OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les artistes veillent sur les caméras http://owni.fr/2011/12/15/les-artistes-surveillent-les-cameras-surveillance-cctv-big-brother-street-art/ http://owni.fr/2011/12/15/les-artistes-surveillent-les-cameras-surveillance-cctv-big-brother-street-art/#comments Thu, 15 Dec 2011 17:01:50 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=90475 Dès le milieu des années 90 plusieurs collectifs informels s’attaquent à la question de la vidéosurveillance dans l’espace public, notamment aux États-Unis. Parmi eux,  Surveillance Camera Players attire l’attention de leurs concitoyens sur ce sujet en jouant des pièces de théâtre avec des pancartes, comme Ubu Roi ou des passages du livre 1984 d’Orwell sous l’oeil des caméras de la ville de New York. “Les collectifs qui se sont intéressés à ce thème par des actions artistiques de rue viennent également de milieux universitaires comme les membres de l’IAA (Institute of Applied Autonomy) qui avaient distribué des “Routes of least surveillance” c’est-à-dire des cartes de New York qui montraient les zones sans surveillance”, explique Samira Ouardi auteur du livre Artivisme.

D’autres collectifs historiques, comme Ligna, venu de la radio libre allemande, avaient mis en place des happenings de 200 personnes dans les lieux publics, avec une chorégraphie de gestes interdits dans l’espace public. Ils cherchaient à savoir “pourquoi le savoir produit dans les universités servait à la guerre ou aux technologies de surveillance. Ces actions étaient pour eux une manière de se révolter”, ajoute Samira Ouardi.

OWNI vous propose un panorama rétrospectif des œuvres les plus marquantes. N’hésitez pas à nous mentionner des installations ou des oeuvres qui ont attiré votre attention /-)

Luz Interruptus : les politiques sous surveillance

Le dernier coup du collectif madrilène Luz Interruptus dont vous nous avions parlé début septembre, met les politiques sous surveillance vidéo via leurs affiches de la dernière campagne électorale, massivement remportée par le Partido Popular (droite) et son leader Mariano Rajoy.

Marco Zotes : CCTV Creative Control

L’architecte Marco Zotes utilise l’historique château d’eau de Milton street à Brooklyn, New-York pour son projet CCTV Creative Control. [2011].

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Banksy

Dernier pochoir de Banksy (déc 2011)

L'arbre à caméras de surveillance au Cans festival - Banksy - 2008

Key to the City

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Panopticon : les pigeons caméra

Deux artistes hollandais d’Utrecht traitent la vidéosurveillance comme la peste des villes et donnent aux caméras des corps de pigeon.

Affiche de propagande Panopticons

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Obey

Madrid : hacker le circuit de vidéosurveillance

En 2009, la municipalité de Madrid installe 48 caméras dans le quartier populaire de Lavapiès à Madrid. Parmi les actions du collectif bario feliz, le hack du système de vidéosurveillance via le WiFi. Il s’agissait selon le schéma de détourner le signal de transmission des images vidéos vers un autre canal.

Les habitants du quartier de Lavapies à Madrid hackent le système de surveillance via le WiFi - 2009

Collages et pochoirs dans le quartier de Lavapies, Madrid - 2009

Mexico : géolocaliser les caméras avec son mobile

Un collectif anonyme a créé une application mobile open source qui permet à chaque personne de géolocaliser les caméras sur une carte Open Street Map dès qu’elle en repère une.

Capture d'écran du site mexicain AMCV


Sources : http://bitly.com/w0Ts28

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Une lumière crue dans la nuit de la finance http://owni.fr/2011/09/05/une-lumiere-crue-dans-la-nuit-de-la-finance/ http://owni.fr/2011/09/05/une-lumiere-crue-dans-la-nuit-de-la-finance/#comments Mon, 05 Sep 2011 09:43:40 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=71817 Le 17 septembre, les collectifs nés des mouvements sociaux et démocratiques en Espagne, en Grèce, occuperont les bourses de New-York, Madrid, Londres, Tokyo, Athènes et d’autres villes encore. C’est aussi le jour de l’arrivée des marches des indignés à Paris, commencées en Espagne au mois de juillet dernier, avant l’ultime étape bruxelloise le 8 octobre.

C’est dans ce contexte que nous vous faisons découvrir le collectif espagnol d’artistes street-art, Luz Interruptus, qui avait créée littéralement, un envol de 80 doubles pages des sections économiques des grands quotidiens nationaux, illuminées, sur les marches du palais de la Bourse de Madrid en pleine crise financière en 2009: le vent nous amène la crise.

Du recyclage à la surveillance en passant par le nucléaire ou la crise économique, Luz Interruptus se déploie à la tombée de la nuit, allumant ça et là des petites lumières à l’intention de leurs concitoyens en réaction à un thème de société ou à une actualité qui leur tient à coeur.

La police est partout ? Qu’à cela ne tienne, ils collent, en l’espace de quelques heures, de faux gyrophares fabriqués avec des verres en plastique, de la cellophane bleue et des lumières intermittentes, sur tous les toits des voitures d’une place du quartier de Malasaña. Le nom de l’installation? Tant de police, pour si peu de gens…

Ce collectif street-art a récemment monté des installations inspirées par les mouvements démocratiques du 15 mai en Espagne et dont la dernière en date, réalisée pour le festival Dockville de Hambourg, porte sur les conséquences de l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon. On peut s’attendre à ce qu’il réagissent aux prochains évènements, et embellissent des éclats de leurs créations, phosphorescentes, luminescentes et féériques les rues de Madrid ou d’autres villes d’Europe.

