OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’application Facenuke atomisée de l’intérieur http://owni.fr/2012/10/26/lapplication-facenuke-atomisee-de-linterieur/ http://owni.fr/2012/10/26/lapplication-facenuke-atomisee-de-linterieur/#comments Fri, 26 Oct 2012 14:20:25 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=124179

Au moment de sa sortie, l’application Facenuke – par laquelle Greenpeace retraçait les liens entre les acteurs de la filière du nucléaire – avait connu une couverture médiatique plus que faible. Mais juste assez pour agacer quelques-unes des personnes mentionnées.

Inspirée de la carte des cumulards du Cac 40 publiée par Alternatives économiques, Facenuke visait à exposer, le 13 avril (soit une semaine du premier tour de l’élection présidentielle) les liens entre les acteurs de la filière nucléaire à la manière d’un réseau social. Le site précise tirer ses informations de sources publiques, “les pages Wikipedia, les profils Linkedin ou encore les pages corporate des sites institutionnels des entreprises”. En dehors du blog de la journaliste environnement du Monde, Audrey Garric, rares sont les médias qui ont relayé l’initiative dans la dernière ligne droite de la campagne .

Lancé le 13 avril, Facenuke a été officiellement mis hors ligne le 18 octobre suite au retrait de plusieurs acteurs clefs de sa cartographie du secteur nucléaire français.

Le premier coup de buzz sonne le 17 avril à la publication d’une réponse par l’association Sauvons le climat, citée au travers de 22 membres dans Facenuke, qui accuse Greenpeace de jouer aux “big brother”. Critiquant la nature des informations mentionnées sur la carte, l’auteur de la note accuse la démarche de l’ONG :

Bien que la qualité comme la pertinence de cette liste soient risibles, il faut se demander quelles  sont les motivations de Greenpeace en la publiant. Sûrement pas de donner un panorama objectif des dirigeants du nucléaire (Sauvons le Climat n’en est pas !), ni des acteurs du débat sur le nucléaire : ni la CRIIRAD, ni Global Chance, ni Sortir du Nucléaire n’y figurent…. Elle vise bien la mouvance “pro-nucléaire”. La démarche rappelle celle des intégristes d’Al Qaida qui lancent des fatwas contre les “mauvais” musulmans, les juifs et les infidèles.

La note se termine par l’annonce des demandes d’application de la loi informatique et liberté. En l’occurrence au titre de l’exercice du droit d’opposition contre le recueil de données personnelles et leur traitement par un système informatique automatisé.

“De sombres heures de notre Histoire”

Les plaintes ne sont pas nombreuses mais parviennent néanmoins assez vite en direct par une série de courriers dont Owni a pu prendre connaissance.

Le plus réactif est Hervé Nifenecker, Président de l’association Sauvons le climat, qui en appelle par courrier le 19 avril à l’article 38 de la loi “informatique et liberté”, demandant de retirer du site les informations le concernant (nom et CV) et de le déréférencer. Il précise par ailleurs s’être adressé à la Cnil pour obtenir exécution de sa demande et “l’arrêt [du] fichage”. A sa suite, Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique, contacte également l’ONG par écrit. Il dénonce des erreurs et des confusions entre personnes et institutions dans les liens établis par Facenuke :

Le manque de rigueur et de professionnalisme avec laquelle cette cartographie a été établie est aussi choquant que son objectif de stigmatisation qui rappelle de sombres heures de notre Histoire.

Personnage centrale dans l'application Facenuke, Bernard Bigot (administrateur général du CEA) ne pouvait être retiré de l'application sans déséquilibrer toute la cartographie. Greenpeace a donc décidé de la fermer purement et simplement.

Viennent deux courriers similaires adressés par des cadres d’Areva en date du 22 juin. Les autres correspondances sont frappées du sceau de la Cnil, à commencer par une lettre du 29 mai, faisant suite à la demande de Bernard Bigot d’être retiré de la cartographie. Le courrier signale à l’ONG que “ce traitement [informatique des données] n’a pas fait l’objet de formalités déclaratives auprès de notre Commission préalablement à sa mise en œuvre.”

Contacté par Owni, la Cnil confirme faire valoir toute demande fondée invoquant le droit d’opposition. En réponse à un courrier de l’avocat de l’ONG, la commission avait fait valoir que l’application de la liberté de la presse (s’appuyant sur un arrêt de la Cour de Justice européenne) n’écartait en rien l’application du droit d’opposition prévu par la loi informatique et liberté. La démarche des “plaignants” du nucléaire était donc valide.

Face à l’injonction officielle, Greenpeace obtempère dans le courant de l’été :

Nous n’avons pas déclaré individuellement Facenuke mais le site de Greenpeace est enregistré par la Cnil et Facenuke est hébergé dessus. Nous avons commencé à retirer les personnes qui faisaient une demande motivée. Certains nous ont adressés des mails de demande qui n’ont pas fait suite quand nous avons demandé la motivation. Nous avons même reçu une lettre d’une personne se sentant lésée de ne pas apparaître et qui voulait être intégrée à Facenuke !

Basé sur un outil de visualisation, l’application de Greenpeace bute cependant quand il s’agit de retirer le directeur du CEA du listing. Sans Bernard Bigot, Facenuke, qui est censé reproduire les liens qui unissent les acteurs de la filière, n’est plus que l’ombre du réseau qu’il souhaite retracer. Le 18 octobre, le site est fermé. Mais des questions demeurent.

