Établissements de réinsertion scolaire: silence dans les rangs
Nous avons essayé de dresser le bilan de la première année d'expérimentation des ERS, structures pour jeunes "difficiles". Pas facile.
Décidément, les ERS (établissements de réinsertion scolaire) sont un sujet sensible. En novembre dernier, Rue89 titrait « Chut ! L’Education nationale ne communique pas sur les ERS ». Contacté par OWNI afin de faire un bilan chiffré précis, le ministère de l’Éducation nationale, en la personne d’une attachée de presse revêche mal réveillée, nous a répondu :
Apparemment, vous n’allez pas sur le site du ministère. Il y a une page avec toutes les informations, mise à jour en mars.
Opendata, qu’ils disaient. En guise de bilan, le ministère fournit à ce jour simplement la liste des établissements et un résumé de la circulaire. En se fendant au passage d’un petit mensonge : « La consultation et l’accord de l’élève et de sa famille sont nécessaires. » Ce qui contredit la circulaire encadrant le fonctionnement des ERS : l’accord est certes « nécessaire », mais s’il « ne peut être obtenu, une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale » pour décider du placement.
EducScol, le site du ministère pour les professionnels de l’éducation, n’est guère plus généreux :
La création d’une vingtaine d’ERS1 est demandée pour l’année scolaire 2010-2011. Les ERS accueillent pendant un an au moins un effectif global de 15 à 30 élèves, âgés de 13 à 16 ans, issus des classes de 5e, 4e et 3e.
Faire le bilan de cette première année d’expérimentation de classe pour élèves difficiles avec des informations parcellaires de mi-parcours, même Gérard Majax ne saurait résoudre ce tour de passe-passe. Et de nous renvoyer aux académies concernées.
Incidents à répétition
Les ERS, c’est l’histoire d’une expérimentation montée à la va-vite, sans concertation, dans la foulée des Etats généraux sur la violence à l’école de 2010. La circulaire a été publiée au JO au milieu de l’été, c’est dire… Le projet suscite d’emblée des critiques de la part du milieu éducatif. Au programme, des effectifs très réduits, un taux d’encadrement élevé, l’internat et un programme mixant cours le matin et activités diverses l’après-midi dont une bonne dose de sport. Le coût du programme, 15.000 euros par élève soit deux fois plus qu’un élève dans un cursus classique, et autant qu’un élève de classe préparatoire aux grandes écoles, fait aussi frémir, dans un contexte de réduction budgétaire : c’est déshabiller Paul pour habiller Pierre, reprochent certains en substance.
Le premier établissement ouvre dans le département des Alpes-Maritimes, présidé par un partisan de la droite sécuritaire, le député UMP Eric Ciotti. Dix autres suivront, et dans un certain nombre d’entre eux, on est loin des Jolies colonies de vacances.
Ainsi, des élèves de Seine-Saint-Denis sont envoyés à Craon dans la Mayenne. Croisant « à la suite d’une erreur d’organisation » des collégiens en route pour la cantine, raconte Le Parisien, ils sortent les poings. Ils seront exclus… Les professeurs demanderont même la fermeture de l’ERS. À Portbail, dans la Manche, une expérience similaire tourne aussi court. L’ensemble des huit pensionnaires, aussi venus du 93, sont exclus après avoir semé la pagaille dans le village. À Nanterre, les professeurs se mettent en grève pour protester contre la mise en place de l’ERS.
En novembre, Luc Chatel fait le point. S’il concède que le dispositif est perfectible, annonçant trois pistes d’amélioration, le dispositif en lui-même n’est pas remis en cause. La liste des établissements est fournie, chose naguère refusée, ainsi que les effectifs, avec un prévisionnel le cas échéant. Curieusement, le site de l’Education nationale n’affiche à l’heure actuelle que la liste des établissements, et non les effectifs…
Et au dernier rapport d’étape, en mars, donc, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, reportage à l’appui :
Puisqu’il n’est pas possible d’obtenir un bilan au terme de cette première année, OWNI s’en est chargé. Où l’on retient surtout que la communication reste aléatoire, en fonction de la réussite apparente de chaque établissement. Apparente, car, comme le rappelait Emmanuel Davidenkoff, il est prématuré de juger la réussite d’un projet de réinsertion scolaire à si court terme, qui arrive après d’autres dispositifs de ce type (classe-relais, SEGPA, etc) :
Réinsérer socialement oui, scolairement, c’est très rare. Toutes les études montrent que le retour dans le circuit scolaire reste l’exception.
