OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mais où est passée la culture européenne? http://owni.fr/2011/02/22/mais-ou-est-passee-la-culture-europeenne/ http://owni.fr/2011/02/22/mais-ou-est-passee-la-culture-europeenne/#comments Tue, 22 Feb 2011 16:16:00 +0000 Réjane Ereau (MyEurop) http://owni.fr/?p=47955 Frédéric Martel n’est pas un sociologue de salon, de ceux qui refont le monde dans le cadre feutré d’un club select, sans jamais se frotter aux réalités. Pour son enquête, le chercheur et journaliste a écumé les capitales de l’entertainment, d’Hollywood à Bollywood, des studios qatari d’Al-Jazeera au siège mexicain de Televisa, en passant par l’Afrique subsaharienne, la Chine, la Corée, le Brésil, l’Egypte… Et bon nombre de pays européens.

Pendant longtemps, la culture produite et l’information diffusée par l’Europe bénéficiaient d’une influence considérable, observe-t-il. Aujourd’hui, dans les échanges culturels internationaux, le Vieux Continent rencontre de nombreux concurrents. Il ne sombre pas, mais se trouve confronté à une compétition accrue, liée au succès des contenus américains et à l’émergence de nouveaux pays exportateurs de culture et d’info.

De fait, depuis une dizaine d’années, les exportations européennes de films, de programmes télé et de musique reculent au rythme de 10% par an. L’inverse des Etats-Unis, qui progressent de 10% chaque année, au point de représenter actuellement 50% des exportations mondiales de contenu. L’Europe des 27, elle, arrive en deuxième position, avec un tiers des exportations… Et elle est le premier importateur mondial de contenu - les flux intra-européens restant toutefois supérieurs aux extra-européens.

Preuve d’une stagnation culturelle de l’Europe, faute de s’intéresser suffisamment aux cultures populaires et au marché de masse ?
Pas si schématique, répond Frédéric Martel, tout en notant la faiblesse des universités européennes qui n’assurent pas le travail d’expérimentation sur la culture et n’ont pas de liens avec les industries, le retard technologique et l’insuffisance de l’innovation, la méfiance répétée à l’égard d’Internet et du numérique, le départ vers les Etats-Unis des créateurs…

Voire un souci dans la définition même de la culture en Europe : “Historique et patrimoniale, élitiste souvent, anti-mainstream aussi, elle n’est peut-être pas en phase avec le temps de la mondialisation et de la culture numérique, ne correspond plus nécessairement au standard international en matière de flux de contenus.

La culture locale? Elle se va bien, merci.

Mais si elle n’est plus une culture de masse, l’Europe continue de fournir des produits de niche pour d’importants segments de marché, notamment nationaux.
A l’échelle du monde, comme au niveau européen, il est absolument faux de dire que les cultures locales, régionales et nationales sont fragilisées par la mondialisation“, rappelle Frédéric Martel.

En Amérique latine, la musique vit bien dans chaque pays ; en Asie, les “dramas” coréens, taïwanais ou japonais sont très aimés ; la littérature est souvent très nationale partout dans le monde ; quant au cinéma, il conserve une production un peu partout, parfois faible comme en Angleterre ou en Italie, mais parfois proche des 50 % du box office, comme en France ou en République Tchèque.

Ainsi, l’expansion de la culture américaine dans chaque pays européen s’est faite aux dépens des “autres” cultures, sans guère affaiblir celles nationales. “Chaque homme a désormais deux cultures : la sienne – singulière, nationale et locale – et la culture américaine. Il n’y a pas uniquement standardisation, mais à la fois renforcement du local et du global. On est en même temps plus français et davantage américanisé. Internet décuple ce phénomène : les produits culturels d’hier deviennent de plus en plus des services, des formats et des flux culturels – à la fois très spécifiques et très standardisés.

Si vous discutez avec de jeunes européens, chacun aura une bonne connaissance de la musique ou du cinéma national. Il vous parlera de produits de niche et de la culture de sa communauté, tout en étant très américanisé dans ses pratiques culturelles. Le seul problème, c’est qu’étant allemand, il ne s’intéressera pas à la culture italienne ; étant français, il sera indifférent à la culture tchèque.

