OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’Europe fermée de l’intérieur http://owni.fr/2012/06/06/leurope-fermee-de-linterieur/ http://owni.fr/2012/06/06/leurope-fermee-de-linterieur/#comments Wed, 06 Jun 2012 09:30:56 +0000 Thomas Deszpot http://owni.fr/?p=111880

Barrière frontalière entre L'Espagne et le Maroc à Ceuta. De l'autre coté des barbelés, c'est le Maroc. Ceuta, Espagne, 2002 - Photographie par ©Bruno Arbesu via Picture Tank

Pour gérer les flux migratoires et surveiller ses frontières, l’Europe s’érige en forteresse. C’est la conclusion de deux chercheurs qui rendront publique le 26 juin une étude sur les frontières de l’Union Européenne, réalisée pour le Heinrich Böll Stiftung, un institut allemand proche du parti des Verts. Dans une première version du rapport que s’est procuré OwniMathias Vermeulen et Ben Hayes, mettent en évidence la politique du tout sécuritaire vers laquelle s’oriente l’UE en matière de flux migratoires, et, surtout, la surenchère technologique qui l’accompagne.

Depuis 2005, l’Europe s’est dotée d’une force d’intervention spécialement dédiée à ces missions : l’agence Frontex. Basée à Varsovie, elle peut compter sur le soutien financier de l’UE, qui intervient à hauteur de 676 millions d’euros pour la période 2008-2013. Organe majeur dans la régulation de l’immigration,  l’agence agit à travers tout le continent grâce à des moyens matériels considérables. En février 2010, l’agence comptait 113 navires, 25 hélicoptères et pas moins de 22 avions.

Depuis plus d’un an, les révoltes arabes font craindre aux dirigeants du vieux continent un afflux massif de migrants, en provenance notamment du Maghreb. Très sollicitée en Méditerranée, où elle effectue une surveillance maritime permanente, l’agence Frontex tente de contrôler l’arrivée des migrants. Mais son action se concentre également à l’est de l’Europe. L’un des exemples le plus frappant concerne la frontière slovaco-ukrainienne où sur une centaine de kilomètres, ce sont près de 500 caméras qui sont déployées. Elles viennent épauler les 850 policiers qui guettent l’entrée des migrants vers l’espace Schengen. L’investissement est colossal : sécuriser un kilomètre de frontière représente ici un million d’euros.

L'agence Frontex et ses points d'attache en Europe et au Maghreb (illustration tirée du rapport "Borderline"

Pourtant, la Commission européenne ne souhaite pas s’arrêter là. En septembre 2011, elle a renforcé les moyens de Frontex, qui peut désormais investir dans des équipements à sa seule disposition et déployer ses propres équipes de gardes-frontières. Pour tenter d’endiguer l’immigration illégale, l’agence peut aussi mobiliser une partie de ses forces au delà des frontières européennes. Des accords de coopération sont passés avec différents pays africains : les bateaux de Frontex sont ainsi autorisés  à arpenter les côtes sénégalaises ou mauritaniennes.

Pour compléter les dispositifs existants, le projet Eurosur est dans les cartons de la Commission depuis 2008, avec l’objectif de “limiter le volume de ressortissants de pays tiers pénétrant illégalement sur le territoire de l’UE.” Pour Matias Vermeulen et Ben Hayes qui l’ont étudié en détail, les conclusions sont sévères.

Le système Eurosur et le développement de “frontières intelligentes” représente la réponse cynique de l’Union européenne au Printemps arabe. Il s’agit là de deux nouvelles formes de contrôle européen des frontières [...] pour stopper l’afflux de migrants et de réfugiés (complétés par des contrôles à l’intérieur même de l’espace Schengen). Pour y parvenir, les ministres de l’Intérieur d’un certain nombre de pays sont même prêts à accepter la violation de droits fondamentaux.

Des drones

La mise en place d’Eurosur – qui devrait, selon les chercheurs, être actée dans l’année par le Parlement européen – doit permettre d’exercer un contrôle accru aux frontières, mais également à l’intérieur de l’espace Schengen. Sont visés les migrants illégaux et ceux entrés en situation régulière mais avec un visa expiré, communément appelés ”over-stayers“. Prévu pour agir en complément et en collaboration avec Frontex, Eurosur devrait être doté de moyens technologiques de pointe dans la surveillance, avec notamment des drones qui survoleront les eaux de la Méditerranée. En février 2008,  le message porté devant l’Union par Franco Frattini, commissaire en charge de la Justice et des Affaires Intérieures résumait à lui seul les orientations politiques à venir concernant l’immigration, comme la souligne la Cimade dans un de ses rapports.

Recourir aux technologies les plus avancées pour atteindre un niveau de sécurité maximal.

Parmi ces avancées technologiques figure par exemple la biométrie. Le concept de “frontière intelligente” présenté par la Commission européenne met en avant la reconnaissance de toute personne transitant à l’intérieur des frontières de l’UE, de manière à pouvoir vérifier si sa présence sur le territoire européen est légale.

Les eurodéputés ont la biométrique

Les eurodéputés ont la biométrique

Une dizaine d'eurodéputés demandent à la Commission européenne d'apporter les preuves de l'efficacité des passeports ...

À ce titre, le rapport des deux chercheurs pointe du doigt ce qui pourrait devenir “l’une des plus vastes bases de données pour les empreintes digitales à travers le monde.” Ce fichier global et centralisé se cache derrière l’acronyme RTP, pour “registered traveller programme” (littéralement “programme d’enregistrement des voyageurs“).

Derrière cette volonté incessante de renforcer la sécurité et la surveillance, l’ombre de sociétés privées se dessine. Via les projets de recherche et développement et la mise en place des différents systèmes évoqués ci-dessus, les instances européennes financent de nouveaux marchés, promis aux industries de l’armement. Ces investissements portent en majorité sur du matériel dont les fonctions premières sont d’ordre militaires (drones, caméras thermiques très haute définition…). En 2008 par exemple, le Commissariat à l’énergie atomique a reçu 2,8 millions d’euros pour développer des “outils pour l’inspection non destructive d’objets immergés grâce, principalement, à des capteurs de neutrons”.  C’est ainsi qu’est né le projet Uncoss, dont on peut lire sur le site qui lui est dédié qu’il oeuvre à la protection des voies d’eau,  jugées “très exposées aux attaques terroristes”.

De grands groupes industriels profitent eux aussi des fonds européens dans le cadre de projets de recherche. Thalès a entre autres touché 1,6 millions d’euros pour mettre en place le système Simtisys, chargé du “contrôle de la pêche, de la protection de l’environnement et du suivi des petits bateaux”.  Autre grand groupe français, Sagem a de son côté reçu 10 millions d’euros pour le lancement d’Effisec, un programme de renforcement des postes frontières. Parmi les objectifs affichés, “améliorer la sécurité et l’efficacité des points de contrôle” et “améliorer les conditions de travail des surveillants aux frontières”.

En se basant sur les dépenses déjà engagées, les deux chercheurs estiment le coût global de ces frontières intelligentes à 2 milliards d’euros au minimum, soit le double du montant prévu par la Commission européenne. Ils soulignent a contrario les moyens réduits dont dispose le Bureau européen d’appui en matière d’asile. Son budget est en effet neuf fois inférieur à celui de l’agence Frontex.

Tel qu’il est développé actuellement, le cadre législatif et financier du projet Eurosur revient à donner un chèque en blanc à l’agence Frontex. La Commission européenne continue elle à financer la recherche et le développement grâce aux fonds de l’UE, en attendant de trouver quelque chose qui fonctionne.

Violences

[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe

[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe

Plus de 14 000 réfugiés sont "morts aux frontières" de l'Europe depuis 1988. Afin de mesurer l'ampleur de cette "guerre ...


Le durcissement de la politique migratoire européenne intervient également dans un contexte de drames à répétitions. Porte d’entrée vers l’Europe, l’île italienne de Lampedusa a été le théâtre de nombreux accidents lors des derniers mois. Parmi les milliers de migrants qui prennent la mer, tous n’ont pas la chance d’arriver sains et saufs. Depuis 1988, plus de 18 000 personnes seraient mortes en tentant de rallier l’Europe.

Développés pour améliorer le contrôle des frontières, Frontex et le futur Eurosur visent aussi à protéger les migrants. Dans les faits pourtant, ces politiques sécuritaires semblent ne pas tenir compte de la dimension humaine de telles opérations. Des violences sont souvent à déplorer, décrites par le réseau d’associations Migreurop dans une étude datée de novembre 2010.

Ces opérations – visant à renvoyer dans leur pays d’origine des personnes contre leur gré– sont souvent sources de violences. Il est rare de pouvoir recouper des informations sur leur déroulement, puisque les personnes sont éloignées de force et qu’on ne connaît généralement pas le sort qui leur est réservé à l’arrivée. Il est donc difficile d’établir ou de maintenir avec elles un contact. Cependant, régulièrement, certains témoignages d’expulsés font état de violences se traduisant par des humiliations, des insultes, de l’agressivité, des coups jusqu’au tabassage durant les tentatives d’embarquement.

Par ailleurs, le respect du droit d’asile pose lui aussi problème. Suite à leur interception, il n’existe pas aujourd’hui de distinction claire entre les migrants pour raisons économiques et ceux qui fuient des violences. Catherine Teule souhaiterait que les migrants “puissent bénéficier d’un entretien individuel à leur arrivée afin de comprendre leur situation”.  La vice-présidente de l’Association européenne pour la défense des droits de l’homme nous a en effet expliqué que le droit d’asile n’est pas suffisamment respecté à l’échelle européenne, et réclame un contrôle plus strict.

Les problème que posent ces opérations, c’est le manque total de transparence, aucun observateur extérieur n’intervient.

Jurisprudence américaine

“La liberté de circulation s’impose comme une évidence”

“La liberté de circulation s’impose comme une évidence”

Pour Claire Rodier, juriste au Gisti et présidente du réseau, la liberté de circulation s’impose comme une évidence au ...

Ces orientations ne sont pas sans rappeler l’exemple américain. Lancé en 2006, le SBI-net (pour Secure Border Initiative Network) a coûté 3,7 milliards de dollars, avant d’être annulé en 2010. Ce projet piloté par l’entreprise Boeing devait permettre un contrôle intensifié aux frontières canadiennes et surtout mexicaines.

Avec la construction d’un réseau de 1800 tours, équipées de capteurs, caméras, détecteurs de chaleur et de mouvement. Pour justifier ce retour en arrière du gouvernement américain, la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure Janet Napolitano a avancé le manque d’efficacité du système.

Ce projet a dépassé les budget prévus et pris du retard. Il n’a pas fourni un retour sur investissement qui permette de le justifier. Nous allons désormais réorienter ces ressources vers des technologies déjà éprouvées et adaptées à chaque région frontalière, pour mieux répondre aux besoins des patrouilles sur place.