Sous la menace nucléaire

Avec notre mystérieuse armée de 100 personnages radioactifs illuminés, avançant de manière menaçante, sur le site en plein air du festival Dockville, nous voulions inviter à la réflexion sur l’utilisation et l’abus de l’énergie nucléaire, peu coûteuse économiquement mais qui a des effets secondaires dévastateurs et irréversibles pour l’environnement et la santé publique.

Temps d’installation: 6 jours
Dommages: aucun
Temps d’exposition: 30 jours.

Faune et flore préservée

Nous déplorons le manque d’espaces verts à Madrid, et nous avons décidé pour cette raison de partir à la recherche de ces petites plantes qui poussent timidement dans les endroits les plus inattendus. Nous voulions de manière symbolique les protéger et les préserver, ce que nous avons fait avec des petites serres portables pour les abriter de la pollution, et un troupeau d’animaux pour les accompagner.


Temps d’installation dans la rue: 5 heures.
Dommages: aucun
Temps d’exposition: plus de 12 heures

Au revoir Sol, on rentre à la maison

Le 12 juin, le mouvement du 15 mai se retirait officiellement de la place de la Puerta del Sol, passant le contrôle aux assemblées de quartier et laissant à l’endroit du campement, un point d’information, comme un phare montrant le chemin, rappelant aux indignés qu’ils pourront toujours revenir, si les circonstances se présentaient…

Durée d’installation: 2 heures
Dommages: aucun
Temps d’exposition: 1 heure

Recyclage électoral

Nous avons réalisé cette intervention le jeudi avant les élections municipales et régionales en Espagne, à un moment crucial pour notre démocratie où les gens descendaient dans la rue pour exprimer de manière pacifique leur mécontentement et leur opinion sur la classe politique qui nous a entraîné dans cette crise dont ne nous voyons pas la fin.


Temps d’installation: 5 heures.
Dommages: aucun
Temps d’exposition: + de 24 heures

La mer urbaine

Les containers de gravas des rues de Madrid sont comme des bateaux échoués entre les voitures, en attente de la marée qui ne viendra jamais les emporter vers le large.


Temps d’installation: 2 heures
Dommages: aucun
Durée de l’intervention: 24 heures


Source : Luz Interruptus
Photos de Gustavo Sanabria ©

Image de Une Marion Boucharlat

Retrouvez le dossier complet

La cote de la révolte
Occuper Wall Street et son esprit

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Espagne Labs: inventer la démocratie du futur http://owni.fr/2011/06/06/espagne-labs-inventer-la-democratie-du-futur/ http://owni.fr/2011/06/06/espagne-labs-inventer-la-democratie-du-futur/#comments Mon, 06 Jun 2011 07:14:06 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=66317 Ne croyez pas que le mouvement espagnol s’étiole, bien au contraire ! Il entend passer à la vitesse supérieure, conscient de ses défauts et de ses qualités, et des décisions nécessaires à prendre pour avancer, sur le plan de l’organisation et de la logistique. La révolution, le changement, sont dans la rue et sur les places des quartiers. Mais c’est aussi sur les réseaux que se joue la partie la plus intéressante du mouvement, lancé par la manifestation du 15 mai dernier.

¡HackSol!

Dès la formation d’acampadasol et dans les jours qui suivent, les hackers de Madrid décident de prêter main forte au mouvement. Ils créent rapidement les outils de base qu’ils mettent à disposition de leurs compagnons comme les deux blogs Wordpress tomalaplaza et tomalosbarrios. Dans le bar du Patio de las Maravillas, rempli de lycéens bruyants, Dani raconte la naissance du collectif :

Le groupe Hacksol a surgi de lui-même de l’acampadasol. Nous nous sommes très vite rendus compte à l’ampleur du mouvement, qu’il y aurait une montagne de choses à gérer au niveau technologique.

Le patio est un centre social et culturel autogéré, dans le quartier de Malasaña, berceau de la movida espagnole. L’immeuble est désaffecté, tout en travaux inachevés. Certains étages sont vides, d’autres accueillent des services sociaux, des réunions de quartier ou d’association, des ateliers artistiques, des cours d’espagnol ou des projections de films. Hacksol réunit également des programmeurs, des graphistes et des étudiants dont une partie sont au chômage. Les hackers apportent au mouvement leur expertise technique, numérique, et gèrent les infrastructures web du mouvement, des serveurs aux listes de courrier.

Dani me présente à ses compañeros, Antonio et Charlie, hackers de leur état, dépassés par les évènements mais jamais à court d’idées et de ressources. Le nombre de participants sur le réseau monté par les hackers a quadruplé, les serveurs ont chauffé, et ils ont vite été débordés. L’extension du mouvement dans la rue en Espagne et à travers le monde, se reporte sur le web. La nécessité de transposer cette intelligence collective sur le réseau est devenue une priorité.

“Mettre l’intelligence collective sur le réseau”

Ils expliquent :

A partir de ces constatations, il a fallu repenser le réseau que nous avions construit dans l’urgence et créer de nouveaux outils.

Le blocage sur la levée du campement de l’assemblée de Sol les a également poussé à se poser la question de la prise de décision et du vote avec les commissions. La création d’une sous-commission de Hacksol, le groupe VOX, composé de programmeurs, de juristes spécialisés dans le droit sur Internet, de sociologues et de politologues ainsi que de toute personne souhaitant participer, sera chargée de penser et de développer les outils de la démocratie du futur et de changer et améliorer les processus de décision actuels. Pas simple mais passionnant, et entre les mains de tous les citoyens.

La particularité de notre génération de hackers à Madrid, est de s’être mêlés à la population depuis toujours. Nous ne sommes pas inaccessibles, au contraire ! Cela fait 15 ans que nous partageons nos connaissances avec les centres sociaux et associations culturelles de quartier, à travers le montage d’infrastructures web et d’ateliers de formation.

