l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) tout le temps alors…

Grosso-modo on sait mieux que vous.

À ce moment là, j’abandonne vu la réaction d’un de mes collègues (mais c’est du détail les batailles de chiffres). Au même moment un autre collègue avec son iPhone se connecte sur le site de l’Hadopi et me dit qu’il doit confondre condamnations et recommandations ! Effarant. Là, en se moquant de moi, il me demande si je n’ai pas une pause à aller prendre.

On passe à des copies d’écrans de sites pro-ana, les images choquent et font réagir les élèves. Il demande le silence, les menace de ne plus laisser parler s’ils sont aussi bruyants.

Exemple 3 : La LOPPSI

Un autre prof pose la question suite aux diapos concernant le streaming et le direct download, peut-on (les autorités) aller voir dans mon disque dur ?

Lui – Oui bien sûr !
Moi, me sentant obligé de réagir alors que je ne voulais plus – Non c’est faux, il faut l’avis d’un juge, la police ou la gendarmerie doit avoir une commission rogatoire pour examiner le contenu de votre ordinateur.
Lui – Et non monsieur c’est LOPPSI 2, vous n’avez pas lu dans le journal : les dictateurs en rêvaient Sarkozy l’a fait ?!
Moi, j’ai un doute, j’avoue que je n’avais pas potassé la loi LOPPSI2 – La LOPPSI2 n’est pas encore entrée en vigueur, elle vient juste d’être votée, aucun décret d’application n’a été publié.

Lui poursuit sans tenir compte de ma réponse, alors dans la tête des élèves ça donne ceci : « la police, les gendarmes peuvent se connecter même de l’extérieur comme ils veulent à notre ordinateur et accéder à son contenu ».

Après avoir fait quelques recherches ils se trouve que la LOPPSI 2 est actuellement visée par le Conseil constitutionnel et sur Wikipédia (à vérifier) j’ai pu lire que :

La police, sur autorisation du juge des libertés, pourrait utiliser tout moyen (physiquement ou à distance) pour s’introduire dans des ordinateurs et en extraire des données dans diverses affaires, allant de crimes graves (pédophilie, meurtre, etc.) au trafic d’armes, de stupéfiants, au blanchiment d’argent, mais aussi au délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée », sans le consentement des propriétaires des ordinateurs.

Nos ados téléchargeurs illégaux seraient-ils des terroristes trafiquants de stupéfiants ? Après ça, c’en était trop je suis sorti une dizaine de minutes de la salle, puis je suis revenu m’installer tout au fond pour ne plus rien dire jusqu’à la fin. Pendant ce temps, on assistait à d’autre passes d’armes moins intenses avec un autre collègue.

Quand il s’agit parler des Creatives Commons : incompétence flagrante

Et le libre dans tout ça ? Et bien surprise ! Il y en avait un peu. C’était pas le top mais quand même. On a eu droit à une diapo sur les contenus Creative Commons, mais sans rentrer dans les détails. « Il existe des contenus libres de droits comme le portail Jamendo pour la musique. »

Lui – Jamendo où ce sont des artistes pas connus qui partagent le contenu, c’est financé par la pub.
Moi – On peut aussi donner pour soutenir un artiste qu’on aime… aller à ses concerts.
Lui – Oui c’est comme Grégoire, vous misez sur un artiste en espérant que…

J’ai voulu dire que MyMajorCompany et Jamendo ce n’était pas la même chose, mais je n’ai pu le confier qu’à mon voisin car il était déjà reparti sur un autre sujet. On a vu aussi un slide sur le P2P avec trois contenus Batman_origin.avi, Firefox, Adobe Reader et il a demandé si c’était du piratage ? Oui pour Batman mais non pour Firefox et Acrobat Reader qui sont gratuits mais nous ne sommes pas rentrés dans les différences entre ces deux contenus « gratuits ».

Lui qui disait qu’il fallait absolument lire les CLUF pour savoir à quoi s’en tenir apparemment ne le savait pas. Et préalablement il a bien dit que l’outil P2P avait été conçu pour partager des fichiers et que ce sont certains utilisateurs qui s’en servent pour partager des contenus qui ne respectent pas le droit d’auteur.

Je pense  vraiment que l’intervenant était un animateur commercial formé sur le sujet à la va-vite, utilisant des techniques de communication éprouvées : frapper les esprits, faire réagir (rires) puis engueuler méchamment, culpabiliser, provoquer un sentiment de honte (en invoquant par exemple la sexualité hésitante des ados), affirmer sa connaissance sans faille en invoquant des sources bétons mais invérifiables, et abuser des arguments d’autorité sans justifier leur raison d’être.

Le thème que nous voulions traiter était « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». J’ai eu l’occasion de parler avec quelques élèves par la suite, ils sont sortis de là en ce disant « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».

Peut-être que c’est ce qui nous attend si ce genre d’idées simplistes continue à se diffuser. Bientôt on aura le droit un avertissement du type : « Internet tue, provoque la dépendance, l’isolement ». Et nous rajouterons : « et libère des peuples ».

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Article publié initialement sur Framablog sous le titre Quand Calysto passe au lycée, les élèves se demandent s’il ne faut pas arrêter Internet
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Illustration CC Ed Yourdon, Guillaumus62 et Antonin Moulard

Retrouvez la suite de notre dossier :

Éducation numérique, ménage des salles, même combat privé

Internet et sida, même prescription scolaire ?

