OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Jean-Louis Pierot : “moi, c’est le studio” http://owni.fr/2011/05/20/jean-louis-pierot-moi-c%e2%80%99est-le-studio/ http://owni.fr/2011/05/20/jean-louis-pierot-moi-c%e2%80%99est-le-studio/#comments Fri, 20 May 2011 15:19:47 +0000 SYLVAIN FESSON http://owni.fr/?p=31853 Sylvain Fesson, 31 ans, dont huit de journalisme musical en freelance. Musicalement axé pop, rock, folk, chanson, il écrit pour Trois Couleurs, GQ, Snatch, Gonzai, Amusement…. Tendance chroniqueur auteur, comme en témoigne son site perso Parlhot.

21 décembre 2010. 11h10. Clamart.

La neige craque sous mes pas. Devant moi, quadrillé de sentiers au cordeau, se dresse enfin le lotissement paisible censé abriter le studio de Jean-Louis Piérot. Il s’appelle La Bulle. Trois ans qu’il s’y est installé avec console, guitares et claviers pour y peaufiner les disques des autres. Car Jean-Louis Piérot est producteur et pas des moindres. Il a collaboré à certains des plus grands disques de chanson française de ces 20 dernières années. Des disques qu’au pire, vous connaissez sans connaître. Paris ailleurs et Corps et armes d’Etienne Daho, Faux témoin et La part des anges de Jacno, Genre humain de Brigitte Fontaine, Fantaisie militaire d’Alain Bashung, 1964, L’Etreinte de Miossec… Sans lui tous ces albums n’auraient pas été ce qu’ils sont (des pans de notre patrimoine) et on ne l’appellerait pas encore pour en produire d’autres, moins cruciaux mais tout aussi finement ouvragés (entre pop et variété) pour Marianne Faithfull, Tété, Françoise Hardy, Renan Luce, Kaolin ou Doriand.

Comme si je pouvais l’ignorer, il me rappellera qu’avant d’être pleinement producteur il fut aussi l’homme d’un groupe qu’il formait avec une certaine Edith Fambuena, Les Valentins, et que c’est avec elle qu’il a produit les meilleurs albums suscités. C’est aussi pour ça que je suis là perdu la banlieue sud-ouest de Paris, le nez rivé sur le plan de quartier que j’ai griffonné sur un bout de feuille avant de partir il y a maintenant plus d’une heure (instant Herta et Rémi sans famille, faute d’iPhone et de sa précieuse application GPS) : j’aimais beaucoup Les Valentins, notamment la pop triste, lunaire et boudeuse telle que la figure leur premier album. Elle y était chanteuse-guitariste, lui claviériste. Malgré quatre beaux albums entre 1990 et 2003, acquérant petit à petit le statut de groupe culte, ils n’ont jamais percé. Reste la magie des chansons, les leurs et celles sur lesquelles ils œuvrent et ont œuvré.

C’est pour que je tenais à rencontrer Jean-Louis Piérot et que je rencontrerai sans doute Edith Fambuena ainsi que d’autres comparses alchimistes de studio (je pense aux wingman de la chanson que sont Frédéric Lo, Erik Arnaud, Christophe Van Huffel, Dimitri Tikovoï, Renaud Létang, Bertrand Burgalat) :

pour que ces hommes de l’ombre nous racontent en quoi consiste de « produire » un disque et qu’on entre alors, mine de rien, dans le secret de ce mystérieux processus créateur de magie qu’on appelle musique.

11h15.

La moquette du studio Bulle respire enfin sous mes pas. A l’intérieur les couleurs sont chaudes, orangées, tendance bouddha. Jean-Louis m’offre un café Senséo et me fait visiter (il y a plein de claviers vintages, sa spécialité). Il travaillait sur l’album de Bertrand Soulier. Il doit le rendre sous peu, mais se love volontiers dans son fauteuil oval. Il semble avoir du temps à m’accorder.

Bonjour Jean-Louis. En ce moment tu produis le deuxième album de Bertrand Soulier, un outsider de choix de la chanson française. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Ça fait 4-5 ans qu’on se connaît. On s’est rencontrés via Philippe Balzé, l’ingénieur du son avec qui je bosse et qui est mon associé depuis 3 ans au studio Bulle. Bertrand a fait son premier album avec lui, et à l’époque j’allais les voir en séance.

C’est là que tu t’es dit que tu pourrais peut-être lui apporter quelque chose ?

Ah non, je ne suis pas comme ça ! En fait c’est lui qui m’a avoué après-coup qu’il aurait voulu faire son premier album avec moi. Je crois qu’il n’avait pas pu, faute de moyens. Par contre il m’a vite dit qu’il voudrait qu’on fasse son deuxième album ensemble. « Avec plaisir ! ». Je connaissais un peu ce qu’il faisait. Je trouvais qu’il était super doué. J’avais déjà bien envie de bosser avec lui. Il y a un peu moins d’un an, il m’a alors envoyé des titres, je les ai écoutés et j’ai dit : « Attends, pour moi la question se pose pas : je trouve tes titres vraiment terribles, je veux faire cet album. » Et là on est en plein dedans.

Les projets dont tu t’occupes se font-ils beaucoup par ce genre d’affinités électives, ou s’agit-il le plus souvent de commandes où ton intime conviction n’a pas voix au chapitre ?

La plupart du temps je ne connais pas les artistes, enfin je peux les connaître artistiquement mais pas humainement, et c’est l’artiste qui, par l’intermédiaire de son D.A. (directeur artistique, nda), me faire savoir qu’il veut travailler avec moi. Après, moi, avant de rencontrer la personne, je demande toujours à écouter les chansons parce que ça m’est déjà arrivé de rencontrer des gens avec qui ça c’était bien passé humainement et quand j’avais écouté les chansons, patatras ! c’était pas mon truc. C’est donc délicat. C’est pour ça que je préfère d’abord écouter les chansons (rires) ! Et si ça me plaît ou si j’ai l’impression que je peux servir à quelque chose, à ce moment-là je rencontre la personne.

Depuis combien de temps es-tu ou te sens-tu vraiment producteur ?

Ça s’est fait petit à petit. J’avais un groupe à l’origine. Enfin on n’était que deux, mais bon à partir de deux personnes ça fait un groupe ! Un groupe formé par Edith et moi qui s’appelait Les Valentins et qui n’a pas été très connu.

Oui, qui est en quelque sorte connu pour ne pas être très connu !