Communication minimale
Dans un certain nombre d’ERS, nous n’avons pas eu de retour de l’inspection d’académie, et il a fallu faire avec les articles parus dans la presse locale le plus souvent pour se faire une idée, le cas échéant :
- du collège Haute-Bruche à Schirmeck : pas de réponse aux sollicitations
- du collège Paul Fort, rattaché au collège Pierre et Marie Curie à Dreux, où l’on a essuyé un « refus de communiquer à la presse ».
- de l’internat scolaire Mauchamp à Verney : pas de réponse aux sollicitations.
- des établissements rattachées à la Seine-Saint-Denis, collège Fenelon à Vaujours et ERS externalisés dans la Mayenne et la Manche, collège Volney à Craon (Mayenne) et centre PEP Elie Monboisse à Port-Bail (Manche) : pas de réponse aux sollicitations.
Concernant ce dernier, on apprend sur maville.com qu’il a été réouvert en décembre avec un taux d’encadrement renforcé et des effectifs réduits : « aujourd’hui l’effectif n’est plus que de 3 élèves, l’un des jeunes ayant été renvoyé, et le nombre d’adultes est passé à 11 : “2 enseignants, 4 assistants d’éducation, 3 volontaires service civique, 1 coordonnateur et le directeur”. » Et l’objectif était de « mettr[e] un élève supplémentaire chaque mois », « et en tout état de cause le nombre d’élèves “ne dépassera pas dix”. » Silence sur le coût de l’opération.
Sur les huit pensionnaires du collège Jean Monnet de Bagnères-de-Luchon, ouvert début novembre 2010, « deux d’entre eux sont aussitôt repartis. Le premier a été exclu pour avoir « perturbé » le groupe. Le second a demandé à quitter la structure », rapportait Rue89. « Ouvert comme 11 autres établissements de ce type en France après les vacances de la Toussaint de cette rentrée scolaire, l’établissement de réinsertion scolaire (ESR) de Luchon a eu un peu de mal à démarrer. Mais aujourd’hui, il fait référence », indiquait La Dépêche du Midi, sans donner davantage de détails.
Paradoxalement, quelques mois après ce commentaire laudatif du journal local, l’inspection d’académie nous a répondu ainsi :
L’académie de Toulouse a expérimenté le dispositif des établissements de réinsertion scolaire. Après quelques mois de fonctionnement (ouverture de l’établissement en cours d’année scolaire), il nous semble prématuré de tirer des conclusions. Chaque élève étant unique les équipes sont désormais tournées vers la rentrée scolaire 2011-2012 et la mise en place d’une pédagogie au service de la réussite et de la réinsertion des élèves de l’académie qui intègreront le collège. Nous ne souhaitons pas donner d’autre suite à votre demande.
Après la grève initiale, l’ERS du collège Jean Perrin de Nanterre a de nouveau un peu fait parler de lui dans la presse en mai. En cause, un stage militaire qui a tourné au fiasco. Un document de l’académie annonce que « tous les déplacements se feront au pas cadencé » (sic). Dans les faits, rapporte Le Parisien, « cette semaine placée sous le signe de l’autorité s’est finalement révélée très tendue. Au point que la hiérarchie militaire a décidé de ne pas la médiatiser plus que cela. Peu désireuse que cette opération soit considérée comme un fiasco, la Grande Muette s’est montrée peu loquace. Selon nos informations, le stage a été marqué par des altercations à répétition et une hostilité ouverte à l’égard des encadrants militaires. [...] Pas forcément formés à une pédagogie de pointe, les militaires se trouvaient donc limités dans leurs moyens de coercition. Impossible de leur imposer les traditionnelles séries de pompes en cas de manquement à l’autorité. “L’Éducation nationale a sans doute compté sur nous pour les mater…” résume un militaire avec amertume. Raté !»
Nous n’avons pas eu de retour de l’inspection d’académie. L’Humanité a eu plus de chance apparemment. Son état des lieux est éloquent : « Stage militaire qui vire au fiasco, absentéisme, mise à l’index des élèves décrocheurs… [...] Marianne Auxenfans, responsable du Snes-FSU des Hauts-de-Seine [...] regrette aussi que l’ERS ait achevé son année scolaire sans être doté d’une véritable équipe pédagogique. [...] Neuf mois après son ouverture, aucun projet pédagogique n’a été présenté au conseil d’administration du collège », etc.