Car faute d’unité linguistique, d’un marché intérieur cohérent et d’une croissance économique, l’Europe n’est pas un continent, mais une succession de marchés nationaux qui dialoguent peu entre eux culturellement : ”Grâce à une zone largement unifiée, avec 300 millions d’habitants et une langue commune, le marché intérieur américain est puissant ; cette masse critique existe aussi, pour une part, en Chine, en Inde, au Brésil, peut-être dans les pays arabes, mais ni en Europe, ni en Asie du Sud Est, ni en Amérique latine, compte tenu de la diversité des nations qui les composent“.

Abattre les cloisons culturelles intra-européennes et adopter une stratégie

Comment, dans ce contexte, parvenir à édifier une culture commune européenne ?

C’est extrêmement difficile, estime l’auteur de “Mainstream”. Comme on le dit en Pologne, il est facile, avec des poissons, de faire une soupe ; mais lorsqu’on a la soupe, il est beaucoup plus difficile de retrouver les poissons ! Nous en sommes là. On a des cultures nationales, mais plus de culture commune au niveau européen. Je parle ici, bien sûr, de culture de masse, d’entertainment, de culture des jeunes ; nous sommes mieux armés en ce qui concerne l’art contemporain, la danse moderne, le théâtre expérimental, la littérature d’avant-garde. Il y a bien des valeurs communes européennes. Mais dans l’industrie, nous sommes fragiles. On a pourtant des atouts, comme de grands groupes européens : Pearson, Bertelsmann, Prisa, Lagardère, Vivendi – mais ces groupes produisent du local et de l’américanisation. Avec le français Vivendi, nous avons le premier producteur de jeu-vidéo et la première major de la musique au monde : mais Universal fait surtout de la musique anglo-saxonne et Activision-Blizzard des jeux-vidéos américains. Avec l’allemand Bertelsmann, on a le premier éditeur de livres au monde, Random House : mais ils font surtout le Da Vinci Code et des best-sellers américains.

Une piste, parmi d’autres, pour avancer : prendre au sérieux la diversité culturelle européenne. “Pas tant sa défense dans les grandes instances internationales, comme l’Unesco et l’OMC, mais dans sa réalité concrète. Aider nos minorités à être plus visibles, à créer des œuvres différentes, singulières, originales. Casser le catéchisme culturel national et le contrôle culturel pour s’ouvrir. C’est en reconnaissant la culture des Français issus de l’immigration, par exemple, qu’on réussira à renouveler la culture française et à lui permettre de dialoguer en Europe et dans le monde. Cette valorisation réelle et pragmatique de la diversité sur le territoire européen devrait être une priorité, pour la revitaliser la culture du Vieux Continent, la sortir de son statisme.

Et pallier ainsi aussi au vieillissement de la population européenne, qui prive les industries créatives du moteur principal de l’entertainment : les jeunes. “La demande inépuisable de produits culturels de la part de la jeunesse indienne, brésilienne ou arabe (une large part de ces pays a moins de 25 ans) est un élément décisif du succès émergent de ces régions. C’est a contrario une des raisons de la stagnation du Japon“, précise Frédéric Martel.

Un rôle à jouer par les institutions européennes pour impulser des collaborations entre les industries culturelles des différents pays, et booster leur place sur les marchés ? Le chercheur n’y croit pas.

On ne lutte pas contre la puissance du marché de l’entertainment américain par les subventions de l’Union européenne ! On peut lutter par la régulation, mais surtout en bâtissant des industries fortes. Je crois plus à Orange, Vivendi et Canal + pour affronter les Américains, qu’en l’Etat. Mais les institutions nationales et européennes ont un rôle à jouer en encourageant, plutôt qu’en freinant les industries, les start-ups, l’innovation, et le développement d’Internet. Si ce livre permet de sensibiliser les Européens sur l’importance du soft power et les incite à se repositionner dans cette nouvelle donne internationale, il aura rempli un de ses offices !

