Pourquoi la chute du marche de la musique va désormais s’accélérer …

Le 16 novembre 2009

J'ai récemment eu une intéressante discussion avec un groupe d'amis travaillant dans l'industrie de la musique -responsable de start-up, ancien manager de label, ancien responsable de la Sacem, etc.- et il m'a semblé intéressant d'en rapporter le propos en le pimentant de mon avis personnel. D'une façon générale, le consensus est que les choses vont continuer à évoluer à peu près comme elles l'ont fait durant les huit années passées : une baisse du marché de l'ordre de 10 à 12% en valeur par an et une augmentation du digital trop faible pour compenser quoi que ce soit. Chacun y va de son bon mot pour expliquer que les gens sont prêts à consommer des CDs , si la musique est bonne ... Voici donc dix prédictions et hypothèses...

Partie 1

J’ai récemment eu une intéressante discussion avec un groupe d’amis travaillant dans l’industrie de la musique -responsable de start-up, ancien manager de label, ancien responsable de la Sacem, etc.- et il m’a semblé intéressant d’en rapporter le propos en le pimentant de mon avis personnel.

D’une façon générale, le consensus est que les choses vont continuer à évoluer à peu près comme elles l’ont fait durant les huit années passées : une baisse du marché de l’ordre de 10 à 12% en valeur par an et une augmentation du digital trop faible pour compenser quoi que ce soit. Chacun y va de son bon mot pour expliquer que les gens sont prêts à consommer des CDs , si la musique est bonne …
Voici donc dix prédictions et hypothèses… On verra d’ici peu et ce post grave dans le marbre une référence de ma capacité divinatoire, ou à avoir l’air ridicule … mais ça ne tue pas comme chacun sait.

1) la chute du marché physique va s’accélérer. En lisant une hypothèse de l’Idate, j’ai été surpris de constater que l’accélération de la chute n’intervenait qu’en 2012. Or, ces études ne prennent pas assez en compte l’accélération du renouvellement des équipements audio. Une chaine hifi se conservait 6/8 an, il y a dix ans, c’est plutôt 3/4 ans à présent. De surcroît, il s’est vendu 640 millions de téléphone avec un player MP3 en 2008 !! Dites simplement à votre petit neveu de 8 ans que vous allez lui offrir plein de CD de musique pour noël et vous allez voir sa tête !

2) Itunes a mangé son pain blanc. J’ai été un très gros utilisateur de Itunes sur lequel j’ai créé des centaines de playlists. Depuis quelques temps, je l’utilise beaucoup moins, n’y trouvant ni smart radio, ni moteur de similarité intelligent, ni encore le fun que je peux trouver sur LastFM en lisant les Bios et commentaires sur ce que j’écoute.
Plusieurs personnes m’ont raporté que Steve Jobs (le patron d’apple pour ceux à qui ça aurait échappé) a interdit à ses équipes de travailler sur un concurrent de Spotify, convaincu que l’avantage concurrentiel de Itunes est trop important pour que cela vaille le coup. Impossible évidemment de savoir si c’est vrai, mais si c’est le cas, c’est une erreur majeure à mon sens.

3) On va enfin parler de musique mobile. Blutooth 2, un vrai réseau 3G. J’ai souvent dit que même en ayant largement participé à l’émergence du marché de la musique mobile, Musiwave restait un échec car elle n’a jamais réussi à capter plus de 2% de part de marché. L’absence totale d’ergonomie, des catalogues réduits, peu de mobiles compatibles, un réseau pas encore au point et une vraie difficulté à exporter le son vers un ampli ont été quelques uns des facteurs bloquants. Or, avec l’arrivée de players réellement ergonomiques avec des catalogues très complets devrait changer la donne. On ressort totalement épaté d’une démo du player de Spotify, et on me dit que celui de Deezer sera encore mieux.
Cette prédiction un peu prétentieuse que je faisais il y a donc quelques années “le mobile va devenir la télécommande de votre chaine hifi et votre principal point d’accès à la musique” est peut être en passe de devenir tout à fait exacte. L’intégration de Blutooth2 (qui permet de transmettre de la Hifi en Stéréo sur l’autoradio de sa voiture ou la chaine de son salon), et la capacité de la 3G améliorée (HSDPA) sont des verrous désormais enfoncés.

