L’avenir sera atomique
Depuis l'accident de Fukushima, le nucléaire est fortement remis en cause. L'atome est pourtant devenu indispensable à l'alimentation électrique française et mondiale. Et si nous nous faisions, un instant, l'avocat du diable ?
[Disclaimer : L'article ne reflète en rien les opinions de l'auteur ou de la rédaction. Il s'agit d'un exercice de style consistant à prendre volontairement un point de vue pro-nucléaire.]
Un mois et demi après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiishi, la volonté d’une sortie du nucléaire n’est plus seulement “l’opportunisme indécent“ qui était reproché aux Verts. L’idée a fait son chemin. Et si c’était possible ? Dans 30 ans, 50 au plus, affirment les écologistes, nous pourrions en avoir terminé avec l’atome au profit d’autres énergies.
Difficile d’envisager une telle option alors que la France a fait le choix du tout nucléaire il y a maintenant 40 ans. Le gouvernement ne peut pas décider facilement de sortir d’une industrie qui fournit 75 % de l’électricité consommée en France, et qui la fait rayonner pour son expertise à travers le monde (tout en générant chaque année près de 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour EDF, qui appartient à 80 % à l’État).
La sortie rapide, c’est pourtant ce que prônent les anti-nucléaires, sans pour autant s’interroger sur son véritable rôle en France. Et si nous nous faisions l’avocat du diable ? Non pas pour minimiser la gravité de la situation à Fukushima Daiishi, mais bel et bien pour s’interroger sur l’utilité de l’atome à l’heure des énergies renouvelables.
Récupération politique
Plusieurs pays d’Europe ont même franchi le pas, en annonçant l’arrêt des projets en cours ou la fermeture de centrales en activité. En témoigne le revirement d’Angela Merkel et de son parti, jusqu’ici plus pro-nucléaires qu’anti. La réouverture d’anciennes centrales a été annulée, et l’Allemagne doit encore se prononcer sur la fermeture de la moitié de son parc nucléaire. Reste à savoir si ce brusque volte-face témoignait d’une véritable volonté de changement ou d’une récupération purement opportuniste, à quelques jours des élections régionales.
Si une telle décision ne risque pas de plonger nos voisins d’Outre-Rhin dans le noir, il faudra cependant accroître la production électrique des sources d’énergie alternatives. Ou acheter l’électricité ailleurs… comme en France, par exemple.
La politique énergétique de l’Allemagne a ceci de particulier que, révisée en 2000, elle doit déjà conduire à une sortie du nucléaire en 2021. Un engagement rendu possible par le fait que le nucléaire n’y représente que 24 % de la production électrique. Outre-Rhin, si les énergies renouvelables et le gaz occupent une place importante (respectivement 17 % et 14 %), ce sont encore les centrales à charbon, extrêmement polluantes, qui fournissent le pays en électricité : elles représentent pas moins de 42 % de la production allemande.
La moins dangereuse des énergies ?
Sauf que le nucléaire est, à bien y regarder, bien moins inquiétant que les énergies fossiles, qui dominent encore largement la production électrique à travers le monde.
Selon une infographie réalisée par le site NextBigFuture, qui s’appuie sur plusieurs sources [en] (dont l’Organisation Mondiale de la Santé ou l’Agence Internationale de l’Energie Atomique), le nucléaire est bien moins meurtrier que le charbon ou le pétrole. Elle calcule le nombre de morts par Térawattheure (1 TWh équivaut à 1 milliard de KiloWattheure, le KiloWattheure étant la mesure de l’énergie d’un appareil consommant 1000 watt en 1 heure de temps).
Cette infographie s’appuyait initialement sur les chiffres de l’AIEA (4.000 morts maximum à Tchernobyl). Même, en utilisant une étude beaucoup plus pessimiste (300.000 morts, en incluant les décès des cancers futurs), le nombre de morts par TWh dus au nucléaire reste de très loin inférieur à ceux du charbon, du pétrole, ou du gaz.
Ici le graphique réévalué : 161 morts par TWh pour le charbon, contre 2,7 pour le nucléaire.
Les décès imputés à la rupture du barrage de Banqiao, en Chine, est pris en compte, d’où le résultat élevé pour ce qui est de l’énergie hydraulique. Tout comme Tchernobyl, il s’agit d’un accident, et la famine, au même titre que les radiations, est une conséquence directe de la destruction de cette infrastructure.
Les énergies alternatives ? Du vent !
Si l’on considère la dangerosité, c’est donc incontestablement vers les énergies alternatives qu’il faudrait se tourner. Avec la menace, de plus en plus concrète, du réchauffement climatique, et donc la nécessité d’un arrêt de la production de CO2, les centrales nucléaires et les énergies renouvelables semblent être les solutions les plus viables. L’énergie atomique pose cependant le problème de la gestion des déchets radioactifs. L’urgence d’un changement de mode de production, couplée à ces déchets intraitables et difficiles à stocker, devrait donc nous amener à privilégier les énergies dites vertes. Sauf qu’au vu de l’augmentation quasi-constante de la consommation électrique, les énergies alternatives sont proprement insuffisantes en terme de rendement.
