OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Hongrie: les Roms, une “bombe à retardement” http://owni.fr/2011/05/13/hongrie-les-roms-une-bombe-a-retardement/ http://owni.fr/2011/05/13/hongrie-les-roms-une-bombe-a-retardement/#comments Fri, 13 May 2011 14:23:03 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=62221 Retrouvez les précédents articles du reportage en Hongrie : Tiszavasri, laboratoire de l’extrême droiteLa Garda meurt mais ne se rend pasAu coeur du quartier rom à Gyöngyöspata et Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza.

Quand j’ai quitté Gyöngyöspata, fin mars, tout était censé être terminé. Les centaines de miliciens d’extrême droite qui s’étaient invités deux semaines durant dans le village avaient déguerpi, la vie de la communauté Rom avait repris son cours normal, les enfants allaient de nouveau à l’école… Le gouvernement avait tapé du poing sur la table et promis qu’il ne laisserait plus les milices nationalistes provoquer les Tsiganes en patrouillant dans leurs quartiers. La fête était finie. Eh bien, elle a continué de plus belle.

A la limite de l’affrontement

L’atmosphère, déjà délétère lors de ma venue, n’a cessé de se dégrader depuis. Le 6 avril, le parti d’extrême droite Jobbik a fait défiler militants et miliciens à Hejöszalonta, au Nord-Est de la Hongrie, à la suite du meurtre d’une femme par un Rom. Ce dernier ne venait d’ailleurs pas du village en question et n’avait rien à voir avec la communauté tsigane locale. Mais le Jobbik ne s’embarrasse pas de ce genre de subtilités. La police a fait évacuer le quartier rom et formé un cordon de sécurité entre manifestants d’extrême droite et Tsiganes, soutenus par des associations de défense des droits de l’homme. Par chance, aucun heurt ne s’est produit.

Six jours plus tard, le 12 avril, rebelote, cette fois-ci à Hajdúhadháza, où je m’étais rendu peu avant. Deux cent miliciens de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület se sont mis à patrouiller en rangs d’oignons dans les rues de la ville. Leur venue était annoncée de longue date et j’avais pu assister à ses préparatifs. Elle a largement été soutenue par la population locale : 5000 habitants (sur 13.000 à Hajdúhadháza, 6000 à Téglás et 2500 à Bocskaikert, les deux localités voisines) ont signé une pétition pour se féliciter de cette « opération de pacification ». Ce nouveau coup d’éclat de l’extrême droite a provoqué la colère de la commissaire européenne à la justice et aux droits fondamentaux, Viviane Reding, qui a jugé l’existence de ces milices inacceptable. Mis sous pression par Bruxelles et par un nombre croissant d’articles dans la presse internationale, le Premier Ministre hongrois et actuel président de l’Union, Viktor Orbán, n’avait plus d’autre choix que de réagir… Son ministre de l’intérieur, Sándor Pintér, a donc envoyé la police mettre fin aux festivités dès le lendemain.

Ce n’était que partie remise. Le dimanche suivant, des membres de trois milices (Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület, Véderő et Betyársereg) sont retournés dans le village de Gyöngyöspata, où certains avait déjà séjourné début mars. Dirigée par Tamás Eszes, un ancien de la Magyar Gárda, la milice Véderő, qui n’avait pas fait parler d’elle jusque-là, a tout simplement installé à une centaine de mètres du quartier rom… un camp d’entraînement ! Elle comptait y faire venir tous les mois « les jeunes et adultes qui aiment leur pays et souhaitent apprendre les bases de l’armée et de l’autodéfense. » Une initiative si peu inquiétante que la Croix Rouge hongroise a fait évacuer immédiatement 277 femmes et enfants de la communauté tsigane.

Tous sont revenus quelques jours plus tard, une fois le camp démantelé par la police. Mais une partie des miliciens de Véderö se sont fondus dans la population locale et ont continué leurs provocations, qui ont logiquement fini par porter leurs fruits. Selon le site d’actualité francophone de référence sur la Hongrie, hu-lala.org, un adolescent rom aurait été agressé physiquement, une femme hongroise frappée alors qu’elle insultait une autre femme rom, et une bagarre violente aurait éclaté, faisant quatre blessés dont un grave. Des centaines de policiers ont dû être dépêchés sur place pour séparer les deux groupes.

Le gouvernement hongrois réagit dans l’urgence

En ouvrant un camp d’entraînement, Véderö a fait fort… Même certains députés Jobbik ont condamné cette initiative. Comme avec la Magyar Gárda avant sa dissolution, le Jobbik semble avoir du mal à contrôler les agissements de ces nouvelles milices, dont il s’empresse toujours de souligner, avec une mauvaise foi confondante, qu’elles n’ont aucun rapport avec lui.

Quant au gouvernement, après avoir longtemps tardé, il est désormais décidé à agir. Les autorités se sont jusqu’ici heurtées à un problème juridique : tant que les milices n’étaient pas armées et ne commettaient pas d’actes violents, elles restaient dans le cadre de la légalité. Elles pouvaient donc librement venir provoquer les Roms dans leurs quartiers.

Mais en multipliant ces patrouilles, les Véderö et autres Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület ont rendu la situation explosive. Le ministre de l’Intérieur Sándor Pintér a donc préparé un amendement dans l’urgence pour mettre fin à cette dangereuse escalade, qui fait passer la Hongrie pour un pays d’extrémistes où l’Etat est incapable d’assurer seul la sécurité de ses citoyens.

Début mai, le Parlement a ainsi ajouté un article au code pénal, réprimant les « provocations antisociales » susceptibles d’intimider les individus appartenant à des minorités. Elles sont désormais passibles de trois années d’emprisonnement. Reste à voir si cette nouvelle disposition sera appliquée avec la fermeté nécessaire… Le ministre de l’Intérieur a également condamné la récente création d’une « gendarmerie » à Tiszavasvári, qui était au stade de projet lors de ma venue. Cette milice citoyenne subventionnée par l’unique mairie Jobbik du pays pourrait faire les frais des nouvelles armes légales dont dispose le gouvernement.

Ces mesures répressives permettront peut-être de stopper l’engrenage inquiétant dans lequel les habitants des campagnes de Hongrie orientale sont plongés. Mais elles ne règlent rien au problème de fond : l’intégration d’une communauté rom plus marginalisée que jamais.

La question de fond : l’intégration des Roms

Les statistiques ethniques étant illégales en Hongrie, il est difficile de connaître l’ampleur exacte du chômage au sein de la communauté rom. Selon une évaluation du chercheur Gábor Kézdi, reprise par l’ONG de défense des Tsiganes ERRC, à peine 29% des Roms âgés de 15 à 49 ans auraient un emploi. Dans certains villages comme celui de Gyöngyöspata, il semble tout simplement qu’aucun Rom ou presque n’ait de travail.

Le problème est loin d’être facile à résoudre, car l’absence de gisements d’emploi dans les campagnes hongroises, désindustrialisées depuis la fin du communisme, se combine au manque de qualification des jeunes Tsiganes. Pour le député Jobbik Gyöngyösi Márton, tout un programme de ré-accompagnement sur le marché du travail serait nécessaire :

Il ne suffit pas qu’une nouvelle usine Audi s’installe pour que des gens qui n’ont absolument rien fait pendant 5 générations soient capables d’y travailler.

Un cercle vicieux s’est en effet installé: à quoi bon faire des études s’il n’y a pas de travail ? Comment trouver un emploi sans formation ?

Depuis 20 ans, les gouvernements de droite et de gauche qui se sont succédés en Hongrie ont tourné le dos à ce problème délicat et laissé pourrir la situation, ce dont le Jobbik a su habilement profiter. La paupérisation des campagnes a évidemment accentué les problèmes de délinquance et de racisme, à tel point que l’extrême droite n’hésite plus à parler de risque de guerre civile… Le politologue Krisztián Szabados ne va pas jusque là, mais presque :

La misère de la communauté Rom constitue une bombe à retardement pour la Hongrie. C’est de loin le problème le plus important auquel le pays fait face.

D’autant qu’avec les mesures d’austérité prises par le gouvernement Orbán, les maigres ressources des Roms pourraient encore diminuer : le plan d’économies annoncé en mars dernier prévoit ainsi le gel pendant deux ans des allocations familiales et fait passer de 9 à 3 mois la durée des allocations chômage… Si l’on ajoute à cela la hausse du prix des denrées alimentaires, l’éventualité d’émeutes de la faim n’est plus tout à fait à exclure. C’est l’avis de Corentin Léotard, rédacteur en chef d’hu-lala.org:

On l’oublie souvent, c’est déjà arrivé dans la région en 2004, près de Košice en Slovaquie, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière hongroise.

Un défi européen

En Europe de l’Ouest, ils ont beau jeu de nous faire la leçon. Mais quand les Roms viennent chez eux, en France par exemple, eh bien la France les renvoie.

Sur ce point, le député Jobbik Szávay István n’a pas tort. Selon ERRC, l’Hexagone a expulsé 10 000 Roms en 2009 et plus de 8 000 de janvier à septembre 2010. La question rom ne figure pas parmi les priorités des gouvernements d’Europe occidentale, qui contentent de se débarrasser du problème à coup de reconduites à la frontière sporadiques.

Mais en Europe centrale et orientale, où les communautés tsiganes les plus nombreuses sont installées (à l’exception de l’Espagne), leur intégration est un enjeu de premier plan. Selon le Conseil de l’Europe, 6 millions de Roms vivent dans l’Union:

  • 1,8 million en Roumanie
  • 750.000 en Bulgarie
  • 700.000 en Hongrie
  • 500.000 en Slovaquie
  • 200.000 en République Tchèque

Ils y connaissent les mêmes problèmes qu’en Hongrie : chômage de masse, discrimination et tensions ethniques. Depuis 2008, ERRC a dénombré 19 attaques anti-Roms en République Tchèque et 10 en Slovaquie, dont certaines au cocktail molotov et à la grenade. Des «gardes nationales» similaires à la Magyar Gárda existent par ailleurs en Bulgarie et en République Tchèque depuis quelques années.

