OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Nathalie Kosciusko-Morizet cachotière sur sa famille http://owni.fr/2011/05/20/nathalie-kosciusko-morizet-cachotiere-sur-sa-famille/ http://owni.fr/2011/05/20/nathalie-kosciusko-morizet-cachotiere-sur-sa-famille/#comments Fri, 20 May 2011 13:39:18 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=63535 Quand il s’est agi de répondre à la demande de François Fillon formulée le 16 mars de rédiger sa déclaration d’intérêts de ministre, Nathalie Kosciusko-Morizet n’avait guère à s’inquiéter du mélange des genres avec le privé : cette polytechnicienne (promotion 1992) n’a passé que quelques mois dans le privé, chez Alstom, durant l’année 2001, pour un poste de chargée de mission auprès du directeur de la stratégie. Mais, si elle a scrupuleusement rempli les cases correspondants à ses fonctions politiques et publiques antérieures, le « NEANT » reporté dans la section « Autres intérêts, notamment familiaux » semble un peu surestimé vu les carrières de son époux et de son frère.

Un mari capricieux avec les éditeurs et pistonné par l’Elysée chez les agriculteurs

Marié depuis le 19 juillet 2003 à NKM, Jean-Pierre Philippe s’est illustré par bien d’autres fonctions que son statut de professeur au Conservatoire national des arts et métiers de Paris. Il est ainsi titulaire, selon les statuts fondateurs, de 499 parts sur 500 d’une société de conseil aux entreprises nommée Sagitta 01, dont Andrée Tramza (sa mère) possède la 500e part. Laquelle société est domiciliée au 27, rue du docteur Darier, à Longpont-sur-Orge, adresse qu’elle partage avec Guy Malherbe… ancien suppléant de Nathalie Kosciusko-Morizet, ayant pris sa place à l’Assemblée nationale quand elle fut nommée au gouvernement par François Fillon en 2007, et qui y tient sa permanence pour la 4e circonscription des Yvelines.

Selon une enquête de nos confrères de l’Express.fr, c’est depuis un téléphone portable appartenant à cette société que Jean-Pierre Philippe aurait envoyé des SMS menaçants à l’éditeur Marc Grinsztajn en janvier 2010 : travaillant à la publication d’un livre chez Panama, il aurait très mal pris que son contact à la maison d’édition refuse les coupes suggérées par sa ministre de femme, portant notamment sur leur couple ainsi que sur les relations de NKM avec Valérie Pécresse. Trois semaines après s’être brouillé, Jean-Pierre Philippe aurait envoyé un SMS brutal à l’éditeur :

On ne pourra pas dire que vous vous serez bien comporter (sic) Evitez de me croiser au risque que cela tourne mal pour vous.

Après dépôt de plainte et enquête, c’est Jean-Pierre Philippe lui-même qui avait décroché au téléphone incriminé quand les policiers ont recomposé le numéro… puis laissé l’éditeur sans nouvelle et le manuscrit dans un tiroir.

Désormais, c’est à la Caisse centrale de mutualité sociale agricole que Jean-Pierre Philippe sème le malaise. Selon le service politique du Nouvel Observateur, l’Elysée aurait fait du forcing pour imposer sa nomination au poste de directeur général de cet organisme de gestion des caisses de retraites placées sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Peu familier de ce secteur, le mari de NKM aurait été défendu par le président de la CCMSA par un peu convaincant : « un énarque, par définition, ça sait tout faire. »

Le fonds du frère abondé par des organismes publics

Autre personne qui aurait mérité d’apparaître dans la case « Autres intérêts, notamment familiaux », Pierre Kosciusko-Morizet, alias PKM. Si le mandat de président de l’Association de l’économie numérique (Acsel) et le rapport qui lui a été commandé par Eric Besson pour le Conseil national du numérique ne causent guère d’interférence avec les fonctions ministérielles de sa soeur, l’actionnariat de son fonds d’investissement Isai semble plus sujet à caution : selon le site du fonds, la Caisse des dépôts et consignations, par sa société de gestion CDC entreprises, et le Fonds d’investissement stratégique ont abondé le nouveau projet de PKM. Lesquels organismes financiers sont tous deux placés sous l’autorité du Premier ministre, patron de NKM.

Quant à ses réseaux, Nathalie Kosciusko-Morizet ne fait aucune mention de sa participation au think tank « Action durable novatrice », ou ADN, une fondation présidée par Jean-Louis Vullierme, PDG d’Agest France (société informatique) et universitaire. Parmi ses membres, Serge Villepelet, président du cabinet d’audit et de conseil Price Waterhouse Cooper France, Mercedes Erra, présidente exécutive d’EuroRSCG Worldwide, présidente d’Euro RSCG France, Fondatrice de BETC Euro RSCG et directrice générale d’Havas, et l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres.


