OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Recherche sérendipité désespérement [2/3] http://owni.fr/2011/08/14/recherche-serendipite-desesperement-sciences-information/ http://owni.fr/2011/08/14/recherche-serendipite-desesperement-sciences-information/#comments Sun, 14 Aug 2011 15:38:57 +0000 Ethan Zuckerman http://owni.fr/?p=76211 Suite de l’article d’Ethan Zuckerman autour du concept de sérendipité, qui peut être définie comme la capacité à découvrir des choses par hasard. Après s’être attardé dans la première partie sur les liens entre urbanité et sérendipité, l’auteur analyse ici la manière dont nous cherchons l’information en ligne et revient sur les origines du terme “sérendipité”.

Les liens de cet article sont en anglais.


Information en ligne: une chambre d’échos?

En 1993, Pascal Chesnais, chercheur au laboratoire Médias du MIT, a conçu un logiciel appelé “Freshman Fishwrap”. Utilisant un ensemble de sources en ligne disponibles à l’époque, Fishwrap permettait aux individus de produire un journal numérique personnalisé, comprenant la mention de leur ville d’origine ou leur sport préféré et filtrant les nouvelles moins intéressantes. Nicholas Negroponte encensa le projet dans son livre Being Digital, le considérant comme partie intégrante du futur personnalisé envisageable dans l’ère du numérique.

L’universitaire Cass Sunstein considérait le “Daily Me” comme une menace plutôt qu’une promesse [PDF]. Dans son livre, Republic.com, il redoute qu’Internet fonctionne comme une chambre d’échos où les individus ne rencontreraient que des vues en accord avec les leurs. Sunstein s’inquiète que dans un tel environnement nous puissions assister à une polarisation politique accrue et à un déplacement des opinions modérées vers les extrêmes.

Beaucoup des réponses académiques à la critique de Sunstein ne se sont pas efforcées de contredire l’argument selon lequel l’isolation mène à la polarisation, mais ont plutôt essayé de démontrer qu’Internet n’est pas aussi polarisant qu’il ne le croit. Matthew Gentzkow et Jesse Shapiro ont étudié les lectures en ligne de milliers d’internautes américains et ont conclu que même si certains sites sont très partisans, les sites d’information les plus visités par les internautes (Yahoo ! News, CNN, AOL News, MSNBC) le sont à la fois par des utilisateurs de droite et de gauche. Leur conclusion tend à démontrer qu’Internet est peut être plus polarisé que la plupart des médias mais suggère que cette polarisation est moins importante que ce que l’on pourrait craindre, et moins importante que ce que l’on rencontre dans nos communautés physiques.

Je m’intéresse moins à la polarisation droite/gauche américaine qu’à la polarisation nous/eux au niveau mondial. À partir des données collectées par Gentzkow et Shapiro, l’équipe de Slate a développé une infographie qui montre la polarisation partisane des petits sites, alors que les plus grands ciblent un public plus large. Je l’ai complétée avec quelques légendes et des cadres jaunes qui montrent quelles sources d’information proviennent d’autres pays que les États-Unis. Vous noterez qu’il n’y a pas beaucoup de jaune sur cette image – la plus grande source d’information internationale, en nombre de pages vues, est la BBC, qui est probablement le site d’information le plus visité sur tout le Web. (Vous noterez aussi que la BBC attire surtout des lecteurs de gauche – avec 22% de lecteurs conservateurs pour 78% de libéraux.)

Les Américains ne privilégient pas particulièrement les sources d’informations locales aux sources internationales. J’ai analysé les préférences médiatiques de 33 pays en utilisant les données de Doubleclick Ad Planner et j’ai découvert que la préférence américaine pour les sources d’informations domestiques (93% contre 7% lorsque en mai 2010) est en réalité assez basse comparée aux 9 autres pays avec le plus grand nombre d’internautes. Les pays avec plus de 40 millions d’internautes ont généralement un biais très important pour les sources d’informations locales – en moyenne 95% des gens les préfèrent. En comparaison, les Américains ont presque l’air cosmopolites.

Ces données ne disent rien de notre appétit pour les informations traitant de l’international mais montrent plutôt notre préférence pour des contenus pensés pour nous et nos compatriotes. Il est possible que nous recevions énormément d’informations sur l’international par Yahoo ou CNN, même si nous avons de bonnes raisons de penser le contraire. (Ces 30 dernières années, l’organisation anglaise Media Standards Trust a observé une forte baisse dans le pourcentage de journaux anglais spécialisés sur des sujets internationaux, et une recherche menée par Alisa Miller de Public Radio International suggère que les médias américains se concentrent bien plus sur les sujets de divertissement que sur l’actualité internationale.)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce qui me frappe dans ces données c’est que des sites d’informations internationaux comme la BBC, le Times of India ou le Mail and Guardian sont faciles d’accès (il suffit de cliquer) et ne posent pas le problème de la barrière de la langue. Le biais “local” pour des supports d’informations nationaux semble donc très fort.

Les réseaux sociaux comme mécanismes de sérendipité?

Le risque de ce genre d’isolation est de passer à côté d’informations importantes. J’ai la chance, grâce à mon travail sur Global Voices, d’avoir des amis tout autour du globe, et j’entends souvent parler d’actualités importantes, soit grâce à notre travail sur le site, soit au travers des préoccupations de mes amis sur les réseaux sociaux. Fin décembre 2010, il devint clair que quelque chose de très inhabituel se produisait en Tunisie – des amis comme Sami Ben Gharbia couvraient les manifestations qui se déroulaient à Sidi Bouzid et se propageaient dans le reste du pays. Ces amis s’interrogeaient sur les raisons pour lesquelles aucun média extérieur à la région ne couvrait la révolution en cours. Je suis entré en action avec l’un de mes article de blog publié au moment le plus opportun – le 12 janvier, j’ai écrit “Et si la Tunisie vivait une révolution, alors que personne n’y prête attention ?” (“What if Tunisia had a revolution, but nobody watched ?“)… beaucoup de personnes m’ont appelé après que Ben Ali a fui le pays deux jours plus tard.

La révolution tunisienne a pris par surprise les services secrets et diplomatiques autour de la planète. Ça n’aurait pas du être le cas – une multitude d’informations avait été publiée sur les pages Facebook tunisiennes, et rassemblées par des groupes comme Nawaat.org et diffusée sur Al Jazeera (d’abord sur ses services en arabe). Mais ce passage d’un monde où l’information est dominée par des super-puissances à un monde multi-polaire est difficile à assimiler pour les diplomates, les militaires, la presse et les individus. Et si je suis honnête quant à ma vision du monde, je doit reconnaître que je n’aurais jamais entendu parler de cette révolution naissante si je n’avais pas eu des amis tunisiens.

Comme tout le monde, je vis un changement dans ma façon de m’informer sur le reste de la planète. Avant Internet et pendant ses premières heures, les nouvelles internationales provenaient surtout des médias traditionnels – télévision, presse quotidienne et magazines. Il y avait – et il y a toujours – des raisons de se méfier des “curateurs” , mais il y a un aspect fondamental de leur travail qui, à mon sens, doit être préserver alors que nous inventons de nouveaux modèles d’organisation de l’information. Implicitement, les “curateurs” décident de ce que nous devons savoir sur le monde. Les très bons “curateurs” ont souvent une vision du monde plus ouverte que la plupart des individus, et les médias dirigés par de bons “curateurs” nous forcent souvent à nous intéresser à certaines personnes, certains lieux et problèmes que nous aurions autrement ignorés.

D’un autre côté, les “curateurs” sont forcément biaisés, et la possibilité de trouver des informations qui correspondent à nos centres d’intérêts et à nos préférences est l’une des choses que le Web moderne a rendu possible. Les moteurs de recherche me permettent d’apprendre beaucoup de choses sur des sujets qui m’intéressent – le sumo, la politique africaine, la cuisine vietnamienne – mais il est fort possible que je ne prenne pas connaissance de sujets importants parce que je prête plus attention à mes intérêts qu’aux informations sélectionnées par des professionnels. Il nous faut des mécanismes qui permettent d’ajouter de la sérendipité à nos recherches.

Une nouvelle tendance est apparue. Celle de créer des outils qui nous guident vers des nouveaux contenus selon les intérêts de nos amis. Des outils tels que Reddit, Digg et Slashdot forment des communautés autour d’intérêts communs et nous dirigent vers des sujets considérés comme intéressants et valant le coup d’être partagés par la communauté. Twitter, et surtout Facebook, fonctionnent à un niveau bien plus personnel. Ils nous montrent ce que nos amis savent et ce qu’ils considèrent important. Comme l’explique Brad DeLong, Facebook offre une nouvelle réponse à la question “Que dois-je savoir ?”; à savoir : “Tu dois connaître ce que tes amis et tes amis d’amis savent déjà et que tu ignores.”

Le problème, bien entendu, est que si vos amis ne savent pas qu’une révolution a lieu en Tunisie ou ne connaissent pas de super nouveau restaurant vietnamien, vous n’en entendrez probablement pas parler non plus. Connaître ce que vos amis connaissent est important. Mais à moins que vous ayez un réseau d’amis remarquablement divers et bien informé, il y a des chances pour que leur intelligence collective ait des failles. L’éditorialiste du Guardian Paul Carr a raconté une anecdote intéressante qui s’est produite lors d’un séjour à San Francisco. Alors qu’il rentrait à son hôtel il fut stupéfait de voir que sa chambre, comme le reste de l’immeuble, n’avait pas été
nettoyée. Les employés de l’hôtel protestaient contre la loi sur l’immigration SB1070 en Arizona. Alors que le sujet était largement couvert sur Twitter, Carr n’en avait pas eu vent par son flux. Cela lui fit réaliser qu’il vivait dans “[sa] propre petite bulle Twitter composée de personnes comme [lui] : ethniquement, politiquement, linguistiquement et socialement.” On peut se demander si cette bulle est capable de nous apporter la sérendipité que nous espérons rencontrer sur le Web.

