OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bulletins de santé républicains http://owni.fr/2012/05/03/bulletins-de-sante-republicains/ http://owni.fr/2012/05/03/bulletins-de-sante-republicains/#comments Thu, 03 May 2012 10:46:48 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=108826

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat.
- Louis Aragon

Le second tour. François Hollande, Nicolas Sarkozy. Deux candidats en lice, plus un fantôme morbide et son cliquetis de chaîne : le score inédit du Front National, auquel se sont abandonnés des millions de gens qui transforment leurs souffrances et leurs angoisses en haine de l’autre. Il n’y a pas que cela bien sûr, et peut-être pas chez tous, mais aucun ne peut ignorer que ce vote est associé à cette haine. Cette maladie n’est pas nouvelle, mais elle a gagné en ampleur et surtout en banalisation.

L’actuel Président et sa garde rapprochée l’ont décomplexée en multipliant des mots et des actes à haute teneur xénophobe et parfois raciste. Ce qui signifie que les réflexes de haine, anti-républicains en leur principe même, imprègnent aujourd’hui deux électorats, celui du Front national et une fraction dominante de celui de l’UMP. Quant à ceux qui du bout des lèvres font sentir une petite différence histoire de rappeler leurs principes humanistes, auront-ils réussi autre chose que minorer plus encore aux yeux des citoyens la gravité des idées véhiculées par leur camp ?

Qu’aucun intellectuel ou presque n’ait osé soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy est à l’honneur des créateurs et penseurs de notre pays. Et aucun philosophe qui se consacre à la philosophie. Aucun. Il faut dire que pour qui cultive l’amitié aristotélicienne ou la joie spinoziste, l’universel de Rousseau ou celui de Kant, l’esprit de libération de l’œuvre effective de Marx ou le souci de bannir tout esprit de ressentiment de Nietzsche, ce second tour électoral devient d’une rare simplicité.

À défaut de trouver dans un candidat le moyen de s’attaquer en profondeur aux causes profondes de cette maladie du corps social, au moins peut-on trouver dans un rejet sévère, insolent et joyeux de l’actuel Président le remède évident à ce que cette maladie a de pire.

Une punition pour avoir identifié immigration et insécurité, pour avoir fait l’apologie d’une “identité nationale” fortement teintée de xénophobie, pour avoir organisé une chasse aux sans papiers jusque dans les classes des écoles, pour avoir osé identifier la viande hallal à une menace sur la France et associé l’immigré avec le terroriste, pour avoir inventé l’incroyable concept “d’apparence musulmane”, pour toutes ces vulgarités qui ont sali l’image même de liberté et de culture que l’histoire avait associée à quelques belles périodes de la France.

En qualifiant désormais le Front national de “parti républicain”, Nicolas Sarkozy a dépassé toutes les bornes admissibles. République signifie “chose commune”, et rien ne détruit plus violemment la communauté humaine que la haine de l’autre et le favoritisme des puissants. Vraiment, cette poussée xénophobe est une maladie qui exige de chacun une attitude claire et nette.

Soit on combat ce cancer, on agit sur ses causes sociales et l’on propose courageusement de quoi reconstruire une solidarité humaine ; ce fut le cas de Jean-Luc Mélenchon et d’Eva Joly, et François Hollande a eu aussi le mérite de proposer que l’on supprime la notion de “race” des textes constitutionnels. Ainsi que d’accorder aux étrangers le droit de vote aux élections locales, à défaut de proposer une politique économique et sociale en rupture avec celle qui a engendré le mal.

Soit comme Nicolas Sarkozy, pour des motifs électoraux sans principes on propose non seulement d’amplifier les traits les plus négatifs de la politique qui a développé le mal, mais on l’amplifie délibérément en faisant campagne dans le sens du courant xénophobe. Et cet odieux calcul mériterait une défaite humiliante. Les jours qui viennent revêtiront en ce sens une signification de grande portée. On devra compter dans les urnes les bulletins de santé.

Bien sûr, alors, on chantera et l’on dansera un peu partout. Mais nul ne devra oublier qu’après les bals de 1981 il y eut les déconvenues de l’après 1983, les privatisations, l’argent-roi, le retour de la droite et l’essor du Front national. Ainsi que l’affaiblissement des forces citoyennes militantes.

On ne devra pas oublier non plus qu’après l’accession de Lionel Jospin à Matignon en 1997 il y eu des privatisations, le mépris des enseignants, l’argent-roi, le retour de la droite et l’essor du Front national. Ainsi qu’un nouvel affaiblissement du militantisme.

Nicolas Sarkozy et le Front national ont désormais démembré des pans entiers de la société et approfondi comme jamais des souffrances humaines : rien ne serait plus grave qu’un nouveau recul devant les nécessités sociales et politiques de transformation. Ce sera, comme toujours, l’affaire de l’ensemble des citoyens.

Mais, quelles que soient leurs espérances ou leurs doutes, encore une fois, quels citoyens épris de progrès humain pourraient hésiter le 6 mai prochain ? Dans un tout autre contexte bien sûr, chacun peut réciter pour lui-même et pour les autres ces beaux vers de La rose et le réséda de Louis Aragon :

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat.

N.B : En cette année de tricentenaire de sa naissance, Rousseau demeure bien utile aussi dans notre situation électorale et institutionnelle. Relire par exemple, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, une note (n°9, ou « i ») dans laquelle Rousseau rappelle cette évidence qu’il vaut mieux choisir un bon maître qu’un mauvais. Mais il ajoute que si la santé d’un peuple ne tient qu’à la qualité personnelle d’une personne, cela signifie que ce peuple a perdu sa liberté, se trouve dépendant, et se trouve privé d’une Constitution. En effet, il n’est de constitution juste que celle qui assure la justice sociale et la liberté, sans avoir besoin d’un bon maître. Pire : les bons maîtres banalisent cette dépendance et empêchent les peuples d’agir pour recouvrer leur liberté politique. Il faut donc opter pour les personnalités politiques vertueuses, mais s’empresser de leur demander de bâtir ensemble une bonne constitution. Chiche ? À méditer pour le futur.


Illustration via Flickr par Temari09 [cc-by-nc] remixée par Ophelia Noor pour OWNI.

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Marine Le Pen récidive sur l’IVG http://owni.fr/2012/04/12/le-grand-oral-recidiviste-de-marine-le-pen/ http://owni.fr/2012/04/12/le-grand-oral-recidiviste-de-marine-le-pen/#comments Thu, 12 Apr 2012 16:14:56 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=105663 OWNI se mobilisent. Et vous livrent un résumé du grand oral des six principaux prétendants, à retrouver sur Le Véritomètre. Morceaux choisis du passage de Marine Le Pen.]]>

16 minutes et 34 secondes. C’était le temps alloué à chacun des candidats pour convaincre 3,4 millions de téléspectateurs. Pour sa dernière grande interview télévisée, Marine Le Pen s’est de nouveau avancée sur ses thématiques de prédilection, la politique migratoire et le retour au franc. Tout en s’aventurant sur le terrain de données inédites, à propos de la contraception en France. La candidate du Front national (FN) y est donc allée de ses petits conseils :

En 2012, il y a quand même 15 moyens de contraception en amont pour éviter cela [une grossesse] !

La page d’accueil du portail du ministère de la Santé ChoisirSaContraception.fr recense 14 moyens contraceptifs existant en France. Avec quelques nuances, notamment concernant les “moyens naturels”, comme la méthode des températures, jugées “très imprécises et peu fiables”.

Il reste qu’avec son chiffre de “15 moyens de contraception” accessibles en France en 2012, Marine Le Pen tient des propos s’éloignant de 7,1% de la réalité, et donc imprécis selon le barème du Véritomètre.

Récidive sur l’IVG

C’était l’une des polémiques lancées par Marine Le Pen dans cette campagne : les avortements de complaisance. L’expression, alors vivement décriée tant par les professionnels de la santé que le monde politique, désignait les Interruptions volontaires de grossesses (IVG) multiples au cours de la vie de certaines femmes. Une pratique que la candidate FN est allée jusqu’à assimiler à un moyen de contraception. Et qu’elle propose de punir par le déremboursement de l’IVG.