Nous ne comprenons pas pourquoi la procédure n’est pas passée sur le terrain de la diffamation : avec 800 à 1 000 visiteurs uniques par jour, l’application n’avait pas un succès fou mais elle circulait bien dans notre sphère habituelle. La seule hypothèse qui nous permet de l’expliquer, c’est que les plaignants ne souhaitaient pas nous faire de pub en passant à l’échelon judiciaire.

Au delà de l’application de la loi, la mise en veille de Facenuke permet à Greenpeace de se ménager l’option de créer une version 2.0 de son “réseau social du nucléaire”, tenant compte du nouvel équilibre des forces politiques et adaptée aux débats à venir sur la loi sur la transition énergétique. Une initiative à laquelle réfléchissent déjà le pôle web et l’équipe de campagne politique même s’ils considèrent “le risque que l’application ait une durée de vie limitée”.


Illustration par alvarotapia [CC-byncnd]

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Ici la Hague, Greenpeace Airways en approche… http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/ http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/#comments Wed, 02 May 2012 06:24:11 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=108043 OWNI met en ligne une vidéo inédite réalisée par un engin de Greenpeace survolant le site de La Hague, le plus dangereux de tous. L'ONG publie aujourd'hui un rapport sur l'absence de prise en compte de ces risques par les responsables français. Bienvenue à bord, sur une petite musique de Vivaldi. ]]>

Les sites nucléaires peuplent les campagnes françaises : 58 réacteurs et autres installations potentiellement exposés à des accidents provoqués par des causes extérieures. Séismes, inondations ou chutes d’avion… Pour limiter ce dernier risque, théoriquement, le survol des sites les plus importants est strictement interdit à basse altitude. Une interdiction que Greenpeace a voulu mettre à l’épreuve des faits.

Or, fin 2011, un engin de l’organisation est parvenu à survoler pendant plusieurs minutes, sans être inquiété, le site de La Hague où sont stockés des centaines de tonnes de déchets radioactifs en attente de retraitement, comme le montre une vidéo de l’ONG que nous mettons en ligne aujourd’hui (voir plus bas). Ce matin, après avoir fait atterrir un militant au sein de la centrale du Bugey, Greenpeace rend public le rapport d’un scientifique (version complète en anglais et résumé en français au bas de l’article) consacré à ce sujet. En ligne de mire : les risques en cas de crash aérien sur les installations françaises. Et l’éventuelle prise en charge de ces risques par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française et les exploitants du parc nucléaire.

Le survol de La Hague

La Hague, située à quelques kilomètres de Cherbourg, est le site de retraitement de déchets radioactifs en France. Il reçoit régulièrement les combustibles des centrales françaises et étrangères – allemandes notamment. Pourvu après les attentats du 11 septembre, entre octobre 2001 et mars 2002, de missiles sol-air destinés à abattre les avions en survol, le site est toujours sous surveillance rapprochée. Mais l’ONG, maitresse en matière d’intrusion, prouve cette fois qu’il est possible de se promener dans les airs au-dessus de cette installation nucléaire :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Effectuée à moins de 3 900 pieds (limite minimale de survol de cette installation nucléaire), l’opération a pour objectif selon Sophia Majnoni, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France, “de montrer que l’espace aérien interdit était pas vraiment interdit”. Précisant que le site de La Hague a été choisi pour les quantités importantes de matières radioactives qu’il contient :

C’est le lieu en France dans lequel il y a le plus stockage de matière radioactive, à la fois des piscines de combustibles irradiés et à la fois du plutonium. Il existe un certain nombre de normes sur les réacteurs qui ne s’appliquent pas pour les piscines. Pourtant après le 11 septembre, c’est le seul site où des systèmes de surveillance ont été mis en place : des missiles et un radar. Il y a des avions qui passent au-dessus de la Hague et de Flamanville. Il y a aujourd’hui un radar qui prévient un avion de chasse. Qui lui met 6 minutes pour intervenir, pour tirer. Mais est-ce qu’on peut tirer sur un boeing ? Pour les réacteurs, ils n’ont jamais pris en compte la chute d’un avion de ligne et pour les piscines ils n’ont pas pris en compte les chutes tout court. Elles sont encore moins protégées. La protection est hyper minimaliste.

Après Fukushima, Sophia Majnoni, regrette que “les catastrophes non naturelles n’aient pas été étudiées dans les stress-tests de l’Autorité de sûreté nucléaire :

La chute d’un avion de ligne c’est peu probable donc pour eux, on ne les prend pas en compte. Avant Fukushima, ils pouvaient être cohérents en disant qu’ils avaient une approche probabiliste. Or après Fukushima, cette approche de calcul de probabilité a été remise en cause. (Mais) seulement pour les catastrophes naturelles ! Les Allemands l’ont fait, les Suisses l’ont fait, mais pas la France. Il faudrait qu’en France la sécurité soit dans le giron de l’ASN au même titre que la sûreté. Notre souhait c’est d’avoir un audit sur le sujet.

Zéro risque ?

Dans le rapport, une cinquantaine de pages analyse la sûreté des installations du parc nucléaire français vis-à-vis du risque chute d’avion. Le rapport fait état de l’absence de prise en compte du risque d’accident d’avion de ligne sur une centrale mais aussi à ses abords : si le dôme au-dessus du réacteur protège le réacteur en lui-même, les installations annexes ne bénéficient pas du même degré de protection.

Ainsi le consultant spécialiste du nucléaire, John Large – à qui Greenpeace a commandé l’analyse -, explique que les problèmes peuvent être de l’ordre de ceux de Fukushima, soit plusieurs facteurs qui amèneraient la centrale à souffrir d’un accident qui ne toucherait pas directement le réacteur :

La chute d’un avion pourrait couper la centrale des sources d’approvisionnement électrique situées à l’extérieur du site et, simultanément, empêcher les groupes électrogènes de secours sur le site de fonctionner. Dans une telle situation, la centrale devrait faire face à une coupure de courant prolongée, et le refroidissement du réacteur et des piscines de désactivation ne serait plus assuré (comme cela a été le cas à Fukushima).