Photo CC Olivier Ezratty.

Retrouvez le premier épisode de notre série, Frédéric Lefebvre dissimule ses intérêts, et l’intégralité de notre série de vérifications des déclarations d’intérêts des ministres du gouvernement.

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L’Élysée drague le numérique http://owni.fr/2011/04/27/cnn-une-utopie-seduisante/ http://owni.fr/2011/04/27/cnn-une-utopie-seduisante/#comments Wed, 27 Apr 2011 10:39:27 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=59286 Avertissement : contrairement aux Labs d’Hadopi, nous n’avons pas fait d’article en police de caractères Comic Sans MS sur le CNN : Nicolas Voisin, directeur de la publication d’OWNI, a en effet accepté d’y siéger. Il s’en explique dans “Hack the CNN”. La rédaction reste entièrement attachée à l’esprit d’indépendance qui la caractérise et tâchera, comme elle l’a toujours fait, de réaliser son travail dans une exigence de transparence et de rigueur. Bien à vous. /-)

Le dernier hybride politico-numérique est né ! Enfin presque, la gestation du CNN, acronyme aux accents anglophones pour “Conseil National du numérique”, arrive tout juste à terme, son officialisation devant s’opérer ce jour, à l’Élysée, aux alentours de midi.

Sur Internet, les commentateurs n’ont évidemment pas attendu le Palais pour se livrer à une inspection en règle du futur comité, dont la liste, comptant -pour le moment- 18 personnalités du réseau français, a déjà été détaillée sur de nombreux sites. Parmi elles, avant tout des “entreprenautes” (comprenez par là des gens qui sont et entrepreneurs, et sur Internet) tel le trio de “business angels” Marc Simoncini (Meetic), Xavier Niel (Free, entre autres) ou Gilles Babinet (le format musical MXP4) , des opérateurs (la brochette SFR, Orange, Bouygues, Free étant a priori présente) et des éditeurs de logiciels (Avanquest, Cegid).

La liste présentée par PCINpact le 23 avril dernier

”Afficher et assumer” l’orientation économique

L’orientation est donc particulièrement industrielle, tant dans la sélection du casting que dans les thèmes qui semblent se profiler. Lors d’un petit-déjeuner à l’Élysée il y a cinq jours, durant lequel Nicolas Sarkozy s’est entretenu avec les candidats pressentis à la nomination au CNN, il semblerait que les discussions aient été dominées par des sujets exclusivement économiques. Face aux tentatives de certains d’aborder le concept de neutralité du net, le président aurait ainsi opposé un “connais pas” malheureux, quelques jours après la publication d’un rapport sur le sujet, notamment mené par la député Laure de la Raudière, également Secrétaire nationale en charge des nouveaux médias et du numérique au sein de l’UMP…

On nous reproche que le CNN soit trop industriel. Moi à l’inverse je valorise que cela soit axé entrepreneurs.

Pour Gilles Babinet, l’axe économique est intéressant dans la mesure où “jusque là, le niveau auquel les politiques ont placé Internet en France est lamentable.”

Tous ne sont pas aussi enthousiastes. Laure de la Raudière, dont la présence au sein du comité a également été évoquée, estime ainsi qu’en l’état, ”la liste dessine finalement davantage un conseil national de l’économie numérique.”

Ce n’est pas forcément une mauvaise idée en soi. Faire de la France un leader de l’économie numérique est une bonne chose. Mais il faut l’afficher et l’assumer.

La solution préconisée par certains est l’adoption du titre de “Conseil national de l’économie numérique” : une façon de ne pas avancer masqué et de coller à une représentativité finalement tronquée.

”Dès qu’on parle de quatre opérateurs, forcément, ça fait peur”

Mais plus que la cohorte des “anges du business”, c’est bien la présence des quatre gros opérateurs qui pose problème. ”Forcément, concède Laure de la Raudière, ça fait peur.” Pierre Kosciusko-Morizet, dont la réflexion a servi de socle à la constitution du CNN, regrette la sur-représentativité de ces grands groupes :

On leur donne bien trop de poids, ce qui n’est pas nécessaire. Il s’agit de très grosses sociétés, avec d’importants moyens de lobbying et un poids considérable dans le numérique.

Ce nouveau comité serait ainsi un porte-voix supplémentaire accordé à ces géants français des telco. Surprenant quand on sait que Nicolas Sarkozy soutenait le discours inverse dans le cas des majors, qui n’ont pas été conviées à la fête. “Ils ont déjà [mon] oreille” aurait il ainsi déclaré lors du brunch élyséen.