Pour appuyer ses propos, Marine Le Pen s’est appuyé sur un article de presse :

Monsieur Moutel disait deux sur dix [avortements de complaisance] (…) dans Le Figaro.

Dans un article paru sur le journal Le Figaro du 25 février 2009, Grégoire Moutel, médecin en endocrinologie et médecine légale, a effectivement évoqué le chiffre de “deux [femmes] sur dix” ayant subi “deux ou trois avortements” au cours de leur vie féconde. Avant de se rétracter, et de répondre, dans le journal Le Monde daté du 15 mars 2012, que les “IVG récurrentes [représentaient] environ 3%” du total des IVG effectuées chaque année.

L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ne s’avance pas autant que le docteur Moutel. Dans son rapport intitulé La prise en charge de l’interruption volontaire de grossesse et publié en octobre 2009, le service d’inspection des politiques sociales précise (page 38) qu’aucune “donnée fiable et objective” n’existe à propos des “IVG récurrentes” en France. Et de renchérir, comme pour répondre à la candidate FN :

Cette situation où les partis-pris et les impressions subjectives, souvent forgées à partir de cas particuliers, tendent à l’emporter sur l’analyse objective des données de fait reflète, au-delà de l’imperfection des statistiques qui n’est pas propre à l’IVG, la spécificité d’un sujet qui reste ‘pas tout à fait comme les autres’ : peu de questions de santé publique mettent autant en jeu des points de vue personnels éthiques, religieux, philosophiques, moraux et politiques.

Un rapport complémentaire de la même Igas, publiée lui aussi en octobre 2009, délivre ainsi une seule donnée à ce sujet : les IVG récurrentes en Martinique. Elles auraient représenté 8,5% du total des IVG du département.

Impossible de dire, donc, si la situation outre-mer reflète celle en métropole. Il semble en tout cas bien exagéré de la part de Marine Le Pen de parler de 20% d’IVG récurrentes chaque année dans le pays.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
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Fantasmes et corsitude http://owni.fr/2012/03/07/fantasmes-et-corsitude/ http://owni.fr/2012/03/07/fantasmes-et-corsitude/#comments Wed, 07 Mar 2012 17:42:09 +0000 Equipe Véritomètre http://owni.fr/?p=101157 OWNI-i>TÉLÉ, alors que François Bayrou se rapproche de la lanterne rouge (Marine Le Pen). Chaque jour, les data-journalists d'OWNI mesurent la crédibilité des candidats à la présidentielle et établissent leur classement grâce aux bases de données de l'application.]]>

Ce mercredi 7 mars à 18 heures, l’indice de crédibilité du Véritomètre place Eva Joly toujours en tête, bien que sa cote baisse légèrement (de 70,5 % en début de semaine à 68,9 % ce 7 mars) alors que François Bayrou et Marine Le Pen continuent à se disputer la dernière place (retrouvez l’ensemble du classement en bas de cet article).

Au cours des dernières 48 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 59 citations. Résumé des principaux éléments.

L’Europe fantasmée de Marine Le Pen

Retour au franc, protection aux frontières, non-participation au budget européen : pour justifier son programme protectionniste, Marine Le Pen dresse un portrait peu reluisant de l’Europe.
Ainsi déclarait-elle lors de son passage au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro :

La zone euro [...] a la croissance la plus faible du monde depuis 10 ans.

Nous sommes [en Europe] en situation de récession économique.

ou encore (étonnamment plus positif) :

Il n’y a pas d’inflation en Europe.

Une analyse que ne confirment guère les données d’Eurostat et la Banque Mondiale.
Si l’on se fie à ces organismes reconnus :
- l’indice des prix à la consommation (qui permet de mesurer l’inflation) a augmenté de 13,48 % dans la zone euro entre 2005 et janvier 2012 ;
- la seule année de “récession économique” connue par l’Union européenne est 2009, depuis le taux de croissance du PIB est positif ;
- si la croissance de la zone euro est relativement faible (entre 0,9 % en 2002 et 1,9 % en 2011), d’autres pays font pire, comme le Japon (0,8 % de croissance en moyenne sur les neuf dernières années).

Pour citer le Front national dans son propre programme : “La réalité ne cesse de s’éloigner de cette Europe rêvée.”

La toute petite Corse d’Eva Joly

Eva Joly s’est lancée, lors de son intervention sur RTL soir lundi 5 mars, dans une comparaison géographiquement audacieuse :

la zone d’exclusion de Fukushima fait trois fois la Corse

Les vérificateurs d’OWNI se sont replongés dans leurs formules mathématiques dûment apprises au collège pour aboutir au calcul suivant.
Selon un rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le rayon de la zone d’exclusion est fixé à 20 kilomètres. Son aire est donc de 1 256 km2, soit un septième de la surface de l’île de beauté (8 680 km2). Eva Joly ne voit donc qu’un tiers de la Corse.

Jean-Luc Mélenchon conquis par la production

Invité à l’émission de TF1 “Parole de Candidat”, Jean-Luc Mélénchon utilisait l’argumentation suivante pour justifier le “partage des richesses” :

Alors que nous produisons plus que nous n’avons jamais produit de toute notre histoire, nous avons 8 millions de pauvres.

Une telle emphase pouvait rendre la citation suspecte quant à sa véracité : Jean-Luc Mélenchon est pourtant dans le vrai, du moins pour la période de “toute notre histoire” pour laquelle les vérificateurs d’OWNI ont réussi à obtenir des données, c’est-à-dire sur la période 1975-2011 (source Eurostat).
Le montant du Produit intérieur brut de la France en 2011 – 1 949 milliards d’euros – est le plus élevé depuis 1975.

Sur les 8 millions de pauvres, Jean-Luc Mélenchon est également dans le vrai : selon l’Insee, 8,17 millions de Français vivaient sous le seuil de pauvreté en 2009 (dernières données disponibles).

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http://owni.fr/2012/03/07/fantasmes-et-corsitude/feed/ 0
Le Véritomètre du soir http://owni.fr/2012/03/06/le-veritometre-du-soir-marine-le-pen-francois-bayrou/ http://owni.fr/2012/03/06/le-veritometre-du-soir-marine-le-pen-francois-bayrou/#comments Tue, 06 Mar 2012 17:48:03 +0000 Equipe Véritomètre http://owni.fr/?p=100952 OWNI-i>TÉLÉ, alors que François Bayrou se rapproche de la lanterne rouge. Chaque soir, les data-journalists d'OWNI mesurent la crédibilité des candidats à la présidentielle et établissent leur classement grâce aux bases de données de l'application.]]>

Ce mardi 6 mars à 18 heures, l’indice de crédibilité du Véritomètre place Eva Joly en tête avec 70,5 % et Marine Le Pen à la dernière place avec 40,5 % de références chiffrées exactes, devancé d’une courte tête par François Bayrou qui dégringole à 43,5 %  (retrouvez l’ensemble du classement en bas de cet article). Au cours des dernières 24 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 31 citations quantitatives. Résumé des principaux éléments.

L’immigration du travail explosée par Marine Le Pen

L’immigration est une question qui taraude le Front national. Lors de son interview au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro du 4 mars dernier, la candidate frontiste évoque cette thématique à deux reprises.

l’immigration de travail a explosé sous Nicolas Sarkozy

Entre 2005 et 2010, plus 112% d’immigration de travail.

Les vérificateurs d’OWNI cherchent toujours un indice fiable pour savoir à partir de quand un taux explose. Quoi qu’il en soit, les chiffres évoqués par Marine Le Pen sont faux.

Sur la période 2005-2009, le nombre de titres de séjour délivrés pour motif économique – plus communément appelé “immigration du travail” - a augmenté de 59,4 % selon l’Insee, et de 61,7 % selon le ministère de l’Immigration.

Les chiffres bruts sont eux aussi révélateurs : l’immigration pour motif économique n’a concerné “que 19 575 personnes” en 2009 selon l’Insee. Un chiffre bien faible face aux 2 861 700 demandeurs d’emploi (catégorie A) recensés fin janvier 2012 par la Dares.