Via par exemple, un rapprochement stratégique entre médias de différentes nationalités. “C’est une idée, mais pour l’instant, ça reste un vœu pieu. Il n’existe pas de grand média européen. Marginalement, il y a le Financial Times et The Economist, mais ils ne s’adressent qu’aux élites. Ni RFI, ni la BBC, ni aucune radio ne parle aux Européens. Arte a une audience faible en France et minuscule en Allemagne : on n’est déjà pas capable de parler de culture aux Français en même temps qu’aux Allemands !
D’autant qu’aujourd’hui, “nous avons plus de différences avec les Roumains, qu’avec les Américains, conclut Frédéric Martel. C’est bien cela le problème : nous sommes tous européens, mais l’identité européenne reste difficile à cerner. Quant à la culture européenne, elle se cherche encore.

Billet de Réjane Ereau, publié initialement sur MyEurop sous le titre Culture européenne, où es-tu?

Illustrations Flickr CC Chris Barton, Boyan et TMOF

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Mainstream: une critique, un extrait, une carte et la conclusion http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/ http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/#comments Tue, 11 May 2010 07:30:12 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=15223 [Billet publié initialement sur Bibliobsession, le blog de Silvère Mercier, bibliothécaire]

Intéressant livre que j’ai eu la chance de recevoir en Service de Presse. (Merci !). Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde de Frédéric Martel (animateur de l’émission Masse critique sur France Culture) est une vaste enquête sur la culture mondialisée, constituée d’une série d’entretiens commentés et remis en contexte. L’ensemble est à la première personne ce qui est un choix peu habituel sur un tel sujet, mais qui a le mérite de rendre la lecture moins fastidieuse qu’une analyse géopolitique des industries créatives… (car tel est bien le sujet de ce livre).

Attention, amis de la culture avec un grand C passez votre chemin (ou pas) on ne parle pas ici d’œuvres ni d’artistes, mais bien de produits, de stratégies, de marketing, de luttes d’influence entre multinationales pour occuper notre temps de cerveau ! Ces préalables posés, il est intéressant je trouve de prendre la mesure de ces phénomènes massifs, même si nous sommes ici du côté de l’offre ce qui comporte des limites certaines au projet, exposées dans ce résumé du livre de J-P Warnier : La mondialisation de la Culture (2003) :

J.-P. Warnier considère que les théories de la convergence culturelle se sont révélées fausses. Toutes les visions macrosociologiques sont victimes d’un contresens méthodologique : leur objet d’étude étant la production de biens culturels au niveau mondial, elles privilégient l’étude de l’offre. Or, si l’analyse se concentre sur la réception au niveau local de ces biens, on constate alors que cette offre mondiale est « décodée, recodée, domestiquée et réappropriée ». L’auteur critique ainsi toutes les théories globalisantes, qu’elles soient culturalistes, comme celle d’Huntington (qui privilégie les revendications culturelles comme facteur explicatif des conflits), ou politiques, comme celle de Ramonet (dont la géopolitique mondiale expliquerait les phénomènes culturels). Il faut privilégier une approche anthropologique, qui permet une lecture du fait culturel local : l’auteur se rattache ouvertement à la thèse de J.-F. Bayart selon laquelle la dynamique sociale et les conflits qui en découlent « mobilisent et structurent les identifications culturelles » en fonction des intérêts des groupes sociaux. Finalement, l’américanisation est, pour l’auteur, un faux débat : la modernité aurait plutôt à faire face à « l’éclatement des référents culturels ». La tradition locale, le terroir sont encore des leviers puissants de différenciation culturelle.

Quoi qu’il en soit, on comprendra mieux par exemple la vivacité de la lutte de la MPAA contre le piratage aux USA en considérant la place du copyright dans l’écosystème économique des industries créatives! Pour autant, il me semble que ce livre est bien trop léger sur les impacts du numérique sur les stratégies des industries créatives.

Et pour cause, les entretiens ont déjà quelques années et le secteur évolue à vitesse grand V, l’ensemble donne l’impression d’une photographie déjà jaunie. On peut se demander par exemple si l’enjeu n’est pas plus aujourd’hui dans le contrôle des data centers que dans le nombre de multiplexes implantés sur un territoire…

Malgré tout, on apprendra comment Murdoch s’est cassé les dents en Chine dans les années 90 et comment l’Inde représente le nouvel Eldorado pour les industries créatives Américaines. Très intéressant aussi de voir comment les pays émergents essaient de construire leur propres industries créatives face aux Américains.