Antonio nous écoute parler en tapant sur son mini ordinateur couvert de stickers. Il dit qu’il croit au changement, mais pas à la révolution. “Les révolutions entraînent beaucoup de morts et aujourd’hui nous avons les outils pour agir pacifiquement et obtenir ces changements.” L’Espagne serait-elle le laboratoire numérique de la démocratie demain ? Dani embraye : “Nous nageons en pleine expérimentation, c’est la première fois que des millions de personnes dans un pays et dans le monde se réunissent autour d’une même cause, pour une démocratie réelle et participative, pour changer le système actuel.” Et Tonio d’ajouter, en souriant :

Hemos entrado en el Madrix

Adieu Facebook, Twitter et Google : hola les outils alternatifs

Antonio a beau avoir l’air nonchalant il ne cesse de s’activer sur son ordinateur. Dans les cartons, le développement d’outils web, sous licence libre et open source, bien sûr, pour relier toutes les assemblées entre elles, au niveau local et national, avec les plateformes comme tomalosbarrios, mais aussi au niveau mondial avec une plateforme dédiée, Take the Square. En cours de finalisation, un téléphone 100% voIP permettra de se connecter dans le monde entier, gratuitement et d’envoyer des sms en masse. Un Skype de la culture libre, dont la béta est déjà prête, et développé avec le logiciel Linux Asterisk qui permet d’installer des centrales téléphoniques. Des listes de discussion et des Pirate-pad pour remplacer respectivement les google ou yahoo groups/documents. Et surtout, un réseau social alternatif et citoyen qui permettra de passer au-dessus de Facebook et Twitter.

Les deux premiers seront utilisés pour la communication extérieure seulement, comme une vitrine. Mais le plus important, les discussions des assemblées, les prises de décisions, les groupes, les comptes rendus, passeront par un autre réseau social, non commercial, du nom de N-1 créé par et pour la communauté, par le réseau Lorea qu’OWNI avait rencontré au Hackerspace de Toulouse la semaine précédente. N-1 a été développé avec le moteur de réseaux sociaux Elgg avec dans l’idée d’avoir toujours ses propres plateformes et de contourner les réseaux sociaux commerciaux. Tout en continuant à les utiliser intelligemment… L’idée est bien de parvenir à une certaine autonomie technologique et que ces outils servent de base à d’autres assemblées dans le monde.

Madrid fourmille d’idées et l’Espagne de hackatons en série. Le premier commence cette semaine à Madrid avec des développeurs de Lorea venus prêter main forte à l’équipe madrilène. Un quatrième hacker, Luca, venu d’un hacklab italien et qui a passé quelque temps à Barcelone, compte s’installer à Madrid dès cet été, “au cœur de la révolution démocratique”.

Les hackers sortent de l’ombre

La nuit est tombée sur Madrid, le patio de las maravillas est rempli de monde. Il est temps de se diriger vers Sol, où les quatre hackers ont rendez-vous avec quatre personnes de l’acampadasol, de la commission communication, pour préparer la grande assemblée générale du lendemain soir. Une cinquantaine d’acampadas d’Espagne, et des acampadas internationales [#interacampadas]. Sur la place de la puerta del sol, toutes les tentes sont occupées et le petit groupe se repli sur une cafétéria à moitié vide, d’une rue adjacente. Les quatre filles et les quatre garçons discutent pendant plus de deux heures, et point par point, l’échange se fait entre les besoins concrets des assemblées de quartier et les propositions de Hacksol pour améliorer le système actuel. Pour la première fois demain, les hackers se présenteront officiellement à tout le monde et auront l’opportunité d’expliquer le fonctionnement et le but des outils mis en place sur Internet.

Le lendemain, après l’assemblée de quartier Los Austrias à la Latina, direction la Tabacalera, un autre centre culturel autogéré dans le quartier populaire de Lavapiès, au sud de la place Sol. Le bâtiment est imposant, la hauteur de mur sous plafond doit bien atteindre sept ou huit mètres, des bâches en plastique font office de rideau entre les différentes pièces. Ici une scène musicale, là un atelier de peintre, et dehors, des jongleurs, un potager, des installations d’artistes. Dans le hangar à côté, les acampadas sont en réunion depuis deux heures. 100 à 200 personnes se trouvent sur le site, donnant au lieu des airs de Demeure du Chaos.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

À la recherche de l’autonomie technologique, Hacksol entre en scène sur les coups de 19h00, dans la nave trapecio, un grand hangar qui sert de salle de réunion. Ils font œuvre de pédagogie, expliquent la nouvelle organisation et les buts recherchés : décentraliser le mouvement – Madrid ne sera plus le point de passage obligé – et se répartir la charge sur la gestion des infrastructures web.

Chaque ville devra se mettre en contact avec des programmateurs ou des hackers de confiance. La red tiene que ser libre, tiene que ser nuestra (le Net doit rester libre, il doit nous appartenir)

Sont également abordées les questions juridiques et financières. Qui va payer pour les serveurs ? Qui sera responsable de la base de données des utilisateurs du réseau N-1 auprès de la Commission gouvernementale de la protection de données ? Qui prendra la responsabilité juridique des contenus publiés sur le réseau ?

Vient le tour des questions, où chaque acampada de Séville, Malaga, Algeciras, Oviedo, Donosti – et d’autres villes encore – fait part de ses besoins, mentionne les outils qu’elles utilisent déjà et en propose d’autres. La question du design des sites par exemple, est abordée par plusieurs acampadas et très rapidement, la décision est prise de mettre en place une coordination nationale des graphistes et des webmasters, avec une liste de discussion sur le modèle de celle qui existe déjà pour les programmeurs. Le représentant d’Algeciras invite même Hacksol à faire des ateliers de formation au web sur la plage pendant que celui d’Asturie précise qu’ils ont développé une application de co-voiturage qui pourra être mise à disposition de tous. Un autre propose d’utiliser des plateformes de crowdsourcing pour financer les coûts technologiques. L’ambiance est à la fois studieuse et bon enfant. L’assemblée prendra fin sur les coups de 23h00.