John Large pointe également du doigt la stratégie paradoxale de l’ASN qui dit “estime[r], en s’appuyant sur les rares événements précédents, que la possibilité d’une chute accidentelle d’un avion de ligne commercial est si faible qu’elle est donc improbable. Ces nuances mises à part, l’ASN participe pourtant à un “groupe ad-hoc sur la sécurité nucléaire (AHGNS) de l’Union européenne, chargé d’analyser les menaces liées aux attaques terroristes dans le cadre du ‘volet sécurité’ ['Security Track'] mis en place en parallèle des stress-tests post Fukushima effectués sur toutes les centrales européennes [...].

Loin d’être suffisant, selon le scientifique, qui considère que l’autorité de contrôle de la sécurité des installations nucléaires “exonère l’exploitant de la nécessité de se préparer à une chute d’avion, estimant qu’il s’agit d’un acte de guerre.”

Contestant la méthode utilisée – ” prendre en compte la simulation du crash d’un avion de combat militaire (d’environ 20 000 kilos) et de l’extrapoler à un avion commercial (pouvant peser plus de 130 000 kg), “ -, il soulève également le problème des réactions des travailleurs de l’installation :

Il est tout à fait possible qu’une bonne partie du personnel se sente dépassée et incapable de réagir si un avion venait à s’écraser sur le site. La centrale serait alors livrée à elle-même, en l’absence de tout contrôle.

Vulnérabilité

Yves Lenoir a travaillé pour le gouvernement de Basse-Saxe lors de la préparation du projet d’usine de retraitement de Gorleben et de son stockage de déchets radioactifs. Il est aujourd’hui président de l’association Enfants de Tchernobyl Bélarus. Co-auteur de Tchernobyl-Sur-Seine, il nous a confirmé la nécessité de prendre en considération, sérieusement, ces risques :

Vous avez le coeur du système, en général une enceinte simple ou double disposée autour de la cuve et des générateurs. Ensuite, sortent de l’enceinte des canalisations, quasi à l’air libre pour aller en salle des machines. Il y a aussi une alimentation électrique par le réseau extérieur et donc un risque de destructions de ces lignes électriques si un avion tombe. Il va détruire les communications de sortie et d’entrée de courant de la centrale. Qui sera entièrement dépendante des moyens de secours internes. Et puis imaginez qu’un gros porteur tombe avec ses 90 tonnes de carburant, il va mettre le feu à tout. Même s’il n’est pas tombé sur le bâtiment principal, les canalisations ne sont pas protégées.

Les calculs de l’ASN et des autres instances sont établis à partir de modélisation de la chute d’un avion de chasse sur une cuve de réacteur. Hormis les conséquences sur les abords de l’installation, l’avion de chasse pourrait aussi provoquer bon nombre de réactions en chaine.

Il y a deux types de chocs, celui d’un avion de chasse ou d’un avion avec peu de carburant et celui d’un avion de ligne. Le poids – très lourd – de l’avion de chasse, combiné au fait qu’il vole très vite, amène la chute de l’avion à être un choc dur. Sur une usine de retraitement, à une vitesse de 250m/s – caractéristiques étudiées par les instances -, la masse de l’avion est concentrée sur 1 ou 2 mètre carré. S’il tombe sur l’élément le plus résistant de l’installation telle que l’enceinte double, il passe au travers de la première enceinte mais ne perfore pas la seconde. En revanche, comme cette deuxième enceinte est élastique, elle se déforme et va déformer l’intérieur de la cuve. Le béton va avoir tendance à se disloquer donc se fissurer. Et occasionner des missiles secondaires ou blocs de béton de quelques centaines de kilos qui se détachent et voyagent dans le bâtiment. À 250m/s, les blocs de béton bougeront à 100m/s à l’intérieur. Les simulations et les tests montrent qu’ils peuvent détruire des câbles, de l’instrumentation, des canalisations secondaires, etc… Et même si le bâtiment à l’extérieur a l’air d’avoir résisté au choc, à l’intérieur il y a des dégâts.

Autre scenario : celui d’un crash d’un avion commercial. Yves Lenoir explique que “Le fuselage de l’avion peut taper dans le bâtiment du réacteur, de biais ou sur une partie arrondie. Et il pourra glisser. Le choc va endommager de manière considérable l’enceinte extérieure mais ne devrait pas provoquer trop de dégâts sur l’enceinte intérieure. Sauf que les ailes peuvent chuter sur les câbles, le kérosène provoquer un incendie, etc. Et s’il touche la salle de contrôle, quel est le niveau de protection ? Si le bâtiment n’est pas bunkerisé comme l’est le bâtiment réacteur, je donne pas cher de ce qu’il se passe à l’intérieur.” Parler ouvertement de ce genre de risque, pour le scientifique, “ce n’est pas être alarmiste :

Parce que, finalement, regardée comme ça, une chute d’avion, c’est comme le tsunami de Fukushima. C’est un cas extrême mais on a vu que le cas extrême devenait très probable dans certaines circonstances. En France on a des centaines d’avions qui décollent en permanence. Si incendie il y a, il peut y avoir un Fukushima français. Le dire ce n’est pas être alarmiste, c’est les mettre face à leurs responsabilités.