On se rend compte que l’impérialisme US est bel et bien à relativiser (en même temps on le savait déjà…) ! Les USA sont en effet bien moins idéologiques qu’on ne le pense, à voir leur capacité d’adaptation à des marchés étrangers, on se rend vite compte qu’il s’agit bien plus de capitalisme en bonne et due forme qu’une volonté d’imposer une domination culturelle (même si l’un est étroitement lié à l’autre).

Voilà en passant, un instantané des industries créatives dans la Chine d’aujourd’hui qui m’a intéressé, extrait :

“En discutant avec un marchand de CD et de DVD à Shanghai, j’ai compris pourquoi les DVD de contrefaçon ressemblaient tellement aux véritables DVD : “Ne soyez pas stupide, m’a dit le vendeur (sous condition d’anonymat, et traduit par mon interprète). Ce sont bien sûr les mêmes usines qui fabriquent les DVD légaux et ceux qui sont illégaux. c’est exactement comme pour les stylos Montblanc et les montres Rolex.” Et dans le magasin, il m’a montré les DVD “vrais” mêlés aux “faux” – et vice versa. Les Américains, eux aussi, ont compris la ruse et ils ont trouvé cela moins drôle que moi. Ils ont même constaté, en se livrant à un petit exercice d’espionnage, en modifiant certaines images d’un film test, que les longs métrages qu’ils soumettaient à la censure chinoise se retrouvaient au marché noir même lorsqu’ils étaient refusés – détournement ahurissant qui en dit long sur l’état de la corruption dans la Chine communiste. Du coup ils ont attaqué la Chine devant l’OMC pour atteinte aux lois internationales du copyright et pour dénoncer son laisser-faire en matière de piratage sauvage. (Plusieurs de mes interlocuteurs font également l’hypothèse que les Américains diffusent délibérément leus films sur le marché noir pour habituer les Chinois aux blockbusters qu’ils ne peuvent pas diffuser légalement.) “On ne peut pas arrêter le piratage, relativise cependant, à Hong Kong, Gary Chan Chi Kwong, le patron d’East Asia Media, l’une des plus importantes maison de disque en Asie. C’est la même usine qui fabrique les CD légaux et les autres. On sait ça. On garde un œil ouvert et un œil fermé : on essaie de lutter mais on laisse faire aussi, car c’est absolument impossible d’arrêter la contrefaçon.”

Ce passage me semble révélateur des ambiguïtés de la lutte contre le piratage, entre sauvegarde d’un modèle économique inadapté, nouveaux usages massifs, mais aussi (et on l’oublie souvent dans les discours sur le piratage) enjeux géopolitiques de conquête de nouveaux marchés de la culture mondialisée.

Pour conclure, un livre intéressant, mais qui sera vite dépassé… Je vous propose cette petite carte heuristique faite par mes soins à partir de la conclusion de ce livre, soyez indulgents, il s’agissait d’être vraiment synthétique et de fixer quelques idées !

Enfin, la bonne nouvelle, c’est que vous pouvez lire en intégralité ici la conclusion du livre:

Illustration CC Flickr par Express Monorail

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Comment la culture mainstream a conquis le monde http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/ http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/#comments Thu, 01 Apr 2010 11:24:22 +0000 Clémentine Gallot http://owni.fr/?p=11318 icon_electronlibre1Mainstream, une enquête sur la culture de masse et l’entertainment global qui sort aujourd’hui, livre un état des lieux complet des nouveaux flux culturels qui unissent Hollywood à Mumbai en passant par Le Caire et Rio, avec une certitude : la mondialisation des contenus est en marche.

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« Le mainstream est l’inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches ; c’est pour beaucoup le contraire de l’art. » Si la culture de marché a longtemps été un objet d’étude illégitime (en France, en tout cas), le livre de Frédéric Martel, journaliste et universitaire, dessine, enfin, une cartographie des nouvelles guerres culturelles, mal connues, que se livrent pays dominants et pays émergents pour la conquête du « soft power ».

