[INTERVIEW] Daniel Domscheit-Berg présente OpenLeaks
Fâché avec Julian Assange et WikiLeaks, l'ancien porte-parole de l'organisation, Daniel Domscheit-Berg, lance un site concurrent. Il en explique le fonctionnement.
Mise à jour 16 avril 2011. Lors de la conférence re:publica xi à Berlin, Daniel Domscheit-Berg (DDB) a fait le point sur l’état d’avancement d’Openleaks. Si sa vision n’a pas changé par rapport à l’interview accordée à OWNI en décembre, il apporte des détails pratiques et ne se prive pas pour critiquer à mots à peine voilés son ancien projet, Wikileaks.
« Nous ne voulons pas être sur le court-terme, un buzz qui s’éteindra au bout de 18 mois » annonce DDB dans référence transparente à Wikileaks, qui semble avoir explosé en vol après une ascension fulgurante. « Le whistleblowing, ce n’est pas le Cablegate. » Il promeut une vision où OpenLeaks pourra être utilisé dans les petites villes, sans couverture nationale. Il s’insurge aussi contre la culture d’exclusivité des médias, mais l’accepte comme un mal nécessaire. OpenLeaks permettra ainsi à un lanceur d’alerte de donner l’exclusivité à une rédaction pendant un temps donné, suite à quoi tous les partenaires du projet auront accès aux documents.
Il intègre également une démarche journalistique, productrice de sens, dès la conception du projet. Pour lui, les documents sans contexte n’apportent rien. Le traitement des documents par des experts du domaine concerné est fondamental. A cette fin, les partenaires du projet seront des médias et des ONG, représentés à part égale.
Toujours dans cette optique de transparence partagée, qui s’oppose à la vision élitiste de Wikileaks (aujourd’hui, seuls 2.7% des télégrammes diplomatiques ont été rendus publics, par exemple), DDB imagine un système à deux niveaux de privilèges : un accès read-only pour blogueurs et citoyens et un accès read-write pour les rédactions impliquées. Mais il n’a pas expliqué comment seraient sélectionnés les citoyens qui auront un tel accès.
DDB finit en abordant le financement de son projet. Aujourd’hui, seuls 600€ ont été récoltés, uniquement grâce aux dons en ligne et sans promotion. Les partenaires d’OpenLeaks devront fournir, s’ils en ont les moyens, des serveurs pour soutenir l’infrastructure du réseau, mais l’accès à la plateforme ne donnera pas lieu à des déboursements d’argent. DDB envisage, à terme, de créer une fondation soutenant les initiatives poussant à plus de transparence, incluant OpenLeaks et d’autres.
Et si OpenLeaks a plusieurs mois de retard sur le calendrier initial, avoue DDB avec humilité, c’est qu’il n’a pas su déléguer et diviser efficacement les tâches. Le système serait déjà opérationnel et les retards seraient dus à des problèmes de coordination entre les partenaires. Dès la sortie de la phase alpha, le système sera étendu à d’autres pays, dont la France.
Photo CC re:publica xi
Annoncé dans la presse, largement relayé sur le web, OpenLeaks devrait officiellement voir le jour ce lundi, à tout le moins avoir une existence officielle via un site web. Présentée comme un alter-WikiLeaks, fondé par l’Allemand Daniel Domscheit-Berg (qui, sous le nom de Daniel Schmitt, exerçait comme porte-parole de l’organisation avant d’en être congédié au mois de septembre), la nouvelle plateforme s’appuie sur la même promesse de départ: permettre à des informateurs anonymes de fournir des informations sensibles à des médias, en leur garantissant la sécurité totale d’un bout à l’autre de la chaîne. L’ancien lieutenant de Julian Assange a accepté de nous éclairer sur son nouveau projet.
Un peu partout, j’ai pu lire que le site serait lancé lundi (13 décembre, NDLR), mais c’est un grand mot. Nous ouvrons officiellement la plateforme, mais celle-ci ne sert pour l’instant qu’à présenter notre projet. Nous mènerons un premier galop d’essai début 2011, avec de petites rédactions, pour tester l’outil sans pression, avant de se tourner vers de plus gros médias. Mais nous croulons déjà sous les demandes.
Pour l’instant, nous sommes une dizaine, sans que les tâches soient cloisonnées. A l’origine, je suis un technicien, et pourtant, je prends en charge beaucoup d’autres aspects, qui n’ont rien à voir avec ma formation. Nous avons donc vocation à opérer chacun d’une manière généraliste. Quant au financement, nous sommes en train de boucler les premières estimations, qui ont vocation à être rendues publiques.
Nous voulons permettre à des syndicats, des organisations non gouvernementales ou des médias de travailler ensemble, et de permettre à ces derniers d’embarquer leur propre version d’OpenLeaks, une sorte de Privacybox aux fonctionnalités avancées. L’utilisation sera gratuite, mais nous avons différentes approches et plusieurs modèles. Si vous êtes un organe de presse important, vous pouvez choisir un système dédié, conçu pour répondre à vos besoins spécifiques, dans l’hypothèse où vous auriez besoin d’une puissance de calcul plus importante. Dans tous les cas, vous disposez de deux accès, l’un qui vous est réservé, et l’autre qui vous permet d’accéder au réseau des collaborateurs.
Chez OWNI, par exemple, vous suivez avec assiduité l’Hadopi ou l’ACTA. De notre côté, nous disposons de documents intéressants sur ce sujet, transmis par un informateur qui estime que vous êtes les mieux placés pour enquêter. Cet informateur peut choisir de vous donner un accès privé aux documents pendant deux semaines – par exemple – au terme desquelles vous décidez ou non de publier les documents en question.
Si vous prônez la transparence, vous devez l’être également, dans votre fonctionnement. Ce n’était pas le cas de WikiLeaks. Nous sommes une fondation, enregistrée comme telle en Allemagne, pas une organisation souterraine. Cela veut dire que nous n’avons pas d’agenda politique, que nous n’avons aucune raison de nous cacher et que nous bâtissons notre outil dans l’objectif de le maintenir opérationnel. Nous devons en garder le contrôle tout en restant neutres.
Je ne veux pas évoquer mes différends avec WikiLeaks au téléphone1, mais je peux dire que ces derniers mois, l’organisation ne s’ouvrait plus, elle avait perdu de vue sa promesse open source.
Par ailleurs, une autre déclinaison du modèle de WikiLeaks, Brussels Leaks, a vu le jour la semaine dernière. Comme son nom l’indique, cette mouture se concentrera sur les thématiques européennes.
WikiRebels, un excellent documentaire de la chaîne suédoise SVT sur la genèse de WikiLeaks.
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Crédits photo: Flickr CC ioerror, re:publica 10
- Domscheit-Berg s’apprête à sortir un livre où il raconte son expérience chez WikiLeaks, qui sera publié en février 2011 chez Grasset [↩]
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