OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La neutralité remise sur le tapis http://owni.fr/2012/09/14/la-neutralite-remise-sur-le-tapis/ http://owni.fr/2012/09/14/la-neutralite-remise-sur-le-tapis/#comments Fri, 14 Sep 2012 14:22:02 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=120097

L'Internet reste stupide, et c'est très bien comme ça

Internet en fusion

Internet en fusion

En lançant une réflexion sur le "rapprochement" de l'Arcep et du CSA, le gouvernement ressuscite un serpent de mer qui ...

Mise à jour (19/09/2012) : le cabinet de Fleur Pellerin, ministre en charge de l’économie numérique, a indiqué hier à Libération qu’il n’y avait “pas d’urgence à légiférer”, ajoutant que “s’il y a des atteintes à la neutralité, l’Arcep peut être saisie. “ Le régulateur a en effet la possibilité d’être saisi par les acteurs du Net en cas de différend. Les internautes néanmoins, restent sans aucune possibilité de recours.

En matière de neutralité du Net, Bercy préfère donc s’attacher à l’avis du régulateur des télécoms, qui n’est pas favorable à l’idée d’une loi sur le sujet, plutôt que de soutenir une initiative de l’opposition. Un rapport reprenant sa position est d’ailleurs attendu les tout prochains jours au Parlement.

L’alliance du ministère avec l’Arcep a de quoi surprendre, à l’heure d’un éventuel rapprochement de cette autorité avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui est perçu comme un véritable coup de boutoir politique en direction du régulateur des télécoms. Bercy a d’ailleurs tenu à préciser que “la question de la neutralité du Net pourrait rentrer dans les discussions à venir sur la fusion entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et l’Arcep.” Histoire de complexifier un peu plus une affaire déjà foutraque et mal engagée.


“Créer certaines règles pour préserver l’Internet.” C’est l’objectif de la proposition “relative à la neutralité de l’Internet” que vient de déposer Laure de la Raudière (UMP) à l’Assemblée nationale. L’élue est une habituée du sujet, puisqu’en 2011, elle remettait déjà au Parlement, accompagnée de Corinne Erhel (PS), un rapport sur la neutralité du Net. Interrogée par OWNI, elle déclare souhaiter “faire de ce texte un marqueur important de ce qu’est la neutralité du Net dans le droit”.

En inscrivant ce principe dans la loi, cette proposition vise à protéger le réseau, “immense bien collectif”, “des intérêts de ses différents acteurs”. Le tout décliné assez brièvement, en à peine 9 articles. Outre la définition de la neutralité du Net, les obligations fixées notamment aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), le texte aborde aussi l’épineuse question du “blocage de l’accès à Internet”. Rassemblée en une “procédure unique”, elle est ici remise entre les mains de la seule autorité judiciaire.

Blocage : juge à tous les étages

Pour un Internet “neutre et universel”

Pour un Internet “neutre et universel”

Contre le blocage et en faveur d'une neutralité des réseaux préservée et contraignante, le rapport de Laure de la ...

C’est d’ailleurs la disposition qui a été la plus commentée. Certains se sont étonnés de retrouver le scénario du blocage de sites Internet au sein d’une proposition protégeant la neutralité. “L’article 4 n’est pas mal” commente quant à lui Benjamin Bayart, le président du FAI associatif FDN, également bien au fait du sujet, contacté ce matin par OWNI. “Il modifie très en profondeur ce qui existe déjà et remet le juge partout !”, poursuit-il.

L’article 4 propose en effet de réunir l’ensemble des procédures permettant en droit français d’imposer aux FAI de bloquer l’accès à certains contenus, en y faisant systématiquement intervenir l’autorité judiciaire. Une rupture avec les mauvais souvenirs laissés en 2010 par la LOPPSI (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure).

Pour rassembler les “cinq bases légales différentes” en la matière, l’article 4 modifie donc l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) -un passage casse-tête qui détaille (entre autres) la responsabilité des hébergeurs sur Internet

Si le texte est adopté, il y aura donc une procédure unique. Les scénarios visés sont ceux que l’on retrouve habituellement en cas de serrage de vis sur le Net : jeux en ligne non autorisés, pédopornographie et bien sûr, la sacro-sainte atteinte “à un droit d’auteur ou à un droit voisin”.

Difficile en l’état de savoir quelles implications auront les modifications souhaitées par la députée UMP. “Pour comprendre l’article 6 de la LCEN, il faudrait 2 mémoires de thèse !” commente Benjamin Bayart. Et de conclure :

Difficile de dire en l’état si l’article 4 aura des effets de bord.

Du vrai Internet, une qualité minimale

Outre la question du blocage, la proposition de loi entend aussi régler les comptes des FAI. Certaines obligations leur sont imposées afin d’éviter qu’ils façonnent le réseau, et la manière dont les internautes peuvent en disposer, au gré de leur objectifs commerciaux.

Ainsi, seuls les services “respectant le principe de neutralité” pourront être vendus sous l’étiquette offre “d’accès à Internet”, indique l’article 5. Les suivants (articles 6, 7 et 8) imposent quant à eux aux opérateurs “une qualité de service minimale”. C’est l’Arcep, le gendarme des télécoms, qui est présenté comme le bras armé de la neutralité : il lui revient la responsabilité de mettre sur pied “un observatoire de la qualité de l’Internet” (art.6), ainsi que d’imposer aux FAI les “exigences minimales en terme de qualité de service” dès que la situation concurrentielle ne le permet pas. “Afin, poursuit le texte, de garantir aux consommateurs la capacité de choisir une offre d’accès à Internet respectant le principe de neutralité”.

Manière comme une autre d’apporter son soutien à l’Arcep, qui en a bien besoin. Empêtrée dès la rentrée dans un projet du gouvernement qui vise à rapprocher cette autorité du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), l’Arcep retrouverait ici un nouveau souffle. Les différents chantiers qu’elle mène depuis plusieurs mois au sujet de la neutralité du Net, que nous suivons attentivement ici à OWNI, sont en effet directement concernés par la proposition de loi.

Internet bat la mesure

Internet bat la mesure

Le gendarme des télécoms redresse la barre, mais peut-être trop tard. Pour mesurer la qualité de l'accès à Internet en ...

Ainsi le projet de mise en place d’un suivi de la qualité de service de l’accès à l’Internet fixe. Rappelez-vous : les garanties apportées par ce groupe de travail ne permettaient pas de croire en la validité des mesures à venir. Avec un observatoire indépendant, placé au cœur du régulateur, difficile pour les FAI de truquer les mesures. De même pour la question des offres commerciales estampillées “Internet”, très âprement discutée au sein d’un autre groupe de travail.

Même si l’Arcep ne se montre pas favorable à une loi pro-neutralité, comme elle devrait le réaffirmer dans les prochains jours dans un rapport qu’elle remettra au Parlement (l’analyse du pré-rapport à lire ici), l’initiative de Laure de la Raudière ne devrait donc pas la laisser insensible.

Mort-né ?

Reste bien sûr la question de l’adoption de cette proposition. Rien n’est gagné, tant du côté de l’opposition que du côté de la majorité. “Là tout de suite, l’UMP a des priorités sur la productivité et l’emploi”, concède Laure de la Raudière. Avant d’ajouter :

Déposer ce texte, c’est aussi une manière de questionner le gouvernement. J’ai du mal à savoir leur position sur le sujet.

Pour le moment, les intéressés gardent le silence : après l’avoir joint plus tôt dans la journée, nous restons en attente d’une réaction officielle du cabinet de Fleur Pellerin, la ministre en charge de l’économie numérique. Ministre qui s’était illustrée cet été par une bourde au sujet de la neutralité, affirmant qu’elle était “un concept américain qui a tendance à favoriser les intérêts économiques de Google, Apple et consorts.”

C’en était suivi un tollé, qui a fait place à une rectification de la part de l’intéressée, sur Twitter comme lors du Club parlementaire du numérique. Elle avait alors déclaré soutenir “la liberté et l’universalité d’internet”.

