OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les data en forme http://owni.fr/2012/08/21/les-data-en-forme-episode44/ http://owni.fr/2012/08/21/les-data-en-forme-episode44/#comments Tue, 21 Aug 2012 14:55:33 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=118388 On commence fort avec le Wall Street Journal, qui dépote désormais de l’application interactive à un rythme soutenu (on l’évoquait la semaine passée) comme le font les éminents Guardian et New York Times.

L’application “Murder in America” [en] permet ainsi “d’explorer une base de données interactive des meurtres commis aux États-Unis entre 2000 et 2010″ tout en permettant de raffiner sa requête aisément selon les critères apparaissant dans les comptes rendus rassemblés par le FBI (“race” — au sens où ce mot est utilisé outre-Atlantique —, sexe du meurtrier ou de la victime, circonstances du meurtre, localisation géographique, type d’arme, etc.). Un boulot complexe extrêmement sobre et simple dans son rendu et dans son utilisation, ce qui est toujours une mesure utile pour juger de la qualité d’un tel projet.

Carto par-ci, carto par-là

Un poil moins ambitieux mais bien rafraîchissant, l’application sans nom (intégrée ci-dessous pour sa version “Monoprix”, vous pouvez aussi jouer avec sa version intégrale), réalisée par nos camarades de Data Publica, permet de mettre en valeur leur savoir-faire et leur technologie en matière de rendu de données. Elle offre également une opportunité à la galaxie Open Data de lancer un message positif vers les entreprises privées imaginant que “Open Data” ne puisse signifier que “données publiques”, et donc à les inciter, elles aussi, à ouvrir autant que possible leurs données.

L’application, fabriquée à partir d’un jeu de données inédit, localise les magasins de type Franprix ou Picard sur Paris et affiche leur quantité pour 10 000 habitants.

On reste dans les cartes estivales, celles-ci basées sur le crowdsourcing, avec le projet Bostonography [en]. Le principe est simple : délimiter les quartiers de Boston (Massachusetts) en demandant aux habitants de contribuer en dessinant eux-mêmes les frontières de leur quartier telles qu’ils les perçoivent. L’idée pourrait paraître saugrenue, mais les résultats obtenus prouvent le contraire : tout le monde n’a pas la même perception de l’espace et des territoires. Le tout est de prendre l’avis de chacun et de mettre en lumière les points de concorde (agreement) pour cerner au mieux le “vrai” cœur d’un quartier.


Musique à la carte

L’été, saison des festivals, saison de la détente, quel meilleur moment pour se partager une petite infographie sans prétention réalisée par Pello, un “artiste londonien combinant un amour de la musique avec un désir de créativité” (hé oui, quand même). Méthodo rapide : placer sur la carte les chanteurs, groupes, selon leur lieu de naissance ou de formation. On l’aurait bien augmenté avec un peu d’interaction et de zizik qui démarre au glissé de la souris, mais on sent que ça va pas être possible au niveau des droits. Donc on se contentera de l’imaginer avec vous.

À l’est, du nouveau

Repérée également cet été sur The Economist, cette petite vidéo [en] de fact checking historico-politico-socio-géographique, pour expliquer le non-sens du concept “d’Europe de l’Est” et pourquoi “rassembler les pays de l’ancien bloc communiste comme une seule entité est suranné et dommageable”. Les explications sont claires : il n’est pas justifié de les regrouper pour des raisons géographiques, ni pour des raisons économiques, ni pour des raisons politiques. Ici, on milite plutôt pour une “Europe Danubienne” — qui, au moins, fait sens historiquement et culturellement — voire une “Europe Romaine”.

La Ligue 1 en data

On vous reparle cette semaine d’Anthony Veyssiere parce que, décidément, on aime bien tout ce qu’il fait. Après avoir bossé sur les élections et Twitter ou encore sur des données de l’OCDE, le jeune développeur-designer publie cette fois un remarquable travail de visualisation sur le foot français, en se basant sur les données statistiques d’un spécialiste teuton du secteur, Transfermarkt.

Grâce à cette visualisation qui projette sur un graphique à branches les différents joueurs des effectifs de L1 selon leur rôle dans l’équipe, il est ainsi facile de voir d’un coup d’œil les disparités financières entre les clubs de foot français ainsi que les “points forts” et “points faibles” des écuries par secteur. Évidemment, la conclusion à tout ceci c’est que les clubs les plus riches ne sont pas les meilleurs. Le boulot est malgré tout très réussi et réjouira les amateurs de simulateurs de gestion de club de foot grâce au look’n'feel très ludique de l’application.

La vérité est ailleurs

Une petite dernière pour conjurer la canicule en se disant qu’il fait sûrement plus chaud ailleurs. Infographie attrapée au vol sur xkcd [en] et qui représente les 786 exoplanètes connues à date, mises à l’échelle avec notre système solaire. La bonne nouvelle, c’est qu’on en découvre de plus en plus, et qu’elles sont de plus en plus petites grâce aux progrès de la technique. Et qu’on se sait absolument rien sur ces corps célestes fort lointains. Et que ça pourrait changer, un jour ou l’autre.

Bonne data-semaine à tous !


Tous les épisodes précédents des Data en forme.
Paulette sur Twitter | Paulette sur Facebook | Paulette sur Pinterest

]]>
http://owni.fr/2012/08/21/les-data-en-forme-episode44/feed/ 1
Les Data en forme http://owni.fr/2012/01/18/les-data-en-forme-episode-16/ http://owni.fr/2012/01/18/les-data-en-forme-episode-16/#comments Wed, 18 Jan 2012 10:00:42 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=94238 Better World Flux [en] a vu le jour à l’occasion d’un concours d’applications organisé par la Banque mondiale, afin de promouvoir les objectifs du millénaire pour le développement. Au menu de cette compétition : permettre au grand public, avec l’aide de développeurs, de graphistes et de journalistes compétents, de s’emparer des nombreuses données hébergées sur les serveurs de la Banque mondiale pour comprendre les mécanismes et les histoires qui y sont enfouies. Better World Flux veut être une “magnifique visualisation interactive” (objectif amplement atteint) informant sur ce qui “compte réellement dans la vie”. Il est ainsi possible de comparer en couleurs des indicateurs tels que le bonheur, l’espérance de vie, la longueur de la scolarité et tout ce qui permet de produire une photographie de l’état du monde et de la qualité de la vie dans les pays qui le composent, ainsi que l’évolution de ces indicateurs au cours des 50 dernières années.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le cinéma au scalpel

Cinemetrics [en] est une splendide application, pleine de sens et de pertinence, qui mesure et visualise la data au cinéma, permettant de révéler les caractéristiques des films et de leur créer une sorte d’empreinte digitale… visuelle. La structure de montage, la colorimétrie, les dialogues et les mouvements sont extraits, analysés et transformés en représentations graphiques afin que le film puisse être appréhendé dans son ensemble en un seul coup d’œil, voire comparé avec un autre film sur le même écran. Le résultat, qu’on vous a déjà passé cet été mais qu’on remet ici parce qu’on aime bien le concept de #oldlink, est proprement fascinant et immanquable pour les amateurs du 7e art. La majorité du code est disponible sur Github.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Voyages et bouts de ficelles

Lichtreise [de] est un projet de Christopher Pietsch s’inscrivant dans le cadre d’un cours interactif au sein de l’Université des Sciences appliquées de Potsdam. Le but : concevoir une visualisation qui affiche (au minimum) sept voyages sélectionnés de la vie de l’étudiant. La conception et le résultat final font l’objet d’une série de très jolies photographies de ce projet très “do it yourself“.

Hack your life or be a user – Pietsch


Aiguilles et bottes de foin

Citeology [en] est un projet extraordinaire coordonné par Justin Matejka au sein du laboratoire de recherche des fameux logiciels de modélisation Autodesk/AutoCAD. Ce projet Citeology permet de visualiser les relations entre des publications selon les citations qu’elles utilisent. Pour l’exercice, plus de 3 500 documents portant sur les interactions humains-ordinateurs et publiés au cours des 30 dernières années ont été passés à la moulinette data pour créer cette application (nécessite le plug-in Java) qui fait ressortir près de 12 000 citations croisées au sein de la collection. Le résultat est tout simplement époustouflant et ouvre la porte à des pistes de visualisations réellement innovantes, notamment dans le domaine émergent de la “big data“.

Ceci n’est pas un jeu

Candidate Match Game [en] est l’une des premières (et sans doute très nombreuses) applications ludiques autour de la présidentielle américaine de l’automne prochain. Développée par USA Today, cette application fonctionne selon un principe extrêmement simple : vous placez un curseur sur des grands thèmes de société selon l’importance que vous leur accordez et répondez ensuite à des questions concernant ces thèmes en sélectionnant la proposition qui convient le mieux à vos convictions. Au terme de ce questionnaire, le jeu vous annonce le nom des candidats dont les programmes politiques ou la vision globale se trouve à la plus grande proximité de votre propre vision de la société. Cette app est évidemment à l’entrée d’un long tunnel que nous allons emprunter, et nous reviendrons régulièrement sur ce type d’initiatives – qu’elles aient lieu en France ou aux États-Unis.

Un gazon de toutes les couleurs

Diversity in the Premier League est une visualisation sur le championnat anglais de football, motivée par “l’affaire Suarez” qui agita la fin du mois de décembre dans le monde du ballon rond – le joueur du club de Liverpool ayant été accusé par l’arrière français Patrice Evra d’avoir proféré de nombreuses injures raciales en plein match. Partant de ce navrant fait divers, Josh Ritchie a souhaité mettre en valeur la diversité de nationalités au sein de l’élite du football anglais au travers de cette dataviz très réussie.

Love, etc

Pour clore ce 16e épisode des Data en forme, des nouvelles de deux “data-artistes” parmi ceux dont nous suivons régulièrement le flux (YouTube et Flickr). Parce que ce monde n’est pas un monde de brutes mais plutôt paix, amour et beauté.

Une excellente data-semaine à tou(te)s :)

Eric Fischer – World travel and communications recorded on Twitter


Stephen Malinowski – Claude Debussy : Doctor Gradus ad Parnassum

Cliquer ici pour voir la vidéo.

]]>
http://owni.fr/2012/01/18/les-data-en-forme-episode-16/feed/ 2
Le foot, miroir des mutations de la mobilité urbaine http://owni.fr/2011/05/28/le-foot-miroir-des-mutations-de-la-mobilite-urbaine/ http://owni.fr/2011/05/28/le-foot-miroir-des-mutations-de-la-mobilite-urbaine/#comments Sat, 28 May 2011 08:13:24 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=65026

Arsenal vs Liverpool ; Cesc Fabregas et Steven Gerrard.

