OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [ITW] Dj Plague, speedcore et dématérialisation http://owni.fr/2010/11/08/itw-dj-plague-speedcore-et-dematerialisation/ http://owni.fr/2010/11/08/itw-dj-plague-speedcore-et-dematerialisation/#comments Mon, 08 Nov 2010 09:57:32 +0000 Florian Pittion-Rossillon http://owni.fr/?p=27585 Florian nous  rapporte régulièrement des interview de personnalités peu connues de la sphère “mainstream”. Ces dragons de nuits ont pourtant une expérience inégalable en ce qui concerne la scène, la production électronique, le marché…

Le jour, Ian Wright est un garçon poli et courtois qui compose de la musique et qui monte des vidéos. La nuit, portant un masque de monstre ou une cagoule de terroriste, il devient DJ Plague et terrasse les dancefloors avec la forme la plus extrême de la techno : le speedcore. Et il réalise des afterfilms de soirées. La rencontre avec cette éminence bruitiste a révélé un formidable conteur, donnant sa version des faits suite à la dématérialisation de la musique, la conséquence de l’informatisation de la société, ou la légitimité de porter un masque pour jouer en public. Ah oui, il est canadien, et vient de se faire virer de la Hollande où il habitait depuis six ans. Elle est belle l’Europe, tiens.

Avant de parler de ta musique et ton parcours d’artiste, peux-tu expliquer ce qui t’es arrivé quand tu as quitté la Hollande pour aller au Canada (dont tu es originaire), et ta situation actuelle ?

Eh bien après être allé et venu sans problèmes pendant 6 ans, ils ont dit que j’étais resté trop longtemps et m’ont expliqué que je devais rester hors d’Europe pendant 3 mois, et qu’il y avait une possibilité d’une exclusion de 5 ans avant de pouvoir revenir. Je ne sais pas si c’est vraiment si sérieux, vu que ça n’a jamais été un problème avant, mais en tous les cas, le système d’immigration en Europe est un ratage.

J’ai déjà attendu 6 ans de recevoir mes autorisations de travail, donc ça et une douzaine d’autres facteurs, incluant la fin du vinyle et la scène qui rétrécit encore et encore, ça a entraîné ma décision de rentrer au Canada. Peut-être retournerai-je en Europe occasionnellement pour des tournées courtes, mais il n’y a aucun avenir pour moi à vivre ici toute ma vie comme un immigré clandestin.

Tu parles de “la fin du vinyle”. Penses-tu que tous les DJs de tous les styles auront bientôt à mixer sur CD ? Qu’en est-il des milliers de morceaux qui n’ont pas été sortis sur des netlabels ?

Oui, il semble que ça prenne cette direction de plus en plus. Il était établi que les platines vinyle étaient le dispositif principal de la régie son. Maintenant elles sont le plus souvent poussées sur le côté et les platines CD sont le standard. Peut-être que dans 5 ans, voire moins, les platines vinyle auront complètement disparu [Depuis cette interview, Panasonic a annoncé la fin de la production de ses légendaires platines Technics SL1200].

Je ne comprends pas du tout le principe du « net label ». Puisqu’il n’y a aucun coût lié à la sortie des morceaux, il n’y a plus aucun besoin pour des labels.

N’importe qui peut mettre ses morceaux en téléchargement sur internet. C’est devenu vraiment compliqué de chercher de la bonne musique puisque les labels agissaient comme des filtres exposant les meilleurs morceaux. Mais ça donne une chance aux gens qui veulent sortir leurs morceaux. Le seul problème est qu’il y a un océan de morceaux amateurs à passer au crible, donc ce qui relevait de la recherche de vinyles relève maintenant de la recherche dans les forums et les sites de téléchargement pour trouver de bons morceaux.

L’arme secrète du DJ

Penses-tu qu’il y ait une différence entre les DJ sur vinyle et les DJ sur CD ? Si oui, peux-tu expliquer?

