Hacktivisme contre la Hadopi espagnole
La loi anti-piratage Ley Sinde, sorte de Hadopi espagnole, sera mise en oeuvre le 1er mars prochain. Hacktivistas, un collectif de hackers espagnols, a monté une opération pour en démontrer l'absurdité.
Pourrir la Ley Sinde, la Hadopi espagnole, dès sa mise en Å“uvre le 1er mars, en pointant ses failles : l’objectif de l’”opération Wert de Enlaces” (#opwert sur Twitter) initiée par le réseau hacktivistas est clair. Cette opération doit son nom à un jeu de mots jouant sur la similitude sonore entre Web de Enlaces, qui signifie lien Internet en espagnol, et le nom du ministre de l’Éducation, de la culture et des sports, José Ignacio Wert. Ce dernier est en effet à la manÅ“uvre pour promouvoir la nouvelle loi.
Le principe, simple, reprend celui de l’effet Barbara Streisand. La chanteuse avait attaqué des photographes pour empêcher la diffusion de clichés de sa maison et s’était retrouvée avec des quantités de copies en circulation sur le Net. Cette fois-ci, les opposants sont invités à mettre un lien vers une Å“uvre diffusée de façon illégale :
Nous avons choisi une Å“uvre copyrightée© de la SGAE [principale société de gestion des droits d'auteurs en Espagne]. Pour participer, il suffit de faire un lien sur votre blog ou de l’utiliser sans la permission, et d’autoriser à être dénoncé par l’auteur à la commission du ministre de la Culture en charge de l’application de la loi. À partir du 1er mars, l’auteur dénoncera tous les sites qui ont fait un lien vers son Å“uvre :)
Faites passer le mot afin que l’impact soit maximal. Pour participer, vous n’avez qu’à aller sur http://www.wertdeenlaces.net et remplir le formulaire où vous vous accuserez d’avoir fait circuler une Å“uvre protégée sans l’autorisation. L’auteur de l’œuvre l’utilisera pour porter l’affaire devant la commission. [source]
On trouve aussi un petit code à intégrer sur son site, qui reprend le visuel de l’opération : une bouche rouge avec “Bajamé” (“téléchargez-moi”) et un lien vers la chanson en question.
Ce cadeau de naissance est un épisode de plus dans la lutte menée par la société civile contre cette loi initialement porté par le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero, plus précisément par la ministre de la Culture Angeles González-Sinde, dans le cadre de la loi pour l’économie durable.
En décembre 2009 déjà , un manifeste est rédigé dans l’urgence, contribuant à disséminer le vent d’opposition. La principale crainte exprimée concerne la création d’une autorité administrative ayant le pouvoir de demander le retrait de contenus. En cas d’absence de réponse, cette commission peut se tourner vers la justice.
Dans un premier temps, l’opposition citoyenne est efficace : le Congrès rejette la Ley Sinde en décembre 2010, avec le soutien du principal parti d’opposition de l’époque, le Parti Populaire (PP). En 2011, la Le fait de nouveau son apparition, hors du cadre initial de la loi pour l’économie durable et avec des modifications. La polémique et la colère enflent quand des câbles diplomatiques fuités par WikiLeaks révèlent que les États-Unis ont fait pression pour la mise en place de cette législation. Le gouvernement Zapatero sautera avant qu’elle ne soit adoptée, en novembre dernier. Le PP, de retour, ne trainera pas à la finaliser.
Potache en apparence
L’objectif de l’opération est triple, comme nous l’expose Lord Epsylon, un des membres d’Hacktivistas :
Remettre la loi au centre du débat public.
Montrer que leurs intérêts sont lucratifs.
Saturer les tribunaux avec des demandes en masse.
L’Espagne est en pleine crise économique, et les libertés numériques ne sont plus un enjeu de premier plan. “Le pays est dans un état de convulsion en ce moment, déplore Lord Epsylon. D’un point de vue macro, ce n’est pas la préoccupation principale. Mais en ce qui concerne l’éducation, la culture, la défense, oui, car la commission pourra fermer des sites sous le prétexte du copyright. Nous savons qu’après, cette possibilité sera utilisée pour fermer des sites ’subversifs’. Vous savez, 1984.”