Une méthode qui repose sur plusieurs constats : « la mondialisation des contenus est un phénomène insuffisamment analysé » et « les stratégies, le marketing et la diffusion de produits culturels sont souvent plus intéressants que les contenus eux-mêmes, » écrit-il. L’auteur s’est ainsi livré à un travail de terrain de plusieurs années, sillonnant les capitales de l’entertainment comme New York ou Singapour, écoutant du Christian Rock à Nashville et visitant des plateaux de tournages dans le désert ou dans la jungle. Internet oblige, cet ouvrage interactif propose de retrouver l’équivalent de mille pages de notes, ainsi que des documents, sur un site dédié.

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Au commencement était l’Amérique

La culture mondialisée puise sa source aux États-Unis, la moitié de ce livre-somme est ainsi consacrée à la naissance du monopole américain de la «  diversité standardisée », à son écosystème et au business du show-business.

L’auteur est ainsi allé à la rencontre des acteurs qui façonnent un paysage culturel américain dominé par Hollywood. Avant de s’imposer ailleurs, ce modèle s’est d’abord installé dans l’espace américain, depuis les années 1950 : « le drive-in fut l’une des matrices de la culture de masse américaine d’après-guerre, » explique t-il. Le passage du drive-in, dans la suburb, aux multiplexes dans les shopping-malls des exurbs, ou immenses centres urbains, symbolise bien ce développement de l’industrie du cinéma de masse. Le cinéma est aujourd’hui rentable moins grâce au tickets vendus que par les concessions de pop corn et de coca-cola, devenu son véritable modèle économique.

En passant par Disney, où la stratégie culturelle est axée sur le cross-over, l’auteur visite le Nouvel Hollywood où tout le monde est indépendant tout en restant attachés aux grands studios (« l’indépendance est une catégorie esthétique »). De son côté, le lobby de la Motion Pictures Association of America, premier ambassadeur culturel américain, veille aux intérêts d’Hollywood à l’étranger et fait aujourd’hui de la lutte contre le piratage sa priorité mondiale.

Mainstream décrit également comment l’Amérique dérive une partie de sa domination culturelle de son influence musicale : « la pop music n’est pas un mouvement historique, ce n’est pas un genre musical, on l’invente et on la réinvente constamment. » Detroit, berceau du Motown, a émergé grâce à une stratégie marketing cross-over : une musique noire faite pour les blancs, donc une musique populaire américaine. Dans ce paysage musical, la chaîne MTV a, ensuite, dans les années 1980, créé le lien manquant entre culture et marketing. Les universités sont un autre lieu d’expérimentation culturel et un « facteur d’explication déterminant de la domination croissante des industries créatives américaines. »

Le développement de la mass culture américaine a aussi entraîné dans son sillage un basculement de toute une profession, celle de critique culturel. L’auteur consacre d’ailleurs plusieurs pages éclairantes à l’excellente et atrabilaire critique cinéma du New Yorker, Pauline Kael (et à ses fans, les « paulettes »), star aux États-Unis et inconnue en France.

Cette « intellectuelle anti-intellectuelle » a en effet été la première à traiter sérieusement du cinéma populaire, dans un magazine pourtant élitiste. Viendra ensuite l’anglaise expatriée à New York Tina Brown, à l’origine du « celebrity journalism ». Oprah, la reine des médias, contribue également à brouiller la frontière entre High culture et Low culture avec son émission littéraire accessible à tous. Le nouveau critique, devenu par la force des choses trendsetter, médiateur de l’entertainement ou « consumer critic », contemple ainsi la fin de la hiérarchie culturelle.

« Le marché mainstream, souvent regardé avec suspicion en Europe comme ennemi de la création artistique, a acquis aux Etats-Unis une sorte d’intégrité parce qu’il est considéré comme le résultat des choix réels du public. »

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Un nouvel ordre culturel mondial

S’éloignant ensuite des États-Unis, Mainstream s’intéresse à la guerre mondiale des contenus qui se traduit par des batailles régionales. Si l’on pense, par réflexe, aux promesses du marché chinois, la Chine avec sa censure et ses quotas n’est en réalité pas le géant escompté, Rupert Murdoch s’y est d’ailleurs cassé les dents. Selon Martel, India is the new China. En effet, « Les Indiens ont besoin des Américains pour faire contrepoids à la Chine et les Américains ont besoin de l’Inde pour réussir en Asie. »

Le revival de Bollywood qui a lieu depuis quelques années constitue en fait l’immense majorité du box-office indien qui connaît une très faible pénétration du cinéma américain. Les Américains n’ont d’autre choix désormais que de produire des films indiens en Inde, alors que celle-ci souhaite de son côté conquérir le monde. Mais les contenus locaux, tout en images et en musique qui font le succès de Bollywood ont pour l’instant du mal à se transformer en contenus globaux.

Sur la scène musicale, les flux culturels « pop » occupent en Asie une place prédominante, la musique américaine étant finalement moins présente qu’on ne l’imagine. L’enquête décrit ainsi la guerre que se livrent la pop japonaise (J-Pop) et coréenne (K-Pop) pour diffuser en Asie des cover songs et de la musique formatée dans différentes langues.

La guerre des contenus a aussi lieu sur le terrain de l’audiovisuel et des séries télévisées. L’exportation très lucrative et en pleine explosion des « dramas » coréens donne le « la » de la culture mondialisée asiatique. Boys over Flowers, immense succès de 2009 en Asie, est une sorte de Gossip Girl coréen sirupeux menée par quatre garçons pervers mais bien coiffés.

De l’autre côté du globe, les telenovelas brésiliennes sont celles qui ont le plus de succès : le Brésil étant un nouvel entrant dans le marché des échanges culturels internationaux, il exporte ses séries produites par le géant TV Globo, en Amérique Latine et en Europe centrale.

« Le marché international des telenovelas représente aujourd’hui une guerre culturelle entre la plupart des pays d’Amérique Latine et elle est mené par de puissants groupes médias. Le marché de la télévision est très local et les Américains s’en sortent le mieux, » explique Martel.

Dans les pays arabes, les « mousalsalets » ou feuilleton du ramadan sont des soap operas moraux qui peinent à se renouveler, alors que les séries syriennes, inspirées du modèle américain, décollent. Le conglomérat de médias panarabe Rotana, détenu par le Rupert Murodch du Moyen-Orient, le prince saoudien Al Waleed, a, de son côté, développé son vaste empire d’entertainement mainstream qui s’étend de Beyrouth au Caire.

Le livre se termine sur une note mitigée, en Europe, site d’une « culture anti-mainstream ». Il en ressort que « les Européens ne produisent que rarement de la culture mainstream européenne, » et que, malgré des cultures nationales fécondes, celles-ci ne s’exportent pas. Cette géopolitique actuelle de la culture et des medias n’est en tout cas pas favorable à l’Europe, qui voit sa culture commune s’affaiblir.

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Nouveau capitalisme culturel et économie immatérielle

Ce travail au long cours mené par Frédéric Martel et ces regards croisés, glanés d’un bout à l’autre du globe, convergent vers une hypothèse : la montée de l’entertainment américain va de pair avec le renforcement des cultures nationales (c’est le cas avec la montée en puissance de pays comme le Brésil, l’Inde ou la Corée). L’enquête, dans sa conclusion, esquisse l’avènement d’un modèle dynamique de «  capitalisme hip » :

« un nouveau capitalisme culturel avancé, à la fois concentré et décentralisé (..) les industries créatives n’étant plus des usines comme les studios à l’age d’or d’Hollywood mais des réseaux de productions constitués de centaines de milliers de PME et de start-up. »

De Hollywood à Dubaï, la mondialisation ainsi qu’Internet réorganisent tous les échanges : avec le basculement d’une culture de produits à une culture de services, la dématérialisation des contenus et l’économie immatérielle amplifient et renforcent ces mutations géopolitiques. Finalement, conclue le livre, « La grande nouveauté du XXIème siècle est la conjonction de ces deux phénomènes. »

Frédéric Martel, Mainstream, Flammarion, mars 2010, 460 p.

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> Article initialement publié sur Électron Libre

[MAJ 03/04/2010] L’auteur du livre, Frédéric Martel, était reçu par Nicolas Demorand ce premier avril sur France Inter.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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