“Il est important de s’assurer que les autres membres sauront dire “non” s’ils essayent d’orienter le débat”, reprend PKM. Eviter que les telco ne phagocytent -encore?- cette instance de réflexion, tel est l’objectif que semble devoir se fixer les autres membres du CNN. ”Et ce n’est pas toujours évident quand on est une start-up et que l’on veut un certain trafic. Il est toujours valorisant de se voir en home d’Orange”, observe PKM.

Adieu monsieur l’internaute ?

Pour le président de PriceMinister, cette crainte est doublée d’un deuxième regret : celle de ne voir figurer aucun représentant des consommateurs au sein du CNN, ce qui avait pourtant été suggéré par le document de travail. S’il concède que les utilisateurs seront éventuellement consultés, ce qui fera ”peut-être l’affaire”, PKM prévient :

Il faut absolument écouter les consommateurs car ce sont eux les utilisateurs. Ils ne sont pas seulement des empêcheurs de tourner en rond.

Pour Nicolas Sarkozy pourtant, leur absence ne tient qu’à un argument, que les principaux intéressés sauront apprécier : ”c’est pour éviter que cela tourne à la foire d’empoigne.”

Une vision “caricaturale voire insultante” selon Edouard Barreiro, chargé de mission sur les technologies de l’information à l’UFC-Que Choisir :

C’est ridicule ! L’UFC est pourtant constructive sur les questions du numérique ! Preuve en est que les opérateurs nous suivent souvent sur certains sujets ! Ici, on ne pourra rien dire. Nous ou d’autres, comme la Quadrature du Net. On va nous consulter, nous écouter bien poliment, mais au final, le CNN tirera seul les conclusions. Et ce ne sera pas la première fois.

La Quadrature a d’ailleurs aussi pris ses distances avec le CNN, son porte-parole Jérémie Zimmermann dénonçant hier sur Twitter son manque de légitimité et parlant ce jour d’un véritable “écran de fumée”.

Même son de cloche courroucé du côté du Spiil, qui représente la presse en ligne, et qui ”regrette que ne figure parmi eux aucun représentant des organisations professionnelles reconnues, ni des citoyens utilisateurs du numérique et aucun élu de la nation”, taclant au passage le directeur de la publication d’OWNI, Nicolas Voisin, unique caution médiatique du conseil des sages.

”On est en train de créer un e-Medef”, alerte Edouard Barreiro. Et de poursuivre : ”toutes les orientations prises jusqu’alors décrédibilisent le CNN, avant même sa constitution”. Et l’économiste de regretter, comme d’autres, la disparition fin 2010 du Forum des droits sur Internet, chargé, déjà, de réfléchir aux problématiques du numérique, et au sein duquel on retrouvait de nombreux membres de la société civile.

Hacker de l’intérieur

Quel intérêt alors, à une énième instance de réflexion sur Internet ? Pour certains, c’est l’occasion de défendre une vision du réseau préservé au sein d’une institution reconnue et voulue par l’État. Quelques-uns d’entre eux n’ont pas hésité par le passé à s’élever contre les options prises par le pouvoir, sur le cas emblématique d’Hadopi notamment : Nicolas Voisin, Jean-Baptiste Descroix-Vernier et, en filigrane, Xavier Niel… Mais si la perspective d’un “hack de l’intérieur” est séduisante, peut-on réellement donner de la voix dans le giron de l’Élysée ? Plus encore, le CNN n’est-il pas la caution numérique de Nicolas Sarkozy à l’approche de 2012 ?

Pierre Kosciusko-Morizet modère le propos :

Si Nicolas Sarkozy dit qu’Hadopi et Loppsi auraient été gérées différemment en présence du CNN, et si c’est sa conviction profonde, c’est une excellente nouvelle. S’il pense que le CNN est un outil de campagne, alors je pense qu’il se trompe et que des gens suffisamment indépendants qui y siègent éviteront cela.

Même discours du côté de Gilles Babinet, qui croit “en les gens autour de la table”. “Des personnes de qualité, ajoute-il, prêtes à hurler si les choses ne se font pas.” L’entrepreneur, tout comme Nicolas Voisin, se dit déjà prêt à quitter le CNN si des décisions de l’Executif à contre-courant des idées défendues par le comité venaient à être adoptées.