Les failles soulevées outre-atlantique ne semblent pas infléchir les politiques européennes. La question des frontières a resurgi ces derniers mois au sein de l’UE, avec une remise en cause récurrente de l’espace Schengen. Aux Pays-Bas, le projet @MIGO-BORAS actuellement en préparation va se concentrer sur les frontières avec l’Allemagne et la Belgique. Des caméras de surveillance placées à une quinzaine de points stratégiques auront pour mission de faciliter le repérage des “illégaux”.

Ces sujets ont aussi animé la campagne présidentielle française : le 11 mars à Villepinte, Nicolas Sarkozy s’en est pris aux accords de Schengen qu’il a appelé à réformer.

Il y a urgence, car il n’est pas question que nous acceptions de subir les insuffisances de contrôle aux frontières extérieures de l’Europe.

Réplique

La politique migratoire menée au sein de l’UE suscite de vives réactions à travers l’Europe. Les associations d’aide aux migrants déplorent des mesures qui constituent à leurs yeux une entrave aux libertés humaines. C’est le cas de Migreurop qui pointe dans ses travaux la violation de la convention de Genève, laquelle est censée garantir le principe de non refoulement des migrants. Face à ses collègues eurodéputés, Daniel Cohn-Bendit s’en est pris violemment aux déclarations de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, qui ont signé une lettre commune pour la révision de Schengen.

En acceptant ce débat sur Schengen, en acceptant les pressions populistes, en acceptant le racisme, vous savez ce que va être un contrôle de frontières, si on le fait ? Ca va être un contrôle facial. [...] Tous ceux qui seront bronzés, qui seront différents, eux ils vont se faire contrôler. Et on va faire une Europe à la carte: les blancs ça rentre, les bronzés ça rentre pas.

Les opposants à Frontex tentent eux-aussi de faire porter leur voix : une opération “Anti-Frontex days” (journées anti-Frontex) s’est tenue du 18 au 23 mai à Varsovie, où est situé le siège de l’agence. Les militants mobilisés souhaitaient alerter l’opinion publique et faire part de leur colère face aux expulsions de migrants qui se poursuivent à travers l’Europe. Cette année, ils se sont servis de l’euro de football -organisé conjointement par la Pologne et l’Ukraine- comme d’une tribune.

L’avenir des frontières européennes est désormais entre les mains du Parlement européen. Si le projet Eurosur est appliqué en l’état, l’Europe pourrait bien se condamner à vivre enfermée.


Photographie par Bruno Arbesu via Picture Tank © tous droits réservés

Barrière frontalière entre L’Espagne et le Maroc à Ceuta. De l’autre coté des barbelés, c’est le Maroc. Ceuta, Espagne, 2002

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Migrants tunisiens: la France dans un sale Etat http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/ http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/#comments Mon, 11 Jul 2011 16:24:02 +0000 Pierre Deruelle http://owni.fr/?p=73358

Le peuple français est né d’une mère chrétienne et d’un père inconnu… Je dis père inconnu parce que la France est et a toujours été une nation d’immigrants.

Andre Frossard (1915 – 1995) – journaliste, essayiste, membre de l’Académie française

Un peu d’histoire dans le sang

La “Révolution tunisienne de 2010-2011″ ou “Révolution de jasmin” est une suite de manifestations non violentes et de sit-in, qui, au bout quatre semaines en décembre 2010 et janvier 2011, ont abouti au départ forcé de Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987.

Plus de 20.000 Tunisiens ont quitté leur pays après la chute du régime, le 14 janvier.

Avec un taux de chômage qui atteint 14,2%, nombre d’entre eux ont quitté leur sol natal pour tenter “d’améliorer leur existence” ou “laisser les places de travail aux autres” selon les dires de certains.

Il n’est peut-être pas inutile ici de rappeler qu’entre le 12 mai 1881 et le 20 mars 1956, la Tunisie fut un protectorat français, et que son aide militaire fut loin d’être négligeable, ce qui est un euphémisme.

En 1884, l’armée française crée le 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (4e R.T.T.), comprenant six bataillons de 600 hommes chacun en 1899. Les faits d’armes des tirailleurs tunisiens leur valent Croix de guerre, Médaille militaire et Légion d’honneur, six citations à l’ordre de l’armée (et par conséquent l’attribution de la fourragère rouge), ainsi qu’une participation au défilé du 14 juillet 1919.

Le général Weygand dans son Histoire de l’Armée française (1953) et le décrit comme :

Une unité d’élite qui porte la croix de la légion d’honneur à son drapeau.

En 1944, après les combats du Belvédère (Monte Cassino – Italie) du 24 janvier au 11 février 1944, le 4e R.T.T. sera bien plus que décimé : les trois quarts des cadres sont tués ou blessés, 279 hommes sont tués (dont 15 officiers), 426 hommes sont portés disparus (dont 5 officiers) et 800 hommes sont blessés (dont 19 officiers), soit au total les deux tiers de l’effectif engagé dans les combats.

Quelques mois plus tard, le 4e R.T.T. sera le premier régiment français à pénétrer en Allemagne en 1945. Il participera aussi à la guerre d’Indochine jusqu’en 1955.

Les liens qui unissent la France et la Tunisie se sont aussi forgés côte à côte dans le sang sur les champs de bataille, ce qui est un point non négligeable de l’histoire de France. Qu’il convient peut-être de rappeler.

De Lampedusa à Paris

Le premier réflexe de l’Europe, ensemble de pays qui compte plus de 500 millions d’habitants, face à ce qui est non pas un flux migratoire mais plutôt un afflux ponctuel de migrants, a été de se recroqueviller sur elle-même.

Invoquant à tour de rôle le risque d’un “appel d’air”, ou le “danger d’être envahi”, S. Berlusconi et N. Sarkozy se sont prononcés en faveur de la remise en cause des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne.

Quand les peuples demandent leur liberté, la France sera à leur côté.

Mise dans le contexte du traitement réservé aux Tunisiens à leur arrivée en France, cette phrase prononcée par Nicolas Sarkozy en mai 2011 sonne comme un mensonge éhonté.

Selon Le Monde du 1er mai, la France souhaitait pourtant faciliter l’arrivée de travailleurs tunisiens sur son sol. Pour cela, Paris se base sur un accord signé en 2008 avec Tunis qui prévoit un objectif de 9 000 entrées par an dont 3 500 salariés. Or, seuls 2 700 Tunisiens sont arrivés  en France au cours de l’année 2010.

La délivrance par l’Italie de titres de séjours aux migrants tunisiens échoués à Lampedusa, grâce à la Convention de Schengen qui leur permettaient de venir librement en France a entraîné la réaction immédiate de Claude Guéant :

Il ne suffit pas d’avoir une autorisation de séjour en Italie pour venir en France.

Son ministère a donc émis, le 5 avril, une circulaire [PDF] établissant des critères stricts. Les intéressés sont ainsi notamment sommés d’avoir un minimum de ressources (31 euros par jour à condition d’avoir un hébergement, 62 euros dans le cas inverse) sur eux, en plus de leur titre de séjour.

L’article 5 de la Convention de Schengen signale que l’intéressé doit avoir “des moyens de subsistance suffisants” et ne fixe pas de montant précis : le migrant, doit “être en mesure d’acquérir légalement ces moyens”.

Ne peut-on considérer que deux bras, deux jambes, la volonté et l’envie de bosser sont des moyens suffisants ?

On notera que si les gouvernants sont fort prompts à faire adhérer les citoyens à la libre circulation des marchandises et des biens en Europe, il semble que les migrants soient une forme de marchandise bien plus encombrante, quelque part entre le traitements des déchets toxiques et la gestion du bétail.

J’exagère ? Peut-être. Ou pas.

Les contrevérités gouvernementales

On notera tout d’abord qu’il y a en France moins d’immigrés en 2011 qu’au début du XXe siècle.

Là où le discours gouvernemental s’effondre, c’est comme souvent à regarder les chiffres : les bénéfices issus de l’immigration sont supérieurs à ses coûts pour les pays d’accueil, selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

En 1999-2000, les immigrés ont rapporté au Royaume-Uni 4 milliards de dollars de plus en matière d’impôts. Aux États-Unis, l’immigration a généré un revenu national supplémentaire de 8 milliards de dollars en 1997.

Quant à la concurrence dans le domaine de l’emploi, l’OIM rappelle qu’en Europe occidentale, “il est rare que les immigrés et les travailleurs locaux se trouvent en concurrence directe”, les premiers occupant fréquemment “des emplois que les nationaux sont soit dans l’incapacité soit peu désireux d’occuper”.

Deuxième constat, les immigrés ne pèsent pas sur les comptes sociaux, si l’on croit une étude [en] du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). S’ils pèsent sur les caisses chômage , en revanche, ils ne pèsent pas sur les caisses de santé et de retraite.

Toujours selon le Cepii, les immigrés réduisent le poids fiscal du vieillissement démographique. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a récemment montré qu’un accroissement des entrées de 50 000 par an pourrait réduire le déficit des régimes de retraites d’un demi-point de PIB à l’horizon 2050.

Le problème des migrants tunisiens ne serait donc pas économique, mais bien politique.

M. Claude Guéant réécrit ainsi la Convention de Schengen à sa sauce. Reste à savoir pourquoi.

Le contexte électoral

Nicolas Sarkozy chercherait à reproduire un “21 avril” en 2012, espérant affronter Marine Le Pen au second tour. Cette hypothèse a notamment été confirmée sur France 2 par un “proche de Nicolas Sarkozy” au cours de l’émission Complément d’enquête.

Décryptant la stratégie élaborée par Patrick Buisson, conseiller de l’Élysée et ancien directeur de Minute, charmant journal d’extrême droite, ce témoin anonyme raconte que la manœuvre consiste à créer “dans l’esprit public des stress complémentaires sur les sujets immigration, sécurité” pour en faire “une marotte, une obsession”, et ainsi amener le débat sur un terrain sur lequel la gauche française est en général mal à l’aise.

Et les Tunisiens font de parfaits boucs émissaires. Plus les CRS interviennent, plus la stratégie de Sarkozy prend corps. Plus les médias en feront des gorges chaudes, et plus le candidat Sarkozy se frotte les mains.

Je dis bien candidat Sarkozy, car il est évident que cette tactique n’a plus rien de l’attitude responsable d’un homme politique en charge de gérer la cohésion d’une nation et de ses différentes composantes, fussent-elles venues de pays voisins.

Sur la question des boucs-émissaires, Hakim Karoui écrit dans L’avenir d’une exception :

Dans la société française, les boucs émissaires ont été les juifs, mais aussi, au Moyen Âge, les « Lombards », à l’époque moderne, les protestants ou les catholique selon les camps, les agents royaux (du fisc par exemple) ou inversement les mendiants ou les prostituées, les « aristocrates » et parfois les prêtres à la Révolution; les « capitalistes », les « bourgeois » à l’époque contemporaine, les immigrés non encore assimilés à toutes les époques. Aujourd’hui, le bouc émissaire, ce sont les Arabes. Demain, ce seront peut-être les Noirs ou les Chinois. Les Arabes, parce qu’ils portent encore une différence (leur nom, leur religion) mais aussi et surtout parce que la société française se rend compte qu’ils sont de moins en moins différents. Leur différence apparaît alors d’autant plus importante qu’elle est finalement de plus en plus résiduelle.

