OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Ministre de la recherche de profits http://owni.fr/2012/05/24/lautre-cv-de-genevieve-fioraso/ http://owni.fr/2012/05/24/lautre-cv-de-genevieve-fioraso/#comments Thu, 24 May 2012 14:00:35 +0000 Claire Berthelemy et Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=111073

À un moment, ils m’appelaient Miss Dollar. C’est vrai. Ça ne sert à rien de chercher à faire le top du top si on ne le vend pas.

Geneviève Fioraso, la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, expliquait ainsi au Journal des entreprises, comment elle cherchait à financer la R&D (Recherche et développement) du temps où elle était cadre dans une start-up. Une approche de la recherche qui inquiète Laurence Comparat, membre de l’Ades, une association écologiste grenobloise :

Sa vision de la recherche est systématiquement industrielle, et donc économique. Si elle procède de la même manière à l’échelle nationale qu’à Grenoble, il y a des craintes à avoir.

Officiellement, Geneviève Fioraso n’a eu ces dernières années qu’un”engagement public local et national”. Sa biographie, sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, indique qu’elle n’a plus eu de rapport avec le secteur privé depuis 2004, dernière année où est mentionnée une “activité professionnelle”.

Geneviève Fioraso ne serait “que” députée, première vice-présidente de la communauté d’agglomération de Grenoble chargée du Développement économique, universitaire, scientifique et de l’innovation, adjointe au Maire de Grenoble à l’économie, l’emploi, l’université et la recherche et membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

La nouvelle locataire de la rue Descartes a cela dit oublié des lignes. Car elle administre également – voire dirige – six structures à mi-chemin entre public et privé : deux sociétés d’économie mixte, deux associations aux frontières du lobbying, une éco-cité et un établissement public d’enseignement supérieur. Reconstitution.

Championne du mixte

La spécialité de la nouvelle ministre ? Les sociétés d’économie mixte (SEM), ces entreprises à conseil d’administration dont le capital est réparti entre des personnes publiques (majoritaires) et au moins un actionnaire privé. Le nom de Geneviève Fioraso figure ainsi dans les renseignements juridiques de trois SEM, bien qu’elle n’ait jugé bon de le préciser dans sa biographie que pour une seule d’entre elles, Minatec Entreprises.

Depuis 2003, en effet, l’élue de Grenoble est aussi PDG de Minatec, un vaste “pôle d’innovation en micro-nanotechnologies”. “Entreprendre à l’infini”, telle est la devise de Minatec qui abrite plus de 11 000 mètres carrés de laboratoires de recherche, start-ups et géants de l’industrie.

Cet envie d’entreprendre, Geneviève Fioraso a tenté de l’assouvir en multipliant les casquettes autour de Minatec. C’est donc comme PDG de Minatec que l’élue préside le comité de pilotage du projet Presqu’île/GIANT, l’un des treize projets d’éco-cités du pays et, comme le précise son site, parmi “les plus importants investissements public-privé en France” (1,3 milliard d’euros sur 15 ans).

Par cohérence, sans doute, l’élue grenobloise est aussi administratrice d’une autre SEM, Innovia Grenoble Durablement, chargée de l’aménagement de Presqu’île/GIANT. Et, toujours pour son implication dans la “Presqu’île”, Geneviève Fioraso administre le regroupement d’écoles Grenoble Institut national polytechnique – membre fondateur de Minatec et de GIANT.

Dernière SEM oubliée par la ministre sur son C.V., Alpexpo, une entreprise qui gère le parc d’exposition éponyme à Grenoble. Si Geneviève Fioraso n’apparaît pas comme administratrice dans les renseignements juridiques d’Alpexpo, c’est qu’elle a préféré utiliser son nom de jeune fille, Lefevre. Cette décision est peut-être à mettre en rapport avec la santé financière d’Alpexpo : comme l’indique une analyse des comptes provisoires qu’Owni s’est procurée (voir ci-dessous), la société a présenté un résultat net en déficit de 1,968 million d’euros en 2011. Devant ce résultat, la mairie de Grenoble a d’ailleurs décidé, en mars dernier, la mise en place d’une mission d’information et d’évaluation sur les déboires financiers d’Alpexpo.