Confrontés aux mêmes problèmes, ces pays veulent trouver des solutions communes. L’actuel Premier Ministre hongrois a ainsi fait figurer l’intégration des Roms parmi ses priorités en tant que président de l’Union. « En unissant nos forces, nous pouvons nous rapprocher d’une solution », a affirmé Viktor Orbán le 8 avril dernier, lors d’un sommet européen sur la question organisé à Budapest. Selon lui:

L’intégration des Roms n’est pas le problème d’un ou de quelques états membres. C’est devenu un problème commun à tous et notre première tâche est de faire en sorte que tous les pays au sein de l’Union s’en rendent compte…

Quelques jours plus tôt, la Commission venait de présenter sa feuille de route faisant de l’intégration des Roms un des objectifs assignés aux Etats dans le cadre de la stratégie de croissance de l’UE pour 2020. Chaque pays membre devra lui soumettre un plan d’action national visant à garantir l’accès des Roms à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement, d’ici décembre 2011. Aucune sanction n’est prévue pour les pays qui ne joueraient pas le jeu. Mais en laissant la situation se dégrader encore, ils risquent bien de se punir eux-mêmes…


Photo Flickr CC BY-NC-SA par Alain Bachellier.

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Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza http://owni.fr/2011/05/11/3-hongrie-patrouille-avec-la-milice-de-hajduhadhaza/ http://owni.fr/2011/05/11/3-hongrie-patrouille-avec-la-milice-de-hajduhadhaza/#comments Wed, 11 May 2011 08:31:16 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=61831 Retrouvez les précédents articles du reportage en Hongrie : La Garda meurt mais ne se rend pas et Au coeur du quartier rom à Gyöngyöspata

Hajdúhadháza, 24 mars 2011

Facebook, c’est sympa, ça aide les Tunisiens à renverser Ben Ali, les Égyptiens à faire dégager Moubarak… Et le leader de l’extrême droite hongroise, Gábor Vona, à mobiliser des miliciens pour les envoyer patrouiller dans les quartiers roms. Il l’annonce sur sa page perso:

En avril, les habitants de Hajdúhadháza offriront le gîte et le couvert à 200 miliciens.

Pas sûr que tout le monde like, a fortiori la communauté tsigane.

Trois heures de route séparent Budapest de Hajdúhadháza. Cette petite ville d’une douzaine de milliers d’habitants est nichée à l’extrémité Est du territoire, à l’autre bout de la « Puszta » : une plaine quasi désertique et marécageuse, qui fait la fierté des Hongrois si j’en crois ce que m’a raconté János Farkas, le leader rom de Gyöngyöspata, le précédent village que j’ai visité. Sur ce point, je choisis ne pas le croire. C’est vide, laid, interminable…

On arrive sur la place avec Anna, ma merveilleuse interprète, et son fils János, âgé de 3 mois. Tous les deux m’ont déjà escorté à une manif du parti d’extrême droite Jobbik il y a quelques jours. Cette fois-ci, nous devons rencontrer la milice Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület, qui organise la venue prochaine des renforts évoqués par Gábor Vona sur Facebook. Grâce à moi, le petit János aura sans doute croisé plus d’extrémistes en une semaine que dans tout le reste de son existence. Espérons que ça ne lui laisse pas trop de séquelles.

Un contrôle d’identité sous nos yeux

En apparence, l’endroit est presque charmant : des maisons proprettes, une immense église jaune poussin, une vaste place carrée encadrant un petit parc. Roms et non-Roms s’y baladent paisiblement. Trompe l’œil ? Un rapide micro-trottoir nous suffit à le vérifier. « Il y a des problèmes de vols avec les Tsiganes, tous les gens d’ici vous le diront », nous explique une veille dame. Une autre passante nous répète effectivement la même chose. Deux jeunes Roms marchent non loin de là. Ils ont 17 et 18 ans et sont au top de leur style d’ado : lunettes de soleil, t-shirt moulant, piercing à l’oreille, pento plein les cheveux…

Ils nous racontent qu’avant la création de la milice que nous allons rencontrer, ils étaient plus tranquilles. Ils craignent de ne plus pouvoir venir squatter sur cette place. Dommage, ils aiment bien l’endroit. Ils s’en vont, se posent sous l’arrêt de bus. Deux flics se garent et se dirigent vers eux. On met pas les pieds sur les bancs les enfants. Contrôle d’identité. Évidemment les petits vieux à côté n’y ont pas droit. Les policiers repartent. Ils n’ont pas le droit de parler aux journalistes, mais nous lâchent quand même quelques mots :

Ici, la situation n’est pas glorieuse, ça nous fera pas de mal d’avoir un peu de renforts…

En voiture, avec le député-milicien

A propos de renforts… Le député Jobbik local, Rubi Gergely, sort de la mairie où il vient de négocier l’autorisation de faire venir les 200 miliciens de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület dans quelques semaines. Ce jeune élu d’une trentaine d’années, très souriant et courtois, sera notre guide aujourd’hui. C’est un pro de la com’. Son objectif du jour : nous prouver que lui et ses amis ne sont pas une bande de nazis.

Au volant de sa voiture de milicien, ornée de blasons des Árpád (la première dynastie royale de Hongrie) sur les ailes et le coffre, il nous amène à la brasserie Turul, du nom du faucon mythique symbole du nationalisme hongrois. L’intérieur du café dépasse toutes mes espérances : drapeau hongrois, horloge à l’effigie d’Árpád, poster représentant la gendarmerie royale hongroise et, trônant au centre du mur, un large portrait de Miklós Horthy, régent de Hongrie de 1920 et 1944. Pour l’extrême droite et une partie de la droite, c’est un héros national ; pour les socialistes et les libéraux, c’est le Pétain magyar. Le serveur au crâne rasé nous amène un verre.

L’entretien commence, on parle déco. Horthy, vous l’aimez bien? Rubi m’explique :

C’est une figure exemplaire, il a fait énormément de choses pour la nation. Souvent, on l’associe à la déportation des juifs, mais lui n’a jamais fait de différence entre juifs, non juifs et Roms de Hongrie. Il voulait que personne ne soit déporté.

Pour mémoire, deux tiers des juifs hongrois ont péri durant la seconde guerre mondiale. Certes, la majorité des juifs déportés l’ont été eux après qu’Horthy a dû laisser le pouvoir aux Croix Fléchées, en octobre 1944. Mais c’est bien sous Horthy qu’a été signée l’alliance avec l’Allemagne nazie et qu’ont été votées plusieurs lois antisémites.

On passe à l’autre affiche. «Toutes les gendarmeries d’Europe ont pris pour modèle la gendarmerie royale hongroise», m’explique Rubi. Dissoute en 1945, son efficacité est restée légendaire au yeux de tous les élus d’extrême droite que j’ai rencontrés. Évidemment, aucun d’entre eux n’évoque son rôle actif dans la déportation des juifs en 1944. Sa recréation figure parmi les priorités du Jobbik et l’émergence de milices s’inscrit dans une logique palliative, tant que le parti n’est pas au pouvoir .

Rubi soupire :

Depuis l’année dernière, le gouvernement a dépensé des milliards de forints pour assurer la sécurité des diplomates européens qui viennent en Hongrie. Alors que souvent, en province, il n’y a même pas une voiture qui permette à la police de patrouiller normalement.

C’est pourquoi lui et une quinzaine d’autres habitants du coin ont créé l’été dernier l’antenne locale de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület, qui compte maintenant une quarantaine de membres, tous bénévoles.

« Là-bas, un voleur de bois ! »

Si j’en crois Rubi, la ville fait course en tête dans les statistiques de criminalité. Il me raconte un fait divers récent, particulièrement sordide. « Dans une rue toute proche, la police a attrapé des kidnappeurs qui avaient enlevé une femme de 31 ans à Debrecen, à 15 kms. Ils lui ont collé un couteau sous la gorge, l’ont embarquée dans le train, descendue ici. Ils lui ont pris toutes ses fringues et l’ont mise à côté de la nationale pour qu’elle se prostitue. Là, elle a pu s’échapper… » Il enfonce le clou :

Dans le coin, c’est banal que des filles de 12 ou 13 ans soient contraintes de se prostituer. Dans une des écoles primaires, il y a eu une épidémie de syphilis. Une gamine de 13 ans a contaminé toute une classe. C’est vraiment triste.

En rajoute-t-il pour m’impressionner ? Je ne sais pas. Je lui demande si les Roms sont responsables de cette criminalité, il ne dérape pas. « Pas uniquement eux. Les gens pauvres, ils sont obligés d’aller voler. Et ça énerve ceux à qui ils volent… », m’explique-t-il, philosophe. Il regrette le temps où les « vajda » (leaders Roms) collaboraient avec les autorités pour livrer à la police les délinquants :

Depuis une vingtaine d’années, ça ne fonctionne plus. Les Roms ont cessé d’exclure les éléments criminels de leur communauté…

La « polgárőrseg » (milice) qu’il a créée ici est censée remettre de l’ordre dans tout ça. Rubi me présente l’homme qui est à sa tête, un moustachu à casquette militaire d’une quarantaine d’années. Il est ouvrier la semaine et «polgárőr» sur son temps libre. Lui et ses petits camarades patrouillent de nuit, à pieds, par groupe de 6 à 8. Ils ne sont pas armés. « C’est interdit, nous respectons la loi, insiste-t-il, nous avons juste le droit de retenir les suspects sur place jusqu’à l’arrivée de la police. Ce sont eux qui mettent les menottes ». Les vols de bois constituent la majorité des délits dont il est témoin. D’après Rubi, leur fréquence aurait baissé de 90 % depuis que les miliciens font des rondes. Une estimation sans doute exagérée.

C’est l’heure de les voir en action. Rubi nous emmène patrouiller en voiture. On traverse la ville, en direction de la forêt. Le long de la route, un vieil homme pousse une charrette remplie de branches. Rubi le remarque, mais, décidé à se montrer clément, il ne s’arrête pas :

C’est un voleur de bois. Il ne l’a pas coupé, il n’a fait que ramasser des bouts par terre, pour cuisiner et se chauffer, parce qu’il est pauvre. Donc on le laisse tranquille.

Au contraire de ceux qui scient les arbres pour les revendre. « En deux mois, on en a attrapés 400, dont 100 ont été traduits en justice », précise-t-il. On quitte Hajdúhadháza pour rejoindre la localité voisine, Bocskaikert. Rubi y a rendez-vous avec le maire pour l’avertir officiellement de la venue prochaine des 200 miliciens. Sur le chemin, on passe devant la gare, censée être un haut lieu du crime local. Évidemment, rien ne s’y passe, l’endroit est vide.