Ils ont bien en tête que les infrastructures et outils qui sont développés maintenant doivent pouvoir servir à tous, en Espagne et dans le monde entier. Pour eux il est évident que le mouvement va s’étendre et que les places vont se coordonner entre elles. Et que le changement viendra.


Photos et vidéos, Ophelia Noor pour Owni /-)

Image de Une par Voces con Futura

Retrouvez notre dossier sur la démocratie réelle en Espagne.

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Madrid: fonctionnement d’une assemblée de quartier http://owni.fr/2011/06/05/madrid-fonctionnement-dune-assemblee-de-quartier/ http://owni.fr/2011/06/05/madrid-fonctionnement-dune-assemblee-de-quartier/#comments Sun, 05 Jun 2011 19:25:44 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=66184

Sauf indication contraire, tous les liens sont en espagnol

Si le mouvement du 15M, mobilisé contre le système politique espagnol actuel, est toujours vivace à Madrid, entre les assemblées générales de la place Sol et les nouvelles assemblées dans les quartiers, il doit faire face à des questions de fonctionnement cruciales pour assurer son avenir. Depuis l’annonce des résultats des élections régionales et municipales le 22 mai, le mouvement cherche à se décentraliser de Sol et “défendre dans toutes ces assemblées un fonctionnement transparent, à l’horizontal, (…) dont l’objectif principal sera d’éviter que surgissent des chefs qui décident pour l’ensemble de la communauté sans la prendre en compte, comme le font les politiques”. Les premières assemblées s’étaient donc réunies sur les places des quartiers le samedi 28 mai pour la première fois.

Madrid. Samedi 4 juin, au cœur de la Latina, l’assemblé de quartier Los Austrias ouvre sa séance à 12 heures sur la place Carros. Un quartier bobo de la capitale où vivent beaucoup de gens du spectacle (scénaristes, comédiens, etc..). Entre 50 et 100 personnes sont réunies sur la petite place, tous âges confondus. La modératrice ouvre la séance avec une présentation de l’assemblée de quartier, de ses fonctions et de ses objectifs : prendre des décisions sur les propositions d’actions concrètes et pour chacune d’entre elles, arriver à un accord unanime [un consenso]. Des équipes d’environ dix personnes animent la séance et à chacune d’entre elle est attribué un poste avec une liste de tâches. Aucune personne ne peut garder ce poste de manière définitive et un système de rotation est mis en place avec tous les citoyens de la place qui sont donc appelés à participer.

Composition et organisation des assemblées populaires

L’assemblée du quartier Los Austrias, sous la chaleur de ce samedi midi, était composée de la manière suivante :

  • Une modératrice, qui anime le débat, est chargée du bon déroulement général de l’ordre du jour, et de la durée de la séance. Elle suit les réactions de l’assemblée grâce aux différents types de gestes mis en place. (cf plus bas)
  • Un facilitateur : attentif aux débats, en cas de blocage, il va ré-articuler tout ce qui s’est dit précédemment et faire une proposition de consensus qui sera ensuite soumise au vote.
  • Une secrétaire de séance, qui prend en note les décisions finales qui seront actées.

  • Deux personnes chargées de la gestion des tours de parole : munis d’un cahier et d’un stylo, ils listent les personnes qui souhaitent prendre la parole pendant la séance.
  • Plusieurs délégués de séance qui seront chargés de faire le lien avec les autres commissions et porter le message de son assemblée de quartier à l’assemblée générale.
  • Un ou une interprète de la langue des signes.
  • Plusieurs personnes de la commission Respect, chargée de contrôler les débordements lors des discussions, comme les insultes par exemple.

Des gestes pour communiquer

Un système de gestes a été mis en place pour montrer visuellement son accord ou son désaccord ou le fait de vouloir nuancer une proposition. Un système qui permet de ne pas interrompre la personne qui termine son exposé, au modérateur de gérer le débat et en attendant que votre nom soit noté pour prendre votre tour de parole. Avant d’aborder les points clefs de l’ordre du jour, la modératrice ré-explique aux participants quels sont les différents gestes et leur signification.

#1- L’approbation

J’approuve.
Je suis en faveur de cette proposition.
Action : lever les bras et agiter les mains en tournant rapidement les poignets.

#2- Le doute ou la nuance

Je souhaite apporter une nuance à cette proposition.
Action : je lève un bras.
Les personnes sont ensuite invitées  à faire signe aux personnes chargées des tours de parole afin qu’ils les inscrivent sur la liste. Ils exprimeront ensuite leur point de vue à l’assemblée.

#3- Le désaccord avec blocage

Je suis totalement contre cette proposition.

Action : lever les mains et les croiser au niveau des poignets en fermant les poings.
..

Que se passe-t-il à ce moment là ?

Si une ou plusieurs personnes sont en désaccord radicale avec la proposition, des tours de paroles sont institués comme suit :

  • Trois personnes qui se prononcent contre.
  • Trois personnes qui sont pour.
  • Ces six personnes viennent tour à tour prendre le micro, et exposent leur opinion à l’assemblée.
  • La proposition est à nouveau soumise au vote.
  • Mais il subsiste encore des personnes contre la proposition.
  • On demande à l’assemblée si elle souhaite enclencher un autre tour de parole.
  • Si oui s’ouvre alors une autre série de tours de parole, toujours avec : 3 contre et 3 pour
  • L’assemblée vote à nouveau, pour la troisième fois.
  • S’il subsiste encore des personnes contre la proposition, elle sera soumise à nouveau à la prochaine réunion en prenant en compte les opinions exprimés

.#4- Hors-sujet ou répétition

La personne qui a pris la parole s’égare du sujet principal ou répète des choses qui ont déjà été dites.