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http://owni.fr/2011/03/04/prevention-internet-au-lycee-limposture/feed/ 25
[APP] Petit traité de stratégie politique appliqué à l’éducation aux médias http://owni.fr/2011/02/28/petit-traite-de-strategie-politique-applique-a-leducation-aux-medias/ http://owni.fr/2011/02/28/petit-traite-de-strategie-politique-applique-a-leducation-aux-medias/#comments Mon, 28 Feb 2011 21:15:47 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=47079 “Je n’ai pas lu le document mais je sais déjà ce qu’il y a dedans”. C’est ainsi que Divina Frau-Meigs, professeure à l’Université de Paris III, en sciences de l’information et de la communication, a commenté la nouvelle déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie. Diffusée depuis le 22 février [pdf], elle sera officiellement présentée ce 3 mars sur un site dédié.

De fait, le texte n’apporte rien de fondamentalement nouveau par rapport à ses nombreux prédécesseurs, comme vous pourrez le constater sur notre timeline.

On ne pourra accuser de mauvaise foi la chercheuse puisqu’elle fait partie du media literacy expert group [pdf] mis en place en 2006 par la Commission européenne. Son jugement n’a rien d’étonnant pour qui avait assisté à la conférence préparatrice de Bruxelles en décembre dernier : dans un amphi à moitié vide, à la connexion wi-fi buguée, un comble, des experts s’étaient succédé pour dérouler les mêmes évidences rabâchées de colloque en colloque depuis deux décennies. Heureusement, les trains vers Paris sont fréquents et les boutiques de la gare de Bruxelles-Midi regorgent de chocolats…

“La nouveauté réside dans le titre “tout au long de la vie” (lifelong), explique Vitor Reia Baptista, un des huit experts internationaux qui a accompagné le processus . “Cette notion n’a pas été abordée avant et cela signifie que nous devons nous en préoccuper tout au long de notre vie et pas seulement pendant la période scolaire. Nous incluons aussi la formation des professionnels des médias ce qui est totalement nouveau.”

Mais cet aspect était déjà dans la déclaration de Grünwald, le premier texte fondateur sur le sujet, qui date de 1982 :

L’école et la famille partagent la responsabilité de préparer les jeunes à vivre dans un monde dominé par les images, les mots et les sons. Enfants et adultes doivent être capables de déchiffrer la totalité de ces trois systèmes symboliques [...]

Et les textes suivant en remettront une couche à ce sujet.

Une hiérarchisation verticale de transmission des savoirs

De façon générale, la démarche laisse certains spécialistes dubitatifs. La dénomination même d’éducation aux médias peut gêner : “Le terme générique de « médias », nulle part défini dans la déclaration de Bruxelles, confond la question des supports et des technologies (leur place dans l’élaboration du savoir) avec la question des médias comme secteur d’activité relevant de stratégies industrielles de fabrication, de distribution et d’organisation de contenus”, pointe Louise Merzeau, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à Paris X Nanterre. Le terme “éducation” soulève lui aussi des difficultés :

Le terme implique souvent des arrière-pensées morales, pour ne pas dire moralisatrices. Il suppose une forme de dressage et ne met pas assez l’accent sur l’appropriation (même si le terme figure dans l’une des recommandations). Exemple encore malheureusement courant : prétendre « interdire » aux élèves d’utiliser Wikipédia pour leurs travaux, sous prétexte que cela les incite au plagiat…

Et de noter “l’étrangeté qu’il y a à dresser une liste des recommandations sur l’éducation aux médias, sans jamais utiliser les mots « savoir », « culture », « mémoire » ou « information »… Est-il pertinent dans ce cas, de conserver les termes “d’éducation aux médias” qui nous placent dans une hiérarchisation verticale de transmission des savoirs ? Ne faudrait-il pas parler de politiques de transmission, à l’ère des réseaux et de la convergence des médias ?

Exit Internet ?

Comment ne pas ressentir un certain anachronisme à la lecture de la déclaration de Bruxelles ? On pourrait le présenter en le datant des années 80, personne ne s’en apercevrait. Si tous les experts interrogés sont d’accord pour dire qu’Internet est bien évidemment inclus dans le mot média, est-ce suffisant, alors que ce texte ignore, dans son état actuel, les pratiques culturelles à l’ère numérique ? Exit le User Generated Content, l’horizontalité dans la transmission du savoir, les pratiques de détournement et de remix, le développement fulgurant des pratiques amateurs où le consommateur de contenus devient auteur.

Sur quoi se sont appuyés les huit experts pour rédiger cette déclaration ? Thierry de Smedt, coordinateur du groupe de travail et professeur à l’Université Catholique de Louvain, explique qu’ils se sont basés sur l’expérience de 300 personnes issues de différents pays européens et identifiées comme faisant de l’éducation aux médias.

La confrontation de différentes approches lors d’ateliers pratiques nous a permis de réunir les matériaux nécessaires pour écrire la liste des recommandations. Le but était de concilier les expériences pratiques et les recommandations politiques.

Pourtant, la déclaration de Bruxelles fait l’effet d’une coquille vide qui égrène les recommandations les unes à la suite des autres. Elle ne s’appuie sur aucun exemple, ni argumentation, contrairement à l’Agenda de Paris, le précédent texte similaire, qui avait au moins le mérite de développer chacune de ses douze recommandations.

