OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Au front de la révolution du droit d’auteur ! http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/#comments Thu, 02 Aug 2012 09:56:04 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=117410

Le rejet d’ACTA par le Parlement européen, tout comme la mise en échec en début d’année de la loi SOPA aux États-Unis, obtenus grâce à une mobilisation citoyenne sans précédent, constituent à l’évidence deux grandes victoires. Mais leur portée reste limitée, car il s’agissait essentiellement de batailles défensives, menées par les défenseurs des libertés numériques et de la culture libre pour barrer la route à des projets liberticides.

Néanmoins, ces succès créent une opportunité politique pour passer de la défensive à l’offensive, en proposant une refonte globale du système du droit d’auteur et du financement de la création.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans cette perspective, la Quadrature du Net vient de publier un document de première importance, préparé par Philippe Aigrain et intitulé “Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées“. Il est disponible ici sur le site de la Quadrature, sur le blog de Philippe Aigrain et vous pouvez le télécharger en version pdf également.

Articulé en 14 points représentés sur le schéma ci-dessous, ce texte couvre de nombreuses problématiques liées à la question de la création dans l’environnement numérique, aussi bien dans sa dimension juridique qu’économique et technique.

Légalisation du partage non-marchand entre individus

La clé de voûte de ce projet consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus d’œuvres protégées, considéré comme une pratique légitime et utile pour la vie culturelle et la création. La légalisation du partage s’opère par le biais d’une extension de la théorie de l’épuisement des droits, qui nous permettait déjà d’échanger ou de donner des supports d’œuvres protégées dans l’environnement matériel (livres, CD, DVD, etc) :

L’approche alternative consiste à partir des activités qui justifiaient l’épuisement des droits pour les œuvres sur support (prêter, donner, échanger, faire circuler, en bref partager) et de se demander quelle place leur donner dans l’espace numérique. Nous devons alors reconnaître le nouveau potentiel offert par le numérique pour ces activités, et le fait que ce potentiel dépend entièrement de la possession d’une copie et de la capacité à la multiplier par la mise à disposition ou la transmission.

L’épuisement des droits va ainsi être défini de façon à la fois plus ouverte et plus restrictive que pour les œuvres sur support. Plus ouverte parce qu’il inclut le droit de reproduction, plus restrictive parce qu’on peut le restreindre aux activités non marchandes des individus sans porter atteinte à ses bénéfices culturels.

Ce versant juridique de la légalisation du partage s’accompagne d’un versant économique, dans la mesure où cette extension de l’épuisement du droit d’auteur va de pair avec la création de nouveaux droits sociaux à la rémunération pour ceux qui contribuent à la création.

Contribution créatrice

Cet aspect des propositions de Phillipe Aigrain est particulièrement intéressant et il recoupe les modèles que l’auteur avait déjà exposé dans son ouvrage Sharing : Culture and The Economy in The Internet Age. En lieu et place de la licence globale, modèle alternatif de financement décrié à la fois par les représentants des industries culturelles et ceux de la Culture libre, le document propose plusieurs pistes de financement, dont la principale consiste en la mise en place d’une contribution créative, constituée par un prélèvement forfaitaire par foyer connecté à Internet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

D’autres mécanismes économiques sont envisagés comme le financement participatif en amont de la création (crowdfunding) ou encore le revenu minimum d’existence inconditionnel. Par ailleurs, des propositions complémentaires visent à réformer en profondeur la gestion collective, les financements publics culturels et la fiscalité du numérique.

Dépassant les aspects économiques, le document se penche également sur les conditions de possibilités techniques garantissant que les échanges puissent s’exercer librement dans un tel système, sans que des acteurs manœuvrent pour acquérir une position dominante par d’autres biais. La légalisation du partage se limite strictement aux échanges non marchands entre individus pour éviter le retour de monstruosités centralisant les fichiers et l’attention comme MegaUpload. Le document se prononce logiquement en faveur de la défense du principe de neutralité du Net, mais aussi pour l’interopérabilité et l’ouverture des appareils type smartphones ou tablettes, ainsi que pour la mise en place d’une taxation de la publicité en ligne qui évitera que des acteurs comme Google ou Facebook ne puissent dévoyer les mécanismes de l’économie de l’attention à leur profit.

La neutralité du Net en une image

Mais le document ne s’arrête pas là et il balaye tout un ensemble de problématiques qui me paraissent particulièrement importantes et qui ont beaucoup retenu mon attention sur S.I.Lex depuis des années. J’ai déjà écrit à plusieurs reprises (ici ou ) pour démontrer qu’il existe un lien direct entre la légalisation du partage non marchand et la défense des usages collectifs, ainsi qu’avec la place des institutions culturelles comme les bibliothèques dans l’accès à la culture et à la connaissance. J’ai aussi alerté à de nombreuses reprises sur le fait que le maintien de la guerre au partage, telle qu’elle se manifeste en France par exemple à travers le mécanisme de la riposte graduée instauré par la loi Hadopi, faisait peser sur les lieux d’accès publics à Internet de graves menaces (ici ou ).

Usages collectifs

Si le cœur du modèle de Philippe Aigrain porte sur les échanges entre individus, il est tout à fait sensible à l’importance des usages collectifs auxquels plusieurs points sont consacrés dans le document. On retrouve par exemple un point complet sur la nécessité de consacrer les pratiques éducatives et de recherche comme un véritable droit, par le biais d’une exception sans compensation.

Philippe Aigrain envisage également un rôle central dévolu aux bibliothèques en matière de diffusion des œuvres orphelines. Il prononce des critiques radicales à l’encontre des récentes lois sur le prix unique du livre numérique et sur la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle auxquelles les bibliothécaires français se sont opposés. Il propose également de doter le domaine public d’un statut positif afin de le protéger contre les atteintes à son intégrité, ainsi que de renforcer la dynamique de mise en partage des œuvres par le biais des licences libres.

Par ailleurs, Silvère Mercier et moi-même avons eu le grand honneur d’être invités à contribuer à ce document pour la partie intitulée “Liberté des usages collectifs non marchands” que je recopie ci-dessous :

A côté des usages non marchands entre individus, il existe des usages collectifs non marchands, qui jouent un rôle essentiel pour l’accès à la connaissance et pour la vie culturelle, notamment dans le cadre de l’activité d’établissements comme les bibliothèques, les musées ou les archives. Ces usages recouvrent la représentation gratuite d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public ; l’usage d’œuvres protégées en ligne par des personnes morales sans but lucratif ; la fourniture de moyens de reproduction à des usagers par des institutions hors cadre commercial ; et l’accès à des ressources numérisées détenues par les bibliothèques et archives.

A l’heure actuelle, ces usages collectifs s’exercent dans des cadres juridiques contraints, hétérogènes et inadaptés aux pratiques. Le préjugé selon lequel, dans l’environnement numérique, les usages collectifs nuiraient aux ventes aux particuliers ouvre un risque non négligeable que les titulaires de droits utilisent leurs prérogatives pour priver les bibliothèques de la possibilité de fournir des contenus numériques à leurs usagers. Dans un contexte où les échanges non marchands entre individus seraient légalisés, il serait pourtant paradoxal que les usages collectifs ne soient pas garantis et étendus.

A cette fin, les mesures suivantes doivent être mises en place :

  • Représentation sans finalité commerciale d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public : création d’une exception sans compensation, en transformant l’exception de représentation gratuite dans le cercle familial en une exception de représentation en public, hors-cadre commercial.
  • Usages en ligne non marchands d’œuvres protégées : les personnes morales agissant sans but lucratif doivent pouvoir bénéficier des mêmes possibilités que celles consacrées au profit des individus dans le cadre des échanges non marchands.
  • Fourniture de moyens de reproduction, y compris numériques, par des établissements accessibles au public à leurs usagers : ces usages doivent être assimilés à des copies privées, y compris en cas de transmission des reproductions à distance.

Enfin se pose la question importante du rôle des bibliothèques dans la mise à disposition (hors prêt de dispositifs de lecture) de versions numériques des œuvres sous droits et non-orphelines. Tout un éventail de solutions est envisageable depuis la situation où les bibliothèques deviendraient la source d’une copie de référence numérique de ces œuvres accessible à tous jusqu’à une exception pour leur communication donnant lieu à compensation.

Nouvelles taxes

À tous les bibliothécaires engagés et plus largement à tous les professionnels du secteur de l’information-documentation qui se sentent concernés par ces questions, je voudrais dire qu’il est temps à présent de régénérer les principes de notre action pour embrasser une vision plus large que celle qui a prévalu jusqu’à présent, notamment dans le cadre de l’action de l’IABD.

Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que les bibliothèques ne sont pas concernées par la question de la légalisation du partage non marchand. Il n’est pas possible non plus de continuer à se battre sur des sujets périphériques, comme les exceptions au droit d’auteur, sans s’associer à une refonte en profondeur du système de la propriété intellectuelle. Ces tactiques se cantonnent à l’écume des choses et elles manquent l’essentiel. Elles ont hélas conduit à des défaites tragiques, comme ce fut le cas avec la loi sur la numérisation des livres indisponibles. Il n’est plus question d’obtenir simplement un rééquilibrage du droit d’auteur dans l’environnement numérique, mais bien de le refonder à partir d’autres principes !

Les propositions qui figurent dans ce document doivent être défendues et portées au plus haut niveau lors de la consultation à venir sur l’acte II de l’exception culturelle, qui sera conduite dans le cadre de la mission Lescure. Les lobbies des industries culturelles sont déjà lourdement intervenus en amont afin que les questions essentielles ne soient pas posées lors de cette consultation. Les choses semblent courues d’avance et j’ai  déjà eu l’occasion de dénoncer le fait que l’on cherchera certainement à nous faire avaler la mise en place de véritables gabelles numériques. On voudra instaurer de nouvelles taxes sans consécration de droits au profit des usagers et sans même remettre en cause de la logique répressive qui est au cœur de la loi Hadopi !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Tous ceux qui s’intéressent aux libertés numériques et à l’avenir de la création sur Internet devraient s’emparer de ces propositions et les porter à l’attention des pouvoirs publics. Et il me semble que les auteurs et les créateurs devraient être les premiers à le faire.

Ils sont en effet de plus en plus nombreux à prendre conscience que le droit d’auteur a dérivé vers un système de rentes au profit d’intermédiaires qui ne sont plus à même de leur garantir les moyens de créer, ni même de vivre dignement. Les propositions de Philippe Aigrain sont essentiellement tournées vers les auteurs.  Le point n°7 porte par exemple sur la refonte des contrats d’édition, afin que les éditeurs ne soient plus en mesure de s’accaparer les droits numériques à leur profit, sans reverser une rémunération décente aux auteurs.

Une économie du partage

Plus largement, la contribution créative constitue une des seules pistes réalistes pour dégager les sommes suffisantes à la rémunération des créateurs, en sortant de la spirale infernale de la guerre au partage les dressant contre leur public. Elle vise à créer une véritable économie du partage, dont les créateurs seraient de nouveau les premiers bénéficiaires. Par ailleurs, l’une des vertus fortes de ce modèle, c’est d’envisager de rémunérer non seulement les auteurs professionnels, mais aussi la multitude des créateurs amateurs qui contribuent aujourd’hui sur Internet de manière déterminante à la vie de la culture et des idées.

La parole pour finir à Philippe Aigrain :

Le numérique porte la promesse de capacités culturelles accrues pour chacun, d’une nouvelle ère où les activités créatives et expressives sont au cœur même de nos sociétés. Dans un contexte souvent hostile, cette promesse montre chaque jour qu’elle est solide. Dans de nombreux domaines, la culture numérique est le laboratoire vivant de la création. Elle donne lieu à de nouveaux processus sociaux et permet le partage de ses produits. De nouvelles synergies se développent entre d’une part, les activités et la socialité numérique et, d’autre part les créations physiques et interactions sociales hors numérique. L’objectif d’une réforme raisonnable du droit d’auteur / copyright et des politiques culturelles ou des médias est de créer un meilleur environnement pour la réalisation de cette promesse. Comme toujours, il y a deux volets : arrêter de nuire au développement de la culture numérique et, si possible, la servir utilement.

En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans ce programme une cause porteuse de sens que je veux servir et qui vaut la peine que l’on se batte pour elle de toutes ses forces! Je le ferai en tant que citoyen, en tant que juriste, en tant qu’auteur numérique, mais aussi et surtout comme le bibliothécaire que je suis, attaché viscéralement à la diffusion du savoir et à la défense des biens communs !

Billet initialement publié sur le blog de Calimaq :: S.I.Lex :: sous le titre “Réforme du droit d’auteur et financement de la création : il est temps de passer à l’offensive !”

Image CC Flickr PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Certains droits réservés par Kalexanderson

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La portée du plagiat du jeu Zynga http://owni.fr/2012/02/01/le-plagiat-de-zynga/ http://owni.fr/2012/02/01/le-plagiat-de-zynga/#comments Wed, 01 Feb 2012 16:26:25 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=96842

L’un des points les plus discutables de l’accord ACTA, dont la signature par l’Union européenne a soulevé une vague de protestations, réside dans un durcissement et une automatisation des sanctions attachées aux actes de contrefaçon en ligne, combinés à une définition extrêmement floue des contours de cette infraction.

On nous l’a répété à l’envi : cette orientation répressive serait justifiée par la nécessité de protéger les industries culturelles du fléau que constitue la contrefaçon. Pourtant il est intéressant de constater que même dans des secteurs hautement concurrentiels, comme celui du jeu vidéo, les réponses qu’apportent ces mêmes industriels aux problèmes de plagiat peuvent être infiniment plus nuancées et disons-le : intelligentes !