En attendant, Nicolas Sarkozy aurait invité les membres du CNN à grossir leurs rangs, afin d’obtenir une instance “horizontale”, dont le fonctionnement s’éloignerait de celui d’un ministère à l’Économie numérique -particulièrement critiqué par le chef de l’État. Les noms de parlementaires, comme Laure de la Raudière évoquée plus haut et le sénateur UMP Bruno Retailleau circuleraient, ainsi que ceux de personnalités du monde de la culture, jusque-là évincé du conseil. Son président, dont le choix devait initialement échoir à Nicolas Sarkozy, sera finalement élu par les représentants du CNN, dont le nombre ne devrait pas excéder 25. Un chiffre bien trop important selon PKM, qui alarme sur le risque d’inefficacité de l’institution :

C’est dommage, ça dilue la responsabilité de chacun et ça va être très difficile que tout le monde soit présent à chaque réunion. Or il faut y assister, il faut y consacrer du temps. Plus il y a du monde, plus il sera difficile que l’instance soit prise au sérieux.

Note : le titre nous a gentiment été soufflé par Muriel Marland Militello, dans son papier sur la neutralité des réseaux, qualifiée donc “d’utopie séduisante”. Une expression qui a généré une vague mémique tout à fait hilarante.

Lire les autres articles de notre dossier :

Hack the CNN /-)

Pour un Internet “neutre et universel”

Illustration Flickr Attribution jonny2love

Une Marion Boucharlat à partir de Alex No Logo, téléchargez-la /-)

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http://owni.fr/2011/04/27/cnn-une-utopie-seduisante/feed/ 24
PKM: “Faire du CNN un aiguillon de la politique numérique” http://owni.fr/2011/03/02/pkm-faire-du-cnn-un-aiguillon-de-la-politique-numerique/ http://owni.fr/2011/03/02/pkm-faire-du-cnn-un-aiguillon-de-la-politique-numerique/#comments Wed, 02 Mar 2011 07:54:49 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=49165 Voulu par Nicolas Sarkozy, chapeauté par Éric Besson, le Conseil national du numérique, bien nommé “CNN”, devrait bientôt voir le jour. Chargé de réfléchir aux orientations de ce conseil des sages du numérique, Pierre Kosciusko-Morizet, président de PriceMinister et frère de vous savez qui, a remis son rapport le 14 février dernier. Le document de travail, rendu public quelques jours plus tard -et consultable en intégralité sur PCINpact-, a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart positives, ce dont se félicite “PKM”. “En matière de numérique, a-t-il confié à OWNI, c’est difficile d’obtenir des retours enthousiastes, alors oui, nous sommes contents !”

Volonté d’indépendance, rejet de la casquette de régulateur et correction de certaines erreurs d’appréciation (dont une chiquenaude remarquée au chef de l’Etat: “l’Internet n’est pas le ‘far web’” (p. 14) ), le tout présenté sans détours ni langue de bois, ont séduit les observateurs.

Quelques doutes subsistent néanmoins, sur les valeurs et surtout l’efficacité réelle du futur Conseil, dont la création devrait être actée d’ici deux à trois semaines, indiquait il y a quelques jours le responsable juridique de PriceMinister Benoît Tabaka. Une information confirmée par PKM, qui se livre pour OWNI à une petite explication de texte.

Quelles sont les missions du CNN ?

Le CNN doit être deux choses. Tout d’abord un lieu de dialogue, le plus en amont possible. Sinon, sans consultation, il y aura nécessairement opposition et une réaction hostile aux projets de loi. Les “c’est du n’importe quoi”, les “c’est pas bon” repartiront de plus belle. Il faut sortir de cette boucle.

Il doit aussi avoir un rôle de prospective: proposer des idées pour une politique du numérique à long terme, en consultant les acteurs du secteur. Orienter la politique numérique. Le problème aujourd’hui est que bien souvent, il y a plein d’idées, des propositions sont faites, mais que chaque année et demi, le gouvernement change et que tout est bouleversé. Du coup, on ne fait rien.

Il faut se donner les moyens de regarder dans le rétroviseur, de constater ce qui a été fait ou non, de ce qui a été une réussite ou un échec. Si on revient toujours à zéro, c’est infernal ! On n’a jamais le temps de faire quoi que ce soit et ça, c’est terrible, surtout pour le numérique.

Vous insistez sur l’importance d’une consultation “systématique” du CNN “avant chaque projet de texte relatif au secteur du numérique” (p.17) ou dès que le besoin se fait sentir au Parlement. Condition d’une réussite du CNN ?

On ne peut pas obliger la  saisine du CNN. Par contre, le comité peut s’auto-saisir de certains dossiers et même en refuser certains: dans la mesure où le numérique concerne un très grand nombre de domaines, et ce de plus en plus, on ne peut pas imaginer qu’il s’occupe de chacun d’entre eux.