D’autant que déjà en 2001, le directeur de l’ASN – loin d’être rassurant – déclarait selon Areva (ex-Cogema) :

Comme l’a rappelé le directeur de l’Autorité de sûreté nucléaire dans des déclarations ces derniers jours, aucune installation nucléaire n’a été conçue pour résister à la chute d’un avion de ligne.


Illustration via la galerie Flickr de X-Ray Delta One [CC-bysa]. Edition par Ophelia Noor pour Owni.
Captures d’écran de la vidéo de Greenpeace, Coucou !

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Uranium militaire en croisière http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/ http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/#comments Mon, 02 Apr 2012 07:14:40 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=103981

© Laurent Vautrin, Le Carton/Picturetank

Depuis la publication de l’article, des déclarations ont eu lieu remettant en cause les propos de Greenpeace. Voir notre ajout dans un autre article.

La France s’apprête à importer des États-Unis près de 180 kg d’uranium de qualité militaire en lui faisant traverser l’océan atlantique sur un bateau ne répondant pas aux normes de sécurité pour pareil transport. Le 21 octobre dernier, un centre de recherche grenoblois, l’Institut Laue-Langevin, a obtenu des États-Unis une licence pour recevoir cet uranium dit de “qualité militaire”, par l’entremise d’une filiale d’Areva, selon des documents du département américain à l’Énergie (consultable au bas de cet article).

Voyage, voyage

Selon nos informations, depuis ce week-end, cet uranium est sur le point de quitter le sol américain depuis un port (dont nous ne dévoilons pas le nom pour des raisons de sécurité), à bord d’un navire britannique propriété de la Nuclear Decommissionning Agency(NDA – dont TN International, la filiale de transports des combustibles d’Areva est actionnaire).

Dans ses soutes, un peu moins de 180 kilos d’uranium enrichi à 93% destinés à rejoindre les bâtiments de la Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA) près de Valence, dans l’Est de la France, pour y être assemblé à de l’aluminium. Et alimenter ensuite le réacteur de recherche HFR (High flux reactor) de l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, détenu en partie par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et le Centre national de recherche scientifique (CNRS).

Le 16 mars, la Nuclear Regulatory Commission, équivalent américain de l’Autorité de sureté nucléaire française (ASN) a délivré l’ultime autorisation permettant ce transport (page 7 des documents ci-dessous). Problème, le bateau de la NDA affrété pour la circonstance est vieux de 25 ans et ne correspond plus aux normes en vigueur pour ce genre de voyage à haut risque – en raison de la qualité militaire de l’uranium acheminé et de l’intérêt qu’il peut éveiller.

Ce navire, dont nous connaissons le nom et les caractéristiques, appartient à une flotte vouée à démolition comme les bateaux de ce type et de sa génération – qui sont actuellement en cours de remplacement. Un spécialiste s’étonne :

Ces bateaux-là sont conçus pour ça et ce type de voyages arrive de temps en temps, pour le transport du MOX vers le Japon par exemple. Sauf que 25 ans pour un bateau qui assure des missions de transport d’uranium, c’est vieux.

D’autant que pour cette flotte britannique, et particulièrement cette série de bateaux, se sont posés des problèmes de corrosion de la coque, argument utilisé pour la refonte complète des bateaux de la NDA. Et ce même après quelques modifications “destinées à renforcer sa flexibilité opérationnelle en le rendant compatible avec le plus grand nombre de colis et de conteneurs ISO, afin de répondre aux besoins des clients”. Yannick Rousselet, chargé de la campagne nucléaire chez Greenpeace précise :

La NDA voulait à l’origine construire un nouveau bateau. Finalement, pour des raisons financières, ils ont décidé de ne pas construire ce bateau et ont préféré récupérer celui-ci. Curieux de se retrouver avec un vieux bateau pour ce transport-là !

À l’époque de l’acheminement de MOX vers le Japon, “il possédait des canons de défense, dont un témoin affirme qu’ils ont été démontés depuis” précise Yannick Rousselet. Autre anomalie constatée par le chargé du nucléaire chez Greenpeace et confirmée par la carte du port depuis lequel le bateau doit partir : alors que les cargos de ce type naviguent de concert pour se protéger tout au long du trajet, dans le port, le navire chargé pour Areva était amarré seul.

8 kg d’uranium par rechargement

La Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA), une des nombreuses filiales d’Areva, près de Romans, intervient dans la fabrication et la fourniture de combustible pour les réacteurs de recherche. Dans l’installation nucléaire de base (INB) qui abrite un atelier d’élaboration de combustibles hautement enrichi, l’uranium américain sera donc couplé à de l’aluminium. Pour alimenter le réacteur de l’institut de recherche grenoblois à l’origine de la commande.

À terme, les équipes travaillant sur le réacteur souhaitent utiliser un uranium moins enrichi. Hervé Guyon, chef de la division Réacteur de l’Institut Laue-Langevin, souligne la volonté de baisser le pourcentage d’enrichissement de l’uranium, ” et de faire fonctionner le réacteur avec un combustible enrichi à 20% environ. D’ici 2019-2020.”

En attendant, le réacteur continuera de se fournir “ailleurs”, et surtout depuis les Etats-Unis. Pour Yannick Rousselet, “il y a clairement un problème de risque de prolifération. Avoir des matériaux utilisables à des fins militaires comme ça, directement sur l’océan… Et il a l’avantage d’être sous forme métallique directement utilisable. Un des premiers risques c’est aussi le détournement de matière.”

Face aux nécessités de sécurisation du convoi, les lobbys du nucléaire cultivent leur mutisme : si personne n’est au courant du convoi, le convoi est sécurisé, CQFD. À l’évocation de l’argument “secret bien gardé transport sécurisé”, Yannick Rousselet ironise :

Ce secret, faites-moi la démonstration que nous ne le savons pas ! Quelqu’un qui vraiment veut ces matières peut les récupérer.