Aux origines de la sérendipité

D’où vient le terme de “serendipité”? Robert K. Merton lui a dédié un livre, écrit avec sa collaboratrice Elinor Barber et publié après sa mort. Cela peut sembler  étrange pour un sociologue de renom de s’y intéresser, mais il faut se souvenir que l’une de ses contributions à la sociologie a justement été l’examen des “conséquences inattendues”. Au premier abord, la sérendipité semble être le côté positif de ces conséquences : l’heureux accident. Mais ça n’est pas ce que ce terme voulait dire à l’origine. Le mot a été forger par Horace Walpole, un aristocrate britannique du 18e siècle, 4e comte d’Oxford, romancier, architecte et célèbre commère. On se souvient surtout de lui pour ses lettres, rassemblées en 48 volumes, qui donnent une idée de ce à quoi ressemblait le monde à travers les yeux d’un aristocrate.

Dans une lettre écrite en 1754, Walpole raconte à son correspondant, Horace Mann, comment il fit une découverte inattendue mais utile, grâce à sa grande connaissance de l’héraldique. Pour expliquer son expérience, il fait référence à un conte perse, Les Trois Princes de Serendip, dans lequel les trois principaux personnages “faisaient continuellement des découvertes par accident et grâce à la sagacité, de choses qu’ils ne cherchaient pas.” Le néologisme de Walpole est un compliment – il se congratule à la fois pour son ingénieuse découverte et pour la sagacité qui a permis cette trouvaille.

Bien que le concept soit utile, le terme “sérendipité” n’est devenu courant que ces dernières décennies. Jusqu’en 1958, d’après Merton, le mot n’est apparu que 135 fois sur papier. Durant les quatre décennies suivantes, il est apparu à 57 reprises dans des titres de livres et il a été utilisé 13 000 fois par des magazines rien que dans les années 1990. Une recherche Google fait apparaître 11 millions de pages avec ce terme. Des restaurants, des films et des boutiques de souvenirs arborent ce nom. Mais très peu de pages sur les découvertes inattendues faites grâce la sagacité.

Merton était l’un des plus grands promoteurs du mot, décrivant “le schéma de la sérendipité” en 1946 comme une façon de comprendre les découvertes scientifiques inattendues. La découverte de la pénicilline par Fleming en 1928 a été provoquée par une spore de champignons Penicilium qui avaient contaminé une boîte de Petri dans laquelle se développaient des bactéries de Staphylococcus. Si l’apparition de spores de moisissure dans la boîte était un accident, la découverte, elle, était le fait de la sérendipité – si Fleming n’avait pas cultivé les bactéries, il n’aurait pas remarqué les spores de moisissure isolées. Et si Fleming n’avait pas eu une connaissance approfondie du développement des bactéries – la sagacité – il est fort peu probable qu’il aurait relevé les propriétés antibiotiques des Penicilium et ainsi générée l’avancée la plus importante de la première moitié du 20e siècle dans le domaine de la santé.

Selon Louis Pasteur, “dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés.” Pour Merton la sérendipité émerge à la fois d’un esprit préparé et de circonstances et structures qui mènent à la découverte. Dans le livre The Travels and Adventures of Serendipity , Merton et Barber explore les procédés de découverte dans un laboratoire de General Electric dirigé par Willis Whitney qui encourageait un environnement de travail fondé autant sur l’amusement que sur la découverte. Un mélange positif d’anarchie et de structure apparaît nécessaire à la découverte et une planification exagérée devient une abomination puisque “la règle de ne rien laisser au hasard est vouée à l’échec.” (L’analyse du livre de Merton et Barber par Riccardo Campa est conseillée à ceux intéressés par les questions de sérendipité et de structure.)

L’idée que la sérendipité est un produit à la fois d’un esprit ouvert et préparé et des circonstances qui mènent à la découverte se retrouve dans l’histoire racontée par Walpole en 1754. Les trois princes étaient très instruits sur les questions de “moralité, de politique et sur toutes les connaissances convenues en général” mais ils ne firent pas de découvertes inattendues avant que leur père, l’Empereur Jafar, ne les envoyât “parcourir le Monde entier pour qu’ils puissent apprendre les manières et les coutumes de chaque nation.” Une fois que ces princes bien préparés rencontrèrent les circonstances favorisant la découverte, ils firent des trouvailles sagaces et inattendues. (Pour plus d’informations sur la traduction de 1722 en anglais des Trois Princes de Serendip vous pouvez lire ce post de blog.)

Lorsque nous utilisons le terme “sérendipité” aujourd’hui c’est souvent pour parler d’un “heureux accident”. La partie de la définition qui se concentre sur la sagacité, la préparation et l’aspect structurel a sombré, du moins en partie, dans l’obscurité. Nous avons perdu l’idée que nous pouvons nous préparer à la sérendipité à la fois personnellement et structurellement.

J’ai peur que nous comprenions mal comment nous préparer. Et comme mon amie Wendy Seltzer me l’a fait remarquer, si nous ne comprenons pas les structures de la sérendipité, le phénomène devient aussi peu probable que le simple hasard.


Article initialement publié sur le blog d’Ethan Zuckerman

Traduction : Marie Telling

Illustrations CC FlickR par Truk, estherase, atoach
Image de Une Loguy

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Médias: complexité malvenue http://owni.fr/2011/03/03/medias-complexite-malvenue/ http://owni.fr/2011/03/03/medias-complexite-malvenue/#comments Thu, 03 Mar 2011 15:00:22 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=49593 Les médias, et la télévision en particulier, ont tendance à gommer la complexité du monde. Ils doivent s’adapter à un public moins disponible qui exige des explications rapides. Ils répondent aussi à un besoin croissant de sécurité qui favorise les réponses simples et peu nuancées.

La population a plus que jamais besoin de sens et accepte de moins en moins d’être dirigée sans comprendre ni être consultée. C’est d’abord le résultat d’une amélioration du niveau d’instruction moyen de la population depuis les années 50, grâce à la démocratisation de l’enseignement.

La proportion d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat est passée de  3% en 1945, à 25 % en 1975, pour atteindre 65,6 % en 2009. Même si ce chiffre cache des disparités puisque parmi les bacheliers, seuls 53% ont un baccalauréat général  (25 % obtenant un bac technologique et 22 % un bac professionnel). Cela, en dépit d’une baisse des performances de l’éducation nationale au cours de la dernière décennie, et malgré une maîtrise des savoirs de base (orthographe, grammaire, calcul) qui semble en recul par rapport aux années 1920. Il n’en reste pas moins que la diversité des savoirs s’est accrue et que le niveau moyen d’instruction des Français s’est élevé.

Maturité croissante

À cela s’ajoute une maturité croissante du citoyen face à l’information. 50 ans de télévision sont passés par là. Gavés de journaux TV, de reportages, débats politiques, ou publicités, les téléspectateurs décodent de mieux les modes de communication et se montrent de plus en plus critiques face aux médias ou aux politiques.

Déçus par les différents fiascos médiatiques (guerre du Golfe, Timisoara, Outreau…), ils sont devenus méfiants vis à vis des journalistes. Phénomène accentué par le fait que les représentants les plus visibles de la profession — ceux qui officient en télévision — font preuve d’une révérence voyante. Une perte de crédit lente mais constante qui est à rapprocher historiquement du discrédit qui frappa les journaux “va-t-en-guerre” après la première guerre mondiale. Et entraîna une chute considérable des tirages après 1917

Mais parallèlement à cette exigence croissante de sens, le peuple ne peut y consacrer qu’un temps de plus en plus réduit. Son attention est désormais concurrencée par le divertissement, le jeu, la socialisation qui empiètent sur la recherche d’information et la construction d’un système cohérent de compréhension du monde.

Il faut donc aller à l’essentiel, divulguer rapidement des clés d’interprétation pour laisser du temps aux autres activités de plaisir ou d’ego.

D’où le succès des formats courts, tels 20 minutes ou de synthèse (“les clés de l’info”, “le dessous des cartes”). D’où le succès en librairie des ouvrages de vulgarisation permettant de rattraper rapidement son retard culturel (la culture G pour les nuls, les grandes dates de l’Histoire de France…)

D’où sur Internet la généralisation de l’écriture web pour augmenter l’efficacité journalistique afin de capter une attention de plus en plus rare et fugace. Et l’ensemble des nouveaux formats plus rapides et digestes pour s’adapter aux nouveaux modes de vie du lecteur : infographies, diaporamas…

Une tendance à rapprocher du “unique selling proposition” inventée par la publicité américaine des années 40. Cette simplification du message publicitaire réduit à un seul argument de vente devient l’angle principal d’un papier, le message essentiel.

Éblouis par l’horreur du monde

Bombardés d’informations en permanence, nous subissons une pression psychologique nouvelle : celle d’être confrontés davantage à l’horreur du monde. Ainsi découvrons-nous chaque jour ces prêtres pédophiles, ces chiens meurtriers, ces catastrophes mondiales ou ces insurrections sanglantes… Connaissance nouvelle de faits anciens qui tend à nous faire croire à une régression de nos civilisations : “mais dans quel monde vit-on ?”

Les médias produisent donc un sentiment d’insécurité en améliorant notre connaissance des problèmes ou en grossissant l’ampleur de ceux-ci, à des fins de dramatisation et d’audience. Ainsi du nombre de voitures brûlées dont l’augmentation depuis 2005 traduit surtout un meilleur recueil des données, tout comme l’augmentation du nombre des incivilités à l’école tient aussi à la mise en place de la base Signa. Une peur diffuse accrue par l’exploitation politique des faits divers de l’actualité pour discréditer le camp ennemi, ou prouver sa propre efficacité. On ne compte plus le nombre de mesures adoptées dans l’urgence pour répondre à un drame, dispositions généralement inefficaces, non appliquées, voire absurdes.

Or, face à ces informations angoissantes qui augmentent notre sentiment d’instabilité psychologique, nous nous replions vers la fiction et le divertissement. Et ce phénomène contamine aussi l’information via des JT édulcorés, pacifiés, story-tellisés. Et ce n’est pas un hasard si le Journal télévisé le plus fort dans ce registre est celui qui a le public le plus âgé et le plus inquiet : le 13h de JP Pernaut sur TF1.

Réponses simplistes à des questions compliquées

Notre besoin d’échapper à l’angoisse existentielle accrue par une meilleure connaissance du monde, nous conduit à privilégier inconsciemment les réponses simples. La simplicité est rassurante, stable et plus confortable que la multiplicité ou l’interaction des causes. D’autant que les facteurs d’explication sont généralement si nombreux et conjugués qu’ils génèrent l’angoisse de l’incertitude. Notre pouvoir d’achat stagne ou décline ? C’est la faute de l’Europe et de son euro trop fort, ou de la finance internationale qui se gave sur le dos du travailleur, ou de ces Français qui s’accrochent à leurs privilèges…

Les médias renforcent d’ailleurs cette tendance à la simplification pour gagner en impact (voir ci-dessus) et apporter ces réponses tant attendues. Difficile de dire à nos enfants-citoyens: “pas si simple, c’est plus compliqué que cela, le monde est gris (mélange peu emballant de noir et blanc).

À échelle micro ou macroscopique, la complexité est synonyme de fragilité. Une molécule complexe a plus de chance d’être dissoute au contact d’une autre qu’une molécule simple. Une structure métallique alambiquée résistera moins à la tornade qu’un modèle élémentaire offrant moins de prise au vent. Un esprit animé de concepts complexes et variés sera plus sujet au doute qu’un esprit binaire. La simplification est un mécanisme d’auto-protection pour gagner en résistance mentale et se protéger de ce fameux doute déstabilisateur. Un phénomène classique étudié en psychologie sociale : l’exposition sélective aux messages. Les consommateurs ou électeurs évitent les messages qui ne conforment pas leur opinion préalable ou leur système cohérent de pensée.

Ainsi, après avoir acheté une voiture, le consommateur évite soigneusement toute publicité d’un autre modèle susceptible de lui faire regretter son choix. Ou les électeurs d’un parti évitent les discours du clan opposé ou résistent intérieurement à l’argumentation susceptible de déstabiliser leur opinion préalable, résultat d’un système cohérent et stable.

Le doute annihile l’action

La complexité est angoissante car elle entrave l’action. La peur des conséquences en cascade d’une action impliquant de nombreux acteurs et paramètres conduit à ne rien faire, à l’image des Ents du Seigneur des Anneaux paralysés par l’analyse extrême de la moindre décision. Attention, chasser Ben Ali ou Khadafi du pouvoir c’est ouvrir la voie aux islamistes, plonger la région dans la guerre civile, risquer une nouvelle crise du pétrole…

A contrario, WikiLeaks traduit un besoin de réenchantement du monde par l’action : on ouvre les vannes de l’information et on verra bien. Au diable l’analyse des conséquences potentielles des révélations. Dieu reconnaîtra les siens. Et foin de tergiversations, l’état du monde et la corruption des États exigent des mesures rapides et fortes.

De même les discours simplificateurs sur le rôle déterminant des nouvelles technologies dans les révolutions arabes révèlent autant un besoin de “comprendre” rapidement le complexe qu’un désir d’utopie. Et si on avait trouvé le rempart ultime contre les dictatures : les nouvelles technologies de l’information ?

Un besoin d’autant plus fort qu’il se nourrit du vide politique qui semble totalement impuissant à résoudre les problèmes du monde globalisé et par la même complexifié.

Méfiance toutefois car les réponses simples sont rarement les meilleures et conduisent à de profondes déconvenues, comme en attestent l’effondrement des idéologies successives. La pédagogie de la complexité elle est plus ingrate, plus lente et difficile, mais elle a le mérite de répondre à notre besoin de sens sur la durée. Mais comment en convaincre les politiques dont l’agenda électoral se situe à court terme ?

Article initialement publié le 1er mars sur le blog de Cyrille Frank, Médiaculture, sous le titre Médias et information, sale temps pour la complexité

Crédits Photo FlickR CC : centralasian / webtreats / Alex Barth

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L’illustration, ou comment faire de la photographie un signe http://owni.fr/2010/10/17/l%e2%80%99illustration-ou-comment-faire-de-la-photographie-un-signe/ http://owni.fr/2010/10/17/l%e2%80%99illustration-ou-comment-faire-de-la-photographie-un-signe/#comments Sun, 17 Oct 2010 14:47:52 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=31860 Article initialement publié sur Culture Visuelle, média social d’enseignement et de recherche

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Dans la lignée des travaux ouverts par le colloque “La trame des images” en 2006, nous sommes plusieurs à nous attacher à caractériser les usages effectifs de l’image médiatique. Le schéma traditionnel du recours à la photographie pour des raisons documentaires est manifestement inadapté à la plupart des situations que nous observons. Usages décoratifs, narratifs, allégoriques, signalétiques, jeux visuels, allusions, suggestions déploient au contraire une gamme de pratiques éditoriales aussi complexe que celles de l’énonciation écrite.

Le brouillage de la frontière entre communication et information

Le terme d’illustration s’est imposé pour décrire ces situations où l’image est mise au service d’un discours, d’un récit. Mais sa définition n’est pas encore suffisamment précise. Nous butons sur la polysémie du mot. Dans son sens le plus courant, “illustration” renvoie à toute insertion d’une image dans un contexte éditorial. Mais un emploi plus spécialisé lui fait désigner les usages construits de l’image, en opposition dialectique avec le terme “photographie”, qui connote ses usages documentaires. Le terme est également utilisé dans différents domaines audiovisuels. Au cinéma, accompagner un plan d’une illustration musicale revient à orienter la perception de la scène par le biais de l’ambiance sonore. Dans un journal télévisé, les professionnels désignent comme une illustration l’inévitable séquence du micro-trottoir qui accompagne le traitement d’un mouvement social.

(1) Publicité Végétaline, 1965. (2) Nouvel Observateur, couverture du 11 mars 2010. (3) Sciences & Vie, couverture du n° spécial "Climat" de janvier 2010 (cliquer pour agrandir).

L’illustration est d’abord une catégorie graphique. Dans le domaine de l’image fixe, un fossé infranchissable sépare en théorie l’illustration de la photographie. Non que la photographie ne puisse être utilisée à des fins non documentaires (voir ci-dessus). Mais cet usage retire en principe au matériau photographique toutes les propriétés habituellement reconnues au médium. Photographie d’illustration et photographie documentaire sont supposées relever de deux univers différents: la première est l’affaire du graphiste et implique une commande a priori; la seconde, celle du photographe et suppose une publication a posteriori. La première relève de la communication et admet la retouche, le montage et toutes formes d’édition d’une image qui n’est que le support d’un message; la seconde se veut un document authentique, porteur d’une information objective, et implique le refus de toute manipulation.

Mais la réalité des pratiques déploie un espace plus complexe et plus flou, où la photographie d’information peut très bien servir à des usages narratifs ou allégoriques soigneusement contrôlés. C’est notamment le cas dans la forme du magazine, dont Life représente depuis 1936 le modèle par excellence, voué à la promotion d’un “pictorial journalism” placé sous le signe de l’expressivité. D’où une seconde dichotomie, plus discrète, mais parfaitement opératoire pour les professionnels, entre quotidiens et magazines, entre information “sérieuse” et mise en scène de l’information. Un écart de plus en plus difficile à distinguer, quand la presse quotidienne adopte, notamment dans ses Unes, la culture graphique du magazine, comme le journal Libération à partir de 1981 (voir ci-dessous).

(4) Life, couverture du 30 avril 1965. (5) Courrier international, couverture du 1er février 2007. (6) Libération, Une du 20-21 août 2005 (cliquer pour agrandir).

Divers mécanismes ont contribué à accentuer le brouillage des genres. Le développement des banques d’images, initialement destinées à répondre aux besoins illustratifs, a progressivement conduit à inverser la logique de production des images. Anticipant la commande, ces agences ont entrepris de proposer des photos “prêtes à l’emploi”, adaptées à des demandes stéréotypées et à des budgets restreints, et susceptibles d’être réutilisées dans des contextes divers. Circuler aujourd’hui sur la partie “créative” d’un portail comme Corbis donne une idée de l’industrialisation de l’illustration photographique – amplifiée par la puissance de l’indexation informatique (voir ci-dessous une page de résultats du portail Corbis sur la requête “problèmes de couple”). Compte tenu de la porosité culturelle entre les domaines de la communication et de l’information, il est à peine surprenant de constater que de nombreuses photographies de reportage semblent elles aussi comme composées d’avance pour les besoins éditoriaux. Les photos les plus célèbres, celles qu’on gratifie du titre d’”icônes”, ne sont souvent que des images passées au tamis de la simplification allégorique – des photos que nul n’oserait appeler des illustrations, et qui en appliquent pourtant scrupuleusement les codes (voir ci-dessous, un échantillon de photos célèbres proposées par l’AFP).

Page de résultats du portail Corbis sur la requête "problèmes de couple" (cliquer pour agrandir).

Photos AFP

D’où notre difficulté. Dans une période où les pratiques éditoriales évoluent à vive allure, où poser la limite entre document et illustration? Cette distinction a-t-elle même encore un sens? Audrey Leblanc, qui travaille sur le traitement journalistique de mai 1968, montre que chaque occurrence visuelle est l’expression d’un récit. Ne faut-il pas plutôt admettre que l’allégorie a dévoré tout l’espace médiatique et que, puisque toute image publique est une image éditée, aucune ne peut relever de la fiction de l’authenticité? Pour ma part, mon intuition me pousse à maintenir une frontière entre éditorialisation et usage illustratif. S’il n’existe évidemment aucune forme d’expression chimiquement neutre, pas plus écrite que visuelle, en tirer la conclusion que tout ne serait qu’illusion (ce qui était à peu près la position d’un Baudrillard) me paraît une impasse du raisonnement plutôt qu’une description efficace. Pourtant, mercredi dernier au cours d’une discussion à l’atelier du Lhivic, faute d’une argumentation suffisamment claire, je n’ai pas réussi à tracer la limite.

Faire de l’image un signe

Rien de tel que l’examen d’un exemple pour préciser les choses. L’actualité me fournit le cas de la visite de Nicolas Sarkozy au Vatican, le 8 octobre 2010. Quoi de mieux qu’une entrevue protocolaire, phénomène ponctuel à la scénographie établie, dont la raison d’être est précisément de créer des images?

En suivant peu ou prou la méthodologie décrite par Patrick Peccatte, je collecte un échantillon, sinon exhaustif, du moins représentatif de l’événement: une trentaine de photos publiées sur divers sites d’information entre le 7 et le 9 octobre (voir ci-dessous). Pour des raisons de bouclage précoce, un bon tiers reprennent des images réalisées lors la visite précédente, en 2007 (ce qui est d’ailleurs l’occasion de constater l’absolue uniformité du protocole). J’écarte cette partie de l’échantillon pour me concentrer exclusivement sur les images d’actualité proprement dites. Si je veux repérer une limite, autant me confronter à la situation où les images sont au plus près de l’événement.

Je vois rapidement se dessiner mon cas. Parmi la vingtaine d’images sélectionnées, la plupart privilégient la réception dans la bibliothèque privée du pape (on peut se faire une idée plus complète des différentes étapes de la visite à partir de l’iconographie réunie sur le site de l’Elysée). Neuf d’entre elles sont issues du vis-à-vis des deux hommes sur fond de La Résurrection du Pérugin. Reproduite cinq fois dans différents cadrages, une même image (due à Christophe Simon/pool AFP-Reuters) se détache du lot: elle montre le pape, souriant, en train de glisser un cadeau dans la main du président qui s’esclaffe, tête baissée (voir ci-dessous).

L’image est vivante, intéressante, colorée. Elle présente l’essentiel des informations associées à l’événement, qu’elle restitue d’une manière positive. Retenir cette photo plutôt qu’une autre est bien sûr un choix éditorial, qui trahit une certaine orientation. Peut-on affirmer pour autant que cette image relève du régime de l’illustration, au sens d’une construction du récit?

Mais l’illustration de quoi? Lorsqu’on analyse les articles que cette image ponctue, on note des différences sensibles entre l’approbation enthousiaste de Paris-Match, la description ostensiblement neutre de RTBF Info, la version plus critique du JDD, ou celle franchement acide de 20 Minutes (voir ci-dessous). Qu’une seule et même image accompagne une gamme de réactions aussi large apporte la preuve que cette photo ne peut être ramenée à un symbolisme univoque. Elle renvoie une certaine image de la rencontre, différente d’autres options iconographiques. Mais cette coloration se combine avec les autres informations et facteurs d’orientation éditoriale fournis par les titres, intertitres, chapôs, légendes et textes des articles. La photographie joue ici un rôle principalement informatif et testimonial, auquel sont associées des fonctions décoratives et signalétiques.

A une exception près: l’édition de Paris-Match (ci-dessus, à gauche), qui la présente sous la forme d’une photo légendée, en lui conférant le format le plus important de l’échantillon. Dans ce cas, le titre “Tout sourire” semble moins constituer une synthèse de la rencontre qu’un commentaire du cliché, avec lequel il semble entretenir un rapport nécessaire. C’est l’établissement de ce lien qui indique qu’on est passé au régime illustratif.

Plutôt que de qualifier d’illustration cette photo, dont on a vu qu’elle pouvait être employée dans différents contextes, disons qu’elle fait ici l’objet d’un usage illustratif. Celui-ci est caractérisé par le fait qu’il veut faire dire quelque chose à l’image, autrement dit qu’une intention narrative préside au choix iconographique. Cette intention se manifeste par la création d’un rapport entre texte et image, qui n’est autre que le lien qui fonde la relation sémiotique: il s’agit ni plus ni moins de faire de l’image un signe.

Qu’est-ce qu’un signe? Une nuée d’oiseaux qui vole dans le ciel change soudain de direction. Dans un contexte culturel donné, ce phénomène pourra être perçu comme doté d’une signification, que l’haruspice est à même d’interpréter. Cet événement et celui dont l’interprétation va le rapprocher ne sont pas de même nature: le lien établi entre eux est, comme l’explique Saussure à propos du langage, “arbitraire”. Créer ce lien est l’opération qui fait d’un objet un signifiant, support d’un signifié, et de cette double entité un dispositif unique, dont les parties apparaîtront ensuite comme inséparables.

Comme la nuée d’oiseaux ne donne aucune indication réelle sur les événements humains, le rire de Sarkozy dans la photo vaticane n’a pas de signification à l’échelle globale de la visite. Il serait plus correct de le décrire comme la traduction visuelle d’une sorte d’accident. Un blog du Post.fr révèle que le moment qu’immobilise cette image est celui où Benoît XVI donne à Nicolas Sarkozy le chapelet supplémentaire que ce dernier a réclamé pour la petite nièce de Carla Bruni. Dans cette lecture, la photographie constitue un document qui atteste l’«incartade» typique «des mauvaises manières du chef de l’État français qui font jaser». Dans Match, au contraire, la photo légendée est proposée comme uneallégorie rendant compte de l’atmosphère générale de la rencontre, dans une continuité sans faille du titre, du récit de l’article et de l’image, unis dans un même dispositif.

La force du signe est de dissimuler le caractère construit du dispositif. Je n’entre pas ici dans la discussion sur la nature du signe (sur laquelle je reviendrai), sinon pour indiquer que son application à la photographie, qui n’est pas un signe, représente un vrai coup de force – et une ressource considérable. Comme l’a bien compris la publicité, l’usage illustratif des images d’enregistrement renforce la suggestivité du dispositif, par le caractère d’authenticité qu’il lui confère. En s’appuyant sur la culture des usages documentaires de l’image, l’illustration photographique se donne comme la preuve irréfutable d’une construction narrative qui a la structure d’une fiction.

Le caractère artificiel de ces constructions est souvent repérable par l’observation d’un décalage apparent entre les composantes du dispositif, comme la mobilisation d’une image en dehors de son contexte original. Cependant, le traitement illustratif peut également s’appliquer à des photos contemporaines de l’événement, comme c’est le cas avec l’image légendée de Match. Il sera alors détecté par comparaison avec d’autres élaborations éditoriales.

La distinction illustrative

Sur Culture Visuelle, nous avons recensé depuis plusieurs mois un certain nombre d’usages illustratifs de l’image photographique. La collection de ces exemples montre une gamme qui va du recours le plus élémentaire à l’image comme signifiant redondant du récit à l’allégorie proprement dite, en passant par divers stades d’élaboration narrative. En discutant ou en contredisant les propositions de lecture, certains commentaires ouvrent de véritables querelles interprétatives, qui montrent bien que la construction du sens de ces images relève de l’économie du signe.

Mais l’examen global du traitement visuel d’un événement apporte une précision utile. Sur la vingtaine d’images de l’échantillon, un seul emploi, celui de Match, participe de la construction narrative. Un autre, celui du Post, appartient de manière claire au registre opposé de l’usage documentaire. Tous les autres déclinent les variantes d’une utilisation plus banale et moins construite de l’image photographique, où celle-ci joue un rôle à peine informatif de confirmation visuelle de l’événement, associé à des fonctions décoratives et signalétiques.

Un cas est plus intéressant encore: c’est celui de l’article de 20minutes.fr, où l’usage d’une photographie souriante de la rencontre semble en contradiction avec la tonalité de l’article, qui rassemble plusieurs réactions critiques. Interrogée à ce sujet, la journaliste Oriane Raffin indique qu’elle s’est bornée à reprendre l’illustration déjà utilisée dans un premier compte rendu de la visite, rédigé quelques heures plus tôt à partir de la dépêche AFP (voir ci-contre). A l’occasion d’une de ces hétérophanies pointées par Patrick Peccatte, on découvre ici un exemple d’usage a contrario, sorte de lapsus éditorial que la lecture du texte avait laissé deviner.

La visite éclair de Nicolas Sarkozy au Vatican n’a pas été traitée comme un événement majeur. La plupart des rédactions se sont contentées de reprises plus ou moins développées des dépêches d’agence. Malgré le cliquetis permanent des obturateurs qui frappe à l’écoute de la vidéo de la rencontre diffusée sur le site de l’Elysée, le traitement iconographique n’a pas fait l’objet de beaucoup plus d’efforts. L’image qui a été la plus reproduite était celle qui sortait du lot, dans un ensemble de vues plutôt figées ou stéréotypées – mais c’était aussi l’une des premières images diffusées, par l’AFP aussi bien que par Reuters, puisque réalisée en “pool”.

Rédigé à partir de la dépêche de Reuters, le bref article de Match n’a fait que retenir les éléments les plus positifs de la rencontre, assorti d’un titre qui est lui aussi un énoncé stéréotypé, déjà utilisé à maintes reprises par la rédaction pour légender des images souriantes. Si l’ensemble forme bien un dispositif narratif, c’est plus en raison de la culture de l’illustration du magazine qu’à cause d’une élaboration particulièrement soignée.

Le travail que suppose la construction d’un rapport illustratif réserve la formule aux Unes, aux événements d’importance ou à des cas spécifiques plutôt qu’au tout-venant journalistique. Le recours à l’illustration fournit ainsi une indication d’échelle dans la hiérarchie de l’information. Si son caractère expressif attire l’attention, il reste à l’évidence une large place pour d’autres formes d’éditorialisation, passées au second plan en raison de leur aspect routinier.