Bayrou adopte avec largesse

François Bayrou continue de porter sa défense de l’adoption homoparentale devant les médias. Mardi 6 mars à la Matinale de Canal+, il expliquait notamment qu’il s’agissait d’ores et déjà d’une réalité. Chiffres à l’appui :

Il y a des années, il y a des dizaines de milliers de célibataires (…) qui adoptent des enfants en France.

Sauf que : quelque soit le profil des adoptants (couples, familles, célibataires) le nombre d’adoptions internationales n’a jamais dépassé 4 080, depuis 1980. Même en y ajoutant les pupilles de l’État placées en vue d’adoption : 816 en 2008 selon les dernières données disponibles. Sachant de plus que les célibataires représentent entre 10 et 13% des adoptants selon l’Agence française de l’adoption (AFA), aucune chance d’arriver au chiffre évoqué par François Bayrou.

Une balance bien équilibrée

S’il est un chiffre que les candidats maîtrisent, c’est celui de la balance commerciale.

Que ce soit Marine Le Pen “[en 2002] on exportait beaucoup plus, on avait une balance [commerciale] excédentaire” ou François Bayrou “tous les ans et tous les mois, voilà que s’effondre notre balance commerciale”, leurs estimations sont justes : excédentaire en 2002 (0,61 milliards d’euros), la balance commerciale de la France a connu un solde déficitaire depuis dix ans, pour reprendre le phrasé mesuré de François Bayrou.

Eva Joly, plus ch’ti que Paris

Le Nord-Pas-de-Calais, ils sont en train d’isoler 100 000 logements.

expliquait Eva Joly sur RTL le 5 mars. Une citation correcte : dans le cadre de la lutte contre le changement climatique dans la région du Nord Pas de Calais, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) et le Conseil régional ont l’ambition de réhabiliter 100 000 logements en 4 ans.

Eva Joly est plus au fait du logement dans la région Nord que la région parisienne. Elle estimait sur Dimanche+ le 29 janvier dernier qu’il y avait “deux millions de logements vacants” dans cette région. Un chiffre exact, mais pour la France et non l’Ile-de-France.

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Déchiffrer l’insécurité http://owni.fr/2012/02/10/115-milliards-de-peurs/ http://owni.fr/2012/02/10/115-milliards-de-peurs/#comments Thu, 09 Feb 2012 23:02:59 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=97918

De l’UMP au Front national, le chiffre circule depuis près de deux ans dans les discours. Et il a la dent dure. Le crime et la délinquance coûteraient chaque année 115 milliards d’euros. Soit 5,3% du PIB, la somme des valeurs produites par la France en un an. Au point que Marine Le Pen intègre ce coût dans le chiffrage de son programme présidentiel :

Le rapport Bichot avait chiffré en 2009 le coût de l’insécurité à 115 milliards d’euros par an.

C’est donc d’un obscur “rapport Bichot” que Marine Le Pen tire le principal argument chiffré pour sa politique sécuritaire. Du nom de Jacques Bichot, que Le Figaro présente comme un professeur émérite de l’université Lyon III, et dont ledit rapport a été publié par l’Institut pour la justice (IPJ), un think tank sécuritaire dont l’UMP ne renie pas les idées.

Préjudice diffus

Publié en avril 2010, le rapport de Jacques Bichot intitulé Le coût du crime et de la délinquance” [PDF] prend en fait un peu plus de précautions que Marine Le Pen – mais dans les formes seulement. Dès l’introduction, l’auteur précise qu’il s’est livré à “une évaluation prudente” du coût de la délinquance, mesuré entre juillet 2008 et juin 2009. Sans concéder cependant que ses calculs agrègent les données les plus fantaisistes, avec des données se rapportant à des crimes et à des délits bien réels.

Ainsi, l’auteur entreprend (p.24) de quantifier financièrement le sentiment d’insécurité créé par les crimes et les délits chez les 50 millions d’adultes Français.

Il faut enfin évaluer les externalités – notamment le sentiment d’insécurité engendré par les homicides. Celui-ci peut varier selon les périodes, et selon la médiatisation des faits. S’il se produit des attentats terroristes meurtriers, la crainte peut augmenter sensiblement. Dans la situation actuelle, l’estimation sera modeste : on peut faire l’hypothèse qu’en moyenne chacun des 50 millions d’adultes donnerait bien dix euros par an si cela permettait de réduire fortement le nombre des homicides. Soit 500 millions d’euros pour le préjudice diffus d’insécurité.

Et un tel sentiment d’insécurité engendre de menues dépenses. Dans les fameux 115 milliards d’euros sont ainsi compris les frais privés de sécurité. Qui atteignent tout de même les 2 milliards d’euros. Une estimation qui comprend par exemple l’achat d’un chien (ou d’un système d’alarme) car “beaucoup de ménages comptent en partie sur leur chien pour les protéger contre les visites importunes”. Ami des bêtes, Jacques Bichot explore toutes les pistes et cherche à se montrer pondéré. Exemple dans les dépenses liées aux atteintes à l’environnement, plutôt gonflées, il soustrait une “infraction d’utilité publique” constituée par le braconnage des sangliers :

“S’agissant du sanglier, cet animal inflige de graves nuisances aux humains sur les jardins desquels il jette son dévolu : lorsque cette espèce prolifique se multiplie sans que l’administration relève les quotas de prises comme cela serait son devoir, ceux qui expédient, fut-ce illégalement, quelques sangliers dans nos assiettes, protègent en fait l’environnement”

La délinquance informatique n’échappe pas non plus à son expertise. D’après lui, les ménages dépenseraient ainsi 4,1 milliards d’euros par an pour se prémunir de “messages spams non infectés”. Qu’il intègre au coût de l’insécurité en France. La démonstration est sans appel :

“Le spam non infecté (…) se traduit par un grand gaspillage de temps – et la perte de messages utiles confondus avec les indésirables. Une demi-heure perdue par semaine, 50 semaines par an, cela fait 25 heures par internaute, soit environ 250 euros de préjudice direct.”

En y ajoutant pêle-mêle une estimation de la production marchande et non-marchande qui aurait pu être réalisée par la victime d’un meurtre, si elle n’avait été trucidée, et l’addition atteint vite des sommets.

Cependant, l’ensemble du travail profite d’un vernis de crédibilité, déposé lorsque l’auteur évalue les conséquences financières de crimes bien réels. Jacques Bichot consacre ainsi de longs développements au coût des viols perpétrés chaque année en France (p.25). Il affirme :

Mettre un équivalent monétaire sur un viol est évidemment une gageure. Basons-nous sur le « tarif » appliqué aux blessés hospitalisés des accidents de la route : les séquelles ne sont certainement pas moindres dans le cas d’un viol, blessure dont la cicatrisation est particulièrement difficile, sinon impossible, et qui s’accompagne dans certains cas de la peur de représailles exercées par le criminel dénoncé à la Justice. Sur cette base on obtient :
134 000 euros x 15 000 = 2 010 millions d’euros

Deux milliards d’euros par an pour ”une estimation prudente de 15 000 viols”, puisque Jacques Bichot additionne les viols sur mineurs, les viols sur majeurs. Mais surtout les viols pour lesquels les victimes n’ont pas porté plainte – et qui ne sont donc pas estimables puisqu’ils ne figurent dans aucune base de données ministérielle (bien que leur réalité ne soit pas contestable, il semble difficile de les inclure dans un tel exercice statistique). S’agissant des conséquences, il propose de chiffrer le coût du “sentiment d’insécurité sexuelle” :

“Le sentiment d’insécurité est évidemment très différent selon que l’on est homme ou femme, jeune ou vieux – encore que les viols de personnes âgées ne soient pas tellement rares ; selon que l’on habite à tel ou tel endroit et que l’on effectue tel ou tel trajet pour se rendre à l’école ou au travail ; selon que l’on a tel ou tel entourage à l’école, au travail, à la maison de repos ou de retraite. (…) Les Français donneraient probablement plus pour éradiquer la menace sexuelle que la menace vitale – disons deux fois plus, ce qui fait monter à 1 milliard d’euros le coût de l’insécurité sexuelle.”