Quel sera l’impact de ce nouveau texte ?

Les institutions européennes ne sont pas compétentes dans le champs de l’éducation comme de la culture, qui relèvent de la politique de chaque État membre. Cette série de recommandations émanant d’un groupe de pression n’est donc pas contraignante. L’objectif pour l’expert Vitor Reia-Baptista est “d’offrir une compréhension plus large de ces questions et leur donner une visibilité dans l’agenda politique européen. La Commission européenne est au fait de ces questions et nous attendons beaucoup des États membres qui commencent d’ailleurs à bouger.”Et d’ajouter que “le gouvernement portugais a déjà pris des mesures avec l’organisation d’un congrès national de l’éducation aux médias en mars 2011.”

Cependant, la raison pour laquelle les États de l’Union Européenne commencent à s’activer sur ce sujet, tient dans l’article 33 de la directive des services et Médias audiovisuels (SMA) datant de 2007. Cette directive, qui dépend de la Direction Générale Société de l’information et médias, est compétente au niveau européen et de ce fait, oblige les États à rendre compte à la Commission du niveau d’éducation aux médias de leurs citoyens d’ici la fin de l’année 2011. Elle stipule :

Au plus tard le 19 décembre 2011, puis tous les trois ans, la Commission soumet au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen un rapport relatif à l’application de la présente directive et, le cas échéant, formule de nouvelles propositions en vue de l’adaptation de celle-ci à l’évolution dans le domaine des services de médias audiovisuels, notamment à la lumière de l’évolution technologique récente, de la compétitivité du secteur et des niveaux d’éducation aux médias dans l’ensemble des États membres.

L’introduction de ce petit article dans la SMA, reste la plus grande victoire du groupe d’experts européens de l’éducation aux médias en 25 ans de lobbying.

Quel est donc l’intérêt de produire un énième texte, hormis le plaisir de se rencontrer entre confrères autour d’un café crème-speculoos dans une nouvelle ville d’Europe à l’occasion d’un énième colloque ? L’opération a deux visées politiques.

Premier intérêt : les vertus de la répétition, qui permet au sujet de rester présent dans le débat public, et de montrer un front des chercheurs de plus en plus unis. “Cela montre déjà que le consensus sur la définition, le périmètre, le moyen, les objectifs existe en Europe”, explique Divina Frau-Meigs.

D’autre part, il sert l’agenda des Belges, poursuit la chercheuse :

Je pense que c’est stratégique car cela permet aux Belges de se positionner. Le Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias (CSEM) est derrière ce projet, ils vont utiliser ce texte en interne pour obtenir la mise en place de politiques nationales. Il n’a pas vocation à ce que cela aille au-delà de la Belgique. L’agenda de Paris avait le même but, il a permis à la France de “gagner” puisque nous avons obtenu l’introduction de l’éducation aux médias dans le socle des compétences. Pratiquement chaque pays qui prend la présidence européenne fait quelque chose sur les médias : les Allemands à Leipzig, les Espagnols à Madrid…

Pour autant, le groupe d’experts interrogé se veut majoritairement optimiste quant à l’impact de cette nouvelle déclaration et attend des actions concrètes de la part des États, des régions et des médias. Une attitude trop passive ? Ils ajoutent que si l’Europe ne peut imposer aux États l’éducation aux médias, il est possible d’obtenir des aides financières sur certains aspects du programme développé dans la Déclaration de Bruxelles en s’adressant aux Directions générales compétentes, dans les secteurs Éducation, Culture et Recherche par exemple. Un point de vue que ne partage pas Divina Frau-Meigs, qui en demande plus :

Il faudrait en fait obtenir une directive européenne sur l’éducation aux médias, et c’est ma stratégie. Mes collègues sont moins politiques, mais la Direction générale Culture et Éducation freine des quatre fers.

“Je suis un peu sceptique (rires) sur ce genre de grande discussion européenne, renchérit le Britannique David Buckingham. En réalité, il est souvent difficile de savoir si cela va vraiment conduire à des actions concrètes. Je pense que si nous pouvions mettre en avant ces documents et affirmer qu’à la Commission européenne ou à travers l’Europe il y a un mouvement pour l’éducation aux médias, alors peut-être, pourrions-nous faire la différence. Mais je pense que sur ce sujet, trouver un consensus européen aussi large a ses limites.”

Il préconise, outre des déclarations de ce type, de former les professeurs, d’avoir des ressources à disposition, et de passer d’une logique top-down à une logique bottom-up, afin de donner les clés aux professeurs pour mettre en place ce mouvement, d’en bas, en ne laissant pas seulement la parole qu’à des universitaires déconnectés.