4) le MP3 va réellement commencer à disparaitre dès 2010. Je le dis je le répète, le MP3 en fichier a imposé une expérience trop complexe. Acheter un titre online n’est pas naturel pour beaucoup d’entre nous. S’abonner à Spotify ou Deezer l’est beaucoup plus. De surcroît, la manipulation de milliers de titres se révèle rapidement une tache ardue. L’expérience utilisateur, dix ans après l’arrivée du MP3 est sur le point de changer radicalement, à nouveau.

5) Le P2P va peu à peu s’effacer. Déjà les statistiques sont formelles : le P2P n’est plus en croissance. Si vous avez déjà passé des heures pour essayer de récupérer un titre de musique qui s’avère être coupé au bout de 1,30 minutes, vous savez pourquoi l’expérience est quand même assez limitée. Et toutes les raisons du (4) vont aussi dans ce sens. Dans 4 ans, on n’en parlera plus !

7) Il y aura plusieurs plateforme gagnantes. Tout le monde oppose Deezer contre Spotify et Itunes, google, et d’autres nous ont dressé à croire qu’il ne peut y avoir qu’un leader par marché. Mais dans la musique les paramètres pour être bons sont beaucoup plus nombreux. Ainsi LastFM est le meilleur en similarité, mais le plus mauvais en user-expérience. Deezer est le catalogue le plus pronfond, mais l’ergonomie est moins bonne que Spotify (so far). De surcroit c’est l’intérêt des majors et labels.

8 ) L’échange de playlist va largement se populariser. Si vous avez des ado, vous pouvez directement passer au (9)… Sinon, tapez “spotify playlist” dans google, ça vous éclairera.

9) De nouvelles expériences musicales vont émerger (suivez mon regard). Au 18ème siècle lorsqu’on écoutait de la musique, c’était à l’opéra et ça durant 3 heures. En 1965, c’était surtout dans sa chambre et ça durait entre 3,30 et 45 min (les faces planantes de Pink Floyd). Or, aujourd’hui, le contexte d’écoute n’a jamais évolué autant (en travaillant sur son ordi, en marchant dans la rue…) mais le format n’a pas bougé. C’est aussi pour ces raisons que je crois sans limites au mxp4.

10) le marché de la musique va recommencer à croitre en Europe dès 2011.
Cette affirmation amène tout d’abord une vraie question : pourquoi le marché a dévissé aussi fortement? Pourquoi on n’a pas pu enrayer cette chute? Tout simplement parce que c’était beaucoup plus simple d’utiliser un MP3, pour la rapidité de mise en Å“uvre (vous vous rappeler du petit tiroir CD de votre chaine hifi et des boites de CD qu’on ne retrouve jamais?), sa capacité d’échange, et aussi la gratuité, mais pas uniquement.
Or on commence à voir des services qui rentrent en concurrence avec la gratuité, car ils amènent une valeur ajoutée suffisament forte pour que le consommateur ait à nouveau envie de payer.
Évidemment, ça n’est pas encore tout à fait évident, mais je parie que ça va le devenir. Ce qui est déjà évident c’est que si Hadopi fonctionne un tant soit peu, ça va largement aider à ouvrir les porte-monnaies. Cette affirmation concerne donc l’Europe, car de nombreux pays vont passer des lois Hadopi-like.

Merci de ne pas trop vous moquer de moi lorsque vous me croiserez dans la rue dans deux ans.

» Retrouvez cet article et la conversation qui s’en est suivie sur Sawnd Blog

Partie 2

pirate

A l’issue du papier “Pourquoi la chute du marche de la musique va désormais s’accélérer”…, nombreux ont été ceux qui se sont exprimés, parfois avec une certaine virulence, directement sur le blog, un peu sur facebook, mais surtout en envoyant directement leurs commentaires dans la boite mail de l’auteur, pour ceux qui la connaissaient.
Certains arguments faisaient beaucoup de sens, tandis que d’autres étaient clairement tendancieux, voire de mauvaise foi. Il nous a donc semblé intéressant de résumer les points de désaccord les plus marqués, pour continuer le débat et tenter de parvenir à un consensus plus élaboré. C’est l’idée des 11 points qui suivent. 10 reprennent ceux de du post, et un onzième fait la synthèse.