Certainement et c’est déjà ça (rires) ! Ce groupe est un vieux groupe, Edith et moi on s’est rencontré au lycée…

A Aix-en-Provence, c’est ça ?

Oui, et on a plus ou moins fait partie d’un groupe de lycée ensemble et ce groupe est devenu dans un premier temps Les Max Valentins…

Avec, à cette époque, un troisième membre nommé Gérald Gardrinier, qui se fera plus tard connaître sous le nom de Gérald de Palmas !

Hé oui ! Lui il n’était pas dans notre lycée, il était un poil plus jeune que nous, genre deux ans de différence, mais à cet âge-là ça n’est pas rien. Il ne faisait donc pas partie de la première mouture du groupe. C’est Edith qui l’a rencontré. De son côté je crois qu’il n’avait pas beaucoup de copains musiciens parce qu’il venait d’arriver à Aix, tout ça. Edith me l’a présenté. On cherchait quelqu’un pour chanter avec nous parce qu’on n’avait plus de chanteur. En plus il jouait de la basse, et c’était un très bon bassiste. On s’est donc dit qu’on allait bosser un peu ensemble. Et super rapidement on a rencontré Etienne Daho qui nous a proposé de signer un contrat, or à ce moment-là ça faisait peut-être 2 mois qu’on connaissait Gérald. Ca n’a pas duré longtemps. On a fait deux 45 tours (Les Maux dits et Printemps parapluie, nda) et on s’est séparé quand on s’est aperçu qu’artistiquement on n’avait pas du tout les mêmes envies ni les mêmes origines…

N’est-ce pas aussi ton entente avec Edith qui pouvait être, comment dire, déjà trop fermée sur elle-même, exclusive ?

Non, parce qu’en fait le groupe a splitté ! Je lis souvent que c’est Gérald qu’est parti, mais Gérald n’est pas parti, on s’est séparé tous les trois. C’était à la fin des années 80 (en 88, nda), on passait notre temps à faire des podiums FM plus qu’à faire de la musique. D’un coup on s’était dit : « Tiens, faudrait peut-être qu’on enregistre un album » et voilà, une fois tous les trois on n’avait juste pas les mêmes envies. Donc on s’est séparé. Ça a duré six mois, un an, et puis Edith et moi on s’est retrouvé en se disant que quand même, on avait envie de rebosser ensemble…

Il paraît qu’Edith et toi aimiez tous deux le Velvet, ce genre de groupes qui laisse croire que vous étiez à 100% sur la même longueur d’onde. Ce n’était pas si simple ?

Oui, oui, mais je pense que ponctuellement nos envies devaient diverger. Je crois aussi qu’Edith se destinait déjà plus à être guitariste de studio. Et moi aussi, d’ailleurs. Au moment de notre séparation on a commencé à faire des séances en tant que musiciens de studio. Et pour répondre à ta question, je crois que l’origine de mon activité de producteur vient de là.

Moi, la seule chose qui m’a toujours intéressé dans ce métier c’était l’enregistrement en studio.

Dès le départ ?

Ah ouais, ouais, ouais. Pour moi c’était magique. Ma première fois dans un vrai studio d’enregistrement c’était avec Etienne Daho. A l’époque il mixait un live. Il venait de nous signer et il nous avait invité à passer au studio. Je me rappelle, c’était les studios Marcadet, qui étaient en fait pas terribles – j’y suis retourné plein de fois après et c’était pas un studio génial – mais à l’époque, wouah ! j’ai trouvé ça magique.

Je comprends que plein de musiciens préfèrent la scène mais moi c’est le studio. Ça a toujours été l’endroit où je me suis vraiment senti à ma place. Car pour moi la scène c’est du théâtre, pas de la création, et ce que j’aime c’est créer la musique en studio, y faire germer les idées qui formeront le fil auquel le disque va s’accrocher.

Je n’ai donc jamais été porté par la scène. L’aspect promo encore moins. Et je pense qu’Edith aussi. Quand Etienne nous a signé, on a donc fait 2 singles, on s’est séparé et on a refait un album après, Edith et moi. Edith était devenue chanteuse. Mais parallèlement Etienne avait commencé à nous faire travailler sur ses propres chansons…

C’était pour son nouvel album, “Paris ailleurs” ?

Oui, il nous demandait de faire des arrangements, de jouer avec lui, etc. On passait donc presque autant de temps, si ce n’est plus, à faire du studio avec Etienne qu’à s’occuper de notre propre groupe en continuant à écrire et à faire des concerts. Avec Les Valentins on a quand même fait 4 albums, et chacun fut suivi d’une tournée, même si c’était jamais des tournées énormes donc ce serait malhonnête de te dire que pour nous notre groupe n’était pas important, mais c’est vrai qu’on l’avait mis un peu en second plan. On était tellement occupé à apprendre des choses en studio avec Etienne… Et c’est surtout comme ça qu’on gagnait notre vie, donc progressivement l’activité de réalisateur a pris le pas sur notre vie de groupe…

Toi tu parles de « réalisateur ». J’ai l’impression qu’on parle plus communément de « producteur ». Y a-t-il une différence ou ces deux termes recoupent-ils la même chose ?

Le terme français c’est « réalisateur » et le terme anglais « producer », qu’on traduit donc chez nous par « producteur », ce qui est beaucoup plus joli que réalisateur qui sonne un peu trop ORTF. Je crois qu’un jour on m’a expliqué qu’il y avait une nuance entre producteur et réalisateur. C’est-à-dire qu’à priori le réalisateur s’occupe uniquement de la partie enregistrement et/ou mixage. Il a cette responsabilité artistique. Alors que le producteur, le vrai producteur a en plus une fonction de D.A. dans le sens où il fait la même chose mais que souvent il peut aussi avoir signé l’artiste…

Ok.

En fait, à l’origine il n’y avait pas de réalisateurs, il n’y avait que des D.A. Dans les maisons de disques les mecs signaient leurs artistes, ils étaient responsable de l’artistique, ils venaient en studio, dirigeaient les séances, faisaient le casting des musiciens, etc. Parce qu’à l’origine, dans les maisons de disques les D.A. étaient tous musiciens, arrangeurs, mais le métier s’est divisé dans les années 80 car sont arrivés des mecs qui venaient d’autres horizons et qui n’y connaissaient pas grand chose en musique, du moins techniquement. Ils ne pouvaient donc pas diriger les séances de studio, tout ça. Donc on a fait appel à des gens pour pallier ce manque : les réalisateurs. Mais à l’origine c’est un seul et même métier.