Action : lever les bras et les mouliner.

#5- Ecourter la prise de parole

La personne qui a pris la parole s’éternise et doit en venir au fait.

Action : joindre les deux mains à plat en les levant vers le ciel.
.

#6-Le désaccord sans blocage

Je ne suis pas d’accord avec ce qui est en train de se dire, et je vous le montre par ce geste, mais je ne veux pas interrompre l’assemblée.

Action : passer plusieurs fois sa main, à plat et devant son visage, du haut vers le bas.

Blocages sur la prise de décisions

L’assemblée continue avec la lecture d’un résumé des propositions adoptées pendant l’assemblée générale de Sol [acampadasol] réunie la veille, vendredi 3 juin sur la place Sol à Madrid. Une assemblée générale de grande ampleur où étaient convoqués pour la première fois tous les représentants des 54 #acampadas d’Espagne et des internationaux #interacampadas. Est notamment évoquée l’épineuse question du campement sur la place : une minorité de personnes souhaitent maintenir en place les infrastructures actuelles. Une majorité souhaite décentraliser le mouvement de la place Sol et diriger toutes les énergies vers les assemblées de quartier, tout en conservant un point d’information.

Actuellement, le processus de prise de décisions mis en place joue contre l’assemblée générale à Sol [#acampadasol]. Il est extrêmement lent car il permet à tout un chacun de prendre la parole pour donner son opinion. Les propositions étant validées par un consensus unanime, une seule personne contre suffit à bloquer l’avancée du mouvement. Pour cette raison, l’acampadasol est bloquée sur cette question du campement depuis une semaine : “c’est le même groupe qui bloque toutes les décisions de l’assemblée “, me racontent les personnes de la commission communication, chargées des questions relatives à Internet. J’ai pu assister à leur réunion de coordination vendredi soir et tous sont conscients que ce type de blocage pourrait aussi intervenir au niveau des assemblées de quartier et affaiblir le mouvement.

Nous avons été infiltrés par des représentants de partis politiques, de syndicats, nous avons même eu affaire à une personne qui a parlé en notre nom aux médias. À Sol c’est le même groupe qui bloque les décisions et nous empêche d’avancer.

Pour cette raison, une nouvelle proposition vient compléter le processus de prise de décisions #3 “Désaccord avec blocage” et sera soumise pour ratification aux assemblée de quartier. La validation d’une proposition fonctionne dans cet ordre :
Assemblée de quartier ou de municipalité : propositions
Assemblée générale de Madrid : décisions en commun
Assemblée de quartier ou de municipalité : ratification
Assemblée générale de Madrid : décision définitive

À cela s’ajoute la création d’un groupe de travail, VOX, chargé de penser à des nouveaux processus de décision plus dynamiques à mettre en place dans cette nouvelle démocratie réelle qui prend corps chaque jour sur les places espagnoles.

Vers un consensus non unanime ?

Les citoyens qui ont pris en charge la séance font preuve d’humour et de patience, comme les participants de l’assemblée. Le système des signes est plutôt bien respecté, certains sont intimidés lorsqu’ils se retrouvent debout devant tout le monde avec le micro en main, pour exposer leurs point de vue.

La première proposition à l’ordre du jour est donc de permettre aux assemblées d’adopter des propositions sans consensus général. Il sera spécifié dans les actes, que la décision a été prise sans accord unanime. Au processus #3 décrit plus haut, s’ajoute donc la possibilité à la fin des trois tours de vote, d’adopter la proposition même s’il subsiste des personnes en désaccord, dans une proportion de 1 pour 100.

La proposition ne fait pas l’unanimité : une personne se prononce contre, comme le montre cette vidéo sous-titrée en français :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Que va-t-il se passer ensuite ? Après plusieurs tours de paroles et plusieurs votes, le facilitateur fera un résumé de ce qui a été dit et formule une nouvelle proposition : “Nous nous rendons tous compte que nous sommes en phase de rodage et nous allons garder, pour le moment, le fonctionnement actuel, c’est-à-dire avec une prise de décision validée par un consensus général. Cependant, nous allons ajouter dans notre liste de tâche cette proposition sur le consensus non unanime et y travailler. Cette décision pourra bien sûr être révoquée lors d’une prochaine assemblée.” Après un tour de vote, la proposition du facilitateur est unanimement adoptée, des applaudissement retentissent, la médiatrice remercie l’assemblée et passe au second point de l’ordre du jour.

L’assemblée aura duré en tout presque trois heures.


Photos Ophelia Noor pour Owni /-)
Image de Une par Voces con Futura
Retrouver notre dossier sur la démocratie réelle en Espagne :

Espagne Labs: inventer la démocratie du futur

La voix graphique de l’Espagne

Comprendre la révolution espagnole

Notre précédent dossier, du 21 mai 2011, sur la naissance du mouvement.

Tout les articles concernant l’Espagne sur Owni /-)

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http://owni.fr/2011/06/05/madrid-fonctionnement-dune-assemblee-de-quartier/feed/ 11
Les propositions de ¡Democracia Real Ya! http://owni.fr/2011/06/01/les-propositions-de-%c2%a1democracia-real-ya/ http://owni.fr/2011/06/01/les-propositions-de-%c2%a1democracia-real-ya/#comments Wed, 01 Jun 2011 09:40:24 +0000 Admin http://owni.fr/?p=65414

Nous avions publié le manifeste du collectif  ¡Democracia real ya! la semaine précédente, voici les propositions, votées en assemblée le 19 mai sur la place Sol à Madrid.

