Les ghettos de riches mettent les pauvres au ban
Loin des logements sociaux, les domaines privés et autres résidences sont légions dans certaines communes de la région parisienne. Focus sur les propriétaires privilégiés et leurs promoteurs.
En France, les ghettos de riches n’existeraient pas. Ou si peu. C’est le constat que vient de dresser un expert en urbanisme, Éric Charmes, directeur du laboratoire de Recherches Interdisciplinaires Ville Espace Société (Université de Lyon) et maître de conférence à l’École Nationale des Travaux Publics de l’État. Dans un travail publié le 29 mars, il estime qu’en France la formule “gated communities” (ghettos de riches) s’applique de manière abusive… Pourtant à côté de l’existence réelle de ces lotissements fermés (Domaine du Golf de Saint-Germain-lès-Corbeil, les Hauts de Vaugrenier de Villeneuve Loubet, la Villa Montmorency à Paris et d’autres encore) gravitent des espaces pavillonnaires pour le moins réservés à une clientèle aisée.
Des enfants qui jouent dans des rues sécurisées, un ballon au bout du pied, les parents enlacés, le regard attendri par les sauts d’un labrador sable sous l’arrosage automatique et derrière, le panneau du promoteur. La cible de ce dernier : les familles aisées et les communes à faible mixité sociale. Saint-Nom-la-Bretèche (0% de logements sociaux), Boissy-sous-Saint-Yon (3%), Montfort-Lamaury (4%), Saint Arnoult en Yvelines (5%), Saint-Germain-lès-Corbeil ( 5%), Mandres les Roses (5%), Marcoussis (6%), Santeny (7,5%)…, autant de petites villes de la région parisienne où les classes aisées sont majoritaires. Ces familles font partie des contribuables qui participent le plus au fonctionnement financier des collectivités locales.
L’accession à la propriété est un but pour beaucoup de familles ou de couples français. 70% des achats entre 2002 et 2006 concernaient des maisons individuelles. Quand certains s’endettent sur trente ans à l’aube de leur existence d’adulte pour le bénéfice d’une simple maison, d’autres peuvent se permettre le luxe de rechercher l’entre-soi et la non-mixité, à n’importe quel prix. La catégorie socio-professionnelle CSP++, autrement dit la classe à fort capital économique, investit dans le parc résidentiel privé voire fermé. Leur profil varie très peu : cadres, dirigeants, professions libérales et autres hauts revenus. Le milieu résidentiel s’est calqué silencieusement sur le milieu socio-professionnel. Les riches se sont ghettoïsés.
Tous pareils ou presque, une seule différence sociale : l’âge des propriétaires. Renaud Le Goix, vice président de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre de Géographie-cités explique :
On peut avoir des pilotes atteignant la cinquantaine et de jeunes cadres de 35 ans. Ils ne gagnent pas tout à fait la même chose, mais le niveau socio-professionnel est le même. C’est ce qui compte. Et ces lotissements expriment une valeur “snob” qui leur permet de ressembler aux lotissements de la grande bourgeoisie de Saint Cloud ou de la Villa Montmorency dans le 16e.
Réparties en France, dans le sud et au sein de la grande couronne parisienne, les résidences ne connaissent pas de croissance exponentielle, après leur apparition dans les années 80 : l’entre-soi s’entretient mais ne se multiplie pas ou peu. Le cachet d’une villa, la relative sécurité d’une résidence de grand standing avec piscine ne sont pas les seuls facteurs convaincants pour les acquéreurs. Le chercheur précise les motivations des propriétaires :
Ils signent un contrat de copropriétaires, ils adhèrent en sachant que ce même contrat va protéger la valeur immobilière de leurs biens et le noyau familial, l’ambiance de la communauté, cet entre-soi garanti par les termes du cahier des charges.
Pour ces catégories sociales, la propriété des infrastructures par la copropriété – sous une forme associative – et la fermeture éventuelle des entrées permettent de conserver le contrôle de l’espace et l’exclusivité. On peut les voir de loin – et eux de penser que tous les envient – mais entrer dans une résidence nécessite de montrer patte blanche au vigile ou à la caméra de vidéosurveillance. Les étrangers “économiques” ne sont pas les bienvenus.
Luxe, calme et volupté
La banlieue chic est une ville-dortoir : l’absentéisme y est important, les propriétaires ont des amplitudes horaires très larges et sont fréquemment en déplacement. Mais, et ce qui n’est pas le cas des autres banlieues, la journée, ces résidences sont mortes. Monsieur et madame travaillent, les enfants sont à l’école ou chez la nounou, les commerces sont quasi inexistants. Ainsi dans l’une de ces villes, le maire a fait fermer le bar-tabac : trop bruyant et “désordre”. Seules les tondeuses des employés se manifestent au gré des massifs et des espaces verts majoritaires. Leur maison est une bulle protectrice. Tout comme leur voiture jusqu’à leur lieu de travail.