License Export

MÀJ du 2/04, 10 h : Julien Duperray, porte-parole de l’activité transport d’Areva, précise que “certaines activités sont clairement classifiées et on ne peut pas communiquer sur celles-ci. Les transports de ce type de matériaux ne représentent qu’une petite part de notre activité.”


Retrouvez tous nos articles sur le nucléaire en cliquant par ici.
Photographie via Picture Tank par © Laurent Vautrin/Le Carton, tous droits reservés

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http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/feed/ 21
Les enseignements du cas Nestlé – Greenpeace http://owni.fr/2010/04/09/les-enseignements-du-cas-nestle-greenpeace/ http://owni.fr/2010/04/09/les-enseignements-du-cas-nestle-greenpeace/#comments Fri, 09 Apr 2010 08:35:11 +0000 François Guillot http://owni.fr/?p=11866 Greenpeace qui attaque Nestlé sur la question de l’huile de palme, Nestlé qui réagit de travers, la page Facebook du groupe envahie par des commentaires négatifs, un gros buzz sur les médias sociaux, des reprises dans les grands médias et un cours de bourse qui se casse la figure : c’est LE cas de crise web de ce début d’année.

On a pu lire de nombreuses analyses de ce cas important au cours des quinze derniers jours. J’en rejoins certaines, d’autres moins : aussi est-ce à mon tour de m’y coller, avec une reconstitution et une analyse des grands enseignements de cette crise.

Attention, billet long : paresseux s’abstenir.

Image CC Flickr Gauravonomics

Image CC Flickr Gauravonomics

Greenpeace qui attaque Nestlé sur la question de l’huile de palme, Nestlé qui réagit de travers, la page Facebook du groupe envahie par des commentaires négatifs, un gros buzz sur les médias sociaux, des reprises dans les grands médias et un cours de bourse qui se casse la figure : c’est LE cas de crise web de ce début d’année.

On a pu lire de nombreuses analyses de ce cas important au cours des quinze derniers jours. J’en rejoins certaines, d’autres moins : aussi est-ce à mon tour de m’y coller, avec une reconstitution et une analyse des grands enseignements de cette crise.

Attention, billet long : paresseux s’abstenir.

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

L’affaire, donc : à la mi-mars, Greenpeace a déclenché une campagne online contre KitKat, marque du groupe Nestlé, responsable à ses yeux de la déforestation de l’Indonésie pour la production de l’huile de palme.

On peut lire une chronologie de la crise ici, et une interview de Greenpeace sur son dispositif là.

Au travers des différentes sources que j’ai pu réunir, voici une reconstitution des faits :

16 mars : le rapport Greenpeace

Greenpeace incrimine Nestlé dans un rapport sur la déforestation en Indonésie. Les victimes sont le climat, la forêt et les orangs-outangs.

17 mars : la machine se met en route

Nestlé répond dans une position officielle qu’il ne travaille plus avec le fournisseur incriminé, Sinar Mas, et dit son engagement à n’utiliser plus que de l’huile de palme « durable » en 2015 (un engagement qui semble antérieur).

Je ne suis pas sûr de savoir si cette position a été publiée avant ou après les autres événements de la journée (voir ci-dessous), mais peu importe.

Greenpeace entre en campagne avec mini-sites dédiés à l’appui, sur lesquels on trouve vidéo parodique, « kit de campagne » (avec logos détournés), information de référence, fil Twitter en temps réel, connection avec Facebook, Twitter et YouTube, e-cards de Pâques, email à envoyer au président de Nestlé, etc.

Des militants Greenpeace déguisés en orangs-outangs manifestent devant les bureaux du groupe en Angleterre.

Greenpeace poste la vidéo parodique sur YouTube, parodiant le concept « have a break » de KitKat de manière, disons, interpellante :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Alors que la vidéo a été vue moins de 1000 fois, Nestlé la fait retirer de YouTube pour violation du copyright.

Réponse de Greenpeace : republication de la vidéo sur Viméo et information via les médias sociaux comme quoi Nestlé a tenté de censurer la vidéo.

Les militants Greenpeace commencent à poster des commentaires négatifs sur la page Facebook de Nestlé, qui compte 90 000 fans. Nestlé ne les censure pas.

Nestlé répond via un statut sur sa page Facebook et renvoie vers la page « statements » de son site corporate – le post reçoit trente commentaires.

Certains utilisateurs Facebook modifient leur photo de profil au profit du logo KitKat détourné en « Killer », créant un « mème ».

En parallèle, Nestlé publie aussi sa position sur Twitter (moins de 1000 followers) et répond à deux commentaires.

18 mars

Nestlé reçoit un certain nombre de critiques sur la manière dont la page est gérée et réagit de façon sèche. Un statut demande aux internautes de ne pas utiliser le logo détourné.

Nouveau statut Nestlé, reprenant la position officielle. Une quarantaine de commentaires s’ensuivent.

Le même jour, Nestlé publie un update plus détaillé sur son site corporate, sous la forme d’un questions-réponses.

19 mars : emballement sur Facebook

C’est le jour où l’activité sur la page Facebook et dans les médias sociaux sera la plus intense. Nestlé demande aux utilisateurs Facebook de ne pas utiliser le logo KitKat détourné (tout en se disant prêt à accepter tous les commentaires). C’est le premier d’une série de huit statuts consécutifs dans la journée, qui seront commentés de 30 à 200 fois.

