Reportage sur un site odieux
Nous avons réussi à récupérer la retranscription de la voix-off d’un reportage d’Envoyé Spécial, jeudi prochain, consacré au site à la mode en ce moment, le sulfureux Chatroulette.
C’est la mode du moment sur Internet. Tout le monde, jeune ou vieux, a déjà visité au moins une fois ce site sulfureux. Le principe ? Vous êtes connectés au hasard à n’importe quelle personne également connecté à Internet par le moyen d’une webcam. Le nom du site ? Chatroulette.
Nous sommes allés rencontrer Steven*, un jeune de vingt-trois ans, utilisateur régulier de Chatroulette. Il nous explique comment il a découvert le site. “J’étais sur Facebook et quelqu’un a posté un lien vers Chatroulette, j’ai cliqué sur ce lien et je suis arrivé sur le site.” Ce site se présente d’une manière simple, deux fenêtres où s’affichent les vidéos et une fenêtre permettant de discuter. “J’ai donc allumé ma webcam et ai appuyé sur le bouton Start, ma tête est apparue sur une fenêtre et la tête de quelqu’un d’autre dans l’autre fenêtre. Nous avons alors discuté pendant cinq minutes. C’était une fille qui habitait à New-York. À un moment, elle a disparu. C’est alors que j’ai compris qu’on pouvait passer d’une personne à une autre grâce au bouton Next.” Le site, dans son fonctionnement rappelle un autre site sorti il y a quelques mois, Omegle. Il connectait dans une fenêtre de chat deux inconnus tous les deux connectés au site. L’idée en plus sur Chatroulette, c’est la vidéo.
La connexion aléatoire permet donc de tomber sur n’importe quoi, et bien évidemment, s’y retrouvent tous les pervers du Net. À la moindre pression du bouton Next, il est fort probable que l’image que vous voyiez soit un homme demandant à voir vos seins, voire même, et c’est hélas trop fréquent, un homme en train de se masturber face à la caméra. Et quand ce ne sont pas des images explicites, c’est pire, avec des personnes déguisées en chat, laissant imaginer les pires fantasmes ou des vidéos automatiques. Et le plus grave, c’est que ce site n’est pas interdit au moins de 18 ans. Il y a seulement, sur la page d’accueil, la mention “You have to be at least 16 years old to use our service” ainsi qu’une précision sur le fait que les images pornographiques, obscènes, offensantes ne sont pas tolérées et que celles-ci seront bloquées. Mais rien n’indique que c’est fait et surtout, rien ne vérifie si l’utilisateur a bien plus de 16 ans.
Nous sommes entrés en contact, grâce à ce site, avec un jeune homme, Antonio*, qui habite au Brésil. Il a 15 ans et c’était sa troisième utilisation de Chatroulette. Il nous a expliqué visiter le site pour s’amuser après l’école et pour se faire des amis. Interrogé sur le nombre forcément impressionnant de sexe d’hommes qu’il a pu voir, le jeune homme rigole et nous dit qu’il suffit de presser “Next” pour ne pas les voir. Pourtant, lors de notre test, nous avons été confronté à plus de 25 pénis en cinq heures d’utilisations. Nous demandons alors au brésilien pourquoi ses parents le laisse fréquenter ce site. “Mes parents ne savent pas ce que je fais sur Internet.”
Nous sommes maintenant à l’Assemblée Nationale. Dans son bureau du bâtiment Chaban-Delmas nous avons rencontré un député UMP et lui avons montré une vidéo de notre expérience sur ce site. Sa réaction était à la hauteur des insanités visibles. “Comment peut-on laisser nos enfants face à de tels sites, à la merci du premier pédophile venu ? Heureusement, avec des lois telles que la LOPPSI, en discussion actuellement à l’Assemblée, nous pourrons filtrer des sites aussi dangereux que ça pour la sécurité de nos enfants.”
Revenons au jeune brésilien. Quand on lui fait comprendre qu’il pourrait rencontrer des pédophiles sur le site, il élude notre remarque. “N’importe qui peut me parler, mais j’ai le choix de tout de suite le nexter. De toutes façon, si la personne à qui je parle est trop vieille, je la nexte tout de suite. Et une fois que je l’ai nextée, aucun moyen pour la personne de me retrouver. C’est plus dangereux quand je me promène dans la rue, à la merci d’un exhibitionniste.”
Pour en savoir plus, nous avons tout d’abord tenté de discuter avec une femme montrant ses seins. Après de nombreuses tentatives de chat, nous nous sommes finalement rendu compte qu’il ne s’agissait que d’une vidéo tournant en boucle sur le site.