Une résidence privée est tenue par un cahier des charges plus strict encore que les règlements d’urbanismes municipaux puisqu’il définit la couleur des portes de garage et parfois, le maximum de décibels qu’un chien peut émettre… :
Tout occupant d’une maison individuelle devra arroser et tondre le jardin pour maintenir le gazon ras, à l’anglaise.1
Derrière les nouveaux lotissements ou ceux préexistants : Nexity, Kaufman and Broad et Bouygues Immobilier principalement. Les promoteurs n’ont qu’à démarcher un vivier de cadres dans un bassin d’emploi.
Promoteurs aux petits soins
Pour les 400 maisons du Domaine du Golf de Saint-Germain-lès-Corbeil, le promoteur Windsor serait ainsi directement allé à Orly faire de la publicité aux pilotes d’Air France et feu Air Inter. Un universitaire évoque même un « accord éventuel du promoteur avec la municipalité pour qu’elle construise le golf, amenant ainsi une nouvelle clientèle au sein d’un domaine fermé ». De son côté, la municipalité dément le démarchage direct du promoteur mais note tout de même que « la proximité de l’aéroport d’Orly fait qu’il y a eu beaucoup de pilotes et de commandants dans les premières résidences ».
À Magny Le Hongre en Seine-et-Marne, Kaufman and Broad aurait voulu négocier avec la municipalité pour faire en sorte que les rues des lotissements autour de Disneyland Paris soient des voies privées et fermées. Mais pour les quatre opérations du promoteur depuis 1992 sur la commune, la municipalité a refusé toutes les propositions de voirie : fermer les rues d’une résidence augmente la valeur des biens et donc la rente du promoteur mais les charges incombent à la co-propriété. Au bout de quelques années, lorsque les espaces privés sont rétrocédés de droit à la mairie, leur état est dégradé (usure naturelle, défaut d’entretien, etc.) et les charges trop lourdes à assumer pour une collectivité locale. « Alors que si la rétrocession est immédiate, l’entretien peut se faire au fur et à mesure », explique un conseiller municipal.
Certains promoteurs proposeraient de refaire les routes d’une municipalité contre l’accord de la mairie pour exploiter des terrains et construire une résidence de grand standing… En échange, on glane à droite et à gauche des services municipaux comme le ramassage des poubelles ou la tonte des pelouses. Les mairies se trouvent dégagées de facto des responsabilités de l’entretien des espaces collectifs.
Même constatation au domaine de Santeny. La ville, plutôt tranquille, de 3.657 habitants, qui a fait récemment l’acquisition de trois caméras de vidéo-surveillance pour 60.000 euros, possède un groupement de 400 pavillons : le domaine privé réunit bon nombre de “bons” contribuables, possède une piscine, des terrain de tennis et un code couleur de volets plutôt chic, le trio BCBG bleu-vert-bordeaux. Si le syndicat de copropriété est chargé des espaces verts et de l’entretien des différentes installations, il n’est pas censé interférer avec la mission de la municipalité au niveau de la voirie.
Et pourtant quand on pose la question en mairie, c’est le numéro de téléphone du syndicat – donc des habitants dont le maire – qui nous est donné « pour obtenir des informations ». Ils se renvoient la balle. « On ne comprend pas du tout l’objet de votre démarche. C’est une propriété privée, vous n’avez pas à savoir quoi que ce soit », précise Mme Floch, femme du vice-président de l’Association Syndicale Libre du Domaine de Santeny, en charge de la gestion du domaine qui refuse de répondre aux questions d’OWNI.
Secret défense dans ces lieux privilégiés ? Ce qui intéresse les acteurs immobiliers tient en trois mots, pour reprendre les termes de Renaud Le Goix : potentiel économique d’attractivité. Il arrive souvent que le cahier des charges de la future résidence soit établit en fonction du gain souhaité par le promoteur. Si les routes sont plus étroites, le nombre de maison à construire peut être augmenté ! De même, un promoteur inscrit la fermeture résidentielle à son cahier des charges pour vendre plus cher le lotissement.
Autant de couleuvres que les municipalités acceptent, bien contentes de voir arriver ces fameuses CSP++ et de les inscrire à leur fichier d’habitants : ceux qui s’installent vont payer plein pot la taxe foncière et la taxe d’habitation. Indirectement, ce sont les catégories sociales aisées qui refusent les logements sociaux : électeurs d’un maire, leur volonté de conserver leur cocon pèse plus que la menace d’une taxe sur le pourcentage de logements sociaux. C’est le prix à payer pour avoir l’impression d’être en sécurité. Et d’être heureux dans son jardin.
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Crédits Photo FlickR by-nd-nc Ludovic Bertron
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Vous pouvez retrouver l’ensemble du dossier logement avec Cherche HLM dans le 16e arrondissement, Se sentir “chez soi” à Paris et et Visite guidée d’une studette parisienne
Crédit photo Guillaume Lemoine CC-BY-NC-SA et design par Ophelia
- extrait du cahier des charges [PDF] du Domaine du Pré Saint Nom de Saint Nom la Bretèche dans les Yvelines. [↩]
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