1) Concernant “la chute du marché physique va s’accélérer”. C’est sans surprise le seul sur lequel vous avez été tous unanimes. La plupart d’entre vous font d’ailleurs observer que cela fait déja des années qu’ils n’ont pas acheté un CD. Petite surprise cependant, le retour du Vinyl, qui a cru de…. 310% entre 2001 et 2008 en Angleterre… Il est vrai qu’à 340M de £ en 2008, cela reste un petit marché.

2) Concernant “Itunes a mangé son pain blanc”. Il s’agit clairement un point controversé. Mais ce qui semble surprenant, c’est la conviction de beaucoup d’internautes que la position dominante d’Itunes est bien assurée. Il nous semble étonnant de ne pas prendre en compte que ce qui a été fait en cinq ans ne pourrait être défait dans le même temps, voir moins. La notion de possession de la musique (les fichiers sont sur mon disque dur, donc ils sont à moi) semble également être un argument de faible poids. D’ici peu, on oubliera même qu’on stockait la musique en local. Certes, il ne faut pas être prisonnier d’une offre de streaming et il sera impératif que l’on puisse exporter ses playlists (en xml par exemple), mais c’est une idée qui fait son chemin, de ce que j’en sais.
La pseudo dépendance des terminaux avec ITunes ne me semble pas un argument. Ce fut vrai un court moment avec les Ipods -et la DRM Fairplay-. Deezer et Spotify s’affranchissent brillamment de cette contrainte.
Il est également surprenant de constater que beaucoup contestent les prix élevés des CD (physiques), mais que le prix élevé des titres sur Itunes (qui pourtant n’a que peu de coûts logistiques…) semble acceptable…

3) Concernant “On va enfin parler de musique mobile”. C’est un argument qui est contesté sur le plan technique. Les réseaux ne supporteraient pas un usage massif. Or, pour avoir pas mal travaillé sur le sujet, il est très difficile d’affirmer cela. A priori, les réseaux sont à même de supporter un niveau de débit sensiblement supérieur à l’usage que nous en faisons actuellement. Il ne faut pas oublier que l’infrastructure UMTS a au départ été conçue avec l’idée qu’une part non négligeable des abonnés feraient des video-calls ; usage qui ne s’est finalement pas concrétisé. La musique nécessitant environ 8 fois moins de bande-passante qu’un video-call, cela ne semble donc pas être une difficulté incontournable. Sans compter du fait que le HSDPA (la 3,5G) est en déploiement rapide (avec 2Mb en descendant !), que les réseaux micro-cellulaires devraient permettre d’augmenter encore la capacité. Il est ainsi difficile de douter du fait que l’expérience de musique mobile va exploser à court terme, y compris dans les pays émergents.

4) Concernant “le MP3 va réellement commencer à disparaitre dès 2010″. C’est une vraie satisfaction d’observer que personne ne conteste vraiment ceci. Des journalistes américains et Brésilien ont d’ailleurs repris cette note. Il est heureux que cette disparition intervienne, permettant ainsi de faire émerger de nouveaux standards, sensiblement plus performants en ce qui concerne l’expérience artistique.
En revanche, nombreux sont ceux qui doutent que le streaming puisse devenir dominant. Cette notion (un peu grégaire, il faut l’avouer non?) de ‘possession’ des fichiers MP3 semble tenir fortement à coeur de certains ! Les auteurs de ce papier prennent les paris à cinq contre un. Reste à trouver un arbitre fiable.

5) Concernant “le P2P va peu à peu s’effacer”. C’est de loin le point qui a été le plus contesté. Il semblerait que parmi nos lecteurs, beaucoup soient des adeptes de cette technologie. Il est pourtant difficile de contester son déclin, constaté par de nombreuses études. Les ISP eux même confirment que le trafic issue du P2P est en nette baisse. Quand à son efficacité, les doutes exprimés lors de notre post initial peuvent être renouvelés : sur Limewire, en tapant “Dance” et “Prince”, entre l’instant d’envoi de la requête et le début de l’écoute d’un titre, il nous a fallu six minutes (avec un abonnement ADSL 30Mb) avant de commencer à écouter un titre improprement encodé (128kb en MP3). Ça marche certes, mais ça n’est en rien comparable à une plateforme de streaming qui offre une qualité de 256Kb ou plus, et une écoute instantanée.