Elles abordent sept points en détail : la classe politique, les banques, les services publics, la démocratie participative, les impôts, le chômage et le logement. Les demandes principales concernent le changement de la loi électorale, une loi de responsabilité politique qui oblige les élus à rendre des comptes, l’augmentation du salaire minimum, le maintien des services publics.

La prochaine étape pour le mouvement concerne l’occupation de la place Sol, la décision devrait être prise cette semaine. Pour le moment, la décision a été prise de restructurer le campement [es]. Ce matin, le ministre de l’intérieur Alfredo Perez Rubalcaba a averti les manifestants qu’ils ne pourraient pas rester plus longtemps sur la place” [es] en raison notamment de la perte de chiffre d’affaires des commerçants.

1. Suppression des privilèges de la classe politique

  • Contrôle stricte de l’absentéisme des élus à leurs différents postes. Sanctions spécifiques contre les abandons de postes.
  • Supression des avantages sur le paiement des impôts, les années de cotisation et le montant des retraites. Alignement du salaire des élus sur le salaire médian espagnol, en ajoutant les indemnités de déplacement qui sont nécessaires pour l’exercice de leurs fonctions.
  • Fin de l’immunité associée à la fonction d’élu. Les délits de corruptions seront imprescriptibles.
  • Publication obligatoire du patrimoine des élus.
  • Réduction des postes obtenus par nomination.

2. Lutte contre le chômage

  • Répartition du travail pour développer la réduction du temps de travail et un accord sur le travail jusqu’à élimination du chômage structurel, c’est à dire jusqu’à ce que le taux de chômage descende en dessous de 5%.
  • Retraite à 65 ans et aucune augmentation de l’âge de la retraite pour en finir avec le chômage des jeunes.
  • Bonus pour les entreprises qui comptent moins de 10% de contrats de travail temporaires
  • Sécurité de l’emploi : interdiction des licenciements collectifs dans les grandes entreprises qui font des bénéfices, et vérification de leurs comptes pour s’assurer que les travailleurs embauchés en CDD n’auraient pas pu l’être en CDI.
  • Rétablissement de l’allocation chômage de 426 € pour tous les chômeurs de longue durée.

3. Droit au logement

  • Expropriation par l’Etat des logements construits “en stock” et invendus pour les remettre sur le marché en tant que HLM.
  • Aide financière au logement pour les jeunes et toutes les personnes à revenus faibles.
  • Autoriser la donation de biens pour payer son logement et lever les hypothèques.

4. Services publics de qualité

  • Suppression des dépenses inutiles dans les administrations publiques et mise en place d’un système de contrôle indépendant des budgets et des dépenses.
  • Recrutement du personnel de santé pour en finir avec les listes d’attente.
  • Recrutement d’enseignants pour obtenir un nombre d’élèves par classe décent, et permettre le travail en petits groupes et les classes de soutien.
  • Réduction des frais de scolarité appliqué à tout l’enseignement universitaire, des troisièmes cycles aux 1ers cycles.
  • Financement public de la recherche afin de garantir son indépendance.
  • Des transports publics à un prix abordable pour tous, de qualité et respectueux de l’environnement : rétablissement des lignes de train classiques remplacées par l’AVE (ndlr : TGV espagnol), et de leur prix d’origine. Réduction du prix des tickets d’autobus. Restreindre la circulation automobile dans les centres urbains et construction de pistes cyclables .
  • Ressources sociales locales : mise en application de la loi sur la Dépendance, des réseaux municipaux de soins, des services locaux de médiation et de mise sous tutelle.

5. Contrôle des organismes bancaires

  • Interdiction de tout sauvetage ou injection de capital pour les organismes bancaires : les institutions en difficulté doivent faire faillite ou être nationalisées pour constituer une banque publique sous contrôle social.
  • Augmentation des impôts des banques proportionnellement aux dépenses sociales causées par la crise provoquée par leur mauvaise gestion.
  • Restitution au Trésor public de toutes les aides publiques reçues par les banques.
  • Interdiction pour les banques espagnoles d’investir dans les paradis fiscaux.
  • Régulation au moyen de sanctions des mauvaises pratiques bancaires et de la spéculation.

6. Fiscalité

  • Augmentation du taux d’imposition sur les grandes fortunes et les organismes bancaires.
  • Suppression des SICAV.
  • Rétablissement de l’impôt sur la fortune
  • Le contrôle réel et efficace de la fraude fiscale et la fuite des capitaux vers les paradis fiscaux.
  • Promouvoir au niveau international l’adoption d’une taxe sur les transactions financières internationales (taxe Tobin).

7. Libertés citoyennes et démocratie participative

  • Non au contrôle de l’Internet. Abolition de la Loi Sinde.
  • Protection de la liberté de l’information et du journalisme d’enquête.
  • Référendums obligatoires et contraignants  sur les questions de fond qui modifient les conditions de vie des citoyens.
  • Référendums obligatoires pour toutes les introductions de mesures dictées par l’Union européenne.
  • Amendement de la loi électorale afin de garantir un système réellement représentatif et proportionnel qui ne discrimine aucune force politique ou volonté sociale, et où les votes blancs et nuls seront également représentés au Parlement.
  • Indépendance du pouvoir judiciaire : réforme du Ministère public afin de garantir son indépendance, refus de la nomination par le pouvoir exécutif des membres de la Cour constitutionnelle et du Conseil général du pouvoir judiciaire.
  • Mise en place de mécanismes efficaces garantissant la démocratie interne au sein des partis politiques.