Après, il est vrai que si trop de dossiers importants passent sans saisine du CNN, il y aura un vrai problème.

Les réactions sont plutôt positives pour le moment. Pour beaucoup, elles saluent la distance que prend le rapport avec Eric Besson. Vous avez fait le choix de vous démarquer du ministère ?

Certains disent en effet que le rapport va complètement à l’encontre du ministre et de son plan France Numérique 2012. Je ne pense pas que ce soit aussi tranché.

En me demandant de rédiger le rapport, c’est vrai qu’Eric Besson prenait le risque de voir des avis divergents du sien. Il se doutait que je n’allait pas aller systématiquement dans son sens. Je me demandais évidemment ce qu’il allait penser du rapport, mais visiblement il a respecté mes réflexions. On ne m’a rien demandé de changer, ce que je n’aurais d’ailleurs pas fait. Eric Besson m’a remercié pour mon travail dans un communiqué, mais je n’ai pas eu d’échanges directs sur le contenu du rapport. A mon avis, le ministère est plutôt content du résultat; j’espère qu’il va le suivre.

“Le CNN n’est qu’un aiguillon de la politique numérique; son rôle n’est que consultatif”

L’indépendance du CNN reste tout de même au coeur du rapport. Pensez-vous qu’il y a un risque réel que le CNN devienne une annexe du gouvernement ?

J’ai recommandé que le CNN soit rattaché au Premier Ministre, notamment d’un point de vue financier. C’est un gage d’autonomie, ce n’est pas dirigé à l’encontre d’Eric Besson. Il y a aussi un enjeu sur le fond: Internet est un sujet transverse, il ne peut être rattaché à un seul ministère…

Après, s’il n’est pas dégagé du gouvernement, le CNN ne servira à rien. On a besoin d’une sorte de comité des sages avec des gens qui connaissent très bien le numérique. Non pas des lobbyistes, mais des acteurs dont la légitimité est reconnue, mais aussi des internautes, afin qu’ils dialoguent avec le gouvernement et le Parlement.

Le but est aussi de venir à bout de cette opposition ridicule du Parlement et du monde du numérique, jusque là impliqué bien trop tard dans les projets de loi. Forcément, le processus force l’opposition, la réticence. Cette réflexion peut mieux se passer. Un exemple: si on avait choisi ce mode de fonctionnement, on aurait évité plus tôt une absurdité comme la taxe Google.

Vous faites un constat sans détour: le politique s’y est mal pris jusque là dans le numérique et désormais, le CNN va l’assister…

Oui, mais toute proportion gardée, le CNN n’est qu’un aiguillon de la politique numérique; son rôle n’est que consultatif. Il faut être réaliste: les endroits où les décisions sont prises existent déjà.

Mais si les membres sont légitimes, et qu’on se donne les moyens de faire entendre leur voix, alors peut-être qu’on ira au-delà de l’opposition stérile que j’évoquais. Après bien sûr, certains sujets comme Hadopi, sont éminemment politiques et les oppositions seront toujours là. Mais si on peut évacuer quelques points en discutant, tant mieux.

Les parlementaires sont en demande d’une aide sur les questions du numérique ?

Franchement, oui. Parfois ils se disent un peu démunis, parfois carrément perdus et le fait d’être assailli par les actions des lobbyistes n’arrange rien…

Il faut voir que c’est un secteur très technique, qui nécessite en plus de se prononcer très rapidement.

Se pose la question de l’interlocuteur: à qui parler, sachant qu’il existe un grand nombre d’associations, très différentes les unes des autres. Celles-ci travaillent depuis longtemps à une sorte d’unification du numérique, le CNN pourrait, si ce n’est les rassembler, aller au-delà en incarnant l’ensemble du secteur. Il pourrait être une interface entre les ministères et les institutions concernées, en établissant un meilleur dialogue.

Vous n’avez pas peur que ce rôle d’assistant soit mal pris, notamment par les autorités administratives indépendantes qui travaillent déjà sur Internet ? Qu’elles vous reprochent de venir marcher sur leurs plates-bandes ?

Si, effectivement.

Prenons le cas d’Hadopi: selon moi, l’institution n’aurait jamais dû être créée. Selon moi, on va très vite se rendre compte que la Hadopi ne marche pas, certains le constatent d’ailleurs déjà. Le problème c’est que ce ne sera jamais supprimé, c’est symboliquement et politiquement trop important pour voir une telle décision survenir et c’est dommage. Le CNN ne peut pas réparer les erreurs passées, mais si il peut les éviter dans le futur… Maintenant que la Hadopi est là, le CNN peut peut-être aider à son action… Mais c’est vrai que je n’y crois pas tellement. Ca ne va certainement pas se passer comme ça.

