Rencontre avec Hey !
Cabinet de curiosités du XXIème siècle, la revue d'art contemporain Hey! défend depuis deux ans les formes artistiques marginales et leurs évolutions. Retour sur la genèse du magazine et les 20 ans de parcours macadamisé de ses fondateurs Anne & Julien.
HEY! la revue d’art contemporain et de pop culture a ouvert les portes de son cabinet de curiosités à la Halle Saint-Pierre à l’automne dernier. Avant la clôture de l’exposition en spectacle les 3 et 4 mars, OWNI a plongé dans les entrailles de HEY! deux ans après son lancement, pour remonter aux origines de la création d’une “revue-oeuvre” et découvrir ce qui fait courir ses fondateurs Anne & Julien1, et leur troupe. Tour à tour journalistes, curateurs, passeurs mais également artistes-performeurs à la tête d’une compagnie, HEY! étend son monde grouillant et décalé au delà du papier. L’aboutissement et la fusion de passions exprimées depuis le milieu des années 80 dans les rues de Paris. Entretien avec Anne, dans les locaux de la rédaction.
Nés dans la rue
Nous avons commencé par le spectacle de rue dans les années 80 à Paris. Nous avions une idée, on l’écrivait. Ensuite on montait une équipe de 40 personnes, on bloquait une rue, de préférence avec une librairie ou une galerie avec laquelle on faisait un partenariat. C’est une époque où on pouvait être libres, la ville a changé mais c’est un mouvement perpétuel. Nous envahissions les magasins et le spectacle durait toute la nuit avec une programmation cinéma. Nous avons fait ça pendant quelques années avec Julien, en auto-production.
De la rue à la galerie
Nous en avons eu assez de tout le temps bouger et nous avons ouvert une galerie au début des les années 90 dans le 18ème arrondissement, rue Eugène Sue. Notre idée paraissait suicidaire. Le crack commençait à arriver dans le quartier et à cette époque le marché de l’art s’effondrait. Nous montrions déjà les œuvres qu’on trouve aujourd’hui dans les pages de HEY! De l’outsider, du brut, du graffiti, du pochoir. Nous avons vu le graffiti et la culture hip-hop arriver des États-Unis, et toute la transhumance des transformations corporelles et sexuelles. Cette période a duré trois ans, puis on a cessé à nouveau d’être sédentaires.
Marges musicales
Nous avons écrit sur la musique, un livre puis deux, et on s’est très vite retrouvés chroniqueurs radio. On a commencé sur Europe 1, c’était le début des raves parties. Nous étions avec Laurent Garnier qui parlait de ce qui se passait à Manchester2 et avec Julien nous parlions de BD et de rock. De fil en aiguille, nous sommes devenus journalistes spécialisés.
Free press : la famille Bizot & NOVA MAG
Une seule famille défendait vraiment ce que nous soutenions en terme de presse, c’était celle d’Actuel. C’est à ce moment là que nous avons rencontré Jean-François Bizot 3 . Nous avons continué à défendre ce qu’on aimait, les marges en peinture et en musique, au sein du tout nouveau Nova Mag, créé en 1994.
La période Nova Mag, c’était le tout début des raves, du Summer of Love 24. Avec Julien nous sentions que quelque chose de révolutionnaire se passait et deux ans après, les free parties arrivaient. Nous défendions ce son en radio alors que c’était encore très underground et que beaucoup de gens le jugeaient inécoutable. De son côté, Laurent Garnier défendait la culture club. Nous en profitions aussi, nous avons vécu la très belle période du Queen. Mais le côté plus sauvage de la musique nous attirait : la techno pure, le mélange techno, ragga et reggae. Et tout ce qui était techno hardcore, breakcore et leurs évolutions avec la naissance de la Jungle puis de la Drum’n’Bass.
Une vision singulière du monde
Beaucoup de gens projettent l’idée que les marges sont de l’entre-soi, ce n’est pas du tout ça. La marge est la projection d’une vision singulière du monde. C’est la déclaration de l’exposition. Les gens que nous avons réunis puisent leur discours dans un terreau qui nous est commun à tous, la société technicienne, populaire, la médiatisation, le ludique.
Populariser les marges
En presse, en radio et en télévision, nous avons toujours développé un discours sur la défense des marges, quoi qu’il arrive, en vulgarisant, en expliquant. Nous voulions introduire un discours de spécialistes dans des supports généralistes, pour atteindre les gens qui pouvaient s’y intéresser. Nous en avions marre de lire n’importe quoi sur ce que nous aimions. Mais la crise de la presse est passée par là, avec la place grandissante prise par les annonceurs. Nous avons pris la décision de ne pas participer à ce système. Les conférences de rédaction avec Bizot par comparaison étaient très créatives, les idées fusaient dans tous les sens. Après la période NovaMag, les autres rédacteurs chefs ne comprenaient rien à nos sujets. Et parfois modifiaient le sens de nos papiers. Nous avons toujours travaillé pour dire des choses, nous ne voulions pas piger pour piger. Le travail doit être rempli de sens. Sinon, on n’a plus rien à foutre là.