8. Réduction des dépenses militaires


L’affiche et le texte original en espagnol sont disponibles sur le site officiel de ¡Democracia Real Ya!
Traduction : Ophelia Noor /-)
Photos : Lucas Deve pour Owni /-)

Retrouvez tous les articles de notre précédente Une sur les mouvements sociaux espagnols et tous les articles sur l’Espagne.

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http://owni.fr/2011/06/01/les-propositions-de-%c2%a1democracia-real-ya/feed/ 22
Aux sources de la colère ibérique http://owni.fr/2011/05/24/aux-sources-de-la-colere-iberique/ http://owni.fr/2011/05/24/aux-sources-de-la-colere-iberique/#comments Tue, 24 May 2011 13:16:12 +0000 Quentin Noirfalisse http://owni.fr/?p=64273 Sur fond de protestations populaires qui s’amplifient en Espagne, la gauche a lourdement perdu les élections municipales. Les sit-ins qui ont émaillé l’Espagne ces 7 derniers jours devraient se prolonger jusque dimanche prochain. Passée au crible, cette révolte ne nous apprend pas seulement qu’elle s’épanouit sur la toile en général et les réseaux sociaux en particulier, mais qu’Internet et les idées contraires que s’en font politiciens et citoyens aurait contribué, avec l’aide du marasme économique, à mettre le feu aux poudres.

Lundi 23 Mai, Puerta del Sol. 20:00h. À peine tapée, l’injonction galopait sur les réseaux sociaux. Elle s’adresse aux indignados, citoyens pacifiquement furibards d’une Espagne à genoux. Rendez-vous était pris pour gonfler davantage les protestations populaires sur la place du Sol, à Madrid, ce dimanche, alors que les décomptes des élections électorales et régionales commençaient. Depuis le 15 mai, les indignés ont investi les pavés ibères et les consciences désormais embarrassées de leurs représentants politiques. Ce dimanche-là, des manifestations s’emparèrent d’une cinquantaine de villes espagnoles. Des milliers de personnes s’agglutinèrent aux cortèges, dont la composition sociale bigarrée (employés, chômeurs, retraités, étudiants) scandait les trois mots du ras-le-bol : No les votes. Ne vote pas pour eux. Dans le viseur, les paquebots politiques à la dérive, socialistes du PSOE en tête, suivis de près par les conservateurs du Parti Populaire (PP) et la formation catalane de centre droit Convergence et Union (CiU).

Rapidement, les manifestations du dimanche 15, initiées par un appel de la plateforme ¡Democracia Real Ya! (Une vraie démocratie, maintenant !), engendrèrent d’autres activités de protestation. Depuis lundi, les tentes et les slogans champignonnent à Puerta del Sol. « Je ne suis pas antisystème, c’est le système qui est antimoi » ou « Vous sauvez les banques, vous volez les pauvres » traduisent une remise en cause globale d’une économie moribonde. Le taux de chômage dépasse les 20%, atteignant même 41% pour les moins de 25 ans. Ce deuxième chiffre est le même qu’en 2009, trahissant l’incapacité du gouvernement à offrir des solutions concrètes à la crise que traverse le pays.

Un diagnostic assassin

Un rapide coup d’œil au diagnostic économique effectué par l’OCDE sur le patient hispanique, frappé d’une crise immobilière aiguë, n’incite guère à l’optimisme : « l’économie sort lentement d’une profonde récession qui aura des conséquences durables », « détérioration prononcée des finances publiques », nécessité absolue « de réformer le marché du travail », etc. En dépit de la rigueur prônée par le docteur OCDE, le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique estime dans son dernier bulletin, qu’en Espagne, comme au Portugal, en Grèce ou au Royaume-Uni, « la diminution de la couverture sociale et les mesures d’extrême-austérité mises en œuvre [...] font exploser le nombre de pauvres ».

Fait moins connu, le pays est également traversé par une corruption tenace. A tel point que le mouvement citoyen No Les Votes a développé un Corruptodrome, où s’esquisse impitoyablement une Espagne gangrénée par la spéculation urbanistique et les détournements de fonds. Plus encore que la politique du gouvernement Zapatero (premier responsable, dans les sondages, du mal-être hispanique), c’est un air du temps dominé par les magouilles tous partis confondus et les courbettes au sacrosaint univers de la finance qui étouffe les manifestants et justifie leur descente dans la rue. Pour la jeunesse espagnole, la génération la mieux formée de l’histoire du pays, l’horizon immédiat n’a rien d’autre à proposer que le trou noir de la débrouille.

L’Islande comme modèle

Caisses de résonance de ces inquiétudes, les premières manifestations du dimanche 15 mai n’ont guère intéressé les médias traditionnels. La police y a procédé à des arrestations qui ont encouragé des manifestants à créer un campement à la Puerta del Sol afin de réclamer la libération des détenus. Lundi 16, à l’aube, les campeurs-citoyens étaient dispersés par les forces de sécurité. Il n’en fallait pas plus pour que la colère gronde sur Facebook et Twitter et se prolonge avec insistance dans la rue. Rapidement, les calicots firent référence au précédent islandais, l’élevant même au rang de modèle.