De mon expérience, le feeling n’est pas le même. Quand j’ai commencé à aller en rave j’avais l’habitude de regarder le DJ de près, de scruter le label sur le disque qui tournait, et de voir le morceau qui allait suivre. De regarder le graphisme sur les pochettes. Le sac à disques était comme la pochette surprise du DJ. Son arme secrète.

Maintenant, regarder un DJ consulter son range-CD est aussi intéressant que de le regarder consulter un annuaire téléphonique. Ou regarder un DJ sur ordinateur portable est comme regarder quelqu’un consulter ses emails.

C’est pareil pour le mix, bien qu’il y ait beaucoup d’effets particuliers. Et s’il n’y a plus ce problème de diamant qui saute, mixer sur CD est un peu trop technique. Il n’y a plus cette sensation merveilleuse de claquer un bon gros vinyle sur la platine et toucher la musique avec ses mains. Mais c’est la voie que suit la société en général. Mettre des ordinateurs entre les humains et l’expérience réelle, tout ça au nom du « progrès ».

OK mais cette musique (techno, hardcore, terror, speedcore…) est née des ordinateurs. Ne devrait-on pas considérer ce progrès comme une chance plutôt qu’une menace ?

Eh bien ce n’est certainement pas sans bénéfices. Tu peux plus facilement appliquer des effets pendant le mix. Mais les gens doivent être avertis du côté négatif de tout ce « progrès ». Quand tout est facilement accessible, la valeur de chaque chose décroît. Et avec la musique en général, avec l’invention de l’iPod et la capacité de transporter avec soi des milliers de chansons, celles-ci ne sont plus aussi précieuses que quand elles étaient sur un album complet avec sa pochette et son livret. De même que tous les magasins de disques font faillite parce que la musique migre sur internet.

Cela revient à enlever l’interaction humaine de l’équation. C’est un gros changement, qui contient de bonnes choses, et des mauvaises. C’est juste qu’il est important de ne pas sauter aveuglément dans ce qu’on pense être un progrès sans comprendre les coûts cachés d’abord.

Quels sont tes 5 disques favoris de tous les temps ?

En vinyle : GFB vs Rotello – “One In Seven” / Sonic Overkill – “Born In Hell” (Speedcore) / Kenny Gee – “Full Scale Riot” / Canadian Speedcore Resistance 6. En CD : “Yatsuzaki Hardcore”. Et quasiment tout de Sonic Overkill, Mutante ou Speed Freak (c’est vraiment une liste au hasard de ce qui me vient à l’esprit là tout de suite).

Qu’est-ce qui pourrait faire que la scène redevienne plus grosse ? Est-ce que ce n’est pas une question de cycles de naissance-mort-renaissance ?

La scène évolue par cycles. Les grosses organisations se construisent sur une scène fertile, libre d’interventions policières et de restrictions gouvernementales, une fois qu’elles deviennent suffisamment grosses des organisations plus petites grandissent autour d’elles. Il finit par y avoir trop de soirées et il n’y a pas de quoi les faire tourner, alors la scène décline et seules les grosses organisations ont suffisamment d’assises financière pour continuer. Alors la scène rétrécit et si la base est toujours fertile, alors la même chose se reproduira. La difficulté maintenant avec la mort du vinyle et la facilité de téléchargement des MP3, c’est que beaucoup de grosses organisations souffrent que ce qui constituait une importante source de revenus ait disparu. Alors pour la première fois on voit des sociétés comme Midtown fermer leurs portes [Midtown existe toujours, ce sont d’autres qui ferment, NDA], et ce n’est pas bon signe, puisque si les grosses organisations coulent, ça sera très dur pour les petites de démarrer dans le futur puisqu’il n’y aura pas de scène sur laquelle se reposer.

Comment est-ce que Ian est devenu DJ Plague ? Quelle est l’histoire derrière le masque ? Comment tout cela a commencé ?

En 1996 il y avait un seul DJ à Toronto qui mixait hardcore, DJ Dominik. J’allais à chaque soirée où il jouait et j’attendais son set à 7 heures du matin. Il jouait toujours à la fin ou au début.