Lobbying de la peur

Le rapport Bichot a donc été diffusé par l’IPJ, une “association fondée par des citoyens soucieux de lutter contre les dysfonctionnements de la justice pénale”, comme l’indique sa page de présentation. Comme le remarquait le site Slate.fr en novembre dernier, l’IPJ a usé d’un lobbying intensif en matière de “durcissement des peines de prison et de lutte contre la récidive”, au point d’être reçu par le ministre de la Justice suite à “l’affaire Laetitia”, à Pornic, en mai 2011.

Plus largement, l’IPJ a acquis une “légitimité auprès des élus de droite”. Parmi lesquels Nicolas Dupont-Aignant, candidat à l’élection présidentielle du parti Debout la république, Eric Ciotti, conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy, ou encore des membres du Front national.

Jacques Bichot, lui, dans un livre intitulé Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l’anti-crise (éd. AFSP/L’Harmattan), à paraître le 11 février prochain, publie une défense en bonne et due forme du parti d’extrême droite :

“Cette formation politique [le Front national, NDLR], dont le Président a recueilli entre 10 % et 17 % des voix aux quatre dernières élections présidentielles, fait l’objet d’un fort ostracisme de la part de ceux qui se disent « républicains ». (…) Si d’aventure, sur un sujet particulier, quelqu’un a des positions assez voisines de celles du Front national, il doit au minimum, pour rester « politiquement correct », expliquer que cela ne signifie en aucune manière qu’il soit sympathisant de cette organisation, et en dénoncer le caractère fascisant.”

Ancien Président de Familles de France, Jacques Bichot est également une “personnalité amie” de l’Association pour la fondation de service politique, qui vise à défendre la “parole des chrétiens dans les grands débats de société”. Il y côtoie notamment des députés du Mouvement pour la France, le parti souverainiste dirigé par Philippe de Villiers. Loin de cacher ses amitiés pour les thèses monarchistes, Jacques Bichot accorda d’ailleurs une interview au journal de l’Action française le 13 juillet 1993.

Lors d’un discours sur l’insécurité aux dernières Journées d’été du Front national, Marine Le Pen louait la “récente étude de Jacques Bichot, économiste et professeur émérite à Lyon III”. L’aura des 115 milliards d’euros n’aura pas fait mouche qu’au parti frontiste cependant. Son coût de la délinquance a servi d’amorce à la mission parlementaire sur la prévention de la délinquance publiée en décembre 2010. Et rédigée par Jacques-Alain Bénisti, député UMP du Val-de-Marne, à la demande du Premier ministre François Fillon.


Illustration et couverture par Loguy pour OWNI

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Les voix de Jeanne d’Arc http://owni.fr/2012/01/26/les-voix-de-jeanne-d%e2%80%99arc/ http://owni.fr/2012/01/26/les-voix-de-jeanne-d%e2%80%99arc/#comments Thu, 26 Jan 2012 18:29:13 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=95379

Citation : Epictète : “Eh quoi ! C’est par des fous que tu veux être admiré ? ”

Grand moment de la campagne présidentielle. Le 6 janvier 2012, Nicolas Sarkozy rend hommage à Jeanne d’Arc, déclare qu’il ne veut pas la récupérer parce qu’elle n’appartient à personne mais à tous les Français et évoque les racines chrétiennes de la France. Le 7 janvier 2012, Marine Le Pen rend hommage à Jeanne d’Arc, déclare qu’il ne veut pas la récupérer parce qu’elle n’appartient à personne mais à tous les Français et évoque les racines chrétiennes de la France. Et cela occupe une bonne part de l’espace médiatique.

Bien sûr, on pense à la phrase de Marx, affirmant que lorsque l’histoire se répète, c’est “la première fois comme tragédie, la seconde comme farce”. Mais là, à une journée d’intervalle, il n’y a que répétition du dérisoire. Tout juste peut-on estimer tragique le message subliminal des deux orateurs, l’un se flattant d’avoir bouté hors de France des familles de Roms, l’autre se flattant de vouloir plus que tout autre en expulser tous les étrangers surtout s’ils viennent d’Afrique du Nord. Et puis après tout, me disais-je, pourquoi prêter attention à ces gesticulations vouées à la pucelle de Domrémy lorsque tant d’autres problèmes se posent ?

Le hasard, toujours le hasard,  a voulu que ces épisodes interviennent tandis que je lisais le formidable livre que Laure Murat vient de publier sous le titre L’homme qui se prenait pour Napoléon. L’auteure a étudié minutieusement les archives des institutions où l’on internait les “fous” tout au long du XIXème siècle, et analysé le lien de ces internements avec les guerres et révolutions qu’ a connues la France. Entre autres, elle tente d’expliquer pourquoi celles et ceux que l’on interne s’identifient à telle ou telle personnalité historique, Napoléon bien sûr, mais aussi… Jeanne d’Arc. L’irruption simultanée de cette figure historique dans des manœuvres électorales et dans une histoire des rapports entre politique et souffrance mentale m’a intrigué.

Pourquoi Jeanne d’Arc ? Pourquoi cette association avec ce que notre paysage politique compte de plus vulgairement régressif ? Et si cette figure historico-religieuse était lancée en pâture aux citoyens que la crise a le plus abîmés ?

Du coup, le propos de Laure Murat a pris une tout autre tournure, suscitant des questions d’une brûlante actualité.

Jeanne D'Arc sur le bûcher par Hermann Stilke, 1843

C’est au XIXème siècle en effet que Jeanne d’Arc supplante Sainte Anne dans l’imagerie mentale populaire, dans “la folie qui consiste à se prendre pour un grand personnage” et que ce siècle broyeur d’humanité appellera la “monomanie orgueilleuse”. D’un côté on traitera de folie la “peste révolutionnaire, la manie de la souveraineté populaire et l’obsession démocratique et républicaine” comme le fera Sylvain Eymard dans son ouvrage sur la folie révolutionnaire qui a régné en Europe de 1789 au 2 décembre 1851. On internera de nombreux insurgés, paradoxalement traités comme des fous irresponsables et de dangereux responsables, comme on l’avait fait avec le Marquis de Sade.

D’un autre côté, les victimes des répressions et désastres sociaux d’après la révolution française et jusqu’au massacre de la Commune vont multiplier en leur sein de nombreuses détresses mentales. Alfred de Musset l’avait bien compris qui écrivait en 1836 que le peuple avait au cœur deux blessures de 1793 et 1814 :

Tout ce qui était n’est plus ; tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux.

La sociologie des internés le confirme, avec une grande majorité d’ouvriers et d’artisans, et dans ses Mémoires Louise Michel évoque tous ces révolutionnaires qui perdaient la raison d’avoir vu trop d’horreurs. Et c’est parmi ces victimes de l’histoire que l’identification à Jeanne d’Arc va peupler les délires, en particulier autour de 1869 où est lancée la procédure de sa canonisation. Cette “sainte laïque”, selon les termes de Michelet, incarnera comme un fantasme collectif le sentiment national, la lutte contre les envahisseurs étrangers, la personne providentielle envoyée par Dieu.

Ce mythe, entretenu depuis par l’essentiel de ceux qui tirent profit des fantasmes que peut engendrer la détresse sociale, a été cultivé avec beaucoup d’habileté par le Front national pour les raisons les plus basses et dangereuses qui soient. Par-delà la personnalité propre de Jeanne d’Arc et les débats sur son rôle historique, c’est bien à un délire collectif que l’on jette sa mémoire en pâture. Et nul ne peut nier qu’en lui donnant un hommage éclatant en pleine campagne électorale, entre une circulaire contre les étudiants étrangers et des fanfaronnades sur les records d’expulsions, Nicolas Sarkozy veut disputer au clan Le Pen quelques lambeaux xénophobes de cette dérive idéologique qui emporte bien des victimes de sa propre politique.