Et du coup, de même que le rôle le D.A. s’est subdivisé pour donner le rôle de réalisateur, j’imagine que le rôle de réalisateur s’est lui-même subdivisé pour donner des réalisateurs ayant chacun leurs spécialités ?

Oui, c’est ça. Déjà tu as des réalisateurs qui sont musiciens et d’autres qui ne le sont pas. Beaucoup ne le sont pas. Je le connais peu, mais par exemple, je sais que Renaud Létang n’est pas musicien, il est ingénieur du son, c’est sa formation. Je pense qu’il a plein d’idées musicales et qu’il sait se débrouiller pour les faire aboutir, mais concrètement il n’est pas musicien. Si tu lui demandes de se foutre derrière un piano et de jouer une partie de musique, je pense qu’il en est incapable.

Donc lui, quand il a besoin d’arrangements, il fait appel à des arrangeurs. Moi c’est l’inverse, je ne suis pas un ingénieur du son ni même un super instrumentiste, mais je suis musicien de formation. Je sais faire du son parce que j’adore ça et que j’ai été un petit peu obligé de le faire, mais du coup moi je ne mixe pas un album, je demande toujours à quelqu’un d’autre dont c’est la spécialité de le faire sous ma direction, et en l’occurrence je demande souvent à Philippe Balzé.

A l’arrivée, on fait le même travail mais on n’a pas les mêmes approches parce qu’on ne vient pas du même point. Et puis t’as des réalisateurs qui sont ni comme Létang ni comme moi, des gens géniaux qui sont autant ingénieurs du son que musiciens. Y’en a pas beaucoup mais y’en a…

En France ?

Oh oui, il doit y en avoir même si c’est quand même assez américain comme truc. Et pour finir t’as des réalisateurs qui ne sont ni techniciens ni musiciens. Des mecs qui ont juste des idées comme ça. Et qui ne sont pas forcément mauvais hein, qui peuvent même être brillants. Parce qu’en fin de compte, le gros du truc c’est de diriger les séances de studio.As-tu connu Philippe Lerichomme ?

Non.

Il était chef des éditions Universal. On a eu la chance de le rencontrer, il était en fin de carrière. C’est lui qui nous a signé, qui fait que pendant 3 ans on a été aux éditions Universal. Et Lerichomme c’était le D.A. de Gainsbourg. Il l’accompagnait en studio. Il était encore de cette génération-là. Alors il nous racontait les séances avec Gainsbourg… En fait l’exemple-type du D.A. tel qu’il n’existe plus, c’est George Martin. George Martin était D.A. des Beatles. Il a arrangé plein de titres, tout ça, et il n’a même pas un point sur les albums des Beatles parce qu’il était salarié d’EMI, c’est quand même dingue !

C’est d’être George Martin qui t’excitait quand t’étais môme, que tu écoutais les disques et que tu lisais la presse rock ? Tu voulais être le grand manitou dans l’antichambre des grands albums ?

Ah bah ouais ça c’est le mythe…

Et le mythe fait foi…

(Silence.) Quand j’étais petit j’ai fait le Conservatoire et pendant quelques années j’ai eu la chance de faire celui de Grenoble qui était, dans les années 70, le plus moderne d’Europe. Aujourd’hui il ne l’est plu parce qu’il est resté en l’état, mais avant c’était le top. Dans ce Conservatoire il y avait ce qu’ils appelaient une régie – un studio d’enregistrement donc – qui était reliée à différentes salles. Et de temps en temps, comme on avait le droit de la visiter, j’y allais et je me rappelle que je voyais des mecs y faire des montages avec les bandes magnétiques… J’ai trouvé cet endroit vraiment magique.

Pour toi c’était la NASA !

Ouais, c’est ça ! Et puis comme c’était les années 70 il y avait un côté un peu futuriste, space age… Et moi à l’époque je faisais donc du classique mais je commençais quand même à écouter, surtout via mon frère aîné, les Stones, les Beatles. Beaucoup les Beatles, un peu Bowie. Le Velvet, Lou Reed, tout ça c’est venu après. Et j’étais curieux de savoir comment cette musique s’était faite. Par exemple sur les Beatles j’avais repéré qu’il y avait des trucs réalisés avec des bandes à l’envers, ce genre de bidouilles de studio, et ça m’intriguait.

Et aujourd’hui j’imagine que lorsqu’on te contacte c’est qu’on ne cherche pas un simple exécutant, mais un style précis de production, une griffe, une sorte de bidouiller aussi.

J’ose espérer. (Silence.) Mais pfff, comment dire, j’ai toujours l’impression qu’il y a une forme d’imposture dans ce qu’on fait. On n’a pas de diplôme. Moi j’ai pas de CAP réalisateur…

T’as un CV…

Oui mais c’est du vent, ça ne veut rien dire donc quand on fait appel à moi, je ne sais pas sur quoi ça repose.

Tu n’es pas conscient de ce pour quoi tu es réputé et recherché ?

Quelque part, ce sont les artistes qui font leurs albums. Moi il m’arrive de composer un peu, le plus souvent d’arranger. Donc des gens me disent : « Ah ouais, j’adore cet album ! » mais en fin de compte ils ne savent pas vraiment ce que j’y ai fait, donc tout ça me dépasse. C’est pour ça que je parle d’imposture. Alors il y a le cas Miossec par exemple. J’ai fait 2 albums avec Christophe Miossec. Et y a des mecs d’une trentaine d’années qui veulent que je travaille avec eux parce qu’ils sont très fans, ils ont vraiment été élevés à l’école de l’écriture de Miossec, donc pour eux c’est…

Une histoire de filiation ?

Oui, ils pensent que par transfert je vais les introduire dans la famille Miossec. C’est une sorte de truc psy comme ça. Je suis le lien entre le mec et son idole. Comme j’ai travaillé avec lui, je serais une part de sa magie, de sa légende…

Ce qui n’est pas totalement faux…

Christophe, je le connais très bien, on se voit un peu moins maintenant parce qu’il est parti habiter en Bretagne, mais on est devenu très amis. Et pour moi c’est quand même assez mystique, enfin bizarre, que ce mec que je connais super bien et que j’adore soit une sorte d’idole pour des jeunes. Quand ils m’en parlent j’ai l’impression que pour eux c’est LE mec qui a inventé la chanson française alors que, bien sûr, ça n’est pas vrai. Donc voilà, on m’appelle pour ça. Après on peut aussi m’appeler parce que j’ai eu la chance que certains albums sur lesquels j’ai travaillés aient été des succès et que des gens me voient donc comme une sorte de caution, de garantie…

A quels succès penses-tu ?