Entre nationalistes Jobbik et Fidesz, en famille

On se gare devant la mairie de Bocskaikert, joli petit édifice à l’allure vaguement baroque, au fond d’un grand jardin. Le représentant local du Jobbik nous accueille : c’est une armoire à glace moustachue au crâne rasé, vêtue d’un polo blanc moulant sur lequel est brodé un magnifique Turul sur fond de drapeau Árpád. Classe. Lui et Rubi partent voir le maire : «On en a pour cinq minutes, nous disent-il, à moins que vous ne vouliez venir ? » Bien sûr qu’on veut venir.

Le maire, Szőllős Sándor, accepte gentiment notre présence. Il est membre du parti conservateur actuellement au pouvoir, le Fidesz. Au-dessus de son bureau, j’aperçois une immense carte de la grande Hongrie, avec les frontières de 1914 (avant le traité de Trianon de 1920, qui a réduit des deux tiers le territoire magyar). Anna me souffle que la bibliothèque est remplie d’œuvres de Wass Albert, l’écrivain de référence des nationalistes hongrois. On n’est donc pas surpris de voir le maire et Rubi bien s’entendre. La réunion commence.

Rubi avertit officiellement Szőllős Sándor de la venue des 200 miliciens, le maire sourit :

Si des gens aident à garantir la sécurité publique, on ne va pas s’en offusquer…

Ils discutent ensuite des endroits qui posent problème, de quelques cambriolages récents, puis déplorent le côté trop épisodique de l’engagement des citoyens dans les patrouilles civiles. L’ambiance est bon enfant. Rubi fait des grimaces au petit János, qui ignore superbement cette tentative de connivence. Le représentant du Jobbik prévient le maire qu’il compte créer une antenne de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület à Bocskaikert. Pas de problème apparemment. Tout ce petit monde se sépare bons amis.

Les relations entre le Fidesz et le Jobbik sont ambiguës. Officiellement, le gouvernement est opposé à la venue de milices dans les villages. Mais lors de la précédente action de ce genre, à Gyöngyöspata, rien n’a été fait pour disperser les miliciens. Indifférence ? Connivence idéologique ? La politique nationaliste menée par le Fidesz depuis son arrivée au pouvoir est en tout cas parfois très proche des idées du Jobbik. Exemple parmi d’autres, la nouvelle constitution concoctée par le Fidesz accorde le droit de vote aux « Hongrois de l’extérieur » : les minorités d’origine magyare qui se sont retrouvées hors du territoire après 1920. Une date honnie par toute la droite, marquant la fin de la grande Hongrie tant regrettée par Szőllős Sándor et Rubi Gergely…

« Vous venez ici pour poser des bombes ? » Heu, non…

Nous repartons en voiture avec Rubi et décidons d’aller jeter un œil au quartier rom. En véhicule de milicien, ce n’est pas forcément l’idée du siècle, mais on veut quand voir même à quoi ça ressemble. Sur le chemin, Rubi peste contre les libéraux qui, selon lui, montent les Roms contre sa milice :

A cause d’eux, les Tsiganes nous traitent de racistes et de nazis. Pourtant, le chef de notre milice a sauvé un jeune Rom du suicide. Il lui a retiré la corde du cou.

L’anecdote me fait penser à Jean-Marie Le Pen qui tentait de prouver qu’il n’était pas raciste en expliquant avoir déjà employé des noirs.

On s’arrête à un carrefour. Devant nous, le quartier rom : un alignement de maisons jaunes ou vertes que rien ne distingue des autres. On est au milieu de l’après-midi, l’endroit est désert. Rubi m’indique une habitation toute proche et me raconte un fait divers qui s’y est déroulé :

Ici, cinq jeunes Roms sont entrés dans le jardin et ont commencé à ramasser tout ce qui avait de la valeur. Le propriétaire, un Monsieur de 61 ans, est sorti. Ils lui ont cassé le bras, les cotes et il a eu une cicatrice de 13 cm sur le crâne. Sa mère de 81 ans est venue l’aider. Elle a été battue. Depuis elle est à l’hôpital, entre la vie et la mort. Les jeunes sont partis, puis revenus au bout d’une demi heure, ils ont fouillé la maison et piqué 4000 Ft (15 euros).

Depuis le siège arrière où je suis installé, je sors mon appareil et prends quelques clichés. Au loin une voiture blanche sort d’une ruelle, je n’y fais pas attention. Elle se rapproche et s’arrête à notre hauteur. Le conducteur m’engueule en hongrois, je ne comprends rien à ce qu’il me dit. Il a l’air très énervé que j’aie pris des photos. C’est un Rom d’une quarantaine d’années. Rubi nous conseille de ne rien répondre : « Vous occupez pas lui, c’est le mafieux du coin».

C’est aussi l’un des animateurs d’une contre-manifestation qui sera prochainement organisée par les opposants à la milice. Est-il vraiment un mafieux? Aucune idée. Mais sur le coup, je ne suis pas rassuré. Le type descend de voiture et se dirige vers nous en criant, Anna traduit en direct :

Vous faites des repérages et vous reviendrez le soir pour poser des bombes, c’est ça ?

Curieuse association d’idées qui donne le ton de l’ambiance sur place. Rubi reste à l’arrêt, serein. L’homme passe à ma hauteur, voit que je ne capte rien, aperçoit Anna et son fils de trois mois et commence à nous trouver bizarres pour des miliciens. Quand il se rend compte que c’est le député qui nous conduit, il se calme instantanément. Rubi est intouchable, trop haut placé. Tous deux se tutoient et plaisantent comme de vieux amis :

- Alors, tu fais tes petites patrouilles ?

- Oui, oui. Ce sont des journalistes. J’ai du mal avec les médias, tu sais…

Chacun se salue et on quitte le quartier. Rubi est content, il a eu le beau rôle, il nous a sauvés.


Photos: Stéphane Loignon et Une de Loguy en CC pour OWNI

Retrouvez la suite de la série du reportage en Hongrie : [4] Hongrie: Tiszavasvari, laboratoire de l’extrême droite

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Au coeur du quartier Rom à Gyöngyöspata http://owni.fr/2011/05/10/2-hongrie-au-coeur-du-quartier-rom-a-gyongyospata/ http://owni.fr/2011/05/10/2-hongrie-au-coeur-du-quartier-rom-a-gyongyospata/#comments Tue, 10 May 2011 09:56:22 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=61830 Retrouvez la première partie de ce grand reportage en Hongrie.

Gyöngyöspata, 18 et 20 mars 2011

Des champs, des vignobles et, entre deux collines de cette plaine vallonnée, quelques centaines de maisons amassées : le hameau d’apparence paisible que j’aperçois depuis la voiture s’appelle Gyöngyöspata et n’a jamais autant fait parler de lui qu’en ce moment. Deux semaines durant, jusqu’à la veille de mon arrivée, plusieurs centaines de miliciens de l’organisation Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület se sont installés dans ce village de 2.850 âmes, pour tenir en respect les quelques 400 Roms locaux qui, selon eux, rendent la vie infernale aux non-Roms.

Hébergés sur place par des habitants solidaires de leur action, ils ont patrouillé dans le quartier rom, monté la garde devant le supermarché, suivi les Tsiganes dans tous leurs déplacements, intimidé les enfants… Sans que la police n’intervienne. Le mouvement d’extrême droite Jobbik a publiquement soutenu cette opération et, selon toute vraisemblance, l’a même organisée. Son représentant local, Oszkár Juhász, dément et assure que c’est la population locale qui a appelé la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület à l’aide :

C’est un phénomène d’entraide entre Hongrois contre la criminalité tsigane, devant laquelle le gouvernement ferme les yeux !

A l’origine de l’affaire, un fait divers: un retraité s’est suicidé cet hiver, désespéré par les innombrables délits commis par les Roms, si l’on en croît l’extrême droite. Selon les Tsiganes, cette mort tragique n’a rien à voir avec eux. Et la venue de ceux qu’ils appellent les « gardistes » – en référence à l’ancienne Magyar Gárda - serait plutôt liée au refus de la communauté non-rom de voir s’installer dans leurs quartiers des Tsiganes relogés à la suite d’une inondation. Ici, on ne se mélange pas, comme j’ai l’occasion de le vérifier dès mon arrivée.

“Ah, vous cherchez le quartier rom ?”

Je suis accompagné d’un journaliste français installé à Budapest, Corentin Léotard, rédac’ chef d’un excellent site d’information francophone sur l’actualité hongroise, Hu-lala.org. Il possède quelques rudiments de hongrois, moi non. En l’absence d’interprète, c’est à lui qu’incombe ce rôle. « Pas gagné », me prévient-il. Nous roulons lentement dans la ville à la recherche de Bem utca, où nous avons rendez-vous avec János Farkas, le leader de la minorité rom. En suivant consciencieusement les indications qu’il nous a données par téléphone, fort logiquement, on se perd.

Une dame d’une soixantaine d’années marche le long de la rue, je m’arrête à sa hauteur. Elle porte une cocarde, s’abrite sous un parapluie blanc et rouge, aux couleurs de la dynastie d’Árpád ; les rayures des lanières de son gilet évoquent le drapeau hongrois. L’élégance nationaliste dans toute sa splendeur.

Corentin baisse la vitre et fait étalage de sa maîtrise de la langue magyare. Miracle : elle comprend ! Bem utca ? Elle ne connaît pas, mais elle va demander à l’une de ses amies. Nous rejoignons une seconde vieille dame au look plus conventionnel. Elle est charmante et nous indique patiemment notre route, jusqu’à ce qu’une intuition foudroyante la saisisse :

Ah, vous cherchez le quartier rom ?

Le ton se fait nettement moins cordial. « Vous êtes journalistes, c’est ça ? » Soudain, elle retourne sur ses pas et nous plante là, sans nous saluer.

Une cinquantaine de mètres plus loin, un carrefour: une route boueuse sur la droite, des gamins qui jouent au milieu de la rue, voilà le quartier rom. Rapidement, deux jeunes d’une vingtaine d’années nous rejoignent, posent le bras sur la voiture et commencent à parler… On ne sait pas ce qu’ils racontent, si ce n’est qu’ils aimeraient qu’on leur donne de l’argent.