“La légitimité du CNN dépend du casting à venir”

Certains redoutent son inefficacité. A partir de quel moment estimeriez-vous que le CNN est une réussite ou, à l’inverse, un échec?

Selon moi, c’est forcément mieux de l’avoir que de ne pas l’avoir. Je suis convaincu que s’il avait été constitué avant, on aurait évité des lois absurdes. Donc c’est forcément positif.

La question désormais est de voir à quel point il sera légitime et cela dépend du casting à venir. Il y a un risque qu’il ne soit pas bon. Cette crainte est légitime; c’est une mise en garde assez saine.

D’autres, notamment des blogueurs, s’inquiètent de l’orientation économique donnée au rapport, arguant qu’Internet dépasse cette seule considération. Qu’avez-vous à leur répondre ?

C’est précisément pour cela que nous avons mis en place la consultation publique, à laquelle les blogueurs ont finalement assez peu répondu, ce qui nous a surpris, à l’inverse des entreprises. Je ne pense pas que ça donne une couleur au rapport, c’est plus le signe qu’elles ont un intérêt pour Internet.

A l’origine, nos consultations ne mentionnaient pas vraiment l’aspect économique. C’est avec les différentes réponses récoltées qu’on en est venu à aborder ce point. Ce n’est pas complètement absurde, quand on réfléchit la plupart des grands débats sur Internet sont orientés sur l’économie du numérique: la taxe Google, la propriété intellectuelle…

Vous évoquez le G20 et la place que le CNN, s’il était créé à temps, pourrait éventuellement tenir. Quelles fonctions avez-vous en tête ?

Franchement, je n’en sais rien. C’est éminemment politique. Nicolas Sarkozy a dit que le G20 allait se focaliser sur Internet. Créer le CNN avant cet événement est donc plutôt une bonne chose. Après, je ne suis pas complètement convaincu que des choses intéressantes se dégagent dans ce cadre là. Les enjeux sont beaucoup plus compliqués, chaque pays a sa propre vision du réseau: une forme de domination culturelle pour les États-Unis, un moyen de contrôler l’info en Chine… je caricature volontairement, mais en gros c’est ça: chaque pays a des intérêts divergents.

“En choisissant la nomination, l’Élysée a voulu aller vite et certainement garder la main sur le CNN”

Quel est le calendrier à venir ?

Courant mars, il devrait avoir la publication de deux décrets -ou de deux en un -, l’un sur la nomination des premiers membres du CNN, l’autre sur la mission du CNN, qui j’espère reprendra de nombreux éléments du rapport.

Sur la nomination justement, vous étiez initialement en faveur d’une élection des membres du conseil…

L’Elysée a choisi la nomination du CNN, certainement pour garder la main dessus et pour aller plus vite. De notre côté, nous voulions des élections: du coup nous proposons une nomination pour le premier comité, pour des raisons d’urgence, mais espérons, dans un deuxième temps, après les premiers mandats de deux ans, une élection.

On peut envisager que les associations votent, collège par collège: associations de FAI, d’e-commerçants, de fournisseurs de contenu, de consommateurs, etc. Ce serait un excellent moyen d’assurer la plus grande représentativité.

Vous évoquez aussi rapidement les nombreuses candidatures que vous avez reçues pour siéger au CNN…

Oui, c’est un peu la fête ! Ils lisent tous le rapport et j’ai beau leur dire que je ne m’occupe pas de la composition, ils ne me croient pas. Les profils sont plus ou moins légitimes et très diversifiés: du grand patron de groupe aux blogueurs. Je transmets au ministère de l’industrie quand les candidatures me semblent pertinentes. Il y en a beaucoup plus que le nombre de places.

Combien de membres justement ?

Entre dix et douze, dont trois ou quatre permanents.

Rémunérés ?

Pour moi, les membres du Conseil devront être bénévoles (je précise que je l’ai été aussi pour cette mission), sinon leur indépendance ne saurait être assurée. Cela permettra aussi d’établir une structure plus légère qui est nécessaire au bon fonctionnement du CNN.

Vous déclarez en préambule du rapport que vous ne souhaitez pas être membre du Conseil national du numérique. C’est toujours d’actualité ?

Oui, je pars en vacances ! Sérieusement, je ne veux pas en être. Je ne peux pas être à la fois responsable de la mission et membre du CNN. Si cela avait été le cas, on m’aurait taxé de ne pas être indépendant et de me fabriquer un job sur mesure. Je suis en plus très occupé et pour que le CNN fonctionne, il faut selon moi lui consacrer beaucoup de temps. Mais cela ne veut pas dire que je serai absent du débat public sur le Comité et sur Internet.