Nestlé publie un update de « mea culpa » sur la demande de non-utilisation du logo détourné et l’impolitesse des réponses faites.

L’histoire fait le tour des médias sociaux et de Twitter en particulier, alimentée notamment par Greenpeace qui a habillé ses pages web et médias sociaux aux couleurs de la campagne « Killer » et renvoie vers la page Facebook de Nestlé.

Nestlé republie aussi sa position sur Twitter.

Il est mentionné à plusieurs reprises que Nestlé a fermé sa page Facebook pendant quelques jours, mais je n’ai pas réussi à savoir quand exactement.

22 mars

Nouveau statut de Nestlé : « Social media: as you can see we’re learning as we go. Thanks for the comments. »

Le syndicat des producteurs d’huile de palme indonésiens publie un communiqué menaçant Nestlé de boycott.

23 mars et depuis

Greenpeace appelle a continuer à faire pression sur Nestlé : les engagements pris ne sont « pas suffisants ».

On notera aussi le très grand nombre de posts anti-Nestlé sur la page Facebook, dans l’onglet « just fans » : le rythme de publication continue à être soutenu (une vingtaine rien qu’aujourd’hui, trois semaines après les faits). Cela continue à être le principal élément visible aujourd’hui. Nestlé ne les retire pas.

LES QUESTIONS QUE CE CAS POSE

La première question est la suivante : la crise présente-t-elle un caractère exceptionnel ?

C’est une des questions les plus importantes et la réponse est oui et non.

La campagne est-elle exceptionnelle par le caractère de l’attaque de Greenpeace ?

Pas vraiment. Les méthodes de Greenpeace sont connues et on a déjà vu de sa part des cas de campagnes :

-       ciblées contre une marque

-       produisant un rapport « choc » de référence

-       parodiant les codes et les publicités de la marque, vidéo à l’appui

-       proposant un site dédié et habillant les espaces web de l’ONG

-       équipant les militants pour faire du bruit (e-mailing au président de l’entreprise, maintenant social media)

-       comportant des manifestations « IRL » d’activistes

Les précédentes campagnes Greenpeace contre Apple et Dove, contre la déforestation de l’Indonésie déjà, étaient de bons exemples d’un peu tout cela.

L’originalité de la campagne Greenpeace repose donc plutôt sur la combinaison des moyens proposés et sur le fait d’utiliser tous les canaux disponibles, comme la modification des avatars des militants et le vandalisme de la page Facebook de la marque.

On l’avait vu à l’occasion du « hoax » Sprite de l’été dernier : les formes d’attaques contre les marques se font de plus en plus sophistiquées. La contestation des marques et des entreprises a toujours existé, elle s’étend sous de nouvelles formes, de nouveaux territoires et avec plus de professionnalisme.

Le web social offre aux organisations qui ont des bases de militants de nouveaux moyens d’action : c’était d’ailleurs la principale leçon de la campagne online du candidat Obama.

Là où le cas Nestlé n’a pas de précédent, c’est dans le vandalisme de la page Facebook de l’entreprise ciblée. Et c’est justement sur cet espace-là que Nestlé a commis ses erreurs.

Mais dire qu’on entre dans l’ère de la web-guérilla, comme le fait ReadWriteWeb, n’aura comme effet de faire fuir les entreprises du web social dont le cauchemar est de se retrouver à gérer une situation similaire à Nestlé.

La campagne est-elle exceptionnelle par les résultats qu’elle a obtenus ?

Oui, mais pas unique pour autant. Pour répondre à cette question, je prendrais quatre indicateurs qui se veulent objectifs :

-       le nombre de vidéos vues. Greenpeace en comptabilise plus de 900 000 sur l’ensemble de la campagne. Il est certain qu’aucune entreprise ne signerait pour avoir 900 000 vues sur une vidéo dénigrante. Pour autant, on a déjà vu des phénomènes d’embrasement plus importants : les vidéos Domino’s par exemple avaient totalisé 1 million de vues en deux jours. Les vidéos Sprite sus-mentionnées n’en étaient pas loin après quelques jours d’activité. Certaines vidéos de « mauvaises pratiques » de la grande distribution ont été vues des millions de fois sur Dailymotion.

-       l’activité sur la page Facebook. Les statuts postés par Nestlé ont donc été commentés jusqu’à 200 fois, ce qui n’est somme toute pas gigantesque pour une page qui compte 90 000 fans. En revanche, sur l’onglet « just fans », c’est un véritable carnage.

-       La visibilité dans les médias de masse. Difficile d’avoir une réponse claire à cette question pourtant clé : c’est lorsque la crise bascule dans les médias de masse que l’entreprise ou la marque est véritablement en danger. Hors, il est difficile de reconstituer le bruit « offline » autour de cette affaire. On retrouve assez facilement la couverture des grands médias anglophones de la presse écrite ; en ce qui concerne l’impact télévision et radio, je n’ai pas beaucoup d’éléments.

-       l’impact sur le cours de bourse : il est réel comme le montre la capture d’écran de ReadWriteWeb. Mais pas forcément durable.

À noter enfin sur ces aspects quantitatifs : Greenpeace annonce 120 000 e-mails envoyés à Nestlé.

Le reste (billets sur les blogs, mentions sur Twitter, etc.) est surtout un gros os à ronger pour les experts en médias sociaux qui font leurs choux gras de ce genre de cas, pas si fréquents d’ailleurs, afin de démontrer l’impact du web social en matière d’opinion et de réputation.

Méfions-nous de la circulation circulaire (tous les professionnels de la communication en auront entendu parler, mais quelle part du grand public ?) et de l’ethnocentrisme du microcosme et de l’intelligentsia des médias sociaux (« les blogs que je lis en parlent, donc tout le monde en parle »).