Vous avez bien lu : le foot est un formidable témoin de notre rapport à la mobilité. Qui l’eût cru ? Ce faisant, le ballon rond devient un excellent outil pour comprendre (et surtout faire comprendre) le nouveau paradigme de « l’homo mobilis » dans lequel s’inscrivent aujourd’hui nos déplacements plurimodaux. Vous êtes sceptique ? Démonstration dans ce billet à vocation pédagogique qui s’adresse autant aux experts de la mobilité qu’à ceux du ballon rond ;-)

1970-2000 : l’essor de la valeur « mouvement »

La première similitude tient dans l’évolution remarquable des valeurs « positives » attachées tant au football qu’à la mobilité. Ainsi, si la valeur « vitesse » a longtemps tenu le haut du pavé, elle s’est vue progressivement supplantée par la valeur « mouvement » au cours des dernières décennies. Comme je l’écrivais dans une chronique OWNI,

Nos sociétés sont fondées sur l’idée que le mouvement – qu’il soit rapide ou non, soutenable ou non, vivable ou non – est nécessairement positif.

Cette valorisation du mouvement – dont je critique l’hégémonie, cf. paragraphe suivant – se vérifie dans nos mobilités (cf. la « saine mobilité » et « l’injonction au mouvement » de Scriptopolis), et plus généralement dans l’ensemble de notre société occidentale, de la flexibilité du travail au butinage amoureux. S’il est difficile de dater l’essor de la valeur « mouvement », on remarquera que celui-ci a accompagné l’essor du libéralisme dans la vieille Europe. Autrement dit, le « mouvement » règne depuis la fin des Trente Glorieuses suite à la crise de 1973, culminant dans les années 1990-2000 (pensez aux goldenboys toujours « dans le move »…)

Le football n’en est évidemment pas exclu. Comme l’écrivait le site de référence tactique Zonal Marking à propos du mouvement « sans ballon » [en], considéré comme une tendance majeure du football des années 2000 :

Le mouvement n’est pas une nouveauté dans le football ; comme l’a souligné Jonathan Wilson dans « Inverting The Pyramid » [sur l'évolution des tactiques footballistiques], la principale qualité de la légendaire équipe hongroise qui battit l’Angleterre 6-3 en 1953 reposait sur la tendance des joueurs hongrois à quitter leurs positions naturelles [dézoner] et à permuter avec leurs partenaires, de manière à embrouiller l’adversaire qui ne savait alors plus qui ils étaient supposés marquer.
Mais il semble y avoir une résurgence de la popularité et de l’importance du « bon mouvement » dans les années récentes [années 2000].

Ce rôle du « bon mouvement » est d’ailleurs l’héritier direct du « football total » flamand des années 1970, qui « proposait un jeu offensif basé sur le mouvement et la permutation des postes durant les matchs ». Et ce n’est pas un hasard si l’on  retrouve, quelques années plus tard, cette même valeur « mouvement »au coeur du jeu barcelonais, grâce à l’influence des entraîneurs Rinus Michels puis Johan Cruijff, respectivement « inventeur » et « inventé » du football total tout en mouvement… (voire notamment le point 4. Être en mouvement, et en particulier à partir de 5’48)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

2000 – 2010 : « le dogme du mouvement » et ses dérèglements

En mettant en action les joueurs « sans ballon » sur un terrain, l’essor de la valeur « mouvement » aura grandement contribué à accélérer le jeu balle au pied. Comme l’explique Une balle dans le pied :

Inversement, le football d’antan est dénigré sous l’angle de sa lenteur et de sa faible intensité : “Ça manque de rythme”, entend-on. En réalité, le rythme était autre : moins enlevé, certes, mais pas dépourvu de groove. La liberté de mouvement dont dispose alors le porteur du ballon est effectivement frappante : il a le temps et l’espace pour évoluer, et l’on s’étonne que les adversaires restent si passifs, au point de paraître rétrospectivement irresponsables dans leur absence de pressing et leur replacement aléatoire.

[...] Un style de jeu de passes a quasiment disparu : les milieux de terrain avaient jadis le loisir de lever la tête pour évaluer les différentes options, pour choisir entre différentes transmissions. [...] Avec le quadrillage du terrain désormais en vigueur, les joueurs sont plus enclins à chercher des solutions immédiates ou à courir avec le ballon : dans les quelques dixièmes de seconde impartis, il est difficile de concevoir une meilleure passe que la passe la plus évidente. Et la vision du jeu se rétrécit considérablement pour le porteur du ballon.

Conclusion : si le foot actuel est plus rythmé qu’auparavant, c’est au détriment des « numéros 10 » [en] à la Zidane et des passeurs à la Guardiola, comme il l’explique lui-même [en]. Que faut-il en conclure ? Que l’excès de mouvements (défensifs) aura paradoxalement contribué à tuer ce fameux « beau jeu », basé sur le mouvement général (offensif) et qui faisait le bonheur de nos papas (ou de vous, chers lecteurs plus âgés que moi ^^). Et l’évolution est encore une fois similaire dans l’univers des mobilités.

En football comme dans la vie, nos sociétés se caractérisent ainsi par  cette « injonction mobile » : « se tenir immobile dans notre société est considéré comme une remise en cause de la “norme sociale puissante” à l’heure de la mobilité permanente », témoigne le géographe Michel Lussaut (via). C’est ce que j’ai baptisé le « dogme du mouvement », afin de souligner les excès que provoquent cette culture de valorisation hégémonique de la mobilité.

N’est-il pourtant pas nécessaire de remettre en cause cette “mobilité” trop souvent incontestée, ou du moins d’en questionner la légitimité ? Car les maux décrits par Rosa ou Virilio [à propos de l'accélération de la société] ne sont pas tant ceux de la vitesse que ceux du mouvement en général [...]. En termes de déplacement physique, c’est bien les trajets subis qui sont en ligne de mire ; et peu importe qu’ils soient lents, rêveurs ou ludiques s’ils sont vecteurs de stress et de pression.

Et en football comme dans la vie, ce dogme du mouvement est au cœur de tous les problèmes. Face à ce constat, la question se pose : à quoi ressembleront le foot et la mobilité de demain ?

2010 : Le mythe de la lenteur à l’épreuve des réalités ?

À cette question, je répondrai par deux autres questions : d’abord que veut-on faire de nos mobilités, ; mais surtout, que peut-on en faire ? Encore une fois, les deux thématiques du jour se rejoignent dans leurs réponses. Ainsi, en foot comme en mobilités, certaines voix s’élèvent pour proposer comme alternative la réintroduction de la valeur « lenteur » pour résoudre les vices modernes de leurs domaines respectifs. En foot, ceux-là repensent voire militent avec nostalgie à ce foot à papa, « plus imaginatif et cérébral ». En termes de mobilités urbaines, il s’agira de promouvoir des modes plus doux et plus lents : tramway, marche, vélo… Mais il s’agit là d’un mythe qu’il me semble nécessaire de déconstruire, comme je l’avais expliqué :

À trop axer son discours sur la lenteur comme “remède miracle”, il me semble que l’on ne se pose pas les vrais questions. La lenteur, d’abord, souffre de la largesse de ses définitions. Certains évoquent ainsi, pêle-mêle, le tramway, le bus, le vélo ou la marche. Autant de modes aux vitesses sensiblement différentes. La vitesse urbaine moyenne étant aujourd’hui plafonnée à 25 km/h, peut-on vraiment parler de lenteur lorsque l’on est en bus ou en tramway, voire en vélo (les habitués dépassent les 20 km/h moyens) ?

Reste la marche, seule véritable “mode lent” ; [...] Jusqu’à ce qu’on se rappelle que la marche n’est pas forcément le mode poétique et contemplatif se dessinant entre les lignes de cette “lenteur salvatrice”. Car la marche peut aussi se faire dynamique et tonique lorsqu’elle est subie (ou simplement lorsque l’on n’envisage pas la marche comme un mode au ralenti : cf. la marche sous endorphines de Matthias Jambon-Puillet).

J’en appelle donc à votre fond réaliste : certes, la lenteur est séduisante ; mais est-ce une solution viable ? Je n’y crois malheureusement, de même que je ne crois pas véritablement au retour d’un football plus « apaisé ». Alors que faire ?

Demain, le mouvement perpétuel. L’anticipation comme valeur-pivot de la mobilité

Puisque l’on ne peut pas « lutter » contre la vague du mouvement (sauf à en sortir pleinement, comme je l’appelle de mes vœux, mais cela n’est pas l’heure qu’une utopie de plus), il faut apprendre à faire avec. C’est encore une fois le foot qui nous donne les pistes créatives pour ouvrir la réflexion, à travers les mots de l’excellent tactiblogueur « e-foot » dans une réflexion au titre évocateur : Le football devient-il plus rapide ?

La réponse [au constat évoqué plus haut de pressing permanent] ? Messi le dit au tout début de la vidéo d’Adidas : « prendre des décisions plus rapidement ». J’irai même plus loin en parlant d’anticipation.

Ça y est, le mot est lâché : « anticipation», qui vient parachever mon argumentaire. Concrètement, cela se traduit footballistiquement ainsi :

Le jeu en mouvement, « l’appel qui déclenche la passe » pour citer Denoueix, l’anticipation des mouvements des adversaires mais aussi de ses coéquipiers pour réagir en conséquence, voilà quelques clés pour accélérer le jeu de son équipe, le fluidifier. [...] Le joueur qui subit le pressing doit « prendre une décision plus rapidement » ; le joueur qui récupère le ballon doit « prendre une décision plus rapidement » pour lancer une action avant que l’adversaire n’ait le temps de se replacer (ou de le presser pour récupérer le ballon).

Vous remarquerez la proximité du champ lexical du tacticien avec celui qui nous concerne ici. Plutôt logique : la situation est exactement identique dans le domaine des mobilités urbaines.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ainsi, la valeur-clé permettant aux individus de « se dépêtrer » du dogme du mouvement permanent sans le quitter pour autant, consiste justement à « prendre des décisions plus rapidement », voire à « anticiper » : anticiper la congestion d’un réseau de métro grâce aux informations accessibles en mobilité via son smartphone, et décider de prendre un Vélib’ ou de marcher jusqu’au bus, par exemple. C’est à ça que ressemblent les hypermobilités d’aujourd’hui, et les mobilités de demain : opportunistes, fluides voire liquides grâce à une information ubiquitaire sur les modes qui nous entourent, de plus en plus nombreux et variés sur un même territoire dense…

Bienvenus dans le règne de l’instantanéité que je décrivais dans mon mémoire, et que j’explicitais il y a pile-poil un an et dix jours dans un commentaire sur e-foot. Comme quoi, je reste fidèle à mes analyses, la preuve ! :-)

Comme expliqué plus haut, la réponse [au pressing] tient en partie voire essentiellement dans la capacité du porteur du ballon à prendre plus vite des décisions. Cette faculté oblige le joueur à ralentir à l’extrême la perception qu’il a du mouvement qu’il entoure, afin d’anticiper les déplacements des joueurs (une sorte de Bullet-Time). Cette capacité « à lire le jeu » est évidemment à la base de tout sport, et ce depuis la nuit des temps. Mais c’est à mon avis son développement hors du sport, dans les mobilités quotidiennes urbaines, qui permet d’en assimiler l’essence dynamique :

[comme je l'écrivais dans la conclusion de mon mémoire] « L’instantanéité » exprime cette aptitude à rebondir sur l’instant [de décision] pour maîtriser un temps inédit et malléable. L’instantanéité est appelée à devenir la norme de nos déplacements et plus généralement de nos rapports au temps. Elle exprime une aptitude à s’adapter aux fluctuations, accélérations et ralentissements du cours temporel ; un propulseur de mobilités intuitives et adaptatives. »

Voilà donc le paradigme des mobilités à venir, tant sur les terrains de foot que dans les rues des mégalopoles. Il s’agit donc d’être en permanence informé des mouvements qui nous entourent (grâce aux technologies ou à une vision de jeu restreinte), puis d’être en permanence en capacité de rebondir (vers un autre mode ou un autre joueur). Conclusion paradoxale mais hautement jouissive : en foot comme en mobilités urbaines, pour vivre dans le mouvement sans le subir, il est donc nécessaire de vivre en mouvement perpétuel.  À l’image de Barcelone cette saison, et son jeu de passes instantanées leur permettant de conserver le ballon pour multiplier les choix, grâce aux mouvements de ses joueurs. Xavi serait donc le modèle de l’homo mobilis de demain ? :-)

Ce billet est dédicacé à mon ex-collègue Caroline, qui avait parié que je ne pourrais pas relier mes deux amours, tactique footballistique et prospective urbaine ! Je l’avais promis ici, et j’ai tenu parole… en espérant que l’exercice vous aura plu, que vous soyez urbanologue, footeux ou un peu des deux !

