OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mesure ta pollution http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/ http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/#comments Mon, 26 Nov 2012 12:06:38 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=126646

Citoyens capteurs - Photo CC bync Pierre Metivier

À peine arrivé à la table matinale de ce café parisien, Gabriel Dulac sort son tournevis pour offrir au regard le contenu du capteur citoyen de qualité de l’air. À l’intérieur de cette espèce de boîtier gris EDF, gros comme une boîte à sucre, le strict minimum vital : un mini ordinateur, deux capteurs, une batterie et une clef 3G pour transmettre les données. Le tout en “full open hardware”, terme que répète avec méthode Olivier Blondeau, docteur à Sciences Po : “présenter l’objet ouvert fait partie de notre démarche”. Né de la rencontre de ce duo de Labo citoyen et de l’association Respire, le projet Citoyens capteurs vise à rendre abordable pour 200 euros un système fiable de relevé de la qualité de l’air, avec plans et données en format open source.

L’idée de mesures à l’échelle citoyenne n’est pas inédite. Avec la catastrophe de Fukushima, la nécessité d’un réseau de capteurs complémentaire de celui des pouvoirs publics (dépassés par les besoins d’information sur l’étendue des dégâts radiologiques) a amené à la constitution de toute une infrastructure associative de recueil des taux de radioactivité, le réseau Safecast. Une idée qui avait déjà été celle de la Criirad en France et pour le même indicateur.

Expertise

Lancé sur le champ de la mesure de qualité de l’air, Labo citoyen et Respire ont également pu s’inspirer d’autres initiatives ayant défriché le terrain des capteurs à bas coût et de la mise à disposition de données, comme AirQualityEgg.

Mais si la mesure de radioactivité ne nécessite que le recueil d’une variable (le nombre de désintégrations de noyaux radioactifs, exprimé en Becquerel), celle de la qualité de l’air porte sur une quantité de composantes : ozone (O3), particules fines et dioxyde d’azote, pour ne citer que les seuils clés. Or, pour rendre les données recueillies comparables à celles des organismes reconnus, le capteur citoyen de qualité de l’air se devait de répondre aux normes admises et donc d’aligner une haute qualité de mesure. Une expertise disponible uniquement chez les organismes eux-mêmes, ce qui a amené Gabriel à discuter directement avec AirParif :

En deux heures de discussion, nous avons gagné cinq mois d’expertise. Au départ, nous mesurions les microparticules en volume, sauf que le seuil est en poids et que la densité peut varier du tout au tout au moindre changement de température.

Si AirParif refuse l’idée d’un “label”, l’association agréée de mesure de qualité de l’air parisien a ouvert ses labos aux prototypes de capteurs citoyens, suivant une démarche détaillée par sa directrice de la communication Karine Léger :

Cette initiative s’inscrit pour nous dans la continuité de notre mission : en complément de notre réseau de soixante capteurs en Île-de-France, placés dans des zones représentatives, nous souhaitons obtenir des mesures dans les zones d’exposition des gens. Depuis 2006, nous avons déjà fait des tests dans les habitacles des automobiles, dans les transports en commun (ou avec des tubes tests) sur des citoyens volontaires tout au long de la journée. À chaque fois, il s’agissait de versions réduites de nos capteurs principaux. Nous opérons un échange d’expertise scientifique sur les capteurs citoyens afin qu’ils puissent produire des données qui complètent les nôtres.

En pratique, les capteurs d’AirParif sont disposés dans des endroits représentatifs, permettant d’élargir la mesure par des outils de modélisation. Carrefour d’Alésia, dans le XIVe arrondissement, un capteur mesure ainsi les émission sur un “grand rond-point congestionné de Paris” tandis que, le long du boulevard périphérique, deux points de mesure évaluent la qualité de l’air à la frontière de la capitale.

Anti-Linky

La démarche des citoyens capteurs n’est cependant pas strictement scientifique. Derrière le concept de “full open hardware”, le projet tout entier s’inscrit dans une logique d’ouverture à la réappropriation et à la contribution citoyenne : chaque pièce (du mini ordinateur Rapsberry Pi aux outils de mesure) est listé sur le wiki [en], le code de la base de données recueillant les mesures est disponible sur le réseau social Github… Et le tout en licence ouverte et réutilisable. Une démarche d’ouverture totale du dispositif que Labo citoyen et Respire souhaitent accompagner mêlant formation technique, exposé médical sur les dangers de la pollution atmosphérique et initiation à la chimie de l’air urbain.