Pas sûr néanmoins qu’elle profite de l’ébauche déposée par Laure de la Raudière, une élue de l’opposition. Histoire de territoires politiques bien sûr, mais aussi, peut-être, de venger une autre proposition de loi : celle de Christian Paul, élu PS, qui avait déposé sans succès, en février 2011, un texte visant à protéger la neutralité du Net.

]]>
http://owni.fr/2012/09/14/la-neutralite-remise-sur-le-tapis/feed/ 2
La Reine mère ferme les braguettes http://owni.fr/2012/05/03/la-reine-mere-ferme-les-braguettes/ http://owni.fr/2012/05/03/la-reine-mere-ferme-les-braguettes/#comments Thu, 03 May 2012 14:55:19 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=108829

“Il est temps qu’Internet ne soit plus traité différemment que n’importe quel autre media.” Comprenez par là que culs et bites n’aient plus droit de cité dans le réseau outre-Manche. Cette sentence, que l’on doit à l’élue conservatrice Claire Perry, vient ressusciter un vieux serpent de mer britannique : l’instauration d’un filtrage a priori de tous les contenus pornographiques.

Fin 2010, le gouvernement avait déjà suggéré de bannir le porno du réseau, au nom de la protection de l’enfance sur Internet. Le projet consistait alors à demander aux internautes attachés à leurs activités frivoles de se signaler auprès de leur fournisseur d’accès à Internet (FAI) en apportant la preuve de leur majorité.

Avril 2012, on prend les mêmes et on recommence. Le premier projet de 2010 n’ayant finalement pas abouti, un nouveau texte a été déposé à la fin du mois d’avril devant la Chambre des Lords : l’Online safety bill. Même trame : plus de cochonneries en ligne a priori, les amateurs étant priés soit de se restreindre, soit de se manifester. Un nouvel haro sur le porno qui déchaîne les passions.

Adieu culs, bites et cons

“Nous n’acceptons pas [la pornographie] sur toute autre forme de média, que ce soit la télé ou les téléphones mobiles, pourquoi devrons nous l’accepter sur Internet ?” a ainsi affirmé Claire Perry dans une émission de BBC Radio 4 en date du 1er mai. Quelques jours plus tôt, l’égérie du mouvement se confiait dans une tribune parue dans The Daily Mail, journal conservateur populaire au Royaume-Uni, lui-même engagé dans une vaste campagne anti-porno. Intitulé “De combien d’autres preuves avons-nous besoin avant de commencer à protéger nos enfants d’images dépravées ?”, le texte livre “[les] expériences d’une mère, ainsi que [les] inquiétudes d’une femme politique” :

Quand j’ai entré les mots “American Girl” dans la barre de recherche de Google, les images apparues n’avaient rien à voir avec les innocents jouets avec lesquels [mes filles] aiment jouer.

Forte de cette malheureuse aventure, la députée arrive à la conclusion que les logiciels de contrôle parentaux ne suffisent plus puisqu’on “peut accéder à Internet avec les iPhone et les Wii, ainsi qu’avec les PC, les portables, les téléphones mobiles, et les TV connectées” qui nécessitent chacun un dispositif de sécurité spécifique. Conclusion : filtrons la pornographie sur Internet :

Ne serait-il pas plus judicieux si tous les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) changeaient le système pour qu’au lieu de placer toute la responsabilité sur les parents qui doivent installer les filtres, Internet soit filtré chez nous et qu’on adopte le système ‘opt in’ pour les consommateurs qui souhaitent accéder à la pornographie et à tout autre site adulte au lieu du système d’‘opt out’ actuel ?

Censure et surblocage

Pour les FAI et experts réseaux en question néanmoins, cette solution n’est pas aussi “simple” que prétend l’élue conservatrice. En termes techniques d’abord, le filtrage massif soulève de nombreuses interrogations quant à son efficacité. Bloquer un site identifié comme pornographique, c’est prendre le risque de neutraliser d’autres contenus tout ce qu’il y a de plus inoffensif. Le couperet du surblocage s’est d’ailleurs déjà abattu dans de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, où l’intégralité de la page Wikipedia du groupe Scorpions a un temps été inaccessible en raison de la pochette de l’album Virgin Killer, jugée répréhensible par l’Internet Watch Foundation (IWF). L’organisme, qui cherche à “éliminer toute image d’abus sexuels d’enfant” avait placé ce lien dans une liste noire de sites bloqués par les FAI anglais.

En France, lors de l’adoption de Loppsi en 2010, le débat s’est d’ailleurs focalisé sur le même risque de censure. Une association de protection de l’enfance, l’Ange Bleu, s’étant même opposée aux velléités gouvernementales de blocage du Net, jugé “dangereux, inefficace et contre-productif”. Les contenus visés étaient alors non pas pornographiques mais pédo-pornographiques.

“On perpétue le mythe selon lequel c’est une solution technologique simple à un problème complexe” plaide Nick Pickles, de l’association Big Brother Watch. Un constat que partage Nicholas Lansman, membre de l’Ispa, l’association des FAI anglais, pour qui “il est très compliqué de définir ce qui est illégal ou non”. Car au-delà des considérations techniques, comment déterminer ce qui rentre ou non dans la case olé-olé ? “Nous ne voulons pas arbitrer de ce que font les internautes en ligne” poursuit Lansman, qui estime que les FAI fournissent déjà des solutions techniques, les logiciels de contrôle parental, pour prémunir les plus jeunes de la pornographie.

Même levée de boucliers du côté des industries de divertissement pour adulte : “je pense que nous régressons en tant que société à partir du moment où on autorise le gouvernement à dicter ce que vous pouvez ou non regarder”, regrette ainsi Steven Hirsch, le cofondateur de Vivid Entertainement. Enfin, qui est la police des mœurs ? Cette pente nous mène irrémédiablement vers la perte de nos libertés.” Sans compter que de nombreuses personnes “peuvent se sentir mal à l’aise de faire savoir à leur FAI qu’ils veulent du contenu pour adulte”, ajoute-t-il, renvoyant au passage les parents à leur responsabilité. Une ligne de défense qui n’est qu’une question de gros sous selon The DailyMail, pour qui la suppression du porno sur Internet empêcherait [Steven Hirsch] et d’autres de sa profession sordide de faire de vastes profits dans un business qui rapporte des milliards par an”.

Responsabilité

Le bras de fer s’est intensifié ces derniers jours avec l’affaire The Pirate Bay : les FAI anglais se sont vus ordonner par la justice de bloquer l’accès à ce site de partage de fichiers torrents, au nom de la lutte contre le piratage sur Internet. Signe pour Claire Perry que la face du réseau s’apprête à changer :

Je pense que ce que nous observons avec la décision The Pirate Bay renvoie à un ensemble de changements qui affirme que les FAI ont un rôle à jouer.

Car ce qui se joue dans cette guerre de tranchées est moins la place légitime ou illégitime du porno sur Internet, que le visage que l’on souhaite donner au réseau. Que le rôle à conférer à leurs portiers : les FAI. “Vous êtes ceux qui donnez accès à Internet : pourquoi n’êtes vous pas la police du Net ?” Cette question entendue sur la BBC prouve bien que la chair n’est, comme souvent, que l’arbre qui cache la foret. Et que le noeud du problème est bien la notion de responsabilité.

Deux camps se font ici face. D’un côté, les partisans d’un Internet plus étroitement encadré où, comme le souligne la BBC, “la protection de l’enfance éclipse tout souci de censure” et où il incombe aux FAI de fermer les portes du réseau. De l’autre, les défenseurs d’un réseau où le blocage des sites est “non seulement [perçu] comme inefficace mais aussi comme contraire à la morale”. Et où les individus, consommateurs comme émetteurs, sont responsables de leurs actes.


Illustrations CC FlickR Jim Linwood et roberlan

]]>
http://owni.fr/2012/05/03/la-reine-mere-ferme-les-braguettes/feed/ 0
La Cnil court après les caméras http://owni.fr/2011/11/22/la-cnil-court-apres-les-cameras/ http://owni.fr/2011/11/22/la-cnil-court-apres-les-cameras/#comments Tue, 22 Nov 2011 07:21:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=87483

Comme l’an passé, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) souligne dans son dernier rapport annuel (publié le 16 novembre) [pdf] son manque criant de moyens. Mais cette fois, le lecteur est pris d’inquiétudes en lisant le bilan qu’elle dresse sur le décalage entre ses capacités et ses missions dans le domaine de la vidéosurveillance. Pourtant, celles-ci étaient déjà dans son programme en 2010 et ses champs d’investigation en la matière ont été étendues.