7) Concernant “Il y aura plusieurs plateforme gagnantes”. Encore une fois, il est étonnant de voir à quel point le joug de Itunes semble être perçu comme une fatalité, pour le siècle à venir. Peu d’entre vous imaginent que les lignes de front puissent être enfoncées et qu’un ou plusieurs autres challengers prennent cette (ces) place enviée. Pourtant, une erreur de stratégie aussi simple que celle qui consiste à ne pas passer au “all you can eat” et au streaming pourrait bien leur être fatal. Mais encore une fois, ne présupposons pas que le vers soit nécessairement dans le fruit… Il est clair qu’historiquement, Apple a fait preuve d’une capacité de réaction remarquable.

8 ) Concernant “L’échange de playlist va largement se populariser”. Il importe de préciser que les playlists s’échangent pour l’instant dans une logique fermée. Votre serviteur a récemment suggéré au management de Spotify et de Deezer d’adopter le xml comme standard d’échange de playlists, ce qui est déja le cas de Itunes.

9) Concernant “De nouvelles expériences musicales vont émerger”. Évidemment, le moins que l’on puisse dire c’est que tout le monde ne suit pas notre conviction que le mxp4 puisse devenir un format de prédilection. Pourtant de nouveaux développements devraient être révélés en 2010, qui devraient pousser les septiques à revoir leur jugement.

10) Concernant “le marché de la musique va recommencer à croitre en Europe dès 2011″.

C’est pour le moins un point contesté ! Beaucoup d’internautes entendent ici “les majors vont à nouveau vivre grassement sur le dos des internautes et des artistes”. Le fait est que toute la croissance du marché devrait être tirée par une nouvelle catégorie d’acteurs, petits labels, start-up internet… Les majors n’ayant -à notre sens- de toute façon plus de structures adaptées à ce nouveau monde.
La question du prix est évidemment très présente dans vos réactions. Or, un calcul assez simple, montrant que si la moitié des foyers français payaient seulement 4,5 euros par mois pour une offre de musique exhaustive, le marché français serait à nouveau en nette croissance. C’est d’ailleurs le point que nous avions défendu auprès de la commission Internet et Création : plus qu’une logique répressive, la mise en avant d’offres compétitives, et économiquement accessibles.

Et 11) En synthèse… Le point le plus notable nous semble être ce sentiment très fort, qu’un nombre assez significatif d’entre vous expriment, concernant la gratuité de la musique. 200 ans après la déclaration des droits de l’homme, il semble que l’accès libre et gratuit à la musique, voire plus largement à tous contenus, soit à présent également considéré comme un droit fondamental.
La notion de licence globale est revenue (par email) à deux reprises ; il semble important de rappeler qu’elle pose des problèmes de Droit assez structurel. La France et l’Europe sont signataires de nombreux accords (GATT, OMC…) sur le respect de la propriété intellectuelle (1), qui -à priori- rendent particulièrement difficile la mise en Å“uvre de cette idée.
A ce titre, Hadopi en prend pour son grade. Il est vrai que les obstacles semblent nombreux avant que cette loi puisse être mise en Å“uvre efficacement, si elle l’est. Il n’en reste pas moins vrai qu’il est hypocrite de soutenir que la loi est inique car opérée par des serveurs. Les radars automatiques n’ont aucune modération humaine et malgré tout le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de Justice Européenne ne les ont pas remis en cause.

Romualdo, avec la participation de Babgi.

(1) sur ce sujet et plus globalement un article écrit dans le Figaro, et reproduit par invention.ch, résumant plus largement les enjeux de la propriété intellectuelle et artistique.

NB : vos avis sont bienvenus, la courtoisie et la retenue les rendent encore plus pertinents.

» Retrouvez cet article et la conversation qui s’en est suivie sur Sawnd Blog

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés