Loppsi : Internet devient une circonstance aggravante
Consacré à la sécurité intérieure, le projet de loi Loppsi traite dans son article 3 internet comme une circonstance aggravante. Un signe qui, ajouté aux preuves d’incompétences notoires du législateur dans le domaine, prouve une méconnaissance du web par le gouvernement qui confine à la diabolisation.
Consacré à la sécurité intérieure, le projet de loi Loppsi traite dans son article 3 internet comme une circonstance aggravante. Un signe qui, ajouté aux preuves d’incompétences notoires du législateur dans le domaine, prouve une méconnaissance du web par le gouvernement qui confine à la diabolisation.
La Loppsi n’est pas une loi sur internet :
Trafic des points de permis de conduire, vidéosurveillance, police d’agglomération, cybercriminalité… Le web n’est ici légiféré qu’au passage, comme un nouveau lieu où enfreindre la loi. Voire comme le cÅ“ur même du délit. En passant en revue ses dispositions, la lecture de l’article 3 donne le fond de l’opinion du législateur sur l’essence de l’internet :« aggravation des peines encourues pour certains délits de contrefaçon ». L’aggravation en question vise les atteintes commises à l’encontre de la propriété intellectuelle quand elles sont commises sur internet que le texte vise à aligner« sur celles déjà applicables lorsque le délit est commis en bande organisée. »Le web serait, vu des fenêtres du ministère de l’Intérieur, une nouvelle forme de bande organisée, une circonstance aggravante qui surqualifie le deal de contenus culturels à 5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende.
Dans son bureau du bâtiment Chaban-Delmas, le député UMP de Haute-Savoie Lionel Tardy s’apprête à aller « en remettre une couche » dans l’hémicycle après quelques duels d’amendements contre la majorité sur la Hadopi. « Je serai moins véhément, car la Loppsi s’en prend aux hébergeurs plutôt qu’aux utilisateurs, annonce-t-il un peu las. Les parlementaires prennent peu à peu conscience qu’il faut légiférer sur Internet mais, à la lecture du texte, force est de constater qu’ils n’y connaissent rien : les modalités d’applications ne sont presque pas précisées ou simplement déjà dépassées. »
Ironie de l’agenda, le matin même, la secrétaire d’Etat à l’Economie numérique tenait salondans le cadre de son opération pour les Elues 2.0. Mais pour Lionel Tardy, la vraie opinion du gouvernement sur le web est plutôt à chercher du côtéde l’amendement 244 rectificatif deJacques Myard exigeant des campagnes de sensibilisation régulières « aux risques d’insécurité et d’escroqueries sur les supports de communication au public en ligne. » Bien que rejeté, il résume pour le député de Haute-Savoie l’esprit, le fond honteux de l’opinion gouvernementale :« Internet, c’est le Diable ! »
Protéger contre les atteintes à l’honneur, mais pas contre le fishing
Certains intitulés laissent espérer une vraie prise de conscience des risques spécifiques à Internet : l’article 2 annonce ainsi « réprimer l’utilisation malveillante, dans le cadre des communications électroniques, de l’identité d’autrui ou de toute autre donnée personnelle. » Mais pas un mot du fishing* et autres piratages, simplement la crainte des « atteintes à l’honneur ou à la considération », en un mot, de la diffamation. Un délit condamné sur le modèle des appels téléphoniques malveillants.
Comme si la législation ne se basait que sur l’expérience personnelle des membres du gouvernement ou de la majorité, tournés en ridicule sur Facebook ou parodiés par de faux comptes Twitter (alors que le service de microbloggingles tolère ouvertement). L’idée même inquiétait en séance le socialiste Patrick Bloche, qui y voyait un pas vers la mise en cause du droit au détournement parodique. Dans une autre salle, le groupe de travail éthique et numérique continuait d’auditionner des fournisseurs d’accès à Internet inquiets de l’explosion des détournements de coordonnées bancaires. Un constat que l’imprécision technique de la Loppsi ravale au rang de science fiction.
A un mot de la justice d’exception
Quand la Loppsi tranche dans le web, c’est dans le vif et sans regarder, de peur d’être éclaboussée : les procédures de l’article 4 pour lutter contre la pédopornographie proposent ainsi de bloquer les sites concernées, sans préciser si la suspension concerne le nom de domaine ou l’URL. Une précision également exigée par Patrick Bloche, afin d’éviter les « victimes collatérales »hébergées sur des noms de domaines visées par cette disposition. Une mesure qui ne tient même pas compte des risques déjà soulevés lors du débat sur les jeux en ligne d’hébergement à l’étranger ou de cryptage des sites. D’un Internet conçu au delà des limites du territoire de la République. « Même Frédéric Lefebvre disait qu’il fallait un G20 du Net, rappelle Lionel Tardy avant d’ajouter, souriant de son aveux : pour une fois, je suis d’accord avec lui ! »
Mais il y a plus inquiétant. Il s’en est fallu d’un mot de Brice Hortefeux pour rétablir l’intervention d’un juge dans la décision de blocage. Dans la soirée de ce mercredi 10 février, le ministre de l’Intérieur s’est finalement rangé à la « sagesse de l’Assemblée »,et de la commission des Lois, pour que cette décision judiciaire prenne la voie normale. Une évidence pour certains, mais pas pour les« délires moranoïaques » d’une partie de la majorité, qui n’aurait rien vu de mal dans une justice d’exception, François Baroin allant même jusqu’à dire qu’il n’y avait pas de parallèle à faire avec les contenus culturels, alors que le même problème se posait déjà pour la Hadopi. Comme une revanche contre ce web échappant à son contrôle, perçu comme une zone de non-droit, le gouvernement aurait voulu en faire le lieu d’un autre droit.
*Hameçonnage : technique consistant à soutirer des informations personnelles (notamment des données bancaires) au moyen d’un mail ou d’un site se faisant passer pour un interlocuteur légitime (établissement bancaire, e-commerce, etc.).
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