Illustrations CC FlickR: leafar, PriceMinister (1, 2)

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http://owni.fr/2011/03/02/pkm-faire-du-cnn-un-aiguillon-de-la-politique-numerique/feed/ 11
Numérique en France : pourquoi pas une Fondation ? http://owni.fr/2011/02/11/numerique-en-france-pourquoi-pas-une-fondation/ http://owni.fr/2011/02/11/numerique-en-france-pourquoi-pas-une-fondation/#comments Fri, 11 Feb 2011 14:35:12 +0000 Henri Verdier http://owni.fr/?p=46043 Comme vous le savez sans doute, après l’annonce par le Président de la République de la création d’un Conseil national du numérique, Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique, a chargé Pierre Kosciusko-Morizet, le fondateur de Price Minister et président de l’ACSEL, de lui remettre un rapport comportant ses préconisations sur les missions, l’organisation et le financement d’un tel conseil.

“PKM” a choisi de lancer une consultation assez ouverte, en demandant des contributions, qui s’annoncent nombreuses, avant aujourd’hui, 10 février. Il devrait remettre son rapport final dès la semaine prochaine.

Consulté, comme beaucoup d’autres, je me suis sérieusement demandé de quoi nous pourrions bien avoir besoin pour remettre nos analyses et nos ambitions au coeur du débat public. Car, ne nous y trompons pas, il y a bien un fossé, peut-être même croissant, entre les acteurs de cette révolution et de nombreux responsables politiques, économiques et médiatiques. Je me suis aussi demandé ce que penseraient nos amis étrangers d’un tel OVNI.

J’arrive finalement à une préconisation, qui n’est peut-être pas complètement celle qui était attendue, mais qui, à mon sens, rendrait un véritable service d’intérêt général. Note sur une “Fondation pour le développement du numérique”:

Ne pas rater la bonne question

Le « numérique », n’est pas un secteur d’activité. C’est un processus de long terme de transformation économique et sociale globale.

A l’instar de la révolution industrielle, seul phénomène comparable par sa portée et son ampleur, une succession de ruptures scientifiques et techniques, rencontrant les évolutions économiques et sociales, débouche aujourd’hui sur une nouvelle synthèse. Cette synthèse concerne aussi bien les stratégies de création de valeur ou l’organisation économique, que l’éducation, la culture, les organisations politiques, la santé, l’urbanisme, le tourisme et même les représentations, les croyances et les pratiques des citoyens.

La transformation numérique est depuis longtemps sortie d’Internet et des ordinateurs. Elle mobilise des technologies aussi diverses que la téléphonie, les réseaux sans fil, la géolocalisation, le paiement sans contact ou les objets communicants. Elle sera concernée en quelques années par les nanotechnologies et sans doute les biotechnologies.

Ainsi, après avoir bouleversé le commerce, la culture et l’information, la transformation numérique s’apprête à révolutionner les transports, l’urbanisme, la distribution d’énergie, la conception du domicile, les industries de service, les organisations politiques.
Limiter la question du « numérique » à quelques secteurs comme les télécommunications, l’électronique ou le e-commerce, ou même l’élargir aux secteurs d’hypercroissance naissants, serait une erreur qui enfermerait cette mutation dans quelques silos au lieu de porter le débat sur ses véritables enjeux.

Avons-nous un problème avec « le numérique » ?

La société française est globalement accueillante à cette transformation et aspire à y jouer sa place. Notre pays est l’un des plus prompts à adopter les nouveaux services, l’un des plus curieux d’innovation, et d’ailleurs, de ce fait, le banc de test naturel des plus grandes innovations mondiales. Les Français sont également créatifs et entreprenants, comme en témoignent les très nombreuses créations d’entreprises dans ces activités, ou les succès des Français de la Silicon Valley ou d’ailleurs.

Si, globalement, les grands marchés du « consumer internet » nous ont échappé, malgré quelques succès dont le tien, il est d’autres « secteurs numériques » ou notre pays s’illustre : design, animation, jeu vidéo, robotique, services mobiles, etc.; sans compter l’intégration des apports du numérique par les grandes industries de service qui sont aujourd’hui le socle de la croissance et de l’emploi en France.

Les élites françaises traditionnelles, à part quelques notables exceptions, semblent beaucoup plus gênées que la population par ce changement de paradigme et notamment par sa dimension de destruction créative. Des représentations frileuses semblent dominer le débat public. La prégnance du discours sur le « piratage », la pornographie, les « menaces sur la vie privée », « Internet espace non régulé », et la faiblesse corrélative du discours sur les secteurs d’excellence française -les nouveaux secteurs de croissance, le potentiel de transformation industrielle, les nouvelles pratiques citoyennes, l’innovation sociale-, en témoignent.