C’est ce que l’on a pu constater cette semaine à l’occasion d’une polémique qui a opposé le géant du jeu social Zynga, développeur notamment du fameux Farmville, à plusieurs studios indépendants.

Le studio Nimblebit a en effet publié une infographie sarcastique pour montrer les très fortes similarités entre Dream Heights, le dernier jeu lancé par Zynga et une de ses créations, Tiny Tower, qui a reçu le prix Apple du jeu pour iPhone en 2011.

Tout l’intérêt de la démarche de Nimblebit, c’est que plutôt que de se lancer dans un procès coûteux et hasardeux en contrefaçon contre le géant Zynga, le studio a choisi tout simplement de lui dire… merci !

Mais avec un humour qui fait mouche et en prenant bien soin de mettre en avant que leur société ne compte que 3 personnes, comparés aux 2789 employés de Zynga :

Cher Zynga,

Nous avons remarqué que vous avez lancé un nouveau jeu pour iPhone intitulé Dream Heights. Félicitations !

Merci à tous vos employés d’être de si grands fans de notre Tiny Tower, le jeu de l’année sur Iphone !

Bonne chance pour votre jeu et nous espérons pouvoir continuer à vous inspirer pour vos jeux futurs !

Bien à vous (nous trois)

Comme le souligne le site Techdirt, la réaction de Nimblebit est particulièrement intelligente, car elle ridiculise Zynga, en révélant au grand jour le plagiat auquel ils se sont livrés, tout en leur permettant d’affirmer leur propre image et d’attirer l’attention sur leur jeu (la preuve, on en parle jusque sur OWNI !).

Il faut savoir en effet que Zynga, bien que souvent accusé de “pomper” ses idées ailleurs (cela vaut même pour Farmville, leur grand succès), s’est illustré par une attitude particulièrement agressive en justice, en attaquant tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à ses jeux, afin d’éradiquer la concurrence. Zynga a même franchement dérapé dans le Copyright Madness, lorsque la firme a essayé de faire enregistrer comme marque le mot “Ville” pour empêcher des concurrents potentiels de s’en servir comme titre pour leurs jeux !

Au lieu de risquer son image dans des procédures en justice, Nimblebit a préféré jouer la carte de la réprobation sociale que le plagiat suscite toujours, montrant par là qu’il existe d’autres formes de régulation possibles de ce problème.  Cette attitude rejoint les réflexions sur le plagiat de l’activiste américaine Nina Paley qui considère que le droit d’auteur est inutile pour lutter contre le plagiat, voire même que d’une certaine manière, il peut le favoriser :

Quand les gens copient des chansons ou des films, ils ne changent pas le nom de l’auteur. Le plagiat est différent de la copie : c’est un mensonge. Si le droit d’auteur a quelque chose à voir avec le plagiat, c’est en cela qu’il le favorise, en le rendant plus facile (parce que les oeuvres protégées ne sont pas rendues publiques et qu’il est plus facile pour cela de mentir en dissimulant les sources). Le droit d’auteur incite même au plagiat (parce que copier une oeuvre en citant le nom de l’auteur est tout aussi illégal que de la copier sans le faire ; le fait de citer l’auteur peut même être utilisé à charge contre le copieur, car cela prouve qu’il savait que l’oeuvre était protégée).

Notons que la démarche de Nimblebit n’a pas manqué d’être elle-même… copiée, puisqu’une autre société de jeu vidéo, Buffalo Studios, a publié dans la foulée une autre infographie pour montrer que Zynga avait manifestement beaucoup aimé également son jeu Bingo Blitz, furieusement ressemblant à Zenga Bingo !

La réaction de Nimblebit n’est en fait pas isolée dans le monde du jeu vidéo, qui a une conception plus nuancée que l’on ne pense de la contrefaçon et des moyens de lutter contre elle. Pour preuve, on peut prendre les propos qui viennent d’être tenus par le dirigeant d’un autre géant du jeu vidéo, Mikael Hed, le PDG de Rovio, lors du Midem à Cannes. Le jeu phare de la firme, Angry Birds, fait l’objet de multiples clones, comme Angry Farm ou Angry Animals, qui ne cherchent même pas à dissimuler leurs sources d’inspiration. Mais le PDG de Rovio a déclaré que “le piratage n’est pas une mauvaise chose ; il peut même s’avérer bénéfique pour nos affaires”.  Rovio s’est en effet fixé comme ligne de conduite de n’attaquer que les clones de mauvaise qualité de ses créations, qui pourraient nuire à son image de marque. Critiquant les pratiques de l’industrie de la musique, Mikeal Hed a indiqué qu’il ne souhaitait par entrer en conflit avec les fans de ses jeux, qui constituent pour lui le socle de sa réussite commerciale.

Mais le plus fascinant est encore à venir dans cette histoire.

Les petits malins de Nimblebit ont en effet fini par se faire prendre à leur propre jeu. Un internaute a en effet réalisé une troisième infographie dans laquelle il montre que leur jeu Tiny Tower s’inspire très largement lui aussi de réalisations antérieures. L’accusation de plagiat est en effet dangereusement récursive et celui qui la brandit s’expose bien souvent à un effet boomerang. S’il en est ainsi, c’est parce que l’originalité de la création est toujours relative. Tout particulièrement dans le jeu vidéo, les sources d’inspiration sont multiples et les jeux s’inscrivent souvent dans des “lignées” de prédécesseurs qui forment les grandes archétypes de cet art.

A cet égard, le juriste américain Jonathan Band a écrit un billet remarquable sur son blog Plagiarism Today, dans lequel il fait l’histoire du plagiat dans le domaine du jeu vidéo et où il monte que la contrefaçon a un sens particulier dans cette branche des industries culturelles :

Les lois sur le Copyright indiquent clairement que les idées mises en forme sont protégeables, et cela inclut beaucoup d’éléments dont les jeux vidéos sont constitués. C’est pourquoi nous verrons certainement de plus en plus d’affaires de plagiat dans ce secteur finir par des poursuites en justice, non pas à cause des normes éthiques fluctuantes qui définissent le plagiat dans ce secteur, mais à cause des règles du copyright qui s’appliquent à lui.

Cependant, il existe une zone grise qui sépare ce que la loi interdit explicitement et ce que l’éthique professionnelle considère comme abusif et c’est dans cet espace que des clones et des remakes de jeux pourront continuer à être produits. C’est à ce sujet qu’il faut qu’une discussion s’engage pour que cette industrie fixe ses propres règles, afin d’éviter qu’une trop grande prolifération de pâles imitations ne finisse par menacer le marché [...]

Cette “zone grise” dont parle Jonathan Band, qui sépare le droit de l’éthique et qui joue un rôle essentiel pour la respiration de la création, c’est précisément ce qu’un traité comme l’ACTA va détruire s’il est ratifié par le Parlement européen. L’exemple du jeu vidéo montre que les industries culturelles elles-mêmes ont besoin d’une certaine souplesse pour aborder les questions de plagiat et de contrefaçon.Elles ont autant que les citoyens à perdre d’une rigidification à l’extrême du système.

Le plagiat, en un sens, fait partie des règles du jeu de la création…


Illustration principale de la chronique du copyright par Marion Boucharlat pour Owni
Illustrations par Fotofones/Flickr (CC-byncsa)

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Un lobby culturel numérisé http://owni.fr/2011/09/24/lobby-accen-lobbying-audiens/ http://owni.fr/2011/09/24/lobby-accen-lobbying-audiens/#comments Sat, 24 Sep 2011 12:43:18 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=80618 Lundi 19 septembre, plus de 400 personnes se pressaient au Conseil économique, social et environnemental pour le lancement d’un étrange conglomérat d’acteurs des industries culturelles : l’Assemblée pour la création et la culture à l’ère numérique (ACCEN).

Lancée à l’initiative d’Audiens, le groupe de protection sociale des artistes et techniciens du spectacle et de l’audiovisuel, l’Assemblée a pour but de “proposer de nouvelles pierres sur un édifice dont Hadopi a posé les fondations”, selon les mots de Pierre Bézier, son directeur général. Elle se dote pour ce faire d’une “plateforme collaborative”, dont la responsabilité éditoriale est assurée par le même Pierre Bézier, et qui doit recueillir les propositions des acteurs de la filière afin de constituer un “Livre ouvert” qui sera remis “aux candidats en amont des prochaines échéances électorales de 2012”.

Nul doute que les quelque 70 partenaires choisis par Audiens sauront faire valoir leurs droits, dans les sept secteurs identifiés : cinéma, édition, information, presse, radio, spectacle vivant et télévision. De la SACEM, société de gestion des droits d’auteur à la CGT Spectacle en passant par Universal Music, Lagardère Active, Canal + ou encore le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale, tous les acteurs de la filière y sont représentés. Un aréopage aux motivations floues et parfois contradictoires, soutenu par le Ministère de la Culture, représenté au cours de la soirée de lancement par Laurence Franceschini, directrice des médias et des industries culturelles. Ayant valeur de soutien quasi officiel.

Communication breakdown

L’Accen apparaît surtout comme le porte-voix d’un lobbying plus offensif. La vidéo diffusée au cours du discours de Pierre Bézier (disponible en fin d’article), qui fait intervenir dans un montage sommaire certains des soutiens de l’initiative, contient quelques morceaux de bravoure. Les positions ne semblent pas avoir évolué au cours de ces dernières années.

Il s’agit en priorité de faire payer les fournisseurs d’accès à Internet et les producteurs de contenu afin qu’ils participent au “financement de la création”. Pour Jacques Peskine, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (FESAC) :

Si les opérateurs (Apple ou Dailymotion) ne reversent pas une partie des ressources qu’ils captent vers la création de contenu, on a un véritable problème d’équilibre général de la filière.

La mise en place de ce nouveau regroupement est inédite. Les missions d’Audiens, qui touchent à la protection sociale, ne s’articulent pas autour de la représentation des intérêts d’une filière.
Pourtant, c’est son directeur qui a pris les choses en main, ne lésinant pas sur les moyens en faisant appel à un cabinet de lobbying, Médiations & Arguments. Et lorsque ceux qui s’occupent de votre protection sociale vous convient à participer à une action de ce type, difficile de refuser. Certains le regrettent d’ailleurs amèrement.

La directrice de la communication du groupe, qui insiste sur le fait que le travail autour du lancement s’est “fait en équipe et de manière transverse au sein d’Audiens”, nous précise que la constitution de l’Accen rentre dans le cadre du service aux professionnels : “Dans cette perspective, on a vocation à être proche de nos clients, Audiens a toujours accompagné la mutation de ces secteurs”.

Lorsqu’il s’agit de défendre leur modèle économique face au numérique, les partenaires de l’Accen ne sont pourtant pas démunis. On en retrouve par exemple un nombre important dans la liste des signataires des Accords Olivennes qui ont présidé à la mise en place de la Hadopi, ou encore dans le Comité de Liaison des Industries Culturelles (CLIC) , qui a discrètement œuvré à l’adoption des lois Hadopi et Loppsi.

Là, les lobbyistes avancent à visage découvert. L’occasion pour le monde de la culture de faire pendant au Conseil national du numérique (CNN), mis en place par l’Elysée et qui fait la part belle aux industriels du numérique. Il s’agit également de tourner la page Hadopi, pour enfourcher de nouveaux chevaux dans la bataille pour la préservation d’un modèle fondamentalement remis en cause par le développement d’Internet. Le réseau est qualifié “d’opportunité”, à tel point qu’il semble utile de préciser dans le communiqué de presse que l’Accen

Pourtant, aucun acteur du numérique n’a été convié à débattre.

L’agenda du lobbyiste décomplexé

Le cadre étant posé, les interventions des partenaires dessinent en creux l’agenda de lobbying des industries culturelles d’ici à 2012 : “La réglementation sur la copie privée doit être complétée aujourd’hui par de rémunérations sur les flux”, explique par exemple Bruno Bouleux, directeur général de l’ADAMI, société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes.

L’idée est également de s’armer pour peser sur Bruxelles, où plusieurs projets impactant fortement la filière sont en discussion. Le président de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) peut ainsi affirmer:

“Depuis les origines, nous sommes handicapés par la directive commerce électronique qui fait que d’un côté les opérateurs de télécom et les fournisseurs d’accès sont exonérés de toute responsabilité juridique et financière, et que les hébergeurs eux-mêmes ont un statut qui les protège”.

Les prochaines échéances à l’échelle européenne concernent également les œuvres orphelines, la gestion collective des droits de propriété intellectuelle, le prochain livre vert sur la production audiovisuelle ou encore la lutte contre les distorsions TVA, qui permettent par exemple au Luxembourg d’attirer les services de vidéos à la demande (VOD).

Autant de processus de décisions sur lesquels l’Accen doit peser afin que le “partage de la valeur” tant attendu avantage les acteurs des industries culturelles .

Pour le moment, les propositions hébergées par la plate-forme se réduisent à un message copié-collé dans chacun des secteurs, qui félicite les promoteurs de l’initiative. Côté spectacle vivant, on veut une réglementation sur la revente de billet sur Internet ou un droit de propriété intellectuelle sur le spectacle vivant.

Rendez-vous le 30 novembre, date de remise du fameux “livre ouvert”, pour prendre connaissance des propositions de “la grande famille de la culture”.


En bonus track, la vidéo projetée au cours du discours de Patrick Bézier :

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Crédits photo CC FlickR par balakov

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OWNI x SXSW : un petit air de country http://owni.fr/2011/03/14/owni-x-sxsw-un-petit-air-de-country/ http://owni.fr/2011/03/14/owni-x-sxsw-un-petit-air-de-country/#comments Mon, 14 Mar 2011 15:39:01 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=31089 Cette semaine se tient le grand rassemblement international SXSW (South by SouthWest). Entre musique, cinéma et nouvelles technologies, l’évènement a su conquérir les acteurs et amoureux de ces univers. Son site internet ainsi que de nombreux articles sont déjà revenus sur ses 25 premières années d’existence. Fort de cette longévité, SXSW est désormais un événement incontournable. Lors de sa première édition en 1987 alors consacrée à la musique, ses instigateurs accueillirent 700 participants au lieu des cent initialement prévus, démontrant dès lors son intérêt.

Afin de célébrer à notre manière les vingt-cinq ans d’un des plus grands festivals au monde, nous avons décidé de revenir sur le contexte culturel dans lequel il a vu le jour.

Ce texte est largement inspiré d’un livre : Mainstream de Frederic Martel, dans lequel l’auteur fait le tour du monde pour essayer de comprendre ce qui devient mainstream et pourquoi. Au cours de son chapitre consacré à “l’invention de la pop music”, Fréderic Martel fait alors un passage à Nashville : centre stratégique incontournable pour l’industrie de la musique aux Etats-Unis, avec New York et Los Angeles.

Si Nashville est incontournable pour les Américains (le marché de la country est estimé à 10% des ventes de disques et de numérique aux Etat-Unis), elle reste plus ou moins inconnue par le reste de la planète. La musique historiquement légendaire qui est produite dans la région centrale Sud des Etats-Unis, s’exporte mal et reste le fruit d’une tradition locale. Définie par certains comme la poésie des Etats-Unis, il semblerait que la nature populaire et traditionnelle de ces musiques peine à se faire adopter par le monde comme le R’N’B, le rock ou la pop l’ont été.

Nashville, un centre névralgique pour l’industrie musicale aux Etats-Unis

Depuis les années 1960, Nashville représente le deuxième point stratégique et incontournable pour l’industrie de la musique après New York. De grands labels y ont installé des bureaux même si les tâches administratives et juridiques sont traitées aux sièges situés à Los Angeles et New York.

Nashville est considéré comme le berceau de la musique country. Situé entre le Kansas, l’Arkansa et le Mississippi, le “delta” est une zone inondable qui facilite la culture de coton. Les esclaves et les immigrés anglo-irlandais s’y installent et une culture originale naît de cette nouvelle mixité. Le blues (Musique noire) et la country (Musique blanche) se fréquentent et se chamaillent. Ces musiques, défendues par des musiciens de cultures différentes, ne cessent de se croiser.

L’âge de l’enregistreur et de la radiodiffusion métamorphose la vie des musiciens à la fin du XIXème siècle. La Country Music va alors connaître un extraordinaire rayonnement. L’industrie du disque recherche de nouveaux genres musicaux dans le sud, où il existe déjà un foisonnement musical. Il fallait un berceau à la Country Music, ce sera Nashville, surnommée plus tard la “Music City“.

Cette ville devient alors un véritable point de ralliement pour tous les musiciens américains proches de cette culture. Elvis Presley y a enregistré de la musique en studio. Johnny Cash, le célèbre chanteur en noir, emblème de la musique country, originaire de Kingsland, Arkansas meurt le 12 septembre 2003 à Nashville, Tennessee. Bob Dylan y enregistre plusieurs albums, accompagné par des musiciens locaux, dont le mythique Blonde On Blonde ou encore Nashville Skyline.

A l’intérieur de Nashville, un quartier va devenir le centre de toutes les préoccupations. Music Row est situé entre la 16ème et la 17ème avenue. Ce quartier est baptisé le Music Square East et c’est “l’adresse où il faut aller à Nashville pour trouver les sièges des majors, les studios d’enregistrement et les bureaux des télévisions musicales.” (Mainstream)

Né au début du XXe siècle, la country est d’abord la musique du monde rural blanc des États-Unis. Ce courant va subir diverses influences, parmi lesquelles le blues, et donner lieux à différents styles : le country-blues, le bluegrass, le country-western ou encore le country-rock.

Blues vs. Country

Le blues, c’est la musique des classes populaires noires, comme la country est la musique des classes populaires blanches. (Shelley Ritter – directrice du Delta Blues Museum, pour Mainstream)

Clacksdale est une petite ville du Nord-Ouest du Mississippi. Cette ville a été très importante pour le blues et de nombreux musiciens tels Sam Cooke, Junior Parker, Bukka White, Son House, John Lee Hooker, Jackie Brenston, Ike Turner, Eddie BoydWillie Brown et Johnny B. Moore y sont nés. Mais l’histoire de la musique blues y a plus ou moins été effacée à l’exception du petit musée touristique, le Delta Blues Museum. A l’époque, le blues n’est pas vraiment considéré, sûrement à cause du racisme ambiant propre à cette période. Il n’en reste pas moins une influence importante pour les musique interprétées par les blancs.

Blues et Country Music, naissent, grandissent et prospèrent sur le même terreau : le spleen et l’engagement. Au fil des ans, ces deux sœurs ne cesseront d’échanger leurs bons procédés et leurs meilleurs champions : Ray Charles le “countryse” d’un coté, et Willie Nelson le “jazze” de l’autre.

Quand le blues se joue dans des “juke joints”, la country, elle, se joue dans des “Honky tonks”. Toutes deux sont des musiques faites par et pour les classes populaires. La country-music a débuté comme une musique partagée par des musiciens noirs et blancs. Ces deux genres constituaient des musiques partageant des valeurs sociales semblables, parmi lesquelles le courage et la solidarité.

Malgré une structure harmonique bien définie, le blues est une chronique autobiographique et poétique, plus focalisé sur les paroles que la musique. Elle décrit la complaintes des esclaves, exploités par les émigrés/colons européens, toujours entre humour et mélancolie.

La country, elle, prend ses origines dans les Apalaches. Débarqués aux Etats-Unis en 1734, les premiers émigrants irlandais, anglais, gallois, écossais et espagnols on pour but de conquérir le nouveau monde et refaire leur vie. Le violon irlandais, le dulcimer allemand, la mandoline italienne, la guitare espagnole et le banjo africain sont les instruments les plus communs. Les interactions entre les musiciens issus de groupes ethniques différents feront naître ce genre unique qu’est la country.

La country est au centre de toute une économie. Embrassé par l’industrie de la musique, ce genre musical sera copié, modifié et verra même naître un grand nombre de dérivés nommés par les gourous du marketing. Du blues country en passant par le Hill Billy, le psychobilly, le rockabilly, la soul country ou encore le bluegrass, la country s’inspire et inspire, mais reste le représentant d’une culture locale et rurale qui pour la plupart d’entre nous reste une musique de “cowboy”.

Le blues et la country sont donc toutes deux décrites comme étant la poésie des Etats-Unis. L’une bénéficiant des stratégies de l’industrie musicale, l’autre restant une source d’inspiration importante pour la première. Pour Brenn Beck, pillier du groupe Left Lane Cruiser (que vous pouvez écouter sur OWNImusic), quand on lui demande quelle est selon lui la différence entre ces deux genres, il nous répond qu’ils ont toujours évolué côte à côte. Le whisky et les travaux physiques éprouvés par les deux communautés ont toujours inspiré ces genres. Par conséquent, la seule chose qui différencie l’un de l’autre est la couleur de peau de ses instigateurs.

Une autre chose qui contribue à relier ces deux style est la source très rurale de ces musiques. A contrario, le jazz est intrinsèquement une musique plus urbaine. C’est ainsi que la soul et le R’N’B produits dans le Tennessee dans les années 1950 ont vu leurs labels s’installer à New York et Los Angeles dès les années 1970.

La country est une musique très enracinée dans la vie locale. On l’écoute à la radio, mais on la joue aussi dans les “honky tonks”, les petits bars traditionnels blancs, un peu comme on fait le blues dans les “juke joints”, les petits bars du Sud Américain rural et noir. C’est pour ça qu’elle s’exporte mal, elle est trop locale [...] On ne vend pas de country à Londres, par exemple, c’est trop urbain. (Luke Lewis, PDG d’Universal music à Nashville pour Mainstream)

Gospel vs. Christian music

Fortement imprégnée par des musiques populaires, cette région du sud des Etats-Unis voit pourtant émerger deux styles musicaux très différents : le Gospel et la Christian Music (Gospel pour les blanc, souvent surnommé le “Southern Gospel”).

Au fond, nous faisons partie de la musique gospel. On pense souvent que le gospel est une musique noire, mais c’est d’abord une musique chrétienne. Et nous, nous faisons de la musique chrétienne qui est simplement blanche. (Dwayne Walker, Directeur du département artistique de Light Records, label spécialisé dans la musique Christian pour Mainstream)

Quand nous demandons à Benn Beck de nous expliquer la différence entre les deux genres, il nous répond que la différence majeure c’est que le gospel a une âme alors que la musique chrétienne émane d’une intention commerciale. La musique blanche est moins sujette à polémique que la musique noire et c’est en ce sens que l’industrie jette son dévolu sur le country et invente la christian music. Le Gospel reste à 99% noir quand la musique chrétienne reste à 99% blanche même si, à Nashville, la Gospel Music Association est le lobby officiel à la fois pour le gospel noir et la musique chrétienne.

A l’instar de la country, la “Christian music” se subdivise en de nombreux courants : Christian rock, southern gospel, jesus rock, god rock, gospel rock, christian rap et même rock “inspirationnel”. Nashville est connue pour être l’une des villes Américaines comptant le plus d’églises au kilomètre/carré. Au point même que l’on appelle cette région la “bible belt”, la région de la bible.

Encore une fois, la différence majeure entre le gospel et la musique chrétienne reste une histoire de couleur mais l’une et l’autre sont intrinséquement liées, l’une étant exploitée officiellement, et l’autre inspiratrice des musiques à destination commerciales.

En explorant tous les paramètres des musiques du sud des Etats-Unis, nous essayons toujours de comprendre pourquoi SXSW s’est installé à Austin plutôt qu’à Nashville et nous devons admettre que la raison de cette délocalisation reste assez mystérieuse à nos yeux même si quelques éléments pourraient expliquer ce phénomène.

Pourquoi SXSW est-il à Austin?

L’industrie de la musique ayant choisi comme centre Nashville, on se demande pourquoi Louis Black, Roland Swenson et Louis Meyers ont décidé de monter le fameux festival à Austin.

Un des éléments a priori des plus pertinents reste que Nashville est une ville de compositeurs, LA ville de la musique enregistrée, alors que SXSW est surtout un festival de “musique vivante”. Les mécanismes de l’industrie, à l’instar de ceux de la Motown, ont été adoptés à Nashville. Des éditeurs trouvent des compositeurs et des maisons de disques alors que des labels font interpréter les compositions et exploitent les versions enregistrées. Nashville a toujours fonctionné de cette manière et reste à priori une ville de compositeurs et de musiques enregistrées.

“L’éditeur est l’élément central de l’industrie à Nashville et les maisons de disque possèdent d’abord, et avant tout, le répertoire.” (Eddie de Garno, le PD-G d’EMI-Christian group Music Group pour Mainstream).

Quand nous posons la question à Frederic Martel, auteur de De la Culture en Amérique et Mainstream, il répond : “Nashville c’est vraiment la musique enregistrée chrétienne et country ; pas trop les concerts. Austin c’est beaucoup plus les concerts et aussi plus le rock et le blues, bref autre chose.”

Nous pensons cependant que la réunion de plusieurs paramètres indispensables au succès d’un tel festival contribuent à ce que cet évènement soit situé à Austin plus qu’à Nashville.

On the top of the list, Austin, en plus d’être la ville d’origine de nombreux musiciens tel Willie Nelson ou Janis Joplin, est aussi un berceau de la haute technologie. On surnomme même cette région la “Silicon Hill”. Parmis les plus gros employeurs d’Austin, on peut citer 3M, Apple, Hewlett-Packard, Google, AMD,Applied Materials, Cirrus Logic, Cisco Systems, eBay/PayPal, Hoover’s, Intel Corporation, National Instruments, Samsung Group, Silicon Laboratories, Sun Microsystems ou encore United Devices, ce qui, justifie largement la mise en place de SXSW interactive, au sein de ce même festival originellement destiné à la musique. Des milliers de diplômés en informatique ou en ingénierie sortent chaque année de l’université du Texas à Austin et constituent une source stable d’employés pour la ville. Perturbés par la sphère Internet dans les années 90, les fondateurs de SXSW avaient-ils déjà préssenti le rapprochement inévitable qui devait avoir lieu entre les nouvelles technologies et les industries culturelles ?

Les quelques 4000 universités des États-Unis forment les publics de demain, irriguent artistiquement des régions entières avec leurs 700 musées, 110 maisons d’édition et 3500 bibliothèques, dont 65 possèdent plus de 2,5 millions d’oeuvres chacune et 2300 Performing Arts Centers.

Ceci peut aussi expliquer cela. Austin, largement peuplée d’étudiants fait de cette capitale une ville propice au développement culturel et en particulier au développement du live et…explique une certaine passion pour le rock, plus contemporain, la musique du chaos où toutes les influences sont permises.