Crédit Illustration (ou autres) CC FlickR par ƅethan

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http://owni.fr/2010/10/17/l%e2%80%99illustration-ou-comment-faire-de-la-photographie-un-signe/feed/ 1
Presse en ligne : faire payer le contribuable… et les bibliothèques http://owni.fr/2010/09/22/presse-en-ligne-faire-payer-le-contribuable-et-les-bibliotheques/ http://owni.fr/2010/09/22/presse-en-ligne-faire-payer-le-contribuable-et-les-bibliotheques/#comments Wed, 22 Sep 2010 14:40:12 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=28869 C’est un truisme de dire que la presse va mal. Matthieu de Vivie (cité par Narvic) a écrit une thèse sur la question du financement de la presse. Il en arrive à la conclusion suivante :

“il ne semble pas aujourd’hui envisageable qu’une diffusion sur internet, à elle seule, soit en mesure de financer la production d’information de grandes rédactions de plusieurs centaines de journalistes, telles que celles du Monde ou du Figaro. Si la version papier de ces médias fait défaut, leur survie apparait bien menacée.”

Et d’évoquer deux pistes, pas très efficaces, pour le secteur :

  • La diversification à partir de gros sites (rachat de petits sites par des plus gros comme le figaro.fr)
  • Des sites “de niche” à l’audience plus restreinte et aux sources de revenus diversifiées (vente de services, abonnement, publicité, etc.)

Pourtant, il y a une source de financement qui n’est jamais évoquée : cette source, c’est vous et moi c’est le contribuable !

D’abord ce n’est pas nouveau mais ça mérite d’être souligné : tout simplement au moyen des subventions. Vous trouverez sur le site du Ministère de la Culture une synthèse de toutes les aides à la Presse. Je ne développe pas ici, à ce sujet je vous renvoie à l’enquête édifiante menée par Owni.fr :

Durant les huit premières années de son existence, le fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale (FDM) a distribué ses substantielles subventions sans qu’une évaluation précise n’ait été mise en place pour contrôler la pertinence et l’efficacité de ces investissements. C’est en substance ce que conclut le Rapport de la commission de contrôle du fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne. Ce rapport, évaluant 65 des 260 projets financés entre 2004 et 2007, pose en effet de nombreuses questions sur ces subventions, dont nous avons publié le détail le 9 août dernier.

Subventions pas très efficaces quand on voit la santé économique du secteur… Mais la Presse peut aussi compter sur les contribuables via les bibliothèques, qui sont des services publics comme chacun sait. De puissants agrégateurs comme Europresse proposent la presse et ses archives en intégralité, sous forme de base de données accessible aux gens qui s’y déplacent (en général) j’y reviendrai.

Bibliothécaires, vous allez me dire que ça fait longtemps que ça existe ce genre d’offre pour les bibliothèques. Oui, mais le contexte vient de changer radicalement et vous allez voir que l’ensemble n’augure rien de bon pour l’information sur le web…

Tout est parti de l’annonce de Murdoch :

« Qu’il soit possible de faire payer pour des contenus sur Internet est une évidence, vu l’expérience du Wall Street Journal » a indiqué Rupert Murdoch lors de la dernière présentation des résultats trimestriels de son groupe News Corp”

De fait, ce point de vue est désormais une stratégie progressivement appliquée par les quotidiens français. N’avez-vous pas remarqué qu’il est de plus en plus rare de trouver un article gratuit en intégralité sur le site de Libération ?

Lemonde.fr en accès libre c’est fini, comme l’explique cet article de Rue89 daté de mars 2010 :

Le Monde fait un des plus grands paris de son histoire. Le quotidien du soir a annoncé la fin de l’accès gratuit aux articles du journal papier, et une offre payante complexe pour ceux qui voudraient continuer à les lire sur le site du journal et sur iPhone (et demain sur iPad). Un modèle de plus dans l’éventail des offres payantes dans la presse, et aucune certitude sur l’appétit des internautes pour payer… A partir de lundi, et de manière progressive, les articles publiés dans Le Monde ne seront plus disponibles pour les lecteurs gratuits du site LeMonde.fr. A la place, ils auront le flux classique de dépêches, la production de l’équipe du site, mais aussi vingt contenus originaux produits par la rédaction du quotidien pour le Web. La nuance est de taille et sera examinée à la loupe, les articles du quotidien étant malgré tout le principal produit d’appel de la marque Le Monde.

Nous sommes entrés dans une ère où l’accès libre à l’information de la presse d’actualité sera de plus en plus rare. Concrètement ? J’ai longuement évoqué l’Ipad dans mon récent billet. C’est assurément un moyen d’habituer les gens à accéder de manière payante à l’information. Apple a réussit à vendre l’idée aux patrons de presse (ou l’inverse mais bon qui de la poule ou de l’oeuf…) que les gens allaient massivement s’abonner à des applications permettant l’accès à des journaux-pdf. Rien ne dit que cette stratégie va fonctionner, rien ne dit que les gens ne préfèreront pas payer pour des interfaces plutôt que pour de l’information. D’ailleurs, les gens ont-ils jamais payé pour autre chose que pour un support (le papier) et non pas pour l’information elle-même ? Quoi qu’il en soit, pour l’Ipad, il est encore trop tôt pour tirer la moindre conclusion.

Qu’on ne s’y trompe pas, la démarche de la presse pour le grand public sur l’Ipad est le début d’une stratégie plus globale qui entraîne TOUTES les bibliothèques et non plus seulement celles des universités dans une voie financièrement très risquée pour les budgets publics et pour le rôle des bibliothèques !

Europresse, l’accès des bibliothèques à la presse

Cette stratégie, c’est celle de l’enfermement dans des modèles payants qui monétisent ce qui relevait il n’y a pas si longtemps du web en accès libre financé par la publicité. Ce modèle ne fonctionne pas, il est en train de changer et les bibliothèques sont partie prenantes. Autrement dit, il va falloir payer, encore plus qu’avant. Pas convaincu ? Pour mieux comprendre, prenons un exemple bien concret. Europresse vous connaissez ? Surement si vous êtes bibliothécaires, pas forcément. Petit rappel : Europresse est une base de donnée vendue en particulier aux bibliothèques. Elle permet un accès au texte intégral aux contenus de journaux et de magazines francophones. C’est une base assez gigantesque :

Europresse.com pour Bibliothèques est une base de presse qui donne un accès numérique à environ 2 500 sources d’information. Europresse.com est riche de plus de 80 millions d’articles en archives et près de 100 000 nouveaux documents vient enrichir la base quotidiennement. Europresse.com pour Bibliothèques permet d’offrir aux usagers des bibliothèques publiques, universitaires ainsi qu’aux lycées, un accès simple et rapide à la presse française et internationale.

Alors Europresse c’était déjà pas donné et le “Nouveau europresse” sous couvert de changement de modèle de tarification sera encore plus cher, même si des négociations sont en cours avec le consortium Couperin, les bibliothèques essayant tant bien que mal de se regrouper pour peser sur ce marché où elles sont par nature en position de faiblesse.

Des contrats d’exclusivité qui bloquent les bibliothèques

La nouveauté c’est que Le Monde.fr a signé un contrat d’exclusivité avec Europresse. La conséquence est directe et violente : soit vous payez Europresse pour proposer le Monde et ses archives dans votre bibliothèques, soit vous refusez de payer et vous privez vos usagers d’une source incontournable qui n’est plus accessible librement sur internet.

Questions :

  • Comment expliquez-vous au collégien du coin qui veut faire un exposé qu’on a pas Le Monde à la bibliothèque parce que c’est trop cher ?
  • Comment les bibliothèques vont-elles prendre en charge ces coûts croissants de fourniture d’information ?
  • Sur quels autres services va-t-on prendre ces ressources financières ?

Mais plus fort encore : Europresse justifie son changement de modèle par l’augmentation de son offre en nombre de sources agrégées. Désormais, vous en avez pour votre argent chers contribuables avec plus de 3000 sources fiables dont un millier de blogs et des sites web !

Des blogs ? des sites web ? Mais lesquels ? Ben il suffit d’aller voir sur le petit moteur de recherche et de filtrer par langue (français) et par type de source : blogue. On obtient… 7 résultats !

La question n’est pas tant celle du volume, qui va certainement augmenter que celle de la démarche. En réalité la source “libération blogues” recouvre tous les blogs crée sur la plateforme, de même que les blogs du Monde diplomatique. Il s’agit ici de revendre du contenu crée non pas par des journalistes, mais par des blogueurs volontaires qui ont accepté les conditions générales d’utilisation de la plateforme (vous savez ces choses en petits caractères que personne ne lit). Je ne suis pas certain, par exemple qu’Hervé Le Crosnier qui anime un blog sur la plateforme du Monde Diplomatique soit ravi de voir ses articles “revendu” aux bibliothèques sans contrepartie !

Si l’on creuse encore un peu dans les sources, on s’aperçoit qu’il y a aussi une catégorie “twitter”. On n’y trouve non pas une liste de comptes, mais une fiche descriptive relative à twitter :

“Une sélection de tweets en anglais dans les domaines de la culture, de l’économie des finances et de la consommation”. Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

Dans les sites web on trouve 91 sources en français dont rue89 et Marianne ainsi que tous les blogs de libé… En plus, c’est vous dire si l’offre est ciblée, on a droit à une belle sélection de sites internet d’actualité locale … au Québec !

Europresse joue donc sur deux tableaux : d’un côté des exclusivités incontournables et des sources gratuites “sélectionnées” (et puis sur quels critères ? ah bon c’est pas le bibliothécaire qui sélectionne ? ) qui assurent un volume justifiant des prix élevés ! Il s’agit de  revendre aux bibliothèques les contenus payants exclusifs de la presse agrémentés de contenus qui sont librement accessibles sur le web tout ça avec une valeur ajoutée technique à examiner…

Et si demain cette stratégie de la part de la presse s’étendait au web et à d’autres plateformes des infomédiaires comme Wikio ou Paperblog par exemple ? Et si demain les bibliothèques étaient un des rouages essentiels de la stratégie de balkanisation du web à laquelle on assiste ?

Je ne peux ici me retenir de vous proposer, oui vous Bibliothécaires, un rapide rappel historique. Tout ça ne vous rappelle rien ? Si vous êtes abonnés à Electre vous savez que cette entreprise revend elle aussi à prix d’or, une matière première (des informations bibliographiques) faiblement augmentée d’une “valeur ajoutée” (résumés mal foutus, premières de couv’). Matière première obtenue gratuitement après des éditeurs et qui est aussi disponible librement auprès d’autres fournisseurs : la Bibliothèque Nationale de France.

