Dis, papa, c’est quoi l’open data?
Nombreux sont ceux qui estiment que le mouvement "open data" aura, à l'instar de l’apparition de l’alphabet, de l'internet ou encore de l'explosion des réseaux sociaux, des répercussions majeures dans nos sociétés.
Connu pour ses logiciels non libres, Microsoft a eu la très bonne idée de demander à Regards sur le numérique (RSLN, animé par Spintank), son “laboratoire d’idées, de réflexions et d’expérimentations en ligne“, de se pencher sur la notion d’open data, et donc le partage de données publiques dans des formats ouverts, afin de libérer les données récoltées, ou produites, par les autorités publiques, et de les rendre, si possible gratuitement, à la société, ses citoyens, associations, entreprises privées et administrations publiques.
Au menu, très complet, digeste et instructif : une enquête et une trentaine d’articles, que l’on retrouve sur son site ainsi que dans le n° spécial de leur magazine, suivi d’une conférence, intitulée L’Open data, et nous, et nous, et nous ?, occasion de revenir sur ce pour quoi l’open data a de l’avenir, et ce à quoi il pourrait notamment servir.
Ce mouvement de libération des données, initié en 2006 par Michael Cross, journaliste au Guardian, quotidien britannique pionnier du datajournalisme, a depuis été repris à leur compte par de nombreux pays, régions et municipalités, comme le constate Nigel Shadbolt, co-fondateur de data.gov.uk, le portail opendata du gouvernement britannique :
L’open data s’est démocratisé : ce n’est plus une chimère, c’est un objectif que l’on peut clairement et raisonnablement atteindre. Les progrès réalisés sont significatifs. Nous avons publié des milliers d’ensembles de données qui comptent réellement pour les citoyens : des dépenses publiques à la structure ou au fonctionnement du gouvernement, aux taux d’infection dans les hôpitaux ou des données relatives à l’éducation par exemple.
Pourtant, déplore Michael Cross, “la communauté est très réduite et la discussion est monopolisée par un petit nombre de personnes. Il y a un réel besoin pour des exemples de données qui changent vraiment la vie des gens“.
Pire : deux ans après son lancement, le bilan de data.gov, le portail américain, serait mitigé, et la proposition de budget alloué à l’Electronic Government Fund serait de passer 34 à 2 millions de dollars seulement, soit une coupe de plus de 90%, menaçant l’existence même de data.gov, et autres initiatives « d’open gouvernement »… alors même que de telles initiatives ont depuis été reprises dans 15 pays, 29 états et 11 villes aux États-Unis, et une dizaine de projets français.
Dans la passionnante interview qu’il a accordé à RSLN, Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation (IRI, Centre Pompidou), explique que le développement de l’open data est “l’aboutissement d’une rupture majeure déjà largement entamée, et qui n’a rien à voir avec les précédentes :
« Toutes les technologies monopolisées par l’industrie de la culture, au sens large du terme, pendant un siècle, sont en train de passer entre les mains des citoyens.
C’est un événement d’une ampleur comparable à l’apparition de l’alphabet qui, comme technique de publication, c’est à dire de rendu public, est au fondement de la ers publica, tout comme à ce qui s’est déroulé après Gutenberg et la Réforme, généralisant l’accès à l’écriture imprimée et au savoir. »
Si “quantité de pouvoirs détiennent des données qu’ils ne veulent pas abandonner parce que leur pouvoir même repose sur cette rétention de l’information, Bernard Stiegler n’en rappelle pas moins que “la démocratie est toujours liée à un processus de publication – c’est à dire de rendu public – qui rend possible un espace public: alphabet, imprimerie, audiovisuel, numérique” :
C’est à une refondation totale de la chose publique qu’il va falloir procéder – et ici, il ne faut pas laisser ce devenir se produire à la seule initiative du monde économique, c’est à dire des seuls intérêts privés, dont la crise économique nous montre qu’ils ne coïncident jamais avec le bien public.
Nigel Shadbolt, rappelle de son côté deux exemples illustrant l’importance de l’open data.
L’un des tous premiers exemples de l’importance de la collecte, et du partage, des données publiques, eut lieu en 1854, lorsqu’une carte de la propagation d’une épidémie de choléra permit de visualiser le fait que les morts se trouvaient essentiellement à proximité de puits et de sources d’eau : “C’était la première fois qu’a été réellement compris le lien entre l’eau et la diffusion du choléra !“.
Plus récemment, et suite à la mort dans un accident de vélo de l’un de ses amis, un membre du cabinet du premier ministre britannique demanda s’il existait des données concernant ce genre d’accidents. Le ministre des transports avait les données, et les publia dans un tableur.
« Une fois les données publiées, une application était en ligne dans les 2 jours. Est-ce qu’un gouvernement aurait été capable de construire une application en deux jours ? Non. Il lui aurait fallu deux ans, et encore … »
Bruno Walther, de CaptainDash“, lance quant à lui un pari : “la révolution de l’opendata va être comparable à celle des réseaux sociaux”
« Faisons un petit flash back : qui aurait cru, en 2001, qu’un truc qui s’appelle le réseau social, qui voient des gens s’interconnecter, et qu’une start-up qui n’existait pas encore, Facebook, allait changer le monde ?
Que ce truc allait changer les règles de mobilisation, avoir des conséquences sur un certain nombre de régimes autoritaires, et avoir des conséquences tellement fortes que des gens prendraient des données pour les mettre en ligne, et déboucher sur (la publication) des câbles américains ? »
De mon côté, je me suis pris à imaginer ce que donnerait un budget en mode open data, voire “en français facile“… et les questions que l’on pourrait dès lors se poser :
Quel est le prix moyen du repas élyséen ?
A qui profitent le placement des chômeurs, et les OPérations EXtérieures de l’armée française ?
Combien (nous) coûtent les sondages, la vidéosurveillance ?
Combien touchent Bouygues, EDF, Microsoft, Veolia de l’État et des collectivités ?
En mode ironique, je concluais ma présentation en expliquant qu’à terme, OWNI pourrait bien racheter le Canard Enchaîné, si tant est que le cercle vertueux de l’open data (et donc de la transparence), du journalisme de données (et donc d’investigation), de cette démocratisation des savoirs (et donc du quatrième pouvoir), prenait vraiment le pas sur ceux qui, encore aujourd’hui, refusent de nous rendre ce qui nous appartient, au motif que cela pourrait leur faire perdre un petit peu de pouvoir.
En attendant, le mouvement est lancé, de plus en plus de données sont libérées, de plus en plus nombreux sont aussi ceux à les réutiliser, partager, remixer. Faites tourner.
Voir aussi le datablog d’OWNI, ainsi que le Rapport de veille sur l’ouverture des données publiques de liberTIC, association qui “a pour objectif de promouvoir l’ouverture des données publiques, l’e-démocratie, le gouvernement 2.0 et d’accompagner notre territoire dans le développement et l’utilisation d’applications numériques d’utilité publique” et a qui nous avons emprunté l’image de tête en CC.
Laisser un commentaire