Alors que je rédige cette chronique, je reçois un petit livre qui reprend des extraits de l’antique stoïcien Epictète, je l’ouvre, et je lis :

Qui sont ces hommes dont tu cherches à te faire admirer ? N’est-ce pas ceux que tu as coutume d’appeler des fous ? Eh quoi ! C’est par des fous que tu veux être admiré ?

N.B : Il faut lire et méditer L’homme qui se prenait pour Napoléon, sous titré Pour une histoire politique de la folie, de Laure Murat. Vient de paraître aussi en folio 2E un ensemble d’extraits des Entretiens d’Epictète, sous le titre De l’attitude à prendre envers les tyrans. Rafraîchissant par les temps qui courent.


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni ; Illustration texture par Temari09/Flickr (cc-bync) remixée par Ophelia Noor pour Owni ; Peinture de Jeanne D’arc, Mort sur le bûcher, par Hermann Stilke [Domaine public], via Wikimedia Commons

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Les mots de Marine contre l’image de Jean-Marie http://owni.fr/2011/12/21/le-pen-marine-jean-marie-discours/ http://owni.fr/2011/12/21/le-pen-marine-jean-marie-discours/#comments Wed, 21 Dec 2011 09:08:23 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=91370

La nouvelle candidate du Front national n’est pas seulement entrée dans la compétition présidentielle avec un autre ton que son père. Elle y est entrée à une autre époque. OWNI a utilisé des outils d’analyse textuelle pour comparer leur discours inaugural de lancement de campagne.

Prononcés le 20 septembre 2006 à Valmy pour Jean-Marie Le Pen et le 11 décembre 2011 à Metz pour Marine Le Pen, leur confrontation montre un abandon des diatribes personnelles et militaires d’un candidat accroché au passé, au profit d’un discours moins égocentrique mais plus critique d’une personnalité qui se présente comme active face à des défis plus européens que mondiaux.

Moins d’égo

Premier élément remarquable de la syntaxe, Marine Le Pen n’est plus la candidate du “je” qu’était son père. Le “je” représente 28,8% des pronoms personnels utilisés par Jean-Marie Le Pen en 2006, là où la nouvelle candidate du FN ne le mentionne qu’une fois sur cinq. Même constat pour le “nous“, qui, s’il compte pour près d’un quart des pronoms chez le premier, chute à un peu plus d’un dixième pour la seconde.

Dans l’auto-référence permanente, l’ancien président du Front mentionne par onze fois son propre nom, et à six reprises, se nomme lui-même, précédent d’un sonore “moi“, qu’il martèle pour poser son poids dans la candidature. En dehors des auxiliaires “être” et “avoir“, le verbe “incarner” est le quatrième plus employé (six occurrences) après “dire“, “faire” et “pouvoir“.

À sa manière, Marine Le Pen se “sarkozyse” en mettant en avant sa capacité à agir face à une ribambelle d’adversaires et d’opposants. Comme son père, elle mentionne plus souvent la gauche (sept fois pour elle, cinq fois pour lui) que la droite (cinq fois pour elle, trois fois pour lui). Mais la démarche politique, elle, est tout autre.

Chef des armées contre candidate

Bien que plus près à Metz de la ligne Maginot et des cimetières militaires de la Grande Guerre, Marine Le Pen ne chevauche pas son destrier de général contrairement à son père. Lancé dans sa diatribe depuis un pupitre de Valmy, Jean-Marie Le Pen coiffe toute sa prise de parole d’un casque de poilu :

Alors à ceux qui osent nous contester ce lieu, quand l’évidence de leurs turpitudes et de leur incurie devrait les faire rentrer sous terre !, je rappellerai que les soldats qui vainquirent ici à Valmy le firent au cri de “vive la Nation !”. Oui, c’est ce même cri que nous poussons – nous et nous seuls – depuis 30 ans au mieux dans le silence, mais le plus souvent sous les quolibets. Qui, d’eux ou de nous, peut prétendre incarner l’esprit de Valmy ?

Placé sous cet “esprit“, le patriarche Le Pen s’en va-t-en guerre : par 15 fois, il fait référence à Valmy, par trois fois comme un succès et par trois autres pour évoquer les “soldats“. Les références historiques sont pour certaines antédiluviennes, remontant jusqu’à Gergovie pour évoquer les “actions héroïques” mais créant d’un trait d’union l’hybride guerrier du “soldat-citoyen“.

Si Marine Le Pen y va également de ses gloires françaises, à commencer par Jeanne d’Arc qu’elle mentionne trois fois, après Clovis et Charles de Gaulle, elle insiste davantage sur les victimes. Par 17 fois, ce sont “les oubliés” qu’elle mentionne. Et le mot “jeune” est le quatrième substantif le plus utilisé de son discours, celui de “jeunesse” étant associé par deux fois au mot “victime“. Ce ne sont pas les souvenirs de Verdun que la candidate est venue raviver à Metz mais celui de Gandrange, dont elle cite trois fois le nom. Autant utilisé que le mot “nation” (sept fois), le mot “chômage” structure le discours en images fortes :

J’en suis convaincue mes chers amis : la France n’est pas condamnée à devenir une friche industrielle géante.

La fille a abandonné le bâton de Maréchal pour forger une nouvelle expression, celle de “Président des oubliés“, une expression que Marine Le Pen ancre dans une réalité. Puisque ces formules sont répétées jusqu’à épuisement au fil du discours, respectivement onze et quatorze fois.

Sauf que ce réel n’est pas le même qu’en 2006. À la tribune de Valmy, Jean-Marie Le Pen a plus parlé de l’histoire et surtout des étrangers que du travail. Le mot “chômage” n’apparaît même pas, alors que l’armée revient trois fois à la charge. L’ex-candidat du FN est dans un face-à-face avec l’histoire et avec le “système” qu’il évoque à tout bout de champ, généralement drapé de sa majuscule :

Moi seul, Jean-Marie Le Pen, contre vents et marées, incarne la vraie rupture, le vrai changement, tandis que tous ces agents du Système, formés par le Système, payés par le Système, pour que dure le Système, s’appliquent à favoriser la même politique destructrice d’emplois français qui nous a tant pénalisés depuis 30 ans et qui – j’ose aussi le dire – leur a bien profité !…

Le référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE) marque encore d’une pâle empreinte le propos (“constitution” et “européenne” sont associés trois fois) mais les structures internationales auxquelles s’attaquent le père sont l’OMC et l’Otan. Une structure commerciale et une alliance militaire.

En 2011, la crise est omniprésente dans le discours de sa fille. Le “Système” a cédé sa place à la “Caste“, là encore habillée d’une majuscule, qui revient par six fois dans la bouche de la candidate. Désignant ainsi ses cibles, sans distinction de droite ou de gauche. Remplaçant avantageusement l’expression “UMPS” chère à son père et aux caciques du FN. C’est la “bulle” qui devient “spéculative” quand il faut parler d’une crise dont le coupable présumé selon elle est, lui aussi, omniprésent : l’euro. Absent du discours de 2006, la monnaie unique est le troisième substantif le plus utilisé en 2011 (18 occurrences) ! Les enjeux se sont resserrés pour la candidate à la présidentielle de 2012, il s’agit de “l’Europe ultralibérale” et des “européistes“.

Les destinataires du discours, eux, ne changent pas : chez le père et la fille, “France” et “Français” sont dans le trio de tête, entre lesquels se glissent pour Jean-Marie Le Pen, un “peuple” qui passe après les “jeunes” et le “choix” chez sa fille. Ironie de l’histoire, le discours de Valmy prononcé par le père et qui se termina sur une étonnante adresse aux “Français de cœur et d’esprit” et aux “Français d’origine étrangèreavait été inspiré par Marine elle-même. Une preuve que, désormais en première ligne, la nouvelle présidente achève un virage qu’elle n’avait fait qu’esquisser pour son père.


Illustration Flickr Ernest Morales
Retrouvez nos précédents articles sur le sujet avec le tag Verbe en campagne

Analyse des données des deux discours réalisée avec Claire Berthelemy et Birdie Sarominque.