En septembre 2008, Wikileaks publiait un rapport confidentiel sur la santé extrêmement vacillante de la Kaupthing, la principale banque du pays. Un mois plus tard, le pays chutait aux frontières du chaos économique. Hördur Torfason, un prolifique auteur-compositeur2, décida alors d’organiser, tous les samedis, guitare en bandoulière et micro en main, un rassemblement devant l’Althing, le parlement islandais. La mobilisation enfla au point de forcer la dissolution du parlement, l’organisation de nouvelles élections et agit comme le déclencheur d’une nouvelle attitude politique. Les banquiers qui avaient mené le pays dans les abysses statistiques allaient être poursuivis et la constitution rénovée. Cette semaine, Torfason, le héros malgré-lui de ce mouvement citoyen de fond, publiait une vidéo où il transmettait son expérience et ses encouragements aux manifestants espagnols.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une loi comme détonateur

A Madrid, Barcelone et ailleurs, le passage d’un mécontentement stoïque et intériorisé à la rue tirerait son origine d’une décision politique sur l’Internet : la ley Sinde, version espagnole de la HADOPI française (comprenant également des accents de LOPPSI). Cette loi, introduite comme un amendement intégré dans une package législatif plus global, la « Ley de Economía Sostenible » (Loi pour une économie durable), définit un encadrement strict de l’Internet. Elle prévoit notamment de bloquer rapidement l’accès à des sites où l’on peut télécharger des contenus sous droits d’auteur. Pour Enrique Dans, professeur à l’IE Business School de Madrid et blogueur, l’origine des manifestations serait « le moment où les trois grands partis, PSOE, PP et CiU, ont formé un pacte pour faire passer la ley Sinde, en contradiction flagrante avec la volonté d’une grande majorité de citoyens, pour faire plaisir à un lobby. Attention, ceci n’est que le début, le détonateur : à l’heure actuelle cela n’a déjà plus d’intérêt ou de pertinence dans les manifestations. [...] De l’activisme contre la ley Sinde est né le mouvement #nolesvotes (ne votez pas pour eux)».

Dans rappelle toutefois que « les véritables raisons sont, et cela n’a échappé à personne, des sujets tels que la gestion de la crise économique, la corruption, le chômage [...] et surtout, la désaffection envers une classe politique identifiée comme l’un des problèmes majeurs de la citoyenneté dans les enquêtes du CIS (le Centre des études sociologiques) ». La liste d’une quarantaine de propositions concoctées par ¡Democracia Real Ya! contient, outre un contrôle accru de l’activité des politiques (et de leur absentéisme), un volet dédié aux libertés citoyennes et à la démocratie participative. Le premier point est clair : pas de contrôle de l’Internet et abolition de la ley Sinde.

De la Place Tahrir à la Puerta del Sol : un pas infranchissable

Rapidement, la tentation d’établir une comparaison avec les précédents tunisien et, surtout, égyptien s’est installée. Certains ingrédients semblent similaires. Utilisation des réseaux sociaux pour diffuser l’information et mobiliser les foules, avènement d’un visage symbolique (les pleurs télévisuels de Wael Ghonim, cyberdissident et ancien directeur marketing chez Google au Moyen Orient, d’un côté, la tirade téléphonique de Cristina, citoyenne de Burgos, qui s’insurgea contre des commentateurs moquant les manifestations, de l’autre), situations économiques pas jolie jolie et perspectives d’avenir étriquées.

Par rapport aux ponts jetés (notamment par certains manifestants) vers les révoltes égyptiennes, Jaime Pastore, professeur de sciences-politiques, distingue un « effet d’émulation ou de contagion » notamment grâce aux comparaisons faites « avec le symbolisme de la place Tahrir ». En insistant lourdement sur la différence de situation entre des Égyptiens cherchant à faire tomber une dictature et des Espagnols voulant contribuer à une nouvelle manière de faire de la politique, Pastore ajoute, dans une autre interview :

« Les révoltés dans le monde arabe sont confrontés à de vraies dictatures et ici, nous avons une démocratie de mauvaise qualité soumise à la dictature des marchés ».

Les contextes économiques sont également différents. L’Egypte faisait face à un manque criant de produits alimentaires de base et 40% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. L’Espagne, elle, est confrontée à un problème systémique que l’on retrouve dans d’autres pays occidentaux. A l’échelle européenne, elle est la manifestation la plus évidente et la plus marquée d’une croissance du chômage chez les jeunes, qui a bondi de près de 5% dans l’Union Européenne entre 2007 et 2009 selon l’Organisation mondiale du travail.

« Une dose d’urgence dans l’air »

La mobilisation espagnole sur, avec et en dehors d’Internet, a, selon Pastore, d’ores et déjà créé une « nouvelle subjectivité commune, plurielle et créative ». Son impact sur le long terme et, plus précisément, l’utilisation durable des réseaux sociaux, doit encore être démontré. En Egypte, l’enthousiasme autour de la « révolution Twitter-Facebook » a très vite été relativisé. Ainsi, le nombre d’utilisateurs de Twitter se définissant comme égyptiens au moment des manifestations se situait seulement, selon les données disponibles, aux alentours de 14000. Les réseaux sociaux s’étaient avérés être un moyen efficace de communication vers l’extérieur et vers les privilégiés dotés d’une connexion à l’intérieur, mais l’essor du mouvement relevait davantage d’une mixture dans laquelle le téléphone (arabe ou cellulaire), la capacité des masses populaires (déconnectées) à rejoindre les manifestations et le rôle d’une chaîne comme Al Jazeera se sont révélés déterminants.

Comme l’explique Anne Nelson, spécialiste des nouveaux médias, dans une tribune au Guardian, « les médias sociaux peuvent apporter une contribution impressionnante quand il y a une dose d’urgence dans l’air, qui se transforme rapidement en adrénaline. Sans cette charge, l’activisme en ligne peut s’évaporer rapidement. » Au vu du dynamisme virtuel et réel étalé par les manifestants espagnols, nul doute que le sentiment d’urgence a donné une impulsion décisive à leur action. Quant aux limites et opportunités des réseaux sociaux en situation de crise mais aussi en dehors, Geek Politics y reviendra en profondeur très bientôt.


Article initialement publié sur Geek Politics

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