Billet initialement publié sur [pop-up] urbain

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification toksuede

]]>
http://owni.fr/2011/05/28/le-foot-miroir-des-mutations-de-la-mobilite-urbaine/feed/ 1
Pape Diouf: «Le football français discrimine» http://owni.fr/2011/05/24/pape-diouf-%c2%able-football-francais-discrimine%c2%bb/ http://owni.fr/2011/05/24/pape-diouf-%c2%able-football-francais-discrimine%c2%bb/#comments Tue, 24 May 2011 11:09:13 +0000 Sandrine Dionys http://owni.fr/?p=64252 Pape Diouf, né en 1951, est arrivé à Marseille à la fin des années 70. Il est le fils d’un militaire qui s’est battu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Après des Études à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, ce Franco-sénégalais passionné de football, devient journaliste puis, des années plus tard, agent de joueurs pour Basile Boli, Joseph-Antoine Bell, Marcel Desailly, Bernard Lama, Sylvain Armand, William Gallas, Grégory Coupet, Laurent Robert ou encore Didier Drogba. En 2004, il rejoint l’Olympique de Marseille comme manager général du club, chargé des affaires sportives puis est nommé président du directoire. En 2005, il devient président de l’Olympique de Marseille jusqu’en juin 2009. Aujourd’hui, il est, depuis 2010, actionnaire de l’European communication school et de l’Institut européen de journalisme à Marseille.

Ce lundi, il a assisté au Cabaret Sauvage à Paris, comme membre du jury, à la 3ème édition des Y’a Bon Awards organisée par l’association Les Indivisibles, une cérémonie parodique de remise de prix aux pires propos racistes tenus impunément dans les médias français par des personnalités publiques.

Quel regard portez-vous sur la polémique autour de l’affaire des quotas?

Pape Diouf : Le sentiment que j’ai a posteriori, c’est que le vrai débat a été escamoté. On l’a passé à la trappe puisque cela arrangeait tout le monde, à commencer par le monde du football. Le débat a été réduit en fin de compte à une double question, qui n’avait aucun sens, à savoir si Laurent Blanc d’un côté était raciste, et de l’autre, s’il fallait le maintenir à la tête de l’équipe de France. Or ce n’était pas ça le vrai débat. A mon avis, l’information sortie par le site Mediapart n’aurait valu fondamentalement que par le débat, qu’elle posait :

Est-ce que le football français est raciste ou est-ce qu’il discrimine ?

Je ne répondrai pas positivement en disant qu’il est raciste, mais en tous cas, il discrimine, c’est évident. Mais cette question-là n’a pas été débattue, on s’est contenté de répondre de manière très sommaire, en disant qu’il suffisait de regarder tous les samedis et dimanche sur les terrains, que c’était là où la diversité était la mieux partagée, que c’était là où on pouvait effectivement parler de diversité réelle… Pour moi, tout ça, c’est du pipeau car la diversité s’arrête avec la fin de la carrière des joueurs. On ne voit aucun ressortissant issu de la diversité à la tête d’ une organisation, à la tête d’une instance, à la tête d’une direction sportive, donc voilà, le vrai débat a été escamoté.

Cette polémique est-elle symptomatique de quelque chose dans notre société française ?

Évidemment, on ne peut pas isoler le football de la société française. La société française, elle est ce qu’elle est, c’est une société qui expulse, c’est une société qui, selon moi, discrimine. Il est extrêmement rare de voir quelqu’un issu de la diversité occuper un poste à responsabilité. Il n’y en a pas à la tête d’un ministère régalien, il n’y en a pas à la tête d’une société du CAC 40, à la tête d’un corps de l’armée. Certaines sociétés anglo-saxonnes ont, sur ce point-là, une petite longueur d’avance sur la société française. Elle discrimine et je vois mal comment le football peut être isolé de cette réalité-là. Aujourd’hui certains disent, non sans raison, que la société se lepénise, en tous cas dans les esprits. Beaucoup de choses sont dites plus facilement que des années en arrière. Aujourd’hui, afficher son extrémisme idéologique n’est plus rare : certains le font à la télévision, à la radio, dans la presse. Il y a des idéologues de la droite extrême qui s’affichent et tout ça montre que la société française a pris un virage, de mon point de vue, dangereux et ce dans toutes les couches de la société…

Équipe de France: match France-Brésil, coupe du monde 2006

Quel est votre avis sur la question des binationaux formés en France depuis tout jeunes et qui vont ensuite jouer dans le pays d’origine de leurs parents ?

C’est un faux débat. Cette question de la binationalité, elle est déplacée. Laisser germer l’idée qu’on forme des jeunes pour qu’ils jouent en équipe de France, c’est faux. Souvent ils rendent ce pour quoi ils ont été formés en jouant pour les clubs et en participant activement et même de manière décisive, aux compétitions qui sont organisées. Déjà, c’est un faux débat de penser que ces jeunes-là n’ont été formés que pour l’équipe nationale car que fait-on du championnat, de la coupe de la ligue, de la coupe de France ? Sans ces jeunes issus de la diversité, ces compétitions-là ne vaudraient pas grand-chose, de la même manière que n’aurait pas valu beaucoup l’armée française sans les ressortissants venus des colonies (les tirailleurs), de la même manière que l’économie française n’aurait pas connu l’envol qu’elle a connu dans les années 60 sans l’apport de ces mains étrangères dont on a eu besoin… Donc, on a aujourd’hui besoin de ces jeunes issus de la diversité pour que la compétition soit animée.

Deuxième remarque : quand on dit « ces jeunes-là, ils s’en vont »… Moi personnellement, et par expérience, je ne connais pas de jeunes issus de la diversité qui aient privilégié d’aller jouer dans le pays d’origine de leurs parents par rapport à l’équipe de France. Généralement, ces joueurs qui sont nés en France ou qui sont arrivés ici très jeunes privilégient tous, d’abord, de jouer en équipe de France. Tout simplement parce que c’est l’équipe de France qu’ils connaissent le mieux, donc, c’est plus facile, et même sur le plan culturel, de jouer dans l’équipe de France, il y a moins d’incompréhensions qu’en jouant dans l’équipe du pays d’origine des parents. Et, l’équipe de France, c’est un tremplin pour leur carrière internationale, ça la booste, ils ont intérêt à rester ici et ils restent ici. Cela n’arrive qu’à l’âge de la vingtaine voire passé les 24-25 ans, pour certains, quand ils s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas intégrer la cellule de l’équipe de France A. Ils commencent alors à regarder peut-être ailleurs et répondent à des convocations qui peuvent leur permettre de découvrir des compétitions internationales comme la Coupe d’Afrique des nations ou la Coupe du monde. Voilà la vérité…

Lors de cette réunion dont le verbatim a été révélé par Mediapart, le problème qui occupait les participants était-il d’avoir des jeunes qui n’aillent pas jouer pour des sélections étrangères après avoir été formés en France, où était-ce plus un problème d’une équipe « pas assez blanche » ?

Peut-être que chez certains il y avait une ambivalence mais on ne peut pas toujours sonder les états d’esprit, donc, je ne peux pas avoir de préjugés… Mais en France, certains, très connus, ne se sont pas cachés pour dire que l’équipe de France n’était pas assez blanche. On a entendu Georges Frêche à l’époque le dire, Finkielkraut le dire, et les Le Pen aussi, et ça c’est moins étonnant, le dire aussi, plus d’autres le murmurer… Donc cette affaire-là a toujours été un problème en France aux yeux de certains. Ensuite, lors de cette réunion, il a été question plus de profils en disant que la formation devrait être orientée différemment au regard de ce qui se passe en Espagne, pour favoriser le recrutement de gens moins « armoire à glace », costauds, grands et forts mais plutôt de joueurs plus standards physiquement.

Et en disant ça, on sous-entendait que les grands, forts et costauds étaient toujours des Noirs, ce qui veut dire que des joueurs standards et plus techniques réfléchissent plus (la notion de réflexion n’est pas dite mais elle est sous-entendue…). C’est une manière effectivement de stigmatiser un certain type de physique, ce qui est de toutes façons faux, puisque l’on sait qu’une des meilleures et plus belles équipes d’Europe est l’Ajax d’Amsterdam. Or l’Ajax d’Amsterdam dans les années 70 était le prototype même de l’équipe composée de vrais athlètes, forts, grands et costauds, ce qui ne l’a pas empêchée d’avoir été une équipe intelligente, technique, réfléchie. Alors bon, il y a beaucoup d’arguments qui ont été avancés mais à chaque fois, c ’était des arguments qui ne résistaient pas face à une analyse sérieuse et rigoureuse.

Équipe de France: match France-Italie, Euro 2000

Quel jugement portez-vous sur Laurent Blanc ? Est-il raciste selon vous ?

Non. Le débat n’a jamais été ça de mon point de vue. Réduire le débat à savoir si Laurent Blanc était raciste ou pas, était déjà tomber dans le piège de ceux qui ne souhaitaient absolument pas que le débat se déroule. Laurent Blanc que je connais personnellement ne me paraît pas du tout être un gars raciste parce que j’ai eu à échanger avec lui, je le connais suffisamment. Et puis contrairement à beaucoup, je n’ai pas envie de m’ériger en « légitime » qui délivrerait des brevets de non racisme et de racisme, car dans cette affaire-là, beaucoup de gens se sont levés pour dire « un tel n’est pas raciste, on peut le dire » comme s’ils étaient habilités à dire qui est raciste et qui ne l’est pas. Non, je ne pense pas du tout que Laurent Blanc soit raciste et franchement, pour moi ce n’est pas le débat.

Faut-il changer des choses à la Fédération Française de Football (FFF) ? Si oui, quoi, qui ?