Nous sommes dans l’anti-Linky, ironise Olivier Blondeau. EDF nous propose un boîtier fermé, dans lequel personne ne sait ce qu’il y a et qui communique des informations qui vous concernent mais uniquement à EDF. Là, tout est ouvert et disponible pour l’amélioration et la réappropriation.

L’interprétation même des données est laissée à l’imagination et aux besoins des utilisateurs. Chercheuse à l’université Paris-III en Sciences de la communication et associée au projet, Laurence Allard inscrit cette démarche dans une réappropriation politique de l’objet à rebours du transhumanisme :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Chacun peut mettre en scène les données à sa guise : pour une manifestation, nous avions fixé un haut-parleur qui hurlait les résultats, pour une autre, un téléscripteur qui les crachait comme un sismographe… Nous ne sommes pas dans une machinisation des humains mais dans un outillage de l’homme par la machine. Il ne s’agit pas d’un objet mais d’une expertise embarquée qui vise à donner à chaque citoyen une capacité d’empowerment) politique grâce à l’Internet des objets.

Bottom-up

Dans la perspective d’un déploiement plus large, l’ingénieur de la bande a déjà prévu de permettre aux capteurs de communiquer entre eux, “qu’ils puissent s’étalonner, prévenir d’une panne, relayer une batterie faible…” énumère Gabriel Dulac.

Pour assurer l’accessibilité des capteurs aux associations, le coût reste une contrainte-clé et justifie, à lui seul, le recours au do-it-yourself : un seul boîtier AirParif, produit de qualité industrielle, est facturé 10 000 euros. Aux yeux de Sébastien Vray, président de l’association Respire, le potentiel d’empowerment est considérable :

Aujourd’hui, les associations de surveillance de la qualité de l’air (Asca) produisent des données fiables mais sur des échantillons très étroits : une batterie de station de fond, éloignée du trafic, et des batteries de proximité, plongées dans la circulation. Avec les capteurs citoyens, la possibilité serait offerte de produire une véritable information bottom-up sur la qualité de l’air : placer des capteurs dans des poussettes, simuler des trajets ou, tout simplement, mettre des capteurs chez les “pauvres” pour pouvoir établir le lien entre précarité sociale et précarité environnementale.

L’OMS évalue à deux millions par an le nombre de décès prématurés liés à la dégradation de la qualité de l’air (30 000 en France) . Avec les capteurs bon marché, Respire espère donner aux associations de défense du cadre de vie les moyens d’argumenter sur les nuisances liées à la pollution de l’air. Pour héberger les premières données, Sébastien Vray vient d’inaugurer PollutionDeLAir.info, une des premières extensions du projet Capteurs citoyens qui lance ses sondes en direction d’autres défis offerts par les données environnementales : pollution sonore, pollution visuelle et qualité de l’eau.


“Citoyens capteurs”Photo CC [bync] Pierre Metivier. L’autre photo (sur fond vert) est issue du wiki mentionné dans l’article.
Photo de une de Pierre Métivier, éditée par Owni.

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http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/feed/ 17
L’Open Hardware veut s’ouvrir au grand public http://owni.fr/2012/10/05/lopen-hardware-veut-changer-de-braquet/ http://owni.fr/2012/10/05/lopen-hardware-veut-changer-de-braquet/#comments Fri, 05 Oct 2012 16:48:00 +0000 Mathilde Berchon http://owni.fr/?p=121531

Quatre cent cinquante participants à guichet fermé pour la troisième édition de l’Open Hardware Summit la semaine dernière, 650 exposants pour les 55 000 visiteurs de la World Maker Faire le week-end dernier, un maire de New York qui qualifie officiellement la semaine de “Maker Week” : le mouvement maker était plus que jamais à l’honneur ces derniers jours.

Avec lui, trois grandes thématiques :

- communauté : la plupart des projets présentés à Maker Faire ou à l’Open Hardware Summit sont des œuvres collectives et qui continuent de bénéficier de la communauté.