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À lire/voir aussi : “Le plagiat dans la culture du partage” d’Emmanuelle Erny-Newton ; Louise Merzeau, “le filtrage, un crime contre l’éducation”, in “La traçabilité sur internet et ses conséquences en formation” [vidéo]

Divina Frau-Meigs a coordonné le dernier e-dossier de l’audiovisuel de l’INA sur l’éducation aux médias et récemment publié Penser la société de l’écran aux Presse Sorbonne Nouvelle

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Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie

Images CC Flickr nestor galina Daniel Gasienica

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Apprendre à questionner? Quand Socrate peut encore être utile! http://owni.fr/2011/01/28/apprendre-a-questionner-quand-socrate-peut-encore-etre-utile/ http://owni.fr/2011/01/28/apprendre-a-questionner-quand-socrate-peut-encore-etre-utile/#comments Fri, 28 Jan 2011 14:05:38 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=44081

Les débats autour des compétences informationnelles des jeunes, leurs habiletés, leur naïveté, leur absence de sens critique sont entrés désormais dans le champ de la banalité. Ils acquièrent des connaissances « futiles » et pas des connaissances « utiles », déclarait un orateur lors de la conclusion du séminaire sur le manuel numérique organisé par le ministère de l’Éducation les 20 et 21 janvier à l’ENS de Lyon. Ils ne maîtrisent pas réellement l’ordinateur disent les autres enseignants, il leur faut des cours d’informatique disent encore d’autres, fiers d’annoncer qu’ils ont obtenu une option informatique en terminale et que l’informatique entre à nouveau dans l’enseignement.
Mais ce qui est le plus étonnant dans ces débats c’est que, dans la plupart des propos, deux dimensions sont ignorées ou modestement avancées, mais jamais intégrées dans les raisonnements : la première dimension est la question de la maîtrise des adultes, l’autre est la définition de la culture informationnelle. Enfin une proposition récurrente traverse toutes ces prises de parole, que le monde académique saurait définir ce qu’il faut maîtriser et que ce qui n’en fait pas partie est donc une « futilité », une « illusion ».

L’histoire est têtue, à moins qu’à nouveau l’amnésie ne continue de faire des ravages : « Dans une classe de lycée, remplacer Racine par Brecht, c’est modifier le rapport de l’enseignement avec une tradition autorisée, reçue de chez nous, liée aux pères et à des valeurs  « nobles » ; c’est aussi introduire une problématique politique contraire au modèle culturel qui établissait le maître (d’école) en manuducteur de l’expression populaire. » (manuducteur : “se disait autrefois d’un officier qui, placé au milieu du chœur, donnait le signal aux choristes pour entonner, marquait le temps et battait la mesure.” Littré en ligne). L’auteur de ce propos poursuit un peu plus loin de la manière suivante : « Chez les enseignants est apparu un sentiment d’insécurité. Il coexiste avec la conscience de leur extériorité par rapport aux lieux où la culture se développe, l’usine, les mass media, les techniques, les grandes entreprises… L’enseignant flotte à la surface de la culture : il se défend d’autant plus qu’il se sait fragile. Il se raidit. Il est porté à renforcer la loi sur les frontières d’un empire dont il n’est plus sûr. » À ce texte publié en 1974, il est intéressant d’associer un texte publié en 1983 : « Faut il encore une école ? Oui et plus que jamais, pour trois raisons : la communication, la distance, la mémoire [...] l’école pourrait d’abord être le lieu de la « table du savoir », table au sens traditionnel. Non pas tant le lieu de la communication du savoir, mais le lieu de la communication entre des hommes qui ont emmagasiné des connaissances à partir de la multiplicité de leurs récepteurs individuels. »

Repli du monde académique face à l’émergence d’une culture autre que celle qu’il promeut

Renvoyons donc à la lecture du livre La culture au pluriel de Michel de Certeau (Points 1973 – 1987) ainsi qu’à celle du livre Les nouveaux modes de comprendre de Pierre Babin et Marie France Kouloumdjian (Le Centurion 1983). Bien d’autres auteurs nous ont avertis depuis longtemps, le signe de la peur du monde académique c’est son déni ou sa tentative de normalisation lorsqu’une culture autre que celle qu’elle promeut émerge. Avec les TIC il y a malheureusement plus de trente années que l’on observe cela. La lecture de cet article de François Cardinal devrait pourtant nous faire réfléchir. Intitulé  » Nos élèves, ces illettrés numériques… » l’auteur met en évidence la carence du monde scolaire. Sans entrer dans le détail de l’argumentaire (un peu léger cependant), on peut déceler derrière ces propos les trois dimensions qui sont proposées à notre réflexion ici.

En filigrane de ce propos et en faisant du lien avec de nombreuses observations, les enseignants, comme de nombreux adultes, sont très loin de maîtriser l’usage de ces technologies mais ce sont parfois (mais pas toujours) les mêmes qui voudraient imposer aux jeunes cette maîtrise dont ils ignorent même le sens réel. Car c’est le contour de cette maîtrise qui a bien du mal à émerger des propos des uns et des autres. Les critiques nombreuses du B2i ou du C2I n’ont que rarement amené à un réel travail de recomposition (comme celui, par exemple, qui avait été fait entre 2006 et 2008 à propos de la « numériculture ». Or le mérite de ces certifications était bien de s’attaquer aux deux supposés problèmes posés par les TIC à l’école : un travail technique et un travail culturel. Certes il y avait à redire et nous n’avons pas manqué de le signaler, mais force est d’observer que les résistances, mais surtout les oppositions (au-delà des rituels “temps-moyens-formation”) ont été nombreuses. Quant à la distance critique, l’ignorance n’a jamais permis de la créer. C’est au contraire de la connaissance que nait la distance critique ; relisons Condorcet pour s’en convaincre, mais observons qu’autant il cherchait à ouvrir vers la connaissance, autant il cherchait à imposer un contrôle fort sur cette connaissance, ce contrôle repris ensuite par Jules Ferry et continué encore de nos jours par de nombreux acteurs politiques de l’éducation.

