OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le tueur en série, la DGSE et les Talibans http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/ http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/#comments Wed, 05 Sep 2012 17:19:13 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=119337

Charles Sobhraj, alias “Le Serpent” : vedette des séries estivales consacrées aux grands criminels. Officiellement, c’est un tueur en série de nationalité française et d’origine vietnamienne ayant sévi en Inde dans les années 80.

Et enfermé depuis 2003 dans une prison du Népal, pays où de fins limiers l’ont interpellé pour un énième assassinat dont les détails nous échappent à la lecture de son parcours, tel que le décrit L’Express, au mois d’août, ou comme le raconte France Info dans son feuilleton Histoires criminelles. Les jugements et les preuves en relation avec son incarcération à Katmandou manquent dans les différentes sagas. Mais qu’importe sa culpabilité véritable.

Bollywood

L’homme est déjà entré dans cet étrange Panthéon réservé aux pires salopards qui incarnent le mieux les côtés sombres de notre petit monde. Au printemps dernier, des producteurs de Bollywood en Inde ont annoncé le lancement d’une superproduction retraçant les méfaits et surtout les évasions de Charles Sobhraj à travers le sous-continent, en particulier celle de la prison de Tihar, en 1986 – demeurée célèbre dans les annales de la police locale. La vedette du cinéma indien Saif Ali Khan tiendra le rôle du criminel présumé.

La trajectoire de Charles Gurmurkh Sobhraj, né le 6 avril 1944 à Saigon – alors colonie française – emprunte des chemins pourtant bien plus étranges, plus complexes aussi, que ceux montrés par ces scénaristes ou dans les multiples récits livrés par la chronique criminelle. Ainsi, comme nous pouvons le détailler, divers documents des services secrets français, méconnus jusqu’à présent, lui sont consacrés. Non pas en raison de ses escroqueries ou de ses meurtres présumés.

L’intérêt qu’il suscite se situe à un niveau plus stratégique. Il s’explique par le rôle que lui prêtent les agents de la DGSE dans des transactions illicites de matériels d’armement financées au début des années 2000 par deux importants narcotrafiquants afghans. Là, dans ces pages couvertes par le secret défense, le portrait du tueur en série un peu maniaque disparaît au profit de celui d’intermédiaire en relation avec des personnalités des services secrets pakistanais de l’Inter Services Intelligence (ISI).

Un homme qui se balade à travers l’Asie centrale en se prévalant lors de certaines rencontres, semble-t-il, d’une relation de confiance avec des dignitaires Talibans. Et qui fréquente quelques professionnels du cinéma français lui permettant d’utiliser des cartes de visites et des noms de société inspirant confiance. Une toute autre histoire. Une note de la DGSE que nous publions plus bas affirme ainsi :

Au cours du printemps 2001, Charles Sobhraj a repris contact avec le courtier non autorisé en armement Philippe Seghetti afin de se procurer des mini-réacteurs de type R-36 TRDD-50 de conception russe. Cette demande lui aurait été adressée par deux intermédiaires pakistanais de l’Inter Service Intelligence (ISI). Par ailleurs, Charles Sobhraj, souhaitant se procurer de la drogue en paiement des équipements livrés, le financement de cette transaction pourrait être assuré par des ressortissants afghans agissant dans le domaine des narcotiques, MM. Hâdji Abdul Bari et Hâdji Bachar.
Charles Sobhraj, qui a probablement été évincé de cette transaction, continue de soutenir les Talibans. En effet, ces derniers l’ont invité à se rendre dans la région de Peshawar (Pakistan) pour effectuer des transactions. Le laissez-passer devra être rédigé au nom de la société française Victor Productions, derrière laquelle M. Sobhraj abrite ses intérêts commerciaux.

Sobhraj DGSE

Nous avons retrouvé la trace de Victor Productions, à Londres, au 18 Wigmore Street. La société ne paraît plus active mais elle a été enregistrée par un producteur français, François Enginger. Celui-ci apparaît notamment au générique de la saison 2 d’Engrenages, la série vedette de Canal Plus, cuvée 2008. Nous avons contacté la société Son & Lumière, une quasi institution dans les milieux du cinéma français, qui a produit les différentes saisons d’Engrenages. Nos interlocuteurs nous ont répondu qu’ils ne connaissaient pas François Enginger et qu’ils ne voulaient pas nous parler.