Mais j’ai fini par apprendre qu’il y avait bien plus de styles de hardcore, et après en avoir eu assez d’attendre qu’il sorte de nouvelles mixtapes j’ai décidé de mixer moi-même. Cependant une fois que j’ai commencé à acheter des disques, le hardcore est soudainement devenu lent et ennuyeux. Alors j’ai découvert Shockwave et des labels anglais comme Area 51 et plus tard Deathchant. C’est là que j’ai décidé de jouer du hardcore rapide, ou du speedcore, comme on dit.

Alors j’ai rencontré Interrupt Vector qui produisait du speedcore, and nous avons décidé de créer notre propre label, Canadian Speedcore Resistance (CSR). Grâce à des soirées organisées par Terrorist Kriss en ce temps-là (vers 2001), les choses ont bien évolué, jusqu’à ce qu’après quelques tournées j’ai déménagé en Europe pour me consacrer entièrement à CSR.

Quant au masque, j’ai compris qu’on ne peut pas avoir se montrer en ayant l’air normal, dans cette musique. Tu dois ressembler à ce dont la musique sonne, alors tu dois avoir un masque. A moins que tu sois The Vizitor qui a suffisamment l’air dur comme ça [The Vizitor est un DJ hollandais fervent pratiquant du body-building, NDA].

Le death metal de la techno

Serait-il possible que tu travailles avec un cirque qui ferait un spectacle avec des clowns qui feraient leur numéro sur fond de speedcore ?

Bien sûr que c’est possible. Regarde Insane Clown Posse, Slipknot, ou même Marilyn Manson. Tu as déjà vu Marilyn Manson sans maquillage ? Le mec a l’air complètement banal.

Tu es un des artistes terror/speedcore les plus importants. Pour ceux qui ne font pas la différence, que sont le terror et le speedcore, comparés au hardcore ?

Eh bien ce sont tous des termes inventés dans différents pays. Au Canada nous avions seulement le hardcore (Neophyte, Paul, RTC etc..) et le speedcore (DOA, Deathchant, Shockwave etc…)

Quand je suis allé en Hollande, tout le monde a commencé à appeler ce que je jouais “terror”, donc je me suis dit, OK, c’est du terror.

Je pense que le terror est dur et rapide, souvent avec des guitars et des cris, et tourne dans les 230 à 290 bpm. Je dis aux gens que c’est comme le death metal de la techno. (Le frenchcore étant quelque part de 190 à 230, le hardcore généralement de 150 à 190 bpm et le plus souvent basé sur un gros kick et des synthés, et le speedcore étant censé être plus rapide que tout et concentré essentiellement sur des rythmes rapides. Certains parlent de « splitter », qui fait penser à des mitrailleuses). Mais tous ces noms sont un peu vagues, et les gens vont en débattre pendant des jours sur les forums du web.

Est-ce que tu fais partie des gens qui pensent que le hardcore doit se réinventer du fait que le style “tout-pour-le-kick” a atteint ses limites ?

OUI ! Cela aurait dû commencer il y a très longtemps déjà. C’est la même chose depuis 10 ans ou presque. Quand ça a ralenti je pensais que cette tendance durerait 2 ans, mais ça continue encore 10 ans après.

Quels sont tes 5 morceaux préférés, en hardcore/terror/speedcore, de tous les temps ?

Difficile là encore… Et là encore, au hasard… Rotello vs GFB – “The Berzerk Manolo Macchetta” / Sonic Overkill – “Raise Ya Fist” / Mutante – “Money” / m1dy vs M-Project – “Squid vs Pantyhose” / D.O.A. – “New York City Speedcore” (un ultra-classique, NDA). La liste change tout le temps ! Il y a tellement de bons trucs…

Terror et speedcore partagent une particularité : c’est de la musique de soirée, et en même temps ils sont appréciés d’un public branché sur l’expérimental. Alors, en tant qu’artiste et manager d’un label, est-ce que tu te sens plus du côté soirée ou du côté expérimental ?

Je ne considère pas du tout que CSR soit expérimental. L’idée était de combler le vide entre le hardcore trop lent, et le speedcore trop rapide et extrême. De rester rapide, mais de rester écoutable également. A Toronto il y avait toujours des frictions entre le breakcore et le speedcore. Le breakcore essayait d’être plus expérimental et intellectuel, alors que le speedcore était juste une question de dire fuck tout.

