Drôles de prisons
La vie tragique du prisonnier n'est pas une fatalité. Sauf en France. Ailleurs, des initiatives étonnantes essaiment. Luxe, ornithologie, autogestion... Tour d'horizon de prisons innovantes, avec le magazine Snatch.
Cet article paraîtra samedi 10 décembre dans le numéro 10 du bimestriel Snatch dont OWNI est partenaire. Dans un dossier de 60 pages, le magazine s’est penché sur les prisons : rencontre avec Patrick Dils, enquête sur la perpétuité et les tatouages en milieu carcéral… OWNI et WeDoData ont réalisé une enquête graphique sur la France carcérale et l’état du prisonnier français : les infographies sont à découvrir dans Snatch et les cartes interactives sur OWNI /-).
Avis aux ennuyés des cellules et autres limeurs de barreaux, voilà une liste non exhaustive des prisons qui ont le mérite d’être particulières, au-delà de nos frontières. Histoire de voir un peu ce qui se fait ailleurs.
Le luxe en Océanie et Asie
Comme à l’hôtel à Jakarta, Indonésie [1]
Au placard, tout est négociable. Surtout en Indonésie, où des traitements très spéciaux sont appliqués aux détenus qui ont les moyens de se les offrir. C’est comme ça que Artalyta Suriyani, une influente femme d’affaire du pays purge aujourd’hui ses cinq années de prison – elle a été condamnée dans une affaire de corruption – dans une grande pièce avec table basse, canapé pour chiller et écran plat. Elle dispose même d’une salle de bain et d’un coin cuisine. Et le room service ?
Private Taule à Somang, Yeoju, Corée du Sud [2]
C’est la première prison privée du pays. Fruit d’un partenariat entre l’État et une fondation protestante, cette prison se singularise en dispensant un enseignement et une étude complète des valeurs chrétiennes aux détenus. Derrière les barreaux, ça catéchise sévère. Le but de cette affaire est de spiritualiser et apaiser les cÅ“urs des prisonniers pour diminuer le risque de récidive. Miracle, ce dernier n’excède pas les 6% à la sortie. Curiosité, on notera que parmi les communiants, on ne trouve ni dealers, ni gangsters. Pas de repentir pour ces derniers ?
Jailhouse Rocks à Cebu, Philippines [3]
Pendant que les détenus des prisons « normales » soulèvent de la fonte, tapent des dunks ou se plantent au cutter, leurs homologues de la prison de Cebu apprennent à danser. Une idée de la réinsertion pour le moins originale : danser tous ensemble sur de la pop music. Célèbres pour leur vidéo de danse sur Thriller en hommage à Michael Jackson, les mille cinq cents agités de Cebu font des représentations publiques à des fins humanitaires, avec photos et dédicaces de tee-shirts pour les spectateurs. Et en sortant, embarquement chez Kamel Ouali ?
Au Cap, la réhabilitation par l’élevage d’oiseaux
Oiseaux en cage à Pollsmoor, Le Cap, Afrique du Sud [4]
Au bout du bout du monde, la prison de Pollsmoor applique un programme de réhabilitation de haut vol. En acceptant de renoncer aux gangs et aux clopes, des promotions de douze détenus à la conduite irréprochable peuvent s’initier à l’élevage des oiseaux et ainsi découvrir une nouvelle grille de lecture du monde. Le concept a pour but d’adoucir les mÅ“urs des prisonniers : en prenant soin des oiseaux, ils apprennent à prendre soin d’eux. Coucou les tout doux. Privilège ultime des apprentis ornithologues : des chambres individuelles de 6m². Cinq étoiles.
L’Europe et ses prisons atypiques
Détenus en Transe à Pozzale, Empoli, Italie [5]
La vie entre les barreaux, Johnny Cash aurait pu confirmer, ce n’est pas la joie. Et le problème s’aggrave lorsque l’on est en faible minorité parmi les méchants prisonniers. À chaque problème sa solution. Quand la prison pour toxicomanes de Pozzale affiche un nombre de détenus presque nul, autant remplir les cellules avec les prisonniers transsexuels d’Italie. Normal. L’endroit est maintenant exclusivement réservé à ces derniers, améliorant ainsi les conditions carcérales d’une communauté trop opprimée.