La Cnil, qui continue de faire maigre figure auprès d’autres pays européens, s’est vu ainsi confier en mars dernier par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) le contrôle des dispositifs sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. L’autorité, qui réclamait cette prérogative depuis 2008, s’en réjouit et annonce 150 contrôles en 2011, ce qui reste bien maigrichon si l’on fait le ratio avec le nombre de dispositifs. Faute de moyens supplémentaires, ce sera la disette, souligne-t-elle sans ambages :

S’il est en effet illusoire de vouloir contrôler l’ensemble des dispositifs de vidéoprotection, il conviendra néanmoins que la CNIL puisse contrôler un pourcentage raisonnable de ceux-ci. Cet objectif est à mettre en perspective avec les 400 000 caméras installées en France qui relèvent du régime de la loi de 1995, dont environ 33 000 sur la voie publique (avec un objectif de 45 000 fin 2011, selon le ministre de l’Intérieur). Et ces chiffres sont en constante augmentation (…) Afin que la CNIL puisse mener à bien cette mission confiée par le législateur, notre Commission souhaite que cette extension de compétence s’accompagne d’un accroissement de ses moyens.

Illégalité des dispositifs

Pauvre mais insolente, la Cnil fait aussi le constat de 15 ans de laxisme concernant la vidéosurveillance sur la voie publique :

Il est rapidement apparu à notre Commission que le mécanisme d’autorisation préfectorale préalable créé en 1995 n’était pas suffisant : d’une part, parce qu’il ne concerne que les dispositifs dont le préfet a connaissance et, d’autre part, parce que les dispositifs effectivement en place peuvent ne pas respecter, volontairement ou non, le cadre fixé par l’autorisation préfectorale.

Elle rejoint sur ce point l’avis de la Cour des comptes, dont le rapport rendu cet été soulignait l’illégalité d’une partie des dispositifs. Sur les 55 contrôles effectués, dans leur majorité dans le cadre de l’instruction de plainte, elle a relevé :

- 23 absences de déclaration CNIL ou déclaration incomplète ;
- 27 dispositifs disproportionnés (surveillance permanente des salariés concernés), dont 6 (10% des cas) “étaient délibérément orientés sur des salariés”. Ambiance dans l’entreprise. Or, rappelle la CNIL, la mise en œuvre d’un dispositif de vidéosurveillance ne peut pas avoir pour seule finalité la surveillance des salariés. En mars 2010, elle a ainsi demandé en urgence l’interruption d’un système de surveillance permanent. On ne saura pas le nom de l’entreprise car la CNIL, discrète de coutume, ne cite pas les fautifs, sauf cas rare
- 10 cas de durée de conservation excessive des images ;
- 38 cas de défaut d’information des personnes ;
- 14 cas de défauts de sécurité ;

Cet échantillon lui a permis “de dégager une première orientation en matière de proportionnalité de dispositifs de vidéosurveillance filmant des salariés sur leur lieu de travail.” Et le vol de crayon n’entre pas dans ce périmètre, entre autres…

La mise en œuvre de dispositifs de vidéosurveillance destinés à lutter contre le vol est acceptable, sous certaines conditions : les zones sans rapport avec la finalité de lutte contre le vol ne doivent pas être filmées. Il peut s’agir notamment des zones de repos, des zones de travail sans présence de la marchandise. La marchandise peut être filmée ; éventuellement les salariés qui la manipulent – mais pas les salariés en tant que tels ; la CNIL apprécie également la légitimité du dispositif : la lutte contre le vol ne doit viser que les marchandises en lien avec l’activité de l’entreprise concernée (ce qui permet d’éviter une lutte trop « générique » : lutte contre le vol de papiers, de crayons, etc.) ; enfin, si des moyens alternatifs existent déjà (armoires fortes, sécurité des locaux), le recours à des dispositifs de vidéosurveillance ne paraît plus indispensable.

Encore faut-il que les salariés soient informés de ce cadre juridique. L’école a aussi des leçons à recevoir. On reproche aux jeunes qui baignent dans l’Internet de ne plus avoir de notion de vie privée mais ce sont pourtant des établissements qui filment leurs “lieux de vie tels que les cours de récréation, les préaux, les jardins ou les foyers des élèves”. Et la CNIL de déplorer :

les contrôles ont montré que l’orientation de certaines caméras était inadéquate notamment lorsqu’elles filment en permanence « les lieux de vie » permettant une surveillance permanente des personnes qui s’y trouvent, qu’il s’agisse des élèves ou des enseignants (…) Seules des circonstances exceptionnelles – établissements scolaires victimes d’actes de malveillance fréquents et répétés – peuvent justifier que des élèves et des enseignants soient filmés en continu

Le régime d’exception ne doit pas devenir la norme, souligne le rapport. Pour le reste, comme en entreprise, il faut mettre en œuvre d’autres moyens moins intrusifs. Enfin, les parents et les élèves n’étaient pas toujours informés de la présence du dispositif. Un détail. Une “collecte excessive de données [qui] a conduit le président de la CNIL à mettre en demeure cinq de ces établissements de modifier leur système.”

On notera enfin que l’imbroglio sur le nombre de caméras sur la voie publique continue : le ministère de l’Intérieur Brice Hortefeux avait évoqué “environ 30 000 caméras en 2009, et 40 000 en 2010“, et en voulait 60 000 fin 2011. Selon l’enquête de la Cour, effectuée à partir des données rassemblées par la direction de la police et de la gendarmerie, on est à 10 000 caméras fin de 2010. La Cnil annonce elle 33 000 caméras, “avec un objectif de 45 000 fin 2011, selon le ministre de l’Intérieur”.


Photos et illustrations par DrJohn 2005 [cc-by-nc-nd]

]]>
http://owni.fr/2011/11/22/la-cnil-court-apres-les-cameras/feed/ 6
Christian Vanneste contre les branleurs du net http://owni.fr/2011/07/07/vanneste-porn-bullshit-loi-internet/ http://owni.fr/2011/07/07/vanneste-porn-bullshit-loi-internet/#comments Thu, 07 Jul 2011 13:55:55 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=73012 Mise à jour du 8 juillet: Puisque Christian Vanneste n’a pas le monopole de l’indignation, soulignons également l’initiative du très familial Reader’s Digest, qui veut protéger les enfants contre les cohortes de pédophiles déferlant sur Internet. Pour ce faire, ils ont même concocté un joli bouton que nous apposons ici:

Internet, c’est ça? Ou bien ça? Ou peut-être ça? Si vous voulez vous rincer l’oeil en déroulant du sopalin profitez-en, parce que ça ne durera peut-être pas. Christian Vanneste, le député UMP du Nord, vient de déposer une proposition de loi visant à circonscrire l’accès des mineurs aux sites pornographiques. “La pornographie, sans limite, envahit les foyers par le moyen d’internet et s’insère de manière pernicieuse dans la vie de nombreux jeunes”, écrit Vanneste, dont la plume virevoltante semble être portée par “le courage du bon sens”, la devise qu’il affiche fièrement sur la bannière de son blog.

Armé de sa morale, le truculent parlementaire n’en est pas à son coup d’essai. En 2007, déjà, il demandait au ministère de la Justice quelles mesures il comptait prendre pour “protéger les mineurs contre la pornographie”. A l’époque, le garde des sceaux lui répondait poliment que le cadre légal était a priori suffisant pour préserver les chères têtes blondes de la nation du stupre en streaming.

Cette fois-ci, Vanneste va plus loin et demande carrément d’amender la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la fameuse Loppsi 2. Il voudrait ainsi que les sites pornographiques soient fermés par défaut, et que chaque internaute souhaitant accéder à leur contenu en fasse la demande auprès de son fournisseur d’accès. Ce qui déboucherait sur des courriers du type:

Cher service client, par la présente missive, je soussigné Olivier Tesquet, abonné n° 123456, certifie être majeur et vacciné, et demande l’autorisation de me divertir sur le site http://youporn.com. Merci de faire explicitement figurer cette information sur ma facture détaillée.