Oui, il y a toujours des choses à changer évidemment mais ce n’est pas seulement à la FFF mais dans l’ensemble de l’organisation du football. Maintenant, quoi et qui, je ne veux pas non plus m’ériger ici en donneur de leçons. Je sais simplement que pour voir progresser les choses, il faut que le football soit moins discriminant. C’est une chose essentielle pour qu’on ne retombe plus dans ce type d’errements… Puisque je suis certain que le jour, dans les instances administratives, techniques, financières, sportives, où on verra des gens issus de la diversité en nombre, en proportion de leur présence dans le milieu du football, ce genre de discours entendu et condamné ne se produira pas. On ne peut pas tenir ce genre de discours, si, dans une instance, il y a des Arabes par exemple et des Noirs… C’est parce qu’ils ne sont pas là que ces discours peuvent être tenus. Donc, il faut, de mon point de vue, moins discriminer et il faut amener le football à être vraiment exemplaire, ce qu’il n’est pas aujourd’hui contrairement à ce qu’on dit.

Le football a déjà démontré que Dugarry, le Français d’origine, peut être très ami avec Zidane, le Kabyle d’origine, que Desailly, le Ghanéen d’origine, peut être très ami avec Deschamps, le Français d’origine, et que, en étant amis comme ils le sont, ils font tomber des barrières. Ils démontrent qu’ils sont des êtres humains, chacun avec ses caractéristiques et sa capacité de réflexion, et qu’ensemble, ils peuvent réussir plein de choses comme en 1998. Alors pourquoi ne pas continuer ? Pourquoi ne pas faire de Desailly après sa carrière de sportif, un dirigeant ? Pourquoi ne pas faire de tel joueur arabe, un technicien ? Etc, etc. C’est ainsi qu’on va faire tomber certaines barrières et qu’on fera aussi avancer les choses.

Y a-t-il une forme de communautarisme dans le football français, des clans « ethniques » qui se forment ? La France devient-elle elle-même de plus en plus communautariste ?

Le communautarisme n’est pas trop mon point fort. Moi je n’aime pas trop le communautarisme car il amène à des idées, il amène à des choix que je ne partage pas forcément, comme la discrimination positive. Je pense que tout ça, c’est compliqué à mettre en place. Le communautarisme est toujours un réflexe de repli sur soi et ça ne me paraît pas être la meilleure des choses. Donc combattre ça et plutôt se battre pour le respect de la valeur humaine, se battre pour que la reconnaissance de la compétence soit faite là où elle est, et ce, quelle que soit l’origine de la personne compétente, quelles que soient aussi ses croyances ou ses convictions. Ce qui me paraît essentiel, c’est ça. La reconnaissance de l’être humain dans sa plénitude et sa vraie nature.

Vous avez été le seul dirigeant noir d’un club évoluant en première division dans toute l’Europe. Comment analysez-vous cette exception ?

Je ne sais pas, je n’ai pas d’analyse précise. Je pense que c’était un concours de circonstances assez exceptionnel. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que j’étais peut-être une sorte « d’anomalie ». C’est comme ça. Parler de moi comme le seul dans toute l’Europe, ça montre que pour qu’une règle soit vraie, il faut une exception. Moi j’étais un peu l’accident…

Le 23 mai vont se dérouler les Y’a Bons Awards ? Avez-vous été souvent victime de racisme ou de déclarations racistes ?

J’ai cette force de n’avoir jamais été soumis au complexe de persécution. Donc à partir de ce moment-là, je ne me suis jamais mis dans un coin à me dire :

On m’a pas donné ça parce que je suis noir.

Non, moi je me suis toujours battu contre tout ça, donc je n’ai pas eu le temps de m’arrêter pour dire qui était raciste, qui ne l’était pas, d’autant que pour moi, la définition du racisme n’est pas l’exclusif d’une race. Le racisme, c’est une connerie universelle, c’est une connerie humaine et donc, est libre d’être con qui veut. Moi, j’ai décidé de ne pas être con donc de ne pas être raciste. Après que certains le soient, oui, mais ce n’est pas le racisme ordinaire qui m’ébranlera.

Vous êtes arrivé dans les années 70 en France. Avez-vous l’impression que la France est plus raciste aujourd’hui ?

Évidemment que la France est devenue plus restrictive qu’elle ne l’a été. Ça a commencé je pense avec le premier choc pétrolier, puis au début des années 80, c’est là que la France a commencé à se fermer, à se replier sur elle-même, a vu se constituer une droite dure, une droite musclée. Et cette droite-là a d’abord concentré ses tirs contre l’immigration. Donc forcément la France est devenue beaucoup moins accueillante, loin de l’image que Malraux se faisait de la France. C’est sûr, on est très loin de la France de ces années d’avant…

Avez-vous quelque chose à ajouter avant la fin de notre entretien ?

Je dirais simplement que les Ya’Bons Awards, c’est plutôt une initiative qui me paraît assez intelligente, dont les initiateurs ont certainement beaucoup d’imagination. Les Ya’Bons Awards participe, d’une certaine manière, de la vie politico-intellectuelle-culturelle de la cité, et c’est pas mal…

Propos recueillis par Sandrine Dionys


Article initialement publié sur le Bondy Blog sous le titre : Pape Diouf : « Il faut amener le football à être vraiment exemplaire »

Crédits Photo wikimedia commons cc-by-sa PeeJay LasseG Frédéric Humbert

]]>
http://owni.fr/2011/05/24/pape-diouf-%c2%able-football-francais-discrimine%c2%bb/feed/ 5
Serbie: Faites du foot, pas la guerre http://owni.fr/2011/01/28/serbie-faites-du-foot-pas-la-guerre/ http://owni.fr/2011/01/28/serbie-faites-du-foot-pas-la-guerre/#comments Fri, 28 Jan 2011 13:35:42 +0000 Anaïs Llobet http://owni.fr/?p=44230 Dix ans après les guerres qui ont ravagé les Balkans, la Serbie n’est toujours pas en paix. La preuve avec son football, malade de l’hooliganisme : pas de match sans bagarres, émeutes ou drapeaux d’anciennes provinces serbes brûlés… En septembre 2009, un supporter toulousain, Brice Taton, était tombé sous les coups des hooligans serbes. Alors que des peines de 4 à 35 ans de prison ont été prononcées contre les responsables de sa mort, retour sur le football serbe, rêvé comme instrument de paix et devenu arme de guerre.

Comme chaque samedi, la petite Jelena joue au football. Elle s’échauffe, puis se lance sur le terrain avec entrain. Première passe à Hazema, une Bosniaque musulmane. Deuxième passe à Alena, une orthodoxe de Bosnie. Jelena aussi est orthodoxe, mais d’origine serbe.

Son coach, Simo Tumarčić, sait que la scène n’est pas banale. Il est très fier de ses petites protégées. “Depuis le début, il n’y a eu aucune dispute, aucun incident”, explique-t-il en souriant. “Les filles sont très unies entre elles”. Simo, 30 ans, est bosniaque. S’il a décidé d’entraîner cette équipe multiculturelle, c’est parce que l’Association Cross Cultures Project (CCPA) le lui a proposé, avec un bon salaire à la clé. Mais aussi parce qu’il est convaincu qu’ “à travers le football, les enfants peuvent dépasser la haine de leurs parents, la haine de la guerre”.

Renouer le dialogue grâce au football

Une guerre qu’a bien connue Anders Levinsen, le fondateur danois de la CCPA. Pendant les deux conflits qui ont ravagé les Balkans de 1991 à 2001, il faisait partie des Casques Bleus de l’ONU chargés de pacifier la Bosnie et la Serbie. “Oui, j’ai vu l’horreur de la guerre, se souvient-il, mais j’ai surtout vu que la paix serait impossible tant que des plateformes de communication ne seraient pas reconstruites entre les anciens ennemis”.

Proposer des rencontres officielles entre les maires de deux villages, c’est encore un peu prématuré quand ils se sont entretués la veille. Alors, pour les réunir, il prend le prétexte du football. En 1999, à la frontière serbo-bosnienne, il organise une rencontre entre cent enfants serbes et cent enfants bosniens. Les équipes sont toutes multiculturelles. “C’était la fête, la paix retrouvée !, se rappelle-t-il avec joie. Il n’y avait pas que des enfants, mais aussi leurs parents, des gens qui faisaient office de coachs, d’arbitres ou de traducteurs. Et beaucoup de membres des administrations locales”.

Après la guerre, Anders Levinsen décide de continuer l’aventure. Il crée des Open Fun Football Schools et y entraîne des enfants serbes aussi bien que bosniens et bosniaques. Sans oublier les coachs, qui viennent de tous les Balkans. “Ce sont des écoles qui ont pour mission d’apprendre le football, mais surtout la paix”, souligne le Danois.

Le football, école de la paix… à condition qu’il n’y ait pas de matches

Pour Anders Levinsen, “le football, c’est l’instrument le plus facile et le moins cher pour faire la paix.” A une condition cependant : que les équipes ne s’affrontent jamais. Ainsi, pas de match de football à la CCPA. “Dès qu’on essaie d’en organiser un, il y a des problèmes, se justifie Anders Levinsen, les Serbes veulent jouer à part et les Bosniens aussi. Ca devient vite l’affrontement entre deux équipes et ça n’est pas notre conception du football”.

Bogdan, lui, a une autre conception du football. Bogdan est serbe, il a 28 ans et il refuse de donner des interviews autrement que par téléphone, via des cabines publiques qu’il quitte toutes les dix minutes pour s’assurer qu’il n’est pas suivi par la police. Bogdan est chômeur, ce qui lui permet d’être “hooligan professionnel”, comme il aime à le répéter. Pour lui, le football sans les matches, ce n’est pas du sport. “D’ailleurs, j’y connais pas grand chose au foot, la stratégie et tout ça. Moi ce qui m’intéresse,  c’est les matches, l’affrontement sur le terrain, la tension entre les deux équipes”.

Un prétexte pour faire la guerre

Bogdan soutient le Partizan, l’un des meilleurs clubs de Serbie. Chaque dimanche, dans les tribunes, Bogdan est au premier rang, il agite un drapeau soit aux couleurs du club, soit à celles du Kosovo, l’ancienne province serbe devenue indépendante en 2008. “Il n’y a pas un match où je ne finis pas par me battre avec un supporter de l’équipe adverse”, fanfaronne Bogdan. Les bagarres qu’il préfère ? “Celles avec les équipes de Bosnie, comme tout le monde : on préfère taper local. Brice Taton, c’était surtout une erreur de cible, même si ça devait servir à certains qui voulaient faire pression sur le gouvernement”, explique Bogdan.

Pour lui, les matches n’ont aucun enjeu sportif. Ils représentent un simple prétexte pour exister aux yeux des autorités. “Les matches, ça nous permet d’être visibles aux yeux des hommes politiques. On leur rappelle qu’on est là et que la prochaine fois qu’ils font la connerie de brader la Serbie, on brûlera plus qu’une ambassade”, explique-t-il. En février 2008, au lendemain de l’indépendance autoproclamée du Kosovo, l’ambassade américaine avait été incendiée lors d’émeutes réunissant des milliers de jeunes Serbes, menés par un noyau dur d’hooligans. Bogdan faisait partie d’entre eux. “Faut pas croire les médias, on est très populaires en Serbie”, affirme Bogdan. “On est comme une force politique, et notre seul programme, c’est de faire ce dont tous les Serbes rêvent : nous vengeons notre pays. Le football, c’est notre façon de faire la guerre”.