Diviser pour mieux régner, nul besoin d’avoir lu Machiavel pour comprendre. Que nous soyons tous membres de l’espèce humaine s’oublie vite, semble-t-il, à quelques mois des élections.

Grossière erreur de jugement. C’est oublier de considérer que des jeunes gens (dont certains sont des mineurs) qui ont tout quitté, famille et amis, qui ont voyagé sur des embarcations de fortune, et ont réussi à survivre jusqu’au pied de nos immeubles, sont des forces dont la valeur humaine n’est plus à démontrer. Quelle volonté ne faut-il pas pour accomplir ce périple? Quel courage ? Quelle envie de vivre, d’avancer ?

Avons-nous plus peur d’eux qu’ils ont eu peur de partir à l’aventure, sans certitude ?

Ce sont donc actuellement environ 600 Tunisiens qui se trouvent à Paris, certains entassés dans des gymnases, d’autres dormant dans les parcs ou le long des bouches de métro.

Si la Mairie de Paris a voté des levées de fonds pour leur venir en aide, il apparaît que les structures d’accueil sont déficientes, trop peu nombreuses, souvent insalubres. L’Europe ne leur viendra pas en aide. Le gouvernement leur envoie les CRS. La mairie de Paris les déloge pour des raisons fallacieuses (Gymnase Fontaine au Roi).

Et ce sont de simples citoyens qui leur viennent en aide, comme ils peuvent.

Le cas #Botzaris36

Je ne raconterai pas ici ce qui se passe entre le 36 rue Botzaris et le parc des Buttes-Chaumont. Parce que je ne me suis pas rendu sur place, j’en serais donc fidèlement incapable, tandis que d’autres y sont jour et nuit, et en parleront concrètement mieux que moi.

Écœuré par cette situation hypocrite, indigne d’un état de droit, j’ai fait le choix de consacrer mon compte Twitter à ce sujet unique depuis plusieurs semaines.

Pour le caractère inhumain du traitement réservé aux Tunisiens d’une part (« comme des bêtes »), et parce que je le considère comme révélateur de l’état d’esprit dans lequel la petite gue-guerre électorale des partis majoritaires a plongé ce pays.

Si quelques médias se sont penchés sur le problème des migrants, il convient d’expliquer ici la relative omerta d’une partie de la presse française. Et c’est encore Le Canard Enchainé qui s’y colle dans un article intitulé “Quand le gratin de la presse française bronzait aux frais de Ben Ali”.

Je vous invite également à lire entre autres les articles suivants, et bien-sûr à faire vos propres recherches.

@OWNI :

Botzaris, territoire annexé par l’ambassade de Tunisie

@menilmuche :

Les Tunisiens de Botzaris embarqués par la police

Les Tunisiens du gymnase à la rue

La visite de Pascal Terrasse, député de l’Ardèche :

Être né quelque part

@LeClown :

Pourquoi les Tunisiens doivent sauver Botzaris36

Pour venir en aide aux migrants, une association « action tunisienne » vous fournira les renseignements nécessaires.

N’étant ni journaliste, ni chroniqueur, ni écrivain, je me suis exprimé ici en tant que simple citoyen français.

Billet initialement publié sur le Tumblr de Pierre Deruelle

Illustrations CC FlickR par skinny79, Wassim Ben Rhouma, Antonio Amendola Photography et empanada_paris

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http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/feed/ 12
2011, le printemps meurtrier des réfugiés http://owni.fr/2011/06/20/2011-le-printemps-meurtrier-des-refugies/ http://owni.fr/2011/06/20/2011-le-printemps-meurtrier-des-refugies/#comments Mon, 20 Jun 2011 17:30:21 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=70912 De janvier à juin, entre 1500 et 1800 migrants au moins sont morts en tentant de venir se réfugier en Europe, laissant augurer que l’année 2011 sera la plus mortelle pour les réfugiés. En 2006, 2000 morts avaient été recensés, pour toute l’année, et 1785 en 2007. Toutes les autres années, le nombre de morts répertoriés étaient inférieurs à 1500.

Ces chiffres sont issus de la veille organisée par deux ONG, Fortress Europe et United qui, depuis des années, scrutent la presse et les rapports officiels ou émanant d’ONG afin de documenter ce qu’ils qualifient de “guerre aux migrants“.

En janvier dernier, OWNI publiait un mémorial des morts aux frontières de l’Europe, carte interactive permettant de visualiser, par année, pays, et causes des décès, le coût de la fermeture des frontières aux réfugiés.

Nous n’avons pas pu le mettre à jour, mais profitons de la Journée mondiale des réfugiés, célébrée le 20 juin par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés -qui célèbre cette année son 60e anniversaire- pour revenir sur la situation des morts aux frontières, qui semble n’avoir jamais été aussi désastreuse et mortelle que cette année.

1387 noyés, plus quelques suicides

Depuis janvier, United a en effet recensé 1478 morts aux frontières, dont 1387 noyés en tentant de fuir la Tunisie ou la Libye, portant à 15 551 le nombre de morts recensés depuis 1993. Fortress Europe évoque de son côté 1802 décès, soit 17627 depuis 1988. Ces chiffres ne sont que des estimations, nombre de cadavres n’étant jamais repêchés, United estimant ainsi que le total pourrait être multiplié par trois.

En mars, un navire en partance de la Libye pour Lampedusa avec à son bord 308 personnes a été déclaré manquant. Deux autres bateaux ont ensuite coulés, dans la foulée, entraînant la mort de 251 migrants, puis 251 autres en avril, 270 en juin…

Mais tous ne meurent pas en bateau. Certains meurent une fois parvenus en Europe. Et nombreux sont ceux qui se suicident. United évoque ainsi le cas de Shambu Lama, un Népalais qui vivait en Allemagne depuis 16 ans et qui s’est jeté sous un train après avoir appris qu’il devait être “reconduit“, et qu’il allait donc devoir quitter son fils.

Kambiz Roustayi, un Iranien de 36 ans, s’est quant à lui aspergé d’essence et immolé, devant le mémorial de l’holocauste d’Amsterdam, où il attendait l’issue de sa demande d’asile depuis 2001, suite à l’annonce de son expulsion vers l’Iran, de peur d’y être torturé et condamné à mort.

Aminullah Mohamadi, 17 ans, s’est quant à lui pendu dans un parc de la Villette, en mai dernier, après avoir appris qu’il devrait être renvoyé en Afghanistan à sa majorité.

D’autres meurent du fait des complexités administratives. En mars dernier, Seydina Mouhamed, 5 ans, atteint d’une tumeur au cerveau et qui ne pouvait pas être soigné au Sénégal, mourait juste après être enfin arrivé en France, après une trop longue attente du fait des complexités administratives pour l’obtention d’un visa :

Mon fils est arrivé à Paris dans un état critique. Il souffrait d’une embolie pulmonaire. C’est par hélicoptère qu’il a été acheminé à Strasbourg où les médecins ont fait part de leurs regrets, car il a été évacué trop tardivement.


Contrairement à ce que laissent entendre plusieurs commentaires, émanant de lecteurs du site fdesouche.com, ces migrants sont bien morts parce que les frontières de la “Forteresse Europe” sont de plus en plus fermées, ce qui les incite à prendre toujours plus de risques, quitte à en mourir.

Voir, à ce titre, la “une” d’OWNI consacrée à ce sujet, et notamment l’entretien avec Claire Rodier, de Migreurop et du Gisti : La liberté de circulation s’impose comme une évidence.

Carte réalisée par Marion Boucharlat au design et James Lafa au développement. Visualisation mise à jour par Loguy, basée sur un graph de @manhack.

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[MàJ] Botzaris, territoire annexé par l’ambassade de Tunisie http://owni.fr/2011/06/17/botzaris-territoire-annexe-par-lambassade-de-tunisie/ http://owni.fr/2011/06/17/botzaris-territoire-annexe-par-lambassade-de-tunisie/#comments Fri, 17 Jun 2011 15:35:48 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=70423 Mise à jour du vendredi 17 juin, 23h55: A la suite de la plainte déposée il y a quelques semaines par les associations Sherpa et Transparence International, la justice française a décidé d’ouvrir une information judiciaire contre X pour “blanchiment en bande organisée”, visant Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak. En l’espace de 72 heures, un tiers des documents ont disparu du 36 Botzaris, la police a évacué les lieux, et l’ambassade a remis la main sur le bâtiment. La plaque nouvellement posée a elle fini… dans une poubelle des Buttes-Chaumont.


Le 36 Botzaris est non seulement présenté comme un ancien local associatif du RCD, le sulfureux parti du clan de Ben Ali, mais aussi, depuis ce vendredi, comme une annexe de l’ambassade de Tunisie en France. Cette dernière lui a accordé unilatéralement ce statut dans un contexte tendu. En début d’après-midi, des ouvriers sont même venus formaliser cette nouvelle situation en posant une plaque. En lettres d’or, mais entre guillemets, elle affiche désormais un message très clair:

Ambassade de Tunisie, “Annexe”

OWNI s’est procuré un courrier adressé en avril 2010 par le banquier Mehdi Haddad, directeur de l’exploitation de l’Union Tunisienne de Banques, à Hédi Limam, président du Rassemblement des Tunisiens en France (RTF), la fameuse association installée au numéro 36 de la rue Botzaris. Dans ce mail, Haddad fournit une précision importante sur l’identité du propriétaire:

Cher Si Hédi,

Comme suite à votre demande, je vous précise que l’immeuble situé au 34 et 36 rue Botzaris, cadastré section EK n°1 pour 1 103 m2, est répertorié au cadastre comme appartenant à la SA HLM UNIVERSITAIRE FRANCO TUNISIENNE.

A l’Union sociale pour l’habitat, qui agrège les organismes HLM, personne ne connaît cette mystérieuse société. “Nous n’avons pas d’accord avec la Tunisie, seulement avec le Maroc et l’Algérie”, explique une responsable. Mais surtout, la précipitation de l’ambassade laisse augurer du pire. Comme nous l’évoquions hier, les ramifications hexagonales de la surveillance benaliste sont de plus en plus saillantes : financement occultes, passeports diplomatiques distribués à la volée et surtout, façades associatives pour mieux organiser l’efficacité du système sur le sol français.

Selon Fabien Abitbol, conseiller de quartier qui étudie le bâtiment depuis une quinzaine d’années, des modifications cadastrales ont été entérinées le 15 juin, après avoir été impulsées en décembre, en pleine révolution tunisienne. Pourquoi ? Selon le Conseil national de l’information géographique, une telle décision peut être motivée par “un changement de statut juridique”. En d’autres termes, le 36 Botzaris, QG tricolore du RCD, pourrait bien être resté entre les mains du régime déchu – par l’entremise de son ancien propriétaire – jusqu’au 15 juin, une semaine après la première expulsion, la veille de la seconde.