Quant aux résultats qu’on nous a fournis, sous couvert d’anonymat, ils sont très mauvais : « Il y a eu une montée en puissance, avec quinze élèves inscrits cette année au final, mais quatre ne sont jamais venus. Sur les onze restants, cinq ou six étaient absents de façon perlée chaque jour. Concernant les résultats à l’examen, le brevet D.P.62, trois sont venus à une épreuve sur les trois qu’il compte, deux ont assisté à deux épreuves. De toute façon, il n’y a pas eu de contrôle continu. Il me semble qu’un élève redoublera dans une troisième générale, sinon, ils seront orientés en CFA. » Le dispositif devrait être reconduit.
Bilan a priori présentable
Le collège Jean-Baptiste Rusca à Saint-Dalmas-de-Tende s’est montré disert dans la presse locale, fort de son bilan a priori présentable. Nice-Matin détaille ainsi qu’«en grande difficulté à leur arrivée, 13 des 19 élèves ayant fréquenté l’ERS de Saint-Dalmas-de-Tende vont retrouver une scolarité “ordinaire”. [...] Le dispositif sera reconduit l’an prochain à l’identique. Il y a eu, bien sûr, des échecs. Des jeunes ont quitté très vite l’ERS pour ne pas avoir pu s’adapter aux conditions de l’internat. Ils ont depuis été réorientés vers d’autres filières. En tout cas, pas de quoi remettre en cause cette expérience. » On n’en saura pas pas plus sur le nombre de jeunes qui ont quitté l’établissement.
Contacté, l’inspection d’académie nous a transmis le numéro de téléphone de la proviseure de l’établissement… qui nous a envoyé baladé :
C’est au rectorat de donner l’autorisation de communiquer.
Bonne surprise en Lozère : nous avons eu un retour rapide et poli de l’inspecteur d’académie, M. François Lacan. Il dresse un bilan positif de cette première année. « Nous n’avons pas été pris de cours car nous avons déjà cette culture. Nous sommes un petit collège de campagne habitué à recevoir des élèves en difficulté issus de milieu urbain. » (( lire Témoignages et présentation de projets éducatifs )) Sur les 20 élèves, la majorité préfèrent rester dans cet environnement l’année prochaine. Le dispositif sera reconduit à la rentrée prochaine, avec 15 élèves au lieu de 12 cette année (on se demande d’où vient le chiffre de 20 annoncé en novembre).
Pas de réponse non plus dans le Val d’Oise. Le bilan semble bon si l’on s’en tient à cet article paru dans La Vie :
« le lycée Saint-Jean est placé sous tutelle des Apprentis d’Auteuil, une fondation spécialisée dans l’accueil d’élèves en difficulté. Surtout, le directeur a imposé deux conditions qui ne figuraient pas dans le cahier des charges du ministère : que les jeunes soient volontaires pour suivre ce programme, “afin d’accompagner au mieux leurs besoins et leurs projets”, et qu’ils partagent les mêmes lieux de vie que les autres lycéens, “cantine et internat compris”.
À Craon, au contraire, tout était fait pour que jeunes de l’ERS et collégiens ne se croisent pas : l’internat et les salles de classe de l’ERS étaient aménagés à l’étage d’un bâtiment, les jeunes n’en sortant que pour les repas, à des horaires décalés. “Le jour de leur arrivée, on les a fait passer par la porte de derrière, raconte Maryline Buggin. Il est évident qu’ils se sont sentis stigmatisés, exclus.” »
Tiens, tiens, la clé de la réussite serait-elle d’avoir un projet réfléchi, au sein de structures spécialisées, soit le contraire de ce qu’a fait le ministère ?
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Image CC Fickr Shattered Infinity et Stephen Poff
- Concernant les établissements en plus à la rentrée, c’est encore la presse locale qui nous renseigne : en Auvergne, au lycée Maurice-Guyot de Montluçon (03) ; dans le Nord-Pas-de-Calais, dix jeunes de 13 à 16 ans devraient arriver au centre des Argousiers de Merlimont (62) ; en ÃŽle-de-France, Meudon serait sur les rangs. [↩]
- qui sanctionne la 3ème DP6 – découverte professionnelle -, accueillant des élèves se destinant à une filière professionnelle [↩]
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