Un enseignant se questionnait l’autre jour à propos des opinions personnelles : comment en tant qu’enseignant amener les élèves à dépasser les « premières impressions »  pour aller vers la distance critique sans entrer dans le même cercle infernal qui consiste à opposer l’opinion de l’enseignant à celle de l’élève ? La meilleure réponse trouvée est tirée de deux approches : le questionnement socratique (la maïeutique), le scepticisme argumenté (et non de principe). Malheureusement l’enseignant nous disait qu’avec l’environnement médiatique, il se sentait lui même en grande difficulté pour y parvenir. Manque d’outils d’analyse, manque de connaissance sur les dispositifs et les techniques, manque de connaissance de l’histoire des évolutions scientifiques et techniques, etc.
Interrogeons les enseignants du secondaire et du supérieur sur leur sentiment de maîtrise des TIC, mais aussi de l’environnement informationnelle et de la culture associée (information literacy…) et l’on se rendra rapidement compte qu’ils rivalisent souvent avec leurs élèves mais dans un autre sens : si souvent ils se sentent apte à maîtriser cet environnement, quelques mises en situation nous révèlent rapidement qu’une grande majorité reste très démunie et n’a, comme les élèves que des compétences de surface. Car les contextes sont nouveaux : non seulement il y a la maîtrise technique, mais aussi il y a la gestion dynamique de l’information et de la communication. Or ces deux champs de compétences ne sont pas aussi développés qu’on le pense : il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de noter l’importance de la demande de formation dans ces domaines chaque fois qu’on évoque le développement des TIC dans l’enseignement. Or la particularité de ces évolutions est de ne pas se satisfaire d’une connaissance théorisée et de nécessiter une pratique avancée régulière et surtout une forte capacité à « apprendre de l’expérience ». Et cette dernière compétence est particulièrement développée, dans le domaine des TIC par les jeunes (mais pas théorisée…).

Les cours d’informatique, d’information, de communication : de bien belles intentions…

Faire des cours d’informatique, faire des cours d’information, faire des cours de communication…. Belles intentions et nécessités probables, mais largement insuffisantes si elles ne sont pas précédées d’une longue analyse des pratiques spontanées (futiles) mais surtout très avancées, mais pas dans le sens scolaire… Or l’une des constantes des discours sur le domaine va à l’envers : commencer par faire cours et ensuite appliquer ! Mais d’abord cela n’est pas le modèle d’apprentissage développé par nos élèves, et ensuite c’est de « processus de structuration » dont ont réellement besoin les jeunes comme les adultes. Le sens des cours d’informatique ou de communication etc. n’apparait pour les jeunes que s’il permet de comprendre des pratiques réelles non scolaires d’abord et s’il leur permet d’aller plus loin en les amenant à des pratiques « structurantes » et « analysées »; mais pas seulement dans ces cours mais surtout dans toutes les occasions d’usage. Et c’est bien là que très souvent le frein est mis. Mais comme pour la méthodologie, impossible de développer des compétences sans contexte ; comme pour l’apprentissage, un savoir ne se transforme en connaissance que s’il est utilisé, et pas dans des exercices systématiques, mais dans des situations complexes. C’est pourquoi ces savoirs, informatiques, informationnels et communicationnels ne peuvent être d’abord étudiés pour eux-mêmes.

Quand à l’esprit critique, il ne peut se développer que dans cette dialectique qui permet de comprendre que les outils ne sont jamais neutres, et qu’ils prennent sens dans des contextes dans lesquels les acteurs les manipulent, les utilisent, les « instrumentalisent ». Les enseignants sont en réalité très démunis pour mettre en œuvre cet esprit critique pour eux-mêmes et aussi pour le faire développer par leurs élèves. Il y a plusieurs explications à cela dont la principale est que cela demande du temps et de l’activité, ce qui va à l’opposé d’un système scolaire qui « accumule » toujours plus de savoirs sans toujours se poser la question de leur maîtrise, et de la durée nécessaire à leur maîtrise. Les TIC ont cette particularité d’être disponibles aussi bien dans le système d’enseignement qu’en dehors, il est très regrettable que l’on ne profite pas de cela pour faire du lien, et préférer trop souvent une opposition, voire dans certains cas un mépris…. Or les jeunes sont en train de rendre au système scolaire un retour assez juste de cette opposition : ils l’ignorent…

À suivre et à débattre…

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image CC Flickr World Bank Photo Collection et Debby A remixé par OWNI

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Qui a peur de l’entrée des réseaux sociaux en classe? Les élèves! http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%e2%80%99entree-des-reseaux-sociaux-en-classe-les-eleves/ http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%e2%80%99entree-des-reseaux-sociaux-en-classe-les-eleves/#comments Wed, 08 Dec 2010 07:30:44 +0000 Laurence Juin http://owni.fr/?p=38442 De quoi avons nous peur dans la pratique des réseaux sociaux en classe ?

Suite à la table ronde à laquelle j’ai participé pour Le Café pédagogique à #Educatice, j’ai été interviewée par France Inter à ce sujet.