Les conséquences de la stratégie de repli défensif de la presse et plus largement des fournisseurs de contenus me semblent à moyen terme assez catastrophiques pour les bibliothèques :

  • Nous sommes en quelque sorte piégés dans nos propres missions par les fournisseurs de contenus qui s’adressent à nous en jouant sur le volume d’information que nous offrons à nos publics et négocient des exclusivité que nous n’avons pas le choix d’accepter sous peine de ne pas remplir nos missions de manière satisfaisante;
  • Malgré le formidable travail d’un consortium comme Couperin, nous ne pesons pas lourd face à ce qui est une stratégie de sauvetage de tout un secteur, celui de la presse et des contenus numériques dans un contexte de crise économique;
  • Nous sommes embarqués contre nous-mêmes dans une voie inverse à celle du libre accès à l’information et à la circulation de la culture;
  • Nous devenons des lieux d’accès à un web payant (payé par le contribuable), au risque de n’avoir à l’avenir que cette seule valeur ajoutée d’autant plus que nous persistons à proposer du contenu payant dans de beaux systèmes informatiques sécurisés et à filtrer l’accès au web gratuit

Un peu d’optimisme ? Pas aujourd’hui, non.

Article initialement publié sur Bibliosession

Illustration FlickR CC : campra

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Pourquoi faire un journal? Parce que. http://owni.fr/2010/09/20/pourquoi-faire-un-journal-parce-que/ http://owni.fr/2010/09/20/pourquoi-faire-un-journal-parce-que/#comments Mon, 20 Sep 2010 11:08:49 +0000 Quentin Girard http://owni.fr/?p=28608 L’un des deux fondateurs du Tigre, Raphaël Meltz a publié dans le dernier numéro de ce magazine un long manifeste, «Pourquoi faire un journal». Il revient sur son expérience et y explique, en substance, qu’il arrête pour une durée indéterminée…  Lancé en mars 2006, Le Tigre a connu déjà plusieurs versions. La dernière, bi-mensuelle, en était au treizième numéro.

La fin du Tigre?

Au grand désespoir de ses fondateurs, la revue avait connu un bref passage dans la lumière lors d’un article très médiatisé sur Marc L. Le premier vrai portrait Google où Le Tigre démontrait que l’on pouvait presque tout découvrir d’un anonyme, juste en cherchant sur les moteurs de recherche ou sur les réseaux sociaux. Depuis, cette question de l’identité numérique du citoyen est devenue un sujet de société, au point qu’un secrétariat d’État y consacre le plus gros de son activité. Mais, à l’époque, fin 2008, la réflexion autour de ce sujet n’en était encore qu’à ses balbutiements.

Le magazine, après quelques mois d’agitation, est retombé dans son anonymat relatif. De mensuel, il était passé à bi-mensuel au début de l’année. Douze très belles pages en couleurs, d’un point de vue de la maquette. Jusqu’à ces trois dernières pages en forme de au revoir.

Pourquoi s’intéresser au Tigre? Pourquoi parler de sa mort (temporaire)? Après tout, les journaux, c’est un peu comme les langues, chaque jour il en disparaît et chaque jour de nouvelles se créent (et à la fin on parlera tous anglais).

Mais Le Tigre, c’est différent. Il incarne, ou incarnait – je ne sais pas trop s’il faut parler au présent ou au passé – une sorte de journalisme radical. Sans aucune concession aux diktats du marché, que ce soit dans la maquette ou le choix du sujet. Un journalisme qui n’existe pas et qui n’a jamais existé, ou alors de manière toujours confidentielle. Raphaël Meltz, le dit lui-même, il aurait voulu choisir ses lecteurs.

Pourtant il n’agissait pas très différemment de ce que font les autres journaux intéressants, en tout cas au début, raconter leur vision du monde, être subjectif et assumer.  Sauf que, que ce soit dans le choix des sujets, la manière de les raconter ou l’esthétique autour, Le Tigre était plus à la marge que la moyenne.

Passons sur le ton parfois un peu geignard, Le Tigre n’a jamais marché mais je ne voulais pas qu’il marche, et condescendant, Le Tigre est trop bien pour vous lecteurs, cette longue tribune pose pour tous les journalistes en herbe qui écrivent, que ce soit sur papier ou sur le net, quelques questions fondamentales: que voulons-nous faire, que voulons-nous dire?

“Dans les écoles de journalisme, on nous apprend à rejeter nos rêves”

Toute l’année, notamment en école de journalisme, nous recevons des conseils sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire, être subjectif ou ne pas l’être, être sur le web ou être sur le web, les dix conseils pour réussir ou le contraire, etc… Au point que la théorie en devient parfois un peu répétitive. Le Tigre, au moins, c’est du concret. C’est un exemple, parmi d’autres, par rapport auquel on peut se situer.

J’ai eu la chance de participer au lancement de deux revues: Megalopolis, un magazine de grands reportages sur l’Ile de France, et L’Imparfaite, une revue érotique. Malgré le grand écart entre ces deux thèmes, à chaque fois les questions de départ sont les mêmes:

Que voulons-nous dire, comment voulons-nous le raconter?
et, évidemment
Qu’est-ce que l’on raconte?

Cela devait être une question de forme évidemment. Pour les deux sujets, nous avons à chaque fois choisi le format papier, et nous tendons vers des maquettes de plus en plus belles, mais cela aurait pu être un site internet ou du vrai papier toilette imprimé diffusé au hasard dans les rues de Paris. Un torche-cul informatif errant.

Et cela devait être une question de fond, évidemment aussi. Lancer un journal, surtout quand on est jeune, quand on n’y connaît rien, relève d’une sacrée ambition: croire que l’on fera des articles plus intéressants que les articles que l’on nous aurait demandé d’écrire si l’on avait trouvé un travail «normal», «conventionnel».

C’est ce que Raphaël Meltz et ses partenaires ont essayé de faire dans Le Tigre: être le meilleur possible selon eux, quitte à ne pas plaire à tout le monde. C’est une posture intellectuelle. Je sais, la décennie n’est pas aux postures intellectuelles, elle est au pragmatisme. Dans les écoles de journalisme, on nous apprend à rejeter nos rêves. On nous martèle qu’on ne sera jamais Hemingway – je ne cite pas Albert Londres parce que je ne l’ai jamais lu, mais normalement c’est à lui qu’on fait référence – et que la plupart d’entre nous passeront des heures pourries derrière un desk à monter des EVN sans intérêts tandis que d’autres feront de même, mais avec des dépêches, je bâtonne, tu bâtonnes.

Et qu’il faudra être content, parce que c’est la crise, que c’est le chômage pour tous, etc… Les écoles de journalisme ont raison, leur rôle est de nous faire envisager l’étendue des possibles, de nous préparer au pire, quitte, parfois, peut-être, à nous le faire accepter un peu trop facilement. Ce n’est pas pour cela que nous sommes obligés de les écouter 24h sur 24.

Faire un journal, parce que…

Pourquoi faire un journal? Parce que. Parce que nous avons le droit de monter sur un tonneau comme les philosophes et de déclarer que nous éditions un journal et d’estimer qu’il y aura un lectorat. A nous ensuite d’en assumer les échecs (probables à moyen terme).

A cela, les journalistes plus anciens, répondent le plus souvent par deux points:

«Attendez, c’est normal, nous avons tous connu ça, commencer pigiste pour des publications improbables avant de trouver un emploi digne de ce nom»

Sauf que c’était souvent à une époque où on savait que les emplois intéressants existeraient encore dans dix ans, et que, d’une certaine manière, cela valait le coup d’attendre. Aujourd’hui, on ne sait pas s’ils existeront encore. Rien n’est moins sûr. En cela, et je pense que la grande majorité des jeunes journalistes se posent un jour la question, notamment en radio et presse écrite, est-ce que cela vaut le coup de prendre le risque d’attendre? Le poète Michaux, dans Poteau d’Angle, a une jolie maxime:

Attention! Accomplir la fonction de refus à l’étage voulu, sinon; ah sinon…

Peut-être aujourd’hui faut-il accomplir le refus plus tôt qu’avant, quitte à reprendre l’ascenseur plus tard.

Le deuxième argument critique que l’on retrouve couramment est plus pernicieux. Les jeunes journalistes seraient dans une logique de servitude volontaire. Ils auraient accepté de ne plus réfléchir, de ne plus proposer, et d’accepter un recul global du métier en terme de qualité éditoriale exigée et de salaires réclamés. Mais, pire, toujours selon ces critiques, ils en jouiraient presque, puisqu’en retour ils bénéficieraient d’une exposition publique importante, grâce au départ à Twitter ou Facebook, non liée à leur mérite. On retrouve cet argumentaire chez Raphael Meltz du Tigre, dans la partie la plus faible de son papier.

Je dois avouer que je ne comprends pas cet argument, surtout sa généralisation. Juger la qualité d’une nouvelle génération de journalistes sur les idioties qu’ils écrivent sur Twitter, qui n’est ni plus ni moins qu’un comptoir de café comme un autre, avec son immense lot d’inepties et un éclair de génie de temps en temps, me paraît absurde. Les journalistes ont toujours aimé parler fort au bord du zinc, voilà tout. Si l’on résumait ma production professionnelle à mes tweets, je trouverai ça un peu triste. Jugez-nous sur ce que nous écrivons.

Et lorsque l’on regarde le fond attentivement, qu’est-ce que l’on voit? Des magazines lancés par des jeunes, pleins d’idées, de maladresses et d’envies- je pense notamment à Usbek et Rica ou Snatch. On voit une jeune pigiste de 26 ans maintenant, Sophie Bouillon, qui a obtenu le prix Albert Londres. On voit tous ces jeunes sites ou blogs qui se font et se défont, mais qui bruissent d’idées.

