Un état des lieux de l’Open Data

Le 2 novembre 2011

David Eaves, conseiller auprès de plusieurs institutions pour l'ouverture des données, a profité de son discours inaugural à l'Open Data Camp 2011 de Varsovie pour dresser un bilan, et évoquer des pistes pour l'avenir.

Où en est l’Open Data ? Au cours de mon récent discours d’inauguration à l’Open Data Camp (qui se tenait cette année à Varsovie), j’ai tenté de poursuivre l’intervention que j’avais faite lors de la conférence de l’an passé. Voici l’état des lieux que j’en dresse.

Le franchissement du gouffre

1. Davantage de portails Open Data

Une des choses remarquables de l’année 2011 est la véritable explosion des portails Open Data à travers le monde. A ce jour, plus de 50 catalogues de données gouvernementales [en] sont recensés et d’autres devraient suivre. Le plus notable de ces catalogues est sans doute l’Open Data kényan [en], qui démontre à quel point le mouvement de l’Open Data a évolué.

2. Une meilleure compréhension et davantage de demande

Ces portails sont le résultat d’un mouvement d’ensemble plus vaste. De plus en plus de personnalités politiques, en particulier, sont curieux de comprendre l’Open Data. L’idée n’est pas de parler d’une compréhension radicalement modifiée, mais de nombreuses personnes situées dans les sphères gouvernementales (et plus globalement politiques) connaissent désormais le terme, pensent qu’il y a là quelque chose d’intéressant, et souhaitent en savoir davantage. Ainsi, dans un nombre de lieux de plus en plus importants les réfractaires diminuent. Plutôt que devoir hurler de loin, nous sommes désormais souvent invités à nous exprimer.

De plus en plus de personnalités politiques, en particulier, sont curieux de comprendre l’Open Data. [...] Plutôt que devoir hurler de loin, nous sommes désormais souvent invités à nous exprimer.

3. Plus d’expériences

En définitive ce qui est également passionnant, c’est le nombre croissant d’expériences dans la sphère Open Data. Le nombre d’entreprises et d’organisations tentant de pousser leurs utilisateurs vers les données ouvertes est croissant. ScraperWiki, DataHub, BuzzData, Socrata, Visual.ly font partie de ces ressources qui ont apparu dans l’univers des données ouvertes. Le genre de projets de recherche qui émergent – de la traque des irruptions volcaniques en Islande à l’arrivée des hackers et de leurs œuvres, aux micro-projets (comme Recollect.net que je dirige) ou bien encore les travaux qui conduisent à démontrer que l’Open Data pourrait générer des économies de 8,5 millions de livres par an aux institutions de la région de Manchester [en] – sont profondément encourageants.

A l’heure actuelle : un point d’inflexion

Ce qui est excitant avec l’Open Data, c’est que nous sommes de plus en plus nombreux qui aident – fonctionnaires, personnalités politiques, patrons d’entreprises, simples citoyens – à imaginer un avenir différent, plus ouvert, plus efficace et plus avenant. Notre impact est encore limité, mais nous ne sommes qu’au début de l’aventure. Ce qui est plus important c’est que grâce à nos succès (cf. le point 2 ci-dessus) notre rôle change. Qu’est-ce que ça signifie pour le mouvement, maintenant ?

Vu de l’extérieur, le travail que nous accomplissons est tout simplement de plus en plus pertinent. Notre époque est celle d’un échec institutionnel. Du Tea Party à Occupy Wall Street, nous constatons que nos institutions ne nous servent plus suffisamment. L’Open Data ne peut pas résoudre le problème, mais il fait partie de la solution. Le défi de l’ordre ancien et des organismes qu’il favorise, c’est que son principe d’organisation est articulé autour du contrôle des processus, après avoir appliqué le modèle de production industrielle à l’administration. Cela veut dire qu’il ne peut se déplacer aussi vite et, à cause de sa forte tendance au contrôle, qu’il ne peut se permettre autant de créativité (et d’adaptation).

L’Open Data, c’est placer un libre flot d’informations au cœur de la gouvernance – à la fois interne et externe – avec le but d’augmenter le métabolisme du gouvernement et de décentraliser la capacité des entreprises à faire face à leurs problèmes. Notre rôle n’est pas évident pour les personnes appartenant à ces mouvements, et c’est pourquoi nous devrions le rendre plus clair.

Vu de l’intérieur, nous devons relever un autre grand défi. Nous sommes à un point d’inflexion critique. Pendant des années, nous avons été dehors, hurlant l’importance de l’Open Data. Maintenant nous sommes invités dedans. Certains voudraient que nous nous y précipitions, désireux d’avancer, d’autres souhaiteraient se retenir, par peur d’être récupérés. Pour réussir, il est essentiel que nous devenions plus performants à progresser sur ce terrain miné : collaborer avec les gouvernements pour les aider à prendre les bonnes décisions, mais ne pas être manipulés en sacrifiant à nos principes. Choisir de ne pas nous engager serait – à mon avis – fuir nos responsabilités de citoyens et d’activistes de l’Open Data. C’est une transition difficile, mais il sera plus simple de commencer par l’assumer et de nous soutenir les uns les autres.

Le défi majeur : la prochaine étape

En regardant à travers le prisme Open Data, j’ai le sentiment que nous sommes devant trois défis pour lesquels le mouvement Open Data doit faire face s’il ne veut pas compromettre les succès déjà accumulés.

1. Le piège de la conformité

Un risque majeur pour l’Open Data, c’est que tout notre travail soit réduit à n’être qu’une initiative pour la transparence et aurait par conséquent pour unique objet de mettre en conformité des structures gouvernementales. Si c’est ainsi que se joue notre destin, je suspecte que dans 5 à 10 ans les gouvernements, désireux de pratiquer des coupes budgétaires, n’inscrivent les portails Open Data dans la liste des économies à réaliser.

Notre objectif n’est pas de devenir un élément de conformité. Notre but est de faire comprendre aux gouvernements qu’ils sont des structures de gestion de données et qu’ils ont besoin de gérer leur patrimoine “data” avec la même rigueur qu’ils gèrent le patrimoine concret comme les routes et les ponts. Nous donnons autant d’importance à la gouvernance des données qu’à l’Open Data. Cela signifie que nous avons besoin d’une vision pour un gouvernement dans lequel la donnée devient une couche de l’architecture gouvernementale. Notre objectif est de réaliser une plate-forme de données sur laquelle, non seulement les citoyens s’appuient, mais également sur laquelle le gouvernement refonde son appareil politique, et prioritairement son système informatique. En mettant ceci en place, nous nous assurons que l’Open Data est fermement connecté aux services de l’État et qu’il ne peut être facilement stoppé.

Notre but est de faire comprendre aux gouvernements qu’ils sont des structures de gestion de données et qu’ils ont besoin de gérer leur patrimoine “data” avec la même rigueur qu’ils gèrent le patrimoine concret comme les routes et les ponts.

2. Les schémas de données

Cette année, à l’approche de l’Open Data Camp, la fondation Open Knowledge a créé une carte des portails Open Data à travers le monde. C’était marrant à regarder, et je pense que ça devrait être la dernière fois que nous le faisons.

Nous arrivons à un point où le nombre de portails Open Data devient de moins en moins pertinent. Ouvrir davantage de portails ne permettra pas à l’Open Data de se déployer davantage. Ce qui va nous permettre de nous déployer sera d’établir des structures de données communes leur permettant de fonctionner transversalement aux juridictions. Le seul format de données de gouvernance ouverte largement utilisé concerne les données de transport urbain qui, parce qu’elles ont été standardisées par le GTFS1, sont désormais disponibles à travers des centaines de juridictions. Cette standardisation a non seulement poussé les données dans Google Maps (générant des millions d’utilisations quotidiennes) mais a également conduit à une explosion d’applications de transports urbains dans le monde. Des standards communs nous permettront de nous déployer. Nous ne pouvons pas l’oublier.

Arrêtons donc de faire la comptabilité des portails Open Data, commençons plutôt à dresser la liste des jeux de données qui adhèrent à des schémas communs. Étant donné que l’Open Data est regardé de plus en plus favorablement par les gouvernements, la création de ces schémas est actuellement, à mon sens, le défi majeur du mouvement Open Data.

3. Élargir le mouvement

Je suis impressionné par les centaines et les centaines de personnes présentes ici à l’Open Data Camp à Varsovie. C’est vraiment sympa de pouvoir reconnaître autant de visages, le problème c’est que je peux reconnaître trop de visages. Nous devons faire grandir le mouvement. Il existe un risque que nous devenions complaisants, que nous nous réjouissions du mouvement que nous avons créé et, encore plus, de notre rôle en son sein. Si cela devait arriver, nous aurions un problème. Malgré nos succès, nous sommes loin d’avoir atteint une masse critique.

La question simple que je nous pose c’est : où sont United Way, Google, Microsoft, l’Armée du salut, Oxfam et Greenpeace ? Nous saurons que nous sommes en train de progresser lorsque des entreprises – grandes et petites – tout autant que des associations sans but lucratif, commenceront à comprendre combien les données de gouvernance ouverte peuvent rendre le monde meilleur et voudront ainsi nous aider à faire progresser la cause.

Chacun de nous se doit maintenant d’aller engager la discussion avec ces types d’organisations et les aider à se figurer ce nouveau monde et son potentiel à faire de l’argent et à faire progresser leurs propres problématiques. Plus nous parviendrons à nous inscrire dans les réseaux des autres, plus nous recruterons des alliés et plus forts nous serons.


Article original paru sur le blog de David Eaves sous le titre The State of Open Data 2011
Photo via FlickR Dan Slee [cc-by-nc] et Sebastiaan ter Burg [cc-by-sa] remixées par Ophelia Noor /-)
Traduction : Nicolas Patte



  1. Google Transit Feed Specification, un format standard promu par Google []

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