Mon idée du speedcore est plutôt d’éprouver des émotions brutes et de laisser tes frustrations s’extérioriser par la musique. Honnêtement il n’y a pas beaucoup de place pour l’expérimentation dans ce genre musical. Ca se limite à des kicks et des samples et comment ils peuvent être découpés, arrangés et masterisés. Je sais qu’il y a pas mal de gens qui se targuent d’être expérimentaux et branchés. Mais je veux juste une musique très énergique avec un bon rythme qui te fait bouger. Si tu es trop expérimental alors ça ne se passe pas bien sur le dancefloor, alors que si tu es un DJ tu fais justement en sorte de le faire bouger.

Une fois j’ai vu un type dans une soirée avec un t-shirt qui disait « Fuck art, let’s dance » (« L’art va se faire foutre, dansons »). Tout est dit en peu de mots.

Filmer le plus de filles

Comment décrirais-tu l’évolution de la scène terror/speedcore depuis que tu es arrivé en Europe?

Difficile de dire ce qui a évolué. Je pense que c’est devenu un style à part entière plutôt que d’être dans la petite salle d’une soirée hardcore. Mais ça reste quand même encore pas mal confiné là-bas. J’ai vu récemment une vidéo de 1998 et la salle terror avait déjà exactement l’air de ce que c’est maintenant. L’énergie que la musique génère tendra à attirer les mêmes personnes, quels que soient l’époque ou l’endroit.

Donc plus les choses changent, plus elles demeurent.

Tu es aussi réalisateur. Quels conseils techniques donnerais-tu à quelqu’un qui filme les soirées ? Parce que les conditions sont difficiles pour une caméra (les lumières, le son…).

Haha ! Loue une bonne caméra, ne filme pas un dancefloor vide, filme beaucoup de lasers, bouge avec la caméra, et filme le plus de filles possible.

Est-ce que tu aimerais travailler avec un réalisateur de films pour composer la musique d’un long-métrage ? Est-ce que tu penses devenir réalisateur toi-même ?

Oui c’est possible. J’ai étudié les beaux-arts, et la réalisation de films en faisait partie. J’aime faire plein de choses, alors que faire juste du son ou du montage vidéo est limité. Je préfère faire toute la production, et créer tout un concept en ayant la main sur chaque étape du projet.

Imagine que tu as à organiser l’équivalent de Megarave au Canada. Quel serait ton line-up de rêve ?

Vraiment au hasard, et plein de gens diront “Oh, il a oublié lui et lui !”… Mais bon…

Salle Hardcore / Terror / Speedcore : Sonic Overkill – The Speed Freak – Mutante – Smurf – Fishead – Micropoint – Ron D Core – Drokz & Akira – Noisekick – The Vizitor – Moshpit – The Berzerker – m1dy – Ozigiri – RoughSketch – Speedloader ;) – et moi…

Salle Early Rave (tous jouent le style qu’ils jouaient en 1997) : Ruffneck – Neophyte – Rotterdam Terror Corps – Predator – Masochist – Scott Brown – Dj Dominik (Le DJ de Toronto qui a lancé le hardcore au Canada) – Brisk – Clarkee – SOS.

Quelles activités auras-tu une fois retourné au Canada ? Quel est le futur de Canadian Speedcore Resistance ?

En ce moment je travaille avec DJ Mutante sur un nouvel album. On a déjà quelques tracks et il en reste pas mal à faire. Pour le futur de CSR j’ai pensé à des façons de l’emmener un pas plus loin. Peut-être le transformer en bande dessinée ou même un dessin animé. Quelque chose qui puisse utiliser la musique comme une partie de toute une histoire. Une manière de lui donner une nouvelle dimension, comme ça elle n’est plus seulement confinée dans la petite salle d’une soirée hardcore. Il y aura toujours des gens qui voudront évacuer leurs émotions avec cette musique, alors cela est un moyen de toucher un public plus large. Ce qui est sûr, c’est que je travaillerai de plus en plus avec la scène japonaise. Ils ont plus d’un style qui m’intéresse. Une scène très éclectique, et un hardcore plein de variations, qui ne se repose pas seulement sur le niveau de dureté d’un kick. Ils ont plein de producteurs différents et ils ont plein de potentiel.