Cet été, en lisant le dernier vrai numéro du Tigre, j’ai été jaloux. C’était la première fois de l’année. Jaloux de la manière dont c’était mis en page, jaloux des articles écrits. J’aurai voulu avoir les mêmes idées. En vrac, le reportage à cent euros de Brest à Brest-Litvosk, le feuilleton au Qatar, les portraits d’anonymes à Paris ou l’après-midi à PMU, souvent plus impressionnant dans la manière de l’écrire, plus que dans le choix du sujet. Mais, dans le même temps, cela me donnait envie d’écrire à nouveau, d’avoir des idées, de penser différemment, d’être un journaliste. J’ai cette impression sur quelques articles de temps en temps, assez souvent en Internet, pratiquement jamais sur l’ensemble d’une publication. Le Tigre ne le mérite pas, mais je citerai à nouveau Poteaux d’Angle, rendant hommage au tigre, la bête:

Qui ose comparer ses secondes à celle-là?
Qui en toute vie eut seulement dix secondes tigre?

Pourquoi faire un journal? Parce que j’ai envie d’être aussi fier un jour que les gens du Tigre tenant entre leurs mains leur numéro double d’été. Parce que, très immodestement, avant de faire faillite ou d’être lassé, j’espère que nous arriverons à donner envie aux gens de nous imiter.

Parce que et l’infinité possible des mots qui s’ensuivent.

Crédits photos CC FlickR par Mike Bailey-Gates

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[Infographie] Presse : les grosses étrennes de l’État http://owni.fr/2010/09/17/infographie-presse-les-grosses-etrennes-de-letat/ http://owni.fr/2010/09/17/infographie-presse-les-grosses-etrennes-de-letat/#comments Fri, 17 Sep 2010 16:39:19 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=28507 Télécharger le poster en Haute Définition en cliquant dessus.

Infographie en Creative Commons de Marion Boucharlat

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Bientôt la fin des journaux papier à bord des avions http://owni.fr/2010/08/24/bientot-la-fin-des-journaux-papier-a-bord-des-avions/ http://owni.fr/2010/08/24/bientot-la-fin-des-journaux-papier-a-bord-des-avions/#comments Tue, 24 Aug 2010 10:39:05 +0000 Capucine Cousin http://owni.fr/?p=25874 Devra-t-on bientôt se passer des journaux à bord des avions ? Personellement, j’adore pouvoir avoir accès à une multitude de titres de presse anglo-saxonne à bord d’un avion long-courrier, un des meilleurs moyens de se reconnecter à la vraie vie en rentrant…

C’est Singapore Airlines qui s’apprête à donner un coup de pied dans la fourmilière. Bientôt, le passager voyageant à bord de ses avions ne trouvera bientôt plus les classiques revues de bord.

Magazines en version numérique sur écrans individuels

Imaginez, c’est assez vertigineux. A terme, les magazines ne seront plus disponibles en version papier, et se liront sur les écrans individuels qui équipent tous les avions de la flotte. Pour l’instant, certes, cela concerne uniquement les revues dédiées de près ou de loin à la compagnies aérienne, guides de voyage et autres catalogues de produits proposés en duty free. Mais Singapour Airlines réserve bel et bien le même sort aux différents titres de presse écrite. Elle prévoit ainsi de proposer uniquement en version numérique une centaine de magazines, livres et quotidiens aujourd’hui distribués à bord.

Depuis le 31 juillet, la compagnie asiatique teste ce type de prestation pendant un trimestre à bord de deux Boeing 777-300ER. Elle sera ensuite étendue à deux Airbus A380, puis à l’ensemble de la flotte.

Migration

Concrètement, pour cette migration très numérique des journaux, Singapore Airlines se base sur le système de divertissement Panasonic eX2, qui équipe toute sa flotte aérienne. Grâce à celui-ci, un serveur informatique distribue au réseau Intranet les films, CD, programmes TV de divertissement, jeux… Classique : les autres compagnies aériennes utilisent des systèmes similaires. Mais là, Singapore Airlines permet donc aussi d’accéder à une version numérique des publications.

Le passager, lui, aura toujours accès à la dernière édition. La presse mise à bord sera, en effet, la même que celle diffusée en France car elle pourra être téléchargée sur le serveur informatique de l’avion lors de l’escale à Tokyo ou à Los Angeles, et ce sans attendre, comme c’est le cas actuellement, le retour de l’avion à Paris.

Économie de carburant et de papier

Argument évoqué par Singapore Airlines : cette numérisation des supports imprimés à bord des avions permettra de réaliser des économies substantielles sur le carburant dépensé à transporter des magazines pesant au total des tonnes.

En clair, la compagnie aérienne allègerait ainsi (un peu) son CO2 émis… Pas faux : imaginez, le magazine de bord d’Air France, par exemple, pèse près de 500 grammes.

“Ce sont donc plus de 250 kg, soit l’équivalent de trois passagers, embarqués à bord d’un Airbus A380. Ils pourraient être remplacés par quelques grammes si l’on utilise les mémoires informatiques modernes. Chaque jour, chaque avion économisera alors environ 200 kg de carburant lors de ses allers et retours. Au niveau de l’ensemble de la flotte de la compagnie, le gain s’élève à une dizaine de tonnes de kérosène par an et trois fois moins de CO2 dispersé dans l’atmosphère”, précisait récemment l’AFP.

Et des hectares de forêts seront préservés. Du même coup, évidemment, la compagnie aérienne économisera les frais de mise en page et d’impression des magazines.

Un argument écolo – et économique – qui se tient, donc. C’est au moins aussi significatif que de remplacer des verres par des gobelets en plastique. Et qui pourrait très probablement séduire d’autres compagnies aériennes.

Un réseau de distribution pour les éditeurs de presse

Mais son tournant numérique pourrait gêner aux entournures les éditeurs de presse écrite. Alors que mine de rien, la distribution (gratuite il va sans dire) des journaux, surtout quotidiens, à bord des avions, est pour eux une manne non négligeable. Qui leur permet dans la foulée de gonfler leurs chiffres de diffusion payante, et de devenir gratuits en catimini.

iPads pour clients VIP

Mise à jour lundi 23/08 à 14h30 : il me fallait mentionner cette initiative très révélatrice, que m’a signalée avec beaucoup d’à-propos @jnchaintreuil : certaines compagnies prévoient carrément de mettre à disposition de leurs clients des iPad, avec à la clé l’accès à la dernière édition numérique de journaux et magazines… C’est la compagnie française iXair qui a monté cette offre Bluebox Avionics, d’après le blog VIPad.fr.

Déjà les clients ultra VIP des jets de la compagnie aérienne d’affaires Ixair ont à leur disposition des iPad avec des titres comme Time Magazine, USA Today, Le Monde, Paris Match en version numérisée. Peut-être, un jour, Air France…

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Billet initialement publié sur le blog de Capucine Cousin.

Crédits Image CC Flickr : Babasteve, Global X.

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Ils rachètent le Monde? Re-designons leMonde! http://owni.fr/2010/06/30/ils-rachetent-le-monde-re-designons-lemonde/ http://owni.fr/2010/06/30/ils-rachetent-le-monde-re-designons-lemonde/#comments Wed, 30 Jun 2010 10:16:31 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=20629 OWNI et Silicon Sentier s’associent pour vous proposer de changer le Monde. Et en une nuit, en plus.

Une nuit de folie , le 8 juillet à la Cantine, pour réveiller le “quotidien de référence”.

Il a été récemment recapitalisé, nous allons le re-designer.

Une battle, donc, éthylique et sympathique, entre designers, graphistes et illustrateurs (…), histoire d’imaginer sans contraintes ce que pourrait ou devrait être le site du “média de référence” :)

Fini le temps où on lisait Le Monde dans son jardin, en compagnie d'un lolcat

Au moment où de nouveaux investisseurs vont donner une impulsion au journal et à son site web, quelques questions se posent:  Avec quelle audace? Quelles intuitions originales? Quelle inscription dans les usages? L’esprit innovant soufflera-t-il sur Le Monde? Si l’on en croit la lettre d’intention du trio d’investisseurs gagnant, ce sera le cas:

Nous nourrissons avec humilité une immense ambition: préparer le Monde de demain

Apportons notre contribution! Toutes les propositions seront partagées en temps réel en format “.jpg” sur lemonde.owni.fr. Les meilleures (re) interprétations donneront lieu à un article dédié et à des analyses croisées sur OWNI. On peut imaginer qu’il y ait aussi du développement, et des expérimentations crowdsourcées  et en open-source, évidemment.

Si cette nuit de création débridée fonctionne et nous offre de belles surprises, on re-design à la rentrée l’ensemble des pages d’accueil des grands médias européens en simultané des grandes villes européennes.

Pour s’inscrire, ça se passe sur le site de la Cantine, ou en commentaires ici!

Let’s roll! Venez marcher, venez chanter!

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Crédits Photos FlickR AttributionNoncommercialNo  Derivative Works (from a second story)Mike Bailey-Gates, postaletrice

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Je veux être journaliste dans un pays privé de liberté de la presse http://owni.fr/2010/06/11/je-veux-etre-journaliste-dans-un-pays-prive-de-liberte-de-la-presse/ http://owni.fr/2010/06/11/je-veux-etre-journaliste-dans-un-pays-prive-de-liberte-de-la-presse/#comments Fri, 11 Jun 2010 11:44:53 +0000 Anastasia Lévy http://owni.fr/?p=18266 Dragana Bozic a 21 ans. En deuxième année d’école de journalisme en Bosnie-Herzégovine, à Banja Luka, elle commence aujourd’hui l’équivalent d’un contrat de remplacement à Alternative TV (ATV), une des chaînes les plus indépendantes du pays.

Mais de contrat justement, elle n’en aura pas : “Je suis censée être là pour un mois, et si ça se passe bien, peut-être jusqu’à octobre. Mais je ne sais pas si je serai payée”, raconte-t-elle en gardant sa bonne humeur imperturbable.

Le salaire minimum pour les journalistes, c’est 270 KM, marks convertibles, soit 135 euros par mois, mais sans contrat, on ne peut pas savoir.

Les seuls journalistes correctement payés dans ce pays sont ceux qui travaillent pour une des trois chaînes publiques, qui reçoivent de l’argent des gouvernements.