Autre élément, la ville a toujours été réputée pour ses clubs et bars squattés par les Généraux pendant la guerre civile dès le 19ème siècle. Aujourd’hui, gouvernement général des Etats-Unis, est l’un des plus gros employeurs d’Austin, connue pour être une ville cosmopolite et fêtarde où le mélange des genres est ainsi permis et le lourd passé de l’appartheid s’y trouve obsolète.

Austin, ville des Etats-Unis, où le ministère de la culture est nulle part mais la vie culturelle partout, montre encore une fois ce que l’industrie peut apporter à la culture. Alors que le secteur musical en France fait sans cesse appel au gouvernement pour régler ses tracas internes. Un système où la loi du commerce régit les cultures, on n’en voudrait pour rien au monde. Pourtant, alors que le monde est en crise, SXSW bat son plein et le dynamisme des secteurs culturels et de l’innovation est certain. Things to think about.

Sur la même thématique et dans le cadre du focus sur le folklore Américain, vous pouvez lire les articles suivants sur OWNImusic :

- Découvrez Cheyenne by Left Lane Cruiser

- Découvrez I Don’t Wanna by Eric Bling

- Le blues vu de l’hexagone

Crédits photos CC flickr : elfike; bluestuff1966; Peat Bakke; pixajen; eric veland

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En savoir plus sur Connected Creativity http://owni.fr/2011/03/03/en-savoir-plus-sur-connected-creativity/ http://owni.fr/2011/03/03/en-savoir-plus-sur-connected-creativity/#comments Thu, 03 Mar 2011 17:02:35 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=30649 Lors du Midem, nous vous avions parlé d’un concept qui nous avait intrigué, un événement qui se nommera Connected Creativity et organisé par Reed MIDEM, en partenariat avec GMSA. Pour en savoir un peu plus sur cet événement qui malgré son titre aguicheur ne semble par faire grand bruit dans les couloirs de l’industrie, nous sommes allés interviewer Anne de Kerckhove, directrice de la division entertainment de Reed MIDEM.

C’est une première édition et si l’on connaît la démarche marchande de Reed MIDEM, on ne peut nier la qualité des salons qu’ils organisent. Bien que tout le monde se satisfasse du Ô grand MIDEM, on a voulu en savoir plus sur la première édition qui se trame et qui devrait, nous semble-t-il davantage faire parler d’elle.

La première fois que nous avons abordé le sujet, nous avons été un peu surpris par la stratégie tarifaire mise en place pour cet événement. Tout participant à Connected Creativity était d’emblée considéré comme un client du MIPTV et devait donc payer 1495€ afin d’accéder à la première. Depuis, la stratégie a été révisée et nous semble bien plus cohérente. Aujourd’hui, l’accès à Connected Creativity seul sera de 600€ alors qu’un tarif spécial Connected Creativity Forum + MIPTV a été mis en place pour les startups soit 950€ pour deux personnes.

Il restera cependant un espace commun entre les deux salon qui sera le Experience Hub, un espace d’expérimentation où les deux communautés pourront apprécier les dernières inventions en matière de nouvelles technologies liées aux contenus “culturels”.

Quand on sait que facebook, qui n’a pas pris la peine de se déplacer au MIDEM, sera présent à Connected Creativity, on se pose quand même des questions sur le dédain français vis-à-vis de cet événement. Donc, histoire de ne pas prendre dix ans de retard comme on en a la fâcheuse habitude, prenons un peu d’avance et profitons de ce qui se passe chez nous !

Entretien avec Anne de Kerckhove (directrice de la division entertainment de Reed MIDEM) :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Interview réalisé par Lara Beswick

Montage effectué par Romain Saillet

Crédit Photos

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Les DVD contrefaits piratent le métro parisien http://owni.fr/2010/09/03/les-dvd-contrefaits-piratent-le-metro-parisien/ http://owni.fr/2010/09/03/les-dvd-contrefaits-piratent-le-metro-parisien/#comments Fri, 03 Sep 2010 09:04:23 +0000 Boris Manenti http://owni.fr/?p=26851 Il est 17 heures. Koudus, un jeune homme originaire du Bangladesh, arrive à la station de métro Strasbourg-Saint-Denis. Dans le couloir principal, il étale à la hâte sur une toile des dizaines de DVD pirates. Son « travail » commence.

Comme Koudus, ils sont nombreux à déballer chaque jour des films copiés, proposés pour une somme dérisoire : deux euros pièce, cinq euros les trois. Rien à voir avec des DVD du commerce, il s’agit de CD contenant des films DivX, un format utilisé essentiellement pour le téléchargement illégal. Difficile à quantifier, le phénomène a pris de l’ampleur au cours des derniers mois.

Les vendeurs de DivX à la sauvette sont de plus en plus nombreux à investir les couloirs de la RATP mais aussi l’entrée des bouches de métro, souvent près de leurs alter-ego qui proposent ceintures, posters ou jouets à musique. « Depuis la fin de l’automne, il y a une présence beaucoup plus importante et plus visible, souligne Frédéric Delacroix, délégué général de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa). Il y a toujours eu ce type de vendeurs présents de manière sporadique, sur les marchés par exemple. À présent, ils vont jusque dans le métro et dans les rues. »

Atelier clandestin à Montreuil

Zahir est de ceux-là. Lui aussi dit venir du Bangladesh. Les CD piratés font partie de son quotidien. Chaque jour, il descend dans le métro de Saint-Lazare, République ou Marcadet-Poissonniers. Le long d’un mur, il propose aux passants et aux voyageurs ses films trois ou quatre heures durant. Il emporte toujours beaucoup de films, quatre cents, parfois plus. Selon lui, il y aurait beaucoup de ventes. Il est fier de proposer « toutes les nouveautés » : Shrek 4, L’Agence tous risques, Toy Story 3… Sur l’étal de fortune, se croisent des films déjà sortis, encore en salles, voire qui ne sont même pas à l’affiche. Bien souvent de mauvaise qualité, certains se révèlent toutefois de très bonne facture.

D’où vient cette marchandise ? Sur ce point, Zahir reste très vague : « Je vais chercher les DVD. On me les donne et j’en suis responsable. Je dois tout vendre pour être payé ». À Bonne-Nouvelle, Sani en dit un peu plus. Dans un bon anglais, il explique que « tout vient de Montreuil. Là-bas, il y a une fabrique. J’y vais et j’achète chaque DVD 1,20 euros ».

Le Nord-Est parisien, source du trafic ? « Il est très facile de monter un atelier clandestin : un ordinateur à 800 euros avec quatre graveurs suffit, estime une source proche des milieux du téléchargement illégal. Les DivX sont téléchargés sur les réseaux peer-to-peer [de la même manière que de nombreux internautes], avant d’être gravés. Le plus compliqué reste de les écouler… » C’est là qu’intervient la vente à la sauvette. Vendeurs de films ou de ceintures, tous les Bengalis présents dans le métro parisien semblent appartenir au même réseau. « On est tous frères », lance l’un d’eux à Gare du Nord. Difficile cependant de savoir de quel réseau il s’agit ou de remonter plus loin. Les vendeurs refusent de trop en dire et les douanes ou la préfecture de police n’apportent pas plus de réponse…

La menace policière

Mais la vente à la sauvette est loin d’être une pratique lucrative… pour les vendeurs. S’il récupère en moyenne 80 centimes par film vendu, Sani n’y trouve pas son compte. « Quand je vends bien,
je peux manger… Ce n’est pas le cas tous les jours », explique l’homme, SDF depuis son arrivée en France il y a un an. Un message clair de détresse émane de plusieurs vendeurs : « C’est une vie très dure ». La vente des films piratés n’est pour eux qu’un moyen de survie…

Une vente qui n’est pourtant pas sans risque. Sani raconte : « parfois, je me fais arrêter par des policiers. Je leur dis que je ne comprends pas l’anglais. Ils me demandent d’arrêter de vendre et ils me relâchent ». Koudus, lui, dit « faire attention aux policiers ». Lorsqu’ils s’approchent, un guetteur lui fait signe. La toile disposée au sol est alors repliée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et le Bengali est déjà loin. « Il faut changer souvent de lieu, pour ne pas se faire remarquer », explique Zahir prudent.

Depuis le début de l’année, plusieurs centaines d’interpellations ont eu lieu. Pourtant, la pression policière sur les vendeurs ne semble pas la panacée. « S’en prendre aux vendeurs eux-mêmes ne sert à rien, souligne l’Alpa. S’ils sont arrêtés le matin, il est clair qu’ils seront relâchés l’après-midi. »

Pour Frédéric Delacroix, il ne s’agit que du bout de la chaîne. « Comme les vendeurs de drogue, il s’agit de réseaux extrêmement structurés qui participent à toute une économie souterraine. »

Un trafic « marginal » ?

Pour quelques films piratés revendus, les vendeurs risquent de lourdes peines. Selon le code de propriété intellectuelle, les Bengalis encourent jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300.000
euros d’amende, voire plus si les faits sont commis en « bande organisée ». En théorie les acheteurs s’exposent aux mêmes peines, mais jusqu’à présent aucun n’a été poursuivi. « Comme la drogue, ce trafic n’est pas laissé au hasard par les services de police. Des investigations sont actuellement en cours… », plaide-t-on du côté de l’Alpa. Pour autant, les forces de l’ordre semblent peu impliquées. La préfecture de police de Paris juge même le phénomène « marginal ». Une sorte de tolérance des vendeurs à la sauvette semble s’être installée dans le métro parisien.

Les vendeurs ne sont donc pas vraiment inquiétés et le marché se développe alors que s’installe la loi Hadopi afin de punir prochainement les internautes qui téléchargent. Des internautes qui pourraient alors être tentés de se tourner vers un commerce de proximité. Mais la France a encore de la marge avant d’atteindre les proportions américaines ou asiatiques où la contrefaçon de DVD
atteint une ampleur industrielle. Selon une étude du think tank américain Rand Corporation, les DVD pirates rapporterait aux États-Unis « plus que le trafic de drogue » avec des « marges bien
supérieures ». Le phénomène arrive en Europe. Selon les données de la Commission européenne, si 3 millions de disques étaient saisis en 2007, le chiffre grimpait à 79 millions l’année suivante. Le
DVD pirate, comme la VHS en son temps, a encore de beaux jours devant lui.

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Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ? http://owni.fr/2010/07/01/quelle-filiere-industrielle-pour-la-numerisation-du-patrimoine/ http://owni.fr/2010/07/01/quelle-filiere-industrielle-pour-la-numerisation-du-patrimoine/#comments Thu, 01 Jul 2010 16:11:27 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=20934

Le contexte de la consultation sur le Grand Emprunt

La cacophonie et la mécompéhension autour du Grand Emprunt, et plus précisément sur le volet numérisation, font qu’on est actuellement dans une situation de crise, au sens propre du terme : quelque chose va se décider.

Au départ, c’étaient 150 millions qui devaient être alloués aux institutions pour qu’elles puissent poursuivre et accélérer les projets de numérisation ; au final ce ne sont plus que des montants de prêts (donc remboursables avec intérêts) pour favoriser la mise en place d’une filière industrielle du numérique, basée sur des partenariats publics/privés.

On sait que l’actualité de la crise économique de ces derniers mois a certainement beaucoup favorisé la formulation très libérale de la consultation publique (le développement du « machin numérique ») lancée par le secrétariat de la Prospective et du Développement de l’économie numérique. De plus, dans le cadre d’une période d’austérité et de restrictions budgétaires importantes dans les dépenses de l’État, le Grand Emprunt devient un dossier beaucoup particulièrement épineux pour le gouvernement : difficile de dire « on fait les valises et on rentre » après avoir fait de la relance par l’innovation un axe important de la stratégie française.

Deux tentations s’opposent donc entre celle du ministère de la Culture et celle du ministère des Finances : le premier veut continuer à croire à la nécessité d’une politique culturelle tandis que le second tente de radicaliser les choix qui devront être faits sur la base exclusive du principe de rentabilité. Il n’y a donc plus de consensus au sein même du gouvernement sur l’avenir du Grand Emprunt, et les différentes institutions qui doivent participer à la solution (BnF, bibliothèques municipales, INA, IRCAM, Cinémathèque, Cité des Sciences, archives, musées, etc.) ne comprennent plus la règle du jeu, qui semble par ailleurs changer chaque jour en ce moment.

La vision qui est présentée ici est une tentative de réponse à la consultation publique sur le volet numérique. Elle a l’ambition de sortir par le haut des apories dans lesquelles la question de la numérisation du patrimoine dans le cadre du grand emprunt se retrouve aujourd’hui.

La publicité est-elle la solution ?

L’activité industrielle autour de la numérisation de contenus culturels et patrimoniaux est l’activité de numérisation qui est aujourd’hui la moins rentable si on la compare aux archives, cadastres et autres documents administratifs (littérature grise). D’autre part, on sait que Google a beaucoup investi sur cette activité avec sa plate-forme Google Books dont on commence à peine à entrevoir l’ampleur. Quel industriel voudrait, dans ces conditions, prendre le risque d’investir sur un secteur d’activité à faible potentiel rémunérateur tout en ayant la machine de guerre de Google en embuscade ? Soyons clairs : personne. Il faut donc poser le problème différemment.