Lors d’une réunion qui s’est tenue vendredi matin à l’ambassade de Tunisie, rue Barbet de Jouy, dans le VIIe arrondissement de Paris, le chargé d’affaires Elyès Ghariani a reconnu que la décision d’évacuer Botzaris est venue “des plus hautes sphères de l’Etat [tunisien]”. Faut-il alors comprendre que la société de sécurité privée mandatée par l’ambassade pour garder le bâtiment après la deuxième expulsion des migrants l’a également été sur ordre direct du gouvernement de transition ? A Botzaris, l’État de droit se cherche encore.

A lire également: Bataille pour les archives parisiennes de Ben Ali


Crédits photo: Flickr CC Syromaniac, TwitPic @MsTeshi

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EU Database Nation(s): surveiller et punir en Europe http://owni.fr/2011/05/26/eu-database-nations-surveiller-et-punir-en-europe/ http://owni.fr/2011/05/26/eu-database-nations-surveiller-et-punir-en-europe/#comments Thu, 26 May 2011 10:30:36 +0000 Jerome Thorel http://owni.fr/?p=64077 profilés".]]> La coopération policière et judiciaire bat son plein au sein de l’UE. Par touches successives, les États ont accepté de perdre leur souveraineté en matière de maintien de l’ordre et de prévention de la criminalité. Au risque de créer de nouveaux amalgames qui menacent directement les manifestations légitimes ou de simples militants pacifistes.

L’information en la matière n’a jamais été le point fort de l’Union. Ce n’est que très récemment que la Commission européenne a publié — en juillet 2010 — un document exhaustif sur la liste exacte des différents traitements automatisés nominatifs à portée supra-nationale (« Présentation générale de la gestion de l’information dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice » — voir le résumé des procédés mis en oeuvre, et le rapport complet).

Certains utilisent des données collectées dans les États membres, d’autres comportent des éléments récoltés par des agences supranationales — comme Europol (coopération policière), Système d’information Schengen (SIS), ou encore Frontex (sécurité des frontières extérieures) — et partagés ensuite entre les 27 gouvernements. A cela s’ajoute des procédures d’échanges d’informations automatiques ou ponctuelles, décidées par le Conseil dans des « décisions-cadre » au gré de l’actualité (Traité de Prüm, Programme de Stockholm, etc.), échappant le plus souvent au regard des parlements nationaux (pointez la souris sur les noms des fichiers pour faire apparaître leurs descriptions) :

Dans cette liste à la Prévert, on stocke à la fois des données sur de simples suspects que sur des personnes condamnées, ou qui font l’objet de mandats d’arrêts.

Exemple : les fichiers d’Europol — baptisés «fichiers de travail à des fins d’analyse» — portent sur des personnes «suspectées» ou «condamnées», et plus largement sur ceux qui «pourraient commettre des infractions pénales» (article 12 du nouveau règlement Europol, d’avril 2009, .pdf en anglais). On y retrouve même des items qui firent hurler en France lors de l’affaire du fichier “Edvige”, comme des « données à caractère personnel révélant l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement de données concernant la santé ou la sexualité ».

Un individu présent dans un fichier peut se retrouver presque automatiquement dans les autres — SIS et SIS II (Schengen), VIS (visas), API et PNR (données passagers), SID (douanes), ECRIS (casiers judiciaires), Prüm, Europol, Eurojust, etc. Et ses données biométriques (digitales, génétiques, visages) peuvent être traitées dans pas moins de 8 fichiers ou systèmes d’échange.

Certains fichiers centralisés à l’UE — surtout ceux régulant les flux migratoires — comportent des données biométriques, y compris des profils ADN. Les durées de conversation sont soit imprécises soit jamais mentionnées — et dans le cas d’éléments partagées avec les Etats-Unis, c’est Washington qui décide : 15 ans de stockage, par exemple, pour les traces de tous les vols transatlantiques (fichiers PNR), vient de révéler The Guardian. Les autorités pouvant avoir accès varient en fonction des finalités. Les droits de recours, d’opposition ou de rectification ne font pas l’objet d’une communication rigoureuse et normalisée. Et les rares « autorités de contrôles » mises en place n’ont quasiment aucuns pouvoirs contraignants pour limiter la casse sur les droits politiques et sociaux. Bref, la machine à « surveiller et punir » de l’UE n’a rien à envier de sa grande soeur étasunienne.

Le Contrôleur européen à la protection des données (CEPD), Peter Hustinx, a publié en décembre 2010 un avis (.pdf) sur cette « présentation générale ». Un extrait illustre bien le dialogue de sourd qui s’instaure en haut lieu:

« La Commission évoque le concept de la prise en compte du respect de la vie privée dès la conception («privacy by design») à la page 25 de la communication (…) Le CEPD se félicite de la référence à ce concept qui est actuellement en cours de développement, dans le secteur public comme dans le secteur privé, et qui doit également jouer un rôle important dans le domaine de la police et de la justice.

Le CEPD remarque [néanmoins] que ni les orientations générales décrites dans cette communication, ni les lignes directrices élaborées par la Commission en matière d’analyse d’impact n’explicitent cet aspect et n’en font une exigence politique. »

La lutte contre le terrorisme est l’arme favorite de l’UE pour justifier de tels déploiements de surveillance technologique. C’est le domaine de compétences de Martin Scheinin, rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU chargé de la « promotion des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme ».

Des techniques au service du profiling

Dans un rapport de décembre 2009, il mentionnait les multiples entraves aux libertés individuelles des lois antiterroristes, en mettant l’Europe au même banc que les Etats-Unis. « Certaines intrusions dans la vie privée des personnes peuvent devenir permanentes dans la mesure où les traits physiques et biologiques sont souvent centralisés dans une seule base de données », remarquait-il. Parmi les outils et mesures les plus contestés:

  • rassemblement de listes et de bases de données;
  • surveillance accrue des données bancaires, de communications et relatives aux voyages;
  • utilisation de techniques de profiling pour identifier des suspects potentiels;
  • accumulation de fichiers encore plus larges pour évaluer la probabilité d’activités suspectes et l’identification de personnes à des fins d’analyses futures;
  • techniques avancées comme la collecte de données biométriques ou de scanners corporels.

Martin Scheinin épinglait l’UE pour sa volonté de détourner Eurodac, le système d’identification biométrique des demandeurs d’asile, de sa finalité première (en sachant que détourner un fichier est une infraction pénale dans tous les pays de l’Union). Le Conseil de l’UE voulait sans complexe utiliser ce fichier d’empreintes digitales — de personnes très vulnérables, faut-il le rappeler — pour « aider à prévenir, détecter et enquêter sur les menaces terroristes ». Faisant ainsi un amalgame entre «migrants» et «terroristes»… Un projet en souffrance, mais qui pourrait voir le jour malgré l’opposition actuelle du Parlement européen.

Dans un rapport plus récent de mai 2010 (document .doc) portant spécifiquement sur la politique de sécurité européenne, il citait les systèmes SIS, Eurodac et VIS (systèmes d’information des visas) comme ayant les « plus sérieuses implications pour les libertés fondamentales » en pointant les multiples « insuffisances » dans la protection des personnes ciblées.

Le rapporteur spécial s’en prend aussi à l’une des décisions-cadres citées dans l’étude de la Commission. Celle prise en 2006 suite aux attentats de Madrid deux ans plus tôt, et visant à « faciliter l’échange d’informations entre les services répressifs des États membres ». Cela a pour conséquence, écrit-il, de permettre à certaines forces de police d’accéder à « des données qu’elles seraient dans l’impossibilité d’obtenir légalement dans leur propre pays »…

Le Traité de Prûm, inspiré lui aussi par les attentats de Londres et Madrid, signé en mai 2005 par seulement six pays européens (Belgique, France, Espagne, Allemagne, Luxembourg et Pays-Bas), a tout de même été intégré au régime légal de l’ensemble de l’UE. «C’est regrettable, déplore Martin Scheinin, ce traité autorise l’échange de profils ADN qui ont un très sérieux impact sur les libertés». Surtout que certains pays, comme la France, y incluent des profils génétiques de simples suspects, y compris mineurs.

Un fichier des reconduits à la frontière en charter

L’agence Frontex — matérialisation policière de la « Forteresse Europe » — envisage elle aussi de créer une base centralisée, placée sous sa responsabilité. Non recensée par l’étude de la Commission, car trop récent, son projet vise à ficher toute personne en situation irrégulière lorsqu’il est « reconduit »expulsé » en terme clair) dans le cadre d’«opérations conjointes de retour par voie aérienne» (en clair, des charters d’étrangers faisant escale dans plusieurs pays de l’Union).

Ce fichier central doit lister «le nombre et l’identité exacte [des expulsés], fournir une liste à la compagnie, identifier les risques liés à chaque personne, savoir si des mineurs sont présents» et quel est «l’état de santé de chacun pour leur apporter une aide médicale adéquate»

Le CEPD, dans un avis (.pdf) d’avril 2010, recommande que Frontex ne soit autorisé à traiter seulement la réponse à la question « ce passager est-il en bonne santé? – oui/non». Il note aussi que l’agence a « oublié » de garantir aux personnes fichées leurs droits fondamentaux. «Frontex n’a jusqu’ici pas détaillé de procédures spécifiques pour garantir le droit de ces personnes» (droit d’information, d’accès, de rectification et d’opposition), et rappelle l’extrême fragilité des personnes prises en charge.

Dans la majeure partie des cas, leur langue natale ne sera pas celle d’un des états membres et seront de plus en situation de grande détresse. [Il faut donc que] l’information fournie leur soit compréhensible (…). [Pour] les personnes illettrées un agent devra pouvoir les informer par oral. Les notices d’informations devront être rédigées dans un langage clair et simple en évitant des terminologies juridiques (…).

Un autre projet intra-UE (non recensé) inquiète fortement le CEPD: Eurosur. Nom de code du « système européen de surveillance des frontières », il doit être présenté par la Commission en décembre 2011. La dernière mention de ce projet dans les serveurs de Bruxelles date du 5 mai dernier, dans une note consacrée à la « crise migratoire » (sic) qui sévit en Méditerranée. Les réfugiés qui tentent de quitter leurs pays en guerre seront ravis d’apprendre que l’Europe les soigne au plus près. Alors que le bilan humain est chiffré par les ONG à plus de 1000 morts depuis janvier 2011, Eurosur est présenté comme une solution. Objectifs : « créer un corps de garde-frontières européens » et parvenir à une « culture commune (…) soutenue par une coopération pratique »

Dans un avis général (.pdf) de décembre 2010 portant sur « La stratégie de sécurité intérieure de l’UE en action », le CEPD s’interroge:

Le CEPD note qu’il n’est pas clairement établi si la proposition législative sur EUROSUR (…) prévoira aussi le traitement des données à caractère personnel (…). Cette question est d’autant plus pertinente que la communication établit un lien clair entre EUROSUR et FRONTEX aux niveaux tactique, opérationnel et stratégique.