Prison de retraite à Singen, Allemagne [6]
Au centre d’un quartier résidentiel du sud de l’Allemagne se dressent deux étages enceintés d’un mur haut de cinq mètres. Pas de barbelés et peu de précautions de sécurité. Il s’agit ici d’une prison pour seniors. La vie carcérale y est largement améliorée : les cellules restent ouvertes, l’hygiène est au top et le travail facultatif. Un tel endroit est une chance pour ces détenus qui, dans une banale prison, « seraient réduits à cirer les pompes des autres » comme le souligne Thomas Maus le directeur de l’établissement. Pas malheureux les petits vieux.
Chambre Double à Sark, Guernesey, Royaume Uni [7]
La plus petite prison du monde. Située sur l’île anglo-normande de Guernesey, la prison de Sark érigée en 1856 offre de la place pour tout juste deux personnes. Sark ressemble d’ailleurs plus à une guérite en briques rouges, démunie de fenêtre, qu’à une véritable prison. Devenu un spot touristique, l’endroit fait office de lieu d’appoint, une nuit de détention pour les fouteurs de troubles et basta. Et pour ceux qui osent récidiver après une nuit dans ce cagibi, c’est le transfert illico vers une prison digne de ce nom.
Les extrêmes de l’Amérique
Prison City à San Pedro, La Paz, Bolivie [8]
A l’intérieur de cette prison autogérée, on trouve un hôtel, des églises, des magasins, mais pas un seul maton. Véritable ville dans la ville, San Pedro abrite mille six cents détenus qui ont le droit de vivre avec leurs familles. Comme dans toute micro-société, les détenus doivent trouver un gagne-pain. Les plus riches peuvent se payer une cellule de luxe sur plusieurs étages, là où les plus pauvres s’entassent à vingt par chambre. Dans ce haut lieu touristique (d’où l’hôtel), un labo produisant soit disant « la meilleure cocaïne du monde » a récemment été démantelé.
Barbus au mitard à Wallens Ridge, Virginie, Etats-Unis [9]
Cette prison impose des règles drastiques aux détenus chevelus ou barbus. Le rasage est obligatoire à l’arrivée des prisonniers, question d’hygiène et de sécurité : « Ils pourraient cacher des armes dans leur barbes » raconte-t-on à Wallens Ridge. Les têtus refusant de suivre ce programme sont isolés au mitard, privés de tout. Une injustice criante, évidemment, pour les indomptables croyants – rasta, islam ou le culte viril du poil – dont la foi tolère assez mal qu’ils se coupent la barbe.
Gangs en stock à Pelican Bay, Californie, Etats-Unis [10]
Quand on nous dit Pelican Bay, on imagine des palmiers et des verres glacés de Pinacolada. Wrong ! Pelican Bay est juste la prison la plus dangereuse des États-Unis. Avec mille cinq cents gardiens pour trois mille deux cents détenus, l’endroit est une jungle où les blessés sont quotidiens et les morts hebdomadaires. Pas étonnant dans une prison où les détenus sont tous affiliés à un gang. Quant aux nouveaux, plus faibles, ils doivent vite se résoudre à se faire recruter, vu l’absence de choix à disposition. Prison mentale derrière les barbelés, la loi du « blood-in blood-out » oblige même les détenus à rester membre de leurs gangs après leur sortie. Pas glop.
Service pénitentiaire à Edmonton Canada [11]
Inaugurée en 1949 et destinée à réhabiliter les soldats canadiens dans l’exercice des leurs fonctions, la caserne de détention des forces canadiennes (CDFC) est l’unique prison militaire du pays. Le régime y est drastique : exercices et entraînements militaires tous les jours. Pour éviter les conflits, les détenus ont interdiction de se parler, de fumer, de lire ou d’appeler leurs proches. La vie est dure pour les bidasses, mais « quand ils retournent dans leur base, ce sont de meilleures personnes et de meilleurs soldats. » explique le Major Taylor, actuel responsable des lieux. On n’en doute pas chef.
Article publié dans le magazine Snatch qui consacre un dossier aux prisons dans son numéro 10, dans les kiosques à partir de samedi 10 décembre.
Retrouvez notre Une sur les prisons :
Photographie de Une © Aimée Thirion
Illustrations de Majan Dutertre © pour Snatch.
OWNI avait consacré un dossier sur les alternatives à la prison en novembre 2010.
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