Fête le vous-même !

Fête le vous-même !

Sur le modèle des Maker Faire, ces grands rassemblements dédiés au do it yourself, version moderne du bricolage de nos ...

- innovation : le maitre-mot de l’ensemble des participants. La créativité du mouvement maker est maintenant structuré par des opportunités commerciales. On passe d’un moment où l’invention était reine à un écosystème capable d’apporter des innovations. MakerBot, leader de l’impression 3D personnelle, en est un exemple phare ; passée d’un bricolage entre amis à un produit grand public.

- accès au savoir : le nombre d’ateliers Do-It-Yourself proposés à la World Maker Faire cette année était hors proportion. Accompagnée d’une pratique de plus en plus formalisée d’accès à la documentation des projets hardware, le partage du savoir à tous les curieux continue de motiver quasiment l’ensemble des initiatives.

Ces trois thèmes récurrents convergent tous vers un mouvement Open Hardware en pleine structuration. L’Open Hardware Summit a vu s’enchainer conférences et présentations du cœur de la communauté venue des quatre coins des États-Unis. Trois grands défis se profilent pour l’année à venir.

Se définir

L’Open Source Hardware en est encore à une phase de définition. Pas encore d’organisation porte-voix officielle, pas encore de licences spécifiques à l’hardware, pas encore de cadre législatif ni de formalisation des pratiques. Le terrain est en pleine construction. Et l’enthousiasme et les débats qui vont avec.

Côté porte-voix, l’Open Hardware Association (ou OSHWA) est en passe de devenir l’organe rassembleur, avec à son bo(a)rd quelques acteurs très actifs du domaine comme Alicia Gibb qui consacre entièrement son temps au projet depuis la fin de Bug Labs, Catarina Mota co-fondatrice d’Open Material, Nathan Seidle CEO de SparkFun ou encore Windell Oskay, co-fondateur d’Evil Mad Scientist Laboratories. L’association aura un statut de non-profit organisation (sans but lucratif), et les adhésions sont déjà ouvertes.

En plus de l’organisation du Summit 2012, OSHWA vient de produire cette vidéo, qui tente une première définition, plutôt vague, de ce qu’est l’Open Hardware :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

David Carrier de Parallax, considère qu’un produit est Open Hardware dès lors qu’il :

- ne restreint pas l’usage
- comporte une licence de design ouverte et qui inclut les fichiers nécessaires à la reproduction de l’objet
- se soustrait perpétuellement des droits d’utilisation d’un brevet
- ne restreint pas le reverse engineering

Certains participants proposent de prendre aussi en compte dans la définition la facilité d’accès aux machines nécessaires à la reproduction de l’objet. Est-ce qu’on peut toujours parler d’Open Hardware lorsqu’un objet ne peut être reproduit qu’avec des machines industrielles couteuses et compliquées d’accès ?

Il est apparu clairement que l’Open Hardware devait répondre à ses règles propres, en se démarquant en partie du monde du logiciel libre.

Les différents niveaux d’ouverture pris en compte par le label Open Hardware devront prendre les questions suivantes :

- Comment limiter la copies conforme tout en restant ouvert ?
- L’ouverture s’arrête-t-elle à la documentation ou comprend-t-elle aussi la mise à disposition des outils de fabrication ou tout du moins la prise en compte de l’écosystème de fabrication ?
- Parlons-t-on encore d’Open Source hardware lorsque la documentation est partielle ou au contraire trop complexe ?

“Un business d’un milliard de dollars”

Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired et co-fondateur de DIY drones, a débuté son intervention par une phrase qui donne le ton général des espoirs du mouvement :

Quelqu’un dans la salle va construire un business d’un milliard de dollars.

Les sites de financement collaboratif de type Kickstarter ont été mentionnés maintes et maintes fois, aussi bien au Summit qu’à Maker Faire. Ils sont présentés comme la solution révolutionnaire pour tester une idée de business et pré-lancer son produit tout en limitant les risques. Les projets Open Hardware emblématiques se sont multipliés ces derniers mois, des 830 827 dollars levés par Printrbot en décembre dernier au récent Form 1 par Formlabs qui a déjà récolté plus d’un 1,6 million de dollars 21 jours avant la fin de sa campagne.