Dans ce reportage, ont été aussi interrogés des lycéens sur le même thème : leurs avis sur la question sont unanimes : il ne faut pas faire rentrer les réseaux sociaux à l’école. Ce n’est pas leur place, ce n’est pas sérieux.

C’est l’avis des lycéens et d’un très large public d’adultes, enseignants ou non.
Une peur populaire sur les réseaux sociaux du Net se généralise et globalement sur l’Internet, Facebook en tête. À chaque fois que Facebook est abordé dans des réunions pédagogiques et globalement dans les médias, c’est pour évoquer tous les abus, dégâts, dérives engendrés par la pratique d’un tel média. Le sommet a été atteint médiatiquement avec les « apéros Facebook » au printemps.

Les adolescents, comme la société, ont assimilé cette idée du média social du Net. C’est leur moyen de communication (après le sms) privilégié mais ils veulent le garder du domaine du privé.

Un espace de jeu mais pas de travail

Facebook et de façon plus générale le réseau social du Net représentent pour eux une terre privée et terre de danger dénuée de tout sérieux : c’est un espace de jeu mais surtout pas de travail. Impression donnée par leurs propres pratiques et par la diabolisation engendrée par les médias.

Pour présenter « Twitter en classe » à mes élèves, je constate deux réactions qui s’opposent :

1) L’élève se réjouit qu’on parte de ses pratiques numériques : que le micro-blogging de type Facebook puisse entrer dans ses pratiques scolaires, qu’un enseignant ne diabolise pas son moyen de communication favori et généralement Internet.

2) Mais l’élève est méfiant et a peur : il sait quelles dérives le microblogging engendre (parfois il pratique ces dérives, parfois il les subit des autres) et ne cesse d’entendre combien Internet et en particulier ces réseaux là sont dangereux. Les médias lui disent, l’institution scolaire lui répète ! Facebook est bloqué dans la plupart des établissements scolaires.

J’ai pu rapidement convaincre mes élèves de l’intérêt de la pratique pédagogique de Twitter. Parce qu’ils n’utilisent pas personnellement ce média. Twitter, je le sais, reste et restera pour ces promotions un média sérieux et scolaire du fait de l’usage que j’en ai imposé. Il y a donc différenciation complète dans leurs esprits et dans leurs pratiques.

J’ai décidé pour les deux années scolaires à venir d’étendre nos usages en classe en partant de leurs usages personnels. Pour deux raisons :

  • Toujours cette volonté de les éduquer à l’Internet.
  • Et parce que je suis partie du postulat suivant : partir de leurs usages personnels permet une meilleure implication de l’élève. C’est aussi « confortable » pour l’enseignant : partir de leurs usages permet de sauter la période de formation à l’outil (gain de temps estimable !) et surtout permet de valoriser les compétences de l’élève : le savoir ne vient pas que de l’enseignant. L’élève se pose formateur pour les élèves les plus faibles dans ces pratiques (inversion souvent des rôles du « plus fort » et du « plus faible ») Ainsi j’ai décidé en plus de Twitter de leur faire créer des pages Facebook sur des évènements que nous organisons au lycée (expositions mises en place, concours de poésie etc.), un blog sur leurs écrits en français, une boite mail active de classe, des Google-docs, du travail collaboratif avec EtherPad, des publication de vidéos sur YouTube, des CV vidéos pour leurs recherches d’emploi, de stage ou recrutement en écoles post bac. Les réseaux sociaux, YouTube, le mail, le blog sont leurs principales pratiques. Nous agrégeons des pratiques comme EtherPad et les CV vidéo. Il en est là de la partie formation qu’incombe à l’enseignant : ne pas laisser l’élève à son niveau personnel de connaissances et de formation mais bien l’élever stricto sensu. Toutes ces pratiques restent sous la thématique de l’éducation à l’Internet et de la construction d’une identité numérique positive de l’élève. Dans le cadre d’une séquence sur l’autobiographie, je leur ai fait écrire des textes à la manière de François Delarozières (chef des « machines » de Nantes). L’objectif final étant de les faire se filmer avec des smartphones à la manière de cette vidéo. J’avais prévu le stockage de ces vidéos sur YouTube. Ces vidéos doivent servir d’autobiographies et donc de présentations dans le cadre de nos échanges via Twitter avec les étudiants indiens de David Cordina à l’Alliance Française de Bombay Chaque vidéo doit identifier l’élève qui a réalisé le mini-film et l’élève filmé.
  • Je me heurte pour le moment à une résistance forte de plusieurs élèves pour cette diffusion. Ils argumentent qu’ils ne veulent pas se retrouver « sur Internet », que cette vidéo pourra nuire à leur image etc. J’ai été confrontée à la même opposition lors de la création de leur compte Twitter : je leur ai demandé de mettre en pseudo leur prénom et leur nom et en avatar une photo d’eux. Certains ont refusé ces règles.

Je mène un long travail de persuasion sans savoir si je gagnerai : je suis confrontée à l’élève qui a peur alors que nous sommes dans un processus raisonné et accompagné. Phénomène que je n’ai pas connu l’année passée avec la première classe tweeteuse. Mes élèves cette année sont plus jeunes d’au moins deux ans avec un niveau de réflexion beaucoup moins mature. J’avais des pré-adultes, j’ai cette année de vrais adolescents. Ils sont nés sur Internet sur les derniers relents de Skyblogs et en pleine médiatisation de Facebook. Médiatisation et diabolisation. Les reportages, les émissions comme Envoyé spécial en février, CANAL+ en septembre, des articles de presse comme celui de Télérama ne pointent que sur les aspects négatifs de l’Internet. Rarement les médias « grand public » pointent sur les aspects positifs, sur les avancées sociales, pédagogiques que l’Internet permet (alors que tous les journalistes travaillent aujourd’hui et ne pourraient se dispenser d’un tel outil de travail !).

