#TEDxCarthage: Leçon d’humilité
Alors que la démocratie française se complaît à fouler aux pieds les libertés fondamentales de ses citoyens, les Tunisiens sont en train de prendre en main la destinée de leur pays. De quoi nous inspirer.
[DISCLAIMER] : Confessant mon ignorance de la Tunisie, ce billet ne parle pas de la révolution Tunisienne. J’y évoque mes impressions de la France après trois jours à Tunis, où j’étais invité à parler à TEDx. Vous trouverez sur le sujet de nombreux articles de qualité rédigés par mes collègues d’OWNI.
L’été dernier, des Français ont montré que l’on pouvait s’organiser sans organisation, en utilisant uniquement des réseaux sociaux. Le résultat, les apéros Facebook, ont permis aux jeunes Français de s’affirmer dans l’espace social, avant que le ministre de l’Intérieur ne vienne siffler la fin de la récré.
L’hiver suivant, les Tunisiens ont fait pareil. Ils se sont organisés via le web, sans structure préexistante. Là où nous avons fait des apéros, ils ont renversé un tyran.
J’ai discuté avec des Tunisiens enthousiastes à l’idée de déconstruire le système de censure, sans doute mis en place par une société européenne. Des Tunisiens qui cherchaient un moyen de recycler la compétence des cyber-censeurs, célèbres pour avoir réussi un formidable hack de Facebook pendant la révolution, pour faire avancer la démocratie naissante.
Pendant ce temps-là , en notre nom et avec nos impôts, le gouvernement français s’apprête à publier les décrets d’application de la loi LOPPSI 2 et de son système de censure du net.
Les Français viennent de voter massivement pour le Front National. Les Tunisiens que j’ai rencontré se demandaient comment garantir au mieux le respect des minorités dans la nouvelle constitution.
La liste pourrait continuer. Elle montrerait que l’ensemble des valeurs que l’on croyait spécifiquement européennes, françaises, voire chrétiennes, existent bien de l’autre côté de la Méditerranée. Alors qu’elles sont méprisées chez nous, sûrs que nous sommes de leur pérennité, elles fleurissent en Tunisie.
Des crétins, que l’on ose encore appeler intellectuels, se posaient encore la question de savoir si l’islam était compatible avec la démocratie. Aujourd’hui, la démocratie est mieux comprise par les Tunisiens de tous âges avec lesquels j’ai parlé que par la plupart des Français que je connais.
Eux se posent la question de la représentativité quand la France refuse depuis 20 ans à 15% des votants d’être représentés au Parlement. Eux se posent la question de la confiance à accorder aux partis islamiques quand nos partis refusent de s’allier contre les mouvements anti-démocratiques. Eux se posent la question de l’utilisation des wikis dans le processus législatif ou de la propriété des données personnelles. Riches de l’expérience qu’ils ont vécue ces dernières années, le niveau des conversations que j’ai eu à Tunis dépassait, de loin, celles que j’ai pu avoir à Paris avec des personnes aux responsabilités équivalentes.
Aboubakr Jamai expliquait, durant son talk, que les jeunes avaient besoin de « folie » pour avoir le courage de faire changer les choses, compte-tenu des risques. Cette folie, les Tunisiens l’ont retrouvé, et elle leur a permis ce bond extraordinaire à un coût minime. On m’a beaucoup répété que le nombre de morts avait été très faible. Entre 300 et 500. Beaucoup trop, mais encore moins que 6 mois d’accidents de la route en France chez les 18-24 ans. Si nous sommes capables de prendre le risque de conduire bourrés, pourquoi ne sommes-nous pas capable de défier un gouvernement qui dépasse les bornes ?
Pourtant, la folie ne suffit pas forcément. Pendant la conférence, un Burkinabé me dit
Chez moi, je peux faire ce que je veux, je peux insulter le président devant lui si je veux. Mais je n’ai pas ça. Je n’ai pas de salles de conférence, pas de voitures.
La liberté n’a d’intérêt que si les besoins fondamentaux sont satisfaits. Il est probable que, comme en Géorgie après 2003, en Ukraine après 2004 ou au Liban après 2005, les besoins matériels entament la ferveur réformatrice et que la révolution ne mène pas directement à une démocratie. Peut-être trop sûrs de leurs spécificités, les Tunisiens que j’ai rencontré n’ont pas contacté les acteurs des autres révolutions colorées. L’échange pourrait permettre de partager les retours d’expérience et augmenter les chances que la révolution réussisse.
Mais, quel que soit l’état du pays demain, les Tunisiens sont en train de montrer que le refus de la résignation paye, que la mobilisation n’est pas vaine, que l’on peut s’organiser pour atteindre un but sans s’adosser à un parti ou une institution. Ces leçons ont été comprises en Egypte, à Bahreïn, au Yémen et dans d’autres dictatures. Il serait grand temps que nos démocraties “vieillissantes et complaisantes” (selon les mots de François Pelligrini) les comprennent, elles aussi. Les Tunisiens ont beaucoup à nous apprendre.
En attendant les vidéo officielles, retrouvez le TEDxCarthage grâce aux vidéos filmées sur place ou grâce aux enregistrements du livestream, et ma présentation sur l’infobésité et le journalisme.
Mise à jour 23/03/2011 16:51. Suite à cet article et à l’écho que vous lui avez donné, la vidéo liée illustrant certains ‘crétins’ français (un débat filmé chez RTL où l’on apprenait que l’islam n’était pas compatible avec la démocratie) a été retirée. Voilà un crétin suisse pour le remplacer. Et la vidéo originale, retrouvée ailleurs.
Mise à jour 24/03/2011 09:29. Attribution de la formulation “démocraties vieillissantes et complaisantes” à François Pelligrini.
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Crédit Photo FlickR CC : plagal / TEDxCarthage
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