ALPEXPO Synthèse comptes provisoires 2011

Non-lucratif

Décidément rompue aux conseils d’administration, Geneviève Fioraso ne se prive pas – sans toujours l’indiquer sur “son CV” – de participer à plusieurs associations loi 1901. A but non lucratif, donc. Les missions affichées desdites associations ont pourtant tout à voir avec la recherche de profits.

L’Agence d’études et de promotion de l’Isère (AEPI), par exemple, dont Geneviève Fioraso est la Vice-présidente du Conseil d’administration, s’attache à “faciliter” et “coordonner” les rapports entre “acteurs publics et acteurs privés”. Dans son rapport d’activité 2011, l’AEPI présente ainsi l’aide qu’elle a apportée à différents “acteurs économiques”. Le premier d’entre eux n’est autre que “Minatec Entreprises”, la SEM justement présidée par Geneviève Fioraso.

Autre association pour autres intérêts, le pôle de compétitivité Tenerrdis. Aux côtés du CEA, de GDF-Suez, Alstom ou encore Schneider Electric, Geneviève Fioraso y est administratrice. Dans son portrait de l’élue grenobloise, l’équipe rédactionnelle de Tenerrdis a cette formule, qui résume plutôt bien la situation :

Geneviève Fioraso est une actrice incontournable des sphères économiques et politiques de Grenoble et plus largement du département.

Ce mélange des sphères, Geneviève Fioraso l’a par exemple formalisé dans les colonnes du Dauphiné libéré daté du 4 février 2011, en co-signant une tribune avec Jean-Marc Chardon, président de Tenerrdis et directeur des affaires institutionnelles du mastodonte Schneider Electric. Et de plaider de concert pour le renforcement des “investissements d’avenir du grand emprunt” lancés par la prédécesseure de la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse.

Des amis dans l’industrie, Geneviève Fioraso en a d’ailleurs plus d’un. Il y a quelques mois, un article du journal Le Postillon – sorte de Canard enchaîné grenoblois -, repris par le site Article 11, recensait au moins cinq “patrons grenoblois” pour lesquels “on ne compte plus les photos côte à côte, les communiqués communs, les félicitations réciproques, les enthousiasmes partagés” avec l’élue locale. Bruno Cercley, par exemple, le PDG de Rossignol, dont elle a assisté à la cérémonie de remise de la légion d’honneur en avril 2011. Ou encore André-Jacques Auberton-Hervé, le PDG de SOITEC, mentionné sur le blog de campagne de la députée d’alors comme le chef d’orchestre “d’un bel exemple de partenariat fructueux entre laboratoire public et entreprises”.

Pour André-Jacques Auberton-Hervé, la nouvelle ministre a d’ailleurs su faire preuve d’une grande générosité. Financière, notamment. Car l’homme est également le vice-président de SEMI, une “association industrielle internationale sans but lucratif” qui, comme le mentionne un communiqué de presse, “soutient la croissance de l’industrie par le biais de normes internationales, de salons et du lobbying”. C’est ainsi sous l’impulsion de Geneviève Fioraso que la ville de Grenoble et la communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole ont adhéré, pour la somme de 2 990 euros chacune, à SEMI. Et, toujours sur proposition de Geneviève Fioraso, la mairie a versé 35 000 euros à SEMI en 2010 et 2011, à peine moins que la communauté d’agglomération pour ces deux années (37 990 euros), comme le confirment les délibérations du conseil municipal ci-dessous :

Délibérations du conseil municipal sur SEMI

Chaque année, le lobby SEMI organise un forum à Bruxelles. Il y a un an jour pour jour, le 24 mai 2011, Geneviève Fioraso y donnait une conférence. Comme un écho aux propos qu’elle tenait, fin 2008, à l’occasion d’une audition publique sur la “valorisation de la recherche” :

Les règles de la concurrence imposées par l’Europe sont souvent contre-productives pour la mise en route de grands projets de recherche rassemblant les acteurs publics et les entreprises.

