Garde à vue d’exception
Dans les affaires terroristes, la garde à vue obéit à des règles d'exception : durée, droit du mis en cause, choix de l'avocat... Le Conseil constitutionnel s'est penché dessus et a censuré un article de loi, sans en renier la teneur sur le fond. La justice antiterroriste peut être d'exception, mais elle doit l'être avec précision, disent en substance les sages.
Le Conseil constitutionnel a censuré l’un des textes qui prévoyait un régime dérogatoire des gardes à vue pour certains infractions, dont les activités terroristes. Il concernait précisément le choix de l’avocat. Depuis la loi du 14 avril 2011, le gardé à vue suspecté d’avoir commis ces infractions pouvait voir le choix de son défenseur restreint à “une liste d’avocats habilités”, établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur proposition de chaque ordre. Le bâtonnier suggérait un nom au juge des libertés et de la détention qui validait1.
Vendredi 17 février, les sages se sont prononcés contre cette disposition législative. Ils avaient été saisis sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par l’ordre des avocats au barreau de Bastia. “C’est une excellente décision” se réjouit Yassine Yakouti, avocat familier des affaires terroristes. Il poursuit :
La liberté de choisir son avocat est fondamentale dans une démocratie. Cette disposition la réduisait, mais le Conseil constitutionnel vient la renforcer.
La censure de ce régime dérogatoire est pourtant motivée par “de mauvaises raisons”, selon Pierre de Combles de Nayves, avocat parisien qui a traité plusieurs affaires dans cette matière. Le Conseil constitutionnel ne s’en prend pas à la disposition sur le fond. En somme, écrivent les sages, “il incombe au législateur de définir les conditions et les modalités selon lesquelles une telle atteinte aux conditions d’exercice des droits de la défense peut être mise en Å“uvre”. Le principe dérogatoire n’est pas remis en cause, mais son application était trop floue.
Matthieu de Vallois, avocat et secrétaire de la conférence des avocats du barreaux de Paris, interprète cette absence de précisions comme une volonté délibérée de la part des législateurs. “Les députés attendaient sans doute que le décret d’application les précise, ce qu’il n’a pas fait” explique-t-il. Le législateur devra donc revoir sa copie.
Suspicion généralisée
Sur le fond, les sages ont réaffirmé les principes qui présidaient à cette disposition. Yassine Yakouti rappelle que ce régime était lié au caractère exigeant des infractions ciblées :
En matière d’infractions terroristes et de délits financiers, les avocats doivent être préparés. Ce sont souvent des affaires complexes.
Côté face de la pièce, un principe de spécialité. Côté pile, ajoute-t-il, un climat de suspicion à l’égard des avocats. La décision d’établir une liste d’avocats repose sur “la nécessité d’entourer, [en matière terroriste], le secret de l’enquête de garanties particulières (…) afin de ne pas compromettre la recherche des auteurs [des faits] ou de garantir la sécurité des personnes” écrit le Conseil constitutionnel. Sous-entendu, certains avocats seraient les complices des gardés à vue, ce que décrie Pierre de Combles de Nayves :
Si certains avocats ne respectent pas les règles de déontologie, il faut les sanctionner individuellement et non adapter les textes aux mauvaises pratiques.
Yassine Yakouti lui emboite le pas : “Le non-respect par certains ne peut justifier l’élaboration d’une règle spéciale qui s’applique à tous”.
A l’origine de cette disposition dérogatoire planerait le spectre de l’ETA. L’organisation indépendantiste basque compterait dans ses rangs des juristes et avocats, jugés complices des Ettarak arrêtés. La liste d’avocats entendait assainir cette relation, consanguine pour les autorités, entre hommes de droit et mis en cause.
La tradition de la conférence
Elle mettait aussi fin à une tradition en matière de désignation des avocats dans les affaires criminelles. Lorsque les gardés à vue ne désignaient pas un avocat, les commis d’office étaient les membres de la conférence des avocats du barreau de Paris. Bicentenaire, l’institution rassemble de jeunes diplômés qui se sont illustrés par leur maîtrise de l’art oratoire. Pierre de Combles de Nayves et Yassine Yakouti, anciens secrétaires, ont tous deux reçu des affaires par ce biais.
“Depuis le début du XXe siècle, les avocats commis d’office dans des dossiers criminels appartiennent traditionnellement à la conférence” précise Matthieu de Vallois. Le dixième secrétaire a la responsabilité de distribuer les dossiers au sein de la conférence. Considérés comme d’excellents plaideurs, les secrétaires de la conférence héritent donc de ces affaires exigeantes :
Les secrétaires de la conférence se sont illustrés par leur aptitude à convaincre, et non par leur connaissance du droit que tout le monde maîtrise à ce stade. C’est la capacité de conviction qui explique cette tradition en matière criminelle.
La dérogation dans le mode de désignation d’un avocat n’est qu’une brique dans le mur de la justice antiterroriste en France. La garde à vue peut durer jusqu’à 144 heures. L’assistance d’un avocat n’est possible qu’après 72 heures.
- Contactés par OWNI, ni le bâtonnier, ni le Conseil national des barreaux n’ont souhaité réagir [↩]
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