“Le football est souvent le microcosme de la guerre, remarque Franklin Foer, un miroir où se réfléchissent toutes les tensions de la société”. Auteur du bestseller Comment le football explique le monde, l’Américain est passionné par les relations incestueuses entre football et politique. Pour lui, “l’exemple le plus marquant en est la Serbie, notamment avec le match de 1990, qui annonçait la guerre” [voir encadré]. Parfois signe avant-coureur qu’un conflit est sur le point d’exploser, le football peut aussi être un acteur à part entière de ce dernier. Arkan, leader des supporters de l’Etoile Rouge avant que la guerre n’éclate, l’avait bien compris. Celui qui allait devenir l’un des principaux chefs génocidaires serbes formait les supporters au maniement des armes, sur les terrains mêmes du club. Lorsque la guerre a commencé, ces mêmes supporters ont très vite intégré la milice des “Tigres d’Arkan”, responsables de nombreux nettoyages ethniques au cours de la guerre.

Le football, des passions nationalistes refoulées

Alors le football, instrument de guerre plutôt que de paix ? Tout dépend qui manipule “cet instrument d’influence très puissant” pour Rubin Zemon, chercheur à l’Institut Euro-Balkan. Or, dans le cas des Balkans, “ce sont malheureusement les nationalistes qui savent le mieux s’en servir”, remarque le chercheur.

Dans la Yougoslavie dirigée d’une main de fer par Tito, les nations n’avaient pas le droit de cité ; encore moins lors des matches où s’affrontaient des équipes multiculturelles. Les drapeaux et autres symboles nationaux étaient immanquablement raflés par la police. Des passions nationalistes refoulées de force et qui ont fini par éclater lors des guerres des années 1990. “Après la guerre, elles ont envahi les stades”, explique Rubin Zemon. “Grâce à un discours qui mélange esprit revanchard et fierté serbe, les nationalistes ont réussi à séduire les jeunes des milieux défavorisés, ceux-là mêmes qui constituent le gros des supporters”.

Parmi eux, Emil*. Ce supporter de l’Etoile Rouge l’avoue volontiers, c’est dans les tribunes des stades qu’il s’est forgé une opinion politique. “Avant, je ne m’intéressais pas à la politique. Et puis avec d’autres supporters, on a commencé à en parler, à participer aux manifestations”, raconte Emil. “J’ai compris ce que ça voulait dire d’être serbe, j’ai compris que je me battrai toute ma vie pour que le Kosovo reste à nous et pour que les autres peuples nous respectent”. Même chose pour Bogdan. C’est dans les stades qu’il a appris les hymnes nationalistes et les frontières de la Grande Serbie, qui englobent le Monténégro, le Kosovo, la Macédoine, la Croatie, une partie de la Bosnie-Herzégovine et certains territoires albanais, roumains, bulgares et hongrois. “Dans les tribunes, j’ai appris ce qui fait de moi un Serbe”, lance Bogdan, non sans fierté.

“Le football canalise la violence”

Mais si Bogdan est devenu hooligan, “ce n’est pas seulement par conviction”, avoue-t-il à demi-mots. C’est aussi parce qu’à 28 ans, il n’a toujours pas trouvé de travail “et qu’il n’a que ça à faire”. Avec un chômage qui touche presque 30% de sa population active, la Serbie occupe la première place en Europe. “Mon pays, j’en suis fier mais c’est un cauchemar économique”, regrette Bogdan. “Le football me fait oublier que je n’ai pas d’avenir”, renchérit Emil, le jeune supporter de l’Etoile Rouge. Lui aussi vient des quartiers pauvres. Grâce à une bourse, il étudie dans l’une des meilleures facultés de Belgrade, mais sait que “ça ne servira à rien de toute façon”.

“Si les jeunes trouvaient du travail, il n’y aurait plus d’hooliganisme”, prédit Ivan Stojič, qui co-dirige l’équipe du football du FK Rad Belgrade, l’un des cinq meilleurs clubs serbes. “Après tout, les valeurs du football ne sont pas négatives en soi, elles permettent parfois aux jeunes de ne pas sombrer dans la drogue ou la criminalité”. Il ajoute : “les problèmes arrivent quand les jeunes n’ont pas grand-chose à faire d’autre que d’aller aux matches  parce qu’ils sont au chômage. Alors ils attendent chaque dimanche avec impatience – et ils se défoulent pendant le match…” Pour Franklin Foer, le chercheur américain, ce n’est pas plus mal que “le football canalise cette violence ». « Ce serait pire si elle sortait des stades”, souligne-t-il.

Un gouvernement complice ?

Sauf que la violence des supporters en sort souvent. Ne serait-ce que pour atteindre nos écrans de télévision, comme lors du match Italie-Serbie à Gênes, le 12 octobre 2010: les chaînes du monde entier retransmettent les images d’un jeune hooligan serbe qui brûle un drapeau albanais. Le match a tout de suite été interrompu.

Quelques jours plus tard, le journal serbe Politika révèle que pour cette nuit d’émeute qui a affolé l’Europe et mis en déroute la police italienne, les hooligans auraient été payés plus de 200.000 euros. “Par qui ? La mafia, les nationalistes ? Comme sur l’affaire Brice Taton, le gouvernement n’a pas l’air de vouloir mener l’enquête plus loin“, s’indigne Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans et historien spécialiste de la région. “Peut-être parce que ça ne déplaît pas au gouvernement qu’un drapeau albanais brûle sur tous les écrans de télévision ?” Dans une cabine téléphonique au fond de Belgrade, la voix de Bogdan l’hooligan serbe, revient comme en écho : “Nous faisons tout ce que les Serbes rêvent de faire : nous vengeons notre pays…”

* le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé

EMIL, 19 ans, supporter de l’Etoile Rouge : “Je serais capable de tuer pour protéger le club”

Je soutiens l’Etoile Rouge depuis toujours. Dans ma famille, on est supporters depuis sa création. Mon grand-père était l’un des premiers supporters de l’équipe ! Il me racontait qu’avant, les hymnes étaient surtout des chants de prolos – d’autant plus que l’Etoile Rouge est le “club du peuple”, tandis que le Partizan, nos ennemis, sont le “club des militaires”. Aujourd’hui, nos hymnes sont beaucoup moins communistes et bien plus nationalistes, tant mieux.

J’ai commencé à aller au stade à 14 ans, avec des amis. Aujourd’hui, j’y vais tous les dimanches. Je suis étudiant en marketing, à l’une des meilleures universités de Belgrade. Mais je m’en fiche de mes études, de toute façon elles ne me servent à rien. Je serai chômeur comme les autres. Ici la vie n’est pas seulement dure, elle est aussi très répétitive. Le match du dimanche, c’est vraiment notre seul plaisir de la semaine. Je deviendrais fou si jamais on m’empêche d’y aller ! On les attend avec impatience. Le pire, c’est le lundi : il reste six longs jours avant le match suivant, j’ai l’impression de devenir fou.

Tous les jours, je pense à l’Etoile Rouge, je chante nos hymne, je regarde nos vidéos, je répète nos slogans. Avec mes amis, on passe des heures à en parler, c’est la seule chose qui nous rende de bonne humeur. Avant les matches, on aime bien se réunir dans un bar pas loin du stade, on boit un verre pour chaque joueur de l’équipe, on se rappelle les plus beaux buts.

Comme tous mes amis, je suis un supporter à part entière. On nous appelle les Delije, les « braves ». L’Etoile Rouge, c’est ma vie. Franchement, je l’aime autant que j’aime mes parents, ma ville et mon pays. Je suis capable de tuer si on essaie de lui faire du mal. C’est comme si on touchait à ma famille. Je dois tout à l’Etoile Rouge : le club m’a appris à devenir un Serbe, mais aussi à devenir un homme.

Parfois, pour laver l’honneur de l’Etoile Rouge, je suis obligé de me battre. La semaine dernière, j’ai dû taper avec mes amis sur un gars du Partizan parce qu’il avait insulté notre club. On lui a cassé un bras et deux-trois côtes. Je n’aime pas forcément la violence mais pour l’Etoile Rouge, il ne faut pas me chercher, je suis capable de tout.

Propos recueillis par Anaïs LLobet

__

Crédits photo: Flickr CC attawayjl, caitlinator, dustpuppy

]]>
http://owni.fr/2011/01/28/serbie-faites-du-foot-pas-la-guerre/feed/ 0
Crise d’identité dans les Balkans http://owni.fr/2010/11/12/crise-didentite-dans-les-balkans/ http://owni.fr/2010/11/12/crise-didentite-dans-les-balkans/#comments Fri, 12 Nov 2010 16:24:09 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=35479 [NDLR] Il n’y pas que le tourisme qui fleurit en Croatie : libéré par les nouveaux canaux de communication, le nationalisme s’épanouit, empêchant la pacification avec les nouveaux voisins. Pour ouvrir notre dossier sur les identités dans les Balkans, Enikao nous offre un tour d’horizon des divers fronts de poussée de fièvre du nationalisme croate.

La Croatie a déclaré son indépendance le 25 juin 1991, souhaitant tourner la page de la fédération yougoslave et trouvant dans les premières élections multipartites de 1990 l’occasion propice pour cela. Ce petit pays de moins de 5 millions d’habitants, avant de redevenir une destination touristique à la mode, a connu la partition, une guerre avec son vieux voisin serbe qui souhaitait maintenir les États yougoslaves au sein de la fédération, l’occupation d’une partie de son territoire par l’armée Yougoslave, et surtout un processus de reconstruction identitaire particulièrement intéressant. Plusieurs acteurs jouent un rôle dans la recomposition identitaire, entre imaginaire collectif, fierté patriotique et messages politiques aux accents nationalistes.

Un divorce armé : les frères ennemis se séparent

La Yougoslavie, fédération comptant six républiques et deux autonomies (Kosovo et Voïvodine, afin de respecter les minorités albanaises et hongroises), a été un modèle complexe et multiculturel difficile à appréhender comme à gérer. Ce patchwork comportait plusieurs cultures que l’histoire a mis en conflit : Empire romain d’Orient et d’Occident, Venise, l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman, monde slave et monde latin, continent et Adriatique, chrétienté d’Orient et d’Occident… La population s’exprimait dans trois langues officielles (serbe, croate, slovène) et une espèce de melting pot construit progressivement baptisé serbo-croate, deux alphabets (latin et cyrillique), rassemblait quatre religions (orthodoxe, catholique, musulmane et une minorité juive) et vivait dans un régime communiste non-affilié au Pacte de Varsovie. La Yougoslavie de Tito se permit même en 1956 de proclamer, aux côtés de l’Egypte, du Cambodge et de l’Indonésie, son non-alignement avec les grandes puissances.

