OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Traqués en Libye http://owni.fr/2012/03/14/alibi-de-libye/ http://owni.fr/2012/03/14/alibi-de-libye/#comments Wed, 14 Mar 2012 07:43:38 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=101845

La plus redoutable des armes, ici, c’est cet ordinateur“. Pourquoi ? Parce que “celui qui prend des photos, et les envoie sur Internet, est plus dangereux que celui qui possède un fusil.

“Traqués : enquête sur les marchands d’armes numériques”, le très bon documentaire de la société de production Premières lignes qui sera diffusé sur Canal Plus ce mercredi 14 mars 2012 à 23H15 (entre autres rediffusions), met les pieds dans le plat. Une enquête au long cours, à laquelle nous sommes fiers d’avoir été associés.

Menée par le journaliste Paul Moreira, elle permet de découvrir comment des journalistes, écrivains et blogueurs libyens ont été incarcérés et torturés par les nervis de Kadhafi, grâce au système Eagle, conçus par Amesys, un marchand d’armes français. Extrait :

La France a certes, en 2011, notablement contribué à libérer la Libye. Mais ses journalistes, écrivains et blogueurs libyens n’auraient jamais pu être incarcérés et torturés si, au cours des années précédentes, la société française Amesys – avec l’aval de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et avec Ziad Takieddine pour intermédiaire – n’avait vendu des systèmes de surveillance à Kadhafi, au nom de la “lutte contre le terrorisme“.

La semaine dernière, le service communication de Bull, qui a racheté Amesys en 2010, cherchait désespérément à contacter Paul Moreira pour lui annoncer que leur groupe venait finalement de décider de se séparer d’Eagle, au motif, d’après Philippe Vannier, président d’Amesys devenu celui de Bull, que ce produit pesait “moins de 0,5% du chiffre d’affaires du groupe“, et qu’il n’était plus ni “stratégique (ni) significatif pour nous“.

OWNI publiera demain un livre consacré à ce scandale, avec de nouvelles preuves de l’implication “personnelle” de Claude Guéant, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy dans ce projet de “surveillance massive” de l’Internet libyen. Pensé et conçu par les services de renseignement français comme un “test” susceptible d’être déployé ailleurs. En attendant, les témoignages recueillis par Premières lignes, et dont la société a mis en ligne sur le site de Canal Plus quatre extraits en versions longues, sont édifiants.

On y voit notamment les trois journalistes, écrivains et blogueurs irakiens arrêtés et incarcérés par les services de sécurité de Kadhafi expliquer comment ils ont été mis dans l’impossibilité de nier ce qui leur était reproché, leurs geôliers disposant de tous leurs emails, SMS et contacts. Leurs crimes : avoir discuté, par mail ou téléphone, de tracts à distribuer, de photos et vidéos à mettre en ligne, ou encore d’être “en contact avec l’étranger“. Leurs témoignages font froid dans le dos.

Jalal Al Kwasi raconte ainsi comment il a été torturé, frappé de “coups de pied et de barre de fer“, une capuche sur la tête, les mains “très serrées“. Pour Ataf Al Atrach, “il y avait des ordres clairs : il fallait exécuter tous ceux qui résistaient avec leur fusil ou avec leur plume“, parce que “le mot internet était devenu synonyme de danger pour Kadhafi“, explique Habib Al Amin :

“Tu es un traître. Les traître, on les tue”. Je lui ai répondu que j’étais écrivain et blogueur. Il m’a dit : “tu as mis de l’huile sur le feu sur internet et le chaos dans le pays”. Je lui ai dit “si tu as des preuves montre les”. Il m’a dit “oui j’ai des preuves”. Et il a apporté les preuves. Des emails, des écoutes téléphoniques, des textos, tous les noms des gens avec qui j’étais en contact.

Malheureusement“, renchérit Al Amin les entreprises qui ont permis aux services de renseignement de Kadhafi d’espionner les Libyens “sont occidentales“. Et s’ils ont été arrêtés, c’est parce qu’une entreprise française, Amesys, avait vendu à Kadhafi son système Eagle de surveillance de l’internet :

Kadhafi nous a tué, torturé, emprisonné. Vous l’avez aidé à accéder à notre vie privée. Vous avez facilité les arrestations et les exécutions.
C’est une honte, c’est immoral, inhumain que ces entreprises fonctionnent toujours, qu’elles ne se soient pas excusées.


Outre ses rencontres avec les Libyens incarcérés, on y voit aussi Bruno Samtmann, le responsable défense d’Amesys qui, il y a quelques mois, avait expliqué que son “produit” avait été “imaginé pour chasser le pédophile, le terroriste, le narcotrafiquant“. Maintenant, il estime que son logiciel espion aurait été “détourné” de sa finalité.

À l’occasion de la publication des SpyFiles, en partenariat avec WikiLeaks,sur les marchands d’armes de surveillance numérique, OWNI venait de révéler que les adresses emails d’une dizaine de figure historique de l’opposition libyenne, dont plusieurs vivaient en exil en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, figuraient dans le mode d’emploi d’Eagle, rédigé par un employé d’Amesys.

Interrogé par Moreira, Samtmann cherche à relativiser sa responsabilité, à jouer sur les mots, en expliquant qu’Amesys n’a pas vendu à Kadhafi de systèmes d’”écoute“… jusqu’à ce que le journaliste lui montre la proposition de contrat portant sur un système d’écoute GSM.

Cette proposition de contrat, que nous publierons demain, avec une vingtaine d’autres documents inédits, révèle comment le marché a été négocié par Ziad Takieddine, avec le soutien de Claude Guéant et Brice Hortefeux, afin de répondre à la volonté conjointe de Nicolas Sarkozy et de Mouammar Kadhafi de développer des accords “sécuritaires” communs.

Interrogé par Paul Moreira sur le fait qu’Abdallah Senoussi, son “client“, et donneur d’ordres, responsable des services de renseignement de Kadhafi, avait été condamné à la prison à perpétuité par la justice française pour son implication dans l’attentat du DC-10 de l’UTA, qui avait fait 170 morts, dont 54 Français, Bruno Samtmann, qui expliquait sur France Télévision avoir conçu Eagle pour traquer les terroristes, répond à Canal+ que “moi et la politique, ça fait deux“…

Le technicien d’Amesys explique, de son côté, qu’Eagle était “une opération typique, commandée par les services extérieurs français avec les services locaux, et l’industriel qui vient faire l’opération apporte la technologie, mais derrière y’a un gros encadrement par les services extérieurs :

Derrière, y’a des ententes entre pays et services extérieurs, et donc entre la DGSE, le bras armé de la France pour exporter le savoir-faire stratégique et donc aussi éventuellement mettre en place des opérations, parce que ça pouvait aussi nous intéresser de récupérer des informations en Libye; mais la réalité c’était que c’était aussi un peu un ban d’essai grandeur nature, sous contrat, pour valider sur le terrain un concept : l’interception massive.

Sur le marché y’a des sociétés qui se battent pour faire des interceptions, et le différentiateur d’Amesys c’était de dire : nous, on prend tout. Et la Libye c’était un des rares clients à dire : “nous, on est interessé par ce concept-là”.


Interrogé par Moreira pour savoir qui, des Français ou des Libyens, a eu le premier l’idée de concevoir ce système de surveillance de l’Internet, “à l’échelle d’une nation“, Ziad Takieddine présente Claude Guéant comme l’”homologue” d’Abdallah Senoussi, et explique que c’était une volonté des deux pays “dans le cadre des accords sécuritaires” entre la France et la Libye :

Demain, OWNI Éditions publiera donc une vingtaine de documents inédits démontrant l’implication de Claude Guéant, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy dans ce contrat, à l’occasion de la publication d’un livre numérique consacré à l’histoire de ce scandale. Stay tuned… Bull voudrait nous faire croire que le problème est règlé, mais l’histoire ne fait que commencer.


Photographies via Premières Lignes TV [PLTV] © tous droits réservés
Image de couverture par Ophelia Noor pour Owni à partir des images de PLTV.FR

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