Commençons pour cela par évacuer toutes les fausses bonnes idées que l’on peut entendre sur le modèle d’affaire qui pourrait rendre cette filière numérique rentable. Pour cela il faut d’abord savoir que la numérisation d’un ouvrage n’est, en moyenne,  rentabilisée qu’au bout de vingt ans, uniquement en ce basant sur le service de reproduction que propose la BnF. C’est une moyenne car, bien évidemment, certains ouvrages ne font l’objet d’aucune demande de reproduction. Quand se pose la question de savoir comment ce seuil peut être abaissé ne serait-ce que sur dix années, la réponse que j’entends systématiquement est : la publicité.

La publicité est généralement le joker que l’on avance quand on est à court d’idées. Et c’est assurément le modèle d’affaire le plus simple à proposer : il me manque 100 millions ? Qu’à cela ne tienne, la pub fera le reste. Comment et sur quelles bases ? La réponse est généralement plus évasive. Faut-il monter un mécanisme et une régie publicitaire en propre ? Faut-il s’appuyer sur les solutions clés en mains proposées par Google ? Cette dernière réponse serait pour le moins ironique puisque Google aurait une part importante du bénéfice publicitaire sans avoir investi dans la numérisation. Faire sans Google, c’est à l’inverse prendre le risque de se retrouver dans le collimateur d’un industriel du web qui s’y connaît et qui a les moyens de ses ambitions.

On préférera donc essayer de composer avec Google plutôt que de le concurrencer sur son propre terrain en faisant « Cocorico ! ». Les arguments basés sur la valorisation via un modèle d’affaire fondé sur la publicité ne tiennent pas la route, encore moins quand l’on sait que la valeur publicitaire sur le web, comme l’avait écrit Tim O’Reilly dès 2007, tend à se diluer très fortement. C’est la raison pour laquelle Google doit indexer toujours plus de contenus, nativement numériques ou à numériser,  pour amortir la baisse tendancielle de la valeur unitaire et nominale de la publicité.

Que vaut le numérique ?

Retour à la case départ : comment valoriser la numérisation du patrimoine ? Songeons-y un instant, si l’on se donne tant de mal pour imaginer un modèle d’affaire viable pour une filière industrielle de numérisation, c’est peut-être parce que le numérique, de manière tendancielle, ne vaut rien. Le numérique a un coût, surtout lorsqu’on doit numériser, mais, une fois l’investissement réalisé, financièrement et en tant que tel, il ne vaut plus rien. Soyons plus précis : un fichier numérique ne vaut rien. Et c’est bien la raison pour laquelle le monde de l’édition freine des quatre fers lorsqu’il s’agit de faire circuler un fichier numérique existant (même pour en donner une copie pour archive à une institution, la plupart refusent). Un fichier numérique en circulation, c’est de la nitroglycérine pour celui qui en attend une source de revenu.

Acceptons donc cette thèse, qui est aussi une hypothèse de travail, que le fichier numérique ne vaut rien. Et vérifions cette proposition :

  • pour les institutions, c’est généralement le service de reproduction qui est la principale source de revenu, c’est-à-dire le retour à l’impression papier.
  • pour les plates-formes de diffusion de contenus numériques, on sait bien que ce n’est pas le fichier numérique que l’on paye mais un écosystème technologique (format de fichiers propriétaires, logiciels verrouillés, périphériques spécifiques, fonctionnalités d’achat rapide brevetées, etc.)
  • pour d’autres initiatives plus confidentielles mais notables (par exemple PublieNet), c’est la qualité d’une présence sur le web et la sensibilité de la communauté des lecteurs/clients qui fait la différence : entre l’éditeur numérique et les lecteurs/acheteurs, il y a un crédit et une confiance.

La valeur d’un fichier numérique a donc besoin d’un service autre que la simple diffusion pour pouvoir avoir une valeur financière.

Le service de reproduction doit devenir le premier industriel d’impression à la demande

Loin d’enterrer les poussiéreux services de reproduction, il faut les muscler. Ces services, qui aujourd’hui nous semblent d’un autre âge, doivent se doter d’un service d’impression à la demande digne des autres acteurs leaders sur ce créneau. L’économie d’échelle qu’ils peuvent avoir, qui plus est sur la base d’oeuvres particulièrement attrayantes ne peut qu’être profitable. Cette re-fondation peut ramener dix ans, au lieu des vingt actuels, le délai d’amortissement d’une numérisation.

La chose n’est pas gagnée d’avance pour autant : il faut une plate-forme web en self-service qui demande du travail, il faudra être très rapide et avoir une logistique aussi affûtée que celle d’Amazon, a minima sur le territoire français. L’objectif est clairement de livrer au domicile d’un client l’impression d’un ouvrage relié de qualité en moins de 48 heures, et à peine plus s’il y a une demande d’impression personnalisée.

Sur cette voie, il va y avoir des frictions avec les plate-formes de distribution des éditeurs de la chaîne du livre. Mais pas dans l’immédiat puisque les modèles sont actuellement différents (pas d’impression à la demande, pas de self-service et pas de livraison au particulier), mais si la plate-forme d’impression à la demande est un succès, elle pourra proposer ses services différenciants aux éditeurs (traditionnels, mais aussi numériques) : par exemple proposer des « templates » de formats variés et personnalisables. N’oublions pas que près des trois quarts du coût d’un livre représentent les coûts d’impression, de distribution, de diffusion et de points de vente.

Le cas Gallica

Comment doit s'articuler le lien entre la BnF et Gallica ?

La filière de numérisation peut donc trouver un premier modèle économique dans l’impression. Pour où l’on voit que la valorisation de la numérisation se fait d’abord sur… l’impression. Mais se pose toujours la question de la diffusion sous format numérique et en ligne. Premier constat : c’est la vocation de Gallica. On comprendra dès lors que la filière numérique qui est appelée de ses vœux par le gouvernement aura du mal à accepter de faire le travail de numérisation pour que le fruit de son investissement se retrouve diffusé en ligne gratuitement sur Gallica.

Gallica devra être repensée, et pour commencer il faut que la bibliothèque numérique quitte le giron exclusif de la BnF. Cela veut dire que Gallica aura le statut d’un établissement public-privé dans lequel l’ensemble de plate-forme technologique sera possédée et gérée par le consortium privé investissant dans la filière numérique.

Statutairement, la BnF doit garder le contrôle et la maîtrise de la politique culturelle que porte Gallica. Mais cette maîtrise ne sera plus exclusive, elle devra être partagée car si cette bibliothèque en ligne se nourrit des ouvrages numérisés, et il faudra bien un modus vivendi et des droits de quotas pour chacun : la BnF peut vouloir numériser en premier des ouvrages qui ne sont pas jugés commercialement opportun pour le partenaire privé. Un système de quotas, qui devra évoluer dans le temps, doit être mise en place. Par exemple, sur les cinq premières années, sur dix ouvrages numérisés, le partenaire privé pourra en choisir cinq, tout comme la BnF. Par la suite, les résultats de la filière numérique serviront de référent pour faire évoluer les quotas : si la filière est sur le chemin de la rentabilité le ratio peut s’infléchir en faveur de la BnF, ou l’inverse si la rentabilité tarde à se faire jour. L’essentiel est de ne pas figer la formule et d’y introduire une variable dépendant de la rentabilité, sans quoi tout l’édifice s’effondre.

Cette réorganisation du statut juridique de Gallica devra nécessairement initier une refonte de la politique de gestion des droits des oeuvres qui n’est pas opérationnelle en l’état actuel (une licence sur mesure que ne peuvent pas exploiter les robots, et que d’ailleurs personne ne comprend vraiment).

Bien évidemment, d’un point de vue technologique, la plate-forme de service d’impression évoquée précédemment sera nativement intégrée à Gallica, on peut même forcer le trait en disant que Gallica ne sera qu’un module de la plate-forme d’impression.

Les métadonnées : clés de voûte de la nouvelle filière industrielle

Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans cette consultation publique sur « le développement de l’économie numérique », il n’y est jamais question de métadonnées. Le mot n’y apparaît même pas une seule fois le long des trente-neuf pages du document. C’est proprement sidérant. Et ça l’est d’autant plus que la politique industrielle qui va être mise en place devra placer la question des métadonnées au cœur de tout le dispositif industriel.

Si l’impression à la demande était le volet diffusion papier et Gallica le volet diffusion numérique, ces deux activités passent à une niveau supérieur grâce à la politique sur les métadonnées. La richesse numérique de notre patrimoine est directement proportionnelle aux métadonnées qui le décrivent. Le trésor des institutions patrimoniales réside aussi et surtout dans leurs catalogues et leurs thesauri : tout comme on ne peut gérer un patrimoine physique sans métadonnées la question devient encore plus urgente quand l’oeuvre est numérisée : une politique numérique sans politique des métadonnées n’est qu’une chimère, un délire, une schwarmerei comme disait Kant.

Plutôt que de me répéter, je vous renvoie ici à ma note sur Les enjeux d’une bibliothèque sur le web où il était question des orages sémantiques mais aussi d’étendre la pratique de gestion d’un catalogue d’oeuvres à une pratique de gestion d’un catalogue des discussions et des polémiques relatives à ces oeuvres. Ainsi, fort de ce nouveau positionnement, et sur la base de sa nouvelle plate-forme technologique, la nouvelle filière industrielle du numérique pourra proposer des outils avancés à l’Éducation nationale pour doter l’enseignement d’un outil d’annotation et de contribution qui dépasse la vision simpliste et fade des « like », et donne enfin le pouvoir aux enseignants d’enseigner.

Chaque plate-forme de diffusion des oeuvres numériques rencontre très vite sa limite dans les faiblesses de sa politique des métadonnées. Le cas d’iTunes est représentatif : c’est une panique monstre pour faire des découvertes dans le catalogue, c’est pourtant paradoxal quand on sait que, même sur iTunes, les métadonnées (titre, auteur, artistes, jaquette, etc.) sont la vraie valeur des fichiers numériques (Cf. Quand les métadonnées ont plus de valeur que les données).

Pour les oeuvres qui sont du ressort de la BnF, le travail de bascule de l’ensemble des catalogues au format du web sémantique avec leur diffusion sur le web a déjà été initié : cette démarche est la clé de voûte, à la fois technologique et économique, de tout le système. Pour les oeuvres audios et vidéos (des oeuvres de flux), les outils d’annotation contributives (avec des métadonnées BottomUp et TopDown) doivent être développés en complément des catalogues descriptifs existants.

Le catalogage des orages sémantique permet également d’obtenir tout un appareil critique issu des informations collectées via le dispositif des orages sémantiques Si celui-ci est géré par la BnF, on peut réussir à mener une politique industrielle des technologies numérique dont le coeur du dispositif s’appuie, et trouve son crédit, dans la politique culturelle. Une logique économique exclusivement consumériste n’est pas une fatalité, loin s’en faut, car ce qui est brièvement décrit ici est un chemin vers une économie de la contribution financièrement rentable.

*

On peut donc sortir de l’alternance destructrice entre :

  • d’un côté une logique libérable de la privatisation adossée à une vision exclusive sur les retours sur investissement à court terme, grâce au dieu de la publicité ;
  • de l’autre une politique culturelle maintenue sous perfusion publique, mais à perte (la logique de la réserve d’indiens).

Que le Grand Emprunt accouche de quelque chose ou non, nous n’échapperons pas à cette lancinante question : quelle politique industrielle pour les technologies de l’esprit ? La seule réponse crédible passe par le positionnement de la politique culturelle au cœur de l’outil industriel, pas à côté. « Trade follows film » disait le sénateur américain McBride en 1912 : on va peut-être arriver à le comprendre cent ans plus tard en France, notamment pour donner au commerce et à l’économie un autre visage que le consumérisme américain.

Enfin, par pitié, arrêtons de parler systématiquement de e-tourisme dès qu’il est question des territoires. Les territoires sont autre chose que des destinations touristiques, et les régions n’hivernent pas toute l’année pour se réveiller quand les Parisiens et les étrangers prennent leur vacances. Ces modèles d’affaire sur le e-tourisme sont dangereux et méprisants.

Billet initialement publié sur le blog de Christian Fauré

Images CC Flickr Troy Holden et ►bEbO

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Mainstream: une critique, un extrait, une carte et la conclusion http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/ http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/#comments Tue, 11 May 2010 07:30:12 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=15223 [Billet publié initialement sur Bibliobsession, le blog de Silvère Mercier, bibliothécaire]

Intéressant livre que j’ai eu la chance de recevoir en Service de Presse. (Merci !). Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde de Frédéric Martel (animateur de l’émission Masse critique sur France Culture) est une vaste enquête sur la culture mondialisée, constituée d’une série d’entretiens commentés et remis en contexte. L’ensemble est à la première personne ce qui est un choix peu habituel sur un tel sujet, mais qui a le mérite de rendre la lecture moins fastidieuse qu’une analyse géopolitique des industries créatives… (car tel est bien le sujet de ce livre).