La chute du Rideau de Fer a entrainé à l’Est de nombreuses recompositions territoriales, et même des partitions comme la Tchécoslovaquie, qui donna pacifiquement naissance à la Slovaquie et à la République Tchèque. Dans le cas de la Yougoslavie, la partition se fit dans la douleur et par le réveil des nationalismes longtemps tus par la poigne du Maréchal Tito et de sa police politique. Le décès du dictateur en 1980 et l’instabilité politique qui a suivi en raison du système de présidence tournante instauré alors, ont laissé une chance et une place à prendre, sur l’échiquier politique croate, à la génération contestataire du printemps des peuples de 1971 et à ses revendications « patriotiques » réprimées jusqu’alors.

Alors qu’en Serbie les nationalistes diffusaient un discours panserbe, attisant les craintes des minorités installées dans diverses régions (au Kosovo, en Krajina), la Croatie connaissait de manière symétrique le début d’un processus de renationalisation des symboles et des esprits. Ces deux processus se sont effectué sur fond de revanche des deux précédentes guerres, mondiales, qui avaient vu les deux pays dans des camps différents à chaque fois. Langue, religion, structures de pouvoir, culture : plusieurs strates ont été travaillées par des entrepreneurs identitaires pour réveiller la fièvre patriotique. Le poids de l’histoire leur a simplifié la tâche et l’engrenage de la violence s’est déclenché rapidement, attisé par les radicaux de chaque camp.

Improviser une armée pour défendre la patrie

La guerre d’indépendance, que les Croates appellent « guerre patriotique », s’est étalée de 1991 à 1995, a causé plus de 20 000 morts et déplacé plus de 200 000 personnes en Croatie. Elle a bien évidemment laissé des traces physiques, mais aussi marqué durablement les esprits et contribué à forger et renforcer le nouveau sentiment d’appartenance. L’armée fédérale yougoslave étant très fortement encadrée par un état-major serbe centralisé, la Croatie dépourvue de structures a du improviser, faire le blocus des casernes pour récupérer du matériel, engager les volontaires et composer avec un pays occupé sur près d’un tiers de sa surface. L’armée fraîchement constituée a été la colonne vertébrale première d’un système de solidarité naissant, fournissant aux appelés vivres et vêtements, aux engagés volontaires des avantages plus importants comme le relogement dans des habitations de l’ancienne armée yougoslave et une couverture maladie efficace.

L’aura de l’armée croate a grandi encore suite à l’opération Eclair en mai 1995, puis à l’opération Tempête en août, deux blitz très bien préparés (d’aucuns y voient le soutien logistique et notamment l’appui d’images satellites de puissances étrangères) qui permirent à la Croatie de reprendre en quelques jours l’essentiel des terres occupées et de revenir à peu près dans ses frontières originelles. Ces faits d’arme restent présents dans les mémoires et sont régulièrement glorifiés dans les discours ou par des monuments et changements de noms de rues, de places. Nombre de cadres de l’armée de l’époque ont été accusés d’avoir participé à des exactions contre les Serbes et musulmans bosniaques durant cette période et inculpés par le Tribunal Pénal International de La Haye. Pourtant, la population les considère encore aujourd’hui comme des héros de guerre et voue un culte à son armée.

Le Général Ante Gotovina, en particulier, a joui du soutien actif de la population. Sa figure orne encore des bouteilles de vin blanc et des cartes postales visibles aux comptoirs des cafés. Certaines municipalités sont allées jusqu’à payer de grands panneaux indiquant qu’elles ne le livreraient jamais à des tribunaux jugés illégitimes et partisans. Certain de son impunité, l’ancien de la Légion Etrangère s’est même payé le luxe d’obtenir une audition papale durant sa cavale. Il a été dénoncé et arrêté en 2005 dans les îles Canaries, sa capture levant ainsi l’une des dernières barrières à une candidature officielle de la Croatie à l’entrée dans l’Union Européenne. Mais dans les esprits, Ante Gotovina reste le symbole d’un pays qui se bat seul. Faire partie des 500 000 vétérans de guerre officiels, un chiffre impressionnant (10% de la population !) masquant un clientélisme électoral du HDZ, demeure une source de fierté autant qu’un passe-droit.

Dieu et les croates, des retrouvailles politiques

Le Vatican fut un des premiers Etats à reconnaître officiellement la Croatie indépendante : Jean-Paul II vit là une occasion unique de renouer avec un pays catholique à plus de 90% et de signer un intéressant concordat. Le catholicisme est redevenu rapidement un ancrage très fort de l’identité croate, et même si le pays ne dispose officiellement pas de devise, l’expression Bog i hrvati (Dieu et les croates) reste très présente dans les esprits comme les écrits. Le catholicisme constitue un vecteur du renouveau nationaliste facile à mettre en œuvre car il distingue de l’orthodoxie du voisin serbe et de l’Islam des musulmans bosniaques. Le retour de la religion signe également une revanche contre l’époque communiste où la pratique et même l’affirmation de la croyance était socialement mal vue voire sanctionnée dans une carrière au sein de l’administration. L’Eglise croate a aisni pu s’imposer rapidement dans la sphère sociale et politique.

Dès 1992, le réseau Caritas (représenté en France par le Secours Catholique) a apporté une aide précieuse en nourriture, produits d’hygiène, aide aux blessés, veuves et orphelins, ce qui vint renforcer encore la popularité de l’Eglise. Celle-ci en a profité pour devenir un entrepreneur politique sourd et discret, appuyant sur divers leviers pour faire évoluer la société dans des sens nouveaux. Les Eglises furent parmi les premiers bâtiments à être rénovés dès la fin des bombardements, avant même les opérations de relogement des réfugiés. Les prêches des prêtres ont, pendant toute la guerre, pris des tournures étranges dans lesquels la justification de l’indépendance croate devenait un commandement divin voire une grâce mariale. Ces prêches aux accents politiques perdurent aujourd’hui encore.

On vit également apparaître au début des années 2000 des mouvements christiques et charismatiques, qui ont culminé avec la médiatisation d’un personnage étrange, le père Zlatko Sudac. Ce dernier cultive une apparence proche du Jésus popularisé par ses représentations traditionnelles en Occident et affirme avoir reçu des stigmates ainsi qu’une croix de sang sur son front. Le père Sudac (littéralement : le père Juge) a reçu un certain écho dans de nombreux médias grand public, ses messages traditionalistes en direction de la jeunesse ont été particulièrement repris au début des années 2000 et ont marqué une génération, contribuant à ancrer la religion comme valeur centrale de la société.

L’enseignement religieux à l’école obtenu grâce au concordat véhicule encore aujourd’hui, parfois jusque dans les manuels scolaires, des thématiques aux accents fortement nationalistes voire xénophobes, en particulier à l’égard des gitans et des musulmans. La critique systématique de l’avortement (dont la pratique est devenue dix fois moins courante en 20 ans) et de la contraception, l’homophobie et la stigmatisation des malades du SIDA ont été critiqués à plusieurs reprises par l’Union Européenne, sans effets. Quant à l’œcuménisme, il n’est clairement pas à l’ordre du jour.

Des carrés pour encourager le ballon rond

Parmi les héritages de l’époque yougoslave, le goût du sport, en particulier des sports collectifs (football, handball, basket, water polo) est demeuré très vif autant qu’il est devenu source de fierté et enjeu politique. Les sportifs yougoslaves, disposant de bonnes structures de formation et d’entrainement, ont longtemps été des « valeurs » recherchées par les équipes européennes. C’est ainsi par le sport que la Croatie a pu faire parler d’elle de manière positive à l’échelle internationale dans la seconde moitié des années 90, alors que la guerre venait de s’achever et que le pays cherchait à faire revenir les touristes sur ses côtes déjà célèbres à l’époque Yougoslave. La présence remarquée d’un Toni Kukoč dans l’équipe des Chicago Bulls ou d’un Dino Rađa chez les Cetics, le succès d’un Goran Ivanišević sur les cours de tennis, les excellents résultats de l’équipe de handball et surtout la troisième place de la Croatie à la coupe du monde de football en 1998 et le succès des joueurs emblématiques comme Zvonimir Boban ou Davor Šuker, constituèrent en réalité les premières brochures touristiques. Les grandes compétitions sportives firent également connaître un peu partout ces drôles de supporters portant des maillots à damier rouge et blanc, rappel du blason figurant sur le drapeau national.

Mais les succès sportifs masquent un double visage, en particulier dans le football. Les belles réussites ont vu naître en parallèle un comportement jusque là très marginal : le hooliganisme. En particulier, deux clubs se haïssent de longue date sur un mode ressemblant à la dualité PSG / OM en France. Le Dynamo de Zagreb, riche capitale administrative de l’intérieur des terres, et le Hajduk de Split, grande ville portuaire du Sud connue pour son « milieu » proche de la ‘Ndranghetta calabraise, s’affrontent sur les terrains comme dans les tribunes et sur les murs des villes. Ces violences touchent désormais les autres clubs que ces deux ville affrontent au cours des compétitions sportives.

Les ultras des deux clubs, radicaux et violents, sont composés en grande partie d’anciens militaires proches du grand banditisme, souvent impliqués dans le trafic d’armes et de stupéfiants. Les plus sages se sont reconvertis dans la sécurité privée dont les affaires fleurissent : les gardiens à l’entrée des banques et des sièges des grandes entreprises sont armés. Ce milieu bénéficie d’un certain soutien politique ou du moins d’un laisser-faire, les bandits d’aujourd’hui étant encore considérés par beaucoup comme des héros de la guerre d’hier.

Un air patriotique enflammé : la musique endurcit les mœurs

La musique a également servi de vecteur pour les messages nationalistes. Le cas le plus emblématique reste celui de Marko Perković dit « Thompson », en hommage à la mitrailleuse du même nom dit la légende. Chanteur rock très populaire auprès de toutes les tranches d’âge, Thompson a composé des chansons et ballades aux thèmes ouvertement nationalistes qui ont plu très rapidement. Ses déclarations fracassantes contre les communistes, les Serbes de Croatie ont reçu un fort écho dès le départ.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce chanteur est véritablement né de la guerre et a participé en tant que soldat à l’Opération Tempête. Dix ans après la prise de Knin, ancienne place forte serbe de la minorité vivant en Krajina, la ville organisa une grande fête à l’occasion de la Saint-Roch et Marko Perković, qui fut l’un des premiers soldats croates à entre dans la ville, était le clou du spectacle. Le concert en plein air rassembla plus de 20 000 personnes, la sécurité était assurée par des gros bras au crâne rasé arborant des T-shirts faisant référence aux Oustachis, mouvement nationaliste fasciste fondé par Ante Pavelić qui s’allia avec l’Axe et participa au massacre et à la déportation des Serbes, Tziganes, Juifs, musulmans de Bosnie et Monténégrins qui fit environ 800 000 victimes de 1941 à 1945.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Čavoglave, au stade Maksimir, Zagreb 2007. A 1’41’’ le spectateur qui arbore un drapeau porte clairement un T-shirt de la Légion Oustacha qui se porta volontaire pour le front de l’Est aux côtés de la Wehrmacht.

