Legos et des couleurs
De l'art d'une vieille marque de jouer sur plusieurs générations de fans pour assurer sa pérennité : LEGO a su se reconstruire en s'appuyant avec intelligence sur sa communauté adulte, AFOL pour les habitués (Adult Fan Of LEGO).
Quinze ans que je n’y avais pas touché. Peur du regard des autres, le jugement de la famille, des amis, franchement à ton âge, ma chérie, à quoi ça te sert de faire des études pour retomber si bas… Tu es déprimée ? Et puis je suis arrivée chez OWNI, ils se sont ligués pour me faire retomber, en me tentant à coup de liens affriolants. Alors j’ai craqué, je suis allée me fournir. OSEF les rires moqueurs, je ne suis pas seule : les AFOL (Adult Fans Of LEGO) sont parmi vous, pour le plus grand bénéfice de LEGO. Au bord de la faillite dans les années 90, pas très fraiche au début des années 2000, la marque a su se reconstruire, entre autres en s’adressant au public des adultes, et en gérant cette communauté de façon particulièrement intelligente. Le modèle danois a encore frappé…
Petit come-back. LEGO à la base, c’est le jouet familial par excellence, celui qu’on offre à son petit neveu. Contrairement à Tintin, passé l’âge de 12 ans, c’était franchement craignos d’y jouer, genre “faudrait passer au stade suivant, tu as du poil aux pattes maintenant.” Il y a bien la gamme LEGO TECHNIC qui est lancée en 1977, mais son cÅ“ur de cible, ce sont les (pré)ados.
Le premier vrai contact avec les adultes a lieu en 1999. La marque s’aperçoit que des personnes ont hackés Mindstorm, une gamme créée l’année précédente, permettant de construire et de programmer des robots, ce qui plait bien aux geeks. Nos hackers ont écrit à ce sujet et la compagnie, au lieu de piailler au piratage, entre en contact avec eux et entame le dialogue. La même année, tiens, tiens la fonction de responsable du community engagement est créée. La fin des années, 90, c’est aussi le début de l’essor du web grand public, les AFOL éparpillés, isolés, se mettent alors à communiquer entre eux. Et tout le reste n’est que dévolution bien encadrée.
Avant de caresser LEGO dans le sens du poil, entendons-nous sur ce que le terme “marque” signifie. Le copyright n’est pas une notion qui lui est inconnue, ce ne sont pas non plus des Bisounours, loin de là , elle a déjà intenté des procès pour le protéger. Là où LEGO se montre futé, c’est en laissant une grande liberté à sa communauté dans l’usage qui est fait de ses produits et en l’associant à son développement. Une vision au fond parfaitement pragmatique : “Nous n’avons pas eu de stratégie pour attirer les adultes, mais plutôt pour tisser du lien, explique Tormod Askildsen, en charge du community engagement et de la communication. On s’accompagne, on organise des évènements, on prends du feed-back. Nous ne pouvons pas contrôler nos fans, ils créent ce qu’ils veulent créer. La marque vit dans l’esprit des consommateurs. Si elle ne vit pas là , elle n’est nulle part. C’est un écosystème réunissant le groupe et les consommateurs.”
Et tant pis si ça donne parfois des films pornos. Plus clean, Bricks in motion, The Brick Testament, Balakov… contribuent gracieusement à faire la publicité de la marque. Sans pour autant les soutenir officiellement, comme nous l’expliquait Brendan Powell Smith : sa Bible en LEGO contient un peu de sexe et de la violence, toutes notions que la marque ne peut, image oblige, cautionner officiellement, mais elle ne va pas non plus lui chercher des poux.
Quarante ambassadeurs dans vingt-deux pays
Concrètement, un système d’ambassadeurs a aussi été mis en place. Au nombre de quarante, répartis dans vingt-deux pays, ces bénévoles élus -admirons au passage ce subtil moyen d’optimiser ses RH-, servent d’interface entre la base et l’entreprise. “Nous nous réunissons avec eux en juin, pour discuter, échanger, voire leur présenter des projets top secrets. Nous leur partageons des informations confidentielles ou nous les intégrons au process de développement”, détaille Tormod Askildsen. Une charge chronophage, ce qui explique que la France n’est pas d’ambassadeur actuellement : trop de travail, il a démissionné !
Autres ambassadeurs de choix, des artistes. Pour le coup, certains sont associés officiellement à la marque, par exemple Nathan Sawaya. “The Brick ArtistTM, comme il se présente, fait des sculptures en LEGO (voir ci-contre).
En revanche, la marque n’a pas de page Facebook officielle, comme s’en explique Tormod Askildsen : “Facebook n’est qu’une plateforme. Avoir une stratégie social media, c’est utiliser les technologies pour construire des relations. Pleins de plateformes font ça. Facebook développe son propre business model et nous interrogeons sur l’opportunité de créer d’une page.” Par contre, ils utilisent une plateforme en ligne pour communiquer et des pages produits.
Les pages non-officielles ne sont pas dédaignées. Récemment, l’administrateur de la page “Pour tous ceux qui ont connu la douleur en marchant sur un LEGO!” -378 000 likes et autant de martyrs de la brique ?- leur a écrit pour qu’ils fassent des excuses officielles. Et bien ils ont répondu avec humour :
Toujours au rayon “sollicitons notre communauté”, la marque s’est engagé dans un processus de co-création à base de crowdsourcing. Ils ont par exemple lancé LEGO Click, un site communautaire innovant rassemblant designers, artistes et créatifs où ils font part de leurs idées liées au jouet. Le tout relayé par Twitter (via le hashtag #legoclick), Facebook, Flickr et YouTube. Reste tout de même à faire le tri dans toute cette production.
Recours à la co-création
Dans le même esprit, les membres de LUP’s (LEGO Universe partners, “partenaire”, avec tout ce que cela sous-entend de communication horizontale-) travaillent avec le staff pro pour construire les contenus de LEGO Universe, un MMO ( Massively Multiplayer Online game). Un comité réduit de représentants était présent au Consumer Electronics Show (CES) 2010, le grand raout de Las Vegas consacré à l’informatique et à l’électronique grand public, au cours duquel une bande-annonce a été dévoilée. Ils ont causé co-création et fait des démonstrations d’outils de construction.
En revanche, elle ne développe en revanche pas énormément de produits spécifiquement pour cette cible. Hormis la gamme Mindstorm -quoique, officiellement, c’est pour les plus de 10 ans, tendance Sheldon, le geek de The Big Band theory-, on trouve quelques produits collector coûteux mais cela reste marginal.
Si l’écosystème ainsi bâti leur dit d’aller voir du côté des personnes âgées, un bon plan vu le vieillissement du marché européen, et bien ils semblent prêts à y aller : “Nous ne passons pas d’une marque pour enfants à une marque pour adulte, nous accompagnons tout au long de la vie. Il n’y a pas de raison pour s’arrêter de jouer avec des LEGO à 12 ans. Il existe plein de choses à faire pour les ados ou même les retraités, il existe des opportunités créatives à tout âge.” Mémé, tu avais déjà la Wii, prépare-toi à jouer avec des Duplo Senior. Même si tu as de l’arthrose, tu verras tu vas t’éclater et c’est super pour lutter contre Alzheimer les jeux de construction.
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À lire : social media case study : LEGO CLICK ; photo CC Flickr Toms Bauģis Tony the Misfit
Gratitude envers NKB pour son support linguistique.
Disclosure : je n’ai pas reçu la moindre brique pour l’écriture de cet article tout à la gloire du community management de LEGO.
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