Angleterre: un conflit de basse-intensité relayé par Internet
Outre-Manche, des militants mènent une guerre de basse-intensité contre un plan d'austérité dévastateur. Comme souvent, la lutte utilise Internet et les médias sociaux.
Au Royaume-Uni, la pilule de l’austérité mise en place par la coalition Clegg-Cameron a beaucoup de mal à passer pour certains. Faisant face à des coupes budgétaires s’élevant à plus de 87 milliards de livres (près de 100 milliards d’euros) étalées sur quatre ans et à des frais d’inscription universitaires qui vont jusqu’à tripler par endroit – de 3.000 à 9.000£ par an –, des organisations et des individus se mobilisent depuis plus de six mois. Grâce à Internet et aux médias sociaux, de petits groupes d’activistes mènent une guérilla ininterrompue, sorte de conflit social de basse-intensité qui occupe le terrain et tentent de mobiliser au-delà des cercles militants traditionnels.
A chaque journée d’action son hashtag
S’il est vrai que le mouvement social s’est fait remarquer au départ par des manifestations étudiantes agitées, comme l’occupation du quartier général du Parti conservateur ou les affrontements devant le Parlement de Westminster, la mobilisation s’est étendue à d’autres groupes de personnes affectées par les coupes. Pour fonctionner, le mouvement a complètement adopté médias sociaux et technologies mobiles. A chaque journée d’actions son hashtag (#dayx3, #march26), à chaque fac occupée son compte Twitter (@UCLOccupation, suivi par 5.000 personnes) et à chaque cortège son live-tweet. Un seul mot d’ordre relie tous ces évènements entre eux : #solidarity.
De cette constante présence en ligne émergent quelques voix qui sont devenues des références, des ‘influenceurs’ de la mobilisation. On y trouve par exemple @Pennyred, une militante, bloggueuse et éditorialiste qui pèse près de 14.000 followers. Sa soudaine notoriété lui donne  “un peu le vertige: il y a neuf mois, “[elle] n’avait que 1000 followers“. Laurie Penny (son vrai nom) écrit aujourd’hui dans plusieurs journaux, en plus d’être devenue une référence invitée lors de conférences ou à la radio. De son côté, @Sunny_hundal, 9.000 followers, est rédacteur-en-chef d’un blog ironiquement intitulé ‘Liberal Conspiracy‘ et premier du classement Wikio des blogs politiques du Royaume-Uni.
Les organisations de militants, tel UK Uncut, 23.000 followers, utilisent également Internet tous les jours pour faciliter l’organisation de leurs actions à l’échelle du pays. Il existe en effet un compte Twitter Uncut pour chaque grande région ou ville. Le mouvement est décentralisé, il suffit d’une carte Google, d’un marqueur avec une adresse email et c’est parti : cela peut aller de cinq personnes distribuant des tracts à un rassemblement d’une centaine de personnes occupant une banque pour protester contre le montant des bonus ou sa politique d’évasion fiscale. Le 19 février, c’est Barclays qui en fut la cible: en 2009, la banque a réussi à ne légalement payer que 2,5% de son revenu global en impôt, soit 113 millions de livre sterling. Dans le même temps, elle a distribué dix fois ce montant en bonus pour ses banquiers. Des chiffres qui nourrissent la colère et le ressentiment du mouvement qui y voit le symbole de l’inégalité de la répartition des efforts de réduction du déficit budgétaire.
Même le vénérable Trade Union Congress, fédération des syndicats britanniques fondée en 1868, s’est mis à Internet, avec un site et une page ‘événement’ sur Facebook pour la manifestation du 26 mars.
Des “community managers” de la mobilisation
Organisations et individus influents jouent presque le rôle de “community managers” de la mobilisation. Ils échangent, font de la veille média, re-tweetent leurs articles de blogs respectifs et contribuent à ce que la discussion à propos du mouvement social ne s’arrête jamais. Deux avantages se distinguent: d’une part l’apparente transparence du mouvement empêche qu’il s’ankylose ou soit phagocyté, d’autre part, les dizaines d’actions menées dans le pays occupent le terrain médiatique et permettent de faire passer le message dans les médias. Le Guardian semble particulièrement épris du mouvement. C’est rare qu’un jour passe sans qu’un article ou un édito ne le mentionne, l’un d’entre eux expliquait que c’était la mobilisation la plus rapide qu’ait connu à ce jour le Royaume-Uni.
Le mouvement a aussi ses vidéos virales. Le (you)tube du moment – 60.000 visionnages depuis le 22 mars– est un clip de rap sobrement intitulé « Andrew Lansley Rap », du nom du politicien conservateur et actuel ministre de la santé britannique. Sur un beat simple agrémenté du riff de House of the rising sun (Les portes du pénitentier), le rappeur MC Nxtgen pose un flow grimey et nerveux et accuse le ministre de vouloir privatiser le National Health Service, le système de santé du Royaume-Uni. « Andrew Lansley, avare, Andrew Lansley branleur, le NHS n’est pas à vendre », assène dans le refrain le MC, sec comme un coup de matraque.
Et c’est l’un des passages le le plus light, Lansley en prenant pour son grade tout au long des couplets. Mais le MC élève le débat et rappelle dans ses paroles les controverses entourant sa cible. Avant d’être ministre, Lansley a reçu de l’argent de lobbyistes représentants des fabricants de chips, les barres Mars et Pizza Hut, ainsi que de la part d’une entreprise de soin privée qui bénéficierait des réformes portées par le ministre. Vu le succès de la vidéo en ligne, « Andrew Langsley Rap » risque bien de devenir l’hymne du mouvement social.
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Illustration CC FlickR xpgomes5 et Thomas Seymat
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