Attention, amis de la culture avec un grand C passez votre chemin (ou pas) on ne parle pas ici d’œuvres ni d’artistes, mais bien de produits, de stratégies, de marketing, de luttes d’influence entre multinationales pour occuper notre temps de cerveau ! Ces préalables posés, il est intéressant je trouve de prendre la mesure de ces phénomènes massifs, même si nous sommes ici du côté de l’offre ce qui comporte des limites certaines au projet, exposées dans ce résumé du livre de J-P Warnier : La mondialisation de la Culture (2003) :

J.-P. Warnier considère que les théories de la convergence culturelle se sont révélées fausses. Toutes les visions macrosociologiques sont victimes d’un contresens méthodologique : leur objet d’étude étant la production de biens culturels au niveau mondial, elles privilégient l’étude de l’offre. Or, si l’analyse se concentre sur la réception au niveau local de ces biens, on constate alors que cette offre mondiale est « décodée, recodée, domestiquée et réappropriée ». L’auteur critique ainsi toutes les théories globalisantes, qu’elles soient culturalistes, comme celle d’Huntington (qui privilégie les revendications culturelles comme facteur explicatif des conflits), ou politiques, comme celle de Ramonet (dont la géopolitique mondiale expliquerait les phénomènes culturels). Il faut privilégier une approche anthropologique, qui permet une lecture du fait culturel local : l’auteur se rattache ouvertement à la thèse de J.-F. Bayart selon laquelle la dynamique sociale et les conflits qui en découlent « mobilisent et structurent les identifications culturelles » en fonction des intérêts des groupes sociaux. Finalement, l’américanisation est, pour l’auteur, un faux débat : la modernité aurait plutôt à faire face à « l’éclatement des référents culturels ». La tradition locale, le terroir sont encore des leviers puissants de différenciation culturelle.

Quoi qu’il en soit, on comprendra mieux par exemple la vivacité de la lutte de la MPAA contre le piratage aux USA en considérant la place du copyright dans l’écosystème économique des industries créatives! Pour autant, il me semble que ce livre est bien trop léger sur les impacts du numérique sur les stratégies des industries créatives.

Et pour cause, les entretiens ont déjà quelques années et le secteur évolue à vitesse grand V, l’ensemble donne l’impression d’une photographie déjà jaunie. On peut se demander par exemple si l’enjeu n’est pas plus aujourd’hui dans le contrôle des data centers que dans le nombre de multiplexes implantés sur un territoire…

Malgré tout, on apprendra comment Murdoch s’est cassé les dents en Chine dans les années 90 et comment l’Inde représente le nouvel Eldorado pour les industries créatives Américaines. Très intéressant aussi de voir comment les pays émergents essaient de construire leur propres industries créatives face aux Américains.

On se rend compte que l’impérialisme US est bel et bien à relativiser (en même temps on le savait déjà…) ! Les USA sont en effet bien moins idéologiques qu’on ne le pense, à voir leur capacité d’adaptation à des marchés étrangers, on se rend vite compte qu’il s’agit bien plus de capitalisme en bonne et due forme qu’une volonté d’imposer une domination culturelle (même si l’un est étroitement lié à l’autre).

Voilà en passant, un instantané des industries créatives dans la Chine d’aujourd’hui qui m’a intéressé, extrait :

“En discutant avec un marchand de CD et de DVD à Shanghai, j’ai compris pourquoi les DVD de contrefaçon ressemblaient tellement aux véritables DVD : “Ne soyez pas stupide, m’a dit le vendeur (sous condition d’anonymat, et traduit par mon interprète). Ce sont bien sûr les mêmes usines qui fabriquent les DVD légaux et ceux qui sont illégaux. c’est exactement comme pour les stylos Montblanc et les montres Rolex.” Et dans le magasin, il m’a montré les DVD “vrais” mêlés aux “faux” – et vice versa. Les Américains, eux aussi, ont compris la ruse et ils ont trouvé cela moins drôle que moi. Ils ont même constaté, en se livrant à un petit exercice d’espionnage, en modifiant certaines images d’un film test, que les longs métrages qu’ils soumettaient à la censure chinoise se retrouvaient au marché noir même lorsqu’ils étaient refusés – détournement ahurissant qui en dit long sur l’état de la corruption dans la Chine communiste. Du coup ils ont attaqué la Chine devant l’OMC pour atteinte aux lois internationales du copyright et pour dénoncer son laisser-faire en matière de piratage sauvage. (Plusieurs de mes interlocuteurs font également l’hypothèse que les Américains diffusent délibérément leus films sur le marché noir pour habituer les Chinois aux blockbusters qu’ils ne peuvent pas diffuser légalement.) “On ne peut pas arrêter le piratage, relativise cependant, à Hong Kong, Gary Chan Chi Kwong, le patron d’East Asia Media, l’une des plus importantes maison de disque en Asie. C’est la même usine qui fabrique les CD légaux et les autres. On sait ça. On garde un œil ouvert et un œil fermé : on essaie de lutter mais on laisse faire aussi, car c’est absolument impossible d’arrêter la contrefaçon.”

Ce passage me semble révélateur des ambiguïtés de la lutte contre le piratage, entre sauvegarde d’un modèle économique inadapté, nouveaux usages massifs, mais aussi (et on l’oublie souvent dans les discours sur le piratage) enjeux géopolitiques de conquête de nouveaux marchés de la culture mondialisée.

Pour conclure, un livre intéressant, mais qui sera vite dépassé… Je vous propose cette petite carte heuristique faite par mes soins à partir de la conclusion de ce livre, soyez indulgents, il s’agissait d’être vraiment synthétique et de fixer quelques idées !

Enfin, la bonne nouvelle, c’est que vous pouvez lire en intégralité ici la conclusion du livre:

Illustration CC Flickr par Express Monorail

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J.J. Abrams est free et il a tout compris ! http://owni.fr/2010/05/08/j-j-abrams-est-free-et-il-a-tout-compris/ http://owni.fr/2010/05/08/j-j-abrams-est-free-et-il-a-tout-compris/#comments Sat, 08 May 2010 16:23:33 +0000 Alexis Hyaumet http://owni.fr/?p=14986 Il y a quelques heures, vient d’être mise en ligne (illégalement) la première bande-annonce d’un film mystère baptisé Super 8. Le projet est entre les mains du réalisateur J.J. Abrams, dont la notoriété est bel et bien confirmée depuis le succès de son Star Trek sorti l’an dernier. Il s’associe aujourd’hui avec Steven Spielberg sur ce film dont ne transpire aucun pitch ou synopsis, sachant que nous avions eu, pour la première fois, vent de ce Super 8 il y a moins de quinze jours.

J.J. Abrams est connu, avant tout, pour ses productions télévisuelles avec des séries à succès comme Alias, Lost ou plus récemment Fringe, mais aussi au cinéma avec la réalisation du troisième Mission: Impossible et du reboot de Star Trek, ainsi qu’à la production du film concept de monstre gigantesque filmé au caméscope DV : Cloverfield.

Ces différentes productions ont fonctionné tout de suite, car Abrams sait créer et entretenir ce que l’on appelle plus communément un buzz (ou un ramdam pour les plus francophiles d’entre nous).

Il provient d’une nouvelle génération de cinéastes américains ayant grandi avec l’Internet et sait comment chercher et captiver l’attention de son public. Dans ses coups de maître, on peut noter une bribe de bande-annonce (comme c’est le cas aujourd’hui pour Super 8) pour Cloverfield présentée avant le premier Transformers, sans que la presse ou autre média ne soient avertis de cette programmation. Seule une ligne de texte dans les instructions de programmation envoyées aux projectionnistes, indiquait la présence d’une bande-annonce précédant le film principal.

Mais le titre, qui allait devenir plus tard Cloverfield, n’apparaissait même pas à la fin de la soi-disant bande-annonce. Seule la date de sortie restait affichée sur l’écran, laissant une vague de spectateurs, aigris mais conquis, déchainer leur frustration sur la toile. Pour Star Trek, des scènes ont été tournées spécialement pour la première bande-annonce – elle aussi diffusée dans les salles sans crier gare.

Le monde s’adapte… surtout sur Internet.

Un mot est passé comme quoi une bande-annonce mystère serait diffusée juste avant Iron Man 2, un projectionniste avait vendu la mèche, sans pour autant savoir de quel film il s’agissait. Il fallut attendre les premiers échos des spectateurs et des screaners (ces vidéos filmant un écran de cinéma avec un caméscope) pour constater qu’il s’agissait bien du projet Super 8, annoncé quelques jours plus tôt. Il faut surtout noter que l’on ne retrouve pas cette traque systématique des vidéos piratées, supprimées avec un acharnement des plus féroces par les majors lésées de leurs copyrights.

Il y a ce choix délibéré de laisser libre court au parcours illégal de cette vidéo et de laisser couler l’encre sur le papier, ou plutôt les posts sur les forums, pour que le buzz s’entretienne de lui-même. Plus besoin de campagnes promotionnelles tapageuses avec des coûts exorbitants !

Avec une culture du secret absolu, entretenue autour de ses projets et leurs tournages, associée à un bon plan com’, J.J. Abrams a su rapidement et sait encore capter son audience avec cette bande-annonce mystérieuse, qui montre plus qu’elle n’explique !

Dans quelques jours, nous aurons le droit à sa mise en ligne officielle  et en haute définition sur le site d’Apple consacré aux bandes-annonces, avec (peut-être) une ligne ou deux nous révélant enfin ce qui se trame derrière tout ce ramdam.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Billet initialement publié sur iGénération(s), un blog de Culture Visuelle

Illustration CC Flickr 917press

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Oui, on peut encore gagner de l’argent avec sa musique http://owni.fr/2010/05/06/oui-on-peut-encore-gagner-de-l%e2%80%99argent-avec-sa-musique/ http://owni.fr/2010/05/06/oui-on-peut-encore-gagner-de-l%e2%80%99argent-avec-sa-musique/#comments Thu, 06 May 2010 10:38:33 +0000 Virginie Berger http://owni.fr/?p=14574 Ancienne directrice marketing de MySpace, Virgine Berger anime le blog Don’t Believe The Hype. Dans cet article, elle fait la liste de l’ensemble des stratégies gagnantes pour les artistes à l’heure du web social. En effet, de nombreux artistes, connus ou pas, choisissent d’utiliser Internet afin de se connecter à leurs fans, ce qui permet d’augmenter leurs revenus. Une façon de revitaliser une industrie du disque moribonde.

Retrouvez Virginie Berger sur Twitter

Oui, on peut encore gagner de l’argent avec sa musique…

….mais différemment.

2,5% de la production musicale représente 70% de la diffusion radio…Et l’an passé, 90 % des revenus des ventes en ligne sont allés à seulement 10 % des groupes. Il devient de plus en plus dur de développer et exposer de nouveaux talents, or c’est là que tout reste à faire.

On entend souvent l’expression “S’adapter ou mourir” concernant les maisons de disques. Je suis d’ailleurs la première à l’utiliser…

Ça peut sembler exagéré, menaçant… mais pour l’industrie musicale, il s’agit des deux seules alternatives. Et elles n’ont jamais semblé aussi réelles. Dans les prochains mois, EMI pourrait très bien disparaître. Et toutes les grandes maisons de disques se jettent à corps perdu dans des batailles perdues d’avance.

Alors que leur principal concurrent est la gratuité, elles ne se focalisent que sur l’éradication du partage de fichiers illégaux alors qu’elles devraient rentrer en concurrence frontale avec le gratuit et proposer des produits à forte valeur ajouté.

Imaginons que les maisons de disques aient compris cela il y a 10 ans au lieu de faire de la lutte contre le téléchargement illégal le cœur de leur business model. Nous aurions des fichiers DRM Free et un Itunes interopérable depuis des années…

S’adapter ou mourir donc…

Mais il reste de nombreux et différents leviers de monétisation (voir mon article sur http://digitalmusic.tumblr.com/post/330391306/quels-sont-tous-les-canaux-de-revenus-potentiels-pour) et de nouveaux business modèles émergents, permettant aux artistes (comme aux labels) de pouvoir vivre de la musique.

Le marketing direct to fans – ensemble d’actions marketing se concentrant principalement sur la monétisation de la relation artiste et fan – est en plein développement. Ce business model ne dépend plus uniquement de l’air play radio ou les diffusions de clips en TV. Il dépend principalement de la relation entretenue entre les artistes et leurs fans.

Mike Masnick (rédacteur en chef de Techdirt) l’a très bien théorisé avec cette formule :

Connecting with Fans (CwF) + Providing a Reason to Buy (RtB) = $$$

En résumé, trouvez vos (vrais) fans, fidélisez les, donnez leur une raison d’acheter et à cette condition vous gagnerez de l’argent.

De nombreux artistes, maintreams ou indépendants ont radicalement changé de modèle marketing pour utiliser principalement le marketing direct to fan avec succès. Parmi les plus connus, citons les exemples de Nine Inch Nails, Radiohead, Imogen Heap, Amanda Palmer, David Byrne, les Beastie Boys, Weezer, Jonah Matranga, Exsonvaldes ou Cyril Paulus pour la Franc e…

Cela peut sembler assez facile: l’artiste entre en contact avec ses fans, leur donne une raison d’acheter et monétise. Mais comment savoir qui sont ses fans? Comment rentrer en contact avec eux?

Comment attirer leur attention quand il y a à peu près 6 millions d’artistes sur MySpace? Cela peut paraître simple pour NIN et Radiohead, qui ont bénéficié du soutien de leurs labels pendant des années, et qui possédaient un public déjà très important lorsqu’ils ont décidé de quitter leurs labels respectifs. Alors comment un artiste en développement, seul, peut émerger, attirer l’attention et gagner de l’argent?

Est-ce que le marketing direct to fan n’est pas mieux adapté aux artistes établis ou réfugiés des majors ?

En fait, cela est très simple si vous comprenez bien l’essentiel de ce modèle.