Les gouvernements, ce sont le gouvernement d’État de la Bosnie-Herzégovine, et ceux des deux entités qui composent le pays, la République serbe au nord, dont Banja Luka est la capitale, et la Fédération croato-bosniaque au sud. A Banja Luka, la télévision officielle, c’est la RTRS, qui vit injectée des capitaux du SNSD, le parti au pouvoir.

A Banja Luka, la première chaîne de télévision du pays, la RTRS (à gauche), est la marionnette du gouvernement (à droite)

Dragana, elle, déteste la RTRS, et fustige sa promiscuité avec le parti, sans avoir les moyens de s’en passer : “L’année prochaine, je dois faire un stage dans leur service radio”.

Quand elle ne travaille pas, Dragana passe des heures au café avec son meilleur ami, Miloš Lukic, un étudiant de 3ème année de l’école de journalisme, avec qui elle s’écharpe sur la politique. Miloš a sa carte au SNSD, mais admet tout de même, un peu embarrassé, que la chaîne de télévision la plus regardée de la Republika Srpska ne pourrait pas critiquer le gouvernement.

Sans trouver les autres meilleures :

Aujourd’hui que le SNSD est au pouvoir, tout le monde dit que la RTRS est trop proche du pouvoir. Mais jusqu’en 2006, quand le SDS était au pouvoir, et que la RTRS le critiquait, tout le monde la trouvait indépendante

C’est ça, le problème de la liberté de la presse en Bosnie. Chaque parti a son réseau de médias à son service, et lui donne les moyens. Les autres médias n’ont pas d’argent, et vivent comme ils peuvent, c’est-à-dire mal. “Parfois à ATV”, explique Dragana, “les rédacteurs donnent de l’argent à leurs collègues pour qu’ils puissent terminer leurs reportages”.

Quand on demande à ces jeunes s’ils pensent que la situation pourrait changer bientôt, ils arborent tous une moue dubitative. Pourquoi vouloir être journaliste alors, quand on sait qu’on ne pourra pas exercer son métier librement?

“Je pense que la nouvelle génération, nous, essaye de changer les choses”, explique Nevena Vrzin, étudiante en journalisme et qui travaille au journal Nezavisne Novine.

J’espère qu’un jour nous aurons tous le courage de nous lever et de dire ‘je veux travailler comme ça et pas autrement’. Mais il faut travailler, vivre, et les idéaux disparaissent quand il faut manger.

Nezavisne Novine, ça veut dire “journal indépendant”. Créé au début des années 90 avec le soutien de Milorad Dodik, jeune politicien de l’époque et aujourd’hui… Premier ministre de la Republika Srpska et président du SNSD, le journal n’est “évidemment pas objectif” lance Miloš.

En 1999, le propriétaire du journal, Zeyko Kopanja, perd ses jambes dans un attentat : l’affaire est étouffée, et personne n’est jugé. Tout le monde a sa théorie sur le coupable : pour Milos, ce serait un proche de Radovan Karadzic, l’ancien homme politique accusé de génocide, fondateur du parti SDS, concurrent du SNSD. “Tout ça fait partie d’un système général de corruption, de toute la société. Il faut que toute la classe politique change pour que les médias changent”, estime le jeune homme.

Nevena, elle, a trouvé sa parade : “Ne pas travailler dans les rubriques politiques des journaux. Moi je suis en culture, je dis ce que je veux”. Avant d’admettre : “Parfois, quand des événements culturels sont liés à Dodik et au ministère de la culture, je suis obligée de les couvrir”. Miloš, passionné de politique, voit ça comme un défi : “C’est à moi de protéger mon indépendance. C’est un challenge pour moi”.

Son grand frère Luka, étudiant en philosophie, conclut :

Tu peux publier n’importe quelle histoire ici. Mais pas dans n’importe quel journal

Images CC FLickr par yoshiffles

En savoir plus: le projet des étudiants du CUEJ en Bosnie ainsi que celui des étudiants du CELSA

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#ijf10: “Nous ne savons pas ce que sera le journalisme dans 12 mois” http://owni.fr/2010/04/26/ijf10-nous-ne-savons-pas-ce-que-sera-le-journalisme-dans-12-mois/ http://owni.fr/2010/04/26/ijf10-nous-ne-savons-pas-ce-que-sera-le-journalisme-dans-12-mois/#comments Mon, 26 Apr 2010 11:01:20 +0000 Marc Mentré http://owni.fr/?p=13588 Le Huffington Post compte une équipe d’une bonne vingtaine de modérateurs. Il est vrai qu’avec 2,3 millions de commentaires postés par mois, le travail ne manque pas. Josh Young, Social media editor, explique que l’idée principale qui sous-tend son travail est de faire du site “un endroit accueillant [a welcoming place]“.

La logique est la suivante:

“Les internautes lisent les informations pour avoir quelque chose à dire et à discuter dans la journée. Or, aujourd’hui, nous pouvons entendre une partie de cette conversation et nous devons l’accueillir, être le lieu où les gens parlent les uns avec les autres sur les informations”

et… les partagent.

“Nous faisons en sorte qu’ils soient très facile pour les gens de partager leurs histoires [stories] sur Facebook et Twitter.”

Pour autant, il ne faudrait pas croire que tout le monde participe à cette conversation. Seule une minorité le fait —environ 8% d’entre eux— mais elle est l’objet de toutes les attentions. “Qui sont ces personnes?” Les identifier est une partie du travail de Josh Young. Il cherche aussi à valoriser auprès de ses “boss”, les quelques commentaires qui peuvent être qualifiés de véritables “petits articles”.

La proportion est faible: 7 sur 1.000 ont du contenu, mais si l’on prend en considération la masse de commentaires postés sur le site, cela représente quelque 16.000 commentaires “à contenu”, par mois, qui alimenteront à leur tour la conversation. La seule véritable difficulté est “de les mettre à la meilleure place sur le site. C’est un challenge”, reconnaît Josh Young.

Reste la question cruciale de signaler les commentaires “inappropriés”.

“Je dispose certes sur mon ordinateur d’un bouton, commente-t-il, qui me permet d’éliminer ce type de commentaires, mais je ne le fais pas. J’ai constaté qu’un tout petit nombre de personnes —environ 10.000— savaient très bien le faire et ce sans mon intervention. Je me dois d’établir une relation avec ces 10.000 personnes”.

Un travail qui n’est pas rémunéré: “Nous leur offrons la reconnaissance, ajoute-t-il, et il semble que ce soit suffisant.”

De fait, le Huffington Post est devenu, à lui seul un véritable réseau social, où les commentateurs ont des amis, des fans, des followers, utilisent des “boîtes” [box] de couleur différente selon leur “statut”. Une politique qui se justifie explique Megan Garber de la Columbia Journalism Review, “car il existe une compétition aux États-Unis sur les commentaires”.

En Grande-Bretagne, la gestion de la communauté pour un site aussi important que le Daily Telegraph est tout aussi attentive, si l’on en croit Adrian Michaels, foreign editor pour le groupe :

“Lorsque vous avez 10 millions de visiteurs uniques en Grande-Bretagne, 10 millions aux États-Unis, etc., il est important de construire une communauté”.

Et pour lui aussi la communauté passe par la gestion des commentaires, dont il reconnaît qu’ils peuvent être très “rudes” :

“Nous avons un cycle de 24 heures, puisque nous avons 10 millions de visiteurs uniques par mois britanniques, 10 millions aux États-Unis, etc. Or, le ton des commentaires change en fonction de l’heure et reflète les caractéristiques de la population d’un pays. Par exemple, ils sont plus courts et plus brusques, lorsqu’ils sont écrits par les Américains”.

Mais derrière cette approche “communautaire”, c’est en fait un nouveau type de “fabrication de l’information” qui se met en place. Les “utilisateurs” [users], en effet, “exercent un contrôle fantastique” explique Adrian Michael.

Ce sont eux qui vont “distinguer” certains journalistes : “Un de nos journalistes, dit-il, a un demi million de pages vues par mois sur son blog”.

Un succès qui traduit en fait une évolution profonde selon Megan Garber :

“C’est de plus en plus l’individualité qui est reconnue et de moins en moins l’institution et cela pose de nombreuses questions”.

Les réseaux sociaux ont aussi un important impact sur le mode de sélection de l’information. Par exemple, raconte placidement Josh Young:

“un journaliste qui travaille sur les ‘celebrities’ les suivra sur Twitter, car les tweets sont des news! En effet, comme journaliste vous ne serez jamais le premier sur toutes les histoires, en revanche vous serez le premier à réagir. Donc, si nous pensons que ces tweets ne sont pas des fakes, et pour cela nous les vérifions, nous les publions en les contextualisant.”

C’est aussi une nouvelle hiérarchisation de l’information qui se met en place.

“Nous faisons très attention à ce que les gens veulent lire et nous essayons de leur donner les informations qu’ils veulent. Pour cela nous regardons ce qu’ils cherchent sur Google. Par exemple, nous avons constaté que le nombre de requêtes contenant ‘Nick Clegg’ [le leader du parti libéral britannique, qui a fait une forte percée dans les sondages] augmentait. Donc, nous avons fait des articles sur lui”.

C’est enfin, l’abandon d’éléments traditionnellement considérés comme essentiels, comme les titres des articles. “Il y en a peu qui soient si bons que l’on s’en souvienne”, argumente Josh Young, pour qui l’évolution actuelle est loin d’être finie:

“Nous ne savons ce que sera le journalisme dans 12 ou 16 mois, alors nous devons faire des expériences”.

Notes prises au cours du débat “Quelque chose sur quoi parler” (Something to talk about)
mardi 21 avril 2010
avec Adrian Michaels, foreign editor, Telegraph Media Group
Marco Pratellesi, editor Corriere della Sera online
Josh Young, social media editor The Huffington Post
animé par Megan Garber et Justin Peters de la Columbia Journalism Review online

> Marc Mentré tient le blog The Media Trend

> Illustrations par duncan sur Flickr

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