Pornographie = terrorisme

Sur le fond, Vanneste adapte une idée chère à Eugene Kaspersky, le leader russe de la sécurité informatique: la création d’un passeport numérique qui obligerait l’internaute à s’identifier avant d’accéder à un contenu. Pour mieux porter son projet, Vanneste a même mis en ligne une pétition. Celle-ci regroupe déjà plus de 750 signataires, pour qui la pénétration du Net ne doit pas passer par les enfants. Morceau choisi:

Il y a évidemment un lien entre la violence au collège ou au lycée et ce que les ados regardent sur leurs écrans. Quand protègera-t-on enfin efficacement nos enfants contre la pronographie (sic) qui fait des ravages aussi chez les adultes, dans les couples, dans les familles ? Cessons d’être laxistes, attaquons le mal à la racine ! Mettre en place des cellules psy après le meurtre ou le viol d’une mineure par un mineur me semble tout à fait insuffisant. Chers dirigeants, ayez le courage de prendre des mesures efficaces à l’encontre de cette forme de terrorisme qu’est la pornographie. D’avance, merci !

Même si les forces spéciales américaines ont retrouvé des vidéos olé-olé dans le repaire pakistanais d’Oussama Ben Laden, le lien entre le sexe et la sécurité nationale ne saute pas aux yeux, sauf à mettre en place un plan Vigipirate du cul qui ne passerait jamais au rouge. Surtout, et c’est toute l’ironie de l’affaire, Christian Vanneste attaque Internet dans son principe de neutralité. C’est maladroit, parce que Christian Vanneste aime profondément Internet. Il lui permet d’afficher ses opinions au nom de la liberté d’expression: homophobie assumée, plaidoyer pour la peine de mort et – donc – diabolisation de la pornographie. Le souci, c’est qu’il a visiblement une idée bien personnelle du réseau. A le lire, c’est la quatrième dimension, un monde parallèle à la Tron dans lequel l’internaute-machine porterait une combinaison en aluminium et des bottes en kevlar:

Internet représente un moyen de communication permettant d’avoir accès à un nombre d’informations quasi illimité à domicile. C’est donc la porte ouverte à toutes les réalités du monde représentées de manière virtuelle. Mais contrairement au monde réel, l’accès aux informations ne nécessite pas de démarches personnelles concrètes, longues, progressives et réfléchies. Tout s’y passe dans l’immédiat, dans la facilité, dans l’exhibition. La publicité y advient de manière intempestive à l’image de toute autre forme de promotion.

Pour sortir l’ami Vanneste des années 90, rien de tel qu’une petite profession de foi. Internet is for P0rn.


Crédits photo: Capture d’écran Youporn pixelisée sous Photoshop

]]>
http://owni.fr/2011/07/07/vanneste-porn-bullshit-loi-internet/feed/ 50
[Dataviz] Digitale Martine vs Télématique Sarkozy http://owni.fr/2011/07/04/dataviz-digitale-martine-vs-telematique-sarkozy/ http://owni.fr/2011/07/04/dataviz-digitale-martine-vs-telematique-sarkozy/#comments Mon, 04 Jul 2011 14:33:45 +0000 A. Fradin et S. Blanc http://owni.fr/?p=72631

Cliquez sur le poster pour l'afficher en haute définition.

Cette fois, ça y est ! Internet débarque au cœur de la campagne, fort des 25% de croissance qu’il assurerait à la France ces trois prochaines années. Du coup, les deux principaux partis politiques y vont de leurs propositions.

L’affaire est connue depuis un bail : Internet a la particularité d’être un thème peu voire pas du tout clivant. Malgré des différences interstitielles, les deux partis majoritaires s’accordent sur la neutralité, l’aide aux PME ou la nécessité d’une couverture très haut débit qui frôle les 100%. Ceci dit, le diable est dans les détails et les habitudes des uns et des autres se révèlent dans les choix de mise en œuvre (quand ils ont été tranchés) : forte connotation industrielle du côté droit, penchant sociétal sur le front gauche. Des différences marginales mais signifiantes qui permettent aux uns et aux autres de poursuivre le jeu de la distinction. Ainsi Martine Aubry dans sa déclaration d’intention sur Rue 89, qui se démarquait de l’eG8, cette « production hollywoodienne » ou Éric Besson, qui n’a pas manqué d’afficher sa « surprise » face au programme du PS, critiquant vertement la création d’un opérateur national très haut débit ou l’instauration d’une taxe apparentée à la licence globale. Ouf, la machine à petites phrases restera alimentée. Y compris par Internet.

PS : léger, si léger

Le PS a livré une copie [pdf] plutôt légère, sept pages tout compris, écrite en police taille astigmate, avec marge de 3 cm. Ce digest, issu du Laboratoire des idées, un réseau de travail participatif sous la houlette du député Christian Paul, en charge du numérique, décline le programme en six axes. Le document donne le sentiment d’avoir été rédigé à la va-vite. Il serait moins un cahier des charges que des orientations, ce qui sent l’excuse un peu facile. Il est vrai que le PS n’a pas cinq ans de bourdes à rattraper : sa légitimité est déjà installée sur le sujet.

Le programme du PS... en quelques mots

Un document sans surprise, à la dominante clairement sociétale, à l’image du titre : « La France connectée, dans une société créative, pour tous ». A contrario de la vision beaucoup plus business de l’UMP, ce sont les usagers dans leur ensemble que le texte met en avant : « [la société créative] s’appuie
 sur
 toutes
 les
 énergies,
 sur
 toutes
 les
 imaginations
 :
 celles
 des
 entrepreneurs,
 des
 militants
 associatifs,
 des
 chercheurs,
 des
 salariés
 du
 privé
 comme
 du
 public,
 des
artistes,
 des
retraités,
 et
 de 
tous 
les
 citoyens.

 »

Les lecteurs d’OWNI trouveront dans le texte un certain nombre de propositions/termes doux à leurs oreilles : suppression de la Hadopi, de la Loppsi, renforcement de la Cnil, soutien à la cyber-démocratie, notion de biens communs, parmi lesquels les logiciels libres, la neutralité du Net, l’accès wi-fi étendu, une politique d’open data crédible (« conditions permettant leur réutilisation très large, citoyennes ou à des fins d’innovation, sans autorisation préalable ») , ou bien encore la « fin [de] la guerre du partage ».

Pas de chiffres donc, ni de détails sur la réalisation concrète des propositions, ou alors des généralités : « Un plan de déploiement de la fibre optique sur le territoire permettant un accès au haut débit pour tous d’ici dix ans… » ; « un forfait de base [...] inférieur à 10 euros par mois ».

Le document a été complété par une tribune de Martine Aubry, appelant à « une France augmentée » (sic). En attendant, c’est ce programme numérique qu’on aimerait bien voir augmenté.

UMP : chasse aux bourdes

Côté majorité à l’inverse, on mise sur la profusion et le peaufinage. Menée par Laure de La Raudière, à l’origine, en avril dernier, d’un rapport sur la neutralité des réseaux salué de tous côtés, le programme de l’UMP marque une volonté manifeste de se démarquer des erreurs passées.

Avec 33 pages, 45 propositions mobilisant des concepts comme « open data » ou « internet neutre », le parti de Nicolas Sarkozy cherche à se placer dans une expertise qui nous était jusque-là inconnue – à quelques rares exceptions près. Le temps est à « l’humilité », « l’enthousiasme » et « l’accompagnement » de cette « révolution numérique ». Car :

Prétendre s’opposer à un changement de cet ordre sous prétexte qu’il nous oblige à la remise en cause est une absurdité. En revanche, il faut accompagner cette révolution.

Autre signal fort de rupture: Hadopi a disparu ! Ou presque… Il en est question à deux reprises : dans l’évocation du bilan de l’UMP en matière d’Internet (p.18), et aussi, mais en filigrane cette fois, en ouverture de la réflexion. C’est en effet la décision du Conseil Constitutionnel en date du 10 juin 2009 qui amorce le document. Celle-là même qui a fait de l’accès à Internet une liberté essentielle en taclant, au passage, la loi Création et Internet… à l’origine du dispositif Hadopi.