Le cas Trent Reznor

Trent Reznor, l’homme derrière le groupe Nine Inch Nails, a fait de très nombreuses expériences qui démontrent bien comment fonctionne ce modèle. Il en est même devenu le véritable précurseur et chef de file.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Reznor a toujours fait en sorte d’être proche de ses fans et a créé un des meilleurs sites d’artiste, avec forums, chat rooms et de nombreuses possibilités d’interaction. Il encourage également les fans a réellement interagir les uns avec les autres.

Alors que Warner Music a bloqué tous les clips de ses artistes sur Youtube pendant des mois, Reznor regroupe sur la home page de son site web toutes les vidéos prises par ses fans lors de ses concerts (il encourage ses fans à prendre photos et vidéos). Il a même créé une application Iphone gratuite qui permet à ses fans de se retrouver, de communiquer les uns avec les autres, et de partager photos et vidéos.

Tout le propos de Reznor est de bien comprendre comment attirer et se connecter avec ses fans et de les aider à mieux se connecter les uns aux autres, comme s’ils faisaient partie d’un club.

Et à partir de là, on a toutes les raisons d’acheter (Rtb=Reason to buy). Et Trent Reznor donne toutes les raisons d’acheter. Récemment, il a décidé de mettre en ligne gratuitement tout ce qu’il enregistrait. En effet, sachant que sa musique sera de toute façon sur les sites de partage de fichier, il ne voit aucune raison de perdre son temps à combattre cet état de fait.

Par contre, il ajoute à sa musique tellement d’options que les gens ont de toute façon envie de l’acheter. Lors de la sortie de son album Ghosts I-IV, il a mis en ligne tous les titres sous une licence Creative Commons permettant à tout le monde de les partager en ligne gratuitement.

Mais il a également mis en place des “raisons d’acheter” très simples. Vous pouviez acheter le CD 2 disques pour 10 $. Vous pouvez également acheter le Deluxe Edition pour 75 $ (coffret, CD, DVD, Blu-ray et un album photo).

Il a également mis en vente 2500 exemplaires d’un coffret Ultra Deluxe limited Edition à 300 $. Avec le coffret, vous aviez CD, DVD, Blu Ray, Vinyls de haute qualité et album de photos très rares sur une impression haute qualité. Mais, le plus intéressant est que Reznor a signé lui-même tous les coffrets. De sa main.

Au final, il a vendu en moins de 30 heures les 2.500 coffrets pour un total de 750.000 $.

Si l’on regarde de près les chiffres de Reznor, on s’aperçoit qu’il donne sa musique, soit, mais que cela ne signifie pas qu’elle est gratuite.

En étant toujours au plus près de ses fans, il leur a donné une raison d’acheter. Et c’est ce qu’ils ont fait !

Dans la seule première semaine de sortie de son album, Trent Reznor a engrangé 1,6 million de dollars.

L’idée que l’on ne peut pas rivaliser avec le gratuit ou que le gratuit signifie qu’il n’y a pas de business model est un mythe. Quand la musique devient gratuite, cela ouvre de nouvelles opportunités pour des business modèles efficaces.

Le dernier album de Reznor, « The Slip », sorti il y a quelques mois, était également gratuit. Mais il est sorti le jour même de l’annonce de la tournée de la prochaine tournée de Nine Inch Nails. Ce que Trent Reznor demandait ? De lui laisser une adresse email si vous téléchargiez son album. Dès que vous aviez donné votre email, vous pouviez ensuite télécharger ses titres, en format FLAC (meilleur que le simple MP3).

Mais comme vous aviez laissé votre adresse email, vous avez donc reçu un email vous informant de la tournée, dans votre ville ou pas loin… et les tickets sont partis à toute vitesse.

La musique gratuite n’a pas nui à la capacité de Reznor à gagner de l’argent. Elle l’a même renforcée.

Alors oui me direz-vous mais Reznor n’est vraiment pas représentatif. Car après tout, sa fanbase, il l’a construite alors qu’il était encore signé sur un label. Et c’est ce « vieux modèle » qui lui a permis de sortir des albums, d’en faire la promotion, de construire sa fanbase et devenir une star du rock.

Alors même si on peut ergoter sur la conséquence réelle de sa signature dans un label dans la réussite actuelle de Reznor, il est intéressant d’étudier comment ce modèle marche pour de nombreux artistes, très différents, des superstars aux artistes en développement.

John Freese: une stratégie radicale

Josh Freese est un batteur, qui apparaît sur plus de 100 albums et se produit avec de nombreux groupes. Il a joué avec Nine Inch Nails, Guns N’Roses, Sting, Devo, The Vandals, The Offspring. Pourtant, en dehors des cercles spécialisés, il n’est pas vraiment connu. Quand il sort son deuxième album solo, Since 1972 , en mars 2009, il décide de mettre en place un système similaire à ce qu’avait fait Reznor sur Ghosts I-IV mais adapté à sa propre personnalité – En résumé, un peu extrême…

Il y avait donc la possibilité d’acheter la musique et les CD pour vraiment pas cher. Mais pour 50 $, John Freese vous appelait directement et vous pouviez lui parler 5 minutes, en lui posant toutes les questions que vous vouliez sur lui ou ses amis. Pour 250 $ vous pouviez déjeuner avec lui et pour 500 $ vous déjeuniez dans un restaurant très haut de gamme. Les déjeuners se sont vendus en une semaine environ.

À 2.500 $ (dans la limite de 5 packages), il vous donne une leçon de batterie (et vous pouvez garder une de ses caisses claires). Vous pourrez également visiter le musée de cire de Hollywood avec Freese et un de ses amis rockstar (à choisir dans une liste). Et puis vous pourrez aussi choisir 3 vêtements dans sa garde robe et les garder.

A 10,000 $, vous dinerez avec Freese et un de ses amis rockstar, avant d’aller à Disneyland toujours avec Freese. Et à la fin de la soirée, vous garderez la Volvo break de Josh – après l’avoir déposé chez lui. Evidemment, il n’y avait qu’un seul package de disponible.

Il y avait aussi des packages à 20.000 $ et à 75.000 $ avec des offres comme avoir Freese comme batteur dans votre groupe ou l’avoir comme assistant personnel pendant quelques semaines. Vous pouvez aussi partir en tournée avec lui. Il pourra même écrire et enregistrer une chanson sur vous. Un adolescent de Floride avait acheté l’option à 20.000 dollars, et a passé une semaine avec Freese, dont une nuit sur le Queen Mary, une soirée pizza chez et avec Mark Mothersbaugh (de Devo) et un mini-golf avec le chanteur de Tool.

C’est quoi être un artiste maintenant?

Alors là, on me dira, oui, mais est-ce qu’un artiste doit faire ça, ce n’est vraiment pas son métier… Oui mais d’abord, c’est quoi être un artiste maintenant? ne doit-il pas se poser la question constamment de comment monétiser, de comment se rendre visible, aller chercher du public..Et puis enfin, personne n’a obligé Freese à quoi que ce soit. Il a composé ses packages et s’est amusé tout seul. Et il ne conseille à personne de le faire. ET je ne le conseille pas non plus, ce qu’a fait Freese est plutôt radical.

Mais en se faisant connaître, en créant sa base fans, en leur donnant quelque chose qui avait réellement de la valeur (et qui lui plaisait), il a crée un business model qui a marché.

Bon, alors oui, d‘accord me dira t’on, mais Freese est un produit de la vieille industrie, il a des amis rock stars, ce n’est pas juste…

Jill Sobule: être proche de ses fans pour financer son album

Parlons alors de Jill Sobule, qui avait produit un hit en 1995 avec “I Kissed A Girl” (non non pas celui de Katy Perry). Depuis, elle a été virée par 2 majors puis 2 labels indépendants. Elle a donc décidé de faire appel à ses fans pour financer son nouvel album. Elle était déjà proche d’eux via Facebook, en lançant des concours tous les jours, en chattant, répondant aux questions…

Elle a donc lancé son site web «Jill’s Next Record» en offrant, comme Reznor et Freese de nombreux packages pour inciter ses fans à financer son album. En payant 200 $, ils avaient par exemple un accès gratuit à tous ses concerts. Ils pouvaient même avoir leur propre chanson de remerciement. Pour 5000 $, elle fait un concert chez vous, et n’a aucun problème à ce que vous fassiez payer l’entrée. Elle a fait environ 6 concerts. Pour 10,000$, vous pourrez chanter sur l’album. En fait, au départ, elle avait proposé ce package comme une blague, mais une femme au Royaume-Uni l’a acheté. Jill l’a donc fait venir à Los Angeles pour lui faire faire les chœurs sur son album.

Son objectif était de recueillir 75,000$, sans avoir aucune idée de ce qu’elle pourrait récupérer. Au final, elle a levé 80.000$ en 53 jours. Grâce à ça, elle est rentrée en studio, elle a enregistré son album et a pu embaucher un producteur.

Encore une fois, là vous pourrez me dire « oui, mais bon, elle avait enregistré un titre en 1995, alors ça compte pas.. », sauf que bon, depuis 1995, elle a été virée de 4 maisons de disques…

Corey Smith: donner sa musique peut rapporter gros

Alors, parlons de Corey Smith. Début 2000, Smith était un professeur de lycée, et artiste nuits et week-ends. Il a décidé de se consacrer uniquement à la musique. Il a commencé à tourner, en se concentrant particulièrement sur la construction de sa fan base en utilisant son site et réseaux sociaux.

Il donnait toute sa musique gratuitement sur son site web pour ramener des gens à ses concerts. Il offrait également des tickets en pré-vente à seulement 5$ (pour ses concerts), ce qui incitait ses fans à justement élargir le cercle en incitant famille, amis à en acheter. Il a donc considérablement développé sa fanbase. Il a également essayé différentes expériences et notamment celle de ne plus donner gratuitement sa musique sur son site web. Résultat: ses ventes sur Itunes ont diminué.

En 2008, Corey Smith a gagné près de 4 millions$, en grande partie grâce aux concerts qu’il a initié grâce à son site et réseaux sociaux. Et tout en donnant sa musique gratuitement, il a tissé des liens avec les fans en leur donnant une raison d’acheter.

Fanfarlo + Stratégie numérique réussie = succès

Fanfarlo est également un très bon exemple de l’utilisation du marketing direct to fan pour un groupe en développement. L’album du groupe, alors seulement travaillé par leur maison de disque sur Itunes s’est vendu à 850 exemplaires.

Le groupe, en reprenant la main sur son marketing et en s’associant avec TopSpin Media a alors vendu 13 000 albums. Sans compter l’accroissement très important du public à leur concert et l’augmentation des ventes de merchandising.

Ils ont appliqué différentes techniques, très simples, déjà utilisées avec succès par les vétérans du Direct to Fan (Nin, Weezer, Beastie Boys…): site web constamment remis à jour, points d’accès digitaux multiples mais très simplement gérés Flickr, YouTube, Facebook…), newsletters, emails, recommandation de groupe plus connus (Sigur Ros en l’occurrence a beaucoup recommandé Fanfarlo comme avait pu le faire John Mayer avec Passion Pit), offre de promotion spéciale sur l’album vendu à 1$ pendant quelques jours, applications et widgets…

Donner leur musique à 1$ n’a pas fait baisser les ventes. Bien au contraire. Cela a attiré de très nombreuses personnes sur le site. Qui ont écouté la musique. Puis acheté l’album et différents packages.

Alors bien sûr, tout le monde ne peut pas se payer le luxe d’être recommandé par Sigur Ros.

The Lights Out et le hashtag magique

The Lights out, groupe basé à Boston souhaitait développer leur visibilité et acquérir de nouveaux fans pour leurs tournées. Ils ont donc décidé d’organiser des concerts flash mob via twitter. Ils ont demandé à leurs followers quels étaient les meilleurs endroits, ont créé un événement sur Facebook, puis un hashtag sur Twitter pour regrouper tous les messages. Ce qui a décuplé l’intérêt des followers de leurs followers qui voulaient en savoir plus sur le pourquoi de l’hashtag, et ce hashtag s’est vite transformé en générateur de viralité. Le groupe a continué à twitter de l’événement et après, en repostant des photos, des commentaires. Au final, 70,000 impressions (couverture medias, twitter, twitpic) sur eux.

Jonathan Coulton: un morceau gratuit par jour

Jonathan Coulton était un programmeur informatique. En septembre 2006, il a décidé d’écrire, d’enregistrer et de sortir une nouvelle chanson par semaine pendant un an – toutes publiées sous licence Creative Commons, (ce qui veut dire que n’importe qui peut les partager). Et ça a bien été partagé.

Coulton est devenu une vraie sensation sur le web, et de plus en plus de fans le suivaient. Certains ont même créé des vidéos pour ses titres. Il vit maintenant de ses tournées, qu’il a initiées via le web. Il est également connu pour ses petites phrases comme “…you’ve got a more advanced recording studio in your laptop than the Beatles had when they made Sgt. Pepper’s, so record your music yourself.” Ou “Send out a million pieces of yourself to interact with potential fans. If they’re out there, they’ll find you — and hopefully sometime after that, give you money.”

Moto Boy: l’avenir est dans les boîtes à musique

Moto Boy est un auteur-compositeur interprète suédois sur le label « Songs I Wish I Had Written ».

Moto Boy et son label ont décidé de mettre tous ses titres sur les sites de partage de fichiers y compris The Pirate Bay. Mais dans le même temps, Moto Boy travaille beaucoup pour se connecter et interagir avec ses fans. Sur son site web, il encourage les fans à interagir avec sa musique. Quand ces fans ont commencé à filmer ses concerts et à les poster sur Youtube, son label a été cherché les meilleures pour les regrouper et en faire un « maxi concert YouTube ». Rien à voir avec certains labels qui forcent les artistes à retirer le contenu.