Corentin stresse: « C’est quoi le nom du mec chez qui on va déjà ? » Je l’ai oublié, je sais plus, je confonds tous les noms hongrois, sans discrimination. Les petits jeunes se font plus pressants, je ne capte pas un mot, mais je sens bien qu’on n’est pas loin de se faire embrouiller. Petite montée d’adrénaline : « Tu le retrouves pas, tu le retrouves pas ? » Heu non, non, non… Si, ça y est ! Je l’ai. «János Farkas !» Sésame, ouvre-toi. Tout le monde se détend et on nous indique bien volontiers le chemin.

Chez les Farkas, leaders tsiganes

On se gare devant une grande maison, deux étages de béton beige et brique rouge, au fond d’une allée qui descend à l’extrémité basse de la ville (en zone inondable, apprendrai-je plus tard). Un petit homme en sort, la cinquantaine, brun, moustachu et ridé : c’est János Farkas, le père. Il nous fait signe de rentrer. A l’intérieur, deux hommes sont attablés avec lui dans la cuisine : son fils, János Farkas aussi, la trentaine, et Zoltán Lukács, un jeune Rom diplômé de droit dans une université de Budapest. La pièce est surchauffée et enfumée au possible, papy Farkas crie à sa petite fille : « Amène vite un café à ces messieurs ! » L’interview peut commencer.

Je m’aperçois que Zoltán parle un peu anglais: on pose des questions simples, il les traduit, on enregistre les réponses en hongrois des Farkas père et fils, que je fais traduire par une amie quelques jours plus tard. C’est parti pour une heure d’interview 100 % à l’aveugle, à fumer clope sur clope en hochant la tête pour faire semblant d’avoir compris. Le jeune Farkas, successeur de son père au poste de leader de la «collectivité locale minoritaire», commence :

Les miliciens nous provoquaient continuellement. Ils marchaient au pas dans notre rue, à 6 heures du matin, en chantant des airs nationalistes. Une femme a même accouché prématurément tant elle a eu peur.

Le père s’emporte:

Ils hurlaient: c’est la fin du tsigane ! La Hongrie n’a pas besoin du tsigane ! Ils nous traitaient de parasites et de fainéants. On a vécu dans la terreur durant 17 jours. Et pendant ce temps là, la police du comté sympathisait avec eux…

Beaucoup de parents n’osaient même plus envoyer leurs enfants à l’école. «Certains instituteurs disaient aux enfants : attention, soyez sages, sinon je vous mets dehors chez les gardistes…», reprend János fils.

La venue de la milice a durablement exacerbé les tensions dans le village. Zoltán Lukács a assisté à une réunion organisée par la mairie pour apaiser les esprits : «La majorité de la population hongroise était satisfaite du travail des miliciens. Ils disaient que la délinquance a diminué grâce à eux. Le Jobbik a essayé d’accentuer la colère de la population locale à l’encontre des Tsiganes. Et il a réussi», soupire-t-il.

Est-il exact que des délits sont commis par des membres de la communauté rom ? «Il y a des problèmes avec deux ou trois familles, admettent-ils, mais ce n’est pas une raison pour condamner tous les Roms.» Quels types de délits? «Des petits vols de bois, pour faire cuire de la nourriture.» On me donnera plus tard une version assez différente.

Ça tient presque du miracle, mais durant les deux semaines où les miliciens étaient là, il n’y a pas eu de violence. Ces derniers n’étaient pas armés et les Roms n’ont pas cédé aux provocations, grâce au travail des Farkas. «Nous avons fait des efforts jour et nuit pour qu’il n’y ait pas d’affrontement», raconte le père. La milice est partie hier, mais les Roms restent sur leur garde : «Nous ne savons pas à quoi ressemblera notre futur. Peut-être que nous demanderons l’asile politique chez vous», me lance-t-il. Sous le gouvernement actuel, peu de chances que leur requête soit couronnée de succès. Tandis qu’on se salue chaleureusement, Papy Farkas me gratifie d’une dernière déclaration solennelle :

J’aimerais remercier mes lecteurs sur internet. Je leur souhaite force et santé, au nom de tous les Tsiganes de Gyöngyöspata.

Message transmis.

La ségrégation, jusque dans les toilettes

Deux jours plus tard, je retourne à Gyöngyöspata en compagnie d’un groupe d’activistes des droits de l’homme. Ils y organisent une distribution de nourriture pour les Roms et comptent cuisiner sur place un goulash au paprika pour la famille Farkas. Quand nous arrivons en ville, nous apercevons sept miliciens en uniforme plantés devant le supermarché : la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület est bien partie il y a quelques jours, mais elle a monté une antenne locale.

Nous poursuivons notre chemin, croisons une patrouille de policiers en station à l’entrée du quartier du Rom, et rejoignons la demeure des Farkas. Quasiment toute la communauté est rassemblée devant la maison. Des dizaines et des dizaines et de gamins, d’ados et de mères de famille font le pied de grue en attendant que les Farkas répartissent les provisions apportés par les bobos de Budapest.

A l’intérieur, je retrouve papy Farkas, toujours très avenant. Avec l’aide d’un activiste qui accepte de jouer l’interprète, il m’explique comment lui et sa famille survivent. Ils sont 15 à vivre dans cette maison, trois générations. Personne n’a de travail. «Moi j’avais l’habitude d’aller à l’usine à Budapest.» Quand ? «En 91, 92.» Depuis, rien, à part de temps à autres des boulots saisonniers ou des travaux publics. Son histoire est typique de celle des Roms de l’Est hongrois, si j’en crois ce que m’a expliqué plus tard le politologue Krisztián Szabados, du Political Capital Institute [en hongrois] :

Les Tsiganes ont été sédentarisés par le régime communiste, dans un but d’assimilation. Des quartiers ont été créés pour les Roms, notamment dans l’Est du pays, et ces derniers pouvaient travailler dans les usines d’Etat. Au début des années 90, elles ont fermé. Les Roms se sont retrouvés sans qualification, installés dans des zones sans emploi. Ils ont été les grands perdants de la transition.

D’après Gábor Kézdi, chercheur à la Central European University de Budapest, en 1989, chez les Roms, 85 % des hommes et 53 % des femmes âgés de 15 à 49 ans travaillaient. Quatre ans plus tard, en 1993, ces taux ont été divisés par deux (respectivement 39 % et 23 %). Ils sont restés depuis à ce niveau. «Depuis 21 ans, toute une génération a grandi sans pouvoir travailler. C’est ce qui a créé des tensions. Tant qu’il y avait du travail, il n’y avait aucun problème», soupire János Farkas. Comme beaucoup de foyers roms ruraux, sa famille doit survivre avec les minimas sociaux et les allocations familiales : 28 500 Forint (106 euros) par famille de revenu minimum, plus 28 500 Ft mensuels pour une femme en congé maternité et 13.000 Ft supplémentaires par enfant (49 euros).

Dans la cuisine, je discute avec Beatrix, 15 ans, la petite fille de papy Farkas, et deux de ses amies (dont une a 20 ans, est enceinte de son quatrième enfant et fume, pour l’anecdote). A l’école, Roms et non-Roms sont mélangés, m’expliquent-elles. Ce n’est pas le cas partout en Hongrie : les jeunes Roms sont souvent regroupés dans des classes spéciales pour enfants défavorisés. Ils ont 15 fois plus de chances d’y être affecté que les non-Roms, d’après ERRC, une ONG qui défend leur droits. Ici, la ségrégation existe tout de même… aux toilettes, me raconte Beatrix :

Figurez-vous qu’on a pas le droit d’aller à celles du haut ! Il y a un grand panneau : pas de tsiganes. Celles du bas ne fonctionnent pas. Du coup, je préfère me retenir et aller chez moi.

Elle et ses copines n’ont pas beaucoup de relations avec les non-Roms, même si elles ne seraient pas contre. «Une fois, sur le terrain de foot, on a invité les Hongrois à venir avec nous. Ils ont ri et ils nous ont dit : non, parce que vous êtes des Tsiganes qui puent!», se souvient l’amie de Beatrix.

Ils crient “Suce ma bite” aux vieilles dames

En repartant en fin d’après-midi, j’aperçois à nouveau le groupe des sept  miliciens, qui patrouille dans la rue frontière entre quartiers rom et non-rom. Je vais à leur rencontre, accompagné d’un activiste qui fait l’interprète. Ils sont en uniforme: rangers et pantalon noirs, blouson assorti et gilet sans manche orné du blason rouge et blanc de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület. Ils ont entre 20 et 40 ans ; tous habitent le village.

Parmi eux, une femme blonde, 1m80, des yeux bleus, assez belle: Ludànyi Miléna, 39 ans. Elle s’avance vers moi. Je lui dis que je suis journaliste et lui demande ce qu’ils font, elle m’envoie balader : «Adressez-vous à notre service de presse.» Je lui réponds «Oui oui, bien sûr» et lui repose la même question, en montrant que je n’enregistre pas. Elle me dit qu’ils n’ont rien contre les Roms, mais qu’ils luttent contre la criminalité.

Elle me parle de sa grand-mère, qui a 81 ans. Elle habite à côté, à 50 mètres du quartier rom, et s’est fait cambrioler trois fois ces dernières années. Elle sonne à une porte, fait sortir son aïeule de la maison, une très vieille dame, qui marche avec difficulté. Milena a les larmes aux yeux, comme ces mères Roms qui tout à l’heure me racontaient leur angoisse des semaines passées. Malheureusement, elle doit partir.

Je poursuis l’interview le lendemain, par téléphone : «Les Roms volent tout ce qu’il y a dans le jardin de ma grand-mère. Elle est faible, désarmée. Elle a peur pour sa vie. Que va-t-il se passer si des cambrioleurs la poussent ?» Elle poursuit : « Ils piquent tout, les fils électriques, les tuiles, les poutres… » Gyöngyöspata est entouré de vignobles. «Avant, il y avait 60 caves», m’explique-t-elle. «Maintenant il n’en reste plus que 4, à cause des vols.» Milena va voir la sienne toutes les semaines pour réparer ce qui a été endommagé, par principe. Elle est excédée :

Les Roms sont jour et nuit dans la rue, car ils ne travaillent pas. Au lieu de dire bonjour, ils crient « Suce ma bite », même aux vieilles dames.