Un peu à Miossec, mais surtout Renan Luce.

Ça a fait monter ta cote ?

Obligatoirement. Je le sais…

Et tu le vis bien (rires) ?

Pfff ouais, ouais, ouais (rires) ! J’ai aussi fait deux albums avec Renan Luce. Donc j’ai connu Renan avant qu’il soit très connu. C’était un petit gars comme j’en rencontre parfois parce que je fais souvent des premiers albums. Sur les conseils de son manager je suis allé le voir en concert et il était seul sur scène, on était 15 dans la salle. Je l’ai donc accompagné dans son travail sur ses deux albums et on s’est vraiment super bien entendu. Après, le succès c’est quelque chose que tu ne maîtrises pas du tout… Mais quand je travaille sur un album je ne me dis jamais « Cet album ça va être la lose, on ne va rien vendre du tout », j’imagine toujours que cet album peut et mérite un succès. Donc je pensais que Renan pouvait avoir un succès mais pas plus que les autres…

Toi qui es plutôt fan de musique anglo-saxonne à la base, as-tu une sorte de déontologie, de baromètre personnel au moment de choisir si tu vas bosser ou non sur tel ou tel album de chanson française, voire même au moment tu bosses dessus, dans la couleur que tu pourrais vouloir donner au disque ?

Tu veux dire : est-ce que je fais des compromis par rapport à l’aspect commercial FM ?

Non, je veux surtout dire que chez nous en 2011 il y a quand même toujours ce syndrome de la chanson trop franco-française, au sens de passéiste dans l’imaginaire, pas du tout rock’n’roll dans la musique, et aux textes ancrés dans le quotidien. Renan Luce incarne pas mal ça, au même titre que Bénabar, Dorémus et j’en passe. Est-ce que toi tu ne cherches pas, à ta manière, à pervertir un peu tout ça en y insufflant un soupçon d’esthétisme pop anglo-saxon ?

Je ne cherche pas à le faire sciemment, mais comme je viens de là, certainement que toutes ces influences ressortent malgré moi. Les idées qui me viennent, tout ça, ce sont des choses que j’ai digérées depuis longtemps. Quand j’étais adolescent je n’écoutais jamais de chanson française, j’aimais pas. Chez moi mes parents écoutaient Léo Ferré, Jacques Brel et pfff moi ça me faisait chier quoi, vraiment. Maintenant, avec l’âge, je reconnais qu’il y a quand même des trucs super, mais à l’époque comme les textes me passaient un peu au-dessus et musicalement je trouvais ça plutôt ringard, bah voilà quoi. Mais bon, on est comme on est : même encore aujourd’hui, bien que les textes me passent moins au-dessus de la tête, j’écoute toujours assez peu de chanson française. Je vais me précipiter sur le dernier Massive Attack, beaucoup moins sur le dernier Grand Corps Malade.

Et donc, ta position face à « l’aspect commercial FM » ?

(Silence.) Je n’ai pas le sentiment de me compromettre, car pour moi passer à la radio ce n’est pas insultant, au contraire, je trouve ça super. Moi j’écoutais la radio quand j’étais gamin et j’y ai découvert plein de trucs. Maintenant je n’écoute la radio que dans ma voiture et c’est plutôt France Inter, Le Mouv’, Ouï FM, Nova, donc je cible plutôt ce que j’écoute. Mais quand je suis pris dans les embouteillages alors que je traverse Paris il m’arrive parfois – et la concession est peut-être là ! – de me dire : « Tiens, je vais écouter Virgin Radio », qui n’est pas la pire d’ailleurs ! Parfois je tombe sur des trucs encore plus pourris. Mais j’estime que je vais un peu loin quand j’écoute Virgin Radio. Et c’est histoire de me dire : « Tiens, si j’écoutais – non pas ce qui marche d’ailleurs, parce que c’est pas forcément la même chose – mais ce qui passe en radio… »

En même temps si ça passe en radio c’est que ça marche…

Hé bah pas forcément. Pas forcément. Je vais te donner un exemple actuel et concret : cette année j’ai fait un album pour un groupe qui s’appelle Kaolin et un de leur titre est rentré direct sur Virgin, RTL2, tous ces trucs-là, ce qui est donc une super exposition, je suis super content pour eux, ça fait plaisir. Hé bah les ventes sont vraiment pas terribles.

Peut-être, mais si le morceau est si bien diffusé, c’est parce que leur précédent album s’est super bien vendu…

Oui, c’est vrai que la plupart du temps ça va de paire, ça aide quand même, mais tout ça pour te dire que c’est jamais gagné. Jamais. Surtout que maintenant plus personne ne vend trop. Et donc voilà, des fois pendant une demie heure j’écoute Virgin Radio pour savoir ce qu’est le son radio d’aujourd’hui. Souvent je suis déçu, je trouve que ça sonne pas terrible. Et les trucs qui sont vraiment super radiophoniques, je me dis : « Merde, je ne sais pas faire ça, moi ». C’est pas ma culture et si j’apprenais à le faire, je ne le ferais pas bien. Donc en fait j’en suis revenu.

Je me dis que j’ai eu la chance de produire des titres qui sont beaucoup passés en radio parce que c’était souvent un malentendu.

C’est-à-dire que je n’avais pas fait le morceau comme ça pour qu’il puisse passer en radio, mais parce que je trouvais que ça le servait, tout simplement. Parfois, avec Edith, on nous demandait de faire un truc au format radio, et les rares fois où on l’a fait ça n’est justement pas passé en radio. Donc je pense qu’il y a des gens qui savent vraiment bien le faire, des gens qui ont, pas la méthode, mais le savoir-faire pour ça, moi je ne l’ai pas.

A qui penses-tu quand tu dis que certains ont ce savoir-faire ? Renaud Létang ?

Non, je ne pensais pas à lui mais je pense qu’il doit savoir le faire, oui. Je t’en parlais tout à l’heure mais je le connais à peine hein. On s’est juste rencontré pour le mix d’un disque que j’avais réalisé.

Lequel ?

L’album d’un mec génial, qui s’appelle Ludéal, et qui n’est pas très connu.

Son premier ?

Oui. Un disque super. Vraiment.

Létang et toi, j’ai l’impression que vous êtes un peu sur le même créneau, celui de faire une chanson française de qualité, comme on dit, une chanson française qui soit un peu pop, racée et accessible. C’est ça qui vous réunit, non ?