Pas difficile de voir Eurosur comme une menace sérieuse pour les libertés individuelles. Car il se base sur une foule de projets technologiques financés par le 7ème projet-cadre de recherche de l’UE (2007-2013). Une belle brochure (.pdf), éditée en 2009, décrit les techno-merveilles d’une « Europe plus sûre ». Parmi les 45 projets recensés, 17 sont menées par des institutions dont l’activité principale est d’ordre militaire; 5 autres sont dirigés par des industriels de la sécurité ou de la défense (Thales, Finmeccanica, EADS, Sagem, Saab et BAE Systems).

INDECT insiste par exemple sur la « sécurité des citoyens en environnement urbain ». ADABTS (Automatic Detection of Abnormal Behaviour and Threats in crowded Spaces), de BAE Systems, prévoit de son côté de détecter les « comportements anormaux dans la foule », grâce à des « capteurs acoustiques et vidéo ». Si les « hooligans » sont ciblés en premier, les manifestants ne seront pas oubliés.

Le projet « EU-SEC II » a la même pudeur en citant la surveillance des rencontres sportives, alors que tout rassemblement public sera dans le collimateur. Maîtres d’oeuvre du chantier: l’agence Europol et une vingtaine de directions nationales de la police (la DGPN pour la France).

Quant au projet IMSK (Integrated Mobile Security Kit), il se permet de citer les « sommets politiques de type G8 » pour justifier un arsenal de « capteurs optiques, infra-rouges, radar, acoustiques et vibratoires, rayons-x et gamma… ». Et ainsi de suite…


Photo d’illustration FlickR CC : PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Alatryste

PS. — Le titre s’inspire du bouquin “Database Nation” (O’Reilly, 2000), écrit par le journaliste de Wired Simson Garkinkel, qui décrivait les ramifications de fichiers en tous genres aux Etats-Unis.

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Portrait des migrants tunisiens http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/ http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/#comments Wed, 11 May 2011 13:38:44 +0000 Marie Barbier http://owni.fr/?p=62191 Qui sont ces migrants tunisiens récemment arrivés en France ? Ni persécutés, ni miséreux, pourquoi quittent-ils leur pays ? Clandestins clochardisés ici, ils font figure d’aventuriers au Maghreb où on les appelle les harragas, ceux qui brûlent les frontières. Virginie Lydie les a rencontrés en Tunisie. Elle publie un ouvrage très documenté sur ces grands incompris de l’immigration.

Qui sont ces harragas ?

Des Maghrébins qui ont envie de faire quelque chose de leur vie. Des garçons, entre 15 et 30 ans. Ils ne peuvent pas avoir de visas, donc ils partent avec les moyens du bord, en bateau. Littéralement,  « harragas » signifie « ceux qui brûlent » : les frontières, leurs papiers, leur identité et, parfois, leur vie lors d’un naufrage ou de longues années de clandestinité. Ces jeunes ne sont pas dans une logique suicidaire, mais ils sont tout de même prêts à mourir pour quitter la vie qu’ils mènent.

Partir ou mourir : comment arrive-t-on à de telles extrémités ?

Il y a d’abord la responsabilité de réussite sociale qui pèse sur leurs épaules. Là-bas, les parents retraités ont besoin de leurs enfants pour vivre. Or, le taux de chômage est énorme. Et si ces jeunes arrivent à trouver du travail, ils ne seront payés qu’une centaine d’euros pour 46 heures par semaine, soit tout juste de quoi survivre. Il y a aussi l’image de réussite véhiculée par l’Occident et par les migrants qui reviennent. Enfin, ces jeunes ont un très fort désir d’émancipation.

Ce n’est pas rien d’annoncer à sa famille : « Soit je pars, soit je meurs ». Cette décision, au fond très violente, explique aussi leur comportement en Europe. Ces migrants sont écartelés entre une vie très dure de clandestin régie par la loi de la jungle et le retour au pays forcément difficile car synonyme d’échec. Sans compter que s’ils partent, ils savent qu’ils ne pourront pas revenir compte tenu de la fermeture des frontières. Comprendre ces « brûleurs de frontières » qui n’ont pas de raisons évidentes de partir, c’est comprendre l’immigration.

Comment sont-ils perçus au Maghreb ?

Ils ont une image héroïque, celle du mythe d’Icare, de l’aventurier. Mais une amie géographe, qui enseigne dans la banlieue de Tunis, me racontait également qu’auprès des étudiants, leur image correspond au cliché sur nos banlieusards : issus de milieu défavorisés, pas très instruits et plutôt glandeurs…

La récente révolution tunisienne n’a rien changé à leur détermination ?

Ils sont très fiers de leur révolution mais ce n’est pas pour ça qu’ils ne veulent plus réussir leur vie ! La révolution ne va pas, du jour au lendemain, donner du travail à tout le monde. Beaucoup veulent venir en France parce qu’ils ont des repères ici. Le français est une des langues officielles de la Tunisie, même si tous ne la parlent pas. Il existe aussi une forme de revendication, ils disent : « La France nous a pas demandé notre avis pour nous coloniser ! »


Ils sont très mal perçus en Europe. Pourquoi ?

Chez nous, ils ne sont pas du tout considérés comme des aventuriers alors qu’ils sont, au fond, assez proches des gens qu’on admire et qui brûlaient les frontières, des Rimbaud ou des Henry de Monfreid qui étouffaient dans leur milieu. Ce dernier disait : « Je ne serai jamais l’épicier de Montrouge ». En Europe, les migrants d’aujourd’hui sont très stigmatisés. On les filme à leur arrivée en bateau pour faire des images choc. Pourtant, 90 % des migrants en situation irrégulière en France arrivent dans un avion avec des visas, mais c’est plus spectaculaire de montrer des gens qui arrivent dans des bateaux surchargés… On est presque dans la peopolisation. Ensuite, un autre mot prend le relais : clandestin. Celui qui se cache et fait peur.

En France ils sont découragés par ce qu’ils découvrent. Comment éviter ces traversées de harragas ?

Comment lutter contre un rêve ? Ils savent ce qui les attend mais pensent qu’ils ne feront pas comme les autres, que, eux, réussiront. Ils s’attendent aux naufrages, aux arrestations, mais pas aux conséquences intimes : le mépris, l’humiliation. Mais, même si vous leur dites ce qui les attend, ça ne les empêchera pas de partir. 70 % des personnes déjà expulsées n’ont qu’une envie : repartir. Tant qu’il y aura de tels écarts entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières est un non-sens. Je ne vois pas comment on peut empêcher à long terme des mouvements naturels de déplacements. Ces hommes ont risqué la mort et atteint leur rêve. Ils vont rester et tout faire pour réussir.


Article initialement publié sur le blog Laissez-Passer, sous le titre : “Les brûleurs de frontières, grands incompris de l’immigration”.

Crédits Photo FlickR : by-nc-sa Michele Massetani ; by DFID

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Tout sur l’espace Schengen http://owni.fr/2011/05/01/tout-sur-lespace-schengen/ http://owni.fr/2011/05/01/tout-sur-lespace-schengen/#comments Sun, 01 May 2011 08:00:03 +0000 Thomas Ferenczi http://owni.fr/?p=60097 La Commission européenne a jugé que la France n’avait pas manqué aux règles qui régissent ses relations avec ses voisins européens en bloquant pendant six heures, dimanche 17 avril, à la frontière franco-italienne, un train qui transportait des immigrés tunisiens, accompagnés de manifestants. La commissaire Cecilia Malmström a accepté l’argument du ministre français de l’intérieur, Claude Guéant, selon lequel il s’agissait d’une interruption « très temporaire », dictée par un souci d’ordre public. La Commission européenne n’a pas non plus remis en cause le droit reconnu à la France de refouler, le cas échéant, une partie de ces candidats à l’entrée sur son territoire, alors même qu’ils bénéficient d’un permis de séjour délivré par les autorités italiennes et, à ce titre, en application des accords de Schengen, sont théoriquement autorisés à circuler librement dans l’ensemble de l’Union européenne.

Les accords de Schengen, signés en 1985 par la France, l’Allemagne et les pays du Benelux, ont été étendus ensuite à la plupart des pays européens : ils sont appliqués par 22 États-membres de l’UE sur 27 (les exceptions sont la Grande-Bretagne, l’Irlande, Chypre, la Bulgarie, la Roumanie) et par trois pays extérieurs (l’Islande, la Norvège et la Suisse). Ces accords ont supprimé les contrôles aux frontières intérieures de l’UE. Autrement dit, en principe, tout ressortissant étranger admis régulièrement dans un des pays de l’Union peut se rendre en toute liberté dans un autre. Selon cette disposition, les Tunisiens qui bénéficient d’un titre de séjour en Italie devraient pouvoir entrer en France sans difficultés.

Restrictions

Il existe toutefois deux réserves à cette liberté. D’une part, si les contrôles systématiques aux frontières ont été supprimés par les accords de Schengen, des contrôles volants sont toujours possibles dans la zone frontalière. D’autre part, selon ces mêmes accords, il ne suffit pas aux étrangers non communautaires d’être munis d’un visa ou d’un titre de séjour en règle, il leur faut aussi, pour circuler dans l’Union, être en possession d’un passeport, justifier de ressources suffisantes pour assurer leur subsistance et disposer d’une assurance pour couvrir des frais éventuellement de soins d’urgence ou de rapatriement sanitaire (article 5 de la convention d’application). À cela s’ajoute l’obligation faite aux ressortissants des pays tiers admis dans un État de l’UE et désireux d’entrer dans un autre de se déclarer aux autorités compétentes de cet autre État.

Les accords de Schengen prévoient encore deux dispositions qui n’ont pas été invoquées à l’occasion du contentieux franco-italien mais qui pourraient l’être. L’une prévoit le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures « lorsque l’ordre public ou la sécurité l’exigent » (article 2). L’autre stipule qu’un pays peut accueillir « pour des motifs humanitaires ou d’intérêt national ou en raison d’obligations internationales » des immigrés qui ne répondent pas aux conditions requises mais que dans ce cas l’admission est limitée au pays d’accueil (articles 5 et 16).

La liberté de circulation instituée par les accords de Schengen a pour contrepartie le renforcement de la coopération policière entre les États-membres. Celle-ci a été organisée par une série d’accords bilatéraux entre la France et ses voisins. L’accord franco-italien de 1997 a mis en place deux centres de coopération policière et douanière, l’un à Vintimille, l’autre à Modane, qui ont notamment pour mission de lutter contre l’immigration clandestine, de surveiller la zone frontalière, de prévenir les menaces à l’ordre et à la sécurité publique. Au cours du sommet franco-italien du mardi 26 avril, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi se sont entendus pour demander un renforcement des règles de Schengen.