Alors, comme 30 autres habitants du village, Milena s’est portée volontaire pour patrouiller dans l’antenne locale de la Szebb Jövőért Polgárőr Egyesület. Chez les non-Roms, la milice est massivement soutenue. Plus de 1 000 habitants ont signé une pétition en sa faveur. Elle est venue combler un manque évident de moyens de la part de l’Etat.

Oszkár Juhász, représentant local du Jobbik et candidat malheureux aux dernières municipales, se félicite de l’opération qui vient de s’achever : «Avant l’arrivée des miliciens, il n’y avait qu’un policier dans la ville. Désormais, il y en a deux en permanence. » Pour lui comme pour son mouvement, le coup est réussi. Le Jobbik passe pour le sauveur des Hongrois ruraux harcelés par les Roms et négligés par les grands partis de Budapest. A leurs yeux, l’action est un modèle à reproduire ailleurs, quitte à embraser les campagnes. Leur leader, Gábor Vona, a prévenu :

Gyöngyöspata est un exemple pour le futur.

Prochaine cible pour eux, prochaine destination pour moi : Hajdúhadháza.


Photos: Stéphane Loignon et Une de Loguy en CC pour OWNI

Retrouvez la suite de la série du reportage en Hongrie : [3]Patrouille avec la milice de Hajduhadhaza et [4] Hongrie: Tiszavasvari, laboratoire de l’extrême droite

Illustrations Flickr CC Dumplife

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Médecine du travail, burqa et autres victimes d’une semaine d’enfumage http://owni.fr/2010/09/18/medecine-du-travail-burqa-et-autres-victimes-dune-semaine-denfumage/ http://owni.fr/2010/09/18/medecine-du-travail-burqa-et-autres-victimes-dune-semaine-denfumage/#comments Sat, 18 Sep 2010 07:00:48 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=28525 La prestidigitation est un art de la diversion : mettez dans la lumière la main droite, parlez de votre main droite, personne ne regardera votre main gauche, ni ce qu’elle fait. Plus la diversion est éloignée de ce qu’elle cache, plus l’effet est remarquable. Selon ses critiques, George W. Bush aurait attiré le regard des Américains jusqu’en Irak pour ne plus parler des problèmes qui se posaient dans son pays. En élève modèle des Etats-Unis, Nicolas Sarkozy importe, à son échelle, cette technique efficace. Car le battage médiatique autour de l’expulsion des Roms n’est que la circulaire qui cache le projet de loi.

Le discret démantèlement de la médecine du travail

Lundi 13 septembre, l’actualité n’est qu’à l’indignation d’une inconnue, Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice et aux Droits fondamentaux, qui se scandalise de ce document qui se concentre sur une population en fonction de son origine ethnique, « une honte » répète-t-elle à tous les micros. Plutôt que de calmer le jeu, Pierre Lellouche, envoyé le lendemain (14 septembre) à Bruxelles, jette de l’huile sur le feu, en rajoute une couche le 15 sur RTL, suivi par Chantal Brunel, qui raille la Luxembourgeoise et son petit pays, puis toute la majorité…

… une polémique assez forte pour pousser de la première place des JT et des unes la colère des députés d’opposition et, surtout, le rassemblement sur le pont en face de l’Assemblée nationale organisé par les syndicats. Là, les quelques milliers de manifestants n’enrayent en rien l’adoption de la réforme des retraites. Réforme des retraites dans laquelle le gouvernement a subréptiscement glissé le 8 septembre (lendemain de la manif) l’amendement 730 qui abroge deux articles du droit du travail. Ses conséquences ? « La destruction de la médecine du travail », résument les syndicats.

« Le gouvernement nous avait promis un texte de loi après la réforme des retraites et un débat, nous avons eu un amendement redoutable à la place, récapitule Bernard Salengro, secrétaire national CFE-CGC pour la branche médecine du travail. Il supprime la lutte contre l’altération de la santé des salariés comme mission de la médecine du travail, ouvre ces fonctions à des non-médecins (infirmières, etc.) et donne l’autorité au patron. Le conflit d’intérêt que cet amendement instaure est nuisible aussi bien à la reconnaissance qu’à la prévention des maladies professionnelles. »

Appelés « cavaliers », ces amendements sans rapport avec les lois sur lesquels ils portent sont une méthode bien connue pour éviter le débat : pour avoir les discussions que la question méritaient selon eux, les syndicats frappent désormais à la porte des sénateurs, « nous irons au conseil constitutionnel s’il le faut », prévient même Salengro. Sous le feu nourrie des polémiques entre la France et l’UE, d’autres débats n’ont pas eu cette chance d’être tenu avant leur passage au Sénat.

Au Sénat, la suspension des allocs et la loi contre la burqa passent par Roms

Personne n’était devant le Palais du Luxembourg à 14h30 le 15 septembre. Et pourtant, sous la présidence de Catherine Tasca s’y discutait le vote du projet de loi « lutte contre l’absentéisme scolaire ». Loi évoquée par Nicolas Sarokzy lors de son discours de Tremblay-en-France, prévoyant la suspension des allocations familiales aux parents dont les gosses séchaient un peu trop les cours. Une initiative qui avait largement fait parler d’elle lors de son adoption à l’Assemblée nationale le 29 juin dernier. Dans le vacarme des engueulades entre Paris et la Commission, le second vote fut indolore. Pas même ponctué par le rappel des conclusions de Jean-François Mattei, ministre de la Santé du gouvernement Raffarin, qui avait décidé en 2004 la suspension du projet de loi prévoyant les mêmes sanctions… pour cause  « d’inefficacité et d’inéquité ».

Idem pour la loi contre le port de la burqa : sous l’élégante formule de « Projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public », le débat fut mené à son terme au Sénat le 14 septembre. Trop occupé par la stigmation des Roms, l’arène publique n’avaient plus la place pour cette autre polémique. Un calme dont se félicitait justement Jean-Louis Masson, député non inscrit, bien que clairement favorable au virage sécuritaire de la majorité :

« lorsque l’on traite des problèmes de sécurité, il conviendrait d’éviter les polémiques systématiques et de se dispenser de toute gesticulation politicienne, recommandait le sénateur de Moselle en séance. Cela vaut pour le débat sur la burqa, mais je pense aussi à la politique du Gouvernement, politique que je soutiens par ailleurs, visant à expulser des gens qui n’ont rien à faire sur notre territoire. En revanche, il n’est pas nécessaire que le Président de la République ou certains ministres gesticulent à tout va et ameutent les foules pour annoncer l’affrètement de charters ! »

Or, là où M. Masson se trompe, c’est que ce sont précisément ces gesticulations qui ont permis, en quelques minutes d’échange, d’expédier des mois de débat.

À côté de ces trois questions qui auraient mérités la place publique, notre attention a probablement laissé filer d’autres mesures. Nous laissons nos lecteurs et nos confrères remplir les vides, ici ou ailleurs. Mais, au delà du petit jeu de décryptage politique, ces adoptions ne sont pas que des tours de passe-passe politiciens. Le démantèlement sauvage de la médecine du travail revient sur un acquis du Conseil national de la résistance, devenu essentiel dans l’accélération d’une société productiviste gênée par les limites mécaniques de salariés que les cadences usent.

Mais cette accumulation de petits ajustements fera à l’arrivée un gros bilan, celui-là même dont Nicolas Sarkozy se prévaudra au moment d’entrer en course pour 2012. Elu en 2007 sur la rengaine du « je fais ce que je dis, je dis ce que je fais », le Président n’aura pour défendre sa réélection qu’à afficher la liste de ses réalisations, où l’on découvrira certainement d’autres mesures votées à la chandelle un jour d’inattention. « Et vous voulez laissez la gauche détruire tout ça », dira-t-il pour répondre à l’opposition. Comme de grands enfants déçus, tout le monde regrettera d’avoir trop regarder la main qui bougeait dans la lumière pendant que l’autre nous piquait nos droits.

Crédits Photo CC Flickr : Jolipunk, Terreta, Ma Gali.

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France: les ravages du déshonneur http://owni.fr/2010/09/17/france-les-ravages-du-deshonneur/ http://owni.fr/2010/09/17/france-les-ravages-du-deshonneur/#comments Fri, 17 Sep 2010 13:09:13 +0000 B. Roussel, M. Ganem, M. Collet, P. Roca (les Euros du Village) http://owni.fr/?p=28443 Le droit à la libre circulation de tous les citoyens européens sur l’ensemble du territoire de l’Union ainsi que l’interdiction de la discrimination sur base de la nationalité ou de l’origine ethnique sont des principes juridiques fondamentaux de l’Union européenne (voir les articles 10, 18, 26 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, et la directive 2000/43 du Conseil).

Au vu de ces principes, certains aspects de la politique de reconduite à la frontière menée par le gouvernement français à l’encontre des Roms de nationalité bulgare et roumaine, et en particulier une circulaire appelant les préfets à mettre en place « une démarche systématique de démantèlement des camps illicites en priorité ceux de Roms », sont probablement illégaux.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


En ciblant spécifiquement les Roms, cette circulaire contient un caractère discriminatoire puisqu’elle invite à expulser des personnes non pas sur la base d’une analyse au cas par cas de leur situation individuelle (ce qui reste légalement possible, mais en raison de leur appartenance à un groupe spécifique, identifié comme tel.

Il est donc logique que la Commission européenne, gardienne des traités, ait annoncé le 14 septembre, par l’intermédiaire de la Commissaire à la justice Viviane Reding, son intention de porter l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union européenne. L’annonce est certes une surprise, la Commission ne nous ayant récemment pas habitué à une telle fermeté face aux Etats membres, mais une surprise plus qu’agréable : en agissant de la sorte, la Commission est dans son rôle, celui de la défense du droit.

Le droit, cependant, semble bien être la dernière des choses dont se préoccupent le Président de la République, son gouvernement et certains membres de sa majorité, tout obsédés qu’ils sont par la dérive sécuritaire et populiste initiée cet été. Petit florilège de déclarations à l’emporte-pièce :

1) Peu après la déclaration de la Commissaire à la justice Viviane Reding, Nicolas Sarkozy lui suggérait, par l’intermédiaire de sénateurs UMP, « d’accueillir des Roms au Luxembourg ».