L’épisode désastreux du vote de la loi de finance 2011 a profondément choqué de très nombreux entrepreneurs innovants. La conjugaison de la réforme du statut des JEI, du CIR et des exemptions fiscales pour les investisseurs en capital, quelques semaines avant le début d’une nouvelle année fiscale, a conduit nombre d’entre eux à devoir revoir leurs business plans et à donné le sentiment d’une véritable incompréhension du législateur de la nature des enjeux. Cette décision s’ajoute à tout un ensemble d’inquiétudes que tu connais bien, sur la netneutralité, le contrôle des réseaux, ou même la liberté d’Internet. Nombre de nos amis regardent déjà avec envie les dizaines de milliers d’ingénieurs qui ont fait le choix de s’installer à l’étranger. C’est peu dire que les acteurs de cette transformation numérique se sentent, en large part, assez mal compris, et que la restauration d’un climat de confiance n’est pas le moindre des objectifs de ce CNN.

Parallèlement, d’immenses défis se posent : scientifiques (big data, villes intelligentes, cloud computing), économique (stratégie industrielle française, plafond de verre pesant sur les PME), sociétaux (information, éducation (lien), culture), philosophiques (identité numérique). Ils méritent des débats sereins, publics, intelligents, informés et approfondis.

A quoi pourrait servir un Conseil national du numérique ?

Si le « Conseil national du numérique » visait à créer une sorte de conseil de l’ordre du numérique, sectoriel et corporatiste, s’il prétendait s’arroger une légitimité supérieure à celle des élus ou des corps constitués, s’il obtenait de pouvoir donner un avis consultatif sur les processus législatifs, il risquerait fort de n’avoir qu’une utilité limitée, voire nulle.

S’il réussit à ouvrir les élites françaises, notamment culturelles, médiatiques, économiques et politiques, aux nouvelles aspirations, aux nouvelles stratégies, aux nouveaux enjeux, aux nouvelles formes de création de valeur, à l’urgence de certaines régulations internationales; en un mot, à cette aspiration au changement de société qui s’exprime dans « le » numérique, il jouera un rôle nettement plus positif.

S’il réussit à susciter de vastes débats publics, à construire de nouveaux consensus, à produire des données qualifiées, à mettre à jour des savoirs, à lancer des pistes de travail audacieuses, s’il réussit à lier les centres de décision – politiques comme économiques – au grand vent de cette transformation de société, si, surtout, il réussit à mettre sur l’agenda public nos véritables dysfonctionnements (plafond de verre qui bride la croissance des PME, faible culture de l’entrepreneuriat dans nos écoles, difficultés à financer l’innovation au bon niveau d’ambition, etc.), alors il sera sans doute utile aux acteurs les plus innovants et les plus créatifs de la société française.

Proposition : créer une fondation pour le développement de la société numérique

C’est pourquoi, puisque tu nous consultes, je me permets de te faire la suggestion suivante: plutôt que de créer une nouvelle interface politique, qui suscitera du scepticisme chez les professionnels comme chez les élus, pourquoi ne pas concevoir le « Conseil national du numérique » comme une Fondation pour le développement du numérique.

Financée par l’Etat (par exemple avec une dotation issue du Grand emprunt), abondée par les apports des membres fondateurs (défiscalisés à 60 % pour les assujettis à l’Impôt sur les Sociétés), cette Fondation aurait pour objectif :

- De financer le travail de think tanks consacrés à la transformation numérique, d’organismes de prospective, voire d’instituts de recherche
- De produire des données qualifiées et objectives sur les sujets les plus débattus, afin de sortir des affrontements idéologiques
- De participer aux débats internationaux où la France brille trop souvent par son absence
- De s’impliquer dans les processus de normalisation et dans les débats sur la gouvernance internationale d’Internet
- D’assurer la qualité de l’information des pouvoirs publics et des leaders économiques
- D’organiser le débat public

Ses statuts pourraient permettre en outre d’impliquer largement industriels, enseignants, chercheurs, éducateurs, associations, think tanks et pourquoi pas même groupes d’intérêt, avec une gouvernance légitime et un objectif d’intérêt général.

Une telle fondation apporterait indéniablement au débat public une consistance et une hauteur de vue qui manquent cruellement depuis de trop longues années.


Article initialement publié sur le blog d’Henri Verdier, sous le titre “Petite contribution au débat sur la constitution du Conseil national du numérique”.

Illustrations CC FlickR: eleaf, Utodystopia, Ryan Somma

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