L’impression 3D vend son âme

L’impression 3D vend son âme

Le fabricant d'imprimante 3D grand public MakerBot incarnait la possibilité d'un business model basé sur l'open ...

Alors qu’il y a deux ans Dale Dougherty défendait encore l’idée qu’un maker crée simplement pour son plaisir, la World Maker Faire de cette année tend à affirmer le contraire. Le 3D Printing Village a attiré toute l’attention : avalanche de jeunes entreprises qui proposent des imprimantes 3D personnelles moins chères, plus compactes (Printrbot), plus rapides (Ultimaker, MakerBot Replicator 2) ou plus spécialisées. Le petit nouveau issu de Kickstarter, Formlabs, est le premier à proposer une imprimante à stéréolitographie à bas prix pour professionnels.

L’ambition est bien présente, mais la question du passage à l’échelle se pose rapidement. MakerBot qui faisait jusqu’ici figure exemplaire du mouvement rencontre des difficultés à maintenir un modèle entièrement ouvert. L’intervention du co-fondateur de MakerBot, Bre Pettis, était fortement attendue, pour comprendre si la start-up new-yorkaise avait “vendu son âme”.

Visiblement touché d’être la cible de critiques de ses pairs, Bre a rappelé l’ambition grand public de MakerBot : “notre but depuis le début : une imprimante 3D pour tout le monde, aussi facile à utiliser que possible. Tout ceux qui ont participé à l’aventure savent que c’est une victoire pour l’Open Hardware.” Il a mis en avant une des ambiguïtés principales du modèle économique de l’Open Hardware : oui, le produit s’améliore plus vite et en grande partie grâce au travail de la communauté, mais c’est bien sûr aussi la porte ouverte aux mauvaises copies vendues moitié prix.

Nous l’autorisons [la copie] mais ça ne veux pas dire que nous aimons ça.

a reconnu Bre Pettis qui présente les restrictions faites à la nouvelle machine comme des solutions pour permettre l’innovation par la communauté tout en limitant les copies conformes. L’interface graphique du logiciel MakerWare et la documentation du design de la Replicator 2 sont désormais propriétaires, mais le reste est ouvert (logiciel, firmware, extrudeur…).

La question se pose nettement moins pour les entreprises Open Hardware du secteur éducatif.

Flexibilité et simplicité

S’il fallait résumer la Maker’s Week à deux mots-clés, répétés interventions après interventions, stands après stands, ce sont bien flexibilité et simplicité.

World Maker Faire 2012 (cc)Jabella

Comme l’ont rappelé Paulo Blikstein de Fablab@School, David Carrier de Parallax, Ayah Bdeir de littleBits.cc ou le lobbyiste Michael Weinberg, l’atout majeur de l’Open Hardware est sa capacité à simplifier et à rendre accessible et compréhensible les technologies qui nous entourent.

Les outils du fab lab changent la façon dont on voit le monde.

Les petits bidouilleurs en open source

Les petits bidouilleurs en open source

Ce jeudi, deux enfants très partageurs ont donné une conférence à l'Open Hardware Summit à New York sur les ...

C’est ce que soulignait Paul Blikstein en montrant une étude réalisée à l’issue de la classe de physique menée dans un des Fablab@School. Les adolescents qui avaient suivi la classe avaient une confiance en leur propre créativité bien plus élevées que ceux qui n’y étaient pas. La tendance était encore plus forte pour les filles, qui rattrapaient quasiment les garçons dans leur confiance à comprendre et créer.

Les questionnements autour de la propriété intellectuelle n’ont pas été la priorité de cette année, la stratégie générale étant pour l’instant de faire et voir ce qui se passe. L’Open Hardware est dans une phase d’expérimentation.

Lors de son intervention à Maker Faire, Bre Pettis a été jusqu’à détailler les stratégies de contournement que MakerBot a employé jusqu’ici pour éviter les interdictions : il ne prononce par exemple jamais le terme FDM (Fused Deposition Modeling) pour parler de la technique d’impression utilisée par les MakerBot (marque déposée par Stratasys).