Le programme de l'UMP... en quelques mots

Hadopi envolée, adieu les conflits avec la communauté des interouèbes ? Pas si sûr car, si l’UMP monte en compétences sur ces thématiques, certaines mauvaises habitudes n’ont pas été effacées. Si le recours au juge est souhaité « systématique », il n’empêche qu’il reste conditionné à des « circonstances exceptionnelles » discriminantes et surtout potentiellement fourre-tout. De même, si le parti majoritaire se dit enthousiaste face au réseau, les fameux « risques » de l’Internet demeure. Terre à apprivoiser, à « responsabiliser » (et non plus à « civiliser », le terme ayant déguerpi du champ lexical UMPien), mais terre toujours hostile :

L’un des enjeux majeurs pour la société numérique est la formation des enfants, des parents, des professeurs, des personnes âgées, bref de toute la société, aux outils mais surtout aux usages du numérique, à ses potentialités formidables… et aussi à ses risques.
« Révolution numérique, le meilleur reste à venir », p.5


Illustration Marion Boucharlat pour OWNI /-) Téléchargez le poster

]]>
http://owni.fr/2011/07/04/dataviz-digitale-martine-vs-telematique-sarkozy/feed/ 6
Les petits bras musclés de la CNIL s’ouvrent à la vidéosurveillance http://owni.fr/2011/04/28/les-petits-bras-muscles-de-la-cnil-souvrent-a-la-videosurveillance/ http://owni.fr/2011/04/28/les-petits-bras-muscles-de-la-cnil-souvrent-a-la-videosurveillance/#comments Thu, 28 Apr 2011 06:30:08 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=59455 Toute honte bue, dans un communiqué daté du 26 avril, la CNIL se réjouit de disposer “dorénavant d’un pouvoir de contrôle de tous les dispositifs de vidéoprotection installés sur le territoire national, y compris ceux installés sur la voie publique“. Et même de pouvoir “proposer au préfet d’ordonner des mesures de suspension ou de suppression du système contrôlé“.

La CNIL oublie cela dit de préciser que le nouveau cadre légal encadrant les questions de sécurité intérieure lui a fait perdre son pouvoir de sanction. Il lui interdit aussi de prononcer un avertissement public contre les contrevenants, ce qui, de l’aveu même de l’un des commissaires de la CNIL, “constitue une régression par rapport à la loi « informatique et libertés » de 1978“…

Dans un autre communiqué, où elle annonce son programme des contrôles 2011, la CNIL se félicite de pouvoir enfin “contrôler tous les dispositifs dits « de vidéoprotection »” :

Cette nouvelle compétence était nécessaire afin que le déploiement de ces dispositifs s’effectue sous le contrôle d’une autorité indépendante garante des libertés et du développement homogène de la vidéoprotection sur l’ensemble du territoire.

La Commission a décidé de mobiliser fortement ses ressources puisqu’elle s’est fixé comme objectif la réalisation d’au moins 150 contrôles portant sur ces dispositifs.

Le premier communiqué présente de fait cette “nouvelle compétence” comme une victoire remportée par la CNIL, et la LOPPSI comme une avancée pour les droits informatique et libertés :

La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) a grandement modifié le régime juridique relatif à la vidéoprotection.

Certaines de ces modifications concernent directement la CNIL : en particulier, elle est désormais compétente pour contrôler les systèmes de vidéoprotection, qu’ils soient installés sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, ce qu’elle réclamait depuis de nombreuses années.

Déjà, en septembre dernier, Alex Türk, président de la CNIL et sénateur du Nord, parvenait à convaincre ses collègues sénateurs de la pertinence de substituer le terme honni de “vidéosurveillance” par celui, béni par la LOPPSI, de “vidéoprotection“, au motif que cela rendrait plus facile l’installation de systèmes de vidéosurveillance par les maires… “de gauche”. Ces “nouvelles compétences de contrôle“, présentées comme “l’un des changements majeurs apportés par la LOPPSI“, étaient réclamées depuis 2008 par la CNIL :

Celle-ci dispose dorénavant d’un pouvoir de contrôle de tous les dispositifs de vidéoprotection installés sur le territoire national, y compris ceux installés sur la voie publique, qui relèvent de la loi du 21 janvier 1995.

Elle peut également mettre en demeure les responsables de ces systèmes si elle constate des manquements aux obligations qui s’imposent à eux (information du public, respect de la durée de conservation des enregistrements, limitation des destinataires des images, etc.).

Elle peut enfin proposer au préfet d’ordonner des mesures de suspension ou de suppression du système contrôlé.

Il en allait en effet de “la nécessité du contrôle par un organisme indépendant, des dispositifs de vidéoprotection” :

Le contrôle des surveillants constitue en effet une exigence fondamentale pour asseoir la légitimité de ces systèmes dans le respect des droits et libertés des citoyens.

Une régression par rapport à la loi « informatique et libertés »

Cependant, la lecture du compte-rendu de la commission mixte paritaire du 24 janvier 2011, à l’origine de la LOPPSI, tempère quelque peu cet enthousiasme :

Mme Delphine Batho, députée : Vous ôtez à la CNIL son pouvoir de prononcer un avertissement public contre les contrevenants !

M. Sébastien Huyghe, député : En tant que membre de la CNIL, je regrette qu’on lui fasse perdre son pouvoir de sanction – car un avertissement public est une sanction.

M. Jean-Paul Amoudry, sénateur : Je m’abstiendrai, car en ôtant à la CNIL le droit de prononcer un avertissement public, cet article constitue une régression par rapport à la loi « informatique et libertés » de 1978. J’approuve en revanche les autres modifications proposées par les rapporteurs.

A noter que Jean-Paul Amoudry, lui aussi, commissaire à la CNIL, n’a pas pris part au vote, contrairement à Alex Türk qui, lui, a voté pour la LOPPSI (voir ses explications).

De fait, l’article 18 de la LOPPSI définit clairement les limites de ce “contrôle des surveillants

Lorsque la Commission nationale de l’informatique et des libertés constate un manquement aux dispositions de la présente loi, elle peut, après avoir mis en demeure la personne responsable du système de se mettre en conformité dans un délai qu’elle fixe, demander au représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, au préfet de police, d’ordonner la suspension ou la suppression du système de vidéoprotection. Elle informe le maire de la commune concernée de cette demande.

L’énoncé et l’échelle des sanctions prévues par la LOPPSI montrent bien, par ailleurs, la très ferme volonté du gouvernement de réprimer extrêmement sévèrement les contrevenants de sorte que les peines s’avèrent éminemment dissuasives, conformément à la volonté de sévérité incarnée par la LOPPSI :

A la demande de la commission départementale, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou de sa propre initiative, le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent fermer pour une durée de trois mois, après mise en demeure non suivie d’effets dans le délai qu’elle fixe, un établissement ouvert au public dans lequel est maintenu un système de vidéoprotection sans autorisation.

Lorsque, à l’issue du délai de trois mois, l’établissement n’a pas sollicité la régularisation de son système, l’autorité administrative peut lui enjoindre de démonter ledit système. S’il n’est pas donné suite à cette injonction, une nouvelle mesure de fermeture de trois mois peut être prononcée.

Le préfet “peut” fermer, “peut” lui enjoindre de démonter ledit système, “peut” prononcer une nouvelle mesure de fermeture de trois mois… Dit autrement, le préfet “peut” aussi “ne pas“. On parie qu’il le fera ? Allez “hop boum boum crac crac Gouzigouza“…

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Mise à Jour : voir également la réponse de la CNIL, qui conteste le terme de “régression” qui avait pourtant bien été employé, à l’Assemblée, par l’un des commissaires de cette même CNIL.

Illustrations : pochettes de disques des Musclés extraites de Bide & Musique et d’un site perso consacré aux Musclés.