Mais surtout, la visibilité de cette campagne, Greenpeace la doit à… Nestlé : ce qui a permis à la mayonnaise de monter, c’est avant tout la réaction de Nestlé qui a ouvert des brèches à Greenpeace.

Chercher à faire retirer la vidéo a été une aubaine pour Greenpeace. Demander aux internautes de ne pas utiliser le logo détourné à envenimé les choses.

Bref, et une nouvelle fois dans l’histoire de la communication sensible, c’est en plaçant le juridique (le droit) avant l’opinion (le débat, la morale) qu’on jette de l’huile sur le feu.

Pour autant, la campagne montre-t-elle le rôle déterminant du community manager ?

On aurait tort de croire qu’un bon community manager, ou un bon community management, aurait permis de rééquilibrer la situation (voir l’analyse très juste d’Anthony Poncier) : le community management ici aurait surtout pu éviter quelques erreurs :

-       la demande de non-utilisation du logo détourné

-       le trop grand nombre de statuts qui montrait une forme de panique

-       les réponses sèches à certains internautes, qui ont donné lieu à des captures d’écran qui sont en effet assez hallucinantes. L’humilité est pourtant l’une des premières valeurs à s’appliquer en situation sensible. Ici, la tonalité employée est évidemment inadmissible de la part d’une entreprise… C’est en réalité celle d’un individu, forcément rendu nerveux par les événements, et on ne peut faire que l’hypothèse d’une trop grande liberté laissée à l’administrateur de la page.

Cela dit, je trouve injuste de dire que Nestlé n’a pas géré ou a fait preuve de l’amateurisme le plus total.

Des erreurs plombantes ont été commises, cf. ci-dessus, mais c’est assez facile de charger l’entreprise et on notera que Nestlé a quand même :

-       fait preuve de réactivité : réponses quasi-immédiates sur le site du groupe, certes dans une tonalité très corporate, mais elles étaient là et bien là

-       systématiquement renvoyé sur ces positions qui n’ont pas bougé

-       observé un principe de « laisser parler », quitte à laisser sa page Facebook se faire vandaliser

-       publié son mea culpa quant à son attitude

Quelle organisation pour les médias sociaux ?

On peut se demander à qui reportait l’administrateur de la page Facebook Nestlé, ce qui pose justement la question de l’organisation de la fonction social media dans l’entreprise.

Derrière cela, il y a deux choses :

-       la question du profil du community manager

Si vous vous êtes intéressés au cas, vous aurez déjà lu plusieurs fois qu’il faut cesser de confier des postes de community managers à des juniors juste parce qu’ils sont de la génération Y. C’est tout à fait exact. Jeremiah Owyang : « voyez votre page Facebook comme un point de vente. Le confieriez-vous à un junior ? ».

La compétence est complexe parce qu’elle suppose à la fois une compréhension des codes des médias sociaux (et on observe de sacrés gaps culturels entre, disons, les moins de 35 ans et les plus de 35 ans) et une compréhension des enjeux de marque (rare chez les juniors), voire du porte-parolat (qui demande carrément d’être très senior).

C’est aussi une compétence qui s’encadre : par exemple avec des guides d’animation des médias sociaux et des formations à l’animation des espaces sociaux. Pas de solution miracle pour autant : le community manager va apprendre l’essentiel en marchant.

-       la question du pilotage de la fonction.

Je suis effaré de voir ReadWriteWeb (dont vous aurez compris que le papier m’a quelque peu… agacé) écrire que les agences de communication doivent être hors du coup, c’est une grave méconnaissance du rôle des agences qui sont là pour conseiller (et justement pour éviter aux entreprises de commettre des erreurs), pas pour piloter… Mais passons.

Plus globalement, il s’agit de savoir si la fonction community management relève du marketing (ce qui fait sens sur Facebook quand on est sur une page de marque, outil de relation client avant tout), de la communication (ce qui fait sens pour un espace d’entreprise), d’une autre direction ou d’un autre service.

Le ou les community managers de Nestlé viennent-ils d’une culture marketing ou réputation ? Dans un cas de crise comme ici, c’est en tout cas à la communication de piloter, pas au marketing. Les process internes doivent donc permettre à la com de prendre le lead.

Quid du porte-parolat sur les médias sociaux ?

Et oui, une entreprise cotée a des obligations et on voit ici à quel point les médias sociaux sèment la zizanie dans l’organisation de la communication des entreprises : un statut, un commentaire sur Facebook restent des prises de position publiques de la compagnie… Les procédures de validation ont parfois du bon.

Un problème de stratégie ?

On a aussi beaucoup lu dans les billets d’analyse de cette crise Nestlé que cela montrait que Nestlé n’avait pas de stratégie médias sociaux, pas de réflexion, que cela montrait qu’on avait juste lancé un outil, etc.

Peut-être est-ce le cas, peut-être pas, je n’en sais rien : personnellement, je ne crois pas que Nestlé partait de zéro ou a construit tout cela n’importe comment ; mais je crois surtout que la question posée ici est celle de la bonne gestion de crise plutôt que de la bonne stratégie médias sociaux.

Car ce n’est pas en définissant des principes de bonne conduite sur sa page Facebook que l’on empêche des militants d’ONG motivés de la pourrir.

Comment gérer les attaques ?

C’est ici qu’il ne faut pas confondre expertise des médias sociaux et expertise de la crise. De nombreuses entreprises se préparent aux situations de crise en réfléchissant sur la nature des risques, les scénarios possibles, en définissant des process et des responsabilités et en formant leurs équipes. D’autres ne le font pas et ce cas vient rappeler qu’il est tout simplement bon de se préparer.