2) De son côté, le ministre des affaires européennes Pierre Lellouche déclarait, à l’issue du vote du Parlement européen le 9 septembre appelant Paris à suspendre immédiatement les expulsions de Roms, qu’un « grand Etat comme la France, patrie des droits de l’Homme, n’a pas de leçons à recevoir ». A propos des déclarations de Mme Reding, M. Lellouche estimait que « la Commission ne peut s’ériger en censeur des Etats ».

3) Enfin, la palme revient sans doute à la députée UMP Chantal Brunel, pour laquelle « on n’a pas de leçon à recevoir d’un pays qui, je crois, compte 350.000 habitants ».

Perdu, perdu et perdu ! La Commissaire luxembourgeoise Viviane Reding ne parlait bien évidemment pas au nom de son pays d’origine (ce qui est formellement interdit par les traités) mais au nom de la Commission européenne, ce que n’a pas manqué de rappeler le ministre des affaires étrangères du Grand-Duché. Et en ce qui concerne le rôle de « censeur » et les leçons de la Commission, tout Etat membre de l’UE, patrie des droits de l’Homme ou pas, est tout à fait à même d’en recevoir s’il ne respecte pas le droit communautaire, c’est même là toute la spécificité de la construction européenne. Les réactions de la majorité à l’annonce de Mme Reding font donc preuve d’une large méconnaissance des règles de base de l’Union européenne, ou plus probablement, et c’est la chose la plus grave depuis le début de « l’affaire » des Roms, d’un total mépris à l’égard de ce que représentent ces règles, la Commission et l’Union européenne dans son ensemble.

La politique d’expulsion des Roms ne constitue pas, dans la réalité des faits, une atteinte systématique et fondamentale aux droits humains. On n’a (jusqu’à présent) pas entendu parler de cas de mauvais traitements ou autres atteintes physiques, même si les traumatismes qui peuvent résulter des interventions policières et des expulsions ne sont sûrement pas négligeables. Apparemment, le nombre d’expulsions de Roms en 2010 (8030 au 25 août selon Eric Besson) ne serait pas beaucoup plus important qu’en 2009 (environ 10.000), ce qui n’est certes pas rassurant en soi mais pourrait tendre à prouver que les annonces n’ont pas d’immenses conséquences pratiques (ce qui n’est pas étonnant quand on sait que le nombre de Roms roumains et bulgares présents en France est estimé à 15.000).

Concrètement, il s’agit avant tout d’une politique inefficace qui consiste à expulser vers d’autres pays faisant partie du même espace de libre circulation des populations nomades ! D’où les exemples de Roms se retrouvant avec 300€ d’aide au retour en poche avant de prendre, justement, le chemin du retour…vers la France.

Le principal problème posé par la politique de Nicolas Sarkozy est donc le climat malsain et délétère qu’elle instaure. Un climat qui, en France, encourage la désignation d’une communauté ethnique comme bouc émissaire, la discrimination et, in fine, l’affrontement. Au niveau européen, l’idée de coopération et de solidarité entre Etats membres, l’idée même de Communauté européenne, qui se trouve agressée. La transposition au niveau européen de la violence verbale et de l’invective qui ont cours dans le débat politique français serait redoutable.

Ce contexte risque de rendre bien difficile la possibilité de développer une réponse européenne à la « question » des Roms et de leur intégration, l’Europe étant le seul niveau auquel une action efficace puisse être menée. Plus généralement, l’attitude de la France et la défiance qu’elle suscite dans le reste du continent sont en contradiction frontale avec le besoin d’une action européenne renforcée au niveau économique, diplomatique ou de la lutte contre le changement climatique, ce dont la France aime habituellement se faire la championne.

Dans un communiqué publié le 15 septembre, l’Elysée « prenait acte » des excuses présentées par Mme Reding pour ses déclarations « outrancières » à l’égard de la France. Outre le fait que Mme Reding ne s’est pas excusée mais a simplement dit « regretter les interprétations » de ses déclarations ; outre le fait que Mme Reding, malgré le caractère maladroit de ses déclarations, n’avaient pas comparé les expulsions de Roms à la Shoah mais avait simplement dit « penser que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la deuxième guerre mondiale » ; c’est surtout l’Elysée qui, par le mépris et la suffisance à peine dissimulés de ce communiqué, se montre outrancier, comme tant de fois depuis cet été.

L’attitude française vis-à-vis des Roms roumains et bulgares a déjà été fortement critiquée par deux comités de l’ONU, le Parlement européen et la Commission européenne. Plusieurs Etats membres, dont l’Allemagne, ont exprimé leur inquiétude quant au respect du droit européen, tandis que même des sources officielles américaines appellent la France à « respecter les droits des Roms ». La seule réplique de Paris a jusqu’à présent été de balayer les critiques du revers de la main, de les considérer avec l’arrogance d’un premier de la classe trop sûr de ses qualités. Pourtant, à quelques mois de sa présidence du G8 et du G20, c’est bien l’image internationale de la France, et donc son influence et le rôle de « donneur de leçons » qu’elle affectionne tant qui s’en trouvent fortement endommagés. Y remédier nécessitera probablement beaucoup de temps, et l’élection d’un nouveau chef d’Etat. Le rendez-vous est pris, et il est pour dans moins de deux ans.

Crédit photo : Sylvain Lapoix (Nicolas Sarkozy à Toulon, 25/09/2008).

Billet initialement publié sur :

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Lellouche, diplomate provoc du tournant anti-système http://owni.fr/2010/09/15/lellouche-diplomate-provoc-du-tournant-anti-systeme/ http://owni.fr/2010/09/15/lellouche-diplomate-provoc-du-tournant-anti-systeme/#comments Wed, 15 Sep 2010 14:08:54 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=28235 En décembre 2008, Nicolas Sarkozy se vantait d’avoir donné à l’Europe un nouveau pouvoir, symbolisé par un traité de Lisbonne dont il se serait presque proclamé l’auteur. Et c’est en s’appuyant sur ce texte que Viviane Reding a qualifié la politique française d’expulsion des Roms de « honte » pour l’Union européenne. L’opportunisme présidentiel est passé par là.

Double discours institutionnalisé

« La discrimination sur la base de l’origine ethnique ou en fonction de la race n’a pas sa place en Europe », a martelé la commissaire à la Justice, invoquant les droits de l’homme autant que la directive sur la libre circulation dans l’Union européenne. Fidèle à lui-même, Pierre Lellouche s’est empressé de nier, largement. Grossièrement, même, qualifiant l’accusation de Reding de « dérapage »… non sans avoir au préalable répété son « respect » des institutions.

Exactement la même posture que l’Élysée, optant pour l’adjectif « inacceptable » à l’endroit des déclarations de Viviane Reding, avant de promouvoir un « dialogue apaisé ». Le gouvernement se prononce ainsi : nous vous respectons mais nous méprisons vos propos.

Lellouche n’a rien inventé : sur la circulaire qui ciblait nommément les Roms, contredisant le principe constitutionnel de non discrimination, les ministres concernés et Xavier Bertrand ont commencé par assumer le propos… avant que Hervé Morin, Fadela Amara et tous ceux qui étaient disponibles qualifient de « maladresse ». Un peu comme une grand-mère qui, laissant échapper un mot nostalgique sur les colonies se ravise, « pardon, j’ai dit une bêtise ».

Place au couplet anti-Europe

À ceci près que la cohérence du discours ne laisse pas de doute : chacun de ceux qui s’expriment sur ce dossier (à commencer par le secrétaire d’État en charge des Affaires européennes) le fait avec l’aval de l’Élysée et des mots choisis. Les « éléments de langage » (ou « wording » pour les initiés) sont méthodiquement répandu sur toutes les ondes : il ne faut qu’aucun Français n’en rate une miette de cette « maladresse » qui envoie les Roms au rayon des « menaces à la sécurité ». L’important est que l’électorat que veut reconquérir Nicolas Sarkozy, à la droite de la droite, sache que le gouvernement n’hésite pas à pointer les responsables.

Et, à ce titre, l’intervention de la commissaire européenne est une aubaine : « Bruxelles », cette antre réputée mystérieuse aux lois iniques a jeté l’opprobre sur la pauvre France… Le Front national n’aurait pas écrit meilleur scénario. C’est une cabale, un complot contre le pays dans lequel, Jean-François Copé l’a souligné sur France info, des eurodéputés français « trahissent leur pays ». Après le tournant sécurité, ce refrain anti-système ne déplaira pas aux électeurs d’extrême droite dans le cœur desquels ce nouveau Nicolas Sarkozy retrouve une place : de 31,90% de sympathisants FN favorable au président en août, la cote de popularité atteint dans un sondage Ipsos pour Le Point 52,4% de satisfait.

Lellouche : arme de provocation massive

Dans ce discours de reconquête des marges droitières, Pierre Lellouche pourrait aussi jouer un rôle. Depuis son entrée en poste, il s’est fait remarquer pour son habileté à alterner sorties fracassantes et discours policé : homme de confiance du président de la République, beaucoup de journalistes ont constaté, au fil des voyages à l’étranger avec le secrétaire d’État, des déclarations sans équivoque sur la Turquie ou d’autres sujets sensibles que ses discours « officiels » contredisaient totalement. Pour preuve, Viviane Reding a pris le temps et l’énergie de reprocher ses manières lors des discussions à Bruxelles sur la question des Roms, chose rare. Lellouche avait déclaré à la presse que la France n’était « pas à l’école » et ne méritait, à ce titre pas de « leçons » de la commission. À ceci près que le livre de leçons a été validé par Nicolas Sarkozy fin 2008.

Une hypocrisie que ne réprouve en rien le président de la République. Au contraire : dans les services du ministère des Affaires étrangères, le nom du secrétaire d’État circule comme le candidat le plus sérieux à la tête du Quai d’Orsay dans le prochain gouvernement. Il serait certainement plus dans le ton du chef de l’État, qui vient d’inviter Viviane Reding à accueillir les Roms au Luxembourg (son pays d’origine), que le translucide Bernard Kouchner. Tant qu’à foncer vers 2012 en serrant à droite, autant bien choisir son klaxon.