]]>
http://owni.fr/2011/04/28/les-petits-bras-muscles-de-la-cnil-souvrent-a-la-videosurveillance/feed/ 7
“Internet civilisé”: la timeline http://owni.fr/2011/04/12/internet-civilise-la-timeline/ http://owni.fr/2011/04/12/internet-civilise-la-timeline/#comments Tue, 12 Apr 2011 09:30:24 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=56480

Billet initialement publié sur le datablog d’OWNI

La semaine passée, notre éminent confrère Marc Rees se fendait d’une petite anthologie de la notion, tant chérie par Nicolas Sarkozy, de “l’Internet civilisé” (Avec l’Internet civilisé, l’UMP s’échine). Las : à l’exception d’une photographie de fossiles préhistoriques, l’article se bornait à enfiler des dates, des noms, et des citations, en mode texte.

Il existe pourtant de nombreux outils de “timeline” (frise chronologique, en bon français), créés précisément pour visualiser des informations, dans le temps, mais également d’y associer des images, de les mettre en contexte…

Ceux qui voudraient garder la main sur leurs données installent Timeline sur leur serveur, ou encore TimelineSetter que Propublica vient de rendre public.

Pour aller plus vite, on peut aussi passer par Tiki toki, qui est très joli, mais payant, ou encore par Xtimeline, TimeToast, TimeRime… Mais rien ne vaut Dipity, le plus connu des outils de Timeline, ne serait-ce que parce qu’il permet d’afficher la chronologie sous forme de timeline, mais également sous forme de Flipbook, ou encore, et plus simplement encore, de liste :

Une timeline avec des images, c’est encore mieux. Pour cela, Flickr est une véritable mine d’or, truffées d’images en Creative Commons (ainsi de cette série, publiée par LoppsiLol) :

Flickr, c’est bien, mais pas suffisant : ceux qui s’intéressent aux Créative Commons utiliseront aussi à l’envi le nouveau moteur de recherche de CC, en phase beta, qui permet également de chercher des vidéos sur Blip.tv, les images CC de Fotopedia, Google Images, Open Clip Art Library, les médias de SpinXpress, Wikimedia Commons, Europeana, et la musique de Jamendo :

PCInpact a finalement embeddé ladite timeline. Problème : la largeur du texte autorisé ne permet pas vraiment d’en profiter, tout comme la “largeur” de Politis.fr ne permet pas vraiment d’apprécier son Baromètre des dérapages racistes de l’UMP, fait lui aussi avec Dipity.

Webmasters, directeurs artistiques & créateurs de sites web, encore un effort pour être data-compatibles… En attendant le développement d’autres outils, plus riches, malléables, complexes, il est donc relativement simple d’augmenter un article de la sorte, et donc de proposer autre chose qu’un simple texte.

J’aurais bien voulu pouvoir rajouter de la musique à cette timeline, mais Dipity ne le propose pas (encore). Et comme je n’ai trouvé aucun morceau sur Jamendo au mot-clef Hadopi, concluons donc ce petit billet avec ce détournement chansonnier de l’ami JcFrog :


Image Paternité loppsilol

]]>
http://owni.fr/2011/04/12/internet-civilise-la-timeline/feed/ 2
Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/ http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/#comments Tue, 29 Mar 2011 17:14:38 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=54093 [Remarque introductive de AkA, éditeur du Framablog, à cet article publié en juillet 2010] : Ce n’est pas le premier article de Laurent Chemla reproduit sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth. On trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez. Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé. Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien.

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes. Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau. Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Et l’Etat légifère à tour de bras

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier. Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable. La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ». J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif) .

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969. Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international. On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ? Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

«Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression »

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit). Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si. Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien :

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires… Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les Etats peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.
Autant s’y faire.

> Article Laurent Chemla – juillet 2010 – publié initialement sur Framablog sous le titre Internet ne peut pas être contrôle, autant s’y faire.

> Illustrations Flickr CC Kalexanderson, Balleyne et Kirklau

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC était à La Cantine lundi 28 mars dernier pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel !

Vous pouvez soutenir Framasoft sur leur site.

]]>
http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/feed/ 29
Neutralité: le Sénat la joue soft http://owni.fr/2011/02/24/neutralite-le-senat-la-joue-soft/ http://owni.fr/2011/02/24/neutralite-le-senat-la-joue-soft/#comments Thu, 24 Feb 2011 09:30:33 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=48168 Organisée en novembre dernier, la table ronde du Sénat sur la neutralité “des contenus et des réseaux” vient de faire l’objet d’un rapport d’information; l’occasion de revenir sur les thématiques abordées – en particulier les téléviseurs connectés-, mais aussi de faire un point, en ces temps d’agitation parlementaire, sur la conception toute particulière que les sénateurs Pierre Hérisson (UMP), Catherine Morin-Desailly (UC) et Bruno Retailleau (NI), en charge de la réflexion, proposent pour le concept de neutralité.

En dehors de la distinction surprenante opérée entre les contenus et les réseaux (voir Neutralité: le Sénat place les contenus au cœur des débats), on peut ainsi noter que la distorsion de la neutralité des réseaux n’est plus présentée comme une éventualité, mais comme une évidence. En introduction aux travaux, Pierre Hérisson précise en effet que:

l’accroissement en bande passante pour les “usages innovants”, tels que la vidéo à la demande, remet en cause ce principe fondateur de liberté. Même si les cas sont rarissimes, il incite ou incitera en effet certains acteurs à restreindre ou à prioriser l’accès au réseau, en vue d’éviter son engorgement.

D’emblée, la saturation des réseaux par les usages est posée comme postulat, alors même que beaucoup s’accordent à dire qu’aucune étude indépendante n’a réellement été menée sur le sujet, quand d’autres y voient l’œuvre de mauvaises Cassandre.

Par ailleurs, le filtrage de certains contenus, institué notamment par les lois Création et Internet (aka Hadopi) et Loppsi, est jugé compatible avec la définition d’une neutralité des réseaux; plus encore, un Internet “neutre” doit s’adapter à cette mesure, présentée comme un impératif. Dans ce sens, Catherine Morin-Desailly avance :

[...] L’Internet apparaît en effet comme un “eldorado” de la nouveauté et on ne peut que l’encourager. Mais parallèlement, comme on l’a vu lors de la discussion sur la création d’Hadopi, des règles doivent aussi s’appliquer sur Internet, de protection des droits d’auteur mais aussi de protection de la jeunesse ou d’ordre public.

[...]

Un point d’équilibre entre la neutralité du Net et une certaine vision de la politique culturelle ou encore entre des mesures de protection de l’ordre public et l’exercice de droits fondamentaux devra donc être déterminé.

Exit donc la définition “stricte” de la neutralité des réseaux, les sénateurs lui préférant une version plus soft et accommodante, adaptée à la préservation de certains intérêts, et qualifiée de “quasi-neutralité” par les plus fervents défenseurs du principe, FDN en tête. Pour son président Benjamin Bayart, cantonner la neutralité aux seuls contenus licites revient en effet à un non sens, dans la mesure où définir sa licéité amène nécessairement à scruter le réseau, à l’orienter, et de fait… à nier son caractère neutre, nullement affecté par le choix d’une autorité ou d’un fournisseur d’accès:

[...] On parlerait de neutralité pour les contenus licites. [...] Ce qui revient à supposer que le réseau est capable, en regardant un paquet IP, de décider de la licéité du contenu, et, ayant à coup sûr reconnu un contenu illicite, il peut décider d’en faire n’importe quoi. Ce qui revient à supposer que le réseau n’est pas neutre du tout, et analyse très en profondeur tout ce qu’il voit pour décider de ce qu’il fait.

Reste à déterminer la résonance de cette version allégée de la neutralité des réseaux au sein de la majorité parlementaire. Le compte rendu du Sénat tombe en tout cas à point nommé, venant alimenter les multiples consultations déjà menées sur le sujet, au sein de la Commission Européenne, de l’Arcep, ou bien encore du côté de la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, dont la synthèse est attendue fin mars.