Comme tous les ministres du gouvernement Ayrault, Geneviève Fioraso a apposé sa signature au bas d’une charte de déontologie. A la rubrique “Impartialité”, on trouve ces mots :

Les membres du gouvernement sont au service de l’intérêt général. Ils doivent, non seulement faire preuve d’une parfaite impartialité, mais encore prévenir tout soupçon d’intérêt privé. (…) Ils renoncent à toute participation à un organisme, même à but non lucratif, dont l’activité intéresse leur ministère.

Sollicitée par Owni, Geneviève Fioraso n’a pas donné suite à nos demandes.


Illustrations CC Matthieu Riegler remixed by pierreleibo et Pact like

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Ce bug qui exclut les étudiants étrangers du post-bac http://owni.fr/2011/02/03/ce-bug-qui-exclut-les-etudiants-etrangers-du-post-bac/ http://owni.fr/2011/02/03/ce-bug-qui-exclut-les-etudiants-etrangers-du-post-bac/#comments Thu, 03 Feb 2011 17:16:21 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=37914 Je suis universitaire, maître de conférences, et j’enseigne notamment en IUT, c’est à dire dans une formation Bac +2 qui accueille chaque année de jeunes (ou moins jeunes) bacheliers. Et une fois de plus, j’ai honte. Le ministère a mis place et généralisé depuis l’année dernière (ou il y a 2 ans, je ne sais plus) une procédure informatique appelée « admission post-bac » qui centralise toutes les demandes d’inscription (les « voeux ») dans toutes les filières universitaires (université, BTS, DUT, etc.)

Dans un état laïc et républicain, l’accès aux études est normalement garanti y compris aux jeunes de nationalité étrangère. C’est même inscrit dans un document aussi obscur que confidentiel que l’on appelle la « Constitution ». Oui mais voilà, sur « Admission Post-Bac », cette année, si l’on n’est pas de nationalité française, on n’a plus le droit de suivre des études supérieures de s’inscrire à une formation en apprentissage. C’est peu dire le niveau qu’atteint aujourd’hui mon écœurement.

Identité, éducation et exclusion nationale

Alors bien sûr, et heureusement, le lièvre a été levé par quelques vigilantes associations et syndicats, alertés par des lycéens, des parents de lycéens et quelques trop rares fonctionnaires moins soucieux de leur devoir de réserve que de leurs responsabilités citoyennes. Ils menacent de saisir la Halde (Haute autorité contre les discriminations) si rien n’est fait d’ici 8 jours (NdE : ce billet a été publié le 1er février 2011).

Le ministère de l’exclusion nationale (à moins qu’il ne s’agisse de celui de l’identité nationale, ou de l’éducation nationale, l’un des hauts-faits du sarkozysme est d’avoir vidé de leur sens l’ensemble de ces syntagmes), le ministère de l’exclusion nationale donc, a une nouvelle fois bafouillé son socle républicain, il a une énième fois cafouillé dans l’échelle de ses valeurs, après avoir :

Dans un premier temps,(…) indiqué que ces élèves ne pouvaient pas s’inscrire faute d’avoir un contrat de travail. Lundi soir, le ton était moins catégorique. La ministre de l’Enseignement supérieur a demandé au directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle de passer au crible toutes les procédures d’admission pour y traquer la moindre discrimination. (source)

Demain peut-être on nous expliquera qu’il s’agit-là d’une anomalie résultant de l’erreur humaine d’un programmeur, erreur immédiatement rectifiée dès son signalement. Je prends les paris. Navrante, consternante, aberrante, écœurante réaction qui dit tout le déni constitutionnel assumé par ceux censés en garantir les principes. Pourtant, sur Admission Post-Bac, à la rubrique « le guide du candidat », on a même droit à un document spécial pour les « candidats étrangers ».

Une procédure reconnue comme « vérolée » depuis un an…

Je veux croire que cette honte sera temporairement effacée. Et pourtant.

Pourtant l’année dernière déjà, sans que les journaux s’en fassent l’écho, quelques directeurs d’IUT et quelques chefs de département indiquaient, en « off », que la procédure « admission post-bac » pour les candidats étrangers était passablement « vérolée », « plus compliquée ou plus buggée », les mêmes préférant finalement souvent refuser en bloc le traitement des dossiers desdits candidats étrangers, en prétextant une réception hors-délai ou un élément manquant dans le dossier.

Pourtant sous couvert de simplification des procédures, de décentralisation, d’informatisation ce système autorise toutes les dérives. Il n’offre absolument AUCUNE garantie du respect des droits de chacun, sauf à présenter, comme c’est cette année le cas, un dysfonctionnement tellement patent que nul ne saurait longtemps en garantir la discrétion ou la confidentialité.

Pourtant ces dispositifs de flicage se multiplient, de la maternelle (le fameux débat « base élève ») à l’entrée à l’université et bien au-delà.

Pourtant il n’existe aujourd’hui aucun moyen qui, en connaissant la dangerosité et les risques de tels systèmes, permette de s’en affranchir.

Mais il est vrai que depuis déjà quelques années, nos différents ministres de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur et de la recherche n’ont jamais permis à leurs propres enfants de fréquenter les bancs de l’école républicaine, leur préférant l’enseignement privé catholique ou les services d’un précepteur. Toute honte bue. Qu’ils s’en aillent tous.

Billet publié initialement sur Affordance sous le titre Admission post-bac: ministère de l’exclusion nationale

Illustration CC Flickr Régis Matthey.

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Etudiants Free movers: voir le monde… et revenir ! http://owni.fr/2010/11/25/etudiants-%c2%abfree-movers%c2%bb-le-meilleur-de-la-mondialisation-mais-sans-letranger-mondialisation-expatriation/ http://owni.fr/2010/11/25/etudiants-%c2%abfree-movers%c2%bb-le-meilleur-de-la-mondialisation-mais-sans-letranger-mondialisation-expatriation/#comments Thu, 25 Nov 2010 16:20:25 +0000 Denis Colombi (Une heure de peine) http://owni.fr/?p=37281 Il y a quelques temps, Envoyé Spécial diffusait un reportage consacré aux « free movers » (on peut encore le voir ici). Kezako ? J’avoue l’avoir appris moi-même en regardant la chose. Les free movers, ce sont des étudiants qui iraient faire leurs études à l’étranger, en dehors du cadre de l’échange universitaire type « Erasmus ». Penchons-nous sur ces parcours pour voir ce qu’ils nous disent de la mondialisation.

Dans « free movers », il y a free. Outre que ce soit là le nom d’une compagnie bien connus pour ses délais approximatifs et ses publicités qui ne le sont pas moins, ce terme veut dire, je ne l’apprendrais pas à mes lecteurs, « libre ». Nos étudiants seraient donc libres de leurs mouvements puisqu’ils se placent à l’extérieur de la contrainte de l’échange universitaire. L’expression concentre à elle seule une bonne partie de la présentation classique des mobilités internationales : partir à l’étranger, ce serait faire preuve de liberté, ce serait saisir courageusement une opportunité bien meilleure qui se présenterait par delà les frontières, ce serait accomplir, en un mot, sa liberté.

Enfin, si vous êtes occidental, riche et, dans la mesure du possible, blanc. Si vous êtes africain ou latino ou chinois ou autre, partir à l’étranger, ce n’est plus du tout cela, c’est soit le résultat d’un poids incommensurable des contraintes sur vos frêles épaules – le poids de la pauvreté ou celui de l’Etat totalitaire – soit une tentative plus ou moins larvée d’envahissement.

L’expatriation comme motif de critique de la France

Le reportage de Envoyé spécial empruntait, comme on pouvait s’y attendre, beaucoup à la première présentation, plutôt héroïsée, des mobilités internationales. Même s’ils faisaient face à des « blocages » de la société française, que ce soit l’obligation de passer par la difficile épreuve de la classe préparatoire pour accéder à une école de commerce ou un numerus clausus beaucoup trop bas pour les professions médicales, les étudiants suivis par les journalistes étaient présentées comme des innovateurs ayant habilement trouvé une nouvelle solution. L’idée d’une grande liberté de mouvement est omniprésente : le monde s’ouvre à vous, aux audacieux d’en profiter.

Ce point est particulièrement visible dans le début du reportage où l’on suit les pas d’une jeune bachelière tout heureuse d’intégrer HEC Montréal. Les journalistes filment et reprennent à leur compte, et à celui de leurs spectateurs, ses différents émois : « oh la la : nous avons des ordinateurs, on aurait pas ça en France », « oh la la : on a des cours où l’on est pas 500 dans l’amphi, c’est impossible en France », « oh mon dieu, on peut participer à des associations dans l’école et c’est valorisé par les employeurs, vous imaginez ça en France », bien sûr que non, les Français, ah ah ah… Parfois, je l’avoue, j’aimerais que certains journalistes fassent le boulot pour lequel ils sont payés. Parce que les écoles de commerce française (fort chères au demeurant) proposent des équipements informatiques à leurs étudiants et reçoivent des financements de la part d’entreprises, organisent des cours en petits groupes et encouragent plus que vivement leurs étudiants à participer à des associations et à tout le bazar. Ce dernier point est même au coeur de la stratégie pédagogique de HEC Paris (voir cet excellent article de quelqu’un qui a pris la peine d’y mettre les pieds).

Il est presque fatal, depuis que The Guardian a lancé la mode avec un article sur les Français débarquant en masse au Royaume-Uni, que toute la question des expatriés deviennent, d’une façon ou d’une autre, une comparaison cinglante entre la France et les pays anglo-saxons. Cela témoigne au moins d’un point important : nous accordons aujourd’hui, en France, une grande légitimité à ce qui vient de l’étranger, suivant le principe que l’herbe y est forcément plus verte. En soi, rien de nouveau sous le soleil : il fut un tant où les enfants de l’aristocratie partaient faire de grands voyages dans toute l’Europe, et spécialement en Italie, pour parfaire leur formation de gentilhomme. Pratique toujours courante si l’on en croit Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ou Anne-Catherine Wagner. Ce point suggère une question à approfondir : on sait que le mouvement de mondialisation en lui-même est ancien (on peut le faire remonter au XIXe siècle au minimum, certains auteurs allant même plus loin dans le passé), qu’en est-il des pratiques que nous voyons aujourd’hui comme des nouveautés ? J’en parlerais sans doute une fois prochaine.

S’ouvrir au monde… entre Français !

Ce premier départ décrit par le reportage prend sa logique dans la valeur prêtée à l’expérience à l’étranger. Même si, comme le souligne justement le reportage, il peut y avoir quelques difficultés au retour, les anciens élèves d’HEC Montréal n’ayant peut être pas les mêmes possibilités que ceux d’HEC Paris (il aurait cependant été bon de comparer aussi avec des écoles de commerce plus modestes), ils disposent d’un point d’appui pour transformer leur parcours en « success story ». Face à un employeur, plutôt que d’expliquer qu’ils ont fuit les deux années de classe préparatoire, ils pourront essayer de mettre en avant leur connaissance de l’étranger, leurs capacités d’adaptation, etc. déjà valorisées par leur interlocuteur.

Reste les deux autres parcours suivis : celui d’un étudiant vétérinaire et celui d’une étudiante en médecine (et de quelques autres de ses compères), le premier en Belgique, la seconde en Roumanie. Les deux sont partis pour contourner le numerus clausus, cette limitation du nombre d’inscrits dans leur discipline respective, en capitalisant sur l’équivalence des diplômes en Europe. Il est étonnant de voir combien ces « free movers » ont peu de liberté. Car pour l’un comme pour l’autre se pose ce même problème : celui du retour en France. Il en va de même d’ailleurs pour la jeune fille inscrite à HEC Montreal pour qui la question du retour se pose déjà alors qu’elle commence à peine ses études.

Il faut se poser cette question : dans quoi sont engagés ces « free movers » ? Dans quel type de carrière ? Si on considère le vétérinaire ou le médecin, la réponse est relativement simple : l’un comme l’autre sont engagés dans des carrières françaises. Bien que faisant une partie de leurs études à l’étranger, leur progression est guidé par un horizon français. Rester en Roumanie ?

C’est difficilement envisageable. Il faudrait accepter d’être éloigné de sa famille et de ses proches. Il faudrait également accepter les conditions de vie et de rémunération roumaine. Il faudrait enfin s’acculturer relativement aux façons de faire roumaines. Rien de tout cela n’est impossible, mais voilà autant d’obstacles à la pleine liberté de nos « free movers ». Il est notable que, dans le reportage, on voit des Français qui, en Roumanie, se fréquentent surtout entre eux. Comme ils envisagent de repartir à assez court terme, ils n’ont pas à chercher à tisser quelques liens avec des Roumains, ils n’ont pas à chercher à s’intégrer à ce pays.

Ils restent donc libres de repartir, mais uniquement vers la France. Cela parce qu’ils n’ont jamais véritablement quitté ce pays. Et ce d’autant plus que le grand nombre d’étudiants français adoptant une telle stratégie leur permet de se mouvoir dans une « communauté française » relativement homogène.

L’étudiant « free mover », un touriste comme un autre

Que décrivent alors ces parcours de « free movers » ? Certainement pas un rétrécissement du monde où les individus seraient devenus plus libres de circuler comme le voudrait certaines présentations de la mondialisation. Encore moins la formidable saga de quelques aventuriers partis chercher fortune par delà les mers. Plus simplement, on peut y voir des utilisations bien circonstanciées et limitées du départ vers l’étranger. Et qui doivent se rapporter, chacune à sa façon, à ce qui se passe en France : que ce soit par la légitimité accordée au « global » et au « mondial » ou à l’institutionnalisation de certaines pratiques – laisser les médecins français aller se former en Roumanie n’est jamais qu’un moyen de privatiser en douce les études de médecines sans avoir à remettre en cause les institutions françaises.

Il y a donc une contradiction flagrante dans le terme choisis pour désigner ces étudiants. D’une part, leur mobilité n’est pas si grande que cela. D’autre part, si effectivement ils se placent hors de l’échange universitaire classique, leurs parcours peuvent bel et bien être guidés par des considérations et des institutions nationales : ils demeurent alors des « Français à l’étranger », sans intention particulière de s’installer définitivement. Sans doute sont-ils plus proche de la figure du touriste, qui vient aujourd’hui pour partir demain, que de celle de l’étranger, qui vient aujourd’hui et restera demain pour reprendre une formule de Simmel. Et si le touriste étaient la figure centrale de la mondialisation ?

Billet publié initialement sur le blog Une heure de peine sous le titre Les Free movers sont-ils free (et ont-ils tout compris) ?.

Photo FlickR CC skpy ; Shinya ICHINOHE ; James Diedrick.

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Dépendance financière : après les retraités et si on parlait des jeunes ? http://owni.fr/2010/11/16/dependance-financiere-apres-les-retraites-et-si-on-parlait-des-jeunes/ http://owni.fr/2010/11/16/dependance-financiere-apres-les-retraites-et-si-on-parlait-des-jeunes/#comments Tue, 16 Nov 2010 09:46:24 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=37171 Des lycées bloqués aujourd’hui, l’Université hier et le CPE avant-hier. On continue la chronologie ou c’est suffisant ? Ces mouvements entrainent dans la rue quelques milliers de jeunes, étudiants, lycéens. Crier leur colère, leurs désillusions et leur envie de reconnaissance.

A l’heure où le 5ème risque (coût de la dépendance des personnes âgées) parait plus important que les conditions précaires dans lesquelles peuvent vivre une partie des jeunes, moi ça m’effraie. Car les années estudiantines sont sensées être nos plus belles années alors que nous vivons dans un climat de crainte face à l’avenir. Quel étudiant pourra dire que son diplôme l’amène à un boulot des plus épanouissant ? Que penser de cette galère et de cette course aux bourses, aux petits boulots pour financer ses études au détriment de ces dernières ?