Billet initialement publié sur Boulevard Extérieur sous le titre : “Schengen mode d’emploi”


Crédits Photo FlickR by UggBoy♥UggGirl // Wikimedia Commons CC

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Guerre en Libye,|| peur des réfugiés en Europe http://owni.fr/2011/04/11/guerre-en-libye-peur-des-refugies-en-europe/ http://owni.fr/2011/04/11/guerre-en-libye-peur-des-refugies-en-europe/#comments Mon, 11 Apr 2011 15:08:12 +0000 Hélène David http://owni.fr/?p=56297

L’Europe ne pourra pas se soustraire à ses responsabilités.

Déclaration signée Silvio Berlusconi en visite samedi sur l’île de Lampedusa, où des milliers de réfugiés venus des côtes tunisiennes et libyennes ont débarqué ces derniers mois. Le chef du gouvernement italien a parlé d’un “tsunami humain”, qui éprouve sur les terres européennes la solidarité effective envers les révolutions arabes.

Pourtant, depuis le 16 février, date du début des manifestations à Benghazi, les forces occidentales ont manifesté leur soutien au peuple lybien. La révolution est réprimée dans la violence mais n’empêche pas le mouvement de prendre de l’ampleur.

Quelques semaines seulement après le début de l’intervention de l’OTAN, les 27 se chamaillent pour savoir qui devra assumer la responsabilité de réfugiés dont personne ne veut.

Rappel. Le 22 février, Mouammar Kadhafi apparaît sur les écrans de télévision, halluciné et hallucinant. Son message est clair quoiqu’à peine croyable: les manifestants sont des drogués et des mercenaires, à la solde de Ben Laden.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le plus ancien dictateur de la région promet de mourir en martyr s’il le faut, pour “protéger son peuple“.

Les manifestations se transforment en guerre de positions entre les forces fidèles à Kadhafi et les insurgés réfugiés à Benghazi et Misrata. Au total, les affrontements font des milliers de morts.

Internationalisation et politisation du conflit

La répression commence à inquiéter les puissance occidentales. Le 10 mars, Nicolas Sarkozy (qui avait reçu le dictateur en grandes pompes, quoique sous une tente, trois ans plus tôt) reconnaît le Conseil national de transition comme représentant unique de la Libye, pendant que la député Chantal Brunel expose sa solution à la crise humanitaire: remettre (les réfugiés) dans des bateaux. Avec le Royaume-Uni, la France milite pour l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne. Les États-Unis, par la voix d’Obama, hésitent, puis acquiescent [en].

Le 17 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1973 [en] qui ordonne la protection des civils libyens. La diplomatie française bombe le torse et le conflit s’internationalise, sous l’égide de l’OTAN [en] à partir du 27 mars.

Sur place, cela se traduit par la mobilisation d’hommes et de matériel venus en particulier de France, des États-Unis et de Grande Bretagne. En France, l’affaire prend un tour politicien. Au sommet de Paris de soutien pour le peuple libyen le président Sarkozy dit sa “détermination” à soutenir les peuples arabes :

Des peuples arabes ont choisi de se libérer de la servitude dans laquelle ils se sentaient depuis trop longtemps enfermés. Ces révolutions ont fait naître une immense espérance dans le cœur de tous ceux qui partagent les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme. Mais elles ne sont pas sans risque. L’avenir de ces peuples arabes leur appartient. Au milieu des difficultés et des épreuves de toutes sortes qu’ils ont à affronter, ces peuples arabes ont besoin de notre aide et de notre soutien. C’est notre devoir.

L’intervention militaire en Libye commence, menée par les Rafales de l’armée française et le ministre de l’Intérieur manifeste son soutien à Sarkozy, à  “la tête de la croisade” [voir vidéo à 10:25] auprès du Conseil de Sécurité.

La question des réfugiés prend le pas sur la question militaire

Aux prises de paroles inspirées militant pour une intervention militaire en Libye destinée à garantir la sécurité de Libyens, ont succédé des débats plus houleux, sur ces mêmes civils, lorsqu’ils apparaissent aux portes de l’Europe, à Lampedusa ou à Malte.

Alors que l’Italie accordait la semaine dernière des visas Schengen aux réfugiés tunisiens (dans l’objectif clairement affiché de s’en débarrasser), la France prévenait qu’elle n’en voulait pas, et accusait l’Italie d’agir en contradiction avec l’”esprit de Schengen”.

La commissaire européenne Cecilia Malmström a pour sa part appelé les pays membres à se montrer “solidaires”. Et la Commission européenne a débloqué 25 millions d’euros pour aider les pays les plus touchés et parer à l’urgence humanitaire.

La CIMADE (Comité inter mouvements auprès des évacués) dénonce la politique migratoire de l’UE et met en garde contre les “renforcement de la répression à l’encontre des migrants” et “les réflexes de peur et de xénophobie”.

Ce lundi, le Luxembourg accueillait la réunion des 27 ministres de l’Intérieur européens. Au menu des discussions, l’octroi de visas temporaires aux immigrés africains (venus pour la plupart de Tunisie). La question des réfugiés est-elle italienne ou européenne ?  Pour Berlin, le problème est exclusivement italien. La France quant à elle, a déjà instauré un cordon sanitaire, destiné à contrôler les entrées sur le territoire français.

Dans le même temps, les combats se poursuivent en Libye, entre les troupes de Kadhafi et les insurgés. Hier dimanche, l’OTAN a détruit 11 tanks de l’armée libyenne, alors que les présidents mauritanien, malien, congolais et sud-africain, ainsi que le ministre ougandais des Affaires étrangères arrivaient en Libye, mandatés par l’Union africaine pour tenter de trouver une issue à un conflit entamé il y a deux mois, par des manifestations non violentes. Depuis le début des conflits, plus de 448 000 réfugiés, toutes nationalités confondues, ont fui la Libye.

Illustration Flickr CC par Olmovich

Retrouvez notre dossier sur les réfugiés de Libye :

Image de Une CC Marion Boucharlat pour OWNI

L’exil des réfugiés de Libye raconté par les données

En finir avec le mythe des flots de migrants libyens

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[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe http://owni.fr/2011/02/18/app-la-carte-des-morts-aux-frontieres-de-leurope/ http://owni.fr/2011/02/18/app-la-carte-des-morts-aux-frontieres-de-leurope/#comments Fri, 18 Feb 2011 13:08:28 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=47365

Plus de 5 000 réfugiés ont débarqué à Lampedusa, île italienne située entre Malte et la Tunisie, depuis le début de l’année. La situation est d’autant plus critique, souligne l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), que l’île, forte de 5 000 habitants, ne peut a priori accueillir que 800 réfugiés.

Dans un communiqué, United for Intercultural Action, une ONG de défense des droits des migrants et des réfugiés, rappelle de son côté que depuis 1993, 857 réfugiés au moins sont morts en tentant de rejoindre Lampedusa. Depuis le début de l’année, United a d’ores et déjà recensé 6 morts, et 31 disparus, un bilan qui risque fort de s’aggraver, si l’on en croit ce qui s’est passé le 11 février dernier :

Des garde-côtes tunisiens ont été vus en train d’éperonner délibérément un bateau ironiquement nommé “Liberté 302″ et transportant 120 passagers jusqu’à le scinder en deux; les corps de 5 migrants ont à ce jour été récupérés, mais il en manque encore des dizaines.

United, qui compile depuis 1992 articles de presse et signalements effectués par des ONG, journalistes, universitaires, sources gouvernementales, etc., a dénombré plus de 14 000 “morts aux frontières de l’Europe” depuis 1988.

La majeure partie, plus de 11 000, sont morts avant même d’entrer sur le territoire européen, dont 4 696 en Afrique. Près de 10 000 sont morts noyés, dans la Méditerranée, lors du naufrage de leurs bateaux, mis à l’eau par leurs passeurs, en pleine mer ou à l’approche de la côte, ou fuyant les policiers qui cherchaient à les interpeller.

  • 864 sont morts de soif ou de faim, la majorité, perdue dans le désert, ou dans une embarcation à la dérive,
  • près de 300 sont morts étouffés dans un camion,
  • 254 ont été assassinés,
  • plus de 250 écrasés en traversant une route ou en tombant d’un camion,
  • 215 sont morts de froid,
  • 138 des 335 suicidés ont opté pour la pendaison, 4 sont morts en grève de la faim et 33 par immolation.

No Border, de son côté, en répertorie 3899, mais Fortress Europe, dont la base de données remonte à 1988, 14 921, dont 10 952 en mer, et 1 691 dans le désert du Sahara…

Cette disparité de chiffres montre bien qu’il est impossible de recenser réellement la totalité des migrants morts pour avoir voulu trouver refuge en Europe. United estime d’ailleurs que le chiffre réel pourrait être trois fois plus important.

14 000 en Europe, plus 4 500 aux Comores

Pour s’en convaincre, il suffit de voir qu’United ne recense ainsi que quelques dizaines de morts à Mayotte, là où Fortress Europe en répertorie de son côté 629, noyés pour la plupart en voulant passer des Comores à la collectivité d’outre-mer française, et alors même qu’un rapport sénatorial datant de 2001 “estime à 4.000 le nombre de morts dus à des naufrages de Kwasa-kwasa, ces barques souvent surchargées servant à transporter des clandestins…” le site Stop Kwassa avançant, de son côté, le chiffre de 4500 morts noyés.

D’après un rapport [pdf] de la Cour des comptes, la situation se serait depuis quelque peu améliorée : “quatre naufrages par an en moyenne depuis 2007 sont à déplorer. Les disparitions et décès en mer sont élevés quoique en diminution (64 en 2007, 47 en 2008, 35 en 2009)“. Mais le rapport note cependant que “cette forte pression migratoire risque de s’accroître encore sous l’effet de la départementalisation“.

De plus, nombreux sont les morts qui ne sont pas répertoriés, parce que leurs corps n’ont pas été retrouvés, ou que leur mort a été cachée, comme ce fut le cas lors d’une terrible tempête dans la nuit de Noël 1997, où 283 personnes périrent noyées au large de la Sicile après que leur rafiot fut éperonné par un bateau-poubelle lui aussi rempli de candidats à l’exil. La tragédie ne fut révélée qu’en 2001, lorsqu’un pêcheur brisa l’omerta. Canal+ vient d’ailleurs d’y consacrer un reportage, Méditerranée : Enquête sur un naufrage fantôme.

Pour mieux prendre la mesure de cette tragédie, OWNI a contacté l’ONG United, qui a bien voulu lui transmettre une copie de sa base de données, où elle recense tous ces morts aux frontières, classés par dates, pays, et causes des décès, afin d’en dresser une carte interactive qui vous permettra, en cliquant sur les noms des pays, ou les causes des décès, de suivre leur évolution au fil du temps, mais également de consulter chacun des faits et histoires répertoriés par United.

Cartographie : Olivier Clochard (Migreurop)

Paradoxalement, les “morts aux frontières de l’Europe” meurent essentiellement en Méditerranée, et en Afrique, ce que montrent bien les nombreuses cartographies déjà produites par le Monde Diplomatique; la première en 2004, la seconde en 2010 (voir aussi ce résumé de l’évolution de la situation, et le formidable travail graphique d’Elise Gay à ce sujet).

Cartographie : Philippe Rekacewicz (Le monde diplomatique)

Certains se souviennent peut-être de ces 58 Chinois découverts morts étouffés dans un camion à Douvres, en juin 2000. La lecture de la base de données montre à quel point leur cas est loin d’être isolé. Et parce qu’il ne peut être question que de chiffres, de statistiques, de courbes et de graphiques, voici, compilées, quelques-unes de ces histoires de réfugiés “morts aux frontières de l’Europe“, témoignant de la brutalité et des ravages causés par ce que plusieurs ONG d’aide et de défense des migrants n’hésitent pas à qualifier de “guerre aux migrants“.

On l’a vu, la majeure partie des migrants meurent noyés. L’une des pires tragédies se déroula le 29 mars 2009, lorsque trois embarcations de fortune, en partance pour l’Italie, coulèrent au large de la Libye. D’après l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 300 hommes, femmes et enfants auraient péri dans le naufrage, mais le chiffre serait en fait bien plus important, à en croire le témoignage d’un survivant, qui expliqua aux autorités libyennes que le bateau dans lequel il était monté, censé accueillir 75 personnes, en avaient embarqué 365.

235 migrants tués par les policiers

Les noyades ne sont pas toutes forcément dues aux mauvaises conditions climatiques, ou au surpeuplement des embarcations. Ainsi, en mars 1997, 87 Albanais se noient après que leur embarcation soit entrée en collision avec un bateau militaire italien. En mai 2000, 32 réfugiés meurent dans le naufrage de leur embarcation près de Tanger : les autorités ne font rien pour les secourir. En 2008, 36 Africains -dont 4 bébés- meurent noyés après que les garde-côtes marocains aient crevé d’un coup de couteau leur canot pneumatique…

En août 2002, 16 Africains meurent noyés après que leur bateau ait chaviré lors d’une manœuvre destinée à échapper au contrôle du Système Intégré de Surveillance Extérieure (S.I.V.E.), monstre des mers et “dispositif très complexe de surveillance des frontières intégrant bandes vidéo, liaison satellitaire, radars, caméras thermiques et infrarouges, appuyé par des unités d’intervention par hélicoptères et maritimes“.

Nombreux sont également ceux qui meurent de froid, de soif ou de faim. En octobre 2003, on retrouve 5 cadavres, morts de froid, dans un camion frigorifique incendié, puis 12 Somaliens, morts de froid et de faim, dans un bateau parti de Libye vers Lampedusa, après avoir passé 20 jours sans manger. Le capitaine est par ailleurs accusé d’avoir jeté 50 autres cadavres par-dessus bord.

En août 2008, 56 subsahariens meurent de soif dans le Sahara après y être restés bloqués 10 jours sans eau suite, à une panne d’essence. En janvier 2010, L’Espresso avait ainsi publié cette vidéo où l’on voit, à la fin, deux Africains déshydratés, mais en vie, et la triste cohorte de tous ceux qui, par contre, n’ont pas survécu à leur traversé du Sahara [attention : images explicites].

Plusieurs centaines de réfugiés ont par ailleurs été les victimes directes des dispositifs mis en place pour leur interdire l’entrée sur le territoire européen, à l’instar de ces 11 réfugiés morts brûlés dans l’incendie d’un centre de rétention à l’aéroport Schiphol, aux Pays-Bas :

  • 73 personnes sont mortes dans des champs de mines,
  • 63 ont été tuées, ou sont portées disparues, après leur déportation,
  • 110 sont mortes dans des centres de rétention,
  • 48 en garde à vue, et 57 en prison… alors même qu’elles étaient pourtant censées être, sinon sous la protection, tout du moins sous la responsabilité des autorités.

Fortress Europe estime que 235 migrants sont morts tués par des policiers aux frontières, “dont 37 aux enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla, 50 en Gambie, 75 en Égypte et 33 en Turquie, le long de la frontière avec l’Iran et l’Iraq. Ainsi, en septembre 2003, Vullnet Bytyci, un Albanais de 18 ans, est tué par un garde-frontière grec, ce qui lui valu d’être condamné à une peine de deux ans et trois mois d’emprisonnement avec sursis. Amnesty International avait dans la foulée dénoncé 6 autres affaires révélant les “mauvais traitements” auxquels furent soumis plusieurs autres réfugiés, battus, roués de coups et dépouillés, par des garde-frontières cette semaine-là.

Le 8 octobre 2009, entre 6 et 38 Somaliens sont tués par les policiers libyens en tentant de fuir le camp où ils étaient internés. Déjà, en septembre-octobre 2000, 560 étrangers avaient été tués par les autorités libyennes lors d’affrontements racistes.

Tschianana, Mariame, Israfil, Manuel, Osamyia et les autres

Si la quasi-totalité de la base de données porte sur des anonymes, quelques entrées comportent les noms et prénoms de certains de ces “morts aux frontières“. Occasion, sinon de mettre un visage, tout du moins d’humaniser quelque peu cette longue litanie.

  • En 2004, Tschianana Nguya, une Congolaise de 34 ans, malade, enceinte et maman de deux enfants de 2 et 10 ans, est arrêtée en allant se soigner, et renvoyée dans son pays par les autorités allemandes. Immédiatement arrêtée par la police, internée dans un camp militaire, elle meurt, et son bébé avec, en accouchant, laissant son mari, et son plus grand fils de 16 ans, “quelque part en Europe“.
  • En janvier 2003, Mariame Getu Hagos, un Somalien de 24 ans, meurt dans l’avion qui le reconduisait en Afrique après que les policiers français aient “usé de la contrainte” pour l’empêcher de se débattre.
  • En mars 2003, Israfil Shiri, un homosexuel iranien de 30 ans, s’immole après s’être vu refuser l’asile en Grande-Bretagne, où il était arrivé caché dans un camion en 2001.
  • En juillet 2005, Laye-Alama Kondé, soupçonné de trafic de drogue et conduit au commissariat de Brême, est menotté à une chaise par deux policiers qui le forcent à avaler des vomitifs, et meurt noyé dans l’eau qu’on le force à ingérer pour pomper le vomitif.
  • En septembre 2005, Manuel Bravo, 30 ans, se suicide par pendaison dans le centre de rétention britannique où il était interné avec son fils de 13 ans après avoir appris qu’il allait être renvoyé en Angola, afin de lui éviter la déportation : en Grande-Bretagne, les mineurs de moins de 18 ans isolés ne peuvent être expulsés.
  • En septembre 2007, Osamyia Aikpitanhi, un Nigérian de 23 ans meurt étouffé par le bâillon que les policiers lui avait mis pour qu’il ne les morde pas dans l’avion qui le reconduisait de l’Espagne au Nigéria.
  • En ce même mois, Chulan Lui, une Chinoise de 51 ans se défenestrait en voulant fuir la police.

D’après la base de données d’United, une cinquantaine d’autres réfugiés sont ainsi morts, “de peur“, en fuyant les autorités.

La révolution, c’est bien, mais de loin

Confronté à l’afflux massif de réfugiés tunisiens à Lampedusa, le gouvernement italien a laissé entendre que des criminels en fuite et des terroristes se faisaient passer pour des demandeurs d’asile, et qu’il fallait “bloquer le flux” des migrants. De son côté, la France a indiqué qu’elle n’accueillerait que des “cas marginaux“.

Le réseau Migreurop, créé en 2002 suite à un séminaire sur « l’Europe des camps » par des militants et chercheurs “dont l’objectif est de faire connaître la généralisation de l’enfermement des étrangers dépourvus de titre de séjour“, dénonce lui aussi la tournure que prend l’accueil des réfugiés tunisiens à Lampedusa :

Brandissant l’argument de l’invasion et de la menace terroriste, l’Italie, qui a déclaré l’état d’urgence humanitaire, réclame l’intervention immédiate d’une mission de l’agence Frontex pour patrouiller au large des côtes tunisiennes et intercepter les embarcations de migrants.

Le réseau Migreurop s’interroge sur les raisons qui ont permis le passage, en quelques jours, de plusieurs bateaux des migrants dans cette zone de la Méditerranée qui était “verrouillée” depuis plusieurs mois à la suite d’accords de coopération conclus entre l’Italie, la Libye et la Tunisie pour le contrôle des frontières maritimes. Qui a intérêt à faire peser la menace du désordre ?

Plutôt que les patrouilles de Frontex et les accords de réadmission, c’est la levée des contrôles migratoires qui doit célébrer le souffle de liberté venu de Tunisie et d’Égypte.

Pour éviter la répétition des tragédies passées, United appelle de son côté le gouvernement italien et les autorités européennes à cesser d’exploiter le spectre d’une explosion de l’immigration maghrébine, et d’appliquer la résolution 1637 du Conseil de l’Europe sur l’accueil des boat people :

Une chose est de soutenir la révolution tunisienne, une autre est de l’accompagner jusqu’à ce que la paix et la stabilité soient restaurées, ce qui inclut le respect des droits de l’homme des Tunisiens, et leur droit fondamental de demander asile.

Carte réalisée par Marion Boucharlat au design et James Lafa au développement. Merci à eux.

Voir aussi la “une” d’OWNI consacrée à ce sujet, et notamment l’entretien avec Claire Rodier, de Migreurop et du Gisti : La liberté de circulation s’impose comme une évidence.

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Ceuta, tombeau du rêve européen http://owni.fr/2011/02/18/ceuta-tombeau-du-reve-europeen/ http://owni.fr/2011/02/18/ceuta-tombeau-du-reve-europeen/#comments Fri, 18 Feb 2011 10:32:20 +0000 Loic H. Rechi http://owni.fr/?p=47442 Morts aux frontières. Voilà une expression macabre qui colle avec l’image ancrée dans mon esprit après des mois à étudier cet insignifiant morcif d’Espagne de moins de 20 km2 situé sur le territoire du bon roi Mohammed VI.

Ceuta la pute consanguine. Je m’y suis rendu en mars 2010, avec mon pote réalisateur Jonathan Millet pour les repérages d’un documentaire. Je ne saurais dire comment a surgi cette métaphore crasseuse mais elle ne nous a pas lâché les trois premiers jour qu’on a passés là-bas. L’atmosphère y est poisseuse, le micro-climat du détroit de Gibraltar n’y étant sans doute pas étranger. Le centre-ville, similaire à n’importe quel autre en Espagne avec son Zara, ses bazars chinois, ses petites cafétérias et sa promenade maritime contraste amplement avec le reste de l’endroit, quelque part à la croisée entre une forêt et un terrain vague urbain.

On aurait pu faire la traversée en ferry depuis Algeciras en Espagne, une station balnéaire située à une quinzaine de bornes à vol de d’oiseau mais on n’avait pas trop de pognon, alors on a pris un avion jusque Tanger, puis un bus jusque Fnideq, la dernière ville marocaine avant de passer du côté espagnol. Entre les deux, il faut traverser le Tarajal, un poste frontière dégueulasse et grillagé où règne une atmosphère de suspicion permanente. Chaque jour des milliers de Marocains et de Marocaines s’y entassent.

La plupart d’entre eux vit d’un petit commerce frontalier de contrebande plus ou moins toléré en échange de quelques bakchichs à l’attention de douaniers qui savent fermer les yeux quand on sait les caresser dans le sens du poil. Cette frontière, c’est le symbole même de Ceuta, une enclave européenne coincée au nord de l’Afrique et précautionneusement protégée des flux de migrants grâce à un mur de grillage surveillé comme l’Elysée. Un double rideau de trois mètres cinquante de hauteur et neuf kilomètres de long, des militaires qui le parcourent jour et nuit sans relâche et un nombre de miradors à faire pâlir le directeur de Fresnes. La Valla comme on l’appelle là-bas est un petit bijou de ségrégation. Elle aura coûté trente millions d’euros payés par l’Union Européenne en 1999, c’est à dire avec votre pognon.

Pour comprendre à quel point Ceuta est une terre de cadavres, il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans le temps. Après avoir été la porte d’entrée de l’immigration subsaharienne vers l’Europe pendant des décennies, le mois de septembre 2005 s’inscrit comme une rature sanglante dans les lignes des flux migratoires locaux. A l’époque, plusieurs dizaines de migrants, las d’attendre dans les forêts adjacentes du côté marocain, prennent d’assaut la Valla, et tentent de franchir – par complet désespoir – le double rideau qui les sépare de l’Europe. Le carnage qui s’ensuit laisse sans voix.Selon les chiffres officiels, treize migrants sont shootés sans qu’on ne sache réellement s’ils sont tombés sous les balles des militaires espagnols ou marocains. Pour des centaines d’entre eux, c’est retour à la case départ. Ils sont embarqués dans des camions et abandonnés dans le désert ou jetés en prison. Le témoignage de Mahadi Cissoko, l’un des Maliens qui ont survécu à la terrible nuit du 28 septembre 2005 surpasse probablement toute description qu’un journaliste pourrait rapporter:

Nous revenons de l’enfer. Nous savions que les chemins que nous empruntions pour entrer en Espagne sont pleins d’embûches, mais nous ne pouvions pas imaginer cette rage et cette haine des forces de sécurité marocaines et de la Guardia, la police espagnole. Quelles instructions ont-elles reçues? Que leur a-t-on dit à notre sujet pour qu’ils nous brisent ainsi les os et le moral? Lors du premier assaut à Ceuta, dans la nuit du 28 au 29 septembre, les militaires marocains surpris ont réagi à coups de fusil, en tuant deux personnes.

Après que nous ayons franchi la première grille, nous étions à la recherche des issues à emprunter pour être dans Ceuta sans avoir à escalader la deuxième grille du haut de laquelle nous étions des cibles faciles. La Guardia a réagi en barrant les entrées avec leurs véhicules et en tuant quatre personnes. Ils nous ont ensuite regroupés, nous qui n’avons pas pu passer. Nous nous sommes assis et avons refusé de bouger. A partir de l’un de nos portables, nous avons pu joindre Elena, une militante espagnole des droits de l’homme qui est basée à Tanger et qui nous a rendu d’énormes services quand nous étions cachés dans la forêt. Nous ne l’oublierons jamais. Elle nous a suggéré de rester là où nous étions, jusqu’au lever du jour. Mais la Guardia nous a tellement brutalisés que nous avons cédé. Ils nous ont alors ligotés deux à deux avant de nous livrer aux Marocains qui nous ont conduits en prison.

Un militaire marocain, de l'autre côté de la barrière

Pour autant, le drame de Ceuta ne se joue pas qu’à la périphérie de son territoire. Chaque jour un tout petit nombre arrive à braver le mur et pénètre en territoire espagnol, caché – ou plus exactement encastré – dans le tableau de bord ou les carénages de bagnoles conduites par des passeurs marocains. Et on n’y trouve pas que des Africains. Là-bas, on a passé pas mal de temps avec Gurjeet, un Indien de 25 ans bloqué depuis trois ans dans cette prison à ciel ouvert. Si Ceuta fait bien partie de l’Europe, elle n’appartient pas pour autant à l’espace Schengen, empêchant de facto quiconque ne dispose pas du bon passeport, à traverser le bras de mer de quinze kilomètres à bord d’un de ces ferry confortables qui desservent le continent plusieurs fois par jour. Si Gurjeet est aujourd’hui bien vivant pour témoigner, on perçoit au premier regard qu’un ressort est irrémédiablement cassé chez le garçon. Les deux interminables années passées à zoner du Mali au Maroc ont été jalonnées de cadavres, comme autant de cicatrices morales:

Je suis parti de chez moi il y a cinq ans. Mon voyage a réellement commencé en Afrique. J’ai pris l’avion depuis New Delhi et je suis arrivé en Ethiopie où j’ai passé à peine une heure. Je suis ensuite monté dans un autre avion jusqu’au Mali et j’ai passé deux mois là-bas. Au bout d’un moment notre passeur nous a dit qu’on était obligé d’attendre, le temps d’obtenir un nouveau visa qui nous permettrait d’aller directement en Espagne. On a attendu encore longtemps mais le passeur ne donnait plus de nouvelles. C’est alors un nouveau voyage qui a commencé, en bus cette fois, et on est arrivé dans une nouvelle ville à quasiment deux mille kilomètres de là (nda : selon toute logique, à la frontière entre l’Algérie et le Mali). On a passé sept jours à attendre. Plus de nouvelles du passeur. Finalement on a repris la route, en voiture, et on est arrivé dans le désert du Sahara. Nous avons eu énormément de problèmes, de nourriture et d’eau notamment. Certains de mes compagnons de route sont tombés malades et d’autres sont morts à cause de la faim, de la soif ou de l’absence de médicaments. Les piqûres d’insectes étaient aussi un vrai problème. Au final, quatre de mes amis sont morts en chemin parce qu’ils n’avaient pas les forces nécessaires pour endurer un tel voyage, sous une telle chaleur.

Et le calvaire de Gurjeet ne s’est pas arrêté là. Avant de réussir à pénétrer dans Ceuta au bout de sa sixième ou septième tentative, il s’est fait dépouiller plus de quinze mille euros par divers passeurs, a goûté le bout des bottes en cuir des militaires algériens, s’est fait volé son passeport avant de s’embarquer dans un canot dont quatre personnes ne sont jamais sorties vivantes. Pour quoi au final? Pour se retrouver enfermé tel un détenu de droit commun dans une ville où il faut être Espagnol ou taré pour avoir envie de vivre.

Après son entrée, plié en quatre au dessus de la roue arrière d’une vieille caisse marocaine, Gurjeet comme tous les clandestins de sa trempe a atterri au CETI, le centre de rétention de la ville. Là-bas, plusieurs nationalités se côtoient. Ils sont huit ou dix par chambre, partageant repas et maladies, en tentant tant bien que mal de s’occuper pendant la journée, leur condition de clando ne leur permettant pas d’accéder à un emploi légal. Débarqué au CETI en 2007 – l’endroit accueille toute personne n’étant pas en situation d’expulsion – Gurjeet n’y est resté qu’un an avant de se barrer, une menace d’expulsion pesant justement sur ses épaules. Depuis, il survit tant bien que mal dans une forêt avec une cinquantaine d’Indiens, tous dans la même situation que lui. Leur quotidien n’est pas très reluisant. Ils vivent installés dans un camp de fortune qu’ils ont eux-même bâtis en amassant des rondins de bois, des bâches et quelques matelas.

Hormis la prière, la cuisine et le ménage si l’on peut dire – le camp est un sacré dépotoir – Gurjeet et ses potes s’occupent essentiellement en jouant les aides sur le parking d’un supermarché situé à une demie-heure de marche de là. Avec le temps, les gens du coin ont appris à s’habituer à leur présence, et se prêtent au jeu en leur demandant de charger leurs courses dans le coffre, histoire de leur donner une petite pièce. Les petites vieilles s’en accommodent plutôt bien et disposent de la sorte de jeunes gens prêts à porter leurs achats jusque chez elle. C’est l’occasion au passage de tailler un brin de causette avec ces individus venus du bout du monde, qui ont toujours une anecdote colorée à raconter sur leur vie passée. Et puis il y a tout le réseau d’aide autour d’eux. La soeur Paola notamment, une missionnaire alterno d’une soixante d’années qui leur donne des cours d’espagnol dans son local et leur met quelques médicaments à disposition. Il y a le centre San Bernardo aussi, qui leur file la possibilité de prendre des douches, manière de rester digne dans la misère. En bout de course, ces voyageurs malgré eux reçoivent enfin un coup de main de la communauté indienne de Ceuta, une petite diaspora établie depuis l’indépendance de 1947, qui ne manquent pas de leur fournir vêtements et nourriture en toute discrétion.

Cette histoire de migrants qui fantasment l’Europe comme une terre promise pue complètement la lose. A l’échelle d’un territoire gros comme un confetti, Ceuta cristallise toute la détresse de ce sud qui idéalise naïvement le nord comme un havre économique bienveillant. Bloqué à l’intérieur du mur depuis trois années, le dernier espoir de Gurjeet et des cinquante-trois autres Indiens dans sa situation repose désormais sur une missive adressée au gouvernement espagnol dans laquelle ils l’exhortent à annuler l’arrêt d’expulsion qui pèse sur leurs têtes, afin de rejoindre enfin celle qu’ils s’appellent “La Grande Espagne” par opposition à cette ville espagnole autonome bâtarde. Au dessus de la carcasse des vivants, bloqué d’un côté ou de l’autre du mur, rôdent les âmes de tous ceux qui sont morts en payant le prix de cette attente insensée. Amnesty International estime d’ailleurs qu’en dix ans – depuis la création du mur – plusieurs milliers de personnes sont mortes noyées en essayant de contourner cette saloperie de barrière.

Avec le recul, je m’explique difficilement cette image de la pute consanguine qui en définitive n’a aucun sens. Pour ces migrants, Ceuta a par contre quelque chose d’une jeune fille qui aurait menti sur son identité. Gurjeet et la centaine d’individus se sont imaginés que rentrer dans Ceuta renviendrait à épouser le rêve européen. Au final, ils se retrouvent liés avec une clocharde qui ne peut absolument rien pour eux, si ce n’est en faire à leur tour des hommes vivant comme des bêtes en dehors du cadre classique de la société. L’histoire de ces types mérite d’être racontée, ne serait-ce parce qu’elle démontre à quel point l’Europe peut être une broyeuse administrative sans sentiment. Pour Jonathan et moi, l’idée de tirer un documentaire de la réalité des prisonniers de Ceuta tient de la volonté de rendre compte au plus grand nombre de la nature parfois délibérément aveugle de l’Europe en matière de politiques migratoires. Le peu de propositions de diffuseurs sur le bureau de notre producteur tend à montrer que les médias audiovisuels semblent s’en tamponner tout autant.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Crédits photos CC FlickR par 300td.org, zanthia, pedrobea


Voir aussi :
[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe
“La liberté de circulation s’impose comme une évidence”

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