De faire une musique accessible ? (Silence.) Comment dire ?.. Je n’essaie pas de faire en sorte que ce soit accessible, j’essaie de faire en sorte que ce soit accessible pour moi (rires) ! J’adore des choses pointues, mais je ne dois pas être si pointu que ça car je refuse de faire des choses purement élitistes. Récemment j’ai fait un album, tiens je vais te l’offrir d’ailleurs (il revient avec “Est-ce l’est”, le premier disque de Nicolas Comment). Tu connais ?

Oui.

Hé bien ça tu vois, pour moi c’est pas élitiste parce qu’on n’a pas cherché à faire quelque chose d’ardu à écouter même si, d’un autre côté, on sait bien que ça ne passera jamais en radio…

En même temps, les chansons de Nicolas Comment sont dans un délire culturophile parisien qui a tout pour plaire à France Inter/Télérama !

Ah oui, complètement. Avec Philippe on a produit un autre premier album de ce genre (il revient avec le disque d’un dénommé Raspail). Ça c’est un gars qu’est même pas signé. Je travaille toujours pour le plaisir, mais des fois y a le plaisir et y a pas l’argent parce que y a pas de budget, mais quand je peux je me débrouille pour le faire quand même. Nicolas Comment, Raspail, j’aime beaucoup leurs albums. Mais surtout Ludéal. Je pense qu’il aura du succès un jour, mais je suis déçu, je pensais vraiment que son premier album ferait mieux…

J’ai vu que le single de son deuxième album, Allez l’amour, avait pas mal circulé…

Oui, mais pas suffisamment. Il a vendu moins du deuxième que du premier.

Ça c’est les disques que tu as produit seul. Ceux dont tu es le plus fier ?

Ceux-là, avec les deux Miossec. Et le Soulier, vraiment.

A part ça, tu continues de produire en binôme avec Edith ?

Alors non, ce n’est plus le cas. On a bossé ensemble comme ça pendant une vingtaine d’années mais on s’est séparé artistiquement en 2003. On a sorti un dernier album des Valentins en 2001, et le dernier album qu’on a produit ensemble avant de se séparer c’était A la faveur de l’automne de Tété. A la base, après ce projet, on devait réaliser un album pour Jean Guidoni et faire encore un album des Valentins. Contractuellement, on le devait à Barclay. On avait d’ailleurs commencé à faire des démos. Mais déjà pendant l’album de Tété c’était tendu entre nous. Tellement que ce serait un euphémisme de dire qu’on se chamaillait en studio. On se prenait la tête en pleine séance devant le gars. Le truc qui craint, quoi. Le disque a été difficile à finir mais on a quand même réussi, et voilà, après on s’est séparé. Mais on s’était engagé à faire le disque de Guidoni. On avait commencé à bosser dessus. Alors on s’est dit : « Bon, on arrête Les Valentins, mais on fait quand même le Guidoni ». Sauf que peu de temps après, Miossec m’a appelé pour réaliser 1964. Or je rêvais secrètement de bosser avec lui. C’était d’ailleurs un de nos points de discorde avec Edith. Avant de travailler sur un disque il fallait toujours qu’on valide tous les deux le projet à 100% et Miossec par exemple, on en avait déjà parlé et Edith, je ne la sentais pas motivée…

Pourquoi ?

C’est juste des questions d’affinités artistiques, je pense que Miossec c’était juste pas son truc. Mais c’était dans les deux sens, y avait aussi des trucs qu’elle voulait faire et qui ne me branchaient pas. Par exemple, je me rappelle qu’à l’époque elle était pas mal dans les trucs latins. C’était pas du tout ma came. Donc à force je pense qu’on avait accumulé des frustrations de ce genre. Après que Miossec m’a contacté, j’ai donc appelé Edith pour lui dire : « Je ne vais pas faire l’album de Guidoni. Ce sera enfin pour nous l’occasion de vraiment travailler touts seuls. On en a besoin.» Edith a donc réalisé l’album de Guidoni et moi celui de Miossec. Et comme avec Christophe on est très vite devenus copains et que ça marchait bien, je me suis plus investi auprès de lui. Je l’ai accompagné en tournée et on a commencé à écrire l’album d’après. Tout ça a pris du temps. Pendant toute cette période on ne se voyait plus avec Edith. Et pour finalement répondre à ta question, on a rebossé ensemble cette année, de manière ponctuelle. On s’est dit que voilà, c’était ponctuel. C’était sur le prochain album de Thiéfaine, qui doit sortir en février m’a-t-on dit.

Produire seul, ça a changé quoi pour toi ?

Pas mal de choses. Quand je bossais avec Edith on avait un peu chacun nos domaines réservés.

Elle les guitares, toi les claviers ?

Ça peut paraître paradoxal mais non, au contraire, c’était plus elle qui s’occupait des claviers et moi des guitares. C’est normal : comme elle était guitariste, c’était moi qui la dirigeais aux guitares et comme j’étais claviériste c’est elle qui me dirigeait aux claviers. Mais au-delà de nos instruments respectifs, comme un album c’est quand même une grosse responsabilité, qu’il faut rester concentré sur des choses précises et ne pas se marcher sur les pieds, on se partageait les tâches. Edith s’occupait donc de la direction des voix et moi des arrangements d’orchestres, cordes ou cuivres. Et c’est ça aussi au fil du temps qui génère des frustrations, parce que bien évidemment t’as envie de toucher un peu à tout, de mettre ton nez partout. Donc voilà, quand t’es tout seul tu te retrouves à t’occuper de tout, c’est pas mal de responsabilités. J’ai eu la chance d’être rapidement dans le bain parce quand tu bosses avec un type comme Miossec, qui attend beaucoup de toi, l’avantage c’est que t’as pas le temps de te poser des questions. En plus, au départ 1964 s’annonçait comme un album compliqué parce qu’ils avaient déjà enregistré des arrangements d’orchestre et il fallait que je les récupère et que je fasse jouer le groupe dessus, donc techniquement c’était super spé’. J’ai dû direct en découdre avec ce genre de choses. C’était un beau cadeau, mais c’était pas évident.

L’album que tu es le plus fier d’avoir produit avec Edith, c’est un Daho ou le Bashung ?

Disons qu’avec Etienne on a appris notre métier. Il nous donnait des responsabilités qu’on n’aurait pas dû avoir, parce qu’on n’avait pas la bouteille pour les prendre et qu’on bossait sur des albums qui impliquaient de grosses responsabilités budgétaires. On a beaucoup appris avec lui et par lui, parce qu’il avait plus d’expérience que nous. Donc c’était une première étape importante.