Le lien avec la communauté

Le grand challenge de l’Open Hardware est pour l’instant de montrer de quoi il est capable en terme de business. Les marques emblématiques du mouvement que sont Make Magazine, Arduino, Adafruit Industries ou encore SparkFun comportent dans leur essence même l’identité Open Source, comme l’a souligné dans son intervention longuement applaudie Marco Perry, de l’agence de design Pensa. Ces marques sont aimées parce qu’elles ont de réelles communautés.

Flexibilité, simplicité et… fun bien sûr. Réunir plusieurs milliers de makers à New York pendant une semaine ne va pas sans une bonne dose de fun et de hacks. Faites un coucou à la caméra moustache de Jason Kridner.

Camera moustache de John Kridner - (Matt Richardson, MAKE Magazine)


Photos de (cc-by) jabellavia flickr et (cc) Matt Richardson via Mathilde Berchon.

Mathilde Berchon vit à San Francisco d’où elle couvre le mouvement Open Hardware sur MakingSociety.com

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Hacker qui bat http://owni.fr/2012/02/06/mitch-altman-hacker-qui-bat/ http://owni.fr/2012/02/06/mitch-altman-hacker-qui-bat/#comments Mon, 06 Feb 2012 10:07:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=96851 hackerspaces, Mitch Altman incarne comme personne la Freeculture. ]]>

Mitch Altman au Chaos Communication Camp, Berlin, Août 2011

Quand il était petit, Mitch Altman ne s’aimait pas. Trop geek introverti, trop moche, trop queer. Aujourd’hui, la première chose qui frappe, c’est la sérénité qui se dégage de l’homme. Mitch est désormais une figure respectée du milieu hacker, ces bidouilleurs qui font un usage créatif des technologies. En accord avec lui-même, sûr de sa voie, qu’il trace en voyageant, en partageant infatigablement. Il était cette semaine à Rennes à Jardin numérique, où son improbable coiffure, mélange de Léo Ferré et de Nina Hagen, n’a pas effrayé les enfants qui ont participé à ses ateliers de soudure.

Dépression au-dessus du berceau

Avant d’afficher son beau visage confiant, Mitch Altman est passé par une longue période difficile. Chez les hackers, le partage est une notion centrale, alors aujourd’hui encore, Mitch parle de cette douloureuse expérience. Pas par narcissisme morbide . Suite au suicide de son ami Ilya Zhitomirskiy, un des fondateurs du réseau social libre Diaspora, il a lancé un appel. White hat, grey hat, black hat et blue hackers :

J’ai vécu la première partie de ma vie dans une profonde et totale dépression. Pas de joie, juste de la honte, de la haine de moi-même, de l’angoisse, de l’anxiété et de la peur des autres gens – une dépression profonde. Je sais ce que c’est qu’être dépressif. Je sais ce que c’est que de vivre en sachant et en croyant que le mieux que la vie puisse m’offrir, c’est la capacité de subir la douleur jusqu’à ce que je meure.  C’était la meilleure possibilité. Comme Ilya, je l’ai caché au monde du mieux que j’ai pu. Et la plupart des gens n’avaient aucune idée que j’étais dépressif.

“Beaucoup le connaissent comme le gourou de la soudure, mais il est aussi chaleureux et de façon tardive un porte-parole pour les gens qui se battent avec leur mal de vivre. La scène hacker est assez macho”, résume Koen Martens, hacker néerlandais qui a partagé avec Mitch une homosexualité difficile à vivre au début.

La solution à son mal de vivre, Mitch a mis des années à la trouver : vivre une vie qu’il aimait et donc vivre de ce qu’il aime, conformément à l’éthique hacker décrite par Pekka Himanen. Et celle passé par des choix, quitte à se tromper, encore un précepte fort chez les hackers : apprendre de ses erreurs. Son premier grand choix sera… d’éteindre la télévision à dix-neuf ans.

Je me suis rendue compte qu’en fait je ne l’aimais pas ! Et pourtant je la regardais des heures et des heures chaque jour. Alors je l’ai quitté. Subitement la vie est devenue différente. J’ai passé beaucoup d’heures plus déprimé. Mais aussi à la contempler. Ce fut vraiment difficile à gérer à l’époque, tous ces sentiments qui surgissaient, mais c’est ce qui se passe quand on renonce à une addiction.

La télé pourrit la vie, et il aimerait aider ses concitoyens à s’en débarrasser. Ce sera la TV-B-Gone, télécommande universelle avec un seul bouton, pour éteindre la machine infernale, créé en 2004. Des journalistes de Gizmodo l’utiliseront sans limite lors du Consumer electronic show (CES), ode annuelle à l’électronique où les écrans sont légion. La plaisanterie leur vaudra d’en être bannis. Aujourd’hui, cet outil à hacker les médias permet encore à Mitch de vivre. Et ne croyez pas qu’il a remplacé cette addiction pour une autre, l’Internet : il préfère s’en tenir éloigné dans la mesure du possible et se concentrer sur ce qui a fait sa réputation, le hack du hardware, c’est-à-dire des objets physiques.

“Je n’ai pas peur de me regarder en entier”

En pleine thèse d’électronique , nouveau sursaut, l’école l’ennuie. Il part voyager autour du monde et rencontrer des gens dont il se sent proche. Il finira par atterrir en Alaska, où il se réconciliera avec la joie de vivre. Après avoir annoncé à sa chef qu’il démissionne de son gagne-pain dans une usine d’assemblage de matériels de pêche.

Dans son cocktail gagnant, il faut ajouter des amis qui l’acceptent tel qu’il est – de vrais amis quoi-, une poignée d’antidépresseurs et une bonne dose de yoga, un point commun qu’il partage avec son compatriote John Gilmore, co-fondateur de l’Electronic frontier foundation (EFF), première association de défense des libertés numériques, créée en 1990 :

Je médite depuis que j’ai treize ans. Au début, je le faisais pour les mauvaises raisons. Je le faisais pour essayer et me “réparer” et bien sûr cela a fini par faire des noeuds dans mon pauvre esprit de treize ans. Maintenant, j’accepte tous les aspects de ma personne, même celles qui craignent. Je n’ai pas peur de me regarder en entier.

Réalité virtuelle dans la Silicon Valley

Après le grand froid, il repart aux États-Unis et s’installe à San Francisco, où il vit encore aujourd’hui. Hasard des connexions, il rencontre quelqu’un qui travaille dans ce qu’il appelle la “Silly valley” et fonde avec lui une start-up dans la réalité virtuelle, pionnier sans le savoir dans ce domaine en pleine expansion aujourd’hui. L’expérience est aussi fatigante qu’heureuse, à travailler avec des gens qu’ils aiment, dans une ambiance pleine de créativité, encore une notion clé de notre hacker.

Il finira par démissionner pour des questions éthiques : les militaires commencent à s’intéresser à la réalité virtuelle pour concevoir des simulateurs. Il apprend alors les joies lucratives du conseil, qui lui permet de travailler un peu et de faire ce qui lui plait le reste du temps. Mais ce mode de vie finit par lui laisser un sentiment d’insatisfaction.

Pas plus satisfaisante sera son aventure dans la société qu’il co-fonde en 1997, 3ware, toujours dans l’électronique. “Le pire boulot de ma vie”. Quand la boîte est revendue, pour 150 millions de dollars, il empoche 60 000 dollars et achète de quoi fabriquer 20 000 TV-B-Gone.

Bre Pettis, hacker connu pour avoir créé l

Je voulais plus qu’une vie OK, je voulais une vie que j’aime à fond (I wanted a life I totally fucking love), même si cela signifiait ne pas gagner d’argent du tout, afin d’avoir le temps découvrir les choses que j’aime vraiment. C’est ce qui finalement m’a conduit à fabriquer, produire et vendre TV-B-Gone. Ce qui a été le début d’une nouvelle étape de ma vie.”

Il crée donc une nouvelle société, Cornfield Electronics, qui sera la bonne.
L’intégrité qui l’a poussé à démissionner ne l’a pas quittée, alors que certains mettent de l’eau dans leur vin, pour des raisons variées, où la gloire et/ou l’argent ont leur part : Mudge, star du hackerspace L0pht rejoignant Darpa, l’agence de recherche et développement du département américain de la Défense, pour prévenir des WikiLeaks bis, grandes entreprises faisant leur marché lors de DefCon, un des grands raouts annuels de hackers.

Si les gens font d’abord cela pour de l’argent, ce n’est pas un choix très sage de leur part. Je ne m’autoriserais pas à dire à qui que ce soit ce qu’il doit faire ou pas. Mais j’aime encourager les gens à réfléchir à leurs motivations et à ce qu’ils aimeraient faire et le faire vraiment.

Récemment, il a écrit à Make magazine, le magazine de la communauté des makers (bricoleurs), avec qui il collabore de longue date :

je leur ai dit que je ne pourrais pas continuer de collaborer avec eux à Maker Faire car ils ont accepté une bourse de la Darpa. C’est une organisation fantastique qui a fait des choses géniales pour moi et plein d’autres gens, et continuera de le faire, mais je trouve extrêmement fâcheux qu’ils acceptent de l’argent de la Darpa. Ils n’ont pas besoin de cet argent. Ils en ont assez de la part de gens qui ont des motivations très fortes pour les aider.

Soudure avec les enfants

Sa société lui laisse donc le temps de voyager beaucoup, au point qu’il a conçu un passeport hacker, qu’il a tamponné abondamment. À Rennes, aux côtés de John Lejeune de Hackable devices, les pionniers français de l’open hardware, il a transmis son savoir. “Hey Mitch can you help me la patte ?” (à lire avec un accent à trancher au couteau), interroge Emmanuel, un jeune homme membre de l’association d’éducation populaire scientifique Les petits débrouillards. “Le patte say la plus long positive… “ (accent tout aussi épais). Mais ce n’était pas un problème de polarité mais de patte mal logée dans le circuit. Mitch lui refile son astuce : il ne suffit pas de chauffer la patte en la poussant, il faut aussi rajouter du fil d’étain pour que la chaleur soit conduite plus vite.

Quand il n’est pas en déplacement, soit une petite moitié de l’année, il partage aussi son savoir-faire en électronique à Noisebridge, le hackerspace de San Francisco qu’il a co-fondé en 2008 avec Jacob Appelbaum, figure du logiciel libre et un des artisans du projet TOR, qui vise à naviguer de façon sécurisée et confidentielle sur Internet.

À Noisebridge, on y soude tous en rond.

L’utopie au pouvoir

Mitch est super cool, Mitch n’a pas d’ennemis, Mitch vit de ce qu’il aime mais Mitch peut aussi passer pour un geek utopique petit blanc. Il pense sincèrement que tout le monde peut atteindre cet équilibre, en injectant une dose de décroissance qui n’aurait pas déplu à Aristote et ses besoins non utiles et non nécessaires. Sans tomber dans le discours Bisounours :

Malheureusement, tout le monde n’a pas tant d’opportunités disponibles, c’est même plutôt le contraire, avec les guerres, les dictatures, les gens pauvres, l’absence de structures… Afin d’avoir une vie que vous aimez, il faut adopter un mode de vie basique, avec les besoins nécessaires de tout animal sur Terre (abri, nourriture). Tout le monde n’a pas ces choses basiques. Par nature, nous sommes des animaux sociaux. Nous avons besoin les uns des autres non seulement pour survivre mais pour nous développer. Pour aimer quelque chose, nous avons besoin d’amis, nous avons besoin des gens que nous aimons.

Et bien sûr, les hackers ont un rôle à jouer, éminemment politique au sens noble. Fidèle à la doocracy des hackers, faire plutôt que dire, il s’est ainsi rendu en Egypte cet automne à l’occasion de Maker Faire Africa, lançant un appel au développement des hackerspaces en Afrique. La valise pleine de fers à souder bien sûr, qui ont chauffé sec. Et rebelote en avril, direction la Chine. Il n’est pas inquiet que l’État soit derrière certaines initiatives : “j’espère que le gouvernement chinois se hackera lui-même.”


Vous pourrez rencontrer Mitch Altman à Paris la semaine prochaine :

- le mardi 7 février : atelier Arduino pour les débutants, organisé par Fabelier au CRI de 19 heures à 22 heures.

- le mercredi 8 février : projection-débat sur l’artivisme et le médiactivisme, organisée par l’association des citoyens cyber-journaliste à la Maison des Associations du 14ème arrondissement


Photos par Bre Pettis/Flickr (nc by) et maltman23/Flickr (by sa)
Portraits de Mitch Altman par Ophelia Noor pour Owni et Alexander Klink/WikimediaCommons (CC-by)

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