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Le porte-monnaie de Marine Le Pen http://owni.fr/2011/11/25/marine-le-pen-microparti-front-national/ http://owni.fr/2011/11/25/marine-le-pen-microparti-front-national/#comments Fri, 25 Nov 2011 17:40:39 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=88352

En route pour 2012, Marine Le Pen a créé il y a bientôt un an son propre microparti. Il s’appelle “Jeanne”. Ses fondateurs l’ont déclaré à la préfecture de police de Paris le 18 janvier dernier. Ses statuts ont été reconnus dans la foulée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ouvrant la voie à des prêts et dons de personnes physiques.

Au gouvernail de cette formation, un équipage de proches de Marine Le Pen : aux postes de président et trésorier, deux amis d’étude d’Assas de la candidate, Florence Lagarde et Olivier Duguet, tandis que le mandataire financier est Steeve Briois, secrétaire général du FN et candidat à Hénin-Beaumont avec la chef du parti. Contacté par OWNI, il nous a expliqué la raison de la création du microparti :

Jeanne a réuni des fonds, notamment des prêts bancaires, à l’époque où le Front national ne pouvait pas le faire à cause des conflits financiers avec Fernand Le Rachinel.

En grandes difficultés financières et loin d’être encore renfloué par la vente de son ancien siège (le fameux Paquebot de Saint-Cloud), le Front national croulait alors sous les emprunts contractés auprès de l’affichiste historique de Jean-Marie Le Pen. Conséquence de quoi, les fonds levés ponctuellement auprès des banques s’évaporaient la plupart du temps sur les dettes électorales encore chaudes.

Aide financière aux candidats

Le père de Marine Le Pen lui-même avait eu recours au même mécanisme : malgré son nom un peu défraîchi de “Cotelec”, le microparti du président d’honneur du FN affichait en 2008 235 481 euros de “dons de personnes physiques” et un excédent budgétaire de plus de 175 000 euros (malgré plus de deux millions d’emprunt courant).

Extrait de la publication générale des comptes des partis et groupements politiques au titre de l’exercice 2008.

En dehors d’offrir un autre nom aux banques pour contracter des emprunts (là où le FN était empêché du fait de ses dettes), les micropartis offrent l’avantage de contourner la limitation de dons aux formations politiques. Plafonnés à 7 500 euros par personne, par parti et par an, les “dons de personnes physiques” peuvent se multiplier avec les formations périphériques et “clubs”. Une fois abondés, ces derniers prennent en charge une partie des dépenses de campagne du candidat ou reversent l’argent au titre de “l’aide financière à d’autres formations politiques”, augmentant ainsi les sources de financement. Steeve Briois nous a confirmé avoir reçu des dons de personnes physiques sans en préciser le montant, indiquant seulement avoir pour l’instant principalement levé de l’argent par emprunt. Sur l’avenir de “Jeanne”, il ajoute :

Jeanne est une structure politique qui a vocation à participer au débat public, puisqu’elle est reconnue comme parti. Nous verrons si elle joue ou non un rôle dans la campagne, nous en discuterons dans les semaines à venir.

Pour l’instant, le microparti de Marine Le Pen a dépensé ses premiers deniers à l’occasion des élections cantonales de 2011, une aide qu’avait déjà évoqué un confrère de l’Express dans un livre consacré à la nouvelle présidente du FN. Le mandataire financier confirme avoir soutenu les candidats estampillés FN par des prêts, “comme le fait le parti à chaque élection”. Selon Patrick Bassot, élu conseiller général du Vaucluse sous cette étiquette dans le canton Carpentras Nord, “Jeanne” a également fourni du matériel de campagne clef en main :

Pour la campagne des élections cantonales, des tracts reprenant l’argumentaire national de Marine Le Pen, que j’ai validé, nous ont été fournis par l’équipe de M. Briois. J’ai fait une campagne sur mes propres fonds a minima, quelque chose comme 5 000 euros. Je n’ai pas reçu de prêt mais le Front national m’a apporté son aide par le biais de ce matériel reprenant les thèmes de campagne de la candidate.

Interrogé à ce sujet, Steeve Briois confirme avoir réalisé des “tracts personnalisés de quatre pages, cartes postales, etc.” mais en aucun cas à titre gracieux, uniquement à l’occasion de prêts aux candidats.


Illustration : Marion Boucharlat pour OWNI.fr.


Retrouvez les autres articles de ce dossier :
Le FN sauvé par France télé.
Les familles d’extrême droite sur Internet.

Image de une : Marie Crochemore pour OWNI.fr.

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http://owni.fr/2011/11/25/marine-le-pen-microparti-front-national/feed/ 17
Le FN sauvé par France Télé http://owni.fr/2011/11/09/arlette-chabot-fn-marine-le-pen/ http://owni.fr/2011/11/09/arlette-chabot-fn-marine-le-pen/#comments Wed, 09 Nov 2011 07:44:31 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=86265 Selon des témoignages concordants recueillis par OWNI, la fameuse émission d’Arlette Chabot du 9 décembre 2010 avec Marine Le Pen en plateau a eu un effet majeur peu prévisible. Ce débat télévisé a sauvé les finances du Front National à un moment clé, à l’insu, naturellement, de la présentatrice et de la chaîne.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Début décembre 2010, en pleine crise pécuniaire, le Front national avait besoin d’un miracle pour financer la suite de ses activités. Et c’est par la lucarne que le salut est venu. Après une invitation de Marine Le Pen à l’émission de France 2 « À vous de juger », le parti a trouvé un ballon d’oxygène financier de plus de 350 000€ à même de lui offrir quelques mois de répit, et surtout de permettre la tenue de son XIVe Congrès à Tours. Au siège de Nanterre, un cadre du parti avec lequel nous nous sommes entretenu en rit encore.

Le Téléthon du Front

Au moment où l’équipe de l’émission contacte Marine Le Pen, le Front National est à la veille d’échéances cruciales. Les adhésions sont sur le point d’être clôturées pour élire le nouveau président et le comité central. Mais les caisses sont à marées basses. Trésorier du FN, Wallerand de Saint Just n’a guère de marge de manœuvre ; l’ancien siège de Saint Cloud n’est pas encore vendu et les subventions publiques indexées sur les résultats piteux des législatives de 2007 ont terriblement chuté. Rencontré dans le cadre de ce reportage, il nous confie :

Fin novembre 2010, nous avions payé l’acompte pour la location du Palais des Congrès de Tours à Vinci et pour le traiteur pour les deux jours. Le deuxième acompte arrivait et nous étions à sec, impossible de payer, sans parler de la facture globale de 200 000€… Début décembre, je réfléchissais à la manière d’annoncer à Marine Le Pen et à Bruno Gollnisch que le Congrès devrait se tenir à Nanterre, faute de fonds.

La diffusion en direct de « À vous de juger » est fixée au 9 décembre 2010. Elle se déroule donc 24 heures avant la clôture des adhésions et des mises à jour de cotisation ouvrant droit au vote pour l’élection du nouveau président du parti lors du congrès. Pour répondre aux retardataires, le service des adhérents du FN met en place une équipe d’une quinzaine de permanents et militants le jeudi jusqu’à minuit, dernier carat.

Veste bleue nuit, haut bleu clair, Marine Le Pen débute l’émission seule face à Arlette Chabot, entourée d’un petit public mais surtout regardée par plusieurs millions de Français. Selon Médiamétrie, 3,356 millions de téléspectateurs ont leur poste réglé sur France 2 à 20h35. Le record d’audimat pour l’émission depuis janvier 2010 jusqu’à sa déprogrammation en avril 2011. Et c’est devant ces 14,6% de part d’audience que la vice-présidente du FN y va d’un petit coup de pub décisif, après une petite demi-heure d’émission (voir la vidéo ci-dessous à 6 minutes 24 secondes):

J’en appelle à tous ceux qui pensent que peut-être dans 30 ans, ils regretteront de ne pas s’être engagé auprès de ceux qui défendent leurs idées. Je leur dis : venez nous rejoindre, y’a qu’un clic à faire, vous venez sur le site Front national.com et vous nous rejoignez. Et en plus il vous reste 24 heures si vous voulez participez à l’élection du président ou de la future présidente du Front national.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

En quelques instants, à Nanterre, la cellule des adhésions de la dernière heure est submergée par les demandes téléphoniques et Internet. A l’écran, contente de son coup, relevé par l’animatrice de France 2, la future présidente du FN sourit déjà.