Focaliser uniquement sur les adolescents, une grave erreur

Nous partons aujourd’hui d’un lourd constat qu’il ne faut surtout pas nier et occulter : personne n’a été formé aux usages de l’Internet et en particulier aux réseaux sociaux du Net type Facebook. Les dérives, les dégâts sont lourds lorsque mal utilisés. Ce procès récent montre que les adultes sont largement concernés par ces dérives. Focaliser uniquement sur les adolescents serait une grave erreur. Aujourd’hui les plus mauvais utilisateurs de l’Internet sans réflexion, sans recul, sans prise de conscience sont les adultes.

S’il est difficile, voir impossible de former les adultes, c’est totalement possible pour les élèves des petites classes jusqu’aux études supérieures.

J’ai à convaincre des adolescents que tout est possible sur Internet : le pire est à éviter, le meilleur est à construire de façon raisonnée. Si un futur employeur tape le nom d’un de mes élèves sur « Google », il trouvera (aussi !) des travaux de français, de logistique, des échanges via Twitter à propos des cours, des vidéos de présentation, des pages Facebook sur une expo photo à laquelle il aura participé, un concours de poésie qu’il aura gagné. Une identité numérique Positive.

À suivre !

Billet initialement publié sur Ma onzième année

Image CC Flickr aleeed et rishibando

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Le B2i a eu 10 ans ce 23 novembre, qu’est-il devenu? http://owni.fr/2010/11/29/le-b2i-a-eu-10-ans-ce-23-novembre-qu%e2%80%99est-il-devenu/ http://owni.fr/2010/11/29/le-b2i-a-eu-10-ans-ce-23-novembre-qu%e2%80%99est-il-devenu/#comments Mon, 29 Nov 2010 09:26:18 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=37280

Le socle commun a-t-il dévoré le B2i ? À écouter les équipes qui tentent de mettre en place ce dernier, le B2i est soit un vieux souvenir à oublier, soit une logique acquise qui facilite le déploiement du socle. En tout cas, en fêtant les 10 ans du B2i ce 23 novembre, on peut signifier le début d’une nouvelle façon d’aborder la place des TIC dans le monde scolaire. Pas si nouvelle pourtant, mais pour la première fois, c’est un cadre qui a été fixé pour la scolarité obligatoire : l’usage des TIC est non seulement recommandé (le B2i n’était qu’une note de service à l’époque), mais aussi il s’appuie non pas seulement sur des connaissances informatiques, mais sur des pratiques qui seront plus tard appelées usuelles des technologies de l’information et de la communication.

Geste politique, le B2i initié par Jack Lang a été progressivement renforcé dans le paysage réglementaire de l’école jusqu’à son intégration dans le socle commun et dans la certification de fin de collège (le B2i était exigé au moment du passage du DNB). Autrement dit d’un simple geste, le B2i est devenu la loi. Certes remanié à plusieurs reprise dans sa forme ou dans son fond, a assez peu changé au cours de ces dix années.

La contestation de ce B2i, observable au travers de sa mise en œuvre dans les classes, est intéressante à observer car elle révèle de nombreux travers de notre système éducatif :

- Le premier de ces travers est le refus par les enseignants d’appliquer la loi telle qu’elle est écrite. Comment en effet comprendre la légèreté des propos tenus par nombres d’enseignants par rapport à cette obligation légale, et ce encore plus avec l’arrivée du socle commun.

- Le deuxième est celui d’une lutte pour la scolarisation de l’informatique qui s’est opposé au B2i pour insuffisance de connaissances fondamentales. Les principaux zélateurs de l’informatique comme discipline n’ont eu de cesse de lutter contre le B2i au nom d’une conception des savoirs académiques bien particulière, mais aussi d’une conception de la place de l’informatique dans les sciences qui a mis à mal dans de nombreux établissements ce qui devait être une première étape.

- Le troisième est celui de la méfiance du monde enseignant pour les technologies et en particulier celles de l’information et de la communication. En retardant au maximum la mise en place du B2i sous de nombreux prétexte, les enseignants ont renforcé cette image de méfiance technologique qu’ils avaient déjà donnée à voir avec la télévision.

- Le quatrième est celui des errances de la hiérarchie intermédiaire, et en particulier des corps d’inspection qui ont souvent eu du mal à accompagner le B2i. Il suffit de lire les rapports de l’inspection générale sur le sujet pour s’en rendre compte, mais aussi d’entendre certains de ces inspecteurs dénigrer le B2i devant les enseignants (surtout dans certaines disciplines).

- Le cinquième est celui de la difficulté de l’école à mettre en œuvre des textes qui ne donnent pas lieu à des moyens spécifiques. Parce que transversal à tous les enseignements, le B2i a mis en difficulté une conception traditionnelle de l’enseignement. L’habitude est soit de déléguer à une personne, soit de ne rien faire : on a pu observer dans de nombreux établissements les deux cas de figures, même si cela s’estompe progressivement.