Récemment, les Anonymous ont hacké l’attention médiatique à propos de la Ley Sinde lors de la cérémonie des Goya, les César espagnols, à coup d’attaque DDoS et en montant sur scène. Mais Wert de Enlaces, sous ses allures potaches, porte le fer dans la plaie juridique, comme l’explique Francisco George, un des auteurs du manifeste et membre du Parti pirate espagnol, le seul qui participe à l’action :
Il s’agit de tester les véritables raisons de la mise en place de la Ley Sinde. S’agit-il de la protection du droit d’auteur, comme ils le disent, ou des droits de diffusion et de reproduction, détenus souvent par des majors ? Nous verrons s’ils admettent qu’un auteur puisse porter plainte. Si elle accepte, de quelle manière va-t-elle agir ? La loi est très vague, elle ne prévoit pas à partir de combien de liens la commission peut demander la fermeture d’un site. Auront-ils le culot de demander la fermeture du site d’un parti politique ? Elle introduit aussi la notion de “dommage patrimonial”, là encore très floue.
“La commission pose aussi question, on ne sait pas si des gens sont déjà nommés d’une part. Prendra-t-elle aussi le risque de commettre un délit de prévarication1 ? La Ley Sinde va déjà à l’encontre de deux décisions récentes de la Cour de justice européenne, Sabam, l’équivalent de la Sacem belge, contre le FAI Scarletet Sabam contre le réseau social Netlog.
Récemment, les juges ont aussi relaxé Sinetube, un site de liens de téléchargement de films en direct download”.
Forcément vainqueur
Lord Epsylon pense qu’Hacktivistas ne peut que sortir vainqueur de l’opération car un des objectifs au moins sera atteint :
Si la commission ne prend pas au sérieux notre demande de jugements en masse, nous montrons aux gens que cette loi est tournée contre leurs cibles, sans jugement, ce qui est anticonstitutionnel.
Si la commission entame un procès contre nous, nous gagnons encore car nous verrons comment la loi marche dans le détail – nous avons un avocat très sympa prêt à travailler là -dessus – ; nous donnerons du temps à la communauté pour se préparer. On épuisera leurs ressources avec une demande de masse.
Une opération habile. Il faut dire qu’Hacktivistas a déjà un long passif sur le sujet. Le groupe a ainsi lancé entre autres opérations un Manuel de désobéissance à la Ley Sinde, la liste de Sinde et Sindegate (lien mort).
Pour l’heure, il n’y a pas eu de réaction officielle, le gouvernement étant trop occupé avec le scandale de corruption qui touche le gendre du roi, selon Lord Epsylon. Mais l’opération est bien arrivée dans le collimateur. “Nous avons un historique des visiteurs, la SGAE, le ministère de la Culture, la police en font partie, donc ils savent, et nous savons qu’ils savent”, s’amuse le hacker.
Côté média, l’intérêt est pour l’instant timide aussi. Le quotidien de centre-gauche Publico a interrogé Enrique Dans, professeur spécialiste des systèmes d’information et un des auteurs du manifeste. Il y dénonce de nouveau une aberration juridique ne respectant pas le principe de séparation des pouvoirs, d’autant plus inepte qu’il est désormais connu que c’est un fruit du lobbying américain et que des lois similaires comme Sopa et Pipa aux États-Unis doivent faire marche arrière. Logiquement, Enrique Dans a relayé Wert de enlaces sur son blog.
Lord Epsylon espère que l’opération décollera le 1er mars. En attendant, l’info circule de mailing list en réseaux sociaux. Ce mardi, soit une semaine après que la campagne a commencé, plus de 200 sites s’étaient accusés et la chanson avait été téléchargée plus de 12 500 fois.
Deux recours
Mais le test pourrait être repoussé : deux recours ont été déposés ce mois-ci pour demander la suspension en attendant que le tribunal décide de la légalité. L’un d’une association d’internautes, l’autre par des regroupements d’entreprises du numérique, représentant 500 entreprises parmi lesquelles Telefónica et El Corte Inglés, la plus grosse chaîne de grands magasins d’Espagne. Comme pour Sopa et Pipa, combattus par Google, Yahoo et Twitter entre autres , ce secteur fait à son tour pression, non pas amour pour les libertés numériques mais pour défendre ses intérêts sonnants et trébuchants.
Dessin du ministre de la culture Wert sur le site Hacktivistas.net
- “faute consistant pour le détenteur d’une charge ou d’un mandat à accomplir sciemment un manquement grave aux obligations résultant de cette charge ou de ce mandat” Source Wikipedia [↩]
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