Illustration CC FlickR: Augustin Rouchon

]]>
http://owni.fr/2011/02/24/neutralite-le-senat-la-joue-soft/feed/ 3
Des parias, des ponts et des primates http://owni.fr/2011/02/22/des-parias-des-ponts-et-des-primates/ http://owni.fr/2011/02/22/des-parias-des-ponts-et-des-primates/#comments Tue, 22 Feb 2011 16:56:45 +0000 Antonio A. Casilli http://owni.fr/?p=47934 Texte de l’intervention d’Antonio A. Casilli (EHESS, Paris), auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) dans le cadre du débat « Web Culture : nouveaux modes de connaissance, nouvelles sociabilités » (Villa Gillet, Lyon, 10 février 2011) animé par Sylvain Bourmeau (Mediapart), avec la participation de Dominique Cardon (Orange Labs / EHESS) et Virginia Heffernan (New York Times). Click here for the english version.

Mon intervention sera consacrée aux structures sociales que les utilisateurs de réseaux de communication en ligne (notamment, le Web et les médias sociaux) contribuent à mettre en place. Je voudrais montrer qu’au cours des dix dernières années, la compréhension scientifique des modes de sociabilité basés sur Internet a spectaculairement progressé, et que les politiques publiques liées à Internet, sa régulation et sa gouvernance, doivent prendre en compte ces avancées.

Mais où sont passés les parias de l’ordinateur ?

Les premières appréciations de l’impact social des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) à l’échelle micro (c’est-à-dire : au niveau des utilisateurs) datent du début des années 70 et insistent sur les effets négatifs de ces technologies. Les tout débuts de la culture informatique ont vu l’émergence du stéréotype du hacker, accro de l’informatique mal à l’aise dans les interactions sociales, isolé par les machines à calculer géantes qui l’aliènent et le coupent de ses semblables. Cette caractérisation remonte à avant Internet. Dans Computer Power and Human Reason : From Judgement to Calculation (1976), Joseph Weizenbaum dresse le portrait de cette sous-culture de programmeurs monomaniaques – ou, comme il les appelle, “computer bums”. Il s’agit d’“étudiants forcenés”, qui “travaillent jusqu’à l’épuisement, vingt ou trente heures d’affilée. Quand ils pensent à s’alimenter, ils se font ravitailler à domicile : café, coca, sandwichs. […] Leur mise négligée, leur hygiène approximative, leur mépris du peigne et du rasoir, témoignent du peu de cas qu’ils font de leurs corps et du monde dans lequel ils évoluent. Ils n’existent, du moins lorsqu’ils sont à l’ordinateur, que par et pour l’ordinateur.”

À compter de cette première occurrence et pour de longues années, l’opinion courante a presque systématiquement associé usage de l’ordinateur et isolement social. Analystes culturels, romanciers et commentateurs ont cultivé ce cliché. Le romancier William Gibson, icône de la culture cyberpunk, est connu pour avoir créé dans Neuromancer (1984) le personnage de Case, un cyber-dépendant incapable de fonctionner dans un contexte social hors-ligne.

Au-delà de ces descriptions populaires – voire à cause d’un effet cumulatif de leur prolifération – au début des années 1990, des sociologues et des chercheurs en sciences sociales ont commencé à s’interroger sur la validité du stéréotype. Dans certains pays développés, la population connectée en réseau était déjà assez nombreuse pour faire des TIC un objet socialement pertinent – en tout cas, elle fournissait une masse critique de données suffisante pour l’étude. La web culture était encore une sous-culture à ce moment-là, mais – c’est souvent comme ça que ça se passe – en train de passer dans les usages courants (mainstream). Ces chercheurs ont donc commencé à s’intéresser aux comportements effectifs des acteurs des réseaux informatiques pour évaluer dans quelle mesure les médias numériques provoquaient l’isolement social, et découvert qu’en fait, de tels effets n’étaient pas avérés. Dans une première étude spécifiquement consacrée à cette question, le psychologue social Robert Kraut et son équipe ont analysé les effets sociaux d’Internet sur une cinquantaine de familles de la région de Pittsburgh au cours l’année suivant l’installation d’Internet dans leur foyer. Leurs résultats ont été rassemblés dans un article fondateur au titre on ne peut plus explicite : “Le paradoxe d’Internet : un outil social qui réduit la participation sociale et le bien-être psychologique ?” (PDF), publié dans American Psychologist en 1998, proposait ce qu’on pourrait décrire comme une “vision hydraulique” des rapports entre sociabilité en ligne et sociabilité hors-ligne. D’après les auteurs, plus les utilisateurs consacraient de temps aux interactions en ligne, plus ils perdaient le contact avec leur famille et leurs amis proches. Les interactions en face à face et les interactions assistées par ordinateur étaient comme des vases communicants : si le niveau de connexion en ligne augmentait, celui de connexion hors-ligne diminuait automatiquement.

C’était là une explication simple de l’isolement social provoqué par l’ordinateur. Malheureusement, les sociologues ont bientôt constaté que, pour convaincante qu’elle soit, le phénomène qu’elle était censée expliquer n’existait pas dans les faits. Bien souvent, le retrait de la vie sociale et la diminution perçue de bien-être n’étaient que transitoires. Les sujets interpellés au cours de ces études pionnières étaient en train d’acquérir de nouvelles compétences, qui leur demandaient de mobiliser des ressources cognitives et émotionnelles importantes, d’où leur prise de distance d’avec le monde social – une sorte de stratégie cognitive destinée à libérer du temps pour l’apprentissage. Là où certains voyaient un accroc dans le tissu social, d’autres distinguaient une courbe d’apprentissage. Kraut lui-même, après une deuxième vague d’enquête, a publié la rétractation de sa première théorie, “Le paradoxe d’Internet rectifié”, dans la revue Social Issues en 2002.

Petites boîtes, grands ponts

La métaphore des vases communicants sur laquelle reposaient ces études présupposait également une incompatibilité entre liens forts (famille, amis, collègues, voisins) et liens faibles (vagues connaissances, partenaires, copains, inconnus). Pour le dire très schématiquement, c’était parce que les internautes passaient leurs nuits à bavarder avec des inconnus sur le Web qu’ils négligeaient leurs amis et leurs proches. Ainsi la conséquence véritable du Net, sur le plan social, aurait été, plus qu’un isolement, une reconfiguration drastique de l’équilibre entre liens forts et liens faibles.

Ces notions sont au cœur de l’Analyse des Réseaux Sociaux (ARS ou SNA pour Social Network Analysis en anglais), une approche qui depuis le début des années 2000 donne des résultats de plus en plus probants. L’ARS est la branche de la sociologie qui étudie et mesure les réseaux d’interactions humaines. Elle décrit les groupes en termes de “nœuds” individuels connectés par des liens. La force de ces liens varie en fonction de la réciprocité, de la stabilité ou de la fréquence des relations personnelles qui sous-tendent les connexions entre individus. L’ARS existe depuis les années 1950 : les sociologues n’ont pas attendu les réseaux sociaux en ligne pour envisager la famille, l’école, les associations ou n’importe quel type de collectif humain comme des réseaux d’individus connectés les uns aux autres. Les médias sociaux en ligne ne sont guère qu’une nouvelle variante de réseau social, variante qui, de l’avis des tenants de cette orientation des sciences sociales, ne remplace pas celles qui lui préexistaient, mais s’inscrit dans leur prolongement et vient les compléter. Les études menées dans les années 2000 révèlent une forte corrélation entre usage de l’Internet, téléphone, courrier et interactions en face à face. Communication en ligne et communication hors-ligne ne s’excluent pas mutuellement, mais ont plutôt tendance à dessiner un continuum médiatique dans lequel les usagers peuvent moduler à leur guise leurs modes d’interaction.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que les TIC seraient sans incidence sur la configuration de nos réseaux sociaux. Pour certains analystes, nous sommes en trains de vivre la transition d’une société constituée de “petites boîtes” à une société “glocale” (globale-locale). Dans un chapitre de l’ouvrage Digital cities II (2002) le sociologue canadien Barry Wellman décrit ces petites boîtes étanches comme les petites communautés d’individus liés par des liens forts d’avant Internet. Le changement induit par l’ubiquité nouvelle de la communication assistée par ordinateur ne saurait être qualifié ni d’atomisation sociale – où les “boîtes” seraient pulvérisées et les individus feraient l’expérience d’un enfer d’isolement – ni comme un effet de petit monde tout inclusif – où chacun d’entre nous serait connecté en permanence à tous les autres. Il nous faut recourir à un troisième modèle, dans lequel les petites boîtes existent toujours, mais reliées par des passerelles et des ponts. D’où le terme de “bridging” choisi par les pratiquants de l’ARS pour désigner ce phénomène.

