Jacques Toubon, la mission Zelnik c’est lui

[...] Depuis que le rapport de la mission dite Zelnik a proposé d’instaurer une gestion collective pour la musique sur l’internet, le monde de la culture est en ébullition.

Hier soir se tenait une réunion du club parlementaire audiovisuel. Les invités de cette session très attendue étaient Jacques Toubon et Patrick Zelnik, pour discuter du rapport remis il y a quelques semaines maintenant au ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand. Parmi les invités, beaucoup de producteurs, des représentants de la radio, des opérateurs internet et Google France. Le débat promettait d’être chaud, ce fut brûlant.

Depuis que le rapport de la mission dite Zelnik a proposé d’instaurer une gestion collective pour la musique sur l’internet, le monde de la culture est en ébullition. À peine les préconisations exposées, le syndicat des majors de la musique, le SNEP, avait attaqué bille en tête, accusant Patrick Zelnik, producteur et fondateur du label Naïve, d’instrumentaliser cette mission pour des raisons personnelles. L’attaque n’était pas très fair-play mais elle a touché. Et depuis, Patrick Zelnik s’évertue à calmer les esprits en expliquant, dès qu’il en a l’occasion, que la gestion collective n’est pas une obligation, à condition de trouver une solution d’ici là – le rapport donne un an pour trouver un accord.
Bref, c’est dans ce contexte où pleuvent en coulisse les noms d’oiseau, que le club parlementaire de l’audiovisuel se réunissait à l’initiative de ses créateurs, Emmanuel Hamelin, Frédéric Lefebvre et le nouveau venu Franck Riester. Patrick Zelnik est à l’heure. Mais alors que les convives et les journalistes trouvent une place dans la salle du dernier étage de l’immeuble Jacques-Chaban-Delmas, ses acolytes ne sont pas encore arrivés ; Guillaume Cerutti ne viendra pas, et comme à son habitude, Jacques Toubon est en retard. C’est à Frédéric Lefebvre que revient le privilège d’ouvrir les débats. Le porte parole de l’UMP se contente de répéter l’importance du sujet : le financement de la création. Enfin, Jacques Toubon fait son entrée, alors que l’ex-député des Hauts-de-Seine finit son allocution en évoquant la gestion collective, et sa volonté de trouver un financement durable pour la culture.

Tribun

Patrick Zelnik hérite du micro. « On m’avait promis une soirée chaude », lance t-il, et embraye sur Hadopi. La loi sur la riposte graduée est qualifiée de « médecine douce », car la « gratuité sur internet, c’est très dévastateur ». On se demande bien alors où est passé celui qui au tout début des années 2000, alors que la vague Napster déferlait, s’était levé, seul face aux majors de l’IFPI (Fédération internationale de l’industrie musicale), pour dénoncer les carences de la production et dédouaner le piratage naissant… Après cette mise en bouche, Patrick Zelnik entame ce refrain déjà entendu sur la gestion collective : « la gestion collective est l’un des moyens et pas le seul. Il y en a d’autres. Et des plus efficaces ». Reste donc à les trouver.
Dans la salle, on opine du chef, sûr d’avoir mis en échec cette mesure si controversée – sont présents les pros du lobbying au regard d’aigle. Peine perdue, voilà que Jacques Toubon rentre dans l’arène, et le show peut enfin commencer. Le tribun est toujours en vie. Vivace même, prêt à dégainer et interpeller les pleutres et les planqués ! Le ton est donné d’emblée : « On ne peut régler les problèmes qui se posent que par et avec le marché ». Voilà qui est clair, le plus libéral des deux c’est bien Jacques Toubon, l’ancien ministre de la Culture, et ex-député européen ; Guillaume Cerutti n’est pas présent, mais cela ne change rien, Jacques Toubon est dans la place ! Son intervention s’articule autour d’un axe fort : « Changer la grille de lecture du marché », comprenez le point de vue des producteurs et créateurs n’est plus l’alpha et l’omega de l’action politique. Les aigles se changent en faucons…
Le temps suivant fut celui de l’intermède. Marie-Françoise Marais, juge à la Cour de cassation, et nouvellement promue présidente de l’Hadopi prit la parole. Avec un vrai talent et pas mal d’humour, celle qui devient la nouvelle tête de turc des internautes a souligné qu’elle garderait sa porte ouverte. « Nous ne ferons pas le monde de l’internet sans vous », dit-elle. On ne sait pas si elle voulait ainsi s’adresser aux futurs récidivistes du piratage ou bien aux ayants-droit réunis en ce lieu. Et comme c’est le jour des piques, Marie-Françoise Marais s’est permis d’en glisser une sur le fauteuil vide du ministre, car les décrets d’application de la loi “création et internet” font toujours défaut. En attendant leur publication, Hadopi n’existe pas.