Le concert débuta d’ailleurs par un hommage appuyé à Ante Pavelić et à l’ancien président Franjo Tuđman, père de l’indépendance croate souvent accusé de révisionnisme et qui n’hésitait pas à déclarer « je suis heureux que ma femme ne soit ni serbe ni juive ». Son entrée en scène fut saluée par de nombreux bras tendus et saluts romains. Ces débordements sont monnaie courante et Thompson a l’intelligence de garder le plus possible ces moments de directs hors de portée des caméras et micros afin d’éviter les procès. A plusieurs reprises, ses concerts ont été annulés hors de Croatie et à l’occasion de matches de football. Il ya quelques mois encore, les fans du chanteur ont lapidé des journalistes et des Serbes à l’occasion du quinzième anniversaire de l’opération Tempête.

Une télévision très nationale

Les médias et les journalistes ne sont pas en reste dans le processus de reconstruction identitaire. En particulier, la programmation des deux chaînes de télévision nationale, HRT1 et HRT2, montre des choix partisans. Plusieurs émissions, sous couvert de culture ou de pédagogie, sont l’occasion de mettre en avant le folklore et c’est surtout dans les commentaires des présentateurs, dans la voix off ou dans les insinuations des invités en plateau que se niche le discours nationaliste.

Le « calendrier » quotidien, émission éducative diffusée avant le journal du midi, relate les temps forts de l’histoire du monde et inclut ainsi souvent une vision de l’histoire orientée. Autre exemple fort : les reportages de Goran Milić, qui prend différents angles pour partir micro à la main à la découverte du monde entier, des peuples et des cultures, sont autant d’occasion de glisser des idées infondées et des comparaisons partisanes sur le ton badin de la discussion avec ses interlocuteurs. Le travail d’implantation des idées par le soft power s’effectue ainsi depuis déjà près de 20 ans.

Des esprits maintenus dans le conflit

Ainsi, malgré des apparences paisibles, une économie assainie et un tourisme fortement reparti à la hausse autour des destinations phares de sa côte, la Croatie n’est pas devenue une nation apaisée. Les relations avec certains voisins comme la Serbie sont à peine normalisées, elles demeurent conflictuelles avec la Slovénie pour des raisons de zone de pêche dans le golfe de Piran. Les négociations d’adhésion à l’Union Européenne divisent fortement la société : une certaine élite y tient mais une large part de la population ne souhaite pas abandonner une souveraineté si récente. Sous couvert de particularismes locaux, la culture et les pratiques sont ainsi teintées d’un fort nationalisme lancinant et d’un sentiment de revanche.

Les entrepreneurs identitaires poursuivent un travail qui est assuré d’un certain succès populaire, mais qui mine par ailleurs le retour du pays sur la scène internationale et son insertion politique. Les dérives sont encore nombreuses et l’interpénétration des milieux nationalistes, sportifs, mafieux et politiques laisse planer une forte inquiétude pour l’avenir et la stabilité du pays, qui n’a toujours pas fait un pas en direction de son voisin serbe. La visite récente du Président Serbe à Vukovar et ses excuses publiques, dans une ville chargée d’un fort pouvoir symbolique, n’a pas été bien accueillie. Il n’y a pas eu à ce jour d’excuses réciproques. La réconciliation des anciens ennemis, qui fut pour l’Allemagne et la France un moteur de croissance et un projet politique engageant, n’est toujours pas à l’ordre du jour dans cette partie des Balkans malgré les bonnes intentions de certains courants politiques. Certains veillent activement à ce qu’elle ne le soit pas.

]]>
http://owni.fr/2010/11/12/crise-didentite-dans-les-balkans/feed/ 3
Vendredi c’est Graphism ! S01E12 [spécial International] http://owni.fr/2010/10/29/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s01e12-special-international/ http://owni.fr/2010/10/29/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s01e12-special-international/#comments Fri, 29 Oct 2010 07:30:09 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=34041 Bonjour à toutes et tous, ici Geoffrey qui vous présente Vendredi c’est Graphism! :-)

Vous l’avez peut-être remarqué, Owni s’est mis sous le signe de l’international avec Owni.eu. Et pour saluer cette bonne nouvelle, je vous propose un numéro spécial de Vendredi c’est Graphism! qui sera axé sur l’international et ouvert au multiculturel ! Cette semaine, les artistes viennent des quatre coins du monde pour notre plus grand plaisir. Italie, Angleterre, États-Unis, Japon, Brésil… C’est parti !

On commence notre petit aperçu de la semaine avec quelques superbes illustrations surréalistes par l’italien Alessandro Gottardo. Ce jeune illustrateur maintes fois primé  a commencé à dessiner quand il était enfant et à vite compris qu’il pouvait en faire son métier en travaillant sur la simplicité du dessin. Il a donc commencé réellement sa carrière à l’Istituto Europeo del Design à Milan puis dans les magazines italiens. Alessandro est ensuite passé par le Canada pour travailler sur des projets d’illustration. Il œuvre aujourd’hui dans une agence néerlandaise au Royaume-Uni. Un artiste européen & réellement talentueux que je vous invite à découvrir.

On passe de l’Italie à la Grande-Bretagne avec un designer aux mille et unes idées décalées et astucieuses, j’ai nommé Wilcox dominic. Ce designer a pour projet de concevoir un “petit quelque chose de créatif” chaque jour, et ce pendant 30 jours. À la maison, dans son studio, dans le train, etc. partout où il se trouve, Wilcox crée quelque chose de matériel, de conceptuel, de design. Il réalise tout ceci avec les moyens du bord et notamment les choses qu’il trouve autour de lui. Voici quelques réalisations qu’il s’est amusé à concevoir.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

[source]

Toujours dans la culture anglo-saxone, voici une visualisation d’information sur la fortune de Marc Zuckerberg. Car oui, “un million de dollars n’est pas cool. Vous savez ce qui est cool? 6,9 milliards de dollars, ça c’est cool.” (ce n’est pas moi qui le dit). Cette petite infographie pose la question de ce que vous feriez si vous aviez la fortune de Zuck. Une fortune folle pour un projet fou.

[ source ]

On enchaine ensuite avec travail des deux suisses Martin Kovacovsky et Marius Hügli. Ces deux designers ont repris le principe de Camille Scherrer (mais si, rappelez-vous!) et ont réalisé un livre « augmenté » sur le thème de Dr Jekyll & Mr Hyde. Le résultat n’est pas une « incroyable surprise » mais s’avère être intéressant dans la façon dont il s’inscrit dans la continuité du livre en réalité augmentée. Je vous laisse découvrir le projet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

[ source ]

Toujours dans l’actu internationale de la semaine je souhaite vous présenter un artiste brésilien assez intéressant car il s’est amusé à retravailler un matériau assez vivant qui est… la planche de skateboard ! Afin de promouvoir un nouveau « Utra Skate Store », le designer Beto Janz a récupéré des planches de skate brisées, abimées, cassées et les a sculpté pour produire des crânes. Ces planches ont ensuite été déposées aux alentours des skate parcs et autres lieux de skate afin que quiconque rapportant une planche de ce type en boutique puisse recevoir un petit cadeau (un skate?).

On termine notre aperçu de la semaine avec un bon petit WTF qui nous vient… du Japon bien évidemment ;-) Il s’agit de compétitions de “Micromouse”, un genre de divertissement robotisé. Ce concours particulier est un concours de robot qui doit résoudre un labyrinthe en moins de cinq secondes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un petit mot de la fin, (français car il vient de moi :-p) je voulais vous remercier d’être présent pour notre petit rendez-vous hebdomadaire ! Par ailleurs, la semaine prochaine je serai aux États-Unis pour travailler, dans la Sillicon Valley pour être plus précis, et je risque de ne pas pouvoir assurer l’épisode 13 de Vendredi c’est Graphism! Je me rattraperai la semaine suivante, promis ! ;-) Sur ce soyez sages & ouvrez grand les yeux !

]]>
http://owni.fr/2010/10/29/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s01e12-special-international/feed/ 10
Les belles erreurs statistiques http://owni.fr/2010/10/24/manifs-cannabis-foot-et-autres-mauvais-usages-des-statistiques/ http://owni.fr/2010/10/24/manifs-cannabis-foot-et-autres-mauvais-usages-des-statistiques/#comments Sun, 24 Oct 2010 17:31:45 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=33447 Je n’aurai pas dû lire Proofiness. Cet excellent livre, sur la façon dont les chiffres sont torturés, manipulés, par journalistes, politiques, militants, magistrats, a un gros défaut : il n’est plus possible ensuite de lire le journal sans sauter au plafond d’énervement. Trois exemples du samedi 23 octobre.

Les français souhaitent-ils la fin des grèves?

Commençons par un sondage, présenté dans un article titré les français souhaitent la fin des grèves. Un magnifique concentré, que ce soit l’article, ou le sondage.

Pour le sondage, d’abord, ça ne rigole pas. On nous colle partout des sigles “ISO”, sans doute pour bien nous persuader que nous sommes face à de la science rigoureuse. La méthodologie, indiquée page 3, est comique de précision : ce sont mille et une personnes qui ont été interrogées. Vous vous demandez sans doute “pourquoi ce nombre”. Il y a deux réponses. Premièrement, sur un sondage effectué aléatoirement, le nombre de personnes interrogées détermine la marge d’erreur. Or la marge d’erreur est indiquée plus loin sur la page, ce qui nous indique que ce nombre de personnes interrogées est redondant.

Mais il ne l’est pas. Tenez, un petit test. Laquelle de ces deux phrases vous semble la plus convaincante : “les français sont majoritairement hostiles au bouclier fiscal” et “65% des français sont hostiles au bouclier fiscal”. Si vous êtes comme tout le monde, la seconde phrase vous paraît bien plus convaincante. Pourtant les deux disent la même chose. Mais la présence d’un nombre dans la seconde donne l’impression qu’il y a eu mesure, et que cela rend la phrase plus “scientifique”. Pourtant, nulle part n’est indiqué comment ce chiffre a été déterminé (je viens de l’inventer, en fait). Ce phénomène par lequel la simple présence de nombres persuade est renforcé par la précision apparente du nombre. Par exemple, si j’écris à la place de la phrase “64.93% des français sont contre le bouclier fiscal” cela semble plus convaincant que 65%, qui semble arrondi. Pourtant, ce nombre n’est pas moins inventé que le précédent.

Dans un sondage, le nombre de personnes interrogées ne sert qu’à une chose : déterminer la marge d’erreur. Celle-ci est à peine modifiée par le fait d’interroger 1000 ou 1001 personnes. la précision exacte du nombre de personnes interrogées, ici, sert donc beaucoup plus à établir la conviction de scientificité qu’à informer réellement.

- Parlons-en, d’ailleurs, de la marge d’erreur. Elle correspond, dans un sondage, au premier type d’erreur, l’erreur statistique. Celle-ci provient du phénomène suivant. Supposez une urne remplie de 10000 boules, 6000 rouges et 4000 jaunes. Vous prélevez un échantillon aléatoire de 10 boules dans cette urne. Votre échantillon peut reproduire la répartition de la population (6 boules rouges et 4 jaunes). Mais il y a de fortes chances de tomber sur un échantillon différent de la population (par exemple, 7 rouges et 3 jaunes, ou même 10 rouges et zéro jaunes). Par contre, plus votre échantillon est grand, plus le risque d’obtenir un échantillon très différent de la population diminue. Cela vous donne donc de fortes chances, lorsque vous prélevez un échantillon suffisamment grand, d’obtenir un échantillon proche de la population. Cette proximité est la marge d’erreur, vous en avez quelques exemples en suivant ce lien (en anglais, NdCE).