Une sorte d’adoubement ?

Non, mais adoubé, j’ai eu le sentiment de l’être après avoir travaillé avec Alain Bashung sur Fantaisie militaire. Alors que le truc dingue, c’est qu’on ne peut pas dire que c’est nous qui ayons réalisé ce disque.

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Article initialement publié sur : parlhot

Crédit photo clé tous droits réservés : David Arnoux

Crédits Photos CC flickr : Denis AB; argeles-sur-mer; banlon1964; Kmeron; guillaume lemoine;

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La musique, c’est plus ce que c’était http://owni.fr/2010/07/05/la-musique-cest-plus-ce-que-cetait/ http://owni.fr/2010/07/05/la-musique-cest-plus-ce-que-cetait/#comments Mon, 05 Jul 2010 12:35:34 +0000 Laurent Chambon http://owni.fr/?p=21144 Alors qu’il y a encore dix ans je sortais plusieurs fois par mois pour aller danser, ces dernières années mes sorties se sont ralenties. Non pas parce que je suis marié ou que j’ai vieilli (même si c’est vrai qu’on récupère moins bien à 38 ans qu’à 22 et qu’on est moins motivé quand on est casé), mais parce que la musique me gonfle. Sérieusement. Je pensais être devenu une Bitter Queen quand je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul, et que de plus en plus de jeunes ne veulent plus aller danser non plus. Même les pédés les plus fêtards se plaignent: non seulement avec l’interdiction du tabac on doit supporter l’odeur corporelle des gens, mais surtout les DJs arrivent à vous ennuyer même quand vous prenez de la drogue (et croyez-moi, à Amsterdam, certaines folles prennent vraiment beaucoup de drogue). Alors?

Je vais probablement recevoir plein de messages de gens qui me diront que je me trompe, que telle soirée est sublime et que je devrais aller me remuer le popotin avec DJ Untel au Club Bidule tellement c’est gé-nial, mais le constat semble hélas partagé: le niveau de la musique qu’on vend et qu’on joue en public a baissé terriblement. J’ai ma théorie, basée sur la pratique de la chose, que je vais vous exposer. Libre à vous de la critiquer, la réfuter ou l’améliorer.

Disco!

La première chose à faire dès qu’on parle de musique et de danse, c’est d’aller écouter de la bonne vieille disco. Car on a tendance à oublier qu’il y a eu certes beaucoup de merdes, mais qu’il y a eu aussi énormément de choses très bonnes et excellemment produites. Ce qui me fascine, outre le fait qu’ils arrivaient à régler tous ces instruments sans ordinateur, ce sont les orchestres: des trombones ici, des flutes là, des violons partout. Ça me rend jaloux et je me sens un peu merdeux face à ces trombones en stéréo. J’adore l’électronique et j’ai grandi avec Oxygène et Radioactivity, mais le son d’un vrai orchestre avec des vrais instruments joués par des musiciens professionnels ça reste très beau et très impressionnant. Surtout si c’est joué fort dans un club où le son est adapté à l’espace et qu’un ingénieur du son a réglé tous les caissons au millimètre: c’est forcément beau et sensuel, qu’on aime ou pas la disco.

Il y a certains disques de la période décadente de la disco qui ont des plages d’une dizaine de minutes, où tout est joué d’une traite, vu que tout est fait à la main, sinon ça ne serait jamais synchronisé comme il faut. Le producteur a été obligé d’écrire les partitions de dix minutes pour chaque instrument, de la batterie à la basse, du violoncelle à chacun des trombones, de l’alto à la flûte traversière. Forcément, ça demande un background musical particulier. Même si on écrit de la merde et que la chanteuse a couché pour y arriver, ce n’est pas donné à n’importe qui de gratter dix minutes de disco sur une portée, de connaître les tessitures de chaque instrument, de trouver les financements pour réunir un orchestre, et de mixer ça en studio avec les instruments électriques, la voix de la diva et les chœurs.

En fait, malgré les ordinateurs et les logiciels époustouflants dont nous disposons maintenant, on ne peut pas dire que la qualité musicale des disques sortis en 2010 soit supérieure à celle des disques sortis il y a trente ans. C’est même plutôt le contraire qui est vrai: les arrangements, le sens du son et de l’espace, les mélodies et le groove sont beaucoup plus riches à la fin des années 1970. Quoiqu’on pense de ce style de musique, on atteint alors une apogée de la qualité sonore et musicale inégalée depuis. Et pourtant, ce n’est pas que je sois réactionnaire: je déteste ces années, tout comme les années 1980 me plongent dans des crises d’angoisse terribles.

Lorsqu’on a commencé l’enregistrement de notre album, « Überlove », avec Lewis, on voulait faire un disque avec les sons qu’on aime, sur lequel on peut danser, et avec des mélodies qu’on pourrait chanter sous la douche. On a fait plusieurs choix dès le début: n’utiliser que des instruments logiciels (on avait un petit appartement et déjà trop de câbles partout), utiliser des sons simples et n’utiliser aucun son d’usine (par snobisme, probablement). On a aussi préféré utiliser notre budget pour voyager et faire des rencontres musicales plutôt qu’investir dans du matériel qu’on ne saurait jamais utiliser. Notre album est entièrement monté dans un programme qui date des années 1990: la plupart des programmes qui sont sortis depuis permettent des choses techniques impensables avant, mais ne permettent pas d’améliorer l’essentiel, c’est à dire la qualité des compositions, le groove des rythmes et la beauté des harmonies. Dit crûment: un nouveau Mac et la nouvelle version de Logic Pro n’allaient pas nous aider à écrire des chansons plus belles. Au contraire même: plus on passe de temps à bidouiller avec un programme, moins on en consacre à améliorer la qualité des compositions. On est restés avec nos programmes simplissimes et on est allés à Paris, en Scandinavie, à Detroit et à Lisbonne faire des chansons et des remixes avec plein de gens différents.

Compression

Avant de finir notre album, nous nous sommes retrouvés avec plusieurs versions de chaque chanson, que nous avons testées en concert et dans les clubs. Et ce qui m’a frappé, c’est que plus on est proche du son d’un orchestre classique, plus c’est beau et clair. Pas trop d’effets, des sons aussi simples que possible, mais situés correctement dans l’espace: des fréquences allant des infra-basses (pour encourager le sentiment religieux) aux sons aigus à peines audibles (pour donner de la dynamique), une utilisation de la stéréo d’autant plus large qu’on monte vers les aigus, et surtout, ne pas trop compresser.

Pour ceux qui ne connaissent pas, la compression est une étape qui permet de rendre audible les parties ayant peu de volume (qu’on risque de ne pas entendre s’il y a du bruit) et de limiter les parties trop fortes (et éviter qu’elles saturent). Pour avoir une idée de la compression utilisée avec excès, pensez aux voix des animateurs de radios FM «jeunes» ou les publicités sur les télévisions commerciales: même le silence est bruyant.

La compression est utilisée par les médias commerciaux pour s’assurer que le niveau sonore reste constant, mais aussi parce que ça donne une impression d’énergie et de puissance que les gens sans culture musicale aiment beaucoup. Moi, ça me fait penser à ces films d’action avec trop de budget: à la vingtième série de voitures qui explosent, l’effet de surprise s’émousse et on finit par bailler. Une musique trop compressée c’est comme un film d’action où il y a trop d’action: au bout d’un moment ça ne fait plus rien.

Dans un bon club, le niveau sonore est tel qu’on peut se permettre de jouer des morceaux peu compressés: quand ce n’est pas fort on l’entend quand même, et quand c’est fort ça ne sature pas forcément.

Comme une belle salle de concert est l’écrin parfait d’un orchestre symphonique, le club est l’endroit idéal pour jouer de la disco, au point qu’on n’a pas trop besoin de compression.

Avec l’arrivée des iPods et leur utilisation de masse, il a fallu changer la façon dont la musique était mixée pour s’adapter à ce nouveau support. Comme on les écoute dans un environnement sonore qu’on ne contrôle pas (la rue, le métro, la nature…), il faut que tout soit suffisamment compressé pour qu’on puisse entendre chaque partie musicale. Il manque donc une chose importante que nous avions avec les chaînes stéréo à papa qu’on écoutait religieusement dans le salon ou avec les clubs: une variation importante du volume sonore.

Le support

Un deuxième facteur important est la qualité du support. J’entends souvent que rien ne remplace le vinyle, que le disque compact c’est froid et moche. Ce n’est pas vrai. Le disque compact permet d’enregistrer en stéréo et avec une quantité d’informations musicales assez impressionnante la plupart des fréquences audibles: si le son est moche, c’est parce que le producteur et l’ingénieur du son ont été nuls, point.

Par contre, un fichier mp3 (ou aac, peu importe) n’offre pas la qualité sonore que peut offrir un CD, pour la simple raison qu’on a enlevé les neuf dixièmes des informations. Certes, on reconnaît la chanson, et avec un mp3 de qualité maximale on entend toutes les fréquences (vous vous souvenez des premiers mp3 qui niquaient les aigus et les basses?), mais ceux qui disent qu’il n’y a aucune différence sonore devraient se déboucher les oreilles.

Quand notre album a été fini, je suis allé en Finlande, à Lappeenranta, pour le mastering. Lappeenranta, c’est une ville paumée en Carélie du Sud, près de la Russie, où le week-end on prend sa voiture pour aller manger un burger dans une cabane (LE resto à hamburgers de la ville) dans la forêt en jouant du hard rock à fond. En semaine on bosse pour l’usine à papier et on s’envoie des textos par Nokia interposés, c’est tout. C’est aussi la capitale du hard rock nordique et russe: tous les métalleux chevelus vont y enregistrer et mixer leur musique. Notre co-producteur y connaissait plein de gens, et notre ingénieur du son n’avait jamais mixé de la pop ni de la house avant nous. Je pense même qu’il n’en avait jamais vraiment trop entendu non plus. Il avait donc une oreille totalement vierge et il nous a pondu un master comme je voulais, et pas comme ce qu’un producteur de house pense que ça devrait sonner.

Le mastering, c’est la dernière étape avec la production du CD, mais elle est très importante: un ingénieur compresse les chansons (dans notre cas, pas trop, donc), égalise les fréquences, corrige les petites distorsions, et s’arrange pour que les chansons soient au même volume. On a passé plusieurs jours à peaufiner ce qu’il avait déjà fait, je l’ai presque fait pleurer à vouloir garder toutes mes infra-basses, même celles qu’on n’entend pas, et il m’a mis des mp3 sur une clé pour que je puisse vérifier. Les jours qui ont suivi, j’ai réécouté nos chansons dans mon iPod, et j’étais à la fois impressionné par son travail (on entendait des instruments qui avaient disparu, les rythmes étaient plus pêchus, la voix de Lewis était vraiment magnifique sur certains morceaux), mais en même temps j’étais déçu. Je ne savais pas trop pourquoi, j’avais une déception qui ne voulait pas partir, et que je n’arrivais pas à identifier.

Le CD est mort mais comment le remplacer ?

Et puis, rentré à Amsterdam, j’ai mis le CD dans ma mini chaîne Sony de salon, juste pour voir, en me disant que de toutes façon avec nos iPods on finirait par ne plus jamais utiliser cette machine, et tout à coup j’ai compris. Dès que j’ai appuyé sur «Play», j’ai retrouvé les volumes sonores sur lesquels on avait travaillé tellement dur, j’entendais à nouveau les petits instruments que j’avais mis partout. J’étais tellement soulagé.

Quand le disque est sorti, j’ai bien sûr été écouter nos chansons sur toutes les plateformes de distribution en ligne. Parfois c’était relativement acceptable (iTunes ne s’en sort pas trop mal), mais parfois c’était du meurtre musical. Non seulement cela rendait nos chansons moches voire désagréables (on n’entend que la voix, les basses ont disparu et les percussions sont irritantes), mais personne ne pouvait soupçonner qu’on ait pu passer tellement de temps à construire quelque chose d’un peu subtil avec des volumes et des centaines de pistes sonores.

Comme je sais exactement de quoi sont faites nos chansons, je peux me permettre de le dire: je ne comprends pas qu’on puisse payer pour des fichiers aussi merdiques.

Le problème, c’est que le CD est sorti au moment où les magasins ont plus ou moins cessé d’en vendre. La première semaine j’ai vu quelques piles de notre disque à la Fnac et au Virgin Mégastore, et puis quand je suis retourné ensuite, la plupart des bacs avaient disparu. À la Fnac, il y avait un présentoir en carton avec des piles de disques de Carla Bruni, une autre pile avec le dernier Madonna, et un bac en désordre caché derrière celui des DVD. J’ai demandé au vendeur s’il avait mon disque: l’ordinateur disait que oui, mais impossible de savoir où il était dans le magasin. «Allez à une autre Fnac, ils savent peut-être encore où sont leurs disques.»

Quelques fans m’ont écrit au même moment: soit le disque vendu en ligne n’est jamais arrivé, soit il est arrivé avec une pochette sérieusement abîmée (alors qu’avec Pierre Marly, le designer, on a passé plusieurs mois à la peaufiner). J’ai fini par leur envoyer des disques moi-même, à mes frais. L’histoire de notre disque compact depuis sa sortie: impossible à trouver dans un magasin, difficile de se le procurer en ligne.

Logic et Auto-tune

Maintenant, pour comprendre pourquoi la plupart des nouvelles musiques nous ennuient, il faut aussi comprendre les outils avec lesquels elles sont fabriquées. Parmi les logiciels les plus utilisés, il y a Logic d’Apple et Auto-tune d’Antares.

Logic, dans sa version Pro est un truc énorme (plus de 50 Go) avec plein de sons en superstéréo, des instruments virtuels à n’en plus finir et des milliers de plugins qu’on peut trouver en ligne. Si vous voulez le son de Black Eyed Peas, il suffit d’acheter le plugin qui a la plupart des sons et des effets, des rythmes pré-programmés par des ingénieurs du son (c’est comme ça que beaucoup payent leur loyer) et des effets tout prêts. Pareil avec le dernier Lady Gaga ou le prochain 50 Cent. Avec quelques heures d’apprentissage, on peut sortir des choses dont le son est du même niveau que ce que vous entendez dans votre iPhone ou sur Spotify. On peut même compresser tout ça et le masteriser de façon standard pour le sortir directement en mp3, plus besoin d’ingénieur du son. Logic permet à un producteur talentueux de réduire les coûts de production au minimum, mais il autorise aussi n’importe qui, même sans talent aucun, à sortir une crotte musicale qui est parfaite au niveau sonore.

Auto-tune, c’est un programme relativement intuitif qui corrige la tonalité des fichiers audio. Sa première utilisation remarquable s’est faite il y a plus de dix ans avec « Believe », le tube du « retour » de Cher. L’eurotrash en a abusé (Eiffel 65 et « Blue »), et puis le hip hop s’y est mis (d’abord avec T-Pain, puis avec Kanye West). C’est un genre, et ça permet aussi de corriger quand la voix est un peu en dehors du ton. Personnellement, je pense que son utilisation ultime et la plus géniale est japonaise, avec le groupe Perfume (パフューム), dont l’idée directrice est d’avoir l’air kawaii (mignone/gentille) et de sonner autant que possible comme un jeu vidéo. Tant qu’à avoir l’air faux, autant y aller à fond, non?

Le problème, c’est que tout le monde s’y est habitué et que c’est devenu plus ou moins obligatoire: dans la série américaine Glee, quand les acteurs se mettent à brailler des reprises pop, les voix sont tellement auto-tunées pour plaire au public qu’on a l’impression que ce sont des robots qui chantent. Moi, ça m’angoisse ces voix plates et hyper dans le ton.

Surtout, Auto-tune modifie vraiment le timbre de la voix. Avant d’aller en Finlande, j’avais eu une crise d’angoisse à propos de Lewis, qui chante très bien et aussi dans le ton, mais qui n’est jamais aussi précis que les filles robotisées de Perfume (duh). J’ai alors passé la nuit à passer sa voix à l’auto-tune. Le résultat était fascinant: on ne le reconnaissait pas, et surtout les chansons étaient terriblement ennuyeuses. J’ai gardé l’auto-tune sur une seule chanson (In My Life), où cela donnait vraiment très bien, mais j’ai jeté le reste.

Je pense que l’autotune a les mêmes conséquences que la compression ou le passage au mp3: c’est super pratique, mais trop souvent ça tue la musique, ça lui enlève sa richesse et sa profondeur.

Retomber amoureux sur le dancefloor ?

La musique a donc subi récemment des transformations majeures: compression des morceaux pour les rendre plus audibles dans les lecteurs mp3, compression des fichiers (mp3 ou aac au lieu d’un wave ou aif) pour stocker dix fois plus de musique, disparition de la distribution grand public des autres formes de support, baisse du coût de production (un coût d’entrée faible implique aussi, hélas, une sélection quasiment nulle), coût de distribution réduit à néant (ce qui permet à n’importe qui de se faire distribuer en ligne) et généralisation des correcteurs de tonalité qui rendent la plupart des vocaux inintéressants.

Bien sûr, il continue d’y avoir des morceaux magnifiques. L’année dernière j’étais tombé amoureux de « We Are the People » d’Empire of the Sun, cette année je tanne tout le monde avec « Tightrope » de Janelle Monáe (j’adore aussi la vidéo où elle danse avec grâce: à partir de la 3ème minute je suis dans l’idolâtrie totale). J’ai réussi à trouver plein de versions improbables de ces chansons, mais la plupart de sont plus disponibles en CD. Je me contente donc d’imaginer le son que ça doit avoir en club, sans jamais les y entendre..

Donc oui, il y a tellement de forces qui permettent de sortir des merdes avec un son pourri que ce n’est pas étonnant que le niveau moyen baisse, qu’on s’ennuie en club et que même avec plein de drogue les folles vont d’une soirée à l’autre à la recherche de chansons desquelles tomber amoureux.

D’ailleurs, maintenant, quand on nous propose d’être DJ dans un club, on nous demande presque à chaque fois de venir avec nos câbles et notre ordinateur: il n’y a presque plus de platines vinyle et très peu de lecteurs CD. Et beaucoup de DJs que je connais se contentent de graver sur CD les mp3 glânés sur le net pour avoir l’air rétro, sans se rendre compte que c’est juste de l’amplification de soupe.

Si vous surprenez des petits jeunes qui se mettent à adorer la house de ma jeunesse ou la disco de mon enfance, quitte à chercher de vinyles ou des disques compacts, ce n’est pas que la jeunesse est devenue ringarde, c’est juste que certains veulent offrir de la nourriture musicale un peu plus noble à leurs oreilles et qu’il n’y a plus d’autre moyens.

« Ah, mes petits, si vous saviez, de mon temps on tombait amoureux d’une musique sur le dancefloor, je vous assure… »

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Billet originellement publié sur Minorités.org par Laurent Chambon, sous le titre “La musique nous gonfle“.

Crédits Photo CC Flickr : Rolling Stone 2009 (couv), Maxw, Danielle Blue, AytonD-Kav.

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