Rien de nouveau sous le soleil : il faut se préparer aux crises, entretenir son état de préparation… et intégrer la dimension social media dans la crise, à plusieurs niveaux :

-       dans l’analyse des risques (les médias sociaux font naître de nouveaux risques ou permettent à des signaux de se propager plus facilement)

-       dans la fonction de veille (savoir ce qui se dit en situation sensible)

-       dans la gestion de crise (du site corporate aux espace sociaux, en passant par les moteurs de recherche), ce qui suppose a minima d’intégrer un spécialiste du web dans la cellule de crise. Voir notre billet « 15 trucs pour la communication de crise en ligne ».

Qu’aurait pu faire Nestlé ?

En dehors de toutes les considérations de stratégie ou d’organisation, la réponse n’est pas franchement simple.

Il me paraît d’abord difficile, comme je le disais ci-dessus, de se fixer comme objectif de calmer les ardeurs de militants d’ONG. Ils ne sont pas là pour être de bonne foi avec Nestlé et feront tout ce qu’ils peuvent pour appuyer là où ça fait mal. Avec ce type de public, c’est une bataille de communication qui s’engage, mais l’enjeu est la décision industrielle (raccourcir le délai de 2015 comme horizon pour une « huile de palme 100% durable », entre autres).

Au mieux peut-on donc ne pas envenimer la situation, ce qui consiste souvent à faire le dos rond.

De plus, il s’agit d’un sujet où la marque n’aura pas d’ambassadeurs : on ne peut pas imaginer de voir la conversation s’équilibrer d’elle-même.

Il aurait sans doute fallu davantage de proximité dans la formulation des positions : la production d’une vidéo questions – réponses avec le président ou l’autorité compétente chez Nestlé aurait peut-être permis de mieux faire comprendre les positions de la compagnie et permis d’équilibrer le débat.

Je ne crois pas à la possibilité de cantonner le débat dans un onglet spécifique de la page Facebook prévu à cet effet. Je pencherais plutôt pour la définition d’une politique d’usage de la page Facebook qui renverrait l’intégralité de la discussion « huile de palme » sur un espace type plate-forme de feedback (« si vous souhaitez parler de l’huile de palme, rendez-vous sur notre espace dédié »), plus facile à modérer.

Maintenant, faut-il ou pas supprimer les commentaires négatifs qui continuent à être postés en permanence, telle est la question. C’est tout à l’honneur de Nestlé de les laisser en ligne, mais ça fait sacrément désordre.

Franchement ? Comme Cédric Deniaud, qui a à mon avis produit la meilleure analyse du web francophone sur le sujet, je définirais le « contrat social » de la page Facebook et une fois que l’espace de « discussion » sur l’huile de palme (et/ou d’autres sujets) est créé, je renverrais la totalité des conversations dessus, quitte à supprimer les commentaires « hors sujet ».

La bonne nouvelle pour Nestlé, c’est que la critique se lasse toujours. Nestlé doit donc aussi et surtout reprendre le cours de l’animation de sa page avec son flux d’infos et d’annonces, et reprendre la question de son organisation social media et process de crise.

LES ENSEIGNEMENTS

Allez hop, on résume en 10 points clé :

1-Cette crise nous apprend que les attaques contre les marques peuvent se faire de façon de plus en plus sophistiquée, en s’engouffrant sur les espaces sociaux des marques.
2-Facebook (beaucoup plus que Twitter) est le lieu à risque, de par la population massive qu’on y trouve d’une part, de par la liberté de s’exprimer que les fonctionnalités permettent.
3-Quand la logique juridique prend le pas sur la logique d’opinion, on risque le pire. Les codes du web accommodent mal des réglementations : les entreprises sont renvoyées à des interrogations morales et ne peuvent se réfugier derrière le droit.
4-Tous les cas de démonstration de l’impact du web, comme celui-ci, sont utilisés par les professionnels de la profession à des fins prosélytes. C’est à la fois normal et polluant, mais cela invite à bien se poser la question de l’impact réel.
5-Cette crise peut être qualifiée de crise à fort impact, mais on n’est pas pour autant devant quelque chose de dévastateur (notamment parce que l’impact dans les médias audiovisuels ne semble pas clair et massif)
6-L’activisme est avant tout un truc anglo-saxon. Très clair ici.
7-C’est grâce aux erreurs de Nestlé que Greenpeace a réussi sa campagne.
8-Cette crise pose la question de la réflexion de l’entreprise sur la gestion de ses risques, plutôt que de celle de sa stratégie médias sociaux (mais elle ne l’empêche pas pour autant). Il faut plus que jamais se préparer aux risques (évaluation, scénarios, process, formations), et y intégrer la dimension médias sociaux.
9-La bonne gestion des médias sociaux est avant tout une question d’organisation pour les entreprises, et une question complexe. Nécessité d’avoir une stratégie claire, besoin de profils seniors, de multi-compétences, enjeux de périmètres entre la communication et le marketing, ROI à expliciter : c’est la quadrature du cercle et il faut faire des choix.
10-Chaque espace social doit avoir une vocation clairement définie : le mythe de la transparence et du laisser-faire doit être dépassé. Laisser publier des messages négatifs revient in fine à les encourager (enfin, à ne pas les décourager). Et à ce sujet, Facebook est davantage un lieu à vocation « marketing » que « corporate ». Même si les deux ne s’excluent pas toujours.
Billet initialement publié sur Internet & Opinion(s)

Photo de une CC Flickr chibi_ro

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