Pipeaux

Et puisque le temps tournait à l’orage pour le gouvernement, Jacques Toubon, que l’on ne peut alors soupçonner d’avoir un agenda caché personnel, s’en est également pris aux pouvoirs publics en des termes crus : « Je ne sais pas ce que fout le gouvernement », a t-il lancé, à propos de la saisine à l’encontre de Google et plus largement du marché de la publicité sur l’internet – à ce propos, il serait bon de répéter que la première régie qui aura à payer sa dîme sera celle d’Orange. Le député a bien fait savoir que les textes rédigés par la commission dont il a fait partie sont prêts. Qu’ils sont suffisamment argumentés pour que l’action du gouvernement soit rapide, ajoutant : « Je suis absolument ébahi que Bercy n’ait pas fait son travail » sur ce dossier.
Comme il est pratique d’avoir un ennemi commun, qui plus est lorsqu’il a le bon goût d’être américain, avec une filiale basée en Irlande, un pays où les joueurs de pipeaux font carrière. Google, puisqu’il s’agit de lui, est d’ailleurs dans la salle. Courageusement, le directeur juridique va expliquer, la langue lourde d’échardes remâchées de longue date, qu’il ne faut pas entraver le marché , « que ce serait mettre en péril les relations entre les opérateurs du Net et les ayants-droit » ; bref, artistes circulez, y a rien à prendre ! Voilà qui n’est pas fait pour calmer Jacques Toubon. Alors que personne ne le lui a demandé, le voilà qui défend la fameuse taxe Google. Selon lui, rien ne s’y oppose dans la loi européenne.
On l’a souvent connu dans le rôle du pyromane, le voici pompier. Frédéric Lefebvre a cela de surprenant que les caméras de télévision absentes, plus de raison de provoquer. Le co-fondateur du Club explique donc qu’il serait fondé de réfléchir à « des modes de répartition des recettes publicitaires ». Le monde de la création aurait tout à y gagner, et les opérateurs internet aussi. Un secteur artistique en pleine santé, c’est la garantie d’avoir un contenu de qualité, et une appétence des internautes.
Cette histoire se joue en trois actes, et le second est tout entier consacré à la gestion collective. La commission Zelnik a repris là une proposition faite par l’Adami, l’une des sociétés de perception et de répartition des droits du monde de la culture. Pour lancer le débat que tout le monde attend, c’est à Emmanuel Hoog, président de l’Ina et tout juste désigné médiateur, que l’on tend le micro. La patate est suffisamment brûlante pour que l’intéressé précise aussitôt que, bien que l’on lui ait octroyé un an pour réussir, il souhaiterait en finir au plus vite, « sinon avec le temps on va tomber dans la répétition, nécessairement ». Voilà pour la forme. Et sur le fond, on n’en apprendra pas beaucoup plus. De toute façon, il n’a pas été retenu dans le casting du duel à la fin.

Carcan

Patrick Zelnik non plus, mais il prend tout de même le temps de préciser sa pensée. La gestion collective ne mérite pas que l’on « cristallise » le débat, car « c’est une solution faute d’en trouver d’autres » – depuis le Midem, le patron de Naïve n’en finit pas de se dédouaner dans cette affaire. Ce n’est pas le cas de Jacques Toubon, dont la conviction sur le sujet dépasse largement la portée du rapport. Osons le dire, Jacques Toubon sait. Les autres non. Jacques Toubon a vu. Les autres sont restés aveugles, planqués derrières les frontières de leur marché national. Jacques Toubon a vu les anglo-saxons faire. Petit à petit, ils ont grignoté le droit d’auteur pour, sans trop le dire, chercher à imposer le copyright sur le Vieux Continent. Heureusement, Beaumarchais s’est trouvé son porte-parole, comme Diotime soufflant les mots de Socrate…
« Je ne suis pas idiot. Je sais bien ce que ça peut représenter pour les producteurs, la gestion collective », s’écrie l’ancien député européen PPE. « Il est faux de dire qu’elle représente un carcan », souligne t-il aussi, faisant ainsi référence aux évolutions modernes de ce modèle de redistribution des droits. Car, pour lui, la gestion collective est le meilleur terreau de l’innovation, celui qui garantit que les droits seront payés, pour tous, mais aussi que les projets avant-gardistes pourront se bâtir sur des modèles économiques sains. Enfin, aux producteurs présents dans la salle, il assène cette vérité : « On ne peut pas, du jour au lendemain, raconter que le marché se porte bien, parce qu’une proposition ne va pas dans le sens de votre intérêt ».
Cette soirée n’aurait pas été complète sans un dernier coup d’éclat. Il est venu de Vivendi. Le groupe français avait été évoqué précédemment. Comparé à Google, il serait une PME, avait-on entendu, ce qui avait déclenché l’hilarité générale. Sylvie Forbin prend la parole et interpelle les membres de la commission. Ce qu’elle leur reproche est simple : ne pas avoir donné toute la place qu’elles méritent aux propositions du groupe. Que n’avait-elle dit ! Piqué au vif, ou bien vieux roublard de la joute, Jacques Toubon réplique : « Vous venez de vous discréditer ! C’est justement parce que nous ne voulions pas travailler sous l’influence des lobbies, et votre attitude le démontre parfaitement ». Le coup est rude, mais Sylvie Forbin, lobbyiste en chef de Vivendi en a vu d’autres, et pas démontée pour un sous, elle continue sa démonstration. L’idée maîtresse de son intervention tient dans la mise en place d’une plateforme regroupant l’ensemble des producteurs pour répondre à la demande des distributeurs de musique en ligne. En sortant, Patrick Zelnik lui a glissé à l’oreille que bien sûr, ils prendraient le temps d’en reparler…


Le rideau tombe sur une dernière intervention. Celle de Nicolas Seydou, le président de Gaumont, qui pose la bonne question : « Que faisons nous pour innover ? ». Les esprits sont déjà fatigués. Il est temps de fermer.

» Article initialement publié sur Electron Libre

» Illustration de Une par _ambrown sur Flickr

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