Bienfaiteurs

Elle enregistre plus de 1 000 adhésions par heure, pour 90 euros de dons ou de droits d’adhésion en moyenne. Responsable des adhésions au Front national, Sandrine Leroy déclare presser 600 à 800 cartes par semaine, 1500 cartes en périodes fastes. Selon elle, ce jeudi 9 décembre au soir, le coup de pub de Marine Le Pen fait exploser les stats :

Dans la soirée, nous avons enregistré plus de 4000 adhésions avec tous les profils : des adhésions jeunes à 15 euros jusqu’à des bienfaiteurs à 250 euros. La cotisation moyenne était de 90 euros avec 70% de nouveaux adhérents.

Ce seul passage télé a été plus efficace que le matraquage habituel des relances aux anciens militants et adhérents n’étant pas à jour de leur cotisation. Dans le fichier définitif certifié par huissier, 22 362 noms apparaissent, prêts à recevoir le matériel électoral : près de 20% des votants du Congrès ont renouvelé ou demandé leur bulletin d’adhésion dans la nuit du 9 au 10 décembre.

Près d’un an plus tard, à la date du 4 novembre dernier, le Front national revendique 44 000 adhérents. Une croissance largement portée par la présence médiatique de Marine Le Pen. La seconde vague d’adhésions massive suit le jour de son élection au poste de présidente du parti, le 15 janvier. La troisième déferle début mars, après le sondage Harris Interactive pour Le Parisien qui la place avant Nicolas Sarkozy au premier tour.

« Nous avons doublé les revenus mensuels liés aux adhésions sur mars », précise Sandrine Leroy. À raison de 110 000 euros de rentrées par mois par ce seul moyen, le Front national vit littéralement des nouveaux venus et compte bien renouveler les fonds avec les mises à jour de cotisation. Une évolution qui réjouit Wallerand de Saint Just :

Les cotisations sont un gage d’indépendance : c’est du bon argent politiquement. Tant qu’il rentre, c’est que ça marche.

Contactée dans le cadre de ce reportage, la rédaction de l’émission de France 2 n’a pas donné suite à nos demandes.


Photos via Flickr, A.Curral cc-by-sa

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Le Pen vs. Le Pen: tuer le père http://owni.fr/2011/08/02/le-pen-vs-le-pen-tuer-le-pere/ http://owni.fr/2011/08/02/le-pen-vs-le-pen-tuer-le-pere/#comments Tue, 02 Aug 2011 10:09:24 +0000 Olivier Cimelière http://owni.fr/?p=75209 L’irruption intempestive de Jean-Marie Le Pen sur la Norvège est une illustration symptomatique des obstacles que la stratégie de communication frontiste s’efforce désormais de contourner pour effacer les relents sulfureux qui ont toujours collé aux basques de son président d’honneur. Pour augmenter sa percée dans l’opinion publique, Marine Le Pen opère depuis plusieurs années un repositionnement où les idées courtes des crânes rasés de skinheads doivent faire place à une rhétorique toujours aussi ferme mais plus policée. Chercheur au CNRS, Gilles Ivaldi résume parfaitement la problématique communicante de la fille de son père : « Marine Le Pen s’est construite sur deux piliers : l’option stratégique de la crédibilité et la présence médiatique ».

De fait, les mots et les thématiques vont à partir de 2006 être beaucoup plus soigneusement calibrés que les éructations ouvertement polémiques de Jean-Marie Le Pen. Ainsi, lorsque Marine Le Pen publie son livre « A contre-flots », elle s’applique notamment à développer une vision dissonante de celle de son pater familias sur la Seconde Guerre Mondiale pour lequel l’occupation nazie n’était « pas inhumaine ». De même en 2009, elle récidive dans sa prise de distance envers la logorrhée paternelle au sujet de la Shoah que Jean-Marie Le Pen avait qualifiée de « détail » de l’Histoire. Au cours d’une émission télévisée, elle réaffirme ne « pas penser » que les chambres à gaz « soient un détail de l’histoire».

Virage sémantique toute !

Aux discours musclés de son père, elle privilégie une ligne populiste moins segmentante et réductrice. Pour définir sa rénovation discursive, elle cite volontiers un aphorisme de Georges Bernanos« Il y a une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite. Il n’y a qu’un peuple ». Dès lors, la sémantique frontiste va s’évertuer à se patiner tout en martelant son inflexible fonds de commerce populiste.

Jean-Yves Camus, chercheur à l’Iris (Institut de Relations Internationales et stratégiques) est convaincu de cette opération de normalisation pour mieux et plus largement irriguer les idées frontistes. Pour lui, la communication de Marine Le Pen  fonctionne « non pas en ostracisant la radicalité mais en bannissant les provocations radicales. Elle ne demande pas aux militants d’abjurer leur radicalité mais de faire en sorte qu’elle ne soit pas un boulet ».

L’exercice d’équilibrisme rhétorique qu’emprunte le Front National n’en demeure pas moins une cosmétique communicante destinée à rendre fréquentable le parti et le sortir du ghetto politique dans lequel il a été longtemps confiné en dépit de quelques succès électoraux çà et là. Dans leur dernier ouvrage sobrement intitulé« Marine Le Pen » , les journalistes-essayistes Caroline Fourest et Fiammetta Venner démontent la mécanique verbale de la cheftaine du FN : « La nation sert à maquiller le retour au droit du sang, la République à habiller la préférence nationale, voire la préférence culturelle et la laïcité à réhabiliter l’identité chrétienne ».

Recherche cautions désespérement

La tactique communicante du FN ne procède toutefois pas d’un simple rhabillage du vocabulaire référent du parti. Là où Jean-Marie recourait goulument aux postures « folkloriques » teintées d’agressivité à l’égard des juifs, des immigrés et de la nébuleuse « UMPS » pour exister dans le paysage politique, Marine Le Pen entend crédibiliser son discours plutôt d’agiter le chiffon rouge de la provoc’. Outre une purge des vieux fanas-milis de l’Algérie française et du IIIème Reich dans les instances dirigeantes du FN, elle s’est également entourée d’experts (dont beaucoup souhaitent toutefois demeurer anonymes) issus de la haute administration, du monde de l’entreprise, des intellectuels et des juristes. Ce sont eux qui ont par exemple nourri et argumenté, chiffres à l’appui, la profession de foi du Front National intitulée « 12 étapes essentielles pour sortir de l’euro ».

Dans le même registre de gain en crédibilité, voire de notabilisation, le Front National s’est doté depuis septembre 2010 d’un think tank entièrement dédié baptisé « Idées-Nations ». Dirigé par Louis Alliot, le compagnon à la ville de Marine Le Pen, ce club de réflexion vise à agréger les idées issues de personnes de la société civile pour alimenter la plateforme programmatique du FN en vue des élections présidentielles de 2012. Colloques, interventions de personnalités expertes dans leur domaine, rien n’est négligé pour conférer une image de sérieux loin des débordements outranciers de Jean-Marie Le Pen.

Enfin, pipolisation de la vie politique oblige, le Front National s’est livré à un mercato de recrues de personnalités célèbres dont la plus emblématique provient sans nul doute du soutien officiel du très cathodique avocat Gilbert Collard. En mai 2011, le vibrionnant homme de loi est le premier à franchir le Rubicon en annonçant publiquement son ralliement à Marine Le Pen: « Je n’ai pas pris ma carte au Front national, mais je suis très ami, et de longue date, avec Marine Le Pen. Je suis mariniste. Mon lien est avec elle ». En agissant ainsi, il brise un tabou qu’un autre bretteur avait déjà bien ébréché en mars 2011. Ce dernier n’est autre que le journaliste et ancien président de Reporters sans Frontières, Robert Ménard. Dans un pamphlet remarqué, le trublion s’insurge contre la petite élite qui « traite les électeurs du FN comme des crétins égarés » et prend la défense de Marine Le Pen. A mesure que la campagne électorale va battre son plein, il ne serait désormais pas surprenant de voir d’autres noms connus rejoindre à leur tour le comité de soutien de Marine Le Pen et servir ainsi la stratégie de respectabilisation du FN.