Pas plus de chance avec Philippe Seghetti, nous n’avons obtenu aucune réponse aux sollicitations envoyées pour entrer en contact avec lui. Et aucun élément matériel ne nous permet de corroborer les soupçons que nourrissent les services secrets à son encontre. Selon nos informations, cet homme d’affaires est intervenu à plusieurs reprises sur les marchés de la sécurité en Afrique, notamment en République démocratique du Congo.

Armement

La Lettre du Continent, spécialisée sur les réseaux de la Françafrique, mentionne l’existence d’un partenariat entre Philippe Seghetti et une structure appartenant aujourd’hui à la Sofema, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement des contrats d’armement pour le compte des industriels français de la défense.

Les mini-réacteurs de type TRDD-50 qui intéressent la DGSE dans sa note sont produits à une échelle importante en Russie, en particulier dans les ateliers de la société OJSC, basée à Omsk et spécialisée dans la fabrication de moteurs et de systèmes de propulsion pour l’aéronautique. Entre les mains de professionnels de l’armement, ces minis-réacteurs peuvent servir au développement de missiles de croisière – à l’image du missile chinois HN-2 – ou servir à construire des drones artisanaux.

La note de la DGSE, rédigée début 2002, quelques mois avant l’arrestation de Charles Sobhraj au Népal, précise que ses commanditaires pakistanais ont pris contact avec la société géorgienne Indo-Georgia International, également en mesure de produire les fameux mini-réacteurs TRDD-50.

À la même époque, cette entreprise apparaît impliquée dans d’importantes livraisons d’armes de guerre aux indépendantistes en Tchéchénie ; que soutenaient l’Arabie Saoudite, le Pakistan et les réseaux Talibans. Une constante, de nos jours encore, les séparatistes ouzbeks et tchétchènes s’entraînent et combattent en Afghanistan.

Dans ce contexte, le 13 septembre 2003, tandis qu’il était domicilié en France en toute légalité (malgré un passé judiciaire chargé), Charles Sobhraj effectue un voyage au Népal pour affaires. Avec un visa en bonne et due forme délivré par le consulat du Népal à Paris. Il n’en repartira jamais. Ce jour-là, il est interpellé par la police de Katmandou dans le cadre d’un contrôle d’identité. Et après une vingtaine de jours de détention, de manière plutôt surprenante, il est inculpé pour un assassinat crapuleux commis au mois de décembre 1975.

L’accusation repose principalement sur les photocopies de deux cartes d’enregistrement dans un hôtel réservé aux étrangers, remontant à décembre 1975 et qui désigneraient Sobhraj. Près d’un an après cette inculpation, et malgré des expertises mettant en cause la fiabilité de ces photocopies, et sans aucune autre preuve matérielle, la Court de Katmandou condamne Charles Sobhraj à la prison à vie, le 12 août 2004.

Preuves originales

À Paris, Maître Isabelle Coutant-Peyre, avocate hors normes, familière des dossiers difficiles, assurant la défense du terroriste Carlos, prend en charge l’affaire Charles Sobhraj, en relation avec les avocats népalais. À titre bénévole, pour des questions de principe, nous explique t-elle. Après avoir consulté le dossier de l’accusation, elle introduit un recours devant la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies. Qui se transforme en plainte contre l’État du Népal.

Et elle gagne. Dans un avis du 27 juillet 2010, que nous reproduisons ci-dessous, la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies condamne sans réserve l’État du Népal pour avoir violé des dispositions du droit interne népalais, et surtout pour avoir mené une procédure sans respecter les principes judiciaires les plus élémentaires, en particulier la nécessité de mener une instruction contradictoire, à charge et à décharge, d’accorder la possibilité à l’accusé d’écouter les griefs qui lui sont adressés dans une langue qu’il comprend, et de fonder les actes d’accusations sur des preuves originales et non sur quelques copies dont l’authenticité est sérieusement contestée.