C’est ce qui s’est produit, par exemple, avec Facebook – pour nommer le service de réseautage le plus populaire. Quand ils s’inscrivent, les utilisateurs sont invités à se connecter “avec les personnes qui comptent dans [leur] vie.” Et dans l’ensemble, les utilisateurs ont tendance à s’exécuter. Le premier usage qu’ils font du service est de se mettre en relation avec les gens qu’ils connaissent déjà – de recréer en ligne leur “petite boîte”. Mais passée cette phase initiale, ils deviennent plus aventureux et se mettent en quête de nouvelles connaissances. C’est à ce stade qu’ils entrent en contact avec des inconnus – généralement en mettant à profit la forte transitivité qui caractérise les ressources sociales en ligne.  La transitivité implique que si A est ami avec B, et B avec C, A et C finiront par être en contact. La transitivité accrue en ligne se traduit par de “plus longs ponts”: les utilisateurs peuvent aller chercher des groupements sociaux plus éloignés et se connecter avec leurs membres.

Nous pouvons alors entrevoir le contour de la société qui prend forme depuis l’apparition de la communication en ligne : ni nébuleuse floue de monades isolées, ni mega-réseau d’individus faiblement connectés; mais maillage de sous-composantes solides aux liens forts (les boîtes) entrelacées par de longs ponts de liens faibles. Comme la communication en ligne permet de porter le bridging à un degré supérieur, elle crée un réseau “glocal”, qu’on peut décrire comme un assemblage de composantes de petite dimension, faiblement interdépendantes – nos petites boîtes.

Singeries politiques

En guise de conclusion, j’aimerais évoquer une question à laquelle les chercheurs en sciences humaines n’ont pas encore fourni de réponse satisfaisante. Alors que les utilisateurs des TIC se connectent pour faire du friending en ligne, créer des liens et jeter des ponts vers d’autres relations, parviennent-ils de fait à élargir leurs réseaux sociaux personnels ? Cette question renvoie aux notions de capital social, de cohésion sociale et de connectivité sociale – notions par nature politiques. Les personnes affichant un nombre impressionnant d’« amis » sur des réseaux sociaux évoluent-elles vraiment au sein d’un environnement social plus riche et sont-elles mieux épaulées que celles qui sont moins connectées à ces réseaux ? Ou se contentent-elles d’ajouter en vain des noms à une liste – des noms de gens avec lesquels ils ne resteront même pas en contact, des gens dont ils ne peuvent véritablement se soucier, car on ne peut après tout entretenir des relations qu’avec un nombre limité et fini de personnes ?

Les recherches sur l’étendue réelle des réseaux personnels des internautes ont souvent souligné que les contraintes cognitives imposaient une limite au nombre d’individus avec lesquels on peut se lier, autant en ligne que dans la vie réelle.

On se souvient que dans un article publié dans le Journal of Human Evolution en 1992, l’anthropologue Robin Dunbar a proposé une première estimation de 148 individus. Le « nombre de Dunbar » résultait d’une étude à grande échelle comparant la taille du néocortex chez les primates humains et non-humains. Comme le nombre de congénères avec lesquels les primates peuvent garder le contact est conditionné par la taille du néocortex, la taille des groupes humains varie elle aussi en fonction de la taille du cerveau.

On est en droit de s’interroger sur cette estimation ainsi que sur l’approche même adoptée par l’anthropologue ; il reste néanmoins intéressant d’observer comment – puisque nous nous concentrons ici sur cette catégorie particulière de primates qui utilise Internet – le nombre de Dunbar est monté en flèche. En 1998, le chiffre a presque doublé lorsque Peter Killworth, analyste des réseaux sociaux, a observé que les réseaux personnels comportaient en moyenne 290 individus. Puis, en 2010, ce nombre a doublé à son tour, si l’on en croit les estimations d’un sociologue de Princeton, Matthew Salganik, qui fixe à 610 le nombre de liens sociaux personnels.

Bien que ces études ne se concentrent pas exclusivement sur les réseaux sociaux en ligne, nous sommes enclins à émettre l’hypothèse que – puisque les connaissances superficielles comme les relations étroites se construisent désormais à la fois sur Internet et dans la vie réelle – les commodités fournies par les réseaux sociaux sont une extension de nos tendances ataviques à suivre nos congénères. Nous pouvons identifier et garder en mémoire nos amis les plus récents et certains de nos collègues, soit une très faible minorité des gens que nous croisons tous les jours. Mais nous pouvons aussi tomber sur des gens au hasard d’Internet, les suivre sur Twitter ou consulter leur profil sur Facebook. Parfois, ces personnes représentent le cœur même de notre réseau social personnel. Parfois elles se tiennent juste à sa périphérie. Peut-être les services de réseautage ne sont-ils qu’un moyen d’assurer une cohésion plus efficace entre le centre et la périphérie de notre vie sociale. Nous n’en savons rien pour le moment : il s’agit de simples hypothèses qui orientent notre travail de sociologues.

Mais maintenant que la base des connaissances relatives à notre champ de recherche a connu une expansion significative – et maintenant que le mythe du computer bum reclus a été supplanté par la figure empiriquement constatée de l’individu « connecté » –, il ne fait plus de doute que nous devons nous concentrer sur les conditions permettant à nos contemporains de sélectionner avec précision (tantôt sans effort, tantôt laborieusement) les personnes, dont le nombre va s’accroitre, qu’ils souhaitent inscrire dans leur existence sociale.

Ce faisant, nous devons garder à l’esprit qu’aujourd’hui les internautes sont soumis à un nombre croissant de menaces politiques. En tant que chercheurs en sciences sociales et qu’« animaux politiques », nous avons le devoir de dénoncer ces dangers.

Si, comme je le soutiens, la communication assistée par ordinateur se fonde sur une combinaison prudente de liens sociaux forts (nos « petites boîtes ») et d’ouverture sociale (nos « longs ponts »), on ne peut laisser les autorités étatiques et les grandes entreprises ébranler un de ces deux mécanismes. Pourtant c’est exactement ce qui est en train de se produire en ce moment même. De la Chine aux États-Unis en passant par la France, les campagnes gouvernementales visant à censurer Internet mettent en péril son ouverture. Des lois liberticides telles que la loi française LOPPSI 2 (Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure), les campagnes internationales comme celle qui a été récemment orchestrée contre Wikileaks, les accords multilatéraux visant à restreindre la bande passante ou à censurer certains contenus (comme l’ACTA, Anti-Counterfeiting Trade Agreement, accord commercial anti contrefaçon) compromettent la neutralité d’Internet et y renforcent la surveillance.

Si dans les quelques années à venir la fragmentation d’Internet en sous-réseaux nationaux, commerciaux ou d’infrastructures se poursuit au rythme actuel, la création de « longs ponts » risque de devenir impossible. D’un autre côté, nos « petites boîtes » sont elles aussi menacées de disparition. Des sociétés comme Google ou Facebook se comportent comme des entrepreneurs de morale, en influençant les médias, pratiquant le lobbying auprès des politiciens et contraignant autoritairement les usagers d’Internet à renoncer à la propriété de leurs données personnelles et de leur vie privée. L’hypocrisie de ces organisations chantres de la transparence – toujours en quête d’informations sur leurs usagers mais gardant jalousement le secret des leurs – provoque régulièrement des fiascos relatifs au droit à la confidentialité : exposition de données personnelles, rupture de relations de confiance, déviation des trajectoires de vie des usagers.

Notre rôle dans les prochaines années est non seulement de permettre de comprendre un phénomène social et technologique, mais aussi de contribuer à mettre au point un projet politique qui soutienne les avancées d’Internet tout en en limitant les dérives.

>> Article initialement publié sur Les liaisons numériques, traduction de l’anglais par Julie Etienne.

>> Photos FlickR CC :Federico_Morando, Johan.V.,sⓘndy° , Keith Roper

]]>
http://owni.fr/2011/02/22/des-parias-des-ponts-et-des-primates/feed/ 4