Adulte plus tard car dépendant plus longtemps

L’entrée sur le marché scolaire d’une foule d’élèves dans les années 80, l’objectif d’emmener 80% d’une classe d’âge au bac [1] (et non 80% de réussite au bac !), l’allongement de la scolarité depuis les années 1960, le contexte économique difficile qui ne date pas d’hier et les craintes de la « jeunesse » de ne pas trouver de travail à la sortie de leurs études amène à une redéfinition de la question « qui sont les jeunes aujourd’hui ? ».

Tout d’abord, ils sont plus vieux que ceux d’hier, vision purement logique du problème, on assiste à une désynchronisation et à un report des seuils d’entrée dans l’âge adulte [2]. Être adulte aux yeux de toute une société, c’est pouvoir s’assumer matériellement. Or, les jeunes subissent une double dépendance : étatique et familiale. S’en débarrasser pour être un adulte à part entière, respecté en tant que tel, maitre de ses décisions et libre de ses choix personnels (sans parler de la dimension psychologique) relève du parcours du combattant.

Alors pourquoi parcours du combattant ? D’une part, les aides de l’Etat sont indexés sur la situation familiale, par le biais entre autres des bourses et des allocations jusqu’à 20 ans. Quid des étudiants en rupture avec leur parent ou dont le lien est fragile, à tel point que demander une aide financière devient en soit difficile ? De ce point de vue, le jeune « presqu’adulte » est considéré comme dépendant. Mais de l’autre, l’Etat verse directement une allocation logement aux étudiants, conditionnée par le montant de leurs propres ressources. Ici en revanche, il est adulte. Un âge mais deux définitions.

Logement : rester l’enfant ou risquer l’indépendance

De plus la majeure partie des frais de scolarité (à titre indicatif, plus de 400 euros pour un master, avec la Sécurité Sociale), et parfois des frais annexes, incombent à la famille et obligent soit à rester au domicile parental (où le jeune demeure « l’enfant»), soit une dépendance financière au niveau du logement (le jeune est un adulte infantilisé par nécessité). Ici encore, l’étudiant est assis entre deux chaises, position somme toute assez inconfortable.

Il y a « tension entre la volonté de suivre la norme de l’indépendance du jeune adulte et la nécessité d’être pris en charge financièrement pour pallier au manque de ressources nécessaire à une indépendance totale [3]».

Alors certes l’accès à l’indépendance par la décohabitation se retrouve dans les milieux aisés. En revanche dans les milieux les plus modestes, partir de chez soi implique un travail salarié à côté des études. Même pas la peine pour les BTS et IUT ! Quant à la fac, le travail en dehors reste encore vecteur d’abandon, et ce dès la première année… On peut aussi tout abandonner et faire œuvre d’une « sortie précoce sans filets [4]», trouver un travail qui ne correspondait pas à nos idéaux premiers. Je ne parle bien sûr pas de « devenir princesse »… c’est pas le même type d’idéal.

Alors ces jeunes, là dans la rue, se rendent-ils compte du décalage entre leurs désirs (hétéro-normés ça va de soi !) et les possibilités réelles. Non ?

(le titre est une citation de Louis Gruel et Claude Grignon, à retrouver dans l’enquête de l’Observatoire de la Vie Etudiante de 1999)

[Mise à jour le 21 octobre]: à lire cette semaine dans la presse: l’excellent dossier desInrockuptibles n°777 « Le président anti-jeunes » et Libération du 21 octobre « Jeunes. Pourquoi ils se révoltent »
[1] Je vous conseille l’excellent livre de Stéphane Beaud 80% au bac et après, les enfants de la démocratisation scolaire , Editions La Decouverte, 2003
[2] Olivier Galland, Un nouvel âge de la vie, Revue française de Sociologie, 1990
[3] Cecile Van de Velde, La dépendance familiale des jeunes adultes en France. Traitement politique et enjeux normatifs, ouvrage collectif, Serge Paugam, Repenser la solidarité, l’apport des sciences sociales, Paris, PUF, coll. Le lien social, 2007.
[4] Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp, 1995, L’art et la manière de quitter ses parents, Populations et Sociétés, n.297.

Article publié initialement sur le blog Regardailleurs sous le titre : « Devenir étudiant, c’est presque toujours, devenir économiquement assisté ».

FlickR CC Antoine Walter ; Valco.

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