La Tunisie 2.0 est aux urnes
Le 23 octobre, la Tunisie a rendez-vous avec l'Histoire, pour l'élection de son Assemblée constituante. À Tunis, OWNI a rencontré l'avant-garde de la démocratie en réseaux. De la politique participative innovante. Séduisante.
Un vieil immeuble au cœur de Tunis, près du quartier “Le Passage”. Ici, le quatrième étage est occupé par un groupe de citoyens très impliqués dans l’aventure démocratique que connaît la Tunisie. Ensemble ils animent le site Afkar Mostakella. Littéralement “Idées indépendantes”, une plateforme internet qui fédère les idées émises par les citoyens inscrits pour le scrutin du 23 octobre, qui devra désigner les membres de l’Assemblée constituante.
Les hacktivistes, militants du libre, de l’open-data et de la transparence, artisans de la révolution de janvier dernier, préparent ce rendez-vous avec l’histoire, comme les autres mouvements. Seule exigence posée par Afkar pour les candidats indépendants intéressés par cette boite à idées : ils doivent adhérer au socle de valeurs qu’a défini l’équipe.
Le spectre est large, plutôt consensuel en première lecture. “Préservation des libertés individuelles”, “valeur d’égalité entre tous” et “lutte contre toutes les discriminations” ne semblent pas de nature à créer des lignes de fractures entre les candidats. Farès Mabrouk, l’un des fondateurs, acquiesce et précise : “Il y a un socle général, mais des points plus précis font clivage, comme la transparence”. Afkar exige que les candidats adhèrent à l’idée d’une “totale transparence”, à l’ouverture des données publiques pour un gouvernement ouvert. Farès Mabrouk plaide :
Les débats de l’Assemblée constituante devraient être télévisés, donc publics.
Les candidats indépendants qui acceptent ce socle de valeurs reçoivent une aide en trois volets de la part d’Afkar. Point principal, ils peuvent piocher dans une boite à idées soumises par les internautes inscrits. Les propositions concernent 21 domaines, dont le service public, l’éducation, l’économie, mais aussi la réconciliation et la justice transitionnelle. Un internaute a ainsi proposé l’amnistie pour ceux qui reconnaîtraient devant une commission spéciale leurs compromissions sous l’ancien régime, sur le modèle sud-africain. Un autre propose l’instauration d’un congé de paternité.
Appareil de parti crowdsourcé
Les candidats auront aussi une page sur le site d’Afkar pour accroître leur visibilité. Une équipe de coachs les conseillera. De quoi ressembler à un parti quand l’objectif était justement de s’en éloigner ? L’équipe d’Afkar s’en défend :
Il y a un peu de tout parmi nos candidats. Nous créons simplement l’équivalent de l’appareil de parti à partir du crowdsourcing. L’opposition légale du temps de Ben Ali n’était pas une force de proposition. Nous mobilisons l’intelligence collective via les outils du web.
Khadija Mohsen-Finan, enseignante chercheur en sciences politiques à l’université Paris VIII, soutient l’initiative d’Afkar. “D’une part, les programmes des partis sont très proches les uns des autres. Ils se trompent d’agenda d’autre part : les luttes de leadership remplacent les débats sur les projets” analyse-t-elle. Dans cette “Tunisie convalescente”, selon Linda Ben Osman, enseignante et community manager bénévole d’Afkar, l’équipe a craint le vide de propositions.
Le crowdsourcing est au coeur d’un autre projet mis sur pied à l’approche des élections. Plate-forme open-source Ushahidi, nchoof, “Je regarde”, sous-titré “ton regard sur ton pays” entend récolter les irrégularités observées par les électeurs, dans la lignée des initiatives lancées au Kenya en 2007 lors des violences post-électorales. L’un des fondateurs Khaled Koubaa nous explique par email que nchoof est “une combinaison d’activisme social, de journalisme citoyen et d’information géographique”. Les électeurs pourront signaler un incident observé dans un bureau de vote et il sera reporté sur une carte. L’observation électorale devient l’oeuvre de tous.
Nchoof est porté par plusieurs associations, notamment Consience Politique, et Internet Society (ISOC) Tunisie pour la partie technique. L’ISOC Tunisie est financée par le département d’Etat américain via le Middle East Partnership Initiative indique Khaled Koubaa, président de l’association. Les membres sont des militants du libre :
Nous travaillons pour préserver l’ouverture de l’internet et la neutralité du réseau [pour] favoriser l’open goverment et une meilleure transparence et gouvernance en Tunisie.
Une nouvelle forme de politique
Même son de cloche chez Afkar. Entre un tableau velleda rempli de to-do lists et un tableau papier avec un rétro-planning, Farès Mabrouk rappelle qu’il veut inaugurer “une nouvelle forme de politique qui utilise les réseaux sociaux”. Afkar n’est ni un parti, ni une association, ni un think tank, mais une plate-forme, un site internet qui rassemble un premier cercle de bénévoles d’une quarantaine de volontaires, tous plutôt jeunes, tous très connectés.
Une petite équipe est à l’origine. Slim Amamou, Houeida Anouar et Farès Mabrouk notamment. Mabrouk, de la même famille que Marwane dont le rôle avait été évoqué par OWNI à propos de la licence 3G d’Orange. Farès assure qu’il a d’excellentes relations avec son cousin germain, mais qu’elles sont de nature personnelles. Marwane n’a donc absolument rien à avoir avec Afkar, assure-t-il.
Le site s’impose la plus stricte transparence. En témoignent, les échanges de mails entre membres de l’équipe et documents de travail accessibles sur leur site, et, plus important, la liste de leurs sources de financements. “Ceux qui nous financent doivent accepter que leur nom soit diffusé, sinon nous refusons leur fonds” rappelle Farès qui reste le principal financier, en fonds comme en matériel. Khadija Mohsen-Finan aide aussi le projet : “La révolution a été faite par la société civile, la vigilance vient maintenant de la société”. Vigilance augmentée par les nouveaux outils du web.
Crédits photo FlickR CC by-sa opensourceway
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