Même si sa musique est gratuite, il continue à se connecter de manière étonnante avec ses fans. L’année dernière, il a vendu sa musique dans des coffrets boites à musique. Il a même lancé des boites à musique en édition limitée (25) fabriquées à la main, signées par lui-même, avec un CD , les partitions et paroles. Tisser des liens avec les fans et leur donner une raison d’acheter au-delà de la musique a fait de Moto Boy un artiste reconnu en Suède.

Amanda Palmer: Do It Yourself 2.0

Amanda Palmer est la chanteuse des Dresden Dolls, un « duo punk cabaret » et a enregistré un album solo sur le label Roadrunner (filiale de Warner Music). Comme elle a trouvé qu’ils géraient plutôt mal sa promotion, elle a décidé de prendre les choses en main.

Elle a donc été chercher ses fans directement sur les réseaux sociaux, en étant notamment très active sur Twitter. Elle a ensuite offert des concerts flash un peu partout où on l’appelait. En Juin 2008, elle a fait un concert flash sur une plage de Los Angeles en proposant un titre qu’elle avait écrit le matin même suite à la suggestion d’un fan sur Twitter.

Ça a donné un super clip vidéo tourné par un fan. Elle a réussi à créer également son propre business model. Un soir, en discutant avec ses fans sur Twitter, elle a lancé l’idée de faire du merchandising avec des t-shirts qu’elle customiserait personnellement. Elle a tout mis en place en quelques heures (via des sites de merchandising sur internet) et a vendu pour 11.000 dollars de merchandising en quelques jours. Une autre nuit, via sa webcam, elle a lancé en direct une vente aux enchères en ligne pour différents articles de sa tournée, qu’elle personnalisait. En trois heures, elle a gagné 6.000 $.

Il y a encore quelques semaines, elle disait n’avoir toujours pas touché la moindre redevance de la part de son label sur son album.

Elle vient de quitter son label, et a écrit de nombreux articles sur sa nouvelle liberté et sa volonté de travailler et monétiser différemment sa musique.

Matthew Ebel: l’abonnement pour vivre de sa musique

Matthew Ebel est un chanteur de Boston qui a commencé à construire sa fanbase en jouant en live et en étant très actif sur les réseaux sociaux. Il a ensuite décidé de lancer son propre abonnement « backstage ». Pour 5$, 10 $ ou 15 $ par mois, les fans ont accès à différentes prestations, dont l’accès à des nouveaux titres toutes les semaines.

Selon leur abonnement, ils ont accès à des concerts, des cadeaux surprises, du merchandising ou des prestations uniques. Au final, Ebel réussit à vivre de sa musique à plein temps. Les abonnements représentent près de 40% de ses revenus, le reste provient de ses concerts, ventes de CD et ventes digitales. Tisser des liens avec les fans et leur donner une vraie raison d’acheter a fait en sorte qu’il peut avoir une carrière de musicien.

Moldover: l’avenir est dans les boîtes à musique

Moldover est un musicien électro de San Francisco. Il a eu une idée rigolote pour son nouvel album. Faire de la boite du CD un instrument de musique à lui tout seul. En cliquant sur un bouton, on a accès à tous les titres, avec possibilité de modifier et jouer avec. Il y avait même des capteurs de lumières et la possibilité de brancher la boite à son PC ou à un système audio.

Au final, alors que les CD étaient vendus à 50$, la demande a été beaucoup plus forte que l’offre. Donc même si on nous dit que personne ne paie pour la musique, en proposant quelque chose de très différent, cet artiste moins connu a réussi à attirer l’attention sur lui et à vendre.

Cyril Paulus: en France, Internet marche, aussi

Cyril Paulus est un chanteur compositeur, ayant sorti un album chez Sony en 2006, et remercié par sa maison de disque en Février 2009. Il a lancé sa propre plate-forme.

Le postulat de base était qu’il voulait faire en sorte que ses fans entendent son album. Il a donc décidé de ne pas le vendre mais de vendre un abonnement à son site. Il y a 3 formules 1 mois, 6 mois, et 12 mois, celui d’un mois coûte 6,99€ (ce qui revient à dire que rien que pour l’album, c’est 30% moins cher que sur les itunes et autres).

Il offre donc à ses abonnés le nouvel album, tous ses anciens titres en écoute illimitée, ses nouveaux titres au fur et à mesure, et d’autres avantages, comme une webtv qui diffuse en continu et propose des émissions spéciales 2 fois par mois, une messagerie vidéo pour que ses fans puissent se filmer et envoyer des messages, à lui ou à la communauté (encore une fois interaction entre les fans et lui et entre la communauté), et par la suite, des tarifs réduits sur les places de concerts…

Pour ça Cyril s’est formé à Final Cut pour la vidéo, a investi dans de bonnes caméras, a financé l’enregistrement de son album, s’est greffé une case “chef d’entreprise” et a rationalisé chaque centime investi…

Résultat : ouverture le 15 décembre 2009 et ça marche. Comme il dit, il est 10 fois plus heureux quand un abonné décide de renouveler son abonnement pour un an, que quand il vendait 100 albums en 2007.

Tout ça ressemble beaucoup à ce que fait Trent Reznor me direz-vous. Oui, sauf que Cyril Paulus n’avait jamais entendu parler de ce que faisait Trent Reznor. Preuve que ce Direct To fan semble naturel à beaucoup d’artistes.

Charly et sa drôle de dame: le saut dans l’Internet

Charly et sa drôle de dame est un artiste en développement, mais en vrai de vrai développement. Il a commencé il y a quelques années et toujours pas de label, de tourneur, de manager, de fans…

Qu’est ce qu’il a fait?  Il s’est remis en question et s’est dit que sa communication n’est peut-être pas la meilleure. Il investit donc Twitter, arrive à se construire une petite communauté de fans, construit un site à son image, se bâtit une histoire…  le résultat : il n’a toujours pas de tourneur, de manager, mais il a des fans. Et son nom commence à circuler, sa signature commence à être reconnue… en quelques mois, il a fait plus qu’en quelques années.

Exsonvaldes dans ton salon

Exsonvaldes est un jeune groupe rock folk français. Troisième album soit, mais pas beaucoup de visibilité media. Qu’importe, inspiré par l’exemple de Jonah Matranga aux Etats-Unis, déjà très actifs sur Internet (ils sont sur Twitter, Facebook, ont leur propre site et un Bandcamp), ils décident de développer leur visibilité et leur fan base en faisant des concerts en appartements.

Ils lancent une invitation un peu comme une boutade à la fin d’un concert (« Hé, on va dans telle ville, quelqu’un pour nous accueillir chez lui pour un concert ? »), et au final ont fait un peu plus de 40 concerts en appartements maintenant (en plus de leur tournée). Le résultat : augmentation de leur notoriété, visibilité, et de leur fans base (oui car celui qui invite invite des gens qui ne connaissent pas forcément Exsonvaldes) et des ventes de leur merchandising.

En effet, ils vendent du merchandising à la fin de chaque concert en « pay what you want » (vous donnez ce que vous voulez). Au final, ils gagnent 20% de plus sur le merchandising que sur des prix fixés. Pourquoi? Grâce à l’interaction. Assister à un concert gratuitement, qui vous plaît, avec un artiste à quelques mètres de vous, ça crée un vrai lien émotionnel. Et ça se voit sur les ventes…

Bien sûr, ce ne sont que des artistes, mais tous ces nouveaux modèles sont en train d’impacter l’écosystème.

Des entreprises innovantes pour soutenir ses artistes 2.0

De nouvelles entreprises se sont créées, comme TopSpin, Nimbit et Kickstarter pour soutenir les artistes (et/ou les labels) dans ces évolutions. TopSpin aide les artistes (et/ou labels) à mieux communiquer avec leurs fans et à monétiser. Et on constate que quand c’est bien fait, les gens achètent. Par exemple, un artiste travaillé par TopSpin voit le panier moyen de ses fans atteindre les 100 $, et plusieurs artistes ont un panier moyen de fans à 50 $.

Dire que les gens ne veulent que la gratuité n’est pas corroboré par ces exemples. Dans l’ensemble les artistes utilisant TopSpin ont panier moyen d’achat par les fans à 20 $ …donc plus que le prix d’achat d’un CD.

Et, bien sûr, les labels ont un rôle à jouer. Il s’agit d’un business model pour les artistes et pour les labels. Le futur est le direct to fans. Et ce futur est le même pour les labels.

D’ailleurs, certains labels comme Universal Motown indique que les artistes qui ne comprennent la nécessité et la responsabilité de communiquer avec leurs fans ne sont probablement pas des artistes qu’ils signeront:

There may be some indie hipper-than-thou artists who want to let the music speak for itself, they are probably not for us. We believe an artist has a responsibility to communicate with their audience…We embrace the world of technology and the vast improvements in communication.

Cameo Carlson, executive vice president at Universal Motown Republic Group.

Dans ces domaines, Universal Music vient d’ailleurs de finaliser un partenariat avec Mozes et Big Champagne et Warner Music avec Cisco. Certains gros artistes majors n’ont pas attendu ces partenariats pour se lancer dans le direct to fan. Mariah Carey, Lady Gaga, Prince ou Bowie l’utilisent depuis longtemps.

Un album de remix fait par des fans

Terry McBride est le patron de Nettwerk, un label canadien qui utilise ces business models avec beaucoup d’artistes différents. Il a déclaré que le droit d’auteur ne voudrait plus rien dire d’ici une décennie, et qu’il essaie donc d’agir en conséquence. Son objectif prioritaire est de s’assurer que chaque action lui permet de réellement communiquer avec les fans de ses artistes.

Avant la sortie l’album de l’artiste K-OS (Hip hop), ils avaient lancé sur internet toutes les pistes de l’album, permettant aux fans de faire leur propre mix. Ce n’était même pas un remix car les titres n’avaient même pas encore été mixés.

Plutôt que de s’angoisser à cause des fuites éventuelles sur l’album, ils ont préféré laisser les fans faire ce qu’ils voulaient des titres, sans s’en inquiéter. Ils ont proposé ensuite aux fans de mettre leurs mix sur un site, de voter et les meilleurs mix ont été mis sur un album. L’album pro et l’album fan ont été lancés en même temps.

De nombreux fans ont achetés les deux albums qui se sont retrouvés en même temps dans le top 50.

Il faut donc arrêter la nostalgie du « avant c’était le bon temps » pour se concentrer véritablement à développer ces business models. Ce marketing n’a rien de nouveau. Il s’agit simplement d’un retour aux racines. L’artiste qui va s’adresser directement à ses fans. Et Internet permet maintenant de le faire rapidement, facilement et mondialement…Je ne dis pas que le marketing direct to fan est la seule olution. Je pense simplement qu’il s’agit d’une des solutions, parmi d’autres, à ne pas négliger.

Le connect to fans: un retour aux sources

D’ailleurs dans le milieu des années 1970, le groupe folk canadien “Stringband” réunissaient les noms et adresses de ses fans à chaque concert et leur envoyaient des cartes postales pour les informer des concerts, des fêtes, nouveaux albums….Pour leur 3ème album (1977), ils ont demandé à leurs fans de les aider (10 $ ou 15 $). Ceux qui les aidaient étaient invités à faire les chœurs en studio avec le groupe pour compléter l’album, et l’album a été appelé «Merci aux personnes suivantes….” avec les noms des centaines de gens qui les avaient aidés imprimé sur la pochette du disque, et quelques centaines d’autres sur la page d’insert … le disque a été envoyé à chaque donateur (frais de port avait été payé avec les dons).

Donc cette formule du CwF + RtB peut être valable n’importe quand.

Encore une fois, toutes les campagnes marketing sont différentes, et doivent être pensées en vue d’améliorer les forces et opportunités de chaque artiste. Les outils vont également continuer à évoluer mais le principe de déterminer ses objectifs principaux (« Je veux que mon widget soit sur 100 sites cette année » ou « 50 000 visiteurs uniques ce mois ci » ou que « mon titre soit écouté 10 000 fois » ou que » j’arrive à collecter 5000 emails de fans » ou que « le panier moyen d’achat de mes fans soit de 30 € sur mon site ») et de travailler à développer sa fanbase pour les atteindre ne changera pas. Nous n’en sommes qu’au démarrage du direct to fan.

Des maisons de disques aux maisons de musique

Le rôle des maisons de disques doit également évoluer. Son rôle de base, indispensable, ne changera pas, en facilitant la commercialisation et la distribution des artistes. Imaginons maintenant que les maisons de disques deviennent des maisons de musique, vendent des gammes de produits beaucoup larges que des CD, permettent aux artistes de proposer des packages à valeur ajouté et donnent également une chance réelle à la distribution digitale en comprenant qu’Internet n’est pas qu’une plateforme de distribution, mais un moyen réel de diffusion et de monétisation.

Imaginons également qu’elles comprennent pleinement le rôle du consommateur, améliorent sa connaissance et son suivi (un consommateur n’est pas seulement un acheteur ou un pirate).

Imaginons qu’elles utilisent un music marketing créatif, utilisant les nouvelles technologies, nouveaux outils et réseaux sociaux, mixant la musique,graphisme, social, communautaire et recommandation….

Plus que jamais, la musique est et doit rester une expérience et non un produit…

Illustrations CC Flickr par Nine Inch Nails Official, Hoong Wei Long, _astracan_, ekai, Johanna B.

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