Tomroud explique parfaitement cette problématique sur son blog :
Pour stabiliser la concentration du CO2 dans l’atmosphère [...], il faudra produire d’ici 2050 une puissance supplémentaire équivalente à la puissance totale produite aujourd’hui sans brûler d’énergie fossile. Insistons : considérez toute l’énergie produite aujourd’hui en une seconde dans le monde. D’ici 2050, il faudra trouver une façon de doubler cette production énergétique sans rejeter la moindre molécule de CO2 supplémentaire dans l’atmosphère ! [...]
Il y a donc a priori beaucoup de place pour le renouvelable d’origine solaire, qui, comme on l’a dit, reste de toutes façons la seule “vraie” source d’énergie externe. Cependant, là encore, il faut faire du quantitatif. Et on s’aperçoit que ça cloche rapidement . Si on regarde tout le potentiel éolien à 10 m du sol, on arrive à seulement 4 TW. Rajouter 2TW en mettant des barrages un peu partout pour faire de l’hydroélectricité. 5 TW en transformant toutes les terres cultivées en bio-carburant. Bref, même en ruinant terres arables, écosystèmes et paysages pour produire de l’énergie, en réalité, le compte n’y est pas du tout, et je serais curieux de savoir quelle est donc l’alternative non carbonée proposée de façon réaliste par les écologistes !
La seule solution réaliste sur le moyen terme est de trouver un moyen d’utiliser directement l’énergie solaire. Le problème c’est que l’énergie solaire est très diffuse. En fait, comme on connaît exactement la quantité de soleil reçue pour une surface donnée, on peut montrer que pour qu’un panneau solaire soit rentable face à des carburants fossiles (c’est-à-dire qu’il fournisse autant de kWh par dollar investi), il faudrait que le prix d’un panneau solaire ne dépasse pas 10 fois le coût de la peinture nécessaire pour recouvrir sa surface. Le verdict est évident : la technologie solaire actuelle n’a aucune chance d’être compétitive économiquement face aux carburants fossiles.
La conclusion est simple : le problème est insoluble aujourd’hui. Et pour pasticher Thatcher, There Is No Alternative, la seule solution viable passe par une exploitation de la puissance solaire reçue, qui implique le développement de nouvelles technologies permettant de réduire le coût de production de l’énergie par unité de surface à celui d’une peinture de luxe. Bref, seule la science peut nous sauver.
Et de la même façon que la science peut améliorer le rendement des panneaux solaires ou améliorer le captage du CO2, il n’est pas exclu qu’elle permette de trouver des solutions à la problématique des déchets nucléaires.
Sortir du nucléaire, mais vers quoi ?
Dans l’immédiat, à moins d’un retour aux centrales à charbon, le réseau électrique est constitué de telle sorte qu’il est impossible de sortir du nucléaire. En Europe, la tension s’établit à 230 volts pour une fréquence de 50 htz. L’ensemble des appareils qui se branchent sont d’ailleurs calibrés sur cette mesure.
Si la tension augmente ou diminue trop, l’ensemble du réseau électrique disjoncte. C’est exactement ce qu’il s’est passé lors de la grande panne électrique de 2003 aux Etats-Unis : la tension s’est écroulée quand, après un déséquilibre à un point du réseau, les centrales restantes n’ont pas pu accélérer suffisamment pour répondre à la demande. L’ensemble du réseau a alors cessé de fonctionner, privant des millions d’Américains d’électricité.
En France, ce sont les centrales nucléaires qui fournissent l’énergie nécessaire. Chaque matin, quand la population se lève pour prendre sa douche et son café, la demande supplémentaire d’électricité entraîne des pics de consommation. Il faut alors augmenter la puissance électrique fournie. L’énergie nucléaire étant extrêmement longue à faire varier, il est nécessaire de démarrer des centrales d’appoint (thermiques), ou des barrages hydrauliques, pour encaisser la demande.
L’éolien ou les panneaux solaires ne sont malheureusement pas du tout adaptés à ces pics, puisqu’ils sont eux-mêmes soumis à des variations climatiques (les éoliennes doivent être freinées pour ne pas varier trop vite). De fait, la puissance électrique qu’ils fournissent n’est pas suffisante pour alimenter le réseau.
Idéalement, il faudrait pouvoir conserver l’électricité créée à l’aide d’énergies vertes. Mais les systèmes de stockage sont eux-mêmes particulièrement peu verts : les barrages hydrauliques peuvent emmagasiner l’électricité mais sont particulièrement nocifs pour les écosystèmes et les batteries susceptibles de la garder, basées sur des réactions chimiques, polluent énormément (sans compter un rendement peu efficace). On perdrait dès lors l’intérêt de ces énergies vertes comme énergies d’appoint.