Mais la marge d’erreur ne correspond qu’à l’erreur statistique. Elle ne prend pas en compte l’autre erreur, la plus courante : l’erreur structurelle. L’erreur structurelle vient de ce qu’en pratique, les sondages ne correspondent jamais au cas théorique de boules de couleur prélevées dans une urne, comme dans les exercices de mathématiques. En pratique, les sondages sont effectués par des personnes réelles, qui peuvent se tromper en collectant leurs données; surtout, particulièrement dans les sondages réalisés auprès de personnes réelles, il y a des biais de collecte d’information. Il est par exemple impossible de sonder une personne qui refuse de répondre aux sondages. Lorsque vous lisez “x% des français pensent que” il faut lire “x% des français qui répondent aux sondages pensent que”. Les gens peuvent mentir. Les gens peuvent vouloir être “bien vu” de la personne qui les sonde (et quand on est interrogé par une jeune voix féminine, on est tenté de lui faire plaisir). Les réponses peuvent être orientées par la façon dont les questions sont posées, voire même par l’ordre dans lequel elles sont posées : si par exemple on vous demande d’indiquer vos opinions politiques avant de vous poser des questions de société, vous aurez beaucoup plus tendance à vous conformer aux opinions-type de votre camp.

Les sondeurs déclarent toujours l’erreur statistique, sous forme de marge d’erreur. Mais ils ont une fâcheuse tendance à laisser croire que la marge d’erreur mesure tous les risques d’erreur, y compris l’erreur structurelle. Ce n’est pas le cas. Pour une raison simple : si l’erreur statistique est connue et limitée, l’erreur structurelle peut potentiellement rendre le sondage totalement faux. Avec trop d’erreur structurelle, la “marge d’erreur” peut devenir 100%.

Dans cet exemple (voir toujours page 3), il y a un biais énorme : le mode d’interrogation, en ligne. Là encore, la “scientificité” est assise sur la dénomination du système d’interrogation, désignée par un sigle en anglais. Ca fait tout de suite plus sérieux. Mais cela a une implication claire : les personnes qui ont servi à ce sondage correspondent à un sous-groupe particulier de la population, les gens qui ont un ordinateur et un accès internet, et qui acceptent de répondre à un sondage en ligne. Il y a très peu de chances qu’ils représentent la population française. L’application là-dessus de la “méthode des quotas”, au passage, loin d’améliorer le résultat, ne fait qu’introduire de nouveaux biais.

A partir de ce monument de scientificité, la façon dont l’article est présentée peut elle aussi totalement en modifier la perception. En s’appuyant sur la page 5 du document, on aurait très bien pu titrer “61% des français approuvent le mouvement contre la réforme des retraites”. Etrangement, ce sont les questions page 8 et 10 qui servent pour faire le titre : “les français souhaitent la fin des grèves”. Parce que, comme on peut toujours s’y attendre avec un sondage, poser la même question avec des formulations et des informations différentes modifie le résultat obtenu. Un esprit raisonnable, face à ces contradictions, en conclurait que ce sondage ne nous apprend rien d’intéressant. C’est oublier les talents d’exégèse que l’on peut déployer pour donner du sens à une série de nombres qui n’en a aucun.

L’article nous indique donc que “l’opinion a un point de vue complexe et nuancé”. qu’en termes galants… C’est que le sondage ne donne pas les mêmes résultats selon qu’on demande aux gens s’ils “comprennent” ou “soutiennent” les manifestations. On aurait pu essayer d’autres verbes : “approuvez-vous”? “Appréciez-vous”? “vous intéressez-vous”? et à chaque fois, on aurait eu un nombre différent. Du commentaire sur du bruit.

Schizophrénie et cannabis: corrélation n’est pas causalité

Deuxième article : “Panini retire du marché le jeu polémique des Skyzos”. On y apprend que suite à des plaintes d’associations, Panini retire un jeu de la vente. Mais comme il est dans la rubrique “santé”, l’article se doit de nous apprendre autre chose que cette anecdote sans grand intérêt. Le dernier paragraphe nous instruit donc sur la schizophrénie de la façon suivante :

Si l’hérédité est une composante importante dans son apparition, d’autres facteurs environnementaux, comme l’isolement social ou la consommation de cannabis, peuvent également peser.

Voici un second exemple de chiffres torturés : la corrélation prise pour une causalité. Il existe en effet de nombreuses études médicales montrant l’existence d’une corrélation entre différentes variables, ici, l’apparition de la schizophrénie et l’isolement social ou la consommation de cannabis. Voici ce que ces études montrent : les schizophrènes ont plus tendance que le reste de la population à consommer du cannabis ou à être isolés socialement. Et c’est tout. Vous voyez que la causalité peut être interprétée dans tous les sens. Il est fort probable, par exemple, qu’une personne commençant à manifester des signes de schizophrénie va avoir tendance à s’isoler socialement. On pourrait supposer également que face à l’angoisse que causent les premiers symptomes de cette maladie, les gens soient incités à consommer du cannabis pour les calmer. Dès lors, c’est la schizophrénie qui cause isolement et toxicomanie. Ou alors, comme indiqué dans l’article, la causalité va dans l’autre sens. Comment savoir?

En pratique, il y a des moyens pour essayer de mieux distinguer le sens de la causalité. Mais ils sont difficiles à mettre en oeuvre, et eux-mêmes sujets à des erreurs. Surtout, ils ne sont que très rarement utilisés pour les études médicales. C’est ce qui fait qu’une quantité invraisemblable d’études médicales est fausse. Mais l’article n’est pas là pour instiller le doute, mais pour instiller discrètement une morale : le cannabis, ça rend fou.

Lorient et Nancy: gazon maudit?

Enfin, à tout seigneur tout honneur, l’Equipe nous gratifie d’un monument hilarant au dénombrement bidon, dans cette fine analyse consacrée aux équipes de foot de Lorient et Nancy. Les deux équipes, cette année, sont en effet passées au gazon synthétique. Et malheur : les résultats ne suivent pas. A l’appui de cette démonstration, un schéma avec plein de jolies couleurs mais parfaitement illisible, d’où il semble ressortir que les deux équipes ont cette année de bien mauvaises performances, en particulier à domicile. Pourtant, une connaissance même minimale du football indique qu’il y a des tas de facteurs qui font qu’une équipe, d’une année sur l’autre, voit ses résultats se dégrader après 9 journées : changements de joueurs, chance, adversaires rencontrés, progrès relatif des autres équipes, etc. cette même connaissance minimale indique qu’il peut y avoir des tas de raisons d’adopter un terrain synthétique, autres que la volonté d’obtenir de meilleurs résultats : coût, climat local (il gèle souvent à Nancy, il pleut souvent à Lorient). Enfin, je me demande même pourquoi j’explique à quel point nous sommes là dans le grand n’importe quoi.

A bientôt, dans le monde merveilleux des copies laborieuses à partir de chiffres inutiles.

Article publié à l’origine sous le titre Un jour ordinaire dans le monde merveilleux des faux nombres sur le blog Econoclaste. Comme souvent, les commentaires valent le détour.

Illustration FlickR CC Obscurate Associate ; Thomas Duchnicki ; artnoose.

]]>
http://owni.fr/2010/10/24/manifs-cannabis-foot-et-autres-mauvais-usages-des-statistiques/feed/ 14
Le foot hors-jeu sur votre timeline: mode d’emploi http://owni.fr/2010/06/15/le-foot-hors-jeu-sur-votre-timeline-mode-demploi/ http://owni.fr/2010/06/15/le-foot-hors-jeu-sur-votre-timeline-mode-demploi/#comments Tue, 15 Jun 2010 07:48:03 +0000 Cyroul http://owni.fr/?p=18722 Ça y est je craque ! Du foot tous les deux tweets, du foot à toutes les sauces, du foot, du foot… Argh ! Arrêtez le foot !

Attention, non, ne croyez pas que je n’aime pas le football. C’est un très beau sport quand il est bien joué (et j’en sais quelque chose).

Mais c’est cette “euphorie-foot” qui me fatigue.

Entre les campagnes de pub hyper-médiatisées et bannierisées, les experts SEO/SMO qui vont écrire un article sur le sujet pour augmenter leur nombre de followers et les blogueuses qui vont écrire un article pour faire genrele foot c’est aussi girly, regardez comme je suis moderne et différente de ma mère“, j’ai simplement envie d’éteindre ma timeline et laisser se noyer cette foule de billets inutiles, redondants et qui seront déjà dépassés demain.

L’information chaude c’est bien, sauf quand tout le monde a la même et qu’elle ressemble à un ballon rond. Alors que faire ? Éteindre Twitter ?

Heureusement la solution existe (sur TweetDeck en tout cas).

Pour ma veille quo-twitti-dienne, j’utilise en effet TweetDeck. Il n’est pas parfait, mais il est suffisamment ergonomique et sérieux (évolutions fréquentes).

Alors comment faire pour virer le foot de vos douze timelines sur TweetDeck ?

1/ Ouvrez le TweetDeck settings pannel

2/ Sur l’onglet Global filter / Filter Updates

Dans le champ “Containing words”, saisissez les mots clés que vous voulez filtrer. Je vous propose : football, bleu, bleus, worldcup, foot, mondial, tf1, coupe monde, france uruguay, équipe france, etc.

3/ Appuyez sur “Save Settings” et voilà !

Ahhh… Le bruit de fond désagréable que vous lisez depuis ce matin va disparaître d’un seul coup. Le calme, ponctué ça et là par les twitteriens qui savent ne pas faire comme tout le monde.

Alors certes, vous risquez de louper quelques analyses intéressantes (je vous conseille notamment La Coupe du Monde, une aliénation planétaire), mais vous deviendrez certainement plus performant pendant un mois, évitant un papillonnage stérile.

Attention, n’oubliez tout de même pas de vous informer sur les résultats des matchs (il est important de savoir s’intégrer socialement et d’avoir des références communes avec le Français moyen – c’est votre métier aussi). N’oubliez pas non plus de supprimer les filtres TweetDeck une fois la Coupe du Monde terminée.

J’espère que cet article vous servira autant qu’à moi. Bonne chance.

Billet initialement publié chez Cyroul ; photo hradcanska

]]>
http://owni.fr/2010/06/15/le-foot-hors-jeu-sur-votre-timeline-mode-demploi/feed/ 3
Nous n’en parlerons pas http://owni.fr/2010/06/11/nous-nen-parlerons-pas/ http://owni.fr/2010/06/11/nous-nen-parlerons-pas/#comments Fri, 11 Jun 2010 09:34:45 +0000 Admin http://owni.fr/?p=18264

]]>
http://owni.fr/2010/06/11/nous-nen-parlerons-pas/feed/ 4