Nous avons donc essayé de poser des questions à un homme se masturbant, pour connaître ses motivations. Après de nombreux refus ou des demandes à notre reporter de se déshabiller, un homme, Jérémy*, a accepté de nous répondre tout en continuant à toucher son sexe. Il nous a expliqué que Chatroulette était pour lui un moyen de s’amuser avant de se coucher. En montrant son sexe, il dit être clair sur ses intentions avec les autres visiteurs et apprécie lorsque quelqu’un de l’autre côté de la webcam accepte de jouer avec lui. Lorsque nous lui demandons ce qu’il entend par jouer, voilà sa réponse : “Le fait de se caresser devant une autre personne faisant la même chose, de pouvoir interagir avec elle et de répondre à ses demandes est très excitant. Bien plus qu’un film pornographique.” Le principe est connu sous le terme de cam2cam et les demandes y sont très crues. Il y a quelques mois, nous avions filmé la pratique sur un chat où un internaute commençait par “Coucou, tu veux voir ma bite“. Il ajoute que sur Chatroulette, le fait de le faire avec quelqu’un d’inconnu permet d’ajouter du piquant et surtout, de ne pas risquer de rencontrer la personne qui a montré son sexe ou ses seins le lendemain dans la rue.
Valérie*, de l’Association Action Innocence nous raconte l’expérience des chats avec les inconnus. “Les enfants doivent toujours être attentifs et ne jamais donner d’informations personnelles et toujours penser que la webcam peut-être enregistrée. S’il tombe sur des images qui le choque, dites-lui que c’est tout à fait normal d’être choqué. C’est le rôle du parent d’expliquer à l’enfant qu’il n’est pas coupable et que c’est important d’en parler.”
Un sociologue a développé une thèse sur la Génération Zapping. “Alors que nous prenions le temps de rencontrer des gens, de nous séduire et de discuter, les jeunes aujourd’hui sont dans la consommation, le zapping. L’émission Next sur MTV donne ainsi une idée de ce qui se passe au niveau amoureux chez les jeunes. Un jugement rapide sur l’apparence et pas du tout sur les critères normaux. À n’en pas douter, le fait qu’un jeune homme au physique ingrat se fasse trop souvent nexter sur Chatroulette aura des conséquences désastreuses sur son avenir. Et il est urgent d’éviter de telles dérives, sans quoi nous aurons des vagues de suicides Chatroulette.”
Martin*, père de famille, nous donne son avis sur Chatroulette : “Sur le site, il existe bien un moyen de reporter du contenu illicite, mais cela ne semble pas marcher tant le nombre de vidéos offensantes est important. Ce site est dangereux, très dangereux. Je suggère à tous les parents d’en interdire l’accès à leurs enfants. Hélas, le fait que le site soit russe me laisse penser que nous ne pourrons pas le supprimer facilement.”
C’est la raison pour laquelle nous nous rendons en Russie, à Moscou. Nous venons de faire la connaissance d’Andrey. Andrey, si on le rencontre c’est parce que c’est à lui que l’on doit l’odieux site. Tout d’abord, lorsque nous rencontrons Andrey, ce qui nous choque, c’est son âge. Il a 17 ans et est donc encore mineur. “Si j’ai créé le site, c’est avant tout pour m’amuser. Je trouvais ça tellement drôle de parler avec mes amis sur Skype que je me suis dit que j’allais faire la même chose avec le monde entier. Malgré l’absence de publicité pour le site, les gens ont commencé à venir sans que je ne sache comment. Et de 10 à 50 connexions simultanées, cela est vite grimpé jusqu’à plus de 20 000 aujourd’hui. Je trouve cela génial que mon site soit un simple concept qui ait une utilisation différente pour chacun. Certains pensent que c’est un moyen de s’amuser, d’autre un moyen de se connecter au monde et d’autres enfin que c’est un site de rencontres. Que des gens l’utilisent de manière pas très sympathique ne me plaît pas trop, mais d’autres l’utilisent d’une façon tellement fantastique que ça m’éclate d’avoir fait Chatroulette et que c’est un plaisir que de travailler dessus.”
Ce site prouve donc à quel point Internet est un endroit dangereux et une zone de non-droit. Le site est hélas encore accessible aujourd’hui, et vous n’imaginez pas combien de sexe en érection sont déjà apparus sous les yeux de vos enfants alors que vous regardiez ce reportage.
*les prénoms ont été changés
disclaimer: ce reportage n’a pas été encore diffusé et a été inspiré par ces articles (l’interview de Andrey, Bits, Glazman, Slate.fr, Abstrait≠Concret, Le Post, Action Innocence) et par un reportage existant ainsi que par de réelles conversations et expériences sur Chatroulette. Les images viennent de captures d’écrans de Chatroulette faites par un site sur Tumblr.
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> Photo d’illustration en page d’accueil par SykoSam sur Flickr
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