Une diminution drastique de la consommation
La solution idéale serait donc une diminution drastique de la consommation mondiale d’électricité, qui continue de grimper régulièrement chaque année. Le passage au tout nucléaire voulu par le gouvernement permet, en France, des prix inférieurs de 35 % à la moyenne européenne (soit une facture d’environ 615 euros par an, contre à peu près 900 euros chez nos voisins). Cette politique d’une électricité moins chère incite à une surconsommation électrique impropre à la sortie du nucléaire. Un parfait cercle vicieux, qui rend beaucoup plus difficile l’idée d’une consommation moins poussée.
Quand bien même. Diminuer la consommation électrique ne permettrait pas de stopper centrales nucléaires et thermiques (charbon, pétrole et gaz). Les énergies renouvelables resteraient insuffisantes. Même en diminuant de manière drastique la consommation mondiale d’électricité, il manquerait énormément de TW au compteur : avec l’exemple d’une société à 2000 watt par personne, il manquerait ainsi 43.600 TWh.
Vers d’autres solutions
Tout comme les énergies fossiles que sont le pétrole et le charbon, l’uranium n’est cependant pas infini. Les réserves sont estimées suffisantes, au mieux, pour les 100 années à venir. Il faudra donc, à plus ou moins longue échéance, se tourner vers d’autres sources d’énergie.
Une des options envisagées n’est autre que la fusion nucléaire. C’est l’objectif du projet Iter, estimé à plus de 20 milliards d’euros, et qui devrait voir le jour en 2020 au plus tôt. “Iter sera le plus grand réacteur expérimental sur la fusion nucléaire”, explique Michel Claessens, le directeur de la communication d’Iter, actuellement en construction sur le site de Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône :
Le but d’Iter est de produire de l’énergie grâce à des réactions de fusion nucléaire qui existent déjà dans les étoiles. Très schématiquement, au lieu d’essayer de couper les noyaux, comme avec la fission, nous allons essayer de les fusionner. Pour cela, on utilise l’hydrogène, l’atome le plus léger qui soit. A une température très élevée (plusieurs millions de degrés), les noyaux fusionnent et libèrent de l’énergie.
D’ici une bonne dizaine d’années, Iter devrait montrer que l’on peut produire de l’énergie nette grâce à la fusion. Mais les applications réellement industrielles ne seront pas possibles avant 40 ans.
Surtout, la fusion nucléaire serait sans risques, et l’éventualité d’une catastrophe nucléaire quasi nulle :
La fusion nucléaire est beaucoup plus sûre que la fission. Il y a bien de petits résidus radioactifs mais en très faible quantité, et surtout de très courte durée : une dizaine d’année. Le département sécurité a simulé l’accident le plus grave qui pourrait se produire : une fissure dans le réacteur suivie d’une fuite. Même dans ce cas, la radioactivité resterait 10 fois en dessous du seuil de tolérance de l’Etat francais. Il ne serait même pas nécessaire d’évacuer les populations.
À qui la faute si le mot nucléaire fait peur ?
Le problème n’est pas tant le nucléaire que sa gestion. À Tchernobyl comme à Fukushima Daiishi, ces catastrophes sont la conséquence directe d’un manque de prévention. L’accident au Japon témoigne cependant des progrès réalisés depuis la catastrophe ukrainienne. Informées, les populations ont pu évacuer à temps les lieux jugés dangereux. Les techniciens, s’ils sont loin de travailler dans des conditions idéales, sont toutefois mieux équipés que leurs homologues ukrainiens en 1986. Le véritable problème est en réalité celui de la communication, comme en atteste la façon dont cette dernière a été gérée par Tepco, le gestionnaire de la centrale, et les autorités japonaises.
L’absence d’informations claires, souvent démenties par la suite, participe du scepticisme anti-nucléaire. Difficile en France, par exemple, d’estimer si les fonds réservés au démantèlement futur des centrales nucléaires en fin de vie sont suffisants (28 milliards d’euros) quand on sait qu’ils sont quasi-quadruplés en Angleterre (103 milliards d’euros) pour un parc nucléaire bien moins important.
La peur panique de l’énergie atomique tient pour beaucoup aux informations contradictoires que se renvoient pro et anti-nucléaires. Les uns en refusant d’admettre des dangers, qui, s’ils ne sont pas prévenus, ont des conséquences dramatiques, les autres en diabolisant une énergie dont ils ne peuvent absolument pas se passer.
Lors d’une rencontre avec un agriculteur du Cotentin, en Normandie, près de l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague, celui-ci m’avait confié pouvoir comprendre qu’il y ait des problèmes avec le nucléaire mais regretter “qu’il faille toujours que ce soit des associations anti-nucléaires qui mettent le doigt dessus”.
Des années plus tôt, après un incendie impliquant l’usine de retraitement des déchets nucléaires, les agents de l’usine (gérée par la Cogema à l’époque) avaient conseillé à ses parents de ne pas faire sortir leur bétail pendant quelques jours.
Ils étaient même venus placer des dosimètres dans le buffet pour mesurer les radiations. Mon père avait demandé, quand ils étaient venus les récupérer, quels étaient les résultats.
Il ne les a jamais obtenus.
>> Photos Flickr CC par Bascom Hogue, jnyemb, zigazou76 et vgault.
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Image de une Marion Boucharlat pour OWNI, téléchargez-là :)
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