Crédits photo CC FlickR Digger Digger Dogstar

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Paris et l’UE irréconciliables sur le sort des Roms http://owni.fr/2010/09/15/paris-et-lue-irreconciliables-sur-le-sort-des-roms/ http://owni.fr/2010/09/15/paris-et-lue-irreconciliables-sur-le-sort-des-roms/#comments Wed, 15 Sep 2010 10:24:04 +0000 Jean Quatremer (Libération) http://owni.fr/?p=28150 La guerre est déclarée : Viviane Reding, la commissaire européenne chargée de la justice et des droits des citoyens, a annoncé tout à l’heure que l’exécutif européen allait poursuivre la France devant la Cour de justice européenne. Elle l’accuse d’avoir violé le droit européen en expulsant des centaines de Roms en raison de leur seule origine ethnique. Pour la commissaire — toute de rouge vêtue afin de manifester sa colère — :

« la discrimination sur base de l’origine ethnique ou de la race, n’a pas sa place en Europe. Elle est incompatible avec les valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée. Les autorités nationales qui discriminent à l’encontre de groupes ethniques lors de l’application de la loi de l’Union européenne violent aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont tous les États membres sont signataires, y compris la France. Je trouve donc extrêmement troublant que l’un de nos États membres, à travers des actes de son administration, remette en question, de manière aussi grave, les valeurs communes et le droit de l’Union européenne ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

C’est la révélation, ce week-end, d’une circulaire datée du 5 août ciblant spécifiquement les Roms qui a déclenché la colère des autorités communautaires. En effet, Eric Besson, le ministre de l’Immigration, et Pierre Lellouche, le secrétaire d’État aux affaires européennes, avaient fait le voyage à Bruxelles pour expliquer à la Commission, inquiète, que les Roms n’étaient pas visés en tant que tel, mais qu’il s’agissait d’une politique destinée à démanteler des bidonvilles et à renvoyer, après examen individuel, des citoyens, certes Européens, mais dénués de toutes ressources. « Rassurée », la Commission semblait bien décidée à enterrer le dossier. Désormais, elle a l’impression d’avoir été trompée par Paris, comme l’a déclarée Reding : « trop, c’est trop ! (…) Les assurances politiques données par deux ministres français mandatés officiellement pour discuter de cette question avec la Commission européenne, sont maintenant ouvertement en contradiction avec une circulaire administrative de ce même gouvernement », ce qui est une « honte ».

Les déclarations arrogantes et matamoresques de Pierre Lellouche, hier, à Bruxelles, ont achevé de faire sortir la Commission de ses gonds. Furieux que la France ait été épinglée jeudi dernier par une résolution (non obligatoire et non soutenue par la Commission) du Parlement européen, le secrétaire d’État a estimé devant les médias que « la France est un grand pays souverain. On n’est pas à l’école. Nous appliquons notre loi. Je n’ai pas l’intention d’être traité, au nom de la France, comme un petit garçon ».

Une déclaration hallucinante, Lellouche semblant oublier que la France est membre, depuis 1957, de l’Union et que c’est même le gouvernement actuel qui a fait ratifier le traité de Lisbonne qui donne davantage de pouvoirs à l’Union en matière de liberté publique. En outre, Paris est membre du Conseil de l’Europe et de la convention européenne des droits de l’homme (ce qui la rend justiciable de la Cour européenne des droits de l’homme) et est partie à toute une série de conventions internationales (y compris de la Cour pénale internationale) qui l’expose aussi à « recevoir des leçons »

Poursuivant sur sa lancée populiste qui l’amène à remettre en cause l’ensemble du droit international, Lellouche affirme que ce n’est pas la Commission qui est la gardienne des traités, mais « le peuple français ». Viviane Reding s’est fait une joie de renvoyer Lellouche à ses études :

« le rôle de la Commission en tant que gardienne des Traités est un des fondements de l’Union européenne – une Union dont la cohésion existe, non pas par la force, mais par le respect des règles de droit convenues par tous les États membres, y compris la France ».

La France aura du mal, cette fois, à échapper à un procès devant la Cour de justice européenne. Car, pour la Commission, la signature d’une nouvelle circulaire où le mot « Rom » a été biffé ne change rien : « il est important que ce ne soient pas seulement les mots qui changent, mais aussi le comportement des autorités françaises ». Et Paris n’entend pas renoncer aux expulsions collectives de Roms.

La France n’est pourtant pas la seule en Europe à renvoyer des Roms, d’où la dénonciation par Lellouche d’une « bulle d’hypocrisie » sur la question. Mais elle est la seule à mettre en scène une telle politique en chatouillant la xénophobie supposée de ses citoyens. Au lieu de jouer au matamore avec les institutions communautaires qui sont dans leur rôle, Lellouche aurait mieux fait d’essayer européaniser le problème de l’intégration des Roms, qui est réel, que ce soit dans leur pays d’origine ou dans leur pays d’accueil. Mais la subtilité ne fait manifestement pas partie de la panoplie gouvernementale.

Billet initialement publié sur Les Coulisses de Bruxelles.

Images CC Flickr de World Economic Forum, Steamtalks

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Ceci n’est pas une politique (éditoriale) sécuritaire http://owni.fr/2010/08/31/edito-politique-ortf/ http://owni.fr/2010/08/31/edito-politique-ortf/#comments Tue, 31 Aug 2010 06:06:06 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=26535 0:42, le 27 août 2010.
Encore un sondage [pdf]. Pas celui qui annonçait le plébiscite du “discours de Grenoble”, ni celui qui promulguait le soutien populaire à l’expulsion de familles pour des raisons communautaristes, non. Celui qui révélait que pour la majorité de nos concitoyens, Marine ne s’appelait plus Le Pen. Elle et son fond de gamelle étaient passés dans les mœurs.
cf. LeFigaro, OpinionWay.

Entre 1960 et 1963, jaillissait ce que d’aucuns nommèrent “l’adolescence” ou les “yé-yé” (Edgard Morin, lui déjà) c’est-à-dire la jeunesse et sa cohorte d’idoles, sa musique rock américaine et la mode qui s’ensuivrait, mais aussi l’industrie du disque – quand Piaf, précédemment immense vedette, devait se produire sur scène pour subvenir à ses moyens – et  avec lui le show-business. Mot pour mot les “affaires du spectacle” et ce que Debord distinguera ensuite dans de savants ouvrages comme étant “la société du spectacle”.
cf. Europe 1, Salut Les Copains.

Retour à aujourd’hui sans passer par le 22 mars 1968 et Cohn-Bendit (déjà lui…) mais en faisant un nécessaire crochet par Tarnac, un 11 novembre 2008. Cette jeunesse n’a connu ni le Pschitt Orange ni Françoise Hardy jeune. Elle n’est plus un nouveau marché aux couettes gaufrées (Sheila) mais à conservé des blousons noirs les mauvaises manières et un certain jeu de jambes. Demain est noir, plus que le cuir encore, obscur, trouble à outrance et l’heure n’est plus à la construction ni de soi ni du commun mais à l’insurrection, qui elle, alors, est encore annoncée.
cf. L’insurrection qui vient (les seuls deux premiers tiers sont brillants).

Fenêtre sur cour…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il y a trente jours lors de la rédaction du précédent édito, je m’étais dit que celui-ci sonnerait l’heure des présentations (qui sont les vingt hurluberlus qui composent OWNI au quotidien ?). C’était sans compter avec Grenoble, avec le déshonneur fait à Django et à sa Marseillaise, sans compter avec ce que les âmes assagies et ministrables appelèrent “la dérive sécuritaire”. Nous allions encore causer “avenir des médias” et réseaux sociaux quand plus que jamais au 50ter rue de Malte à Paris, à “la soucoupe”, c’est de quotidien de médias, “en guerre”, et d’”araison sociale”, sans guerre – et là le bât blesse – que nous causions.
cf. OWNI.fr

Quand en fin d’année dernière nous avions souhaité, avec les centaines d’auteurs, blogueurs et journalistes qui composent ce “blob” (si, si !) donner à notre ambition éditoriale au nom imprononçable les moyens, d’abord humains mais aussi économiques, de se déployer, nous imaginions un Wired en réseau. Est arrivé le datajournalism et avec lui la rencontre de designers, développeurs open-sources et éditeurs (journalistes, blogueurs, et souvent rien de tout cela aussi). A alors fait jour l’idée d’un ProPublica en espadrilles. A jailli WikiLeaks, les sondages, les pdf, les xls et de nouvelles cernes. C’est là qu’intervient “Grenoble”.
cf. France.fr, 404 not-found.

La neutralité d’honnêtes ?

Si propice à se lier contre Hadopi, si outragés par les atteintes à la neutralité du Net, si obnubilés par nos 140 signes de reconnaissance, nous n’avions, pas plus que d’autre sans doute, pris l’ampleur des amalgames, et des dégâts induis par la politique d’iniquité croissance (d’inégalités croissantes si vous préférez – celles-là encore et toujours) menée par ceux qui ne gouvernent plus que leur espérances de gains à court terme. Et nous lancions le “live”, notre fil de brèves, OWNImusic, notre soucoupe à chanter, OWNI.eu (ce mois-ci, si notre taylor is rich). Et nous gagnions notre croûte, financés par notre seule sueur. Autant dire que nous ne collectionnions ni les écrans plats ni les brassards de manifestations syndiquées. Certains parmi nous faisaient des maraudes, d’autres des gosses, certains la fête que leurs 20 ans exigeaient. Le média de nos insurrections était devenu la fenêtre où nous fumions en terrassant des litres de café ou de houblon manufacturé.

Impolies TIC.

à 1:14 le 28 août, j’avais jeté ces maux.
Confusément, trainaient dans mon esprit Elvis, Stéphane Delajoux, France Gall, Coupat, Fillipachi, Mougeotte et autres fantômes. Mais je ne me demandais plus par quel biais éditorial nous traiterions dorénavant de leurs “grands œuvres” puisqu’à la fenêtre, entre deux cendriers et des verres sans pied, nous avions convenu de l’évidence : notre prochaine aventure journalistique serait évidemment politique. Son nom de code est d’ailleurs, par pure provocation, “ORTF”. Son ambition et sa naissance vous seront ici contés.

OWNI n’est ni à gauche, ni à droite, ni au centre ou au vert, OWNI – et l’essentiel de ceux qui le composent – est en désaccord avec la politique menée par le gouvernement actuel.

Nous comptons bien, à ce titre, peser de l’infime poids de notre artisanat et de l’immense charge de notre passion sur la scène politique, médiatique et activiste nationale et européenne.

La révolution ne sera pas télévisée !

Elle pourrait par contre enfin prendre une forme neuve d’insurrection, en réseaux et en Creative Commons.

Il serait temps.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Bonne rentrée…

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http://owni.fr/2010/08/31/edito-politique-ortf/feed/ 2
Comme Godwin en France http://owni.fr/2010/08/19/comme-godwin-en-france/ http://owni.fr/2010/08/19/comme-godwin-en-france/#comments Thu, 19 Aug 2010 13:00:40 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=25293 Tout comme l’éditorial du New York Times dénonçant la politique «xénophobe» du gouvernement français, le titre de Une du Times mentionnant les «souvenirs de la Gestapo» à propos des évacuations de Roms, n’est pas passé inaperçu (voir ci-contre). Après Stéphane Hessel ou Michel Rocard évoquant Vichy ou les nazis, le rappel des «rafles pendant la guerre» par le  député UMP Jean-Pierre Grand montrait que le vénérable journal britannique n’était pas le seul à avoir la mémoire chatouillée par certains rapprochements.

Outre les protestations de quelques ministres et porte-paroles du parti au pouvoir, la multiplication de ces réactions a suscité des interrogations sur le bon usage des comparaisons historiques. Sur Rue89, Pierre Haski parle d’«analogies indignes», tandis que sur Médiapart, l’historien Henry Rousso, dans une réflexion plus nuancée, juge que si certaines comparaisons ne sont pas «sans objet», leur pertinence paraît néanmoins «fragile».

Qui peut disconvenir que tracer un signe “égal” entre passé et présent, Hitler et Sarkozy, les juifs et les Roms, serait un geste excessif et vain? Aussi bien n’est-ce pas de cela qu’il s’agit. Le rôle de l’analogie historique, faut-il le rappeler, n’est pas de postuler l’identité de deux périodes, mais plutôt de faire apparaître la signification d’un événement contemporain par la mobilisation d’un point de comparaison historique. Il s’agit, pour le dire simplement, d’une image, c’est à dire d’un procédé rhétorique aussi vieux que l’histoire, en l’absence duquel l’œuvre d’auteurs aussi négligeables que Racine, Voltaire ou Victor Hugo se trouverait sensiblement allégé.

Le point Godwin brouille le jeu

L’interdiction de l’apologie du nazisme et la “loi de Godwin” sont venus brouiller le jeu référentiel, en laissant supposer que toute allusion au IIIe Reich serait désormais frappée d’infamie. Interrogé sur les réactions suscitées par les déclarations de la majorité qu’il soutient, Yves Thréard, directeur-adjoint de la rédaction du Figaro, s’est réjoui de l’invention du point Godwin, comme d’un frein à la dénonciation de déclarations politiques malheureuses. C’est confondre deux registres bien différents. Maître Eolas a heureusement rappelé le sens de cette blague signifiant la fin de toute discussion argumentée sur un forum ou en commentaire, lorsqu’un intervenant use hors de propos de la reductio ad hitlerum. Le point Godwin est une sanction du hors-sujet et de l’épuisement du dialogue, mais en aucune manière l’interdiction de mentionner telle période ou tel personnage. Il n’en est pas moins probable que la multiplication des allusions historiques aura pour corollaire une prolifération de points Godwin sur le web français.

Frapper les esprits

On peut regretter que le spectre des références utilisées soit si mince – Hitler ou Staline étant venus prendre la succession de Néron ou Caligula dans la galerie des monstres du folklore historique. Mais l’appel à la modération en matière d’analogie historique ne semble pas un impératif très réaliste. La raison du recours à ce procédé est bien la production d’un raccourci frappant, sorte de coup de poing du discours, qui mobilise par définition les exemples historiques les plus marquants – l’allusion érudite à un épisode peu connu risquant fort de tomber à plat.

Comme toute arme rhétorique puissante, l’analogie est un effet de manipulation délicate. La mesure de son efficace repose dans le degré de pertinence des termes rapprochés. Nul ne s’offusque lorsque Margaret Thatcher, alors chef du gouvernement anglais, compare Saddam Hussein à Hitler, le 2 août 1990 à la conférence d’Aspen. Saddam était un dictateur sanguinaire. Le parallèle entre lui et Hitler n’en a pas moins ses limites. Mais au premier jour de l’invasion du Koweit, l’analogie a un sens précis. En contexte, cette image a servi a interpréter immédiatement l’agression irakienne comme le prélude à une conquête plus large, et a joué un rôle de catalyseur dans l’alliance du camp occidental pour s’y opposer.

Il est donc vain de jouer les vestales outragées à chaque allusion au passé. Il est d’ailleurs amusant de voir les membres du parti majoritaire si prompts à qualifier de calomnie les traits qu’ils sont les premiers à lancer à la tête de leurs adversaires (comme Xavier Bertrand ou Nadine Morano, à partir d’”éléments de langage” visiblement dictés, accusant en cœur «certains médias» d’utiliser «des méthodes fascistes»). Plutôt que de s’offusquer de l’emploi du mot “rafle”, on ferait mieux de se demander pourquoi l’invocation de Vichy est devenue monnaie courante dans la France de 2010.

Une traduction biaisée

Le titre du Times mérite mieux que des cris d’orfraie. Bruno Roger-Petit a traduit un peu vite “Sarkozy expels Roma to spark memories of Gestapo” par: “Sarkozy expulse les Roms et rappelle le souvenir de la Gestapo”. Il serait plus juste de proposer: “Sarkozy expulse les Roms pour provoquer les souvenirs de la Gestapo”. Autrement dit, le Times ne suggère nullement que Sarkozy et la police secrète nazie, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Ce qu’il dit est que le chef de l’Etat a délibérément choisi de réveiller les démons d’un passé trouble.

[Ndlr OWNI.fr (18h12) : Le terme 'to' du titre du Times se traduit non par 'pour' mais par 'va'. Une traduction possible de ce titre serait donc "Sarkozy ravive les souvenirs de la Gestapo en expulsant les Roms"]

Ce jugement n’est pas une invective mais une analyse, effectuée à partir des réactions constatées. Parmi les photos réalisées par le reporter de l’AFP le 14 août à Montreuil, après l’expulsion d’une communauté rom, plusieurs rédactions, dont celle du Monde ou du Times ont retenu celle qui associe un groupe de CRS derrière leurs boucliers à l’image d’une femme au visage douloureux, le poing levé, portant un jeune garçon sur ses épaules. Pas étonnant. La composition de cette photo est une allusion transparente à la célèbre image de l’enfant juif réalisée en 1943 lors de l’expulsion du ghetto de Varsovie.

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(1) Manifestation le 14 août 2010 à Montreuil après une expulsion de Roms (photo: Miguel Medina/AFP). (2) Destruction du ghetto de Varsovie, mai 1943, photo extraite du rapport Stroop.

Sarkozy, pompier pyromane

Au plus bas dans les sondages, Sarkozy a pris le risque de manipuler un registre symbolique hautement inflammable. Comme plusieurs observateurs, le Times a parfaitement compris la volonté de clivage qui tient lieu de stratégie au camp sarkozyste. Soulever l’indignation de la gauche morale pour se draper ensuite dans le bon sens populaire et la revendication de l’action politique est bien le projet désespéré du président, qui compte que le peuple de droite détestera plus cet adversaire honni que lui-même. Mais il est bien présomptueux celui qui met le feu au champ symbolique en espérant pouvoir contrôler l’incendie.

Il y a des souvenirs qu’on ne réveille pas impunément. En ouvrant la boîte de Pandore de la haine de l’étranger, Sarkozy savait très bien qu’il excitait les humeurs les plus rances de nos contemporains. Ajoutons que ce jeu de la référence implicite fait partie depuis longtemps de l’arsenal le plus détestable de l’extrême-droite. Manipuler ces symboles est non seulement odieux, mais profondément méprisable. Non, la révolte des mémoires n’est pas indigne. Elle ne fait que répondre à la provocation, mettant à jour sa dimension tacite.

A la manière de la caricature, l’analogie historique n’est qu’un instrument de poing, un outil de dénonciation immédiate qui ne remplace pas l’analyse. Comme l’explique Henry Rousso: «à force de rabattre les dangers du présent aux fléaux d’hier, on se prive d’en comprendre certaines caractéristiques inédites.» La dénonciation n’a jamais suffi. Elle n’est qu’un moment dans le cheminement critique. Mais un moment décisif, dont il est vain de croire qu’on peut faire l’économie. Le moment du ras-le-bol, le moment qui précède la crise.

Billet initialement publié sur L’Atelier des icônes, un blog de Culture Visuelle

Image CC Flickr Max Braun

Disclosure : Culture visuelle est un site développé par 22mars, société éditrice d’OWNI

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http://owni.fr/2010/08/19/comme-godwin-en-france/feed/ 5
[docu] Qui a peur des Gitans ? http://owni.fr/2010/08/15/le-vrai-temps-des-gitans/ http://owni.fr/2010/08/15/le-vrai-temps-des-gitans/#comments Sun, 15 Aug 2010 17:17:28 +0000 Admin http://owni.fr/?p=24846 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Tourné en 2009, alors que les gens du voyage n’étaient pas sous les feux d’une actualité aux relents nauséabonds – à tel point que l’ONU a critiqué la politique de répression mise en place par l’UMP – le documentaire “Qui a peur des gitans” nous invite à faire le voyage avec cette communauté de  trop souvent réduite à des clichés. Durant une heure -ça change des sujets longs comme une tête de jivaro d’un 20 heures-, l’équipe de la Télé Libre, emmenée par John-Paul Lepers, prend le temps de nous faire découvrir ces “éternels étrangers de l’intérieur”, jusque dans leurs contradiction : leur mode de vie, la réglementation à laquelle ils sont soumis, le rejet dont ils sont l’objet en général : mon pote le gitan, oui, mais sous la forme d’un CD de musique folklorique.

“Ça se raidit, on regresse sur la question des gitans”, peut-on ainsi entendre. C’était l’été dernier, depuis cette tendance n’a pas été inversée par le gouvernement, toujours en pointe sur la politique sécuritaire populiste.

À lire aussi : le billet très énervé de Jean-Noël Lafargue : La quinzaine du Rrom

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