Un photographe à contre-temps
Les hommes grenier, documentaire de Bertrand Meunier et Michael Sztanke, sera présenté ce soir au festival des Nuits Photographiques aux Buttes Chaumont. Retour avec Bertrand Meunier sur sa manière de travailler à l'ère d'Internet.
C’est l’histoire de deux cultures qui se rencontrent. Pas la culture occidentale et la culture chinoise. Non, la culture du documentaire au long cours qui se frotte aux contraintes du webdocumentaire. Cette histoire, Les hommes grenier du photographe Bertrand Meunier et du journaliste Michaël Sztanke, nous la raconte.
Au départ : “une interrogation sur l’urbanisme en Chine et en Asie, et les violences faites à l’homme dans sa façon de vivre”, rappelle Bertrand Meunier. Lui qui a déjà réalisé de nombreux reportages photo en Chine découvre le sujet du futur webdocumentaire dans un article de presse. À Hong Kong, des hommes et des femmes vivent dans des cages.
Dans certains immeubles, les gens vivent sur des lits superposés. Avant, les lits étaient fermés par des grillages, d’où “les homme cage”. Maintenant les grilles ont disparu, mais pas les dortoirs. On parle d’hommes grenier… Ces hommes qu’on exploite et qu’on cache.
Le sujet est là. Il s’inscrit dans un projet plus large pour Bertrand Meunier : travailler sur quatre villes asiatiques – Hong Kong, Tokyo, Bangkok, Shanghaï – pour en faire apparaître une cinquième, synthèse des quatre mégalopoles, synonyme de centres commerciaux et épreuve de modes de vie et de consommation communs.
Pour traiter le sujet, Bertrand Meunier s’associe à un journaliste français, Michäel Sztanke, ancien correspondant de RFI en Chine qui travaille aujourd’hui pour Baozi Production. Ils montent le projet en réponse à un appel d’offre de la boîte de production Narrative. Une opportunité de commencer une série, et de s’initier au webdocumentaire. Michaël Sztanke filme. Bertrand Meunier photographie, en argentique. Sept jours sur place, de longues discussions avec les habitants par l’intermédiaire d’un guide, tout en maintenant une présence discrète.
C’est difficile de se faire accepter dans l’intimité des personnes qu’on rencontre. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux, nous avons énormément discuté. Dans certains cas, un locataire est chargé de ramasser le loyer des autres. Il paie son loyer comme ça, en travaillant pour le propriétaire. Eux n’aiment pas les journalistes.
Le webdocumentaire est une plongée dans cet environnement exigu. Plus que donner de l’information, Bertrand Meunier voulait faire “entrer le lecteur dans un univers”, le laisser plusieurs minutes face aux photographies, sans musique ni voix off. Un choix artistique difficilement compatible avec la forme actuelle du webdocumentaire selon lui, une ambition liée à son parcours professionnel. Issu du cinéma, il n’est devenu photographe professionnel que tardivement.
Je suis fasciné par le documentaire de Wang Bing À l’Ouest des rails. Il dure neuf heures. Il ne se passe rien mais c’est la qualité de ce documentaire, filmé en caméra à l’épaule. Le spectateur est mis en face du déclin industriel chinois et en prend plein la gueule.
Face aux questions de l’interactivité posées par les différentes formes du webdocumentaire, Bertrand Meunier préfère l’association du son et de la photographie où, selon lui, les choix artistiques et le propos des auteurs ne sont pas aliénés à la technologie. “Je m’interroge sur cette notion d’interactivité avec cette abondance d’information proposée au spectateur. La technologie du webdocumentaire interrompt le fil du récit”. Bertrand Meunier admet également être un inconditionnel de l’argentique : “J’aime le négatif, faire des tirages et toucher le papier. C’est un plaisir. Et je trouve que le rendu est magnifique.”
Dans ses futurs projets : un voyage subjectif en France, en son et en images, avant de revenir vers la Chine. Le travail en France a commencé en 2009 à Sète, prolongé dans les marais de la Somme, à Uzerche, et bientôt dans les Landes et l’Alsace.
J’ai envie de parler de mon pays. C’est un voyage subjectif en France, avec une narration précise. Ça s’appellera Dépaysement.
Inspiré par les photographies de Josef Koudelka sur l’exil, vingt ans de travail, et de Robert Frank sur Les Américains, deux ans à parcourir son pays, il espère que son travail sur la France aboutira en 2014. De l’engagement du documentariste, c’est la patience, la minutie et la lenteur que Bertrand Meunier aime plus que tout, dans une époque qu’il trouve si rapide.
Le documentaire Les hommes grenier sera projeté au festival des Nuits Photographiques ce vendredi 24 juin 2011. Rendez-vous à partir de 20h00 au Parc des Buttes Chaumont.
Photos ©Bertrand Meunier/Tendance Floue, tous droits réservés
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