Appel du pied aux grands médias

Cette stratégie s’est en plus doublée d’une médiatique opération séduction de Marine Le Pen. Là encore, il s’agit d’estomper le côté para prêt à en découdre et humour bourru de corps de garde que le père a toujours eu plaisir à imprimer. Pour Marine Le Pen, cela s’est d’abord traduit par un relooking total. Loin d’être superfétatoire, celui-ci entend ainsi afficher l’image d’une femme souriante, moderne (divorcée deux fois et mère de trois enfants), adoptant des tenues plus glamour et féminines et se délestant au passage de plus de 10 kg. Autant dire qu’on est loin des caciques à l’air martial et cheveu ras, suintant la naphtaline des vieilles valeurs françaises.

Ce nouveau look a eu tôt fait de décomplexer une partie des médias traditionnels. Autant l’invitation d’un Jean-Marie Le Pen sur un plateau de télévision était inéluctablement précédée d’indignations et de cris d’orfraies  de nombreux journalistes, autant Marine Le Pen n’a quasiment aucune difficulté à amadouer les émissions qui comptent (hormis les réfractaires avérés que sont les talk-shows de Michel Drucker et Laurent Ruquier). Là où son père morigénait sans encombre les journalistes et les assommait de blagues graveleuses à tire-larigot, elle joue au contraire la carte de la séduction. Là où son père privilégiait la presse d’extrême-droite pour décocher ses formules à l’emporte-pièce, elle snobe ostensiblement des titres comme RivarolMinute et Présent. De même, elle n’a pas levé le petit doigt en 2008 pour continuer à subventionner l’hebdomadaire du parti, National Hebdo en proie à des difficultés financières. Résultat : le titre a déposé le bilan.

Le chercheur Jean-Yves Camus décode cette évolution à 180° à l’égard du monde des médias classiques :« Marine Le Pen n’a pas besoin de la presse d’extrême-droite. Ce sont ses apparitions dans les grands médias qui lui ramènent des électeurs, pas l’éventuel soutien de journaux proches ». Un pari gagnant puisque Marine Le Pen a été invitée deux fois en 2010 dans l’émission politique d’Arlette Chabot sur France 2. C’est encore elle qui a eu les honneurs du tout premier numéro de la nouvelle émission politique de la chaîne publique, « Des paroles et des actes » animé par David Pujadas. L’heure est donc à la détente avec les médias.

Un constat dont se réjouit le directeur de la communication de Marine Le Pen, Alain Vizier : « On est beaucoup moins ostracisé qu’avec le père ». Et côté journalistes, le ressenti est similaire comme le dit l’éditorialiste de RMC Info, Jean-Jacques Bourdin : « Elle est plus accessible que les autres, elle n’a aucune exigence avant une interview, elle ne demande pas qu’on lui communique les sujets abordés. C’est très facile de travailler avec elle ».

Le FN se met au 2.0

Les gains d’image glanés par Marine Le Pen constituent en tout cas un sacré atout pour le Front National sur Internet. Premier parti politique hexagonal à avoir créé un site dès 1997, le FN mise énormément sur la viralité du Web et des réseaux sociaux pour assurer son prosélytisme électoral. Le site officiel du parti enregistre ainsi plus de 400 000 visiteurs uniques par mois. La page Facebook du FN revendique 27400 membres, loin devant le PS (14995) et Europe Ecologie (10320).

Sur le front numérique, le parti de Marine Le Pen ne se contente pas d’engranger des « friends » mais évangélise à tour de bras en fournissant des contenus à répandre sur les forums généralistes, les sites grand public, les zones de commentaires, bref partout où le message est susceptible d’être lu.  Pour Louis Alliot, vice-président du FN, il est une évidence qui ne se conteste pas : « En 2012, la campagne sera numérique. Je pense que sur Internet, il y a moyen de toucher des publics très larges (…) Ce que j’aimerais, c’est réussir à convaincre des personnes qui ne le sont pas ».

Pour transformer cet entrisme numérique, le FN peut déjà compter sur le support très actif de sites particulièrement engagés dans la promotion des thèses frontistes pour ricocher dans les moindres recoins de la Toile. C’est ainsi que le blog « François Desouche » créé en 2005 par un communicant qui se veut anonyme, affiche plus de 10 000 visiteurs quotidiens au compteur. Autre site qui mise sur la viralité des propos : Novopress qui se définit comme une agence de presse indépendante et qui n’hésite pas à déposer ses vidéos sur les plus célèbres plates-formes d’Internet. Enfin, les fans de Marine Le Pen ont créé un site baptisé Nations Presse.info dont le préambule introductif donne clairement le ton : « Dotée d’un réseau de correspondants, non seulement sur l’ensemble du territoire national, mais aussi sur notre continent européen et au-delà, Nations Presse Info a la ferme volonté de promouvoir au sein de la Mouvance nationale, une réappropriation de l’information au quotidien, débarrassée de carcans idéologiques et philosophiques antinationaux ».

Derrière les retouches cosmétiques

Pourtant, dans cette stratégie de respectabilité, c’est le Front National lui-même qui est son propre ennemi. Malgré les débauches d’effort pour apparaître comme un parti « normal », le FN vit régulièrement à ses dépens le célèbre adage : « Chassez le naturel, il revient au galop ». Lors du drame atroce d’Utoya en Norvège, Jean-Marie Le Pen n’a pas été le seul à déborder du cadre dans lequel sa fille aimerait mouler l’appareil. Haut cadre du FN et conseiller de Marine Le Pen, Laurent Ozon n’a pas hésité à publier sur son fil Twitter ce qu’il fallait voir dans cet attentat : «Expliquer le drame d’Oslo : explosion de l’immigration : [multipliée par six] entre 1970 et 2009 » soit une « corrélation positive » avec les « tensions intercommunautaires en Norvège », déclenchant ainsi un tollé d’indignation.

Le fil Twitter de Laurent Ozon à propos d’Oslo (capture Rue89)

Sur le même sujet, Jacques Coutela, membre du Front National a été encore plus loin.  Sur son blog baptisé «La valise ou le cercueil » (sic !), le militant frontiste a posté un hommage (supprimé par la suite) à Anders Breivik présenté comme un « résistant », « une icône », « le premier défenseur de l’Occident », ou encore un «Charles Martel 2 ». Quelques jours plus tard, l’impétrant récidive en écrivant cette qu’Anders Breivik n’était pas« une icône, mais simplement un visionnaire face à la montée de l’islamisation de l’Europe ».

Or, le Front National n’en finit pas d’accumuler les dérapages au fil du temps. Ainsi en avril 2011, Marine Le Pen a dû exclure le conseiller régional Alexandre Gabriac après que des photos le montant en train de faire le salut nazi aient circulé publiquement. Plus récemment, deux autres élus FN ont posé problème. Candidat aux dernières cantonales à Reims, Thierry Maillard se voit reprocher la création d’une affiche électorale ayant repris la photo d’un adolescent blond des jeunesses hitlériennes. Conseiller municipal à Vénissieux, Yvan Benedetti n’a pas hésité à se déclarer « antisioniste, antisémite et antijuif » devant des étudiants en journalisme. Et la liste est loin d’être close.

Autant dire le plan com’ de réhabilitation du Front National aura bien du mal à oublier le code génétique d’un parti dont la xénophobie a toujours été le fonds de commerce. Il conviendrait simplement que cela soit un peu plus souvent rappelé et remis dans le contexte plutôt que de se contenter de faire de Marine Le Pen, une égérie médiatique.

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Billet initialement publié sous le titre “Le Pen vs. Le Pen ou l’impossible contorsion du Front National” sur le blog du Communicant 2.0

Illustrations: Hugo Passarello Luna (tous droits réservés, reproduction avec autorisation)

Capture d’écran site www.ideesnation.fr

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