Data et députés: le modèle allemand
En 2004, un étudiant et un développeur se sont dit que ce serait bien si les candidats à l'assemblée régionale de Hambourg pouvaient répondre publiquement aux questions des électeurs sur leur programme. Avec une conférence de presse et des bouts de ficelle, ils ont mis sur pied un site où les citoyens viennent interroger personnellement les candidats.
En 2004, un étudiant et un développeur se sont dit que ce serait bien si les candidats à l’assemblée régionale de Hambourg pouvaient répondre publiquement aux questions des électeurs sur leur programme.
Avec une conférence de presse et des bouts de ficelle, ils ont mis sur pied un site où les citoyens viennent interroger personnellement les candidats. 6 ans plus tard, le site est devenu abgeordnetenwatch.de – députéwatch en français.
Désormais actif en permanence au niveau national (les internautes peuvent poser des questions tout au long de la législature) et dans 3 Länder, le site couvre toutes les élections régionales (les internautes posent leur questions aux candidats durant les mois qui mènent au vote). En tout, il a collecté plus de 150 000 questions. Plus impressionnant : les internautes ont obtenus plus de 100 000 réponses.
J’ai été interviewer Gregor Hackmack, fondateur du site, dans son bureau de Hambourg, qui m’a expliqué les clés du succès.
1. Faire venir les politiques
La classe politique n’est pas réputée pour son amour d’internet. Pourtant, l’équipe d’Abgeordnetenwatch a réussi le tour de force de les faire venir sur la plateforme – et d’y rester.
Pour cela, il leur a d’abord fallu s’assurer une audience. C’était chose faite avec un partenariat avec Spiegel Online, le principal site d’information allemand. D’autres ont suivi depuis, notamment avec le Süddeutsche Zeitung et avec le portail T-online, filiale de l’opérateur téléphonique T-mobile.
Légitimés par ces alliances avec les médias traditionnels, Abgeordnetenwatch a pu aller prospecter les politiciens. Au départ, quelques figures de la scène politique locale les ont soutenus. La plateforme permet surtout aux centaines de politiques snobés par la télé et les médias traditionnels de venir rencontrer leurs électeurs.
Au départ, l’équipe d’Abgeordnetenwatch devait appeler chaque candidat pour les convaincre d’utiliser la plateforme. Aujourd’hui, les politiques enjoignent carrément les électeurs à poser leurs questions sur le site, afin de pouvoir montrer au grand jour l’intérêt qu’ils suscitent. « Le public s’attend à ce que les députés répondent », explique Gregor.
Le meilleur indicateur du succès d’Abgeordnetenwatch.de reste la peur que le site provoque chez les politiciens les plus influents.
En 2007, un article du tabloïd Bild (12 millions de lecteurs par jour) reprend le classement des députés par jours de présence réalisé par le site et proclame Carl Eduard von Bismark “député le plus flemmard d’Allemagne”. 6 mois plus tard, il a été contraint de démissionner et de donner son indemnité de parlementaire à des organisations caritatives.
Une telle influence ne va pas sans problème pour Abgeordnetenwatch, qui se fait désormais blacklister lorsqu’il demande des subventions auprès d’organisme en lien avec des politiques. Gregor soupçonne par exemple la fondation Zeit, qui comporte plusieurs hommes et femmes politiques dans son board, d’avoir refusé de financer Abgeordnetenwatch. « Trop politique » auraient-ils dit.
2. Faire venir les électeurs
Si ce succès auprès des politiciens peut convaincre les électeurs d’utiliser la plateforme (ils y auront plus de chance d’obtenir une réponse qu’en envoyant un e-mail), Abgeordnetenwatch possède une autre valeur ajoutée.
- Médiation entre politique et citoyen. Abgeordnetenwatch relit toutes les questions avant de les publier et fait un travail de mise en page, voire de curation.
