OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les cachotteries du Groupe SOS http://owni.fr/2011/10/20/les-cachotteries-du-groupe-sos/ http://owni.fr/2011/10/20/les-cachotteries-du-groupe-sos/#comments Thu, 20 Oct 2011 06:14:07 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=68286 En France, le Groupe SOS et ses 4 000 salariés passent pour le champion de l’entrepreneuriat social, acteur historique de la lutte contre la toxicomanie ou le logement précaire. Un industriel de l’aide sociale qui prend grand soin de son image.

Au mois de juin dernier, la chaîne LCP diffusait un documentaire hagiographique tout à la gloire du patron du groupe SOS, sobrement intitulé Jean-Marc Borello : ni Dieu, ni maître, ni actionnaire. Notre enquête sur l’ensemble de cette entreprise, qui regroupe près de 200 entités, montre cependant une autre facette, moins nette. Le groupe y apparaît comme un as du marketing dans le secteur de la misère sociale, pêchant parfois par opacité. Jean-Marc Borello conteste vivement cette critique, comme il nous l’a exprimé lors d’une interview particulièrement animée et que nous diffuserons dans les prochaines heures.

À en croire le site du groupe SOS, « des contrôles réguliers exercés par les pouvoirs publics ont témoigné du professionnalisme et de la transparence financière du Groupe SOS et au-delà, du choix des pouvoirs publics de faire de nos associations des partenaires privilégiés. » Et de citer ensuite des extraits de rapports pour prouver la véracité de ses dires.

Première offensive de la Cour des Comptes en 1998

Effectivement, les audits de 2009 sur deux de ses associations, JCLT (accompagnement de publics en difficulté) [pdf] et Crescendo (crèches et haltes-garderies) [pdf], faits par l’Inspection Générale de la Ville de Paris (IGVP), sont très positifs. Mais plus bas, on tombe sur d’autres rapports, nettement moins élogieux.

En 1998, la Cour des Comptes publie un rapport [pdf] relatif au dispositif de lutte contre la toxicomanie. Une partie est consacrée au contrôle de l’emploi des crédits publics, en prenant exemple sur trois associations, dont SOS Drogue Internationale (SOS DI), la structure « mère », fondée en 1984

Voici l’extrait qu’en a retenu le Groupe SOS pour son site : « Son expansion a été encouragée par les pouvoirs publics qui l’ont d’ailleurs sollicitée à plusieurs reprises pour reprendre la gestion d’associations en difficulté ou en voie de disparition ou pour mettre en œuvre des expérimentations. » OWNI, qui a lu tout le rapport, a sélectionné d’autres passages (pp. 102-104) :

Puissante et influente, l’association SOS DI agit souvent en relation directe avec l’administration centrale sans que les services déconcentrés de l’État soient toujours consultés, ni même informés.

La structure du groupe, qui mêle « des associations satellites, “sœurs” et des “filiales de gestion” » est pour le moins floue : « Alors même que les dirigeants de l’association ne contestent pas la nécessité de clarifier les relations entre les diverses entités de l’ensemble ainsi constitué et de pousser plus loin la consolidation des comptes, les outils nouveaux mis en œuvre ne répondent qu’imparfaitement à ces préoccupations. »

Enfin, au chapitre « Relations avec l’État », de nouveau, les inspecteurs tiltent sur l’insuffisance de la comptabilité, indispensable pour fixer au plus juste les subventions et dotations de l’État.

Rapport éloquent de l’IGAS

Un rapport de l’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS) rendu en décembre 1999 est ensuite cité sur le site du Groupe SOS : « L’activité et le service rendu aux publics concernés sont incontestables. » Le Groupe SOS se garde bien de préciser que c’est celui de la Cour des comptes qui l’a motivé. Et ils sont un peu énervés les inspecteurs car « la règle de l’improviste n’a pu être respectée » : l’association a été prévenue.

Jean-Marc Borello aime à répéter qu’il a appris la gestion d’entreprise en lisant un Que-Sais-Je, du temps où il était patron du groupe Régine (boîtes de nuit et restaurants). Apparemment, il en a saisi toutes les subtilités :

Ce manque de clarté et de rigueur dans la présentation des relations entre les diverses entités de l’ensemble est d’autant plus étonnant que les équipes du “groupe SOS” font preuve par ailleurs d’un savoir faire particulièrement sophistiqué, notamment dans la conception et la présentations des clés de répartition des charges au sein des membres constituant le GIE Alliance Gestion.  (p. 6)

« Difficultés considérables entre SOS Drogue international et les DDASS »

De par ses activités, le groupe SOS est amené à travailler avec les institutions publiques, et en particulier les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), intégrées depuis dans les ARS (Agence régionale de santé). Constatant la « concentration du pouvoir décisionnel », les inspecteurs de l’IGAS soulignent que « cette organisation centralisée [...] est à l’origine de difficultés considérables entre SOS Drogue international et les DDASS. » (p. 23)

Choix du personnel d’encadrement, demande de subventions : le directeur général Jean-Marc Borello joue de son réseau politique, qu’il a commencé à construire du temps où il travaillait à la MILT (Mission Interministérielle de contre la Toxicomanie) . Toujours au même chapitre (p24) :

En outre, certaines DDASS constatent avec regret le manque de transparence avec lequel l’association travaille. [...] Cette opacité dans la gestion de certaines structures et certaines anomalies comptables constatées ont conduit plusieurs DDASS à saisir une demande d’enquête d’autres administrations.

La politique d’expansion par reprise d’association n’est pas épargnée (en gras dans le texte) : « On ne peut que s’étonner du changement permanent de périmètre et de dénomination des structures, associations, groupements d’intérêt économique et sociétés commerciales composant le “groupe SOS”, qui rend, de fait, impossible le suivi des opérations financières menées par les différentes entités, en dépit des sommes considérables qui leur sont versées, année après année, directement ou indirectement, par les pouvoirs publics.

L’organisation très créative, au périmètre sans cesse modifié, ainsi mise en œuvre, aboutit à faire échapper au contrôle de l’État le suivi d’ensemble des flux financiers entre les diverses structures composant le “groupe SOS”. »

Le clou est enfoncé à la fin :

Les inspecteurs de l’IGAS maintiennent l’essentiel de leurs conclusions après les réponses du groupe SOS.

Et un rapport de 2005, absent du site

Quelques années plus tard, l’IGVP reprend quasiment mot pour mot ces conclusions, dans un rapport sur SOS DI [pdf], qui ne figure pas sur le site du Groupe SOS :

Soulignés par les rapports de l’IGAS-IGF (1999) et de la Cour des Comptes (1998), certains des aspects négatifs restent inchangés, voire accrus :

“La complexité des montages adoptés pour le Groupe SOS rend extrêmement difficile la lisibilité et le contrôle de leurs opérations par les services de l’État.”

“Cette complexité se trouve accrue par les changements permanents de dénominations et de périmètre des différentes entités.”

Et si le problème des relations avec les DDASS a été réglé, ce n’est pas par la bonne volonté du groupe mais par un changement de politique publique, « avec le transfert des financements de l’État vers l’Assurance Maladie, qui renforce l’autonomie de décision des DRASS et des CRAM. »


Au chapitre bizarrerie, l’IGVP note ainsi des erreurs comptables importantes :

« Les lignes de détails des comptes cumulés pour l’association SOS DI (soit pour l’ensemble de ses structures sur le territoire) font état de manière erronée de subventions très importantes de la part de la MILDT (7,960 Md’€ pour 2001, 4,533 M d’€ pour 2002 et 1,6 Md’€ en 2003) en plus de subventions de 7.626 euros et 20.114 euros en 2002.

La MILDT n’a en effet pas confirmé ces chiffres aux rapporteurs, faisant état globalement de subventions versées aux structures de SOS DI pour l’ensemble du territoire de 2,3 Md’€ et de 1,9 Md’€ respectivement, pour les années 2001 et 2002. Les mêmes types d’erreurs ont été constatées pour les subventions de la Ville de Paris. »

A qui la faute ? Au logiciel comptable a répondu SOS DI. On terminera avec ce passage (p. 107) :

L’analyse précise par les rapporteurs des dossiers comptables concernant les activités financées par la Ville de Paris s’est heurtée à certaines réticences du délégué général du Groupe SOS. De même en ce qui concerne l’examen des procès verbaux des AG et des CA de SOS DI, qui n’ont pu être examinés que sur place, sans photocopies.

Dans la série confiance…


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Le patron du Groupe SOS agacé http://owni.fr/2011/10/20/le-patron-du-groupe-sos-agace/ http://owni.fr/2011/10/20/le-patron-du-groupe-sos-agace/#comments Thu, 20 Oct 2011 01:30:29 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=83934

Mardi 18 octobre, nous avons rencontré Jean-Marc Borello, patron du Groupe SOS, dans le cadre de notre enquête sur ce géant de l’entrepreneuriat social. Fondé en 1984 avec Régine, cette entreprise s’est d’abord imposée comme un acteur de la lutte contre la toxicomanie, avant de devenir un industriel de l’intervention sociale tous azimuts. De la précarité jusqu’au développement durable. Une croissance exponentielle accompagnée de fortes critiques, en particulier sur l’opacité de son fonctionnement. Interview sans détour, en parlant des sujets qui fâchent. Un rendez-vous musclé.

Les conclusions du rapport de l’Inspection générale de la ville de Paris (IGVP) indiquent que vous n’avez pas tenu compte de leurs remarques. Pour quelles raisons ?

Ce que dit l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), c’est que la complexité du dispositif le rend difficilement lisible pour l’administration ce qui est assez logique puisque l’administration est compartimentée. L’IGAS vérifie les affaires sociales, l’IGVP le département de Paris, l’inspection débarque, ils connaissent une partie des choses et pas tout. Le dispositif d’SOS est complexe par nature et change tout le temps puisqu’on passe notre temps à créer des établissements et à en reprendre d’autres, donc ils ont raison et ça s’est accru depuis puisque les mêmes nous ont confié de nouveaux établissements, ont financé de nouvelles structures.

Compte tenu qu’une partie des remarques sont devenues des circulaires pour les associations pour s’organiser, ils [les inspecteurs] seraient un peu plus mesuré aujourd’hui. Par exemple le GIE (groupement d’intérêt économique) qui leur a posé question pendant 10 ans, qui était considéré comme original, atypique, aujourd’hui, c’est un conseil aux associations pour faire des économies. Et il y a deux rapports, beaucoup plus récents, qui disent exactement l’inverse c’est-à-dire que les montages permettent des économies.

Donc du coup vous n’avez pas vraiment tenu compte des remarques ?

(plus fort) Mais le rapport dit que l’inspection a du mal à comprendre, comme je ne suis pas responsable de l’organisation de l’administration, je ne peux que l’inviter à s’organiser différemment pour arriver à mieux comprendre.

Le rapport de l’IGVP explique que le conseil d’administration d’avril 2003 indique que le personnel du groupe SOS est prioritaire pour acheter les biens immobiliers du groupe qui seraient à vendre suivant un ordre hiérarchique. Les rapporteurs précisent “qu’on sort des schémas de cessions à des organismes agrées poursuivant un objet social. Plus tard votre association indiquera : ”7,75% du programme total des cessions a été réalisé” sans jamais préciser la nature de ces cessions. Et les rapporteurs de conclure : “ces biens ayant été financés avec de l’argent public, l’exigence de transparence de ces cessions parait tout à fait légitime”. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en a été de ces cessions ?

La citation est de 2003, c’est un peu ancien… Pour chaque proposition de l’administration, vous avez une réponse, donc…

C’était ça votre réponse : “7,75% du programme total des cessions a été réalisé”, sans jamais préciser la nature de ces cessions explique l’IGVP.

Vous êtes vacataire à l’inspection générale, c’est ça ? Non, parce que ce sont des personnes d’autorité qui ont une mission de service public qui conclut un rapport sur la manière dont ça se passe, est-ce que c’est normal ou pas, ils ont une formation, une autorité, des voies de recours, judiciaires éventuellement s’ils se trompent. Et vous vous êtes où là-dedans ?

Nous sommes journalistes, on vous pose des questions.

Oui oui, il y a plein de journalistes qui se posent des questions depuis longtemps, en général, ils ont trouvé des réponses dans les rapports. Je ne dirai pas de mémoire ce qu’on a fait de 7,75% en 2003. Objectivement. Je vous ai demandé quand vous étiez au téléphone si vous vouliez que je prépare des documents, vous m’avez répondu non, je crains que ma mémoire ne soit un peu juste pour répondre 10 ans après.

C’est possible de nous les envoyer par mail ?

Mais les réponses, vous les avez !

Non, ils n’ont pas la réponse…

Ils, je sais pas, nous, en face de chaque observation, vous avez une réponse, il n’y en aura pas d’autre. Ils ont tous les moyens d’exiger des réponses complémentaires, a priori, s’ils l’ont pas fait c’est que voilà.

Nicolas Hazard (directeur de cabinet de Jean-Marc Borello) amène le rapport de JCLT (daté de 2009), qui répond sur l’organisation.

Vous devriez avoir des réponses, ça devrait répondre à la question que vous posez. La prise en charge des questions supports par le GIE, puisque c’est ce que vous vouliez savoir, permet à l’association…

Le GIE n’était pas la question en particulier.

« Le souci d’une gestion exemplaire permet de se concentrer sur le cœur de métier. » Il n’y a pas grand chose sur l’immobilier.

Comment choisissez-vous les citations extraites de certains de ces rapports qui figurent sur votre site ?

On choisit ce qu’il y a de mieux, vous faites pas ça vous ? Pour publier, vous prenez les plus mauvais de vos articles ?

C’est différent, nous ne sommes pas inspectés.

Je suis inspecté par des gens qui ont qualité pour m’inspecter et sûrement pas par des journalistes, qui d’ailleurs m’ont pas dit pour quel journal ils travaillaient, qui ne m’ont pas présenté leur carte de presse.

Nous lui expliquons que nous nous sommes présentées pour prendre rendez-vous et sortons nos cartes de presse.

Je vais pas commenter des rapports d’inspection, posez-moi des questions, si vous voulez une interview, posez-moi des questions claires, et je vous répondrai clairement. Des questions sur un rapport qui a 11 ans alors qu’il y en a eu trois depuis.

On va passer aux ressources humaines. Nous avons reçu le témoignage d’un ex-salarié, un historique du groupe. Dont on va peut-être vous lire des passages [Il s'agit d'un ancien cadre du groupe SOS qui, de manière détaillée, dénonce des fonctionnements opaques et pointe des pratiques associées à du harcèlement moral, NDLR].

Mais vous faites comme vous voulez, la presse est libre.

Nous lui lisons des citations.

Quelle est votre réaction ?

Vous voulez que je réponde ? 4000 salariés, avec un turn over, si la question, c’est ce que pense les salariés de leur entreprise, le plus simple c’est de leur demander. Maintenant, comme je ne sais pas qui parle, j’ai un peu de mal à vous répondre.

On ne peut pas citer la personne.

Ça devient une dénonciation anonyme, à tendance calomnieuse.

C’est bien pour cela qu’on vous demande de réagir.

Je crois d’ailleurs que vous avez dû interroger d’autres salariés qui ont répondu autre chose. J’ai été appelé par un garçon qui a été un peu étonné par votre manière de faire son entretien, en gros il y a déjà quelques semaines voire quelques mois, qui m’a écrit qu’il avait constaté votre déception de voir qu’il n’avait rien à dire sur le groupe SOS, c’est comme ça que je l’ai classé en lui disant que ce n’était pas très grave et je l’ai oublié.

Mais un journaliste, c’est quelqu’un qui pose de vraies questions, qu’est-ce que vous suspectez. Il y a un monsieur, à propos de l’immobilier, qui a suspecté quelque chose, je vais vous donner un scoop, un élu de Paris qui a suspecté notre filiale immobilière de permettre l’enrichissement de l’association. Il a été condamné au pénal en première instance, il était élu parisien, il a fait appel, il a été condamné en seconde instance. Enrichir une association, c’est enrichir personne, comme vous le savez. C’est un ancien du Front national, c’est d’ailleurs de là ou de Minute que sont venues les attaques en général, alors au moins ça permet de clarifier les choses.

Vous connaissez une entreprise où il n’y a pas un salarié qui n’a pas été licencié et mécontent ? C’est quoi cette histoire ? Ces méthodes ?

Nous avons un témoignage et…

Il est quasi anonyme.

Il n’est pas anonyme. Dans le cadre de notre travail, nous n’allons pas citer cette source qui a demandé à ne pas être cité. On vous apporte son témoignage on vous demande de réagir.

Et vous appelez comment une source qui refuse d’être citée ?

La protection des sources est un droit reconnu.

Oui, évidemment, et demain, je pourrais écrire qu’une source m’a prévenu que votre enquête était purement à charge, dans le souci de nuire dès le départ, que vous avez traité un certain nombre d’interlocuteurs de manière peu convenable d’après leurs dires, et je vous dirais, c’est une source anonyme.

Qu’est-ce que vous appelez peu convenable ?

Peu convenable, c’est une source anonyme, et que l’enquête était faite à charge pour chercher je ne sais trop quoi. Pas très clean. Bon ben je ne vous recevrai plus. Je pense même que j’ai eu tort de vous recevoir.


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