Nous verrons bien. Il n’y a pas de mort, juste des nouveaux départs.

Peux-tu présenter quelques musiciens japonais que tu aimes ? Vu d’Europe, le Japon est très loin et on ne connaît pas bien cette scène.

Il y en a plein, mais ça dépend de tes goûts car il y a une grande variété de styles. Il y a Sharpnel, m1dy, RoughSketch, M-Project, Ozigiri, Chucky, C-Type, Shimamura, Akira Death et plein d’autres. Ca va du speedcore extrême au happy hardcore, mais tout est bien fait.

Le show de DJ Plague, tous les jeudis soirs sur Hardcore Radio

Quid de la scène au Canada et aux Etats-Unis ? Vu d’Europe elle semble petite mais dynamique. Qu’en est-il des soirées, et du public ?

A Toronto il y a une scène très éclectique. Faite de plein de gens différents, de pays et de cultures différents. Il est impossible de faire une grosse soirée hardcore comme en Hollande. Il y a plein de clubs, tu ne peux pas demander plus de 5$ à l’entrée, alors c’est difficile de rentrer dans ses frais. Il est plutôt question de rassembler ses amis et de décider d’organiser une soirée. L’avantage de ça et que tu as plein de styles différents, et le public est généralement composé de gens qui aiment la musique. Puisqu’ils ont à rechercher ce genre de soirées, ça signifie qu’ils connaissent bien la musique et qu’ils viennent l’esprit ouvert.

Vas-tu toujours aux soirées en tant que public, pour t’éclater et boire un coup ? Ou vas-tu aux soirées seulement quand tu es booké en tant que DJ ou liver ?

De moins en moins. J’aime la musique et l’aimerai toujours, mais plus tu vieillis, moins tu as d’énergie pour faire la fête et boire des coups. C’est un autre facteur de ma décision de repartir au Canada. Je ne vais jamais totalement abandonner la musique, puisque je l’aime, et sans doute reviendrai-je pour des bookings particuliers. Mais ça ne doit jamais devenir un job que je fais seulement pour l’argent. Si tu le fais seulement pour l’argent et pas par amour de la musique, tu dois arrêter. Tu dois toujours être passionné par ce que tu fais.

Cet article a été initialement publié sur culture DJ

Crédit photo flickr CC: Christiano Betta; Roberto; Amandabhstater, miss_blackbutterfly

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C’est quoi une ville la Nuit? http://owni.fr/2010/05/04/cest-quoi-une-ville-la-nuit/ http://owni.fr/2010/05/04/cest-quoi-une-ville-la-nuit/#comments Tue, 04 May 2010 17:21:16 +0000 Florian Pittion-Rossillon http://owni.fr/?p=14539 Ce printemps, il est très branché de commenter la mort de la nuit parisienne. Et s’il reste quelques idéalistes pour vouloir replacer Paris sur la carte des capitales festives, il faut disséquer le cadavre pour que revitaliser la nuit ne revienne pas à mettre sur pieds un Frankenstein nocturne. Le grotesque, on en a en effet soupé, et nos voisins européens s’en moquent déjà assez.

D’où cette démarche sémantique : que range-t-on derrière ce mot, la « Nuit » ?

Un peu de précision sur les termes employés et les réalités qu’ils désignent. La démarche est d’autant plus utile que les nombreux débats sur la mort du business de la musique focalisent l’attention sur un format spécifique : le triptyque « groupe – album – concert ».

Hors, toute la musique n’est pas le fait de petits chanteurs folk acceptables, toute la production n’est pas égale à un album de 12 titres égrenant les variations spleenétiques de jeunes blancs en jean slim, et toute la musique vivante ne se joue pas sur une plage horaire comprise entre 20h et 23h (23h15 s’il y a des rappels).

La musique est diffusée et se vit différemment, passé 23h. Et quand on parle de la nuit parisienne, on parle bien de ce qui se passe ou devrait se passer dans les clubs. Le désintérêt historique de nos élites culturelles (bien plus passionnées par les commentaires sur le dernier numéro des Inrocks que par le fait de s’agiter sur un dancefloor ) pour le clubbing déforme le prisme d’analyse de la Nuit. Cependant si le Paris nocturne doit revivre culturellement et économiquement, cela passera par une renaissance de sa culture club.

On le sait, il est acquis pour la génération New Clubbing que la fête se vit à Londres, Rotterdam, Berlin, Barcelone.

Le résultat : des clubs parisiens à moitié vides, même les plus prestigieux. Le flux de touristes étrangers vers les lieux bien référencés dans les guides touristiques ne compense pas le volume de New Clubbers français ayant pris le parti du Fun d’Ailleurs.

Et l’ostracisme outrancier pratiqué vis-à-vis de la clientèle locale achève de faire des clubs situés dans les arrondissements à un chiffre des bars à musique pour touristes américains imperméables aux charmes de la programmation. La réponse des clubs parisiens à une crise qu’ils refusent d’admettre ressemble à un baroud d’honneur dont la population locale va finir par se moquer complètement.

Les indices les plus évidents d’une nuit qui meurt, sont donc :

> Quantitatifs : les jauges des clubs culminant à 50% (scores vérifiés depuis 4 mois à l’entrée des lieux, entre minuit et 3h du matin). 50% les grands jours, hein… On connaît des clubs de périphérie tournant à 25% de leur capacité.

> Qualitatifs : une clientèle de passage, peu cultivée, peu impliquée. Tout à fait respectable en elle-même, mais que l’on ne peut considérer comme moteur de la nuit. Et une politique de sélection à l’entrée marquée par une volonté de polissage outrancier.

Les parisiens du jour ne sont plus les parisiens de la nuit

Supposons que la culture club idéale soit un miroir tendu au visage des journées de la ville. Alors Paris refusant son New Clubbing et ses New Clubbers, c’est Paris qui se déteste. C’est une vieille dame aigrie qui crache sur ses propres jupes à défaut de pouvoir atteindre le visage d’une génération festive qui est mieux acceptée à 1000km de chez elle que dans sa propre ville.

Et puisque la critique est acceptable si elle est suivie de propositions de solutions, jetons les ponts suivants :

> Les clubs parisiens reviendront au niveau international lorsqu’ils seront capables de cultiver leur identité comme une marque festive concurrentielle au niveau européen (cf l’approche actuelle consistant à tabler sur un remplissage automatique par des gogos de clients)

> Les clubs parisiens reviendront au niveau international lorsqu’ils sauront travailler avec des promoteurs d’évènements professionnels et connaisseurs du marché européen (cf. l’approche actuelle oscillant entre copinage bisou-bisou et modèles d’il y a 15 ans)

> Les clubs parisiens reviendront au niveau européen lorsqu’ils sauront accepter à l’entrée la population locale (cf l’actuelle sélection communautariste faisant des minets du 16ème et des touristes étrangers les seuls clients acceptés à l’entrée des clubs).

On arrêtera de se lamenter sur la Nuit parisienne lorsque le cœur de celle-ci aura recommencé de battre. Autrement dit, rien à espérer tant que le New Clubbing ne sera pas considéré comme un moteur culturel, un réservoir de croissance économique et un levier marketing pour une capitale vitrifiée par sa religion des musées.

On considèrera correctement la Nuit parisienne quand les élites et décideurs culturels et économiques auront compris qu’une capitale sans New Clubbing digne de ce nom, c’est une ville morte pour touristes sexagénaires.

On se réjouira de la Nuit parisienne lorsque celle-ci sera pilotée par des promoteurs proposant une offre répondant à la concurrence européenne.

Le New Clubbing et ses tenants proposent des solutions – Reste à déterminer qui les refuse encore.

Illustration CC Flickr par when i was a bird

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