- Statistiques sur les députés. Le site agrège les données disponibles lors des votes publics aux parlements national et régionaux et propose l’historique de vote de chaque député ainsi qu’un classement par présence, à la votewatch.eu.
- Rémunération des députés. Grâce à des données publiées par le Parlement, Abgeordnetenwatch peut estimer le montant des à -côtés des parlementaires.
Plus généralement, le site permet aux électeurs de connaitre leurs candidats. Le système électoral allemand est un « scrutin majoritaire uninominal et proportionnelle par compensation ». En gros, on vote une fois pour une liste nationale et une fois pour un candidat local. Problème : Personne ne connait le candidat local, la vie politique allemande étant moins organisée par fiefs qu’en France. Abgeordnetenwatch permet ainsi aux électeurs de se rapprocher de ceux qui les représentent.
Si les Français avaient la possibilité de l’interroger directement, peut-être qu’ils seraient plus de 29% à connaître le nom de leur président de région.
En 2004, les fondateurs du site voulaient rapprocher les Allemands de la démocratie. En 2010, ils estiment avoir réussi leur pari puisque plus de la moitié des utilisateurs du site n’a jamais eu de contact avec la politique.
Même en ex-RDA, où les internautes sont notoirement incompétents, le site connait un certain succès. En 2009, « super année électorale », l’Allemagne a vu 2 élections régionales à l’Ouest, 4 à l’Est, une élection européenne et une élection fédérale. A chaque fois, Abgeordnetenwatch a permis aux électeurs de poser des questions aux candidats. Résultat : les internautes de l’Est ne sont pas moins intéressés que ceux de l’Ouest, notamment en Thuringe (Leipzig).
3. Tenir la route
Toutes les bonnes intentions de l’équipe de Hambourg (3 temps pleins, quelques temps-partiels et des stagiaires) ne seraient rien si le modèle économique et technique n’était pas pérenne.
Techniquement, Abgeordnetenwatch respecte, comme Owni.fr, le ratio de 1 développeur pour chaque non-développeur. Résultat : le site est fluide et réactif.
Financièrement, le site est tout juste devenu cash-flow positive, ses revenus couvrant toutes les dépenses courantes. Le prêt initial, fourni par la fondation Bonventure (Munich) est cependant loin d’être repayé.
La diversité des sources de revenus montre le sens de l’adaptabilité d’Abgeordnetenwatch :
- Publicité: 10%. «Ca ne paye pas,» commente Gregor. Malgré des inserts voyants gérés par Glam Media, le site ne fait pas de course à l’audience et ne pourra pas s’appuyer sur les recettes publicitaires.
- Freemium pour les députés: 10%-50% (en fonction du nombre d’élection dans l’année). Le site propose aux députés d’afficher leur photo sur leur page. Ce service est facturé entre 175€ et 200€. 15% des candidats et des députés soutiennent le site de cette manière.
- Dons. Si le côté politique du site les empêche d’obtenir autant de subventions publiques qu’ils le souhaiteraient, l’équipe d’Abgeordnetenwatch fait appel à la générosité des utilisateurs.
- Vente de widgets. Le Spiegel vient d’acheter un Bundestagsradar, une application Flash qui permet de visualiser et de classer les députés. La chaîne régionale WDR en a commandé un autre pour le parlement régional de Rhénanie-Du-Nord-Westphalie.
Et le datajournalisme ?
Pour Gregor, Abgeordnetenwatch ne fait pas du journalisme. Sa valeur ajoutée n’est pas dans le traitement de l’information puisqu’il ne hiérarchise pas les réponses aux questions et qu’il ne génère pas d’informations nouvelles.
Pourtant, le site propose bien une nouvelle manière d’aborder la politique. Les médias ne s’y trompent d’ailleurs pas, puisqu’ils renvoient leurs lecteurs vers le site.
Au pays des digitale Analphabeten, espérons que le succès de ces innovateurs donnera à d’autres l’envie de prendre des risques sur le marché l’information en ligne.
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