Nous avions assez d’années de métier pour arriver à faire notre propre revue, dans des conditions qui nous convenaient c’est-à-dire sans aucune concession. Je ne considère pas mon lectorat, je suis dans une entreprise totalement égoïste, je veux lire ce qui me correspond moi. Quand tu aimes des choses particulières, les marges, tu penses que tu es seul au monde mais c’est faux. Ce sont juste les réseaux de communication entre les groupuscules qui n’existent pas.
La création, un geste intime et égoïste
Après deux années de HEY!, j’ai pu vérifier un point que beaucoup d’auteurs et d’artistes m’ont dit tout au long du parcours : “un bon livre, une bonne œuvre exclut complètement les autres”. L’acte de création est un geste intime et égoïste, qui fonctionne en circuit fermé. Ce qui prime, c’est de savoir quel sens on lui donne et ce qu’on met dedans. La difficulté ici, c’est que c’était une revue, destinée à être lue. Dans l’acte de la création ce geste de liberté est primordial, que je vende ou pas. C’est galvanisant en tant que journaliste d’être un pôle de passage mais au final nous ne faisons que transmettre et partager le travail des artistes.
“Hey, je voudrais Hey !”
Nous cherchions un nom qui soit le contraire de tout ce que la presse essaie de faire. Qui soit débile voire difficile à prononcer : “bonjour je voudrais hey !”. Quelque chose qui nous renvoie à la rue et son énergie, car nous venons de là et nous sommes tout le temps branché dessus. Hey !, c’est une interjection de base, de la rue, elle est internationale, et dans n’importe quelle BD ou fanzine, tu trouves toujours un hey!
Branche ton gramophone !
Nous sommes des férus de musique. Plus on travaille, plus on fait la fête. Nous avons commencé à débarquer aux soirées avec nos gramophones et nos vinyles. C’est là qu’est né notre groupe, 78 RPM Selektor. En 2008, les Transmusicales de Rennes cherchaient une première partie pour The Residents5 et on a fait notre première scène avec eux devant 3 000 personnes. Notre proposition était complètement freaks.
La compagnie HEY!
En créant la revue, nous sommes retrouvés responsables de tout, et nous avons aussi décidé de monter sur scène et de créer une compagnie. Nous ne pouvions plus assumer la division de nos deux projets. Nous avons fait rentrer des peintres dans cette dimension scénique musicale. Et c’est bon d’avoir 14 ans jusqu’à 80 ans. Les gens aiment ou n’aiment pas, mais ils ont tous la sensation d’avoir vécu quelque chose. Comme en lisant HEY!, tu aimes ou tu détestes mais tu ne peux plus l’ignorer.
“Revenir à la beauté des choses”
Nous faisons partie de cette multitude de gens qui en ont assez qu’on nous présente un chaise blanche sur un fond blanc avec un concept de quatre pages pour comprendre que c’est une œuvre d’art. Nous voulons revenir à la vraie beauté. Tu es devant une vraie proposition même si tu es autodidacte. T’aimes ou t’aimes pas, mais ça n a rien a voir avec l’acte de création de l’artiste. L’impact est fort dès le départ avec une excellence de technique. Les professionnels du marché de l’art contemporain ne peuvent pas nous retirer ça et je pense qu’on arrive à susciter l’interrogation. Nous sommes pour le retour de la vraie beauté. C’est pour ça que HEY marche à mon sens. Nous avons des convictions, nous sommes au cœur d’une centrifugeuse humaine et c’est ce que l’art contemporain a oublié. L’humain.
Exposition HEY! à la Halle Saint-Pierre jusqu’au 4 mars. HEY! reviendra s’y installer en janvier 2013 pour 9 mois.
Spectacle de clôture de l’exposition avec la compagnie HEY! les 3 et 4 mars à l’auditorium Saint-Germain.
La revue HEY! est disponible en librairie.
Photos par Zoe Forget ©
- Anne & Julien est leur nom d’artiste, connus aussi sous les noms de Rosita Warlock et Mr Djub [↩]
- Essor des musiques électroniques en Angleterre. A cette époque Laurent Garnier mixait au club Hacienda de Manchester sous le nom de DJ Pedro [↩]
- Jean-François Bizot a repris en 1970 le magazine Actuel, journal mythique de la free press française. [↩]
- période de la fin des années 80’s en Grande-Bretagne durant laquelle la culture des rave parties s’est développée en Angleterre, musique acid house et ecstasy. [↩]
- The Residents est un collectif d’artistes américains et anonymes qui mélange productions musicales, scéniques et visuelles [↩]
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