- La sixième est la prise de position étonnante des chefs d’établissement par rapport à leur obligation de mise en œuvre du B2i. Combien sont-ils, ceux qui ont signé des B2i alors que les élèves n’avaient que peu ou pas touché un clavier et vu un écran au cours de leur scolarité… En tout cas nombre d’élèves ont été validés pour ne pas nuire à leur scolarité, plus que pour attester de leurs compétences si souvent contestées par les enseignants eux-mêmes…

Équipement : les politiques ont été « légers »

- La septième est l’inadéquation d’un dispositif comme le B2i avec les équipements des établissements. Alors qu’en 1999 le précédent ministre avait envisagé qu’un ordinateur portable soit donné à chaque enseignant sortant de la formation initiale, on s’est rapidement aperçu que tout allait de travers en matière d’équipements. Le récent plan ENR et le prochain plan numérique nous montrent combien les politiques ont été « légers » dans ce domaine.

- Le huitième est l’absence d’accompagnement constructif et prescriptif des enseignants dans une évolution pourtant constamment réaffirmée. Parce que le ministère a utilisé le plus souvent le numérique comme effet d’annonce en ne le prolongeant que rarement par les réalités promises, il a amené nombre d’enseignants à railler le B2i. Hors dans le même temps les enseignants s’y sont mis à titre personnel. Autrement dit, le contexte a dix ans de retard sur les intentions du B2i.

- le neuvième est la volonté de scolariser toute pratique sociale et ainsi de la déconnecter de la réalité des usages comme le montre la réécriture du B2i en 2006. En précisant les connaissances, les capacités, les attitudes de chaque domaine, le ministère a fini de rendre difficile à mettre en œuvre le B2i. De plus il en a fait un exercice qui serait condamné à devenir scolaire alors que le souhait initial était d’accompagner une pratique sociale en lui donnant un cadre structurant.

- le dixième est la propension du système à persévérer dans une bonne idée initiale sans jamais adapter sa politique aux réalités de la mise en œuvre comme on peut le voir avec le B2i lycée. Il suffit de lire les textes de la réforme du lycée pour s’apercevoir que seules deux ou trois disciplines ont pris soin de noter le B2i dans les nouveaux programmes. À tel point qu’en dehors de ces programmes disciplinaires, il n’est fait aucune allusion au B2i lycée. Il faut dire à la décharge du lycée, que l’université à réussi à imposer le C2i niveau 1 (licence) sans se préoccuper de ce qui se passait avant, déresponsabilisant le lycée sur ce domaine.

- le onzième est celui de la hiérarchie qui s’est rapidement emparée des logiciels de suivi du B2i (GiBii en particulier) pour développer un modèle de contrôle du monde scolaire qui tend aujourd’hui à se développer avec l’application de gestion du socle commun. La centralisation des acquisitions du B2i par un logiciel régional ou national a permis à des responsables de réaliser un vieux rêve : observer de loin les élèves en trains d’acquérir des compétences. Mais ils en ont rapidement réalisé un autre : contrôler la qualité du travail des enseignants et des équipes en observant la manière dont ils mettaient en place les évaluations du B2i. Avec l’arrivée de l’application centralisée de gestion du socle, on assiste à la généralisation de cette approche.

L’objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC n’est pas atteint

En fait le B2i n’a pas atteint son objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC et c’est regrettable. Du coup c’est par l’extérieur qu’est en train d’arriver cette acculturation : livret de suivi, de compétences, d’orientation, cahier de texte numérique, ENT etc. enserrent progressivement l’enseignement scolaire. Ce qui n’a pas marché par l’intérieur est en train de poser son emprise de l’extérieur. Restent les nombreuses difficultés.
Le B2i parce qu’il tentait de prendre en compte une réalité des pratiques sociales des jeunes était un signe positif de l’ouverture de l’école sur son environnement. Le socle enterre malheureusement cette approche en scolarisant davantage qu’initialement cette orientation. Même si le contenu de la compétence 4 du socle laisse penser le contraire, les échanges que l’on peut avoir dans les collèges, davantage que dans le primaire, montrent que l’on est loin de cette orientation. Le monde scolaire reste donc largement plus rétif aux TIC qu’on ne le pensait et l’enquête récente publiée par le ministère, même si elle est rassurante sur les pratiques personnelles est inquiétante sur les pratiques en classe. Mais surtout cette enquête oubliait un phénomène essentiel : l’effet établissement. Comment comprendre qu’une enquête sur les pratiques des TIC dans le monde scolaire ignore à ce point le « cadre d’action » ? On trouve là une explication du relatif échec du B2i : on résonne au niveau des enseignants sans se soucier réellement du cadre d’action concret… non pas considéré (comme l’enquête en ligne faite par le ministère le laisse penser) dans sa dimension quantitative sur ratio ordinateurs/élèves, mais dans sa dimension qualitative du fonctionnement réel et de l’organisation des TIC dans les structures établissements. Force est de constater que le bricolage remarquable de nombre d’enseignants à compensé l’absence de vision d’ensemble. À moins qu’un prochain plan numérique ne prenne à revers ce problème….

À suivre et à débattre

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image CC Flickr Jonathan Pobre et Marcin Wichary

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