Charles Sobhraj United Nations

Onze ans après son arrestation, Charles Sobhraj dort toujours dans une prison népalaise. Son casier judiciaire chargé, sous d’autres juridictions, revient parfois comme un ultime argument pour tenter de cautionner une condamnation vide de raison juridique. Mais peut-être pas de raison d’État. Le 25 octobre 2010, le chef de cabinet de l’Élysée, Guillaume Lambert a rédigé une lettre – que nous avons pu consulter – dans laquelle il exprime toute l’empathie de l’État français pour le cas Sobhraj. Sans vraiment convaincre.


Serpents par Caravsanglet et ggalice sous licences Creative Commons via Flickr

]]>
http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/feed/ 8
Les 300 000 morts de la guerre contre le terrorisme http://owni.fr/2011/05/02/les-300-000-morts-de-la-guerre-contre-le-terrorisme/ http://owni.fr/2011/05/02/les-300-000-morts-de-la-guerre-contre-le-terrorisme/#comments Mon, 02 May 2011 17:08:29 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=60612

Les attentats du 11 septembre 2001 avaient fait 2 996 victimes, dont 343 sapeurs-pompiers, et 59 policiers, venus secourir les victimes enfermées dans les tours du World Trade Center. La guerre contre le terrorisme lancée par George W. Bush Jr a, elle, entraîné la mort d’au moins 227 000 personnes, ou plus de 300 000 selon d’autres estimations, dont 116 657 civils (51%), de 76 à 108 000 islamistes, insurgés ou talibans (34-36%), 25 297 soldats des forces loyalistes en Irak et en Afghanistan (11%), et 8 975 soldats américains, britanniques et autres nations de la coalition (3,9%).

Voir aussi la visualisation dont s’est inspirée Loguy, et le fichier contenant ces chiffres.

En se basant notamment sur les documents rendus publics par Wikileaks, le Guardian avait estimé, en octobre 2010, à 109 032 le nombre de civils et militaires tués en Irak entre 2004 et 2009, dont 66 081 civils, 23 984 ennemis, 15 196 soldats irakiens, et 3 771 soldats de la coalition.

Mais ces chiffres ne prenaient en compte que les seuls morts documentés dans les rapports de la coalition. icasualties.org a ainsi, de son côté, répertorié 4770 soldats de la coalition (dont 4452 Américains et 179 Britanniques) morts au combat, en Irak, depuis 2003, et 2441 (dont 1566 Américains, 364 Britanniques, et 56 Français) en Afghanistan, depuis 2001.

Il faut aussi y rajouter, pour l’Irak, 16 595 soldats des forces de sécurité irakiennes post-Saddam), 1764 contractants privés, 1002 Sahwa des Fils de l’Irak (force supplétive de l’armée irakienne), ainsi qu’entre 38 778 et 70 278 morts du côté soldats irakiens pro-Saddam et des insurgés.

Du côté de la guerre en Afghanistan on dénombre également plus de 7500 morts du côté des forces de sécurité afghanes, 200 au sein de l’Alliance du Nord, et plus de 38 000 talibans et insurgés.

100 000, ou 1,4 M de civils morts en Irak ?

Mais le plus grand nombre de décès est à chercher du côté des civils. Iraq Body Count a ainsi documenté entre 100 et 110 000 civils morts de façon violente, depuis 2003 (à quoi il conviendrait de rajouter 15 000 civils morts mentionnés dans les warlogs publiés par WikiLeaks).

Une étude publiée dans la revue médicale The Lancet, avait de son côté estimé à 654 965 le nombre de morts entre 2003 et 2006, soit 2,5% de la population irakienne, ce qui laisserait à penser que le chiffre serait aujourd’hui, mis à jour, de 1.455.590 morts Irakiens.

Just Foreign Policy - Morts irakiens dus a l'invasion U.S.Si les chiffres publiés dans The Lancet ont été controversés, les estimations portant sur le nombre de victimes de la guerre en Irak varient de 100 000 à plus d’un million.

