Comment l’affaire Karachi entretient le «tous pourris»
Partant du passe-droit des comptes de campagne de Balladur, Aymeric Pontier voit la marque d'un « tous pourris » qui mine autant la crédibilité des politiques que celle de la démocratie.
Tuer une démocratie n’est pas une mince affaire. Il faut beaucoup de patience et de volonté. Le peuple qui se libéra autrefois du joug despotique de tyrans, pas vraiment éclairés, est très attaché à sa Liberté. Il faut donc, pour réussir cette entreprise, le détourner des principes démocratiques jusqu’à lui faire croire qu’une dictature ferait aussi bien l’affaire.
Pour cela, rien de mieux que la corruption et la compromission décomplexées. Il est absolument nécessaire d’instiller l’idée que les politiciens sont « tous les mêmes », qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. L’opacité et l’absence de sanctions envers les dévoiements devenant dès lors des alliées fidèles. Taire ce qui devrait être dénoncé. Fermer les yeux sur ce qui devrait nous horrifier. Cesser d’écouter ce qui pourrait déranger notre conscience. Voilà les recettes de base qui mènent vers une ruine assurée…
Changer la règle pour s’aligner sur le mauvais usage
Il y a actuellement deux illustrations : l’affaire Bettencourt et l’affaire Karachi. Je ne vais pas revenir sur le fond, tout le monde peut y avoir accès facilement en quelques clics. En revanche, je vais m’attarder sur un épisode très singulier : la validation des comptes de campagne d’Edouard Balladur par le Conseil Constitutionnel en 1995.
Pour résumer, ces comptes souffraient de graves irrégularités avec des sommes d’argent importantes qui n’étaient pas justifiées, car probablement non justifiables, et qui laissent planer un soupçon intense de corruption. Lors de la séance du 11 octobre, les rapporteurs qui ont épluché plusieurs mois durant les comptes de campagne de tous les candidats préconisent la non-validation de ceux d’Edouard Balladur. Embarras des neufs Sages…
Roland Dumas, alors Président du Conseil Constitutionnel estime que celui-ci ne saurait suivre la préconisation des rapporteurs, selon la justification suivante :
Les comptes de Jacques Chirac présentent, eux aussi, des recettes injustifiées et une sous-estimation des dépenses. Si on annule les comptes de l’ancien premier ministre, il faudra aussi annuler ceux du président élu. Peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de s’opposer à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ?
Roland Dumas demande donc aux rapporteurs de revoir leur copie et de modifier les modes de calcul qu’ils ont retenus afin de pouvoir valider les comptes incriminés. Jacques Chirac demeurera Président de la France, et Edouard Balladur ruminera tranquillement sa défaite.
La sale habitude des passes-droits politiques
Le scandale ici ne réside pas uniquement dans la corruption des comptes, mais aussi et surtout dans la corruption des âmes et des esprits. La France, cette entité fictive en pleine régression est composée d’une élite politique dont la conscience a été altérée par trop de passe-droits et de privilèges, au point qu’elle en vient petit à petit, lentement mais sûrement, à détruire la démocratie qu’elle est sensée défendre et représenter.
Dans ce pays où les compromissions sont devenues l’alpha et l’oméga de toute décision et de toute pensée ou arrière-pensée, et où la seule idéologie encore présente est celle de l’Abdication perpétuelle, plus rien n’a de sens. On peut enterrer la Démocratie au nom de son Respect. On peut tolérer la Corruption au nom de la Continuité. On peut écraser le Peuple au nom de sa Volonté. Tout, absolument tout, est devenu possible.
Mais gardons nous de blâmer seulement l’élite ! Le petit peuple qui ne bronche jamais est tout autant coupable ! Si le Conseil Constitutionnel a fermé les yeux sur des malversations, se déshonorant pour longtemps au passage, ce n’est que parce que le peuple détourne son regard depuis trop longtemps. La lâcheté des uns se nourrit de la lâcheté des autres.
Cette société molle doit prendre garde : elle finira par s’auto-détruire à force de tout avaler !
Article publié initialement sur le blog Singularité et infosphère d’Aymric Pontier sous le titre Comment tuer petit à petit une démocratie.
Photo FlickR CC France.Diplomatie ; Bruno Girin.
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