En Afghanistan, le nombre de civils tués depuis 2006 ne serait “que” de 9759, dont 6269 tués par les forces anti-gouvernementales, et 2723 par la coalition ou les soldats de l’armée régulière, d’après l’ONU, à quoi il conviendrait de rajouter entre 6300 et 23 600 civils morts directement, ou indirectement, du fait de la guerre entre 2001 et 2003.

Voir, à ce sujet, cet extrait de Rethink Afghanistan documentaire de
Robert Greenwald, connu pour ses films sur Fox News ou l’administration Bush :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La guerre au terrorisme ? 1 283 Md$

Au total, la guerre au terrorisme aura coûté, depuis 2001, 1 283 milliards de dollars pour les trois programmes principaux de la guerre contre le terrorisme : l’opération Enduring Freedom en Afghanistan, l’opération Iraqi Freedom en Irak et l’opération Noble Eagle visant à renforcer la sécurité des bases militaires.

Ce dernier programme est surtout mené pendant les premières années de “la guerre contre la terreur“. Le coût de la guerre suit les grands dynamiques des deux conflits. Le désengagement irakien se répercute largement dans le budget alloué : il passe de 142,1 milliards à 95,5 milliards de dollars entre l’année fiscale 2008 à 2009 (aux États-Unis, une année fiscale correspond à la période entre octobre d’une année et septembre de l’année suivante). C’est aussi en 2010 que le budget alloué à la guerre en Afghanistan dépasse le budget pour l’Irak.

En cumulé depuis le début de chaque conflit, l’Irak a coûté 806 milliards de dollars, soit 63% du total, contre 444 milliards pour l’Afghanistan, 35% du total.

150 000 soldats US encore engagés

Dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Washington avait envahi l’Afghanistan, avec l’accord du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, qui créa la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité en décembre 2001. Le nombre de soldats américains présents est en constante et légère augmentation jusqu’en 2007. L’Afghanistan n’est pas une priorité, notamment à partir de mars 2003 et le début de la guerre en Irak. 150 000 soldats sont alors mobilisés, 10 fois plus qu’en Afghanistan.

En 2007, Georges W. Bush lance le “surge“, augmentation massive des troupes pour mettre fin aux violences qui ensanglantent le pays. De 132 000 en janvier 2007, le chiffre atteint 170 000 en novembre suivant. Entre l’Irak et l’Afghanistan, les États-Unis mobilisent à cette date-là 195 000 personnes, un maximum qui ne sera uniquement atteint à nouveau en août 2009.

Promesse de sa campagne électorale, Barack Obama annonce le retrait des troupes d’Irak après son élection. Entre avril 2009 et septembre 2010, le nombre de troupes engagés passe de 39 000 à 98 000, soit 2,5 fois plus. En juin 2009, la situation s’inverse entre les deux pays : les troupes déployées en Afghanistan sont plus nombreuses que les troupes au sol en Irak, conséquence du “surge” afghan et du retrait irakien.

Ces chiffres ne reflètent pas toute la réalité. En novembre 2010, à l’occasion d’une une” sur la privatisation de la guerre, OWNI avait ainsi réalisé cette visualisation sur la montée en puissance des sociétés militaires privées engagées en Irak et en Afghanistan, dont les effectifs, respectivement de 112 092 et de 95 461 (soit 207 553) dépassaient ceux des troupes militaires présents dans ces pays-là : 79 100 et 95 900, soit 175 000 “soldats réguliers” :

Avec Pierre Alonso pour les chiffres sur les troupes, et les sommes engagées.


Retrouvez notre dossier :

L’image de Une en CC pour OWNI par Marion Boucharlat

Ben Laden dans les archives des services secrets par Guillaume Dasquié

Mort de Ben Laden : l’étrange communication de l’Élysée par Erwann Gaucher

L’ami caché d’Islamabad par David Servenay

Photoshop l’a tuer par André Gunthert

]]>
http://owni.fr/2011/05/02/les